Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Bienvenue à la 24e séance du Comité permanent de la condition féminine de la Chambre des communes. La réunion d'aujourd'hui se déroulera en format hybride, conformément à l'ordre de la Chambre adopté le 25 janvier 2021. Les délibérations seront publiées sur le site Web de la Chambre des communes. La diffusion Web montrera toujours la personne qui s'exprime plutôt que l'ensemble du Comité.
Le Comité poursuit aujourd'hui son étude sur l'inconduite sexuelle au sein des Forces armées canadiennes.
À titre d'information pour les témoins, lorsque vous êtes prêtes à prendre la parole, vous pouvez cliquer sur l'icône du microphone pour activer votre micro. Vous devez toujours vous adresser à la présidence.
L'interprétation de cette vidéoconférence est très semblable à ce qui se fait lors d'une réunion normale de comité. Au bas de votre écran, vous pouvez choisir entre l'anglais ou le français. Lorsque vous avez la parole, veuillez parler lentement et clairement pour aider nos interprètes, et lorsque vous n'avez pas la parole, veuillez mettre votre micro en sourdine.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à nos témoins, qui disposeront de cinq minutes pour faire leur déclaration préliminaire. Nous accueillons aujourd'hui Mme Julie Lalonde, ainsi que Mme Christine Wood, qui représente It's Just 700.
Madame Lalonde, je vais vous demander de commencer. Vous disposez de cinq minutes.
Je vous remercie de l'invitation à témoigner aujourd'hui.
Je suis contente de voir que le Comité a décidé de prendre un moment pour entendre les experts de divers horizons, dont moi-même.
Je m'appelle Julie S. Lalonde et je travaille depuis presque 20 ans pour mettre fin à la violence envers les femmes au Canada. Chaque année, j'offre de la formation à des milliers de personnes. J'ai travaillé dans cinq pays, sur trois continents et dans deux langues.
[Traduction]
Bien que je sois la fille d'un ancien membre des Forces armées canadiennes, c'est mon expertise en matière de changement des systèmes, de prévention de la violence et d'intervention des témoins qui m'a amenée à participer aux discussions d'aujourd'hui. J'ai vécu une journée maintenant tristement célèbre de formation des élèves-officiers au Collège militaire royal de Kingston à l'automne 2014. Dans tout le pays, on disait dans les manchettes qu'une éducatrice en prévention du harcèlement avait été victime de harcèlement au Collège militaire royal. Ce qui a malheureusement été omis, c'est que j'ai déposé une plainte auprès du Collège militaire royal pour des raisons qui ne se limitent pas au harcèlement que j'ai subi. J'étais et je demeure profondément troublée par les commentaires qu'ont faits les élèves-officiers au sujet de la violence sexuelle. Ils blâmaient les victimes et soutenaient que les femmes qui prennent un verre de trop demandent à être violées, à l'exception d'un élève-officier de Marine. Il a fait preuve d'un immense courage, et c'est surtout de courage que j'aimerais parler aujourd'hui.
J'ai été invitée à former tous les élèves-officiers regroupés par année lors d'une journée pluvieuse d'octobre 2014. Les élèves des groupes de première et de deuxième année étaient indisciplinés, mais gérables. Le groupe de troisième année était de loin le pire public auquel j'ai eu affaire. Oui, les élèves de ce groupe m'ont accusée de détester tous les hommes, se sont moqués de la définition du consentement et ont saisi toutes les occasions possibles pour rejeter la responsabilité sur les victimes. Pendant un moment particulièrement tendu, j'ai franchement perdu la salle. Ils étaient furieux que je parle des témoins et ont commencé à crier et à me chahuter.
Dans une mer d'uniformes majoritairement verts, un homme en uniforme de la Marine a levé la main. Il faisait partie du groupe le plus turbulent, alors pour être honnête, je lui ai donné la parole avec hésitation. À ma grande surprise, et à celle de toutes les autres personnes présentes dans la salle, il m'a défendue. Il a commencé à réprimander ses camarades de classe pour m'avoir attaquée, leur a dit qu'ils se comportaient comme des bébés en se montrant si contrariés et est même allé jusqu'à dire que la façon dont on parle des femmes au Collège militaire royal est embarrassante.
Tout le monde sans la salle est resté bouche bée. Je pense souvent à cet homme. Dans les jours et les mois qui ont suivi ma journée au Collège militaire royal, des élèves-officiers et des membres des Forces armées canadiennes ont utilisé les médias sociaux et les médias traditionnels pour féliciter les élèves-officiers d'avoir eu le courage de s'en prendre à l'éducatrice. Que des centaines d'hommes fassent dérailler une conversation sur la prévention de la violence sexuelle pour accuser la formatrice de détester les hommes, ce n'est pas du courage. Être le seul individu, dans une salle de 200 personnes, à prendre la parole pour faire avancer les choses est un acte de courage du plus haut niveau.
C'est ce que nous attendons de vous maintenant. Vous n'éradiquerez pas la violence sexuelle, la misogynie et les autres formes d'oppression au sein de l'armée, comme le racisme, la transphobie et l'homophobie, à moins d'être prêts à faire preuve de courage. Est-ce que des termes comme « culture du viol », « masculinité toxique » et « axé sur les survivants » mettent les membres des Forces armées canadiennes mal à l'aise? Absolument, et nous l'avons constaté, mais on ne peut pas changer quelque chose qu'on ne nomme pas.
Je voudrais terminer en vous rappelant que je vous demande de faire quelque chose que je fais moi-même. Je ne vous demande pas de faire quelque chose que je ne suis pas prête à faire moi-même. Depuis que j'ai parlé de mon expérience il y a quelques années, j'ai reçu des milliers de courriels, de messages sur les médias sociaux et même d'appels téléphoniques menaçants. On m'a abordée lors d'événements en personne et je ne peux plus prendre la parole en public sur quelque sujet que ce soit sans être accompagnée de gardes du corps.
Mon courage m'a coûté très cher, et il est donc très désolant de voir que ceux d'entre vous qui ont un immense pouvoir se dérobent devant le travail difficile qu'il est nécessaire d'accomplir pour changer les choses. Cela fait des décennies que des actes de violence sexuelle sont commis au sein des Forces armées canadiennes.
Le blâme ne revient pas à une seule personne, à un seul chef ou même à un seul parti politique. S'il vous plaît, ne perdez pas de vue l'objectif et optez pour le courage dans le cadre de vos discussions.
(1105)
[Français]
Je vous remercie beaucoup du temps que vous m'avez accordé ce matin. J'ai hâte de continuer la discussion avec vous.
C'est un honneur pour moi d'être ici et de représenter le groupe It's Just 700.
Il y a cinq semaines, de manière inattendue, la fondatrice de notre groupe, Marie-Claude Gagnon, que la plupart des gens appellent « MC », a démissionné. Elle s'est retirée du groupe It's Just 700.
Après six années de démarches auprès des plus hauts échelons du gouvernement, elle en est arrivée au point où le coût qu'entraîne le fait de donner une voix et un accès à des centaines d'hommes et de femmes est beaucoup trop élevé pour elle seule. Il est donc important de ne pas oublier, bien que ce soit simple de ne pas l'oublier, que, dans le cadre de nos discussions d'aujourd'hui, on parle de choses difficiles. Ce sont des choses horribles. L'agression sexuelle, ce n'est pas un sujet dont on parle à la légère. Il s'agit d'un aspect répugnant de la nature humaine.
Je crois vraiment que les actes d'inconduite sexuelle au sein des Forces armées canadiennes sont une honte pour le pays. Les récentes allégations très médiatisées d'inconduites sexuelles portées contre nos plus hauts dirigeants ont durement frappé notre conscience collective. Il est scandaleux que deux chefs de la défense soient visés par des allégations à quelques semaines d'intervalle, mais il est encore plus scandaleux d'accepter que, chaque année, en moyenne, 1 600 personnes signalent une agression sexuelle au sein des Forces armées canadiennes. On ne parle pas d'un tir ami, d'un accident ou d'une erreur de bonne foi. On parle de viol et d'abus de pouvoir.
Je peux vous dire des choses que vous avez déjà entendues.
Les victimes ont besoin de soutien. Elles sont de plus en plus nombreuses à se manifester et il n'y a toujours pas de filet de sécurité pour elles. Ces personnes ne se manifestent pas pour signaler une simple incohérence qu'elles ont constatée dans des documents administratifs. Elles parlent de l'expérience terrifiante qu'elles ont vécue, de l'anxiété qui les affaiblit et de leur confiance en soi ébranlée. Elles sont brisées. Il est tout simplement immoral de continuer à leur demander de dénoncer si on n'a pas en place un plan pour les soutenir.
Plus précisément, nous demandons les mêmes mesures de soutien que nous demandions il y a quatre ans: plateforme nationale de soutien par les pairs en ligne, thérapie de groupe, soins ambulatoires et soins psychiatriques, le cas échéant, qui soient axés sur les traumatismes sexuels dans le contexte militaire. Il faut que les mesures tiennent compte des traumatismes subis et permettent de remédier au préjudice moral causé par la trahison de frères et sœurs d'arme.
À l'heure actuelle, toutes les personnes touchées ont de la difficulté à expliquer la nature, la durée et la gravité de leurs blessures. C'est la terminologie utilisée dans les documents pour le recours collectif: la nature, la durée et la gravité. Tant de gens s'efforcent de trouver les mots. Ce n'est pas facile, et les prochaines étapes ne seront pas faciles non plus. D'entrée de jeu, je dois répéter que nous avons besoin de soins. Ils doivent être ciblés. Le trouble de stress post-traumatique est chronique, et il peut être mortel. La source du traumatisme importe peu. Le résultat final est ce qu'il est.
Le traumatisme sexuel n'est pas nécessairement pire ou plus facile à vivre que le traumatisme de combat. Il est simplement différent. Je suis sûre que vous savez ce qui suit: une victime sur cinq est un homme; la vie militaire est exceptionnelle, mais elle pose des obstacles exceptionnels à l'accès aux soins; et nous sommes souvent affectés et en déplacement ou en formation de longue durée et, le plus souvent, loin de notre famille élargie.
(1110)
Il est regrettable que nous soyons encore en train d'essayer de nous entendre sur une définition commune du traumatisme sexuel dans le contexte militaire. Il s'agit d'un concept américain. Si, au Canada, nous pouvons indiquer noir sur blanc notre conception du traumatisme sexuel dans le contexte militaire, nous pourrons améliorer la recherche, les données et l'accès, et fournir un traitement ciblé.
Je remercie les témoins d'être présents et de nous parler de leur expérience.
Madame Wood, vous représentez une organisation, soit It's Just 700, qui aide les personnes qui ont été victimes d'inconduite sexuelle au sein des Forces armées canadiennes. Vous avez vous-même été une victime.
Comment avez-vous procédé pour signaler l'agression que vous avez subie et est-ce que les choses se passent généralement de la même façon pour d'autres victimes également?
J'ai signalé mon agression le jour après avoir découvert que c'était une agression. Une substance a été ajoutée dans mon verre, au mess des officiers. Je ne pensais pas que c'était arrivé, mais j'ai fait une erreur en quelque sorte. Quand les analyses sanguines sont revenues, j'ai su.
On m'a conseillé d'attendre et de me demander si c'était une bonne idée de le signaler ou non, car les personnes qui le font subissent des représailles. Cela les suit tout au long de leur carrière, au fur et à mesure des affectations. J'ai attendu 24 heures, j'y ai vraiment réfléchi et j'ai fini par décider que je devais le faire; c'était simplement trop inacceptable.
Le processus de dénonciation en tant que tel était terrifiant. Je me suis retrouvée dans une pièce avec des hommes pendant deux ou trois heures. J'étais filmée. J'avais l'impression d'être une suspecte. C'était un processus traumatisant, c'est certain, et j'ai été très insatisfaite. Je le dis franchement: j'ai été très insatisfaite de la façon dont l'enquête s'est déroulée, de la manière dont elle a été menée, de la façon dont on m'a soutenue et de la façon dont on ne m'a pas soutenue.
Je serai ravie d'en dire plus à ce sujet, mais c'est ce que j'ai vécu de façon générale.
C'est peut-être cinquante-cinquante au sein du groupe It's Just 700. Certaines personnes dénoncent et d'autres ne le font pas, mais la plupart des gens sont insatisfaits de la réponse et du processus qui suit.
Vous avez parlé de votre expérience et de ce que d'autres ressentent.
Quels changements, le cas échéant, souhaiteriez-vous voir mis en œuvre dans le processus de plainte afin de garantir que les personnes qui se manifestent soient traitées comme il se doit et que le processus de plainte soit mené avec toute la diligence requise?
J'ai beaucoup entendu parler de l'idée de former un comité de surveillance indépendant et externe et je l'appuie pleinement. Je crois que s'il existe un lieu indépendant, distinct des Forces armées canadiennes, où les personnes peuvent signaler une agression, où une enquête peut être menée et où une victime peut se faire représenter tout au long du processus, cela aiderait énormément.
Je crois qu'on a pris cela au sérieux. On voulait sincèrement agir dans ce dossier.
Malheureusement, je connais beaucoup de personnes qui ont fait une dénonciation au sein de leur chaîne de commandement pour laquelle rien n'a été fait. Je pense qu'il est très important de s'assurer que le processus ait lieu à l'extérieur de la chaîne de commandement. Il ne peut pas être influencé par l'unité militaire dans laquelle cela se passe.
Récemment, le chef d'état-major de la défense par intérim a déclaré que l'opération Honour avait été un échec, qu'on y mettait fin et qu'on en reprendrait les bons éléments pour bâtir quelque chose de nouveau. Croyez-vous que l'opération Honour a eu du bon et qu'elle mérite qu'on s'en serve pour construire autre chose?
La meilleure chose au sujet de l'opération Honour, c'est qu'elle a permis de reconnaître qu'il y avait un problème et de lancer la conversation dans la société, mais on n'a pas réussi à définir la question. On ne s'est pas attaqué aux profondes questions en jeu sur le plan de la culture. La culture de la sexualisation est une chose bien réelle; un décret ne va pas changer cela. Je suis heureuse de voir que le devoir de signaler est remplacé par le devoir de réagir. C'est essentiel et je suis prête à en parler davantage si vous le souhaitez.
Je vous remercie toutes les deux de votre présence, de votre courage, de votre persévérance et de votre amnistie pour résoudre cela et aller de l'avant. Ce comité a une réelle occasion de mettre la politique de côté et de faire des recommandations au gouvernement sur la façon de rétablir la confiance et de créer un changement à long terme dans la culture actuelle des Forces armées canadiennes. L'étude doit porter sur tous les membres des Forces armées canadiennes et faire en sorte que chacun d'entre eux travaille dans un environnement sûr et respectueux. Les ministres ont déclaré que toutes les options sont sur la table.
Compte tenu de votre expertise et dans le même ordre d'idées que ma collègue, madame Lalonde, que recommandez-vous pour qu'un véritable changement se produise dans la culture militaire?
Tout d'abord, il faut se fonder sur les paroles de Mme Wood. Il faut nommer le problème et reconnaître tout de suite qu'il s'agit d'un problème systémique. Nous devons cesser de chercher des cas particuliers et des cas isolés. Il s'agit visiblement d'un problème systémique.
Premièrement, il faut reconnaître la situation. Il faut reconnaître qu'il s'agit de violence sexuelle. Je pense que nous devrions même remettre en question l'utilisation d'expressions comme « inconduite sexuelle ». En effet, l'inconduite sexuelle n'est pas une expression utilisée à l'extérieur du milieu militaire. C'est un terme bureaucratique et, dans le contexte militaire, il met une liaison consensuelle et la violence sexuelle dans le même panier, même si ce sont deux choses complètement différentes. L'expression « inconduite sexuelle » ne suscite pas les mêmes réactions au sein de l'armée, car elle peut signifier beaucoup de choses différentes. Nous devons donc nous doter d'une définition plus précise.
Nous avons également besoin d'engagements financiers à long terme. Oui, nous pouvons effectuer un examen tous les cinq ans, comme c'était censé être le cas pour l’opération HONOUR, par exemple, mais nous avons besoin d'engagements financiers à long terme pour garantir que les équipements dont les femmes ont besoin ne soient pas payés à partir du budget principal de ce groupe particulier, car le ressentiment s'installe, puisque l'intégration des femmes coûte plus cher, par exemple.
Nous avons besoin de financement systémique et à long terme pour les stratégies de prévention. En effet, la violence sexuelle peut être évitée. Ce n'est pas une révélation, c'est un fait. Nous pouvons prévenir la grande majorité des violences sexuelles. Si nous n'adoptons pas cette attitude, le financement ne servira qu'à veiller à ce que les survivantes obtiennent l'aide dont elles ont besoin, ce qui est important, mais ce n'est pas du travail de prévention.
L'armée doit écouter les personnes de l'extérieur, car il est bien connu que c'est un environnement insulaire. Les gens de ce milieu se disent souvent qu'ils sont particuliers et différents et que personne ne les comprend vraiment, mais les Forces armées canadiennes ne possèdent pas l'expertise nécessaire dans ce domaine. En effet, les intervenants de ce milieu ont démontré qu'ils étaient incapables de résoudre ce problème à eux seuls. Il faut donc mettre en place un mécanisme qui permet d'obtenir une contribution extérieure pour chaque décision prise.
Je dirais que la dernière chose dont on a toujours besoin, c'est l'adhésion des cadres supérieurs. En effet, il s'agit d'une organisation hiérarchique et il est clair qu'il n'y a aucune compréhension de la dynamique du pouvoir dans l'armée, ce qui est ahurissant pour le Canadien moyen. Vous travaillez dans une hiérarchie et il faut le reconnaître.
Madame Wood, dans votre exposé, vous avez fait référence au fait que 20 % de vos membres sont des hommes. Pouvez-vous nous parler de cette situation et nous faire part de vos recommandations pour que notre approche axée sur les survivants encourage réellement les hommes à participer et à devenir des alliés et des survivants engagés?
Oui. Je vous remercie de votre question, car il est important de reconnaître ce point.
Il est difficile pour les femmes de se manifester, mais c'est beaucoup plus difficile pour les hommes de le faire. En effet, la stigmatisation et la honte sont mille fois pires dans leur cas.
Nous parlons du guerrier masculin idéal. Les hommes qui ont été violés par leurs compagnons d'armes ressentent une honte profonde et cela finit par les affecter énormément. Ils souffrent encore plus en silence que les femmes.
Je pense qu'il faut reconnaître publiquement qu'il ne s'agit pas seulement d'une question concernant uniquement les femmes, mais qu'il s'agit d'un problème qui touche tous les humains, et qu'il s'agit aussi d'un problème systémique.
À l'avenir, les hommes doivent participer à la conversation. Nous devons les convaincre de participer et de s'engager à l'égard de cet enjeu.
Je ne peux pas parler de tous leurs besoins, mais je sais que beaucoup d'entre eux demandent la même chose que nous. Nous avons besoin de soutien et de soins, et ces soins doivent être constamment offerts.
Madame Lalonde et madame Wood, vos témoignages sont vraiment très poignants. Je vous félicite pour votre courage et pour tout le travail que vous faites afin de changer cette culture. Vous avez utilisé des expressions comme « masculinité toxique » et vous parlez d'une culture dangereuse au sein de l'armée.
Par ailleurs, vous avez toutes les deux beaucoup évoqué les traumatismes subis par les victimes.
Au tournant des années 2000, alors que j'étais étudiante en journalisme, j'ai eu l'occasion de m'entretenir avec l'ombudsman de l'armée canadienne. J'avais lu dans un journal que les Forces armées canadiennes s'intéressaient à la santé psychologique de leurs soldats. Plusieurs autres articles sur ce sujet ont ensuite été publiés dans différents journaux. Depuis le tournant des années 2000, on parle donc du syndrome de stress post-traumatique, alors que c'était tabou auparavant.
On a surtout parlé du syndrome de stress post-traumatique que subissent les soldats qui sont allés à la guerre, mais on a peut-être sous-estimé ce syndrome chez les victimes d'agressions sexuelles au sein des Forces armées canadiennes. Comme vous l'avez clairement dit toutes les deux, il est difficile pour les victimes d'agressions sexuelles de dénoncer leurs agresseurs, encore plus lorsqu'elles subissent un stress post-traumatique.
Il faut d'abord reconnaître que les traumatismes que subissent les membres des forces armées ne sont pas seulement liés au fait d'être allé à la guerre, même si c'est souvent ce qu'on entend. Même dans le domaine où je travaille, soit la lutte contre la violence faite aux femmes, quand une personne affirme avoir subi un stress post-traumatique, on suppose toujours que c'est lié au fait d'être soldat.
Je suis absolument d'accord pour dire que l'armée canadienne doit absolument reconnaître dès maintenant le continuum de traumatismes que peuvent subir ses membres. Ces traumatismes ne doivent pas être hiérarchisés. Ce n'est pas parce qu'on est allé en Afghanistan que le traumatisme qu'on a subi est pire que celui vécu par quelqu'un qui a été agressé par un collègue. Il faut vraiment reconnaître cela et le dire à haute voix. Il faut insister pour qu'on mette fin à cette hiérarchisation des traumatismes et pour qu'on reconnaisse que les traumatismes forment plutôt un continuum. Ainsi, les gens auraient une attitude fort différente et les victimes se sentiraient plus à l'aise de dénoncer leurs agresseurs.
Il n'y a pas de hiérarchie dans les traumatismes. Il n'y a pas de hiérarchie dans le trouble de stress post-traumatique. Le traumatisme sexuel en milieu de travail militaire — si nous pouvons tous accepter d'utiliser cette expression aujourd'hui — n'est pas automatiquement reconnu par tous comme étant un traumatisme lié au stress opérationnel. Lorsqu'il est placé dans cette catégorie, des soutiens, des programmes et des thérapies supplémentaires sont accessibles, mais puisqu'on nous a exclus de cette définition, nous avons souffert. Il y a eu des conséquences.
Je vous remercie pour le commentaire selon lequel nous sommes courageuses d'être ici, mais ce n'est pas le cas. J'estime seulement que nous avons l'obligation morale de soulever cette question et de continuer de demander des comptes au gouvernement relativement à cette situation.
Je dis cela en reconnaissant que les personnes que je connais qui se sont battues le plus durement pendant tant d'années sont en train de s'épuiser. Elles sont sur le point de s'effondrer. J'ai une amie chère qui s'écrit des courriels à elle-même en ce moment pour se rappeler toutes les raisons pour lesquelles elle ne devrait pas se suicider. L'épuisement et la souffrance sont palpables, et il ne devrait pas nous incomber de continuer à envoyer le même message année après année. Nous avons déjà participé à de nombreuses consultations constructives.
Je vous suis reconnaissante de vos bonnes paroles, mais ce n'est pas vraiment du courage. Il s'agit simplement d'une chose qui doit être faite.
En conclusion, on ne doit pas hiérarchiser les syndromes de stress post-traumatique. Il faut reconnaître que l'on peut en être atteint sans être allé en mission à l'étranger. Par exemple, cela peut arriver aussi aux victimes d'agressions sexuelles au sein des Forces armées canadiennes. Si l'on reconnaît que les soldats qui sont allés à l'étranger peuvent en être atteints, il faut aussi reconnaître qu'il en va de même pour les victimes d'agressions sexuelles, qu'il s'agisse d'hommes ou de femmes. C'est ce que je comprends.
Je peux vous dire que, partout dans le monde, c'est chez les victimes de viol et de violence à caractère sexuel que l'on remarque le plus haut taux de syndrome de stress post-traumatique. Au deuxième rang, c'est chez les militaires. Il est urgent de prendre cela au sérieux.
Il ne faut pas hiérarchiser les traumatismes. Lorsque leurs traumatismes ne sont pas considérés comme équivalents aux traumatismes causés par la guerre, les victimes de violence à caractère sexuel ne reçoivent pas le soutien qu'elles méritent, et ce n'est pas acceptable.
Je vous remercie, madame la présidente. J'aimerais également remercier les témoins.
Je trouve difficile de commencer à tenter de déterminer la voie dans laquelle nous devons nous engager. Comme on me l'a souvent dit, la notion selon laquelle les gens n'en parlent pas est réellement affligeante. Nous devrions tenter de leur démontrer que cette fois-ci, nous allons vraiment créer, au fur et à mesure, un mécanisme externe indépendant qui peut enquêter sur les activités criminelles et qui n'est pas lié à la chaîne de commandement. Ce qui a empêché les victimes et les survivants de se manifester autrefois, c'est le besoin de protection et de soutien. Nous devrions donc prendre les mesures nécessaires à cet égard.
Nous avons étudié cette question à plusieurs reprises. Mme Deschamps l'a étudiée, évidemment. Notre comité l'a étudiée en 2019.
Madame Wood, dans le cadre de son témoignage devant notre comité en 2019, la personne qui vous a précédé, à savoir M.C., a parlé de programmes financés par le gouvernement pour les personnes qui ont subi des blessures. Elle a dit que ces programmes étaient fortement axés sur les hommes et qu'ils se concentraient sur ces types de blessures. Elle a souligné que les programmes qui existent actuellement n'ont pas fait l'objet d'une analyse comparative entre les sexes plus.
Selon votre expertise et vos observations, est-ce toujours le cas?
Oui, en grande partie, c'est toujours le cas. J'ai l'impression que les femmes n'ont jamais été sur un pied d'égalité dans les forces armées; notre inclusion a été mandatée. Il n'y a jamais eu le financement, les soutiens, les structures ou l'infrastructure nécessaires à cet égard.
Oui, cela contribue en partie à la situation actuelle.
Je pense que la plupart des soutiens qui sont généralement offerts aux survivants d'agression sexuelle se trouvent dans ces organismes qui ont été conçus pour traiter les hommes et leurs traumatismes. Par exemple, à la clinique de traitement des traumatismes liés au stress opérationnel, on m'a offert une place dans une séance de thérapie de groupe. Le groupe était composé d'hommes, et ils étaient tous là à cause d'un traumatisme lié au combat. De plus, je ne sais même pas qui m'a violée, alors il était hors de question que j'aille dans cette salle. C'est un exemple personnel, mais c'est la même chose partout.
Je pense que nous en sommes encore à l'étape où nous parlons de l'analyse comparative entre les sexes plus. L'élaboration de stratégies ne commence pas avec l'analyse comparative entre les sexes plus; tout le monde se contente plutôt de cocher cette case à la fin du processus. J'aimerais voir une stratégie qui soit, dès le départ, axée sur les victimes et qui pourrait répondre aux besoins des femmes, mais aussi à ceux des survivants masculins. C'est important, car ils souffrent encore plus en silence que nous.
En ce qui concerne les observations de votre organisme, mardi dernier, le ministre de la Défense nationale a comparu devant le comité de la défense et a déclaré que le gouvernement travaillait fort pour répondre au rapport Deschamps, en mettant en place des mesures qui visent à comprendre le problème et à prévenir les dommages. Pourtant, lorsque nous avons entendu directement Mme Deschamps et des représentants d'autres organismes, ce n'est pas ce que nous avons entendu.
Au bout du compte, le rapport Deschamps a expliqué la situation, n'est-ce pas? Le rapport a mentionné cette indépendance et ce processus d'examen supplémentaire. Y a-t-il eu des progrès à cet égard? Pouvez-vous fournir à notre comité des exemples précis de cas où cela n'a pas été fait ou de cas où cela doit être fait?
Je pense qu'il y a eu quelques progrès, mais je conviens également que toutes les recommandations de Mme Deschamps n'ont pas été suivies. Le Centre d'intervention sur l'inconduite sexuelle est seulement le squelette du centre qu'elle avait envisagé. Plus précisément, j'aimerais que le mandat de ce centre soit élargi pour qu'il puisse agir à titre d'organisme de surveillance externe qui peut également recevoir des signalements. Comme je l'ai dit, j'aimerais qu'il existe une véritable définition. Il nous manque encore de nombreux éléments de base. Selon mon organisme, il y a eu quelques progrès, mais ce n'est pas suffisant.
Pour les deux témoins, le volet de la sensibilisation est le point de départ fondamental.
Madame Lalonde, vous avez parlé de prévention, et c'est là que commence la sensibilisation.
On m'a dit qu'un séminaire était organisé environ une fois l'an. Ce n'est pas suffisant. Que suggéreriez-vous au Comité de proposer au gouvernement en ce qui concerne la structure que vous envisagez pour cette réforme des efforts en matière de sensibilisation?
Nous avons besoin d'un mécanisme d'intervention des témoins axé sur les survivants et dirigé par les survivants. Je dis cela parce que lors du lancement de l'opération HONOUR, lorsque l'armée a décidé d'intervenir, ces gens n'avaient reçu aucune formation pour les témoins qui avait été dirigée par les survivants. Ils ont donc observé une forte augmentation du nombre de signalements par des tiers, mais une diminution du nombre de personnes qui acceptaient d'aller jusqu'au bout du processus de la cour martiale, car les témoins n'avaient pas signalé les faits avec la permission des victimes. Nous avons besoin d'une formation rigoureuse sur l'intervention des témoins qui tienne compte des survivants.
La deuxième chose que j'aimerais souligner, c'est que toutes les recherches montrent que s'il n'y a pas de rappel de la formation sur l'intervention des témoins dans les six à huit mois suivant la formation initiale, les gens perdent la confiance nécessaire pour utiliser ces compétences. Ils ne perdent pas les compétences, mais ils perdent l'élan de confiance que leur donne la formation en matière d'intervention des témoins, c'est-à-dire qu'elle les pousse à signaler les incidents même s'ils ont peur de le faire. Il faut offrir une formation précoce et fréquente sur le rôle des témoins, une formation qui aborde réellement la question sous tous ses angles.
Je sais que vous avez dit qu'il ne faut pas de courage pour agir, que c'est tout simplement ce qui doit être fait. Cette seule affirmation témoigne de l'ampleur de votre courage. Si les gens ne sont pas prêts à faire des gestes difficiles en sachant ce qui leur en coûtera personnellement, nous ne réaliserons pas de progrès. Pour votre part, vous avez agi malgré tout, et je vous en remercie sincèrement, vous et Mme Lalonde en particulier.
J'ai fréquenté un collège militaire il y a longtemps, dans une région éloignée. C'est dans des endroits pareils que la majorité des officiers des Forces canadiennes reçoivent leur formation. Ils ont leur propre culture, leurs propres règles et leur propre système de justice, et ces derniers sont si forts qu'ils l'emportent sur ceux des autres et qu'ils dictent les normes, les attitudes et les comportements pendant les 30 années à venir.
Le général Vance, comme CEMD, a fréquenté un collège militaire, et à en croire les médias, certains événements qui s'y sont produits pourraient aussi avoir façonné sa culture.
Quelles mesures doivent être prises, outre les autres recommandations que vous avez déjà faites, au sein du CMR ou des collèges militaires pour faire en sorte que les futurs officiers reçoivent une formation exhaustive — y compris, comme vous l'avez dit, un rappel de la formation sur l'intervention des témoins — durant les quatre années qu'ils séjournent jour et nuit dans ces endroits clos? Quelles seraient vos recommandations, à vous qui avez visité un de ces collèges et qui avez vu la puissance d'un tel milieu?
Tout d'abord, je tiens à réitérer ce que j'ai dit au début, à savoir que le pire groupe était celui de la troisième année, ce qui signifie que ces personnes étaient là depuis trois ans. Si les étudiants de première année étaient indisciplinés, on pourrait soutenir qu'ils provenaient d'un mauvais bassin. Or l'attitude des étudiants de troisième année montre qu'ils avaient été conditionnés à croire que leur comportement était acceptable.
Autre fait important: j'ai appris plus tard que le jour de ma présentation, plusieurs étudiants se sont fait réprimander parce qu'ils ont traversé le campus en ne portant pas bien leur uniforme. Ainsi les étudiants se font réprimander parce qu'ils ne portent pas la bonne ceinture lorsqu'ils marchent sur le campus, mais pas parce qu'ils sifflent l'agente de lutte contre le harcèlement et lui crient après.
Un changement d'attitude s'impose. Malheureusement, une simple politique ne suffira pas; il faut une combinaison de différentes mesures. Il n'existe pas de solution miracle pour remédier à ce qui est arrivé ce jour-là au CMR. Un changement d'attitude s'impose certainement. Les étudiants du CMR sont fondamentalement convaincus qu'ils sont supérieurs à ceux qui gravissent les échelons en suivant l'instruction de base ou en s'enrôlant dans la réserve, par exemple. Il faut absolument mettre un terme à l'élitisme dont est empreint le CMR.
Ensuite, nous parlons de violence sexuelle, et c'est certainement un dossier important. Toutefois, nous n'arriverons pas à régler le problème de la violence sexuelle dans l'armée sans l'envisager aussi sous un angle intersectionnel. Le CMR est un établissement très « blanc », en plus d'être un milieu à prédominance masculine. Je le répète, il reste des facteurs influant sur la dynamique du pouvoir à dénoncer.
Selon moi, si l'on peut réprimander les gens parce qu'ils ne portent pas bien leur uniforme, on peut absolument les obliger à suivre un cours tous les six mois et exiger que ce soit fait de manière efficace. Nous savons que c'est lorsque la formation est coanimée par un homme et une femme qu'on atteint le plus efficacement ces groupes. Nous avons les réponses, mais à grande échelle, le problème du CMR, c'est qu'il se croit spécial. Puisqu'il se considère comme supérieur aux autres, il se sent loin des conversations qui se déroulent dans l'ensemble des FAC. Il faut dénoncer cette situation et y mettre un terme.
Trente ans plus tard, ces anciens étudiants sont les officiers supérieurs principaux, les vice-amiraux, les amiraux et les chefs d'état-major de la défense.
Oui, nombre d'officiers sont issus de ce collège. Si un étudiant de troisième année peut me dire en pleine face qu'il ne m'a pas écoutée parce que je suis une femme et une civile, et je sais que 18 mois plus tard, il dirigera des troupes, c'est pour moi une source de préoccupation, et ce devrait l'être pour tout le monde. Le problème, ce n'était pas moi personnellement.
Ainsi, quand des infractions telles que, comme vous l'avez dit, ne pas porter sa ceinture, traverser un terrain de parade sans en suivre les contours ou apporter les mauvais manuels à un cours sont considérées comme graves, mais que l'inconduite sexuelle, les agressions ou même juste les comportements inappropriés ne sont pas vus du même œil, d'après vous...
Rapidement, madame Wood, je sais que vous n'avez pas eu le temps de présenter toutes vos recommandations durant votre déclaration préliminaire. Pouvez-vous finir votre déclaration en une minute? Je céderai ensuite la parole à ma collègue.
Nous avons certainement des demandes précises. Je peux vous expliquer la raison pour laquelle il est tellement important de mettre en place une plateforme en ligne pour le soutien par les pairs. La thérapie de groupe, les soins ambulatoires et le traitement en milieu hospitalier... Il y a un modèle de traitement en milieu hospitalier aux États-Unis. Le département américain des Anciens combattants offre un programme de traitement en milieu hospitalier destiné aux soldats souffrant d'un traumatisme sexuel militaire.
Cela nous ramène à ce que Mme Lalonde vient de dire. À mon avis, parmi les éléments que nous devons absolument réexaminer aujourd'hui, il y a les valeurs éthiques et professionnelles que nos dirigeants devraient incarner. Je pense que ces éléments sont au cœur du problème. Nous devons nous demander pourquoi nous prêtons serment. Que signifie notre serment? Aussi, comment pouvons-nous nous responsabiliser et responsabiliser nos dirigeants?
Il faut mettre en place un système de justice qui tient les dirigeants principaux responsables de leurs actes. Le CEMD ne peut pas être poursuivi en justice; le système est donc brisé. Comme Mme Lalonde l'a dit, il y a de nombreuses mesures à prendre pour le réparer.
Je tiens à remercier nos deux témoins de nous avoir fait part de leur histoire. Nous tenons à ce que vous sachiez que le travail que vous faites avec les survivantes nous aidera à mettre un terme à la culture du silence et à mettre fin aux agressions dans les forces armées. Vos témoignages nous tiennent à cœur.
Si vous sentez que vous n'avez pas assez de temps pour dire tout ce que vous avez à dire, je vous prie de nous envoyer le reste de vos témoignages par écrit.
Ma première question s'adresse à Mme Lalonde.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi il est crucial que l'expérience des survivantes serve de base à la solution pour l'avenir?
Certainement. Je vais revenir sur la question du signalement par un tiers parce que je crois qu'il s'agit d'un très bon exemple concret.
Lorsque l'opération Honour a été lancée, l'accent était placé sur le besoin d'éradiquer ce type de comportement, mais c'était toujours présenté comme s'il s'agissait de se débarrasser de quelques pommes pourries. J'ai l'impression que cette attitude est encore présente aujourd'hui. On croyait qu'il fallait signaler absolument tout ce qu'on voyait. Or puisque la question était abordée d'un point de vue juridique et non d'un point de vue éthique, comme Mme Wood l'a dit, certains témoins signalaient immédiatement des incidents dans le seul but, franchement, de se protéger au cas où ils seraient rendus publics.
C'est ce qui arrive lorsque la politique ne s'appuie pas sur les survivantes, car une approche fondée sur les survivantes indiquerait la meilleure marche à suivre pour la personne qui vient de subir un préjudice. Le but n'est pas de cocher une case; c'est de faire en sorte que la personne a le pouvoir de prendre une décision.
La personne ne veut peut-être pas signaler l'incident parce qu'elle préfère faire face à l'auteur de l'acte et lui parler directement. Toutefois, cette possibilité lui a été enlevée.
La dernière chose que je dirais, c'est que je trouve très important de souligner qu'aujourd'hui, une femme s'est manifestée parce que quelqu'un a divulgué son histoire à CBC. Que le divulgateur ait agi par partisanerie ou par conviction que c'était ce qui devait être fait, son geste n'a pas aidé la victime. Je trouve qu'elle a fait preuve d'une grande générosité en affirmant que l'auteur des actes dont elle a été victime a aussi été privé de son droit à un procès équitable parce que l'histoire a fait l'objet de fuites dans les médias.
À mes yeux, il s'agit d'un exemple concret d'une victime prenant le pouvoir de son histoire. Personne ne devrait être en mesure d'enlever ce pouvoir aux victimes.
Une de mes bonnes amies qui fait partie du groupe que je connais se trouvait dans une région isolée quand elle s'est fait agresser. Or elle ne voulait pas signaler l'agression au moment où c'est arrivé parce qu'elle n'avait accès à aucun soutien. Quelqu'un l'a signalé à sa place, et les conséquences sur sa carrière ont été catastrophiques. Elle a été libérée depuis.
L'élément le plus fondamental de toute la question, c'est le consentement. Nous n'avons pas consenti à nous faire agresser. Notre consentement devrait être requis. Nous devrions pouvoir consentir à ce qui arrive après.
Récemment, le lieutenant-général Eyre a annoncé que dans le traitement des cas d'inconduite sexuelle, le devoir de signaler serait remplacé par le devoir de réagir.
Madame Wood, pouvez-vous nous en dire plus sur la différence entre les deux et sur les raisons pour lesquelles ce changement est considéré comme une mesure positive?
Certainement. La différence, c'est que les membres qui sont témoins d'une agression ou d'un comportement inapproprié n'ont plus l'obligation de le signaler. La victime peut choisir de signaler l'acte et de lancer le processus au moment opportun pour elle, pour sa famille et pour sa carrière. Il s'agit d'une mesure importante qui redonne le pouvoir et le choix à la personne concernée.
Pardonnez-moi, madame; j'ai oublié la deuxième partie de votre question.
Comment pouvons-nous ajouter à notre étude la perspective du traumatisme? Quelles recommandations pouvez-vous faire pour nous aider à tenir compte non seulement des répercussions systémiques du problème, mais aussi de ses effets sur les survivantes?
Si je comprends bien, vous voulez savoir si le nouveau système est conçu en fonction du signalement indépendant. Il donne le choix aux victimes. Il protège leur droit à la vie privée et à la confidentialité. Il s'agit d'une question extrêmement personnelle, et c'est ainsi qu'il faut la traiter.
Mesdames, ce que vous dites est vraiment très intéressant. Je prends beaucoup de notes.
Vous dites toutes les deux que les personnes en autorité et les hauts gradés doivent donner l'exemple en tout temps. Comme vous l'avez très bien expliqué, madame Lalonde, vous donnez parfois de la formation à des soldats qui ne comprennent pas bien le problème et ne savent pas comment ils peuvent donner l'exemple. Par contre, ce serait encore plus difficile de le leur expliquer 30 ans plus tard, alors qu'ils occuperaient un plus haut rang dans la hiérarchie.
Pensez-vous que les hauts gradés qui se permettent des comportements déviants devraient subir des conséquences exemplaires, à la hauteur de ce que commandent leurs fonctions?
Je demanderais à l'une ou l'autre des témoins de s'exprimer là-dessus.
Je vais laisser Mme Wood répondre plus précisément à votre question.
Pour ma part, j'estime qu'il faut insister sur l'importance de cette formation. Lors des quatre séances que j'ai animées, aucun des hauts gradés n'est resté dans la salle. Donc, dès le départ, on n'a pas envoyé le message comme quoi c'était important et qu'il fallait prendre cela au sérieux. Or, si les hauts gradés prenaient le temps d'assister à une telle formation, cela enverrait le bon message.
Il faut absolument offrir de la formation aux membres dès le départ, mais il ne faut pas non plus oublier les hauts gradés, qui ont eux aussi besoin de formation, car ce sont eux qui créent les politiques et qui dirigent la discussion sur la violence à caractère sexuel. S'ils ne sont pas formés en cette matière, ils ne peuvent pas donner la bonne information.
Par ailleurs, je sais que c'est un sujet assez controversé dont les gens n'aiment pas discuter, mais il faut changer l'environnement et la culture des forces armées, sinon on ne va que continuer à élever dans les rangs les membres qui entretiennent la culture existante. En effet, pour avoir du succès dans l'armée canadienne, il faut croire en sa culture. Or, présentement, la culture des Forces est toxique. Si on donne des occasions d'avancement aux membres des Forces qui croient en cette culture, c'est très révélateur.
Oui, je renchéris sur ce que Mme Lalonde a dit. Les dirigeants doivent donner l'exemple. L'un des défis à cet égard est que cinq générations sont actuellement en poste dans les Forces armées canadiennes. Les hauts dirigeants se sentent désemparés à certains égards. Il y a deux ans et demi, j'ai participé à une réunion avec le général Vance. Il m'a regardé dans les yeux et m'a dit que c'était la première fois de sa carrière qu'il ne savait vraiment pas quoi faire. Depuis lors, mon opinion a changé sur tout, mais les hauts gradés ont besoin d'être formés tout autant que les nouveaux venus. La formation doit être offerte du haut vers le bas et du bas vers le haut.
Nous continuons à parler de la formation, du fait qu'elle doit être dispensée au moins tous les six mois pour être renforcée et qu'elle doit se poursuivre tout au long de la carrière, non seulement pour être consolidée, mais aussi pour que les dirigeants sachent ce qu'ils doivent faire et quelles sont leurs responsabilités. Je voulais vous parler de la nécessité de disposer de ces ressources plus importantes — je parle de formation, bien sûr — pour les affecter aux mesures de soutien dont les survivants ont besoin, soit au counselling et aux programmes. Nous avons beaucoup parlé de ce qui s'est passé au sein des Forces armées canadiennes. J'aimerais passer à autre chose et voir si vous avez des exemples à recommander pour Anciens Combattants Canada. Il est évident qu'il y a une continuité dans les programmes et les exigences. Pourriez-vous nous faire part de votre expertise à ce sujet et de vos exigences en la matière?
La toute première chose que j'aimerais dire, c'est qu'il faut renforcer la coopération entre les Forces armées canadiennes et Anciens Combattants Canada, surtout pendant la période de transition d'un membre. De plus, en ce qui concerne le Centre d’intervention sur l’inconduite sexuelle et son mandat, j'aimerais qu'il s'étende aux anciens combattants ayant survécu à un traumatisme sexuel en milieu militaire.
Je dirais également que de nombreuses recherches doivent être menées sur les conséquences des traumatismes sexuels en service, qu'ils soient psychologiques, physiques ou spirituels. Ces blessures comportent de multiples aspects. Il en résulte un grand nombre d'affections qu'Anciens Combattants Canada ne reconnaît pas encore nécessairement.
Pour vous donner un exemple bref personnel, depuis que j'ai reçu un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique, j'ai contracté une maladie auto-immune. Je souffre de fibromyalgie et de migraines chroniques. La liste est longue. Le traumatisme a eu un effet physique complet sur mon corps. Je me suis battue pour qu'Anciens Combattants Canada le reconnaisse et m'indemnise correctement.
Je vais m'arrêter là. Tout va très vite. Je ne suis pas habituée à ces types d'échanges rapides. Si je prends trop de temps, je m'en excuse.
Sans prendre trop de temps, j'aimerais demander aux deux témoins de donner suite à ce que ma collègue Mme Alleslev vient de dire au sujet de la culture et du nombre d'années. Vous avez parlé de cinq générations. J'aimerais simplement entendre vos commentaires à toutes les deux. Vous avez le dernier mot.
Si je devais parler de changement de culture, la première chose à faire serait de donner aux femmes les mêmes chances qu'aux hommes. Il faut donc investir dans les soins de santé pour les femmes et dans la recherche sur les traumatismes sexuels en milieu militaire, ainsi qu'offrir des programmes de formation à la guérison, au mentorat et au leadership.
Je pense que nous avons besoin d'une journée nationale de reconnaissance pour les femmes en uniforme. Je pense que nous devons célébrer et reconnaître les femmes qui ont rendu les Forces armées canadiennes plus accessibles aux autres femmes. J'aimerais que l'on mette l'accent sur les capacités des femmes, et non sur leurs capacités par rapport aux hommes. Nous sommes différentes et nous offrons des compétences différentes dans le cadre de notre travail.
Bien des femmes qui sont au sommet, qui ont réussi dans cette culture, ont baissé la tête et ignoré ce qui se passait afin de persévérer. Honnêtement, même si je les admire, elles font partie du problème. Le silence autour de cette question... La majorité des gens se taisent, et il faut les actions de quelques-uns et le silence de la majorité pour en arriver au point où nous en sommes actuellement.
Il y a beaucoup de choses à faire pour changer une culture. Il n'y a pas de réponse simple, mais je crois que la toute première étape consiste à uniformiser les règles du jeu pour tous les membres.
Oui. Je réitère ce que Mme Wood a dit en ce qui concerne la collaboration entre Anciens Combattants Canada et les Forces armées canadiennes. Je dirais également que Femmes et Égalité des genres Canada doit guider une grande partie de ces discussions. Nous avons besoin d'une bonne analyse de l'ACS+, et ce sont ces personnes qui l'ont créée. Elles doivent participer à ces discussions.
Enfin, il s'agit véritablement d'une discussion intersectionnelle. Comme l'a dit Mme Wood, du côté des hommes adultes dans ce pays — pas des enfants, mais bien des hommes adultes —, c'est chez les détenus ou les militaires que les taux d'agression sexuelle sont les plus élevés. Nous devons examiner cette question dans une optique intersectionnelle.
Je dirais aussi qu'une optique intersectionnelle tient compte du fait qu'il y a beaucoup de racisme dans l'armée. Les Proud Boys ont récemment été désignés comme une organisation terroriste. De fiers membres de ces groupes étaient aussi fièrement représentés au sein des Forces armées canadiennes.
On ne peut pas parler de pouvoir sans parler de toutes les façons dont le pouvoir se manifeste dans l'armée, notamment sous forme de racisme et d'homophobie. Comme l'a dit Mme Wood, la honte est l'une des principales raisons pour lesquelles les hommes ne se manifestent pas: la honte qui est directement liée à l'homophobie au sein des Forces armées canadiennes.
Il faut tenir compte de l'intersectionnalité, ce qui signifie que tous les acteurs doivent participer aux discussions: Anciens Combattants Canada, les Forces armées canadiennes, et Femmes et Égalité des genres Canada.
Oui, merci beaucoup. Je tiens à dire à quel point nous remercions nos témoins, Mme Wood et Mme Lalonde, d'avoir exprimé avec éloquence aujourd'hui les mesures qu'il faut prendre. C'est extrêmement utile pour le Comité et le gouvernement.
Le terme « inconduite sexuelle » englobe tout, de la plaisanterie déplacée à la relation inappropriée, en passant par le viol pur et simple. Tous ces éléments créent une culture, qu'il s'agisse d'une blague ou d'une remarque, ou de choses dont on se moque et que l'on balaie du revers de la main. Dans quelle mesure devons-nous réagir à tous les échelons pour créer cette culture?
Je pourrais peut-être demander à Mme Lalonde, puis à Mme Wood, de répondre à cette question brièvement.
Je suis spécialisée dans l'intervention des témoins, et ces personnes me disent constamment la même chose: « Je n'ai rien dit parce que c'était juste un commentaire. S'il l'avait touchée, j'aurais dit quelque chose, mais c'était juste un commentaire. C'était juste une blague. Oh, vous savez comment il est. Il est vieux jeu », et ainsi de suite.
Je pense qu'il est d'une importance vitale que la philosophie même du parcours, nom que nous donnons actuellement à cette discussion, explique que la violence sexuelle existe sur un continuum et que les commentaires sont directement liés aux abus de pouvoir et à la violence sexuelle en bande qui se produisent.
Cette idée selon laquelle nous devons nous concentrer sur les formes graves de violence — on ne peut pas se concentrer uniquement sur celles-ci sans prendre du recul et examiner la situation dans son ensemble. Nous devons outiller les témoins et leur dire qu'une intervention peut être différente dans le cas d'un commentaire et dans celui d'une personne acculée, mais qu'elle est quand même nécessaire.
Je suis tout à fait d'accord. Je pense que tout commence par de minuscules microagressions, et que chaque petite attaque mine la confiance en soi et le sentiment d'appartenance d'une personne.
Si vous le permettez, j'aimerais aborder la question du soutien par les pairs, car elle est fondamentale pour nos demandes. Je voudrais m'assurer qu'elle est consignée au compte rendu.
Nous avons besoin de cet espace, de cette plateforme en ligne. Elle doit être en ligne parce que nous sommes pour la plupart des femmes à la maison qui doivent assumer différentes responsabilités au sein de leur famille. Nous sommes souvent dans l'incapacité de conduire. Une plateforme en ligne est le moyen le plus sûr et le plus facile pour le gouvernement d'offrir une norme minimale de soins et un accès à tous. Toutefois, cet espace doit être aussi sécuritaire que la personne qui a été violée hier a besoin qu'il le soit aujourd'hui. Il doit être encadré par des professionnels, et non par des bénévoles qui ont été formées pour offrir un soutien par les pairs. Nous demandons un financement réel pour garantir que le site soit encadré par des professionnels et que les conversations soient aussi sûres que la toute nouvelle personne qui nous rejoint a besoin qu'elles soient.
Nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui Stéphanie Raymond comme témoin.
Nous nous réjouissons à la perspective d'entendre vos commentaires. Vous aurez cinq minutes pour prononcer vos remarques liminaires. Ensuite, nous passerons aux questions. Vous pouvez commencer.
Bonjour. Je m'appelle Stéphanie Raymond. J'ai été membre des Forces armées canadiennes de 2001 à 2013.
Durant ma carrière militaire, j'ai subi plus d'une inconduite sexuelle, dont des agressions. La dernière agression s'est produite en décembre 2011, et j'ai porté plainte à la police militaire en janvier 2012. Durant les 10 années qui ont suivi, les cours d'appel et la Cour suprême se sont renvoyé la balle, des enquêtes ont été ouvertes puis fermées, j'ai présenté des plaintes au grand prévôt des Forces armées canadiennes ainsi qu'à la police militaire, et j'en passe. Comme vous le savez, en janvier 2020, j'ai finalement pu faire entendre ma cause devant une cour criminelle. En mars 2021, mon agresseur a plaidé coupable. Comme on peut le constater, ces temps de traitement ne sont pas tout à fait normaux.
Voilà.
Je suis désolée, je n'ai pas utilisé l'entièreté des cinq minutes qui m'étaient accordées.
Merci, madame Raymond, d'être venue nous faire part de votre expérience.
Votre démarche courageuse a conduit à la création de l'opération Honour, mais aujourd'hui, après plusieurs autres rapports très médiatisés, le chef d'état-major de la défense par intérim a annoncé que cette opération avait été un échec, qu'on y mettait fin et qu'on en reprendrait les bons éléments pour en faire quelque chose de nouveau.
Croyez-vous que l'opération Honour a eu du bon et qu'elle mérite qu'on s'en serve pour construire autre chose?
Je ne peux répondre parfaitement à cette question, car je ne suis plus membre des Forces armées canadiennes depuis 2013.
Je crois que l'opération Honneur a eu quelques répercussions positives. Par contre, elle ne vise pas la bonne cible. Elle s'attaque aux symptômes plutôt qu'à la source du problème.
Sous le précédent gouvernement conservateur, nous avons reconnu que nos Forces armées canadiennes avaient un problème de culture à l'égard des femmes dans l'armée, et nous avons chargé l'ancienne juge de la Cour suprême, Marie Deschamps, de procéder à un examen externe. Son rapport a été publié en 2015. Il met fortement l'accent sur la nécessité de créer un organisme externe et indépendant de supervision pour enquêter sur les allégations d'inconduite sexuelle. Compte tenu des récentes révélations selon lesquelles le chef d'état-major de la défense, son remplaçant et le chef des ressources humaines font l'objet d'une enquête pour inconduite sexuelle, que pensez-vous de la création de cet organe indépendant?
La création d'un organisme indépendant est essentielle.
Tout au long des procédures relatives à l'agression que j'ai entreprises lorsque j'étais dans les Forces, j'ai remarqué que la chaîne de commandement exerçait une influence et qu'il y avait un très grand manque de confidentialité. De plus, j'ai remarqué que les victimes subissaient des représailles aussitôt qu'elles dénonçaient un membre qui était le moindrement aimé ou haut gradé. Les hauts gradés sont plus protégés que les soldats et les nouvelles recrues. Il n'y a pas de comparaison possible.
Par ailleurs, il faut considérer de façon séparée les problèmes relatifs à la culture de l'organisation et les actes criminels. Les agressions sexuelles sont des actes criminels qu'il faut traiter différemment de l'inconduite sexuelle, laquelle comprend plusieurs comportements.
Bien que les agressions sexuelles soient des actes criminels, elles ne sont pas traitées de la sorte. Les membres de l'armée qui commettent une agression sexuelle ne sont pas jugés selon les mêmes lois que les autres Canadiens qui en commettent une. Dans le système de justice militaire, les droits à la fois des victimes et des accusés sont différents de ceux dans le système de justice criminelle.
Compte tenu des informations plus récentes qui ont été révélées, à savoir que le premier ministre, le ministre de la Défense et l'ancien greffier du Conseil privé étaient tous au courant depuis 2018 des allégations contre l'ancien chef d'état-major de la défense, Jonathan Vance, cet organisme indépendant devrait-il relever d'un ministère du gouvernement du Canada ou être un bureau qui relève du Parlement?
Tout ce que je peux vous dire, c'est que l'organisme chargé d'intervenir et de surveiller ces inconduites ou ces agressions ne devrait pas être chapeauté ni financé par les forces armées. L'armée ne doit pas pouvoir influencer les jugements de cette entité ni le cours des choses.
Le ministre de la Défense nationale a comparu devant ce comité et ma collègue, la députée Shin, lui a demandé de clarifier qui était responsable en dernier ressort de la gestion de l'enquête sur l'inconduite sexuelle du chef d'état-major de la défense, Jonathan Vance.
Le ministre a beaucoup parlé du processus, ce à quoi ma collègue, la députée Shin, a répondu:
Ce qui me préoccupe, c'est que nous tentons d'apporter un changement culturel. Vous continuez de le mentionner. Vous parlez aussi beaucoup de processus, de la façon dont vous dépendez d'un processus. Vous ne voulez pas clarifier cette responsabilité, vous vous contentez de parler de processus.
Un changement de culture survient lorsque nous pouvons transcender le processus, lorsque nous reconnaissons l'existence d'une responsabilité. Il a fallu trois ans avant que le général Vance ne soit suspendu. Pour moi, cela en dit long sur l'abdication de la responsabilité.
L'ancien ombudsman et l'ombudsman actuel ont également déclaré que transmettre les informations au ministre était la voie à suivre et qu'il incombait au ministre Sajjan d'examiner la question.
Pensez-vous que pour commencer à aborder la culture dans l'armée, chacun doit prendre sa responsabilité au sérieux, y compris le ministre?
Merci, madame Raymond, pour le courage dont vous faites preuve en jetant la lumière sur l'inconduite sexuelle dans les Forces armées canadiennes. J'espère que vous êtes consciente que votre histoire crée un effet d'entraînement à grande échelle pour de nombreuses autres personnes qui se sentent vraiment entendues depuis votre témoignage en 2011.
Malheureusement, ce sont en grande partie les femmes, les personnes marginalisées et les survivants d'agressions sexuelles qui ont dû militer en faveur des droits et des changements systématiques dans les Forces armées canadiennes.
J'aimerais avoir votre opinion. Comment les alliés au sein des Forces armées canadiennes et les alliés à l'extérieur de celles-ci peuvent-ils plaider en faveur d'un changement plus multiculturel dans ce contexte?
Je crois que tout le monde devrait se sentir concerné. Effectivement, vous avez raison, chaque fois que l'on parle d'agression ou d'inconduite sexuelle dans les Forces, on croit que les femmes et les victimes sont les seules concernées. Souvent, les hommes ne se sentent pas concernés par ce problème. Ils croient que c'est un problème de femmes.
Malheureusement, la situation ne s'améliorera pas non plus si les gens du grand public ne s'investissent pas davantage dans le dossier. L'armée leur semble être une entité bien lointaine qui les concerne moins. Nous sommes donc face à un problème majeur parce que peu de gens veulent se mouiller. Les gens ne prennent pas leurs responsabilités.
Par ailleurs, il est difficile d'éliminer les infractions et les actes criminels lorsque les personnes qui les commettent ne subissent aucune conséquence, sont dans une situation d'impunité ou jouissent d'une protection. Il n'y a aucun effet dissuasif si, au bout du compte, on ne subit aucune conséquence pour ses actes. Je pense que le problème part vraiment de là.
Nous avons entendu les idées de Julie S. Lalonde et de Christine Wood. Vous avez parlé des vôtres aussi un peu au début. J'aimerais vous entendre parler de l'importance d'avoir un groupe de conseillers, spécialistes et thérapeutes indépendants auxquels les victimes auraient accès tout au long du processus de traitement d'une plainte. J'aimerais que vous précisiez votre pensée à ce sujet.
Il serait effectivement important d'avoir une organisation ou une équipe vraiment indépendante des Forces pour diriger, soutenir et aider les victimes et pour répondre à leurs interrogations. Il serait également important d'obtenir un soutien adéquat en français. Pour ma part, j'ai remarqué qu'il était très difficile d'avoir des ressources pour les francophones. Ce problème existe déjà partout dans le système de santé au sein des Forces, et il n'y a pas exception dans le cas des victimes d'agressions.
Personnellement, je milite pour que les cas d'agressions sexuelles dans les Forces, qui constituent des actes criminels, soient jugés à l'extérieur de celles-ci, et non par une cour martiale. C'est mon cheval de bataille. Il n'y a aucune raison valable pour que ces cas soient jugés par une cour martiale.
Croyez-vous qu'il y a de grandes lacunes dans les services offerts en français? Si oui, est-ce dans les services aux victimes ou dans les services en général?
Pouvez-vous donner plus de détails sur le soutien offert en français aux victimes?
Je vais essayer de faire un peu attention à ce que je dis.
En tant que personne francophone, j'ai vécu de la discrimination durant ma carrière. C'est arrivé surtout lorsque je travaillais au sein de la Force régulière de Valcartier, une ville pourtant majoritairement francophone. J'y ai vécu de la discrimination sur le plan médical. Lorsque j'appelais l'ombudsman, par exemple, je devais rappeler plus tard ou attendre qu'une personne parlant français me rappelle. En fin de compte, personne ne pouvait me servir en français, et je devais me débrouiller en anglais. Souvent, il y avait une seule personne parlant français par quart de travail et elle devait servir toutes les Forces armées canadiennes.
Pour l'instant, les victimes ne parlent pas à cause des répercussions négatives que cela a sur leur carrière. Il existe déjà des statistiques sur la libération des accusés. Toutefois, on ne s'attarde pas assez au pourcentage de femmes qui sont mises à la porte après avoir dénoncé leur agresseur.
C'est malheureusement le problème: les femmes savent que, si elles parlent, leur carrière sera finie.
Madame Raymond, comme je le mentionnais, votre témoignage a permis de faire la lumière sur des cas d'agressions, du moins au Québec. Je vous remercie beaucoup.
À la suite de votre témoignage, il y a eu le rapport de la juge Deschamps. Le combat que vous avez mené a été médiatisé au Québec grâce au travail de journalistes et au vôtre. Je pense notamment à l'article de Noémi Mercier et d'Alec Castonguay, qui a été publié dans L'actualité en 2014 et qui a mené au rapport Deschamps. Votre dénonciation a permis de faire la lumière sur les cas d'agression.
Dans vos remarques préliminaires, vous avez aussi beaucoup parlé des délais de traitement. Comme vous le soulignez, vous avez entamé ce combat il y a plus de 10 ans. Le processus judiciaire est beaucoup trop long.
Avant que je pose mes questions, aimeriez-vous prendre quelques secondes pour nous en dire davantage sur la longueur du processus?
Pour ce qui est de ma cause, on a attribué la longueur du processus au fait que les Forces armées canadiennes n'avaient pas voulu déposer d'accusations criminelles contre mon agresseur. Selon les policiers militaires et le procureur militaire, il ne s'agissait pas d'une agression sexuelle, mais simplement ce qu'ils ont appelé des « transactions » qui cessaient dès que je disais non.
À la suite d'une plainte déposée auprès de policiers militaires, l'enquête a été rouverte. On est arrivé à la même conclusion: il ne s'agissait pas d'une agression. On a alors refermé l'enquête. Ensuite, il y a eu l'article paru dans L'actualité, et des accusations ont été déposées. Mon agresseur a été acquitté, ce qui était prévisible, le jury étant composé de cinq hommes militaires.
Pendant ces 10 années, il n'y a pas eu que des moments morts durant lesquels on était immobile. Les délais étaient plutôt liés à des questions juridiques et administratives. En fait, on tentait de me mettre des bâtons dans les roues. Il m'a fallu presque 10 ans pour surmonter tout cela.
Vous l'avez dit, les deux personnes directement concernées étaient pourtant membres des Forces armées canadiennes et l'agression alléguée est survenue dans des installations militaires.
Un comité formé de cinq hommes militaires a déclaré M. Gagnon non coupable d'agression sexuelle. Autrement dit, des hommes ont jugé un autre homme dans un cas d'agression sexuelle. C'est comme si l'enquête avait été menée par ses propres pairs. Cela peut influencer le résultat.
Comme vous le dites, la Cour d'appel de la cour martiale du Canada a ensuite annulé l'acquittement de l'adjudant et ordonné la tenue d'un nouveau procès. La décision a ensuite été validée par la Cour suprême à l'automne 2018 et le dossier a été transféré au civil.
Pouvez-vous nous rappeler pourquoi il a été important que votre dossier sorte du système de justice militaire pour qu'on puisse finalement aboutir à un autre résultat?
Cela a été primordial. Ce choix n'était pas disponible dès le début, et quand on me l'a proposé, en janvier 2020, j'ai tout de suite dit oui. À partir de ce moment, l'accusé a plaidé non coupable encore une fois, mais il y a eu d'autres retards, notamment en raison de la COVID-19. Plus d'un an plus tard, à l'approche de la date butoir, monsieur a décidé de plaider coupable. Si le procès s'était déroulé devant une cour martiale, cela aurait été différent. Je ne suis pas dans leur tête, mais je crois qu'on ne jouait pas au même jeu. Il ne s'agissait pas des mêmes règlements et des mêmes lois. Il savait qu'il avait moins de chances de gagner. Sinon, il aurait à nouveau plaidé non coupable.
Encore une fois, cela démontre qu'il était important que votre dossier sorte du système de justice militaire et qu'il est impératif d'établir un organe indépendant qui puisse juger les cas d'agression sexuelle.
Comme vous l'avez mentionné, à partir du moment où vous avez porté plainte, en 2012, vos supérieurs vous ont rendu la vie beaucoup plus difficile, jusqu'à ce que vous soyez congédiée, à la fin de 2013.
Pouvez-vous nous parler davantage des conséquences d'une dénonciation dans les Forces armées canadiennes, puisque vous les avez vécues de près?
Les conséquences sont de toutes sortes. Elles vont de l'intimidation et du harcèlement psychologique au travail à des conséquences sur la paie. Des membres du personnel sont allés jouer de nouveau dans mes indemnités [difficultés techniques] par exemple, pour ajouter un débit de 5 000 $. Par la suite, on m'a refusé mes congés annuels, alors que tous ceux des autres membres du régiment avaient été autorisés.
Ce ne sont que quelques exemples. Je n'avais plus le droit de m'entraîner pendant mes heures de travail, alors que tous mes collègues le pouvaient. Je n'avais plus le droit de m'habiller en civil en amassant des fonds pour Centraide le vendredi, alors que tous les autres le pouvaient, parce que je pouvais supposément provoquer des agressions. Cela s'accumulait toujours plus. On m'a remis un avertissement écrit et on m'a mise sous surveillance.
Il y a d'innombrables mesures que j'ai oubliées avec le temps, mais qui rendent la santé mentale précaire. J'ai aussi été l'objet de commentaires désobligeants et d'interventions vraiment malsaines de médecins militaires.
C'est beaucoup plus difficile de dénoncer les abus sexuels dans le monde militaire que dans la société civile. C'est ce que je retiens de votre témoignage aujourd'hui.
Oui. C'est parce que les militaires se sentent attaqués. Ils sentent que ce sont eux et leur métier qui sont attaqués. Ils s'attaquent donc à la personne qui parle.
Vous avez précisé que, dans votre cas, les gens qui ont essayé de faire un signalement... Et il y a eu plusieurs occasions, malheureusement, mais pendant cette période, la chaîne de commandement s'est ingérée dans le processus. Pouvez-vous parler de ces exemples dont vous avez vous-même été témoin?
Je n'étais pas tenue au courant du cheminement de ma plainte d'agression auprès de la police militaire, mais j'entendais des discussions dans le corridor entre mon supérieur et le sien au sujet de ma plainte et des détails concernant ce qui s'était passé. Ils disaient que cela n'irait pas bien loin. J'ai donc vu que mes supérieurs étaient au courant.
Un capitaine de mon unité m'a rencontrée pour me dire qu'on avait discuté de ce qui s'était passé, parce que les policiers les avaient appelés pour leur raconter l'histoire. J'essaie de faire une histoire courte, mais tout le monde était au courant. J'ai même reçu un appel d'intimidation d'un policier militaire que je ne connaissais pas. Il me disait que la plainte ne serait pas réexaminée, parce qu'il venait d'apprendre que j'avais fait une plainte au grand prévôt contre les policiers militaires. Il y avait aussi des discussions entre les enquêteurs en matière de harcèlement et les policiers.
Tous se parlaient, en fait, parce que j'ai essayé de frapper à toutes les portes possibles, même à celle de l'équipe d'intervention en matière de harcèlement sexuel. Tous se parlaient entre eux et tous recevaient l'ordre de cesser de me parler et de me donner des informations.
J'ai un peu de difficulté à faire un résumé, tellement il s'est passé de choses.
Les faits se sont déroulés sur plusieurs années, oui.
Je vous remercie d'essayer de le faire, mais vous avez également dit que plus une personne était haut gradée, plus elle était populaire, plus elle était protégée. Pensez-vous que c'est finalement ce qui s'est passé avec le général Vance, que cette capacité interne à protéger les siens et à resserrer les rangs est intervenue? Ils se sont ralliés pour vous exclure et ont fait la même chose pour le protéger.
Oui, comme bien d'autres, le général Vance a dû être protégé parce qu'il était perçu comme une étoile montante durant sa carrière et donc un bon pion pour l'armée. Les Forces n'avaient pas intérêt à mettre cette personne de côté ni à enquêter sur elle en raison d'une allégation d'inconduite ou d'agression sexuelle. On ne veut pas ternir la carrière ni causer la perte d'un collègue de travail qui nous est utile et qui est notre bras droit, par exemple. Il est donc certain que les supérieurs ou les pairs du général Vance avaient intérêt à cacher ces choses-là, parce qu'ils aimaient son travail sur le plan opérationnel.
Et c'est ce qu'ont fait ses supérieurs hiérarchiques de l'époque, qui ont continué à assurer son avancement. Il a continué d'avancer, protégé par les plus hauts responsables pendant tout ce temps.
Effectivement, les pairs n'ont pas intérêt non plus à dénoncer une personne s'ils constatent des actions inacceptables, parce qu'ils savent qu'eux-mêmes ne seront pas protégés si un jour ils se rendent coupables d'un comportement inadéquat. Il s'agit d'une culture où on aide son prochain pour qu'il en fasse autant lorsqu'on en aura besoin.
Au cours de la dernière heure aujourd'hui, Mme Wood a parlé non seulement du traumatisme — de l'incidence de ses expériences, de son viol — mais aussi de ses effets sur le plan physique, de la fibromyalgie, des maux de tête constants, de beaucoup d'autres effets secondaires physiques, si vous voulez les appeler ainsi... des implications. Elle a dit qu'il n'y avait pas de services pour l'aider vraiment à surmonter le traumatisme sexuel, l'expérience qu'elle a vécue, ni de services pour l'aider à gérer tous ces autres effets. Est-ce que c'était aussi votre expérience?
Oui, c'était la même chose pour moi. Un médecin m'a même dit que, tant que je ne m'étais pas acheté la corde pour me pendre ou le tuyau pour relier à l'échappement de mon véhicule, ce que j'avais subi n'était pas vraiment grave. Un autre médecin a refusé de me traiter parce qu'il était connu que j'avais dénoncé la situation dans les médias. J'ai été soumise à une analyse par un psychiatre militaire. Il m'a dit que, au fond, j'étais responsable, que j'aurais pu faire en sorte que cela s'arrête, que j'avais la responsabilité d'arrêter les faits, mais que je ne l'avais pas fait.
Je ne me sentais donc vraiment pas en sécurité, même sur le plan médical, dans les Forces. Cela a été le moment décisif, où j'ai compris que je devais sortir des Forces armées canadiennes.
Votre histoire est vraiment incroyable. C'est un processus qui a pris plus de 10 ans. Je vous remercie vraiment de votre courage et de votre ténacité, parce que de toute évidence, c'était extrêmement dur à vivre.
Le processus a commencé quand vous avez soumis votre plainte auprès de la police militaire.
Pouvez-vous nous expliquer brièvement le processus que vous avez vécu et pourquoi, à la fin, vous trouviez que la solution n'était pas juste?
Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez décidé de commencer le processus au civil?
Je ne croyais pas à l'indépendance du tribunal militaire. Je ne faisais pas confiance au juge militaire ni à cette espèce de jury constitué de militaires choisis par les Forces armées canadiennes.
J'avais lu sur la loi martiale et sur son interprétation des actes criminels. Cette loi accuse un certain retard; elle n'est pas aussi évoluée que les lois criminelles. Je savais que mon agression allait être jugée comme si nous étions dans les années 1940 et que les risques d'acquittement étaient extrêmement élevés, mais je voulais poursuivre le processus pour démontrer au public qu'il ne fonctionnait pas. Je crois que j'ai réussi, puisque, au moment où ma cause a été entendue au civil, l'accusé a soudainement plaidé coupable. Il a avoué ce qu'il avait fait, alors qu'il avait été acquitté auparavant. On voit qu'il y a là certaines absurdités.
Oui, je le ferais. Je ne regrette pas ce que j'ai fait, parce que cela a donné des résultats.
Par contre, je ne traverserais pas ce processus une deuxième fois. Je ne traverserais même pas un deuxième processus pour une deuxième agression. Une fois dans une vie, c'est assez.
Après le premier acquittement, je me demandais pourquoi j'avais fait tout ce travail pour rien. Maintenant, c'est facile de dire que je le ferais.
Je vous remercie. Votre processus marque l'histoire et nous fournit des informations importantes. Sans exemple, il est difficile de changer un processus et de montrer aux gens à quel point il est important de le faire.
Y a-t-il des choses que vous feriez différemment? Conseilleriez-vous aux autres victimes de faire certaines choses différemment?
Bien sûr, je n'ai pas agi parfaitement sur tous les plans. Toutefois, il n'y a rien qui me vienne en tête que je ne referais pas. Toutes les actions que j'ai entreprises ont eu un sens et ont servi à quelque chose tôt ou tard.
J'ai eu la chance d'avoir l'aide de Me Drapeau, qui m'a conseillée. J'ai pu prendre les bonnes décisions grâce à l'aide d'autres personnes. Je ne changerais donc rien, car j'ai fait tout ce que j'ai pu. À l'époque, je ne pouvais pas m'adresser à la police civile. J'ai essayé de le faire, mais ce n'était pas possible.
Maintenant, je vais très bien. Je suis contente de la tournure des événements. Le travail que j'ai fait pourra aider d'autres personnes à l'avenir. Je ne l'aurai pas fait en vain.
Je me considère comme très chanceuse, car j'ai reçu des compensations d'Anciens Combattants Canada pour cause de conflit de travail. Je n'ai pas pu recevoir de compensations pour cause d'agression sexuelle, puisque l'agresseur avait été acquitté. Il y a aussi eu une entente à l'amiable avec le gouvernement.
Tout d'abord, je tiens à vous remercier, madame Raymond, pour le courage dont vous avez fait preuve depuis le début et pour avoir jeté l'éclairage sur l'inconduite sexuelle dans les Forces armées canadiennes. Je vous en remercie.
Madame Raymond, étant donné la présence de la chaîne de commandement, le contexte militaire présente une autre strate de complexité lorsque des subordonnés signalent des violences sexuelles. Pouvez-vous nous parler de la façon dont les rapports de force font qu'il est difficile pour ces survivants de signaler une inconduite sexuelle?
La difficulté tient au fait que c'est comme une civilisation à part, qui ressemble davantage à une famille. On nous dit quand et où nous entraîner. Nous ne pouvons pas voir notre médecin habituel, c'est l'armée qui décide du médecin que nous voyons. Il faut que nous respections nos supérieurs en tout temps, même si nous les croisons à l'extérieur du milieu de travail. La population générale ne peut pas comprendre à quel point ce milieu est hiérarchisé ni à quel point tout y est surveillé. Nous sommes chapeautés et tout ce que nous faisons doit être approuvé. Nous ne pouvons pas faire ce que nous voulons et nous ne pouvons pas aller où nous le voulons pour dénoncer une situation, pour aller chercher de l'aide, etc. Nous sommes dans ce milieu et nous ne pouvons pas en sortir.
Je sais que la peur des répercussions au travail est l'un des obstacles que les personnes rencontrent lorsqu'elles essaient de se décider à signaler une inconduite sexuelle. Quels sont certains des défis à relever en matière de confidentialité tout au long du processus de signalement, et comment recommanderiez-vous que nous améliorions ce processus?
Le fait qu'un acte criminel soit géré par la police en dehors des forces armées procurerait une plus grande confidentialité. Lorsqu'on dépose une plainte dans le milieu militaire, cela finit par se savoir. Cela remonte la chaîne de commandement, jusqu'au commandant, puis cela redescend. Tous les collègues sont mis au courant, alors on est jugé et pointé du doigt et on reçoit des commentaires désobligeants. De plus, l'agresseur ou l'intimidateur a souvent un grade plus élevé, alors on n'a pas beaucoup de pouvoir. N'ayant pas encore beaucoup d'importance au sein du régiment, on est plus facilement sacrifié. L'armée va vouloir garder la personne qui a plus d'expérience et qui a commis l'acte répréhensible.
En ce qui concerne la confidentialité, le fait que les actes criminels soient examinés à l'extérieur des forces armées protégerait donc les victimes. C'est primordial.
Comment pouvons-nous garantir la confidentialité tout au long du processus de signalement? Avez-vous des suggestions à nous faire pour nous aider à assurer la confidentialité tout au long de ce processus?
Si les militaires continuent d'enquêter sur leurs pairs, je n'ai pas vraiment espoir en une confidentialité. D'ailleurs, ce n'est pas propre à la justice et aux policiers militaires. Je l'ai expérimenté dans le milieu médical aussi. La confidentialité est souvent violée.
Ma seule recommandation est donc de faire en sorte que ce soit chapeauté et analysé par des personnes qui ne sont pas des militaires. Maintenant, je ne vois pas pourquoi il y aurait des violations de confidentialité à cet égard, mais si des militaires continuent de mener les enquêtes, il va toujours y avoir des courriels et des appels pour répandre les nouvelles et les rumeurs, parce qu'on est dans le monde militaire.
Avant de terminer, d'après votre expérience, le processus comporte-t-il actuellement des lacunes? Et que pourrait-on mieux faire, selon vous, pour combler ces lacunes?
Encore fois, je vous remercie de tout l'éclairage que vous nous avez apporté aujourd'hui dans votre discours, madame Raymond. Je retiens le mot « tenacité ». C'est ce dont vous avez fait preuve au cours des 10 dernières années.
Non seulement vous avez vécu des difficultés liées à la dénonciation de vos agressions, mais vous avez aussi mentionné avoir eu de la difficulté, lorsque vous étiez à Valcartier, à obtenir des services en français, en tant que francophone dans les Forces armées canadiennes. Vous avez donc senti une forme de discrimination sur le plan de la langue.
Oui. À Valcartier, même les francophones s'expriment en anglais. Je ne sais pas pourquoi c'est le cas. Les francophones utilisent même les formulaires en anglais.
La majorité des Canadiens sont anglophones. Les militaires ont régulièrement des affectations dans des bases anglophones. Les militaires francophones parlent constamment en anglais et ils utilisent des termes anglais, car cela leur permet de s'habituer à travailler en anglais et d'être plus polyvalents. Même s'ils sont sur une base francophone, ils continuent d'utiliser les termes anglais. Les militaires qui ne parlent que français doivent apprendre un autre vocabulaire.
Par ailleurs, quand on s'adresse à une ligne d'aide téléphonique, que l'on soit à Ottawa ou au quartier général, il n'y a pas beaucoup de francophones au bout du fil, et les anglophones ne sont pas bilingues.
C'est un autre problème auquel vous avez dû faire face.
Vous avez été victime de plusieurs agressions. Pendant plusieurs années, vous avez subi plus d'une agression.
Trouvez-vous que le gouvernement est assez courageux pour aller au bout des enquêtes en cours sur les cas allégués d'agressions et d'inconduites sexuelles dans les Forces armées canadiennes?
Vous avez été victime d'agressions sexuelles au Canada. Est-il possible que des membres des forces armées se trouvant ailleurs en soient victimes aussi? Est-il possible que cette culture existe également dans des missions à l'étranger?
Oui. Malheureusement, la population ne le sait pas. Je suis au courant de certaines choses, que je ne divulguerai pas et dont le public n'a pas connaissance. Ce sont des choses pas mal plus horribles que ce que j'ai vécu.
Les agresseurs qui sont à l'étranger sont encore plus protégés. Lorsqu'ils sont sur le terrain avec des enfants en Afghanistan ou en Bosnie, il n'y a personne pour les surveiller ni pour les dénoncer.
Je ne suis pas convaincue que le gouvernement veuille réellement régler ce problème. Il ne l'a pas démontré. Si c'était le cas, il agirait pour que les causes criminelles ne soient plus traitées par le système de justice militaire. À mon avis, c'est une aberration qu'elles soient encore traitées par les Forces.
En fait, j'aimerais que vous continuiez, madame Raymond, à parler de ces mesures de soutien internationales.
Avez-vous des suggestions que nous pourrions transmettre au gouvernement sur la manière de commencer à créer les dispositions relatives aux mesures de soutien, bien sûr, à l'échelle nationale, mais aussi internationale?
C'est un peu difficile pour moi de répondre à votre question, car je ne suis pas allée sur le terrain opérationnel.
Il est difficile de dénoncer des agressions au sein des Forces armées canadiennes ici même, au Canada. Si l'on est à l'extérieur, c'est encore plus difficile. Il y a des difficultés supplémentaires à surmonter du fait que l'armée peut régler ses problèmes elle-même, sans avoir à en informer les institutions civiles.
Le problème, c'est l'étanchéité de l'information; les secrets de famille restent dans la famille. Il n'y a pas d'œil extérieur qui assure une surveillance. Personne ne dénonce les agressions, car on sait que cela engendre de lourdes conséquences.
Lors de la séance précédente, nous avons également parlé d'étendre les mesures de soutien à Anciens Combattants Canada. Vous avez dit que, fort heureusement, votre dossier avait été retenu et que vous receviez maintenant une indemnité.
Au chapitre de l'aide aux victimes d'inconduite, d'abus et d'agression sexuels, quels sont, selon vous, les besoins ou les lacunes à combler?
Je n'ai pas reçu d'aide destinée spécialement aux victimes de traumatismes sexuels.
On a accepté de m'ouvrir un dossier, mais pour une raison qui n'avait rien à voir avec l'agression. Je savais que si je le demandais pour des raisons liées à une agression, on refuserait de m'ouvrir un dossier.
Par la suite, j'ai reçu de l'aide d'une psychologue. J'étais censée recevoir de l'aide d'un psychiatre militaire, celui qui m'avait dit que j'avais moi-même décidé que les agressions se poursuivraient. J'ai donc demandé à être vue par une psychologue ne faisant pas partie de l'armée, et c'est ce qui est arrivé. J'ai eu cette chance, mais cela n'a pas été facile.
Il est difficile de trouver de l'aide. On dit que l'aide est là, mais il faut vraiment la chercher. Il a même fallu que je porte en appel la décision d'Anciens Combattants Canada, parce qu'on me disait que je n'avais aucune séquelle et que je n'avais pas besoin d'aide psychologique. Pourtant, j'étais suivie à ce moment même par Anciens Combattants Canada.