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FINA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON FINANCE

COMITÉ PERMANENT DES FINANCES

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mardi 16 mai 2000

• 1529

[Traduction]

Le président (M. Maurizio Bevilacqua (Vaughan—King—Aurora, Lib.)): La séance est ouverte. Bienvenue à tous et bon après-midi.

Comme vous le savez, le Comité des finances tient en mai et juin une série de tables rondes sur diverses questions. Nous allons discuter aujourd'hui de politique monétaire et de régimes de change.

Nous accueillons M. Christopher Ragan, qui est professeur à l'université McGill; M. Herbert Grubel, un ancien collègue, professeur à l'université Simon Fraser; M. Andrew Jackson, attaché de recherche au Centre canadien de politiques alternatives, et M. Pierre Siklos, professeur à l'université Wilfrid Laurier.

• 1530

Vous savez sans doute que vous avez de cinq à dix minutes pour nous présenter votre déclaration préliminaire, ce qui nous laissera tout le loisir de vous poser de nombreuses questions par la suite.

Nous allons commencer par M. Ragan.

M. Christopher Ragan (témoignage à titre personnel): Merci. J'ai fait distribuer des copies de mes notes et je vais faire de mon mieux pour m'y tenir.

Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité à comparaître devant vous aujourd'hui.

Les arrangements monétaires au Canada soulèvent d'importantes questions qui semblent refaire surface périodiquement, et il est certainement très utile qu'elles fassent l'objet d'un débat approfondi.

Je voudrais prendre les cinq ou dix minutes qui me sont allouées pour vous expliquer pourquoi il s'agit d'un débat quelque peu trompeur. On a l'impression, quand on regarde la presse populaire—du moins celle que je lis—, qu'il s'agit d'un débat plus ou moins à sens unique, qu'il y a des avantages évidents à avoir un régime de change fixe ou une devise commune, mais qu'il n'y en a pas autant à avoir un taux de change flottant. Je vais tenter de vous expliquer pourquoi cela me paraît trompeur.

En gros, il me semble que les avantages que comporteraient un régime de change fixe ou une devise commune sont assez faciles à comprendre. À mon avis, les avantages du taux de change flottant sont tout aussi réels, mais un peu plus difficiles à saisir, du moins pour les gens qui ne sont pas économistes.

Il est généralement facile pour le consommateur ou le propriétaire d'entreprise de comprendre pourquoi un taux de change fixe ou une devise commune—le dollar américain, bien sûr, dans le cas du Canada—seraient avantageux. Le principal avantage, c'est que ce genre de régime permet d'éviter l'incertitude qui accompagne les taux flottants, souvent très volatils. On croit généralement que des taux de change moins imprévisibles favorisent le commerce et l'investissement, ce qui entraîne en retour des recettes commerciales accrues.

L'autre avantage quand on va jusqu'à adopter une même monnaie—et c'est là que réside la différence entre le régime de change fixe et la devise commune—, c'est qu'on évite tous les frais de conversion qu'exige le commerce international des biens, des services et des titres.

Je ne voudrais surtout pas laisser entendre que ces avantages sont minimes. Ce sont des avantages très réels. Mais ils ne représentent que la plus belle moitié du portrait. L'autre moitié est celle qui me paraît plus difficile à comprendre. Les arguments de ce côté-là sont beaucoup plus subtils, et c'est ceux-là que je vais essayer de vous expliquer.

Les avantages qu'il y a à avoir une devise séparée et un taux de change flottant se reflètent en réalité dans les ajustements macroéconomiques nécessaires en réponse aux chocs de l'extérieur. Ces avantages sont particulièrement importants dans les petites économies ouvertes comme la nôtre, qui dépendent dans une large mesure du commerce extérieur et, dans le cas du Canada plus particulièrement, du commerce des marchandises.

Pour comprendre le rôle que jouent les taux de change souples dans le processus d'ajustement macroéconomique, je vous invite à réfléchir à la crise qui a secoué l'Asie à partir de 1997. Réfléchissez un peu à la façon dont le Canada a réagi à ce qu'un économiste appellerait un choc pour notre pays et à la façon dont il se serait ajusté à cette série d'événements si nous avions eu un taux de change fixe plutôt que flottant.

Quand les économies asiatiques sont entrées en récession... D'ailleurs, entre parenthèses, je vous dirais que toutes ces récessions—et toute la crise asiatique—ont été causées en partie par les efforts déployés par ces pays pour maintenir des taux de change fixes. La demande de marchandises et de matières premières y a chuté considérablement. Les économies asiatiques étaient—et sont encore—de gros utilisateurs de matières premières; par conséquent, quand elles ont été frappées par la récession, cette baisse de demande de matières premières a entraîné une forte diminution de la demande mondiale à cet égard. Or, comme le Canada est un important exportateur de matières premières, il n'est pas étonnant que la demande de produits canadiens ait baissé, et par conséquent aussi la demande de devises canadiennes.

Le résultat, c'est que le dollar canadien a perdu de 10 à 12 p. 100 de sa valeur entre l'automne 1997 et le printemps 1998. Et aussi, bien sûr, que le secteur des ressources naturelles au Canada, et en particulier en Colombie-Britannique, a été assez durement touché, tant sur le plan de l'emploi qu'en termes de revenus.

• 1535

Ce matin encore, je me suis rendu sur le site Web d'Industrie Canada, qui est un site fabuleux pour quiconque cherche des détails sur la situation de l'industrie. Simplement dans le secteur des ressources naturelles—j'avais choisi un certain nombre d'entreprises de l'industrie forestière—, il est incroyable de voir combien il y en a qui ont dû réduire sensiblement leur effectif et, surtout, qui ont vu leurs revenus baisser considérablement entre 1996 et 1998.

Alors, qu'est-ce qui s'est passé à la suite de ce choc venu d'Asie? Eh bien, le dollar canadien s'est déprécié, ce qui a stimulé nos exportations dans d'autres secteurs—je pense en particulier au centre du Canada, mais pas uniquement—parce que la réduction de la valeur extérieure du dollar canadien a rendu nos produits manufacturés et nos produits semi-finis plus attrayants qu'avant pour les acheteurs étrangers. Par conséquent, l'augmentation de l'activité économique dans les secteurs des produits manufacturés et des produits semi-finis a compensé dans une certaine mesure le ralentissement dans le secteur primaire au Canada. Voilà ce qui s'est produit.

Mais que se serait-il passé si le Canada avait eu un taux de change fixe? La crise asiatique se serait produite de toute façon, que notre taux de change ait été fixe ou flottant. Cela n'avait rien à voir avec notre régime monétaire. Il y aurait quand même eu une baisse de la demande de matières premières et de marchandises en Asie, donc une baisse de la demande de produits canadiens de pâtes et papiers, de sciage résineux, de papier journal, de minerai de fer, et de toutes sortes d'autres matières premières produites au Canada.

Donc, le ralentissement dans le secteur des ressources naturelles en Colombie-Britannique se serait produit quand même, mais, par définition, si nous avions eu un taux de change fixe, le dollar canadien ne se serait pas dévalué. La dépréciation de 10 à 12 p. 100 qu'a connue notre devise n'aurait pas eu lieu parce que la Banque du Canada l'aurait évitée en offrant un taux de change fixe.

Eh bien, sans cette dépréciation, il n'y aurait pas eu d'expansion pour compenser, au Canada, dans les secteurs des produits manufacturés et des produits semi-finis. Notre croissance économique aurait donc été plus lente si nous n'avions pas laissé le dollar canadien perdre de la valeur.

Tous les arguments que je viens de vous citer viennent étayer une affirmation que vous avez certainement déjà entendue en comité, à savoir que les taux de change flottants servent en quelque sorte d'amortisseurs pour l'activité économique et nous protègent des chocs économiques qui se produisent dans le reste du monde.

Ce sont des arguments plutôt subtils, que les consommateurs ou les propriétaires d'entreprises ne comprennent pas toujours pour la simple raison qu'ils ne passent pas beaucoup de temps à réfléchir aux questions d'ajustements macroéconomiques. Ils pensent parfois à ce qui fait fluctuer les prix des produits qu'ils achètent, ou à ce qui influe sur leurs décisions en matière d'investissements et de contrats internationaux, mais ils ne passent pas beaucoup de temps à penser aux ajustements macroéconomiques. Ils laissent généralement ce genre de chose aux économistes et aux décideurs. Mais c'est un avantage très important des taux de change flottants; je dirais même que c'est de loin le plus important de tous.

J'aimerais faire une dernière observation. Bien des gens semblent croire qu'il est possible d'éviter l'incertitude et la volatilité de l'économie en adoptant un régime de change fixe. À mon avis, comme le démontrent les arguments que je viens de vous présenter, c'est faux. Ce qui est vrai, c'est que l'établissement d'un régime de change fixe peut permettre d'éviter l'incertitude et la volatilité en ce qui concerne le taux de change, c'est évident. Mais on ne parvient alors qu'à transférer cette incertitude et cette volatilité à d'autres aspects de l'économie, en particulier ceux de la production et de l'emploi.

Donc, les taux de change fixes redistribuent en réalité les effets d'une certaine volatilité de l'économie. Ils n'éliminent pas cette volatilité; ils la font seulement surgir ailleurs. Je pense que la plupart des économistes seraient d'accord pour dire qu'il est préférable d'avoir des taux de change volatils que de l'incertitude dans les secteurs de la production et de l'emploi.

Pour résumer, j'aimerais que vous gardiez à l'esprit les raisons pour lesquelles bien des gens pensent qu'il y aurait des avantages très nets à adopter un régime de change fixe pour le Canada. Les avantages, c'est-à-dire la diminution de la volatilité des taux de change, sont faciles à comprendre. Ils sont assez évidents. Mais le prix à payer pour un régime de change fixe ou une devise commune, ce serait une volatilité accrue dans les secteurs de la production et de l'emploi en réponse aux chocs de l'extérieur qui continueront inévitablement de se produire.

• 1540

Les avantages de ce côté-là sont beaucoup moins évidents. Comme je l'ai dit dans mes notes, il est déjà assez difficile d'expliquer cette question de façon exacte et détaillée à une classe pleine d'étudiants qui écoutent attentivement depuis plusieurs semaines; alors, c'était peut-être très présomptueux de ma part de vouloir vous l'expliquer ici en cinq minutes à peine. Mais j'espère que mon intervention vous aura été utile.

Vous remarquerez, à la fin de mes notes, cinq autres questions sur lesquelles vous voudrez peut-être vous pencher; je suis certain qu'elles vont être évoquées dans la discussion qui s'en vient.

Merci.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Ragan.

Nous allons maintenant entendre M. Herbert Grubel. Bienvenue.

M. Herbert Grubel (témoignage à titre personnel): Merci, Maurizio. Je suis très heureux d'être de retour ici, de l'autre côté de la table.

J'ai fait distribuer aux membres du comité une publication du Fraser Institute intitulée The Case for the Amero, qui contient une analyse beaucoup plus détaillée que celle que je vais vous présenter aujourd'hui. Elle vient d'être traduite en espagnol et sera probablement disponible bientôt en brésilien et en portugais.

L'intérêt du comité pour les régimes monétaires de rechange tombe à point nommé. L'union monétaire en Europe est un grand succès. Elle n'a pas suscité de tensions entre le membres, et on se presse au portillon. Certaines politiques nationales qui touchent la performance économique et les marchés du travail ont d'ailleurs été modifiées en réponse à la discipline imposée par les arrangements monétaires, ce qui a de l'importance dans le contexte de l'analyse que je vous présente aujourd'hui.

La dollarisation est imminente en Argentine et en Équateur. Plusieurs pays d'Amérique centrale l'envisagent. Je rentre d'une conférence au Brésil où j'ai constaté un grand intérêt pour la création d'une devise unique pour le MERCOSUR. Certains pays des Balkans et le Timor oriental utilisent déjà officiellement le mark allemand au lieu de leur propre monnaie.

L'intérêt que l'on porte dans le monde entier à la conclusion de nouveaux arrangements monétaires est fondé et constitue un pas de plus vers le remplacement de l'économie keynésienne par des principes classiques. Les politiques de déficit systématique et les politiques inflationnistes n'ont pas rempli leurs promesses et sont donc maintenant en défaveur. Les taux de change souples seront les prochains à passer de mode parce qu'eux aussi donnent des résultats décevants sur le plan économique.

Je voudrais aborder la question que Christopher vient tout juste de soulever. Les partisans de taux de change souples pour le Canada s'appuient sur le principe qu'ils sont nécessaires pour absorber les chocs économiques. Je leur pose la question suivante, que Mundell leur a déjà posée au Brésil la semaine dernière: puisque les régions du Canada sont exposées chacune à des chocs économiques différents, devraient-elles pour autant avoir leur monnaie, dont le taux de change serait souple? L'adaptation aux compressions budgétaires dans l'administration fédérale de ces dernières années aurait certainement été plus facile s'il y avait eu un dollar d'Ottawa et si ce dollar s'était déprécié. Ainsi, pourquoi ne pas avoir des dollars différents pour Ottawa, Halifax et Prince George?

Il ne manque pas de gens pour apprécier les avantages que présente un dollar faible et en recul. Les travailleurs et les entreprises du secteur primaire, entre autres, les voient d'un bon oeil, car ils les aident à composer avec les effets de la déprime des cours mondiaux des ressources naturelles. Les entreprises à vocation exportatrice sont bien contentes de réaliser des profits accrus du fait de la mollesse du dollar. Les travailleurs apprécient les augmentations salariales qu'ils peuvent exiger quand les entreprises enregistrent de gros bénéfices, et les politiques aiment être perçus comme ceux à qui l'on doit tout cela, car leurs chances de réélection s'en trouvent peut-être améliorées.

Or, mesdames et messieurs, tous ces avantages ont un coût, un coût sur lequel les partisans des taux de change souples préfèrent ne pas s'étendre. La progression des salaires dans les industries d'exportation, par exemple chez les constructeurs d'automobiles, n'est pas associée à des gains de productivité. De même, du seul fait que le dollar est atone, les coûts et les salaires dans le secteur de la production primaire peuvent demeurer supérieurs à ce qu'ils seraient en régime de change fixe. Ainsi, quand les cours mondiaux des marchandises remontent et que le taux de change grimpe, les prix et coûts plus élevés du secteur de l'automobile et de celui des ressources naturelles empêchent le plein rétablissement du taux de change, même quand les cours des marchandises reviennent à leur niveau antérieur. La politique monétaire n'a alors d'autre choix que de composer avec ces prix et salaires élevés.

C'est cette montée des prix et des salaires causée par la dépréciation du dollar qui explique pourquoi le dollar canadien a perdu environ le tiers de sa valeur depuis trente ans. À moins que nous renoncions au régime de change souple, la prochaine génération aura un dollar à 40 cents américains, puis à 20 cents, et je ne sais pas quand cette dégringolade s'arrêtera.

• 1545

La baisse du dollar a appauvri les Canadiens qui voyagent à l'étranger ou qui achètent des produits importés. Plus fondamentalement, elle a ralenti l'adaptation de notre économie aux nouvelles perspectives industrielles et l'adoption de technologies nouvelles. Dans l'industrie automobile, des coûts de main-d'oeuvre relativement faibles ont pour effet de réduire le rythme de la substitution du capital au travail. Les entreprises du secteur des ressources naturelles ne sont pas incitées à comprimer leurs effectifs, ce qui empêche la main-d'oeuvre de se déplacer vers les secteurs d'activité plus performants.

Voyons, d'un autre côté, ce qui s'est passé en Californie au début des années 90 quand la fin de la guerre froide a démoli l'industrie de la défense, avec des répercussions au moins aussi considérables que le déclin des cours mondiaux des produits de base au Canada. L'industrie et les travailleurs de la défense de la Californie n'étaient pas protégés par un taux de change en baisse et ont dû réagir au quart de tour. Ils se sont donc recyclés pour être prêts à travailler dans de nouvelles industries, qui n'ont pas manqué de venir s'installer en Californie pour profiter d'une superbe infrastructure et d'une main-d'oeuvre instruite. Le chômage a rapidement chuté, et la Californie est aujourd'hui l'une des régions les plus prospères au monde.

Je pense que l'infrastructure et la qualité des travailleurs de la Colombie-Britannique et des provinces de l'Atlantique sont aussi bonnes que celles de la Californie. Cependant, la main- d'oeuvre, les entreprises et l'ensemble du système économique dans les régions périphériques du Canada n'ont pas été autant poussés à s'adapter que ceux de la Californie. C'est le régime de change souple qui est à l'origine de ce climat au Canada, et un régime de change fixe permettra au Canada de se rapprocher de ce que l'on observe en Californie.

Jusqu'ici, je parle indifféremment de régime de change fixe et d'union monétaire. Il est maintenant temps de parler des solutions de rechange qui permettraient d'instituer des conditions propices à une plus grande discipline de marché, et d'atténuer la propension des politiques et des bureaucrates à toujours chercher à gagner la faveur de certains groupes d'électeurs.

Un régime de change fixe avec une monnaie nationale et une banque centrale constituerait la solution la moins intéressante. Même si la politique monétaire était forcée de respecter l'objectif de stabilité des prix et que les marchés du capital et du travail étaient souples, des troubles politiques ou des erreurs commises de bonne foi au niveau de la politique budgétaire et de la politique monétaire pourraient entraîner des assauts spéculatifs et l'effondrement du système. La récente crise qui s'est produite en Asie du Sud-Est est un exemple de ce qui pourrait arriver.

L'existence d'une caisse d'émission, conçue pour instituer un lien direct entre la masse monétaire et les réserves de devises du pays, n'exclurait pas nécessairement les attaques spéculatives, parce que les politiques et les bureaucrates conserveraient certains pouvoirs discrétionnaires. Les caisses d'émission de Hongkong et de l'Argentine ont quelque peu modifié le caractère automatique de leur régime à la suite de la crise asiatique et de la dévaluation du réal brésilien.

La dollarisation signifie la disparition des caisses d'émission et de leurs pouvoirs discrétionnaires, mais elle n'est pas non plus exempte de problèmes. Les États-Unis devront relever leurs taux d'intérêt sans doute au moment où l'Argentine aura le plus besoin de taux d'intérêt faibles. Les risques qu'une telle situation présente au Canada sont moins importants, mais la dollarisation mettrait un terme aux profits de la Banque du Canada, qui sont d'environ 2 milliards de dollars par an, et à la participation directe du pays à la détermination des taux d'intérêt en corrélation avec la valeur du dollar. En outre, la mise en circulation de billets américains au Canada ferait hurler les nationalistes.

Une union monétaire priverait les politiques et les bureaucrates de toute latitude dans la fixation des taux de change et des taux d'intérêt. Elle permettrait en revanche de conserver les profits issus du seigneuriage. La présence de symboles canadiens sur une des faces des billets et des pièces plairait aux nationalistes. La présence de Canadiens au conseil de direction de la banque centrale de l'Amérique du Nord donnerait au Canada voix au chapitre dans l'élaboration de la politique monétaire.

Jusqu'à présent, je vous ai entretenu de ce que l'on reproche le plus souvent à l'union monétaire, à savoir que le Canada y perdrait la liberté dont il a besoin en cas d'instabilité ou de baisse du cours de matières premières, ainsi que d'autres chocs économiques nationaux. J'ai montré qu'un régime de change souple comporte certains coûts, cachés peut-être, mais probablement supérieurs aux avantages.

Rien que pour cela, l'union monétaire est souhaitable, mais elle présente d'autres attraits. La politique monétaire peut être et sera effectivement plus stable. Il est vrai que le Canada bénéficie d'une excellente politique monétaire depuis une dizaine d'années, mais, tout comme il est absurde de prétendre qu'on n'aura jamais besoin d'un parapluie sous prétexte qu'il ne pleut pas dans l'immédiat, il serait souhaitable de se prémunir dès maintenant contre les coups que pourrait nous réserver l'avenir dans ce domaine. Je dormirais mieux sachant que, si jamais le NPD prenait le pouvoir, pour qu'il puisse retourner à une politique inflationniste et enjoindre à la Banque du Canada d'adopter une politique en ce sens, il devrait revenir sur l'entente internationale portant création de la banque centrale de l'Amérique du Nord.

• 1550

L'union monétaire permettrait aussi d'abaisser les taux d'intérêt et les coûts des échanges avec l'étranger. La disparition du risque de change associé aux titres canadiens rétrécirait l'écart historique de 1,14 entre les taux d'intérêt canadiens et américains. Des taux d'intérêt moindres réduiraient le service de la dette des administrations publiques—qui représente environ 6 milliards rien que pour le gouvernement fédéral. Les entreprises investiraient davantage, ce qui entraînerait une meilleure productivité du travail et une progression des revenus. Le crédit hypothécaire et le crédit à la consommation coûtant moins cher, les Canadiens auraient plus d'argent à dépenser ailleurs. La baisse du coût des opérations de change et des opérations de couverture susciterait des retombées analogues par l'accroissement des échanges et des flux de capitaux.

Il existe trois grands obstacles à l'union monétaire. Premièrement, il faut compter avec l'opposition des politiques et des bureaucrates qui perdraient un instrument important leur permettant de solliciter l'appui de divers groupes d'électeurs. Un parti politique qui considérerait comme avantageux de faire disparaître cette source de pouvoir du système politique pourrait changer cette équation.

Deuxièmement, il faut compter aussi avec l'opposition des nationalistes grand teint, dont la plupart sont des sociaux- démocrates profondément convaincus de la nécessité d'un lourd appareil gouvernemental pour assurer une société meilleure. Cette opposition constitue cependant une minorité au Canada, bien qu'on puisse parfois s'y méprendre tant elle jouit d'appuis nombreux dans les médias. Et elle n'est pas plus insurmontable qu'elle ne l'a été au sujet de l'ALENA, de la lutte contre l'inflation et de l'assainissement des finances publiques.

Le troisième problème consiste à trouver l'argument qui convaincra les Américains de consentir à une union monétaire. Le hic, c'est qu'ils n'ont pas d'intérêt évident à renoncer au prestige du dollar américain.

Si vous me permettez d'improviser un instant, j'ajouterai que Bob Mundell, qui a remporté récemment le prix Nobel, m'a demandé de participer à des conférences internationales pour y présenter l'exposé que je viens de vous faire au sujet des avantages, tant politiques qu'économiques, d'un régime de change fixe. Mais il n'appuie pas mon plan parce qu'il pense que les Américains auraient trop à perdre si leur dollar disparaissait. Donc, nous sommes un peu en contradiction sur ce point-là.

Les Américains y ont cependant au moins un intérêt, peut-être moins évident: ils ont, par exemple, tout avantage à avoir des voisins stables et prospères, surtout au sud, où une baisse du taux d'intérêt qui ramènerait celui-ci de 30 à 6 p. 100 stimulerait le développement économique et freinerait l'immigration illégale. Les États-Unis ont adhéré à l'ALENA, à l'ONU, au FMI, à l'Organisation mondiale du commerce et à la Banque mondiale en dépit de l'opposition de nombreux nationalistes justement dans l'espoir d'une plus grande stabilité et d'une plus grande prospérité à l'échelle mondiale. Dans un sens, une union monétaire serait le prolongement logique de l'ALENA et ne ferait qu'en amplifier les retombées.

Le fait que l'hégémonie du dollar soit maintenant menacée par l'euro pourrait aussi être un facteur, surtout si l'euro se trouve renforcé par l'adhésion de pays comme la Hongrie, la République tchèque et d'autres États d'Europe centrale.

Enfin, il est important de noter que les Américains auront toujours la majorité au sein du conseil de direction de la banque centrale proposée. Le Canada et le Mexique auraient le droit de vote et pourraient faire valoir leurs préoccupations, mais ils ne pourraient pas empêcher la poursuite des politiques de longue date qui sont à l'origine de la domination du dollar américain.

Le Canada et le Mexique doivent maintenant démêler chacun pour soi le pour et le contre d'une union monétaire. Les élus présents ici sont le mieux placés pour lancer le débat et peuvent inscrire la question à l'ordre du jour de la prochaine campagne électorale au Canada.

Personnellement, d'après les entretiens que j'ai eus avec de nombreuses personnes à ce sujet-là, je suis convaincu que cette idée peut trouver des partisans dans la population, en particulier quand notre monnaie s'apprécie ou se déprécie substantiellement. Une fois que nous aurons pris une décision nationale sur cette question, nous pourrons sonder les Américains. Une chose est certaine: nous n'aurons jamais de réponse si nous ne posons pas la question par les voies officielles.

Merci de votre attention. J'espère que vous aurez une foule de questions intéressantes à poser.

Le président: Merci, monsieur Grubel.

Nous allons maintenant entendre M. Andrew Jackson, du Centre canadien de politiques alternatives. Soyez le bienvenu, Andrew.

• 1555

M. Andrew Jackson (attaché de recherche, Centre canadien de politiques alternatives): Bonjour et merci.

Ce qu'il y a d'intéressant dans tout ce débat sur les arrangements monétaires—c'est-à-dire le maintien des taux de change flottants ou l'adoption d'un régime de change fixe pour le Canada—, c'est que les participants à ce débat ne semblent pas se ranger dans les camps habituels. Cela n'a rien à voir avec la gauche ou la droite. Beaucoup de sociaux-démocrates en Europe sont favorables aux taux de change fixes. Et ici, au Canada, John Crow est un des plus ardents défenseurs du maintien des taux flottants. Les gens, des deux côtés, viennent d'horizons très diversifiés.

Honnêtement, je dois dire aussi que c'est un débat politique autant qu'économique. Il y a des arguments économiques dans les deux sens. Prenez par exemple l'UEM, en Europe: il est très important de se rappeler que la décision d'adopter une monnaie commune faisait partie intégrante d'une démarche tout à fait délibérée dans le sens du resserrement de l'union politique et qu'elle doit être examinée dans cette perspective.

Même si je suis un grand partisan des taux flottants, et si c'est sur cette question que je vais me concentrer aujourd'hui, il me semble approprié de souligner qu'il y a aussi des arguments qui militent en faveur d'un régime de change fixe dans la zone économique commune qu'est devenue l'Amérique du Nord. Il est intéressant de se demander quelles seraient les conditions nécessaires pour qu'il soit possible de procéder à une union monétaire nord-américaine, comme le proposent M. Grubel et d'autres.

Premièrement, il faudrait partir du principe que la politique monétaire, dans le cadre de cette union monétaire, serait établie par tous les participants et non par un seul pays. Or, les Américains ont précisé très clairement qu'ils n'étaient pas intéressés à administrer le dollar américain en collaboration avec qui que ce soit.

Je voudrais vous lire quelque chose. J'ai ici des questions et réponses provenant du site Web du sénateur Connie Mack; le document s'intitule «A Guide to the International Monetary Stability Act». C'est en fait un document du comité économique conjoint du Sénat américain. On y dit:

    La dollarisation n'empêcherait-elle pas les pays d'appliquer une politique monétaire indépendante?

    Oui. Les pays dollarisés adopteraient la politique monétaire américaine.

    Les pays officiellement dollarisés ne feraient-ils pas des pressions sur la Réserve fédérale pour tenter d'influencer la politique monétaire dans le sens de leurs intérêts, quelle que soit la situation économique aux États-Unis?

    D'après son président, Alan Greenspan, la Réserve fédérale est déjà soumise à des pressions de l'étranger, mais elle n'est pas obligée pour autant de prendre des mesures qui avantagent d'autres pays au détriment des États-Unis. M. Greenspan a déclaré que la dollarisation officielle ne la forcerait pas davantage à prendre des mesures de ce genre.

Les Américains, et en particulier le secrétaire au Trésor, ont toujours dit très clairement que l'option d'une monnaie commune ne les intéressait absolument pas. Il est également très important de tenir compte de deux aspects présents en Europe, mais qui ne s'appliquent pas à l'Amérique du Nord.

Bien que ce soit encore loin d'être très bien établi, les travailleurs européens ont officieusement le droit de se déplacer d'un pays à l'autre. Il y a une certaine mobilité de la main- d'oeuvre au sein de l'Union européenne, ce qui veut dire que, si une partie de l'Europe subit un choc quelconque, certains des mécanismes d'ajustement en place dans le cadre du régime de change fixe font que les travailleurs peuvent quitter les secteurs en déclin pour les secteurs en expansion ailleurs, à l'intérieur de la zone visée par la politique monétaire commune. Je ne sais pas ce qu'en pense M. Grubel, mais j'ai bien l'impression que la libre circulation des travailleurs en Amérique du Nord, entre le Canada et les États-Unis, n'est pas pour demain.

Enfin—encore là, ce n'est pas très bien développé en Europe, mais cela existe au moins sous forme embryonnaire, et bien des gens disent qu'il faudrait insister davantage sur cet aspect—, s'il y a une partie de la Communauté européenne qui subit un choc dans le cadre du régime de change fixe, il est possible d'adopter des mesures budgétaires pour compenser. Ainsi, en principe, la Communauté européenne pourrait allouer des fonds aux régions durement touchées pour les aider à réagir au choc.

Je suppose qu'on pourrait dire la même chose de l'union monétaire nord-américaine dans un monde idéal, mais dans le monde réel qu'est l'Amérique du Nord, je pense que ce n'est tout simplement pas dans l'air. Ce qui veut dire que la question ne se pose pas du tout de la même façon. La question, en réalité, c'est de savoir si nous voulons adopter un régime de change fixe comme politique monétaire canadienne.

• 1600

Le point de départ, pour aborder cette question, c'est que dans un monde où les capitaux circulent librement au-delà des frontières nationales, les pays sont libres de décider s'ils veulent un taux de change fixe ou s'ils préfèrent être en mesure d'appliquer leur propre politique en matière de taux d'intérêt. En effet, lorsqu'il y a libre circulation des capitaux, l'adoption d'un régime de change fixe oblige par le fait même à adopter des taux d'intérêt fixes de manière à soutenir les taux de change.

Comparativement à l'option monétaire, l'option consistant à établir les taux d'intérêt au niveau nécessaire pour soutenir des taux de change flottants est la meilleure.

Je ne répéterai pas les arguments avancés par Chris, avec qui je suis entièrement d'accord. Les structures économiques du Canada et des États-Unis sont très différentes parce que nous sommes très dépendants des produits de base et parce que le taux de change flottant sert d'amortisseur. Il a tout à fait raison de le dire. Encore dernièrement, le choc aurait été beaucoup plus grave pour le Canada si nous avions eu un régime de change fixe.

Il y a deux choses qu'il convient de souligner au sujet de l'expérience que nous avons vécue récemment dans le sillage de la crise asiatique. Une très forte majorité de Canadiens semblent croire que leur niveau de vie a beaucoup souffert de la dépréciation de notre devise—que nous sommes plus pauvres, collectivement, à cause de la chute du dollar. Mais ce n'est absolument pas vrai, en ce sens que cette baisse du dollar n'a pas ramené l'inflation au Canada, contrairement à ce qu'a dit M. Grubel. Ce qui veut dire que le pouvoir d'achat des Canadiens au Canada, avec des dollars canadiens, n'a à peu près pas changé pendant cette période. Il est vrai bien sûr que, dès qu'on sortait du pays, tout coûtait plus cher, mais le coût accru des intrants n'a pas fait grimper le coût de la vie ici au Canada.

Il est vrai aussi qu'il y a eu un prix à payer, en ce sens que nous avons dû exporter plus de biens et de services canadiens pour pouvoir importer la même quantité de biens et de services de l'étranger. Mais, dans la mesure où notre économie ne roulait pas à plein régime, dans la mesure où nous avions encore un taux de chômage relativement élevé—comme c'était le cas à ce moment-là—, la dépréciation du dollar était une bien meilleure option.

Il faut aussi se demander si la dépréciation du dollar, étant donné le taux de change flottant, avait un rapport avec la faible croissance de la productivité au Canada. Certains analystes ont affirmé que cela avait incité les producteurs canadiens à la paresse.

Il est très important de souligner qu'il y a bien des façons d'accroître la productivité. Permettez-moi de faire une analogie: si les deux moins bons marqueurs d'une équipe de hockey s'en vont, la moyenne grimpe. C'est la même chose dans le cas d'un pays. Quand on traverse une période de surévaluation du taux de change, et que les usines et les autres établissements les moins efficaces ferment leurs portes à cause de cela, la courbe de la productivité tend à monter, comme quand on établit une moyenne entre divers éléments plus forts. À mon avis, c'est ce qui s'est produit au Canada entre 1989 et 1992. Nous avons connu un regain temporaire de productivité parce que beaucoup d'usines ont fermé, mais cela n'a pas duré.

Quand je repense à cette période, je me dis que sa véritable importance, c'est que nous avons conclu le premier accord de libre- échange, puis l'ALENA, à un moment où la rentabilité des entreprises canadiennes était très faible à cause de ce taux de change surévalué. En fait, c'est seulement plus tard dans les années 90 que les entreprises canadiennes ont commencé à investir autant que les entreprises américaines l'avaient fait pendant cette période.

Je dirais donc, contrairement à M. Grubel... Il est vrai que la dépréciation du taux de change a permis à l'industrie automobile, par exemple, de réaliser des bénéfices extrêmement élevés. Mais il faut se demander ce qu'elle a fait de ces bénéfices. Et aussi ce que les autres entreprises ont fait de leurs profits pharamineux ces dernières années. On dirait bien que ces profits ne se sont pas traduits en dividendes élevés pour les actionnaires. Le taux de réinvestissement du capital a été extrêmement élevé au Canada pendant la deuxième moitié des années 90. Et, comme le montre le dernier rapport de la Banque du Canada au sujet de la politique monétaire, il semble que le niveau très élevé d'investissement de capitaux au cours des dernières années, depuis 1996 en fait, aura des répercussions importantes sur la productivité.

• 1605

Donc, en ce qui concerne l'augmentation de la productivité, l'expérience récente a démontré à mon avis que les avantages sont nettement supérieurs, à long terme, à ce qu'ils auraient été si nous avions eu un régime de change fixe. Dans un régime de ce genre, nous aurions peut-être vu beaucoup d'entreprises inefficaces fermer leurs portes, ce qui aurait fait grimper temporairement la productivité, mais les investissements à long terme dont nous avons vraiment besoin n'auraient pas été faits.

Ce sera tout pour le moment.

Le président: Merci beaucoup, monsieur Jackson.

Nous allons maintenant donner la parole à Pierre Siklos, professeur.

Soyez le bienvenu.

M. Pierre Siklos (témoignage à titre personnel): Merci de m'avoir invité. Je vous prie d'excuser les notes manuscrites, mais c'est seulement hier qu'ont été réglés les derniers détails concernant mon passage au comité.

Les trois thèmes sur lesquels se penche le comité ont des éléments communs. Je vais les aborder de manière générale, mais je vais surtout me concentrer sur le troisième thème qui est le plus intéressant. Par souci de gagner du temps, je ne vais pas parler de certains arguments que je partage et qui ont déjà été soulevés. Je vais me contenter d'évoquer certaines autres questions.

Comme Chris et Andrew l'ont mentionné, le Canada applique un taux de change flottant parce que ce régime a, de manière générale, donné de bons résultats pour notre pays. Je le conçois comme une sorte d'assurance contre les mauvaises surprises que Chris et Andrew ont évoquées. Aucune économie n'est à l'abri de ces mauvaises surprises, mais l'économie canadienne en a souffert particulièrement depuis quelques années.

En outre, notre économie est suffisamment différente de l'économie américaine sur le plan de la structure, pour que l'on continue à préconiser des taux de change flottants. Il est fort possible que la situation change à l'avenir, mais pour le moment, je ne vois pas de raison de modifier le régime actuel de change.

La création de l'euro explique en partie l'intérêt qu'a suscité l'idée d'une devise commune et l'adoption du dollar américain. Cependant, on connaît mal les motifs politiques qui sont à l'origine de la création de cette devise européenne unique. Au départ, l'idée des politiciens européens était de créer des États-Unis d'Europe et lorsqu'ils se sont rendu compte que l'idée n'était ni acceptable ni attrayante pour la population, ils se sont rabattus sur une deuxième solution, la monnaie unique. Je doute bien fort que les auteurs du traité de Maastricht avaient dans l'idée les critères d'une monnaie optimale lorsqu'ils ont rédigé le traité. C'est un document purement politique.

Par ailleurs, l'adoption du dollar américain ou l'adoption d'une nouvelle monnaie, comme le suggère le professeur Grubel n'empêcheraient pas la dévaluation de cette nouvelle monnaie face aux autres devises, y compris l'euro. Nous savons que depuis sa création, l'euro s'est considérablement déprécié. Que pourrait-on faire dans un tel cas? Se désolidariser tout simplement de cette nouvelle monnaie? Une fois que l'on décide d'adopter le dollar américain ou de créer une monnaie commune, il est impossible de revenir en arrière. Nous y serions liés pendant quelque temps. Par conséquent, la création d'une nouvelle monnaie ne permet pas de résoudre tous les problèmes.

Les marchés financiers étant de nos jours extrêmement intégrés, certains préconisent parfois de profiter de cette grande intégration pour modifier nos régimes monétaires en adoptant le dollar américain. En effet, c'est aux États-Unis que notre pays est le plus lié. Tout d'abord, il faut souligner que l'intégration des marchés financiers n'est pas un phénomène nouveau. On en parle depuis longtemps. Au début du siècle, on a assisté à une grande intégration du marché financier, puis cette tendance a ralenti. Par conséquent, ce n'est pas très nouveau.

Il est certain qu'un régime de change flexible permet au Canada d'adopter une politique monétaire qui, si nécessaire, peut être nettement différente de celle des États-Unis. Actuellement, les États-Unis et le Canada appliquent la même politique monétaire, cherchant à maintenir un taux d'inflation faible et stable et, avec une politique financière appropriée que l'on oublie souvent dans ces débats, ce sont deux politiques hautement souhaitables—de bonnes politiques monétaires et financières—la question du taux de change me paraît moins importante. Nous ne devrions pas trop nous en préoccuper. Dans la mesure où nous appliquons une bonne politique monétaire et une bonne politique financière, je ne pense pas que l'adoption d'une monnaie commune soit aussi importante que certains le prétendent.

Comme je l'ai dit un peu plus tôt, les conditions seront peut-être propices à une monnaie commune ou à l'adoption du dollar américain dans un avenir proche. Ce sera peut-être une option à envisager si les structures des deux économies deviennent suffisamment identiques.

• 1610

Mais enfin et surtout, M. Grubel a soulevé un certain nombre de questions extrêmement cruciales selon moi qui, si elles ne sont pas totalement écartées, sont considérées comme moins importantes. Si nous adoptons soit une monnaie commune, soit le dollar américain, ce sera selon quelles modalités institutionnelles? Serons-nous membres du FOMC? Le Canada serait-il une fédération régionale? Le Canada serait-il réparti en plusieurs fédérations régionales? Est-ce que la lutte à l'inflation serait écartée de la politique monétaire? Toutes ces questions sont cruciales et doivent être examinées.

J'aimerais, à ce sujet, reprendre les commentaires d'Andrew Jackson. Il citait Connie Mack, mais surtout Larry Summers, le secrétaire du Trésor américain qui a déclaré essentiellement, il n'y a pas très longtemps, qu'il ne voyait aucun inconvénient à ce que certains pays adoptent le dollar américain, mais qu'il n'était pas question de leur donner voix au chapitre pour définir la politique monétaire américaine.

Je vais m'arrêter là-dessus.

Le président: Merci, monsieur Siklos.

Nous allons commencer par M. Forseth.

M. Paul Forseth (New Westminster—Coquitlam—Burnaby, Alliance canadienne): Merci beaucoup.

Monsieur Grubel, vous avez fait une déclaration plutôt surprenante. À la page 2, vous écrivez: «À moins que l'on renonce au régime de change souple, la prochaine génération aura un dollar à 40 cents américains.» Et vous affirmez même qu'il pourrait tomber plus bas. Si les choses se passent ainsi, les employés à salaire horaire en paieront directement les conséquences. Cela se traduira par une perte salariale pour ceux qui peuvent le moins se le permettre.

Ensuite, à la page suivante, vous écrivez:

    Cependant, la main-d'oeuvre, les entreprises et l'ensemble du système économique dans les régions périphériques du Canada n'ont pas été autant poussés à s'adapter que ceux de la Californie. C'est le régime de change souple qui est à l'origine de ce climat au Canada, et un régime de change fixe permettra au Canada de se rapprocher de ce que l'on observe en Californie.

Dans un certain sens, vous vous élevez contre les programmes de DRHC connus sous le nom de Fonds transitoire pour la création d'emplois que je qualifie personnellement de programmes de bien-être social. La question est de savoir qui doit s'ajuster en premier.

Je ne peux m'empêcher de penser au jeu d'arcade qui consiste à taper avec un marteau sur des têtes qui ne cessent de se lever un peu partout. Dès que le joueur en a écrasé une, une autre se lève ailleurs. Le jeu consiste donc à taper sur toutes les têtes le plus vite possible, sans jamais savoir à quel endroit une autre tête va surgir. Cela ressemble un peu au scénario que vous décrivez.

Aussi, je vous pose la question générale suivante: Quel est notre avenir si nous ne changeons rien à la situation actuelle?

On peut opter tout simplement pour continuer à taper sur les têtes qui surgissent ici et là. En revanche, on peut peut-être envisager une autre option et essayer d'imaginer ce qui va se produire et quels en sont les coûts économiques. Quelle sera la meilleure option pour la santé économique des Canadiens moyens? Je pense aux travailleurs qui sont payés à l'heure. Dans leur cas, lorsque le dollar baisse, ils en subissent directement le contrecoup.

Pouvez-vous nous décrire ce qui arrivera si nous maintenons les conditions actuelles et nous brosser un tableau de la situation économique si nous adoptons certaines des options que vous proposez?

M. Herbert Grubel: Paul, merci beaucoup. Vous connaissez bien l'économie, puisque Milton Friedman a utilisé une analogie analogue au jeu que vous avez évoqué pour décrire la politique économique comme quelqu'un qui essaierait d'écraser un ballon de baudruche. C'est tout simplement impossible, car le ballon se faufile un peu partout entre les doigts.

M. Paul Forseth: C'est exact.

M. Herbert Grubel: Ce que je propose, c'est d'éliminer les dispositifs de stabilisation.

Pendant la période de l'après-guerre, Andrew Jackson et nous tous ici à cette table, nous aurions affirmé qu'il était impossible de viser la stabilité des prix, puisque le modèle keynésien avait démontré que l'inflation permettait de réduire le chômage; nous pensions qu'il était impossible d'équilibrer les budgets parce que nous avions besoin des déficits pour stimuler l'économie.

M. Paul Forseth: Pour amorcer la pompe.

M. Herbert Grubel: Un des vestiges de ce raisonnement est qu'il faut, pour éviter les perturbations, laisser aux politiciens toutes sortes de pouvoirs discrétionnaires. Je ne partage absolument pas ce point de vue.

Parmi ces dispositifs de stabilisation, il y avait le laisser- faire monétaire, l'inflation et les déséquilibres budgétaires. Il y a aussi la capacité à se servir du taux de change pour se faire réélire, etc.

J'ai assisté à un congrès en Allemagne. Un des orateurs était un professeur de Copenhague nommé Nils Thiegesen qui avait accompagné la Commission Delors avant qu'elle se prononce en faveur de l'union monétaire en Allemagne. Il racontait que les responsables des grandes banques à qui il avait parlé lui ont raconté que chaque fois que les politiciens les ont obligés par le passé à imprimer de l'argent pour les sortir d'une mauvaise situation dans laquelle ils avaient placé leur pays, ils savaient que ce n'était pas bon pour l'Italie, ni pour l'Angleterre. Ils voulaient se libérer des politiciens pour dire aux banques centrales ce qu'elles devaient faire; ils voulaient se débarrasser d'un des dispositifs de stabilisation.

• 1615

Voilà comment je conçois la situation, d'un point de vue de choix public et de théorie politique. Nous voulons éviter à tout jamais que Paul Martin puisse dicter la conduite à suivre au gouverneur de la banque centrale. Je pense qu'il serait utile de se défaire de ces dispositifs à long terme.

M. Andrew Jackson: Mais il me semble que cet argument nous ramène à l'étalon-or.

M. Herbert Grubel: Tout à fait et c'est ce que préconise Mundell.

M. Andrew Jackson: Mais vous n'abandonnez pas le contrôle politique de la politique monétaire; vous le remettez tout simplement à la Federal Reserve des États-Unis, c'est tout.

M. Herbert Grubel: Oui, mais il faut prendre en compte l'ensemble de la proposition. La banque centrale est maintenant sous l'influence du Congrès et est tenue de viser à la fois la stabilité monétaire et le plein emploi, alors que la nouvelle banque centrale, comme en Europe, aurait, d'après moi, une constitution en vertu de laquelle elle ne serait pas tenue de viser le plein emploi. Elle aurait simplement pour mission de maintenir des prix stables.

M. Paul Forseth: J'ai certainement posé la bonne question, puisqu'elle suscite le débat contradictoire que nous voulions justement soulever en vous invitant aujourd'hui. Peut-être que M. Ragan et M. Siklos voudront eux aussi donner leur son de cloche.

M. Christopher Ragan: Certainement.

Herb Grubel sait certainement que ce même Milton Friedman qui nous a appris, il y a de nombreuses années, dans son célèbre message présidentiel, que l'inflation ne réduit pas en fait le chômage—et nous partageons probablement tous ce point de vue—a écrit aussi un document qui compte parmi ses plus célèbres, intitulé The Case for Flexible Exchange Rates. Je pense que Milton Friedman aurait fait la même distinction que Herb Grubel, la distinction entre avoir des taux de change flexibles dans un monde où la politique monétaire est crédible et tout simplement une politique monétaire non crédible.

Je serais le premier à appuyer ce que Herb Grubel préconise véritablement... Il préconiserait probablement d'accorder à la banque centrale une plus grande indépendance qu'actuellement. Je peux comprendre un tel raisonnement. Je peux voir également que depuis dix ans, nous avons probablement une assez bonne politique monétaire et le système actuel de partage de la responsabilité entre la Banque du Canada et le ministère des Finances donne d'assez bons résultats. Mais tout cela est bien différent d'un taux de change flexible dans la mesure où l'on applique une politique monétaire crédible.

Herb Grubel a évoqué les pressions que peuvent subir une banque centrale ou un gouvernement au sujet du taux de change. Je suis le premier à recommander que la banque centrale ne joue pas avec le taux de change, que ce soit pour réélire le gouvernement ou pour faire élire le parti de l'opposition. Cependant, je ne pense pas que nous ayons connu une telle situation.

Depuis huit ans, la Banque du Canada lutte efficacement contre l'inflation et je crois que Herb Grubel a déclaré un peu plus tôt que le Canada a appliqué une bonne politique monétaire. Rien ne semble indiquer que la Banque du Canada ait tenté de manipuler les taux de change. Au contraire, elle a autorisé leur fluctuation. Je ne dis pas qu'elle s'est abstenue de toute intervention, mais la Banque du Canada a laissé les forces du marché déterminer librement les taux de change.

M. Paul Forseth: Je vois que M. Siklos ronge son frein.

M. Pierre Siklos: Je crois que Chris a anticipé quelques-unes de mes remarques. Je vais simplement ajouter deux points.

Tout d'abord, je ne suis pas certain d'avoir bien compris les commentaires d'Herb Grubel au sujet de la manipulation des taux de change. Je sais que le taux de change flottant du Canada a fait de temps à autre l'objet d'interventions de la part de la Banque du Canada, mais la banque elle-même a admis et je pense que la démonstration en a été convaincante—et c'est vrai également en Europe—que l'intervention au niveau du taux de change ne donne tout simplement pas les résultats escomptés. Par conséquent, je ne pense pas qu'il y ait de manipulation évidente de la part de Paul Martin ni de quiconque.

• 1620

J'ajouterais par ailleurs que, dans tous les pays, c'est le gouvernement qui détermine le régime du taux de change. Il y a quelques pays où ce n'est pas le cas, mais je ne vois pas comment ses propositions pourraient changer cette situation.

Mon deuxième commentaire se rapporte à l'exemple de la Californie. Herb Grubel a aimablement accepté l'invitation de notre université à venir prononcer une conférence en janvier. Nous avions invité plusieurs économistes distingués, dont Herb, à une tribune publique. Il a cité l'exemple de la Californie, mais il oublie un facteur que possède la Californie et qu'une monnaie commune, que ce soit le dollar américain ou une monnaie appelée «Amero», ne saurait nous donner. Je veux parler de la mobilité de la main-d'oeuvre. Lorsque l'économie de la Californie a périclité, il y a eu un exode net et énorme.

M. Herbert Grubel: C'est faux.

M. Pierre Siklos: Non, c'est exact.

M. Herbert Grubel: Les faits prouvent que c'est faux.

M. Pierre Siklos: Je ne suis pas d'accord.

M. Herbert Grubel: Le taux de migration d'entrée a diminué.

M. Pierre Siklos: Même si je me range à vos arguments, il faut reconnaître que la mobilité de la main-d'oeuvre existe bel et bien. Les gens qui ne veulent pas rester en Californie peuvent aller n'importe où ailleurs aux États-Unis. Je doute fort que nous ayons cette possibilité—vous connaissez l'accord de libre-échange aussi bien que moi—si nous adoptions le dollar américain ou l'Amero, nous ne disposerions pas d'une mobilité parfaite qui nous permettrait de nous établir partout aux États-Unis.

C'est en fait un des critères cruciaux de la monnaie optimale.

M. Herbert Grubel: Me donnez-vous une seconde pour répondre?

Le président: Absolument et je pense que vous pouvez même prendre plus d'une seconde.

M. Herbert Grubel: Vous savez, je peux être bref et obscur, ou donner une réponse plus longue.

Quand on regarde bien la Californie, on se rend compte qu'elle a une énorme infrastructure. Où qu'on aille, là-bas, on est impressionné par le réseau routier et toute l'infrastructure. C'est une région absolument énorme.

Lorsque la croissance ralentit, est-ce qu'il serait utile pour la société que les travailleurs puissent quitter leurs maisons, débrancher leurs téléphones et abandonner leur infrastructure et le reste pour s'installer en Arizona et refaire une nouvelle vie? Je ne vois pas pourquoi les travailleurs voudraient s'en aller. Ce qui s'est passé en Californie, c'est que les industries qui ont des coûts d'immobilisations moins élevés qu'au Canada ont découvert qu'il existait là-bas des travailleurs extrêmement qualifiés, une infrastructure très efficace et enfin, une main-d'oeuvre qui ne demandait qu'à s'étendre. Elles ont opté pour la Californie.

Regardez par contraste ce que nous faisons ici. Nous nous apitoyons sur Terre-Neuve et nous affirmons qu'il est impossible de changer d'industrie. Alors nous disons: «Voici de l'argent. Restez où vous êtes et, puisque vous êtes pauvres, tâchez de rester pauvres. Nous allons vous donner de l'argent pour rester tranquillement dans votre coin.»

C'est totalement insensé. Il y a eu beaucoup d'immigration et cela n'a donné aucun résultat. L'immigration n'est pas nécessairement un facteur d'ajustement.

Deuxièmement, j'aimerais replacer le débat avec Milton Friedman dans une perspective historique. J'ai eu le grand privilège d'être assistant à l'Université de Chicago à l'époque.

Les années 30 ont été catastrophiques pour l'Occident. C'était la course à la dévaluation et tout le monde était en faveur d'un régime de taux de change fixe. Les arguments que j'avance maintenant étaient présentés indirectement à l'époque. Les accords de Bretton Woods étaient censés aller en ce sens. C'était un compromis politique avec les Américains.

Cependant, dès les années 60, on commençait déjà à noter des problèmes dans l'application du taux de change fixe basé sur un étalon-or au prix fixé de manière permanente. J'ai écrit des ouvrages sur ce sujet.

C'est alors que Milton Friedman a publié l'article mentionné, un article célèbre, en faveur d'un taux de change flexible. Le monde entier a applaudi la solution qu'il proposait.

Les politiciens l'ont adoptée avec enthousiasme parce que le taux de change flexible les libérait enfin des contraintes que leur imposait le taux de change fixe. Ils pouvaient accumuler des déficits et laisser augmenter l'inflation afin de produire une économie prospère comme l'avait prédit Keynes.

Bob Mundell a écrit alors un très court article intitulé «The Optimum Currency Area Theory» dans lequel il disait... Et j'ai demandé moi-même à Milton Friedman comment il répliquerait au point suivant de Mundell: Si le taux de change flexible que vous proposez est si extraordinaire, pourquoi s'arrêter aux frontières des pays existants? D'après l'argument de mes trois collègues, Terre-Neuve n'aurait-elle pas été avantagée par un taux de change flexible et un dollar terre-neuvien? Son économie aurait été florissante.

Et pourquoi s'arrêter à Terre-Neuve? Pourquoi pas un taux de change flexible pour Hull? Si la région de Hull éprouvait des problèmes économiques, elle ferait merveille avec un taux de change flexible.

• 1625

Déjà McKinnon, qui était mon collègue à Stanford, affirmait que cela fonctionnerait seulement si les travailleurs acceptaient l'illusion monétaire. S'ils acceptent des salaires réels plus bas, ils acceptent de travailler dans d'autres industries seulement s'ils se contentent de ces salaires à cause de l'inflation, plutôt que de manière endogène. Ce n'est pas ce que produisent ces systèmes.

Nous avons adopté un taux de change flexible. Il n'a rien fait pour améliorer le taux moyen de chômage au Canada. Il n'a pas eu les effets que l'on prévoyait, tout comme les déséquilibres monétaires et budgétaires n'ont pas résolu le problème. Ce sont des problèmes structuraux et je pense que pour résoudre les problèmes structuraux, il faut que les institutions des pays concernés soient tenues par les marchés de prendre les bonnes décisions.

M. Christopher Ragan: J'aimerais revenir à ce que Herb Grubel a déclaré au début de son exposé, lorsqu'il a parlé de l'Argentine ou peut-être du Brésil. Là encore, il y a confusion et cela nous ramène aux commentaires de Friedman. Si le seul moyen pour une banque centrale d'acquérir de la crédibilité consiste à fixer son taux de change ou à appliquer un étalon-or ou à adopter une autre monnaie, alors, elle a peut-être une très bonne raison de procéder ainsi.

À la fin de mes commentaires, j'ai posé la question suivante: Est-ce qu'un taux de change fixe peut se justifier? Je dis que oui. Si une banque centrale manque de crédibilité, la fixation d'un taux de change, comme l'a fait le Brésil—c'était un type de taux de change fixe—ou l'instauration d'une caisse d'émission, comme l'a fait l'Argentine, ou la dollarisation, comme l'a fait le Panama, sont de très bons moyens pour une banque centrale d'acquérir une crédibilité instantanée.

Je ne pense pas que ce soit la bonne question à poser au Canada en l'an 2000. Je pense qu'il faut plutôt faire un tour d'horizon et se demander si nous avons au Canada une banque centrale dont la position vis-à-vis de l'inflation a suffisamment de crédibilité. Je pense que la plupart des personnes ici présentes constateront avec enthousiasme que depuis huit ou dix ans, la Banque du Canada a trop de crédibilité dans sa lutte contre l'inflation. On pourrait avoir un débat sur le sujet, mais la plupart des banques centrales du monde reconnaissent que la Banque du Canada a adopté officiellement des cibles de maîtrise de l'inflation et les a respectées. Certains prétendront que la Banque du Canada a gardé l'inflation à un niveau trop bas, mais tout le monde doit reconnaître qu'elle est parvenue à maintenir l'inflation à un niveau faible et relativement stable.

Je ne pense pas que la Banque du Canada ait besoin d'un taux de change fixe ou d'un étalon-or ou d'une monnaie commune pour avoir de la crédibilité. La Banque du Canada a déjà établi sa crédibilité.

Il est possible que la Banque du Canada perde prochainement une partie de cette crédibilité. Je ne sais pas comment cela pourrait se produire, mais on peut imaginer que Paul Martin pourrait intervenir auprès du gouverneur et exercer sur lui des pressions. Je ne pense pas que cela puisse arriver et je crois qu'il n'y a personne ici à imaginer une telle chose.

À mon avis, la Banque du Canada n'a pas besoin d'une plus grande crédibilité. Elle ne bricole pas les taux de change. Elle applique les cibles qu'elle s'est fixées en matière de maîtrise de l'inflation et elle obtient de bons résultats.

J'aimerais maintenant passer à la deuxième question et examiner pourquoi les provinces canadiennes n'ont pas de monnaie distincte ou pourquoi Hull n'a pas une monnaie séparée. Nous revenons à la théorie des zones monétaires optimales de Mundell pour laquelle il a mérité à juste titre le prix Nobel l'an dernier.

Il est vrai que les régions canadiennes ont des économies de structure différente et il est vrai que Terre-Neuve aurait certains avantages, comme je l'ai indiqué à avoir une monnaie différente de celle de la Saskatchewan. Tant que le cours mondial de la morue évoluerait de manière différente du prix du blé, il y aurait certains avantages à adopter des monnaies différentes.

M. Lorne Nystrom (Regina—Qu'Appelle, NPD): Même chose pour la potasse.

M. Christopher Ragan: La potasse ou le gaz naturel et le pétrole.

Cependant, la théorie de la zone monétaire optimale ne se limite pas à cela, elle vise à équilibrer deux forces. Prenons deux régions qui commercent entre elles. D'après la théorie de Mundell, plus ces deux régions ont d'échanges commerciaux, toutes choses étant égales par ailleurs, plus elles bénéficient d'une monnaie commune, pour la raison évidente qu'il y a des coûts liés au change et des coûts liés à la volatilité qu'entraîne un taux de change flexible. Par ailleurs, il est tout à l'avantage des régions de disposer de monnaies distinctes et d'un taux de change flexible lorsqu'elles traversent des situations économiques difficiles. C'est l'argument de l'amortisseur que j'ai évoqué un peu plus tôt.

• 1630

Si vous voulez justifier pour des raisons économiques une monnaie commune pour les diverses régions du Canada, vous pouvez avancer sans doute qu'en raison des nombreux échanges commerciaux entre les différentes provinces, les avantages d'une monnaie commune l'emportent souvent sur les avantages d'avoir des monnaies différentes pour Terre-Neuve et la Saskatchewan. On peut reprendre le même argument pour le Canada et les États-Unis. J'ai souligné par exemple que le Canada et les États-Unis ne constituent probablement pas une zone monétaire optimale. Il est probablement tout aussi vrai que les États-Unis ne sont pas une zone monétaire optimale, et pourtant ils sont une zone de monnaie commune. C'est probablement aussi le cas pour le Canada.

On est donc justifié de se poser les questions suivantes: Quelle est la zone monétaire la meilleure parmi les choix dont nous disposons? Dans le cas du Canada et des États-Unis, la question est de savoir si la zone constituée par le Canada plus les États-Unis est meilleure que le statu quo qui représente uniquement la zone constituée par le Canada. À mon avis, la structure de l'économie canadienne est si différente de la structure de l'économie américaine qu'il paraît insensé de nous lier à la monnaie américaine, précisément parce que cela élimine l'effet d'amortisseur du dollar canadien.

M. Herbert Grubel: J'aimerais ajouter un petit commentaire. Mundell a écrit cet article puis s'est retiré pendant quelque temps. Il n'a jamais participé aux recherches que Christopher a citées. Il n'a jamais écrit aucun article sur ce sujet.

Dans ce volume, il y a des références aux trois articles publiés dans The Wall Street Journal par Bob Mundell dans lequel il désavoue tous les arguments présentés par Christopher et prend ses distances à leur égard. Dans le dernier article qu'il a publié dans The Wall Street Journal, il révèle qu'il voyage un peu partout dans le monde et que depuis qu'il a remporté le prix Nobel, il est absent de chez lui et dort à l'hôtel les trois quarts du temps. Il affirme que nous avons besoin d'une organisation, d'une entente entre la zone euro, la zone du dollar américain et la zone du yen pour maintenir des taux de change fixes. Voilà la position de Mundell.

Il est convaincu que tous les arguments que j'ai présentés sont déséquilibrés. Aucune des trois zones ne précise les avantages d'un taux de change fixe. Il y a d'extraordinaires avantages microéconomiques qui sont totalement oubliés dans cette discussion.

M. Christopher Ragan: J'ai commencé par parler de ces avantages.

M. Pierre Siklos: L'idée d'un bloc commun n'est pas nouvelle. Cela a déjà été fait. C'est une formule qui a déjà été appliquée dans les années 80. La raison pour laquelle c'est un échec, vient du fait qu'il y a toujours un choc qui force un des membres du bloc à se désister ou à tricher par rapport à l'arrangement initial. Ce problème demeurera tant qu'il n'y aura pas de monnaie unique dans la zone yen, la zone euro et en Amérique du Nord. Le fait est qu'à travers l'histoire, tous les régimes de taux de change fixe que l'on a pu imaginer n'ont jamais survécu et n'ont généralement pas duré longtemps.

M. Andrew Jackson: On peut quand même préconiser une plus grande parité fixe ou stable entre le dollar, l'euro et le yen. Je pense que les modalités instaurées après la guerre ont été très utiles pour garantir des relations stables entre les monnaies.

Je ne sais pas si c'est possible d'appliquer de telles modalités dans un monde qui connaît de tels mouvements de capitaux entre les pays, mais je pense que c'est extrêmement difficile. À supposer que le ministre des Finances de ces trois zones se réunissent pour annoncer l'élimination des taux de change, je ne sais pas comment cela serait possible sans imposer de sévères contrôles aux mouvements de capitaux entre les pays. C'est une chose que je serais prêt à envisager, mais sans doute pas vous.

Cela soulève une autre question importante au niveau mondial. Quel serait le taux de change entre l'euro, le dollar américain et le yen? En Europe aujourd'hui, tout le monde parle du grand succès de l'euro. Or, la réalité est tout autre et en Europe, tout le monde ou presque panique de voir l'euro se déprécier par rapport au dollar américain. Cette situation est probablement tout à fait normale à l'heure actuelle, puisque les taux de croissance sont beaucoup plus lents en Europe. Cette dépréciation de la monnaie va permettre aux Européens d'accéder à une croissance plus rapide. La croissance américaine va ralentir, ce qui est tout à fait normal.

• 1635

Le fait de laisser les monnaies flotter les unes par rapport aux autres permet en fait d'exercer un rôle important d'équilibre de l'économie mondiale. Ce n'est peut-être pas le meilleur mécanisme, le meilleur étant peut-être un taux de change fixe, mais je ne sais pas comment faire pour l'appliquer dans un univers de mouvements massifs de capitaux. Je ne pense pas que ce soit envisageable.

Le président: Merci.

Monsieur Ragan, est-ce que vous avez quelque chose à ajouter?

M. Christopher Ragan: Oui, un dernier commentaire rapide. Au début de mon intervention, j'ai dit combien ce débat était trompeur, dans le sens que les avantages des taux de change fixes sont faciles à comprendre, alors que les avantages des taux flexibles ne le sont pas.

L'autre aspect intéressant de ce débat est que ce n'est pas très empirique, comme vous l'avez remarqué. Tout cela est très théorique. Personne ne nous donne des statistiques pour nous dire quelles sont les conséquences. C'est un des problèmes du débat. Je pense que nous connaissons les avantages des taux de change fixes sur le plan de l'incertitude des taux de change, des échanges commerciaux et des investissements. Cependant, personne ne cite jamais un ordre de grandeur.

Je pense que les inconvénients d'un taux de change fixe ou les avantages de la flexibilité se font sentir au niveau de l'effet d'amortisseur dont j'ai parlé. Personnellement, je n'ai jamais lu une étude qui quantifie ces effets. Un des problèmes est qu'il est extrêmement difficile d'évaluer les effets de manière empirique.

Pour terminer, je dirais que même si ce n'est pas dans l'intérêt du Canada d'adopter dès aujourd'hui des taux de change fixes ou une monnaie commune, cela ne signifie pas nécessairement que la situation sera identique dans dix ans. Le Canada reste un exportateur de produits primaires et le demeurera probablement—tout au moins autant que maintenant—et si le prix mondial des matières premières devient moins volatil au fil des années et que le commerce entre le Canada et les États-Unis augmente, comme on peut le prévoir, il se pourrait très bien que d'ici dix ans, le Canada et les États-Unis deviennent une zone monétaire propice.

Voilà un des aspects qu'il faudra examiner tous les cinq ans.

Le président: Quelle est la probabilité que cela se produise?

M. Christopher Ragan: Très bonne.

Le président: Les changements...

M. Christopher Ragan: La volatilité des prix des matières premières...

Le président: La possibilité que l'économie nord-américaine soit si intégrée qu'en fait l'économie du Canada...

M. Christopher Ragan: Il devient avantageux...

Le président: ... devienne très semblable à celle des États-Unis.

M. Christopher Ragan: Je dirais que la probabilité est bonne. En revanche, je ne sais pas dans combien de temps. Est-ce qu'il y aura une augmentation des échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis? Absolument. Est-ce qu'il y aura une augmentation des investissements entre le Canada et les États-Unis? Absolument. Ce mouvement est déjà en marche.

Le président: Très bien. Reste à savoir si l'on veut anticiper cette situation ou non.

M. Andrew Jackson: Il y a un aspect que l'on néglige souvent au sujet du Canada. Nous savons tous que la part que le commerce occupe dans le PIB a nettement augmenté. Ce que je veux dire par là, c'est que notre dépendance à l'égard des matières premières a remarquablement diminué au fil des ans. Le secteur des ressources et les biens et services achetés dans les autres secteurs de l'économie sont demeurés très constants depuis une décennie et plus.

On l'oublie souvent parce que les produits à plus grande valeur ajoutée représentent une part plus grande de nos exportations. C'est vrai, mais l'ensemble de nos exportations a également augmenté. Par conséquent, si l'on replace tout cela dans la structure de l'économie, on s'aperçoit qu'elle n'a pas beaucoup changé. Peut-être faudrait-il...

M. Herbert Grubel: Si nous n'avions pas eu un taux de change flexible pour protéger ces secteurs, nous aurions eu la main-d'oeuvre, les ressources disponibles pour instaurer une industrie de la haute technologie.

M. Andrew Jackson: Oui et je pense que c'est vrai. Si nous avions adopté il y a dix ans un taux de change fixe, nous aurions probablement eu un secteur des ressources plus restreints. Nous aurions peut-être eu aussi une économie beaucoup plus faible...

M. Herbert Grubel: Pas du tout, nous aurions peut-être eu plusieurs secteurs technologiques comme celui d'Ottawa.

Le président: Il faudrait définir les différents scénarios possibles, ou tout au moins tenter de faire un pronostic.

Monsieur Marceau, puis Mme Redman, M. Nystrom et M. Szabo.

M. Lorne Nystrom: Paul aimerait savoir s'il a déjà utilisé ses dix minutes.

Le président: Eh bien, cela veut dire qu'il a été très présent!

• 1640

[Français]

M. Richard Marceau (Charlesbourg, BQ): Je vous remercie tous les quatre de votre présence ici. C'est un débat fascinant. Je vais d'abord aborder un point que vous avez soulevé, monsieur Ragan, quand vous avez dit qu'il est difficile d'être scientifique parce qu'on manque de chiffres. Voilà, à mon avis, une des raisons pour lesquelles le débat est très politique. Il n'est pas seulement économique, mais aussi très politique.

C'est aussi une des raisons pour lesquelles ce qui se passe ici aujourd'hui est très significatif et très important. Le 11 mai dernier, au Parlement du Canada, le Comité des finances de la Chambre des communes a étudié la possibilité que le Canada crée une union monétaire avec les États-Unis. Ce n'est quand même pas rien. Au coeur même du pouvoir décisionnel du Canada, un des pays du G-7, on parle de laisser tomber le dollar pour créer une autre monnaie ou adopter celle d'un pays voisin. Ce n'est pas rien, et je crois que cela mérite d'être souligné.

Professeur Grubel, il y a a un petit commentaire que j'ai vu dans le document que vous avez écrit et que j'ai bien aimé. Vous mentionnez, à la toute fin, trois obstacles à l'union monétaire. J'en ajouterais un autre, qui est aussi un peu politique. C'est le fait que les gens, au Canada, qui ont avancé l'idée de l'union monétaire avec les États-Unis sont les souverainistes du Québec. C'est dommage, mais cela a créé jusqu'à un certain point le sentiment que cette idée des souverainistes était intrinsèquement mauvaise pour le reste du Canada. C'est un aspect qui a joué, de même que le fait que le Bloc québécois a adopté, en janvier dernier, l'idée d'une union monétaire nord-américaine dans son programme.

Professeur Ragan, j'ai une question pour vous. Quelque part dans votre présentation, vous dites que le fait que le dollar canadien a été si bas a été bon pour l'économie canadienne parce que cela a permis une hausse des exportations.

Ne croyez-vous pas qu'un dollar canadien aussi bas que celui qu'on a connu, et qu'on connaît toujours, agit un peu comme une drogue? À court terme, c'est bon pour les exportations, mais à moyen et à long terme, c'est très mauvais, d'abord parce que les entreprises canadiennes s'assoient sur cet avantage compétitif, n'investissent pas en recherche et développement et ne cherchent pas à augmenter leur productivité. Donc, l'écart de productivité entre le Canada et les États-Unis, dont le Canada souffre déjà, va en s'accroissant parce que les entreprises canadiennes se disent que le dollar canadien est bas, qu'elles sont protégées et qu'elles ont donc moins d'investissements à faire.

C'est peut-être un avantage à court terme, mais est-ce que cela ne pourrait pas être dévastateur à moyen ou à long terme, le jour où le dollar canadien reprendrait sa valeur, que tout le monde fixe autour de 75 ¢ ou 80 ¢ US?

[Traduction]

M. Christopher Ragan: Je pense que c'est une question parfaite et la distinction que vous faites entre les avantages de la souplesse à court terme et les coûts possibles de la productivité à long terme est un point très important, une possibilité très importante. C'est une possibilité intéressante qui n'a surgi que très récemment, je crois, dans le débat.

La productivité est une chose mystérieuse pour les économistes tout comme le rapport entre les taux de change et la productivité. C'est la façon dont j'essaierais de m'expliquer et d'expliquer à mes étudiants la question que vous venez de poser.

Les économistes croient depuis longtemps qu'ils comprennent plus ou moins les causes des changements dans les taux de change, et la productivité en fait partie. Donc, une amélioration soudaine de la productivité devrait normalement entraîner une augmentation du dollar canadien. C'est une relation de cause à effet entre la productivité et les taux de change avec laquelle les économistes sont assez à l'aise.

• 1645

La relation opposée est celle dont vous parlez—la relation entre le dollar, le taux de change et la productivité. La productivité en elle-même est une chose dont nous, les économistes, ne comprenons pas vraiment tous les tenants et les aboutissants. Nous avons de belles théories et de beaux graphiques, mais les causes des variations de la productivité demeurent un des mystères de l'économie.

L'idée, c'est qu'un dollar à bon marché—la théorie du dollar paresseux dont parlait Herb Grubel—peut inciter les entreprises, les entrepreneurs, à profiter de la dépréciation du dollar pour s'enrichir paresseusement sans apporter aucune amélioration à la productivité. Cela peut les amener à ne pas innover, à ne pas faire preuve du dynamisme que nous souhaitons pour notre économie. C'est une possibilité distincte.

Le problème nous ramène à ce que je disais tout à l'heure à propos des chiffres. Nous avons des données qui n'ont rien de scientifique—on peut en avoir des tas sur à peu près n'importe quoi—mais pas vraiment de chiffres. Je ne nie rien. En fait, je pense que le rapport entre la productivité et le dollar et entre le dollar et la productivité—ce qu'un économiste appellerait un système simultané—est une question qui mérite d'être approfondie. À mon avis, le lien qui existe entre le dollar et la productivité devra être examiné d'assez près avant qu'on puisse répondre à cette question.

Mais est-ce une possibilité? Absolument.

[Français]

M. Richard Marceau: On a beaucoup parlé de théories. Il y a un problème auquel on fait face et dont vous n'avez pas beaucoup parlé, messieurs Jackson, Ragan et Siklos, mais auquel M. Grubel a un peu touché. Je vais vous demander de regarder dans votre boule de cristal. J'ai vu quelque part que quelqu'un disait: Economists were put on this planet to make astrologers look good. C'est peut-être vrai.

On sait que l'Argentine prend en considération la dollarisation et que les deux principales organisations d'affaires du Mexique parlent aussi de dollarisation. Le Panama est déjà dollarisé. D'ailleurs, les 23 et 24 juillet 1999, un séminaire s'est tenu sous les auspices de la Banque interaméricaine de développement au Panama sur la possibilité, pour l'Amérique latine, de se dollariser.

Qu'est-ce qui arrivera si cinq, six, huit ou dix pays d'Amérique latine décident de se dollariser, que le dollar américain est adopté par plusieurs pays dans la Zone de libre-échange des Amériques vers laquelle on se dirige d'ici 2004, et que le Canada ainsi que quelques autres micro-pays à côté ne sont pas dans le même train? Est-ce qu'il n'y a pas danger que le Canada laisse filer le train de l'union monétaire avant même d'avoir pensé à prendre son billet?

[Traduction]

M. Andrew Jackson: C'est ce que d'autres ont dit, mais je pense que la plupart d'entre nous s'entendent pour dire que le principal attrait de la dollarisation dans le cas de l'Argentine, de l'Équateur et d'autres pays était en fait que les investisseurs étrangers, les marchés de capitaux et ainsi de suite se doutaient bien qu'on n'imprimerait tout simplement pas plus d'argent pour régler les problèmes économiques étant donné les antécédents de taux d'inflation très élevés. On pourrait se demander si l'Argentine a eu raison d'adopter le dollar comme monnaie. En réalité, l'Argentine et la plupart des pays d'Amérique du Sud commerçaient à peu près autant avec l'Europe qu'avec les États-Unis de sorte que c'est discutable de ce point de vue.

L'Argentine a reçu un dur coup lorsque le Brésil a dévalué sa monnaie parce qu'il y avait beaucoup d'échanges entre les deux pays et elle en a beaucoup souffert. Elle a dû faire face à un moment donné à des taux d'intérêt très élevés. Quand on regarde l'Amérique latine, on se dit que l'Argentine avait peut-être ses raisons, vu ses antécédents de très forte inflation, mais il est loin d'être clair même dans ce cas-là que c'était la bonne décision. Elle a peut-être été forcée à la prendre, mais pourquoi devrions-nous l'être?

• 1650

Dans le cas de l'Amérique du Sud, la raison n'est pas nécessairement l'intégration commerciale avec l'Amérique du Nord. Je ne pense pas que ce soit là l'argument. La question s'est posée en raison de la crise qu'ont entraînée des mouvements rapides de capitaux entre les pays et parce qu'on cherchait un moyen de s'en protéger. En réalité, comme Herb l'a dit aussi, une des principales leçons tirées récemment de la crise asiatique est qu'on connaît maintenant les dangers d'un taux de change fixe. Les pays d'Asie qui avaient un taux fixe par rapport au dollar ont vraiment été échaudés. Ce n'est pas qu'on risque de laisser filer le train, mais plutôt qu'on recherche une certaine stabilité.

[Français]

M. Richard Marceau: Mais est-ce qu'il n'y a pas un danger? Malgré le travail supposément très bon de la Banque du Canada au cours des dix dernières années, il y a quand même ce que j'appelle une dollarisation sournoise ou, en anglais,

[Traduction]

a creeping dollarization

[Français]

au Canada, en ce sens que de plus en plus de dépôts, même dans les banques canadiennes, se font en dollars américains. On parle d'une commodity-based economy, d'une économie de richesses naturelles. De plus en plus de grandes entreprises fonctionnent en dollars américains, et la force du marché est telle que le danger existe qu'une partie importante de l'économie canadienne se dollarise de facto, pendant que nous, au Parlement ou dans la fonction publique, on se dit que ce n'est pas un débat qui nous intéresse, que nous avons une bonne monnaie, que nous sommes un pays du G-7, etc.

Vous dites, monsieur Ragan, qu'on se dirige vers une intégration Canada—États-Unis de plus en plus grande. M. le président vous a demandé si, finalement, il valait la peine de devancer ou de suivre le mouvement. C'est la question qu'on doit se poser.

Est-ce qu'on ne doit pas se dire que, s'il est probable que cela se produise d'ici 15, 20 ou 25 ans, il vaut mieux qu'on se positionne? Si cela doit arriver de toute façon, essayons au moins de contrôler la façon dont cela va se faire.

M. Pierre Siklos: Je vais essayer de répondre en français. Revenons à la question des pays d'Amérique latine, d'Amérique du Sud. Pour eux, il était moins important de perdre la souveraineté monétaire que de perdre les investissements et la confiance des marchés internationaux. On doit se demander si on veut perdre notre souveraineté monétaire. Telle est la question.

M. Richard Marceau: Est-ce qu'on a véritablement une souveraineté monétaire?

M. Pierre Siklos: Je pense que oui.

M. Richard Marceau: Je n'ai pas votre background. Je ne suis pas économiste. Toutefois, ce matin, en me levant, j'ai entendu dire partout que la Fed allait augmenter ses taux d'intérêts de 0,5 p. 100 et que la Banque du Canada ferait de même dans les heures suivantes.

J'ai fait sortir ce qui s'est passé au cours des 50 dernières années, et c'est un peu la même chose: la Fed faisait quelque chose et nous suivions, sauf peut-être sous John Crow. Je ne suis pas sûr que ce soit nécessairement la politique que l'on souhaite, puisque cela a sonné une made-in-Canada recession, finalement.

M. Pierre Siklos: D'abord, on ne suit pas toujours. Deuxièmement, on suit parce que, heureusement, les conditions économiques sont semblables aux État-Unis et au Canada. Donc, c'est normal qu'on hausse les taux d'intérêts aussi. Comme l'a fait remarquer M. Ragan, on a quand même une certaine souveraineté monétaire, comme la réaction à la crise asiatique l'a démontré, d'après moi.

Le président: Monsieur Grubel.

[Traduction]

M. Herbert Grubel: J'aurais juste quelques brefs commentaires à faire.

J'ai parlé à quelqu'un qui était très intéressé par une union monétaire et par la dollarisation en Amérique centrale. Il a dit que tout cela est arrivé parce qu'on s'est aperçu d'une chose. Tous les pays d'Amérique centrale ont eu au cours des 30 dernières années de mauvais présidents qui ont ruiné l'économie, mais il y a un pays où la capacité du président de tout gâcher était limitée, et c'est le Panama. Le Panama n'avait pas de banque centrale qu'un mauvais président aurait pu utiliser pour mettre le pays sens dessus dessous.

• 1655

L'autre chose que j'aurais à dire, c'est que l'Argentine avait une dynamique politique qui s'explique par le fait que des gens au pouvoir avaient étudié dans les universités américaines et comprenaient le rôle des marchés dans la prospérité d'un pays. Ils ont fait des changements institutionnels, des changements politiques. Le problème, c'est que dans de tels pays, ces choses ne sont pas acceptées universellement. Un démagogue peut s'amener—comme c'est arrivé plusieurs fois en Argentine—et tout détruire.

La dollarisation couronne les changements qui ont été apportés et les rend plus permanents. Ce n'est pas qu'on ne peut pas s'en débarrasser à un moment donné, mais c'est beaucoup plus difficile.

Je dirais qu'au Canada nous avons pris la même voie que l'Argentine. Nous ne sommes jamais allés aussi loin, mais j'aimerais bien que nous ayons une espèce de couronnement—que nous puissions faire davantage confiance aux marchés—et empêcher les néo-démocrates, lorsqu'ils seront au pouvoir, de tout gâcher.

M. Andrew Jackson: Mais est-ce qu'on peut parler de démocratie?

Le président: N'avez-vous pas parlé des présidents dans tous vos exemples? Nous avons un premier ministre et nous sommes Canadiens.

M. Herbert Grubel: C'est une question très intéressante. Et la démocratie?

Une voix: Je suis inquiet, monsieur, et je suis Canadien. Non?

M. Herbert Grubel: C'est un point très important. Et la démocratie, comme le disait Andrew? Pourquoi avons-nous une Charte des droits et libertés? C'est parce que nous pensons qu'il faut imposer des contraintes aux politiciens pour qu'ils ne puissent pas adopter certains types de loi qui équivaudraient à exploiter la minorité et ainsi de suite. Nous acceptons cela. Nous pensons maintenant que toutes les démocraties doivent avoir une charte ou constitution afin qu'il y ait des contraintes.

Je crois que ces mouvements en faveur de budgets équilibrés, l'exigence de prix stables et l'exigence de taux de change fixes s'expliquent tous par le fait que nous savons dans quels draps nous nous sommes trouvés après la guerre, lorsque nous n'avions pas ces contraintes.

Le président: Je suis surpris que vous soyez d'accord avec Pierre Trudeau. Quoi qu'il en soit...

Madame Redman.

Mme Karen Redman (Kitchener-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président.

Il y a une chose dont je me suis rendu compte lorsque nous avons examiné la productivité et c'est que si vous avez deux économistes, vous pouvez avoir trois opinions. Le débat a été animé et très intéressant.

Une voix: On m'insulte.

Mme Karen Redman: Non, je pense que cela montre qu'on peut penser toutes sortes de choses en même temps.

Monsieur Grubel, vous avez parlé de la création de l'Union monétaire européenne et dit que c'était un succès, du moins, si ma mémoire est bonne. Oui, il y a eu création d'une institution, la Banque centrale européenne, et création d'une monnaie, l'euro, mais comment peut-on dire si cela a été ou non un succès? On peut créer un système et des institutions monétaires, mais comment déterminer s'ils ont atteint leurs objectifs ou non?

Quels aspects de l'économie européenne fonctionnent mieux aujourd'hui, à votre avis, à cause de l'euro?

M. Herbert Grubel: C'est une très bonne question. Elle se rapporte à toutes les questions qui ont été soulevées par les messieurs du Bloc.

Nous n'avons pas vraiment de chiffres à l'appui. C'est pourquoi le débat va se poursuivre longtemps encore. Mais que nous ayons des données à jour ou non, nous prenons constamment la même décision. Chaque jour où nous n'optons pas pour des taux de change fixes, nous décidons de maintenir des taux de change flexibles. Nous ne faisons pas d'analyse coûts-avantages non plus avant de prendre une telle décision.

Je pense que nous devons regarder l'histoire. Selon Bob Mundell, les décennies du début et de la fin du siècle dernier sont celles où le monde a le plus prospéré—de 1900 à 1910 et au-delà et de 1990 à 2000. Ce sont des périodes qui ont été caractérisées par la stabilité des taux de change. La question est la suivante: pouvons-nous les bloquer? Pouvons nous les maintenir au même niveau?

L'Europe se porte très bien. Les euro-pessimistes avaient prédit que tout le système s'effondrerait, ce qui n'est pas arrivé. La valeur externe de l'euro a diminué, mais cela n'a pas eu de conséquences graves puisqu'on parle surtout de commerce intérieur. Je pense donc que tout va très bien.

• 1700

Il y a deux semaines, The Economist a publié toute une série d'articles, y compris l'éditorial et la première page, sous le titre «Europe is Getting its Act Together», parce que les entreprises doivent maintenant utiliser une seule monnaie dans toute la région. Elles ne peuvent plus demander un prix pour le jus d'orange d'un côté de la frontière hollandaise et un autre prix en Belgique pour le même jus d'orange. Pour une raison ou pour une autre, elles ont persisté à le faire malgré le libre-échange et parce qu'il y avait deux devises. Elles vont maintenant devoir utiliser la même monnaie. Autrement, les gens vont simplement franchir la frontière et acheter ailleurs.

En raison des pressions exercées par cette unification, les entreprises commencent à considérer l'Europe comme un seul marché et les syndicats commencent à s'apercevoir qu'aucune dépréciation des taux de change ne les aidera s'ils ne sont pas compétitifs, parce que leurs salaires sont supérieurs à leur productivité, ce qui a été le cas pendant de nombreuses années et fait grimper la lire à des sommets astronomiques de six ou sept chiffres.

Mme Karen Redman: Est-ce qu'il faut en déduire que les salaires ont diminué ou qu'ils sont plus modérés et que c'est là le genre d'indicateurs économiques auxquels nous pouvons nous fier pour dire que l'euro a une incidence positive?

M. Herbert Grubel: Par exemple, le gouvernement de l'Italie avait l'habitude d'emprunter à l'étranger, comme le gouvernement du Mexique, et de payer 30 p. 100 d'intérêt sur ses prêts à long terme. Si vous faisiez des affaires au Mexique, il vous faudrait concurrencer l'intérêt payé sur les titres mexicains à long terme. Savez-vous ce qui est arrivé aux taux d'intérêt à deux chiffres historiquement très élevés en Italie? Ils ont baissé pour se comparer à ceux de l'Allemagne. C'est un avantage énorme. Les taux d'intérêt, les hypothèques, les prêts à la consommation, tout a baissé. Pouvez-vous vous imaginer quel serait le résultat pour le Mexique? Lorsque j'ai présenté un exposé comme celui-ci à un auditoire mexicain, les gens se sont levés et m'ont applaudi en raison uniquement de l'idée qu'ils pourraient avoir des mesures institutionnelles qui leur garantiraient des taux d'intérêt comparables à ceux des États-Unis au lieu de s'élever à 30 p. 100. Ils n'ont pas les moyens d'acheter une maison ou une voiture. C'est complètement fou. Ce sont là des avantages énormes.

D'après les estimations, il en coûtait trois quarts de 1 p. 100 pour échanger des marks contre des francs français, etc. Quelqu'un est un jour parti avec 100 marks pour acheter et vendre des devises dans les différents pays de la communauté européenne pour se retrouver avec 60 cents en poche. C'est ce qu'il en coûtait pour faire des affaires. Ce n'est plus le cas.

M. Christopher Ragan: À en juger par votre analyse, les deux dernières années de la souveraineté monétaire canadienne ont été un succès fabuleux parce que nos taux d'intérêt se sont situés à 200 points de base au-dessous des taux américains. Mais ce succès est chose du passé.

M. Herbert Grubel: Je savais que vous soulèveriez la question.

M. Christopher Ragan: Je n'étais pas obligé de le faire.

M. Herbert Grubel: Sur 30 ans, si vous prenez le taux d'intérêt réel, c'est-à-dire la différence entre le taux d'intérêt nominal et l'inflation, vous obtiendrez une différence de un point de pourcentage entre le Canada et les États-Unis. La différence entre les taux d'intérêt minimal était de 1,14 point de pourcentage. Pour moi, une hirondelle ne fait pas le printemps et je ne pense pas que les taux d'intérêt actuellement plus bas se maintiendront.

M. Andrew Jackson: Je pense qu'à moins d'avoir une union monétaire nord-américaine, et nous sommes tous les trois d'accord pour dire que ce n'est pas ce qui est proposé, et même vous...

M. Herbert Grubel: C'est ce que nous proposons. Nous sommes ici pour en parler.

M. Andrew Jackson: ... selon toute probabilité, si nous devions essayer d'avoir un taux de change fixe avec les États-Unis, il faudrait que nos taux d'intérêt soient plus élevés. Vous n'avez pas encore dit à quel taux non plus vous voudriez les fixer. À quel niveau les fixeriez-vous?

M. Herbert Grubel: Andrew, il est parfaitement rationnel pour un investisseur de dire, j'ai de l'argent, je vais l'investir aux États-Unis ou au Canada; peu importe où il se trouve. Lorsqu'on regarde l'histoire du dollar canadien, on s'aperçoit que la dépréciation a été en moyenne de 1 p. 100 par année au cours des 30 dernières années. Donc, si nous avons un taux de change flexible, je vais insister pour avoir une prime de un point de pourcentage avant de prêter aux États-Unis.

M. Andrew Jackson: Vous écrivez un tas d'articles dans lesquels vous dites aux gens que nous pouvons fixer le dollar pour qu'il ne baisse pas et que nous aurons ainsi des taux d'intérêt plus bas que par le passé.

M. Herbert Grubel: Je ne crois pas aux taux de change fixes. Je vous ai dit que les taux de change fixes recommandés par mon collègue Rick Harris et Tom Courchesne étaient le pire de tous les maux. Je suis tout à fait d'accord avec vous...

• 1705

M. Andrew Jackson: Ce n'est pas un débat politique; c'est plutôt une séance de discussion collective.

M. Herbert Grubel: Je ne vous suis pas.

M. Pierre Siklos: L'argument d'Herb Grubel repose sur des facteurs économiques. Il donne l'exemple de quelqu'un qui avait 100 marks, mais cela est vrai bien sûr des détaillants, des touristes. Ce n'est pas le cas pour les entreprises.

Pour les entreprises, l'introduction de l'euro n'a absolument rien changé, parce que les transactions se faisaient déjà par des moyens électroniques; elles étaient déjà couvertes intégralement. Les avantages n'ont donc pas été aussi grands que vous le dites. En fin de compte, l'euro et l'Union monétaire européenne existent pour des raisons politiques. C'était une décision politique. On n'avait aucune considération économique à l'esprit.

Il parle aussi des années dorées du début du XXe siècle, mais il oublie de dire que lorsque les pays se sont mis à moins aimer les règles du jeu à l'époque de l'étalon-or, nous avons eu une énorme déflation...

Une voix: Et la grande crise de 1929.

M. Pierre Siklos: ... et ensuite la grande crise de 1929. L'adoption de ce genre de régime de taux de change peut avoir toutes sortes de conséquences.

M. Christopher Ragan: J'aurais un commentaire à ajouter à propos de l'Italie. Herb Grubel a parlé de l'Italie—j'ai l'impression de toujours répéter la même chose—et l'Italie ressemble beaucoup à l'Argentine en ce sens qu'elle n'avait pas une politique monétaire très crédible et n'avait certainement pas une politique financière très crédible. Donc, quand on voit les taux des obligations baisser en Italie pour se comparer aux taux allemands, et qu'on voit la dette, ou les déficits, diminuer, on se dit que bien des choses ont à voir avec l'établissement de la crédibilité monétaire et avec les lignes directrices de Maastricht sur les dettes et les déficits. Nous pourrions continuer à croire que le Canada a un problème de dette, mais je suis persuadé que personne dans cette salle ne pense que sa politique monétaire pose un problème de crédibilité. C'est ce dont il parle vraiment quand il est question de l'Italie, mis à part les avantages micro-économiques, sur lesquels je suis d'accord.

Le président: Monsieur Nystrom, avez-vous une question?

M. Lorne Nystrom: Avons-nous le temps?

Le président: Oui. Nous prolongerons la séance jusqu'à 17 h 15.

M. Lorne Nystrom: M. Grubel semble avoir peur de voir des hordes de socialistes frapper à nos portes.

M. Herbert Grubel: Oui.

M. Lorne Nystrom: Je pense que c'est ce qui est arrivé partout en Europe en commençant par le socialiste rouge qu'est Tony Blair, pour ne nommer personne d'autre. Il me semble que ce soit la façon de faire en Europe.

Quoi qu'il en soit, j'ai une question générale à vous poser. Si nous avions une monnaie commune avec les États-Unis, qu'en serait-il de l'équilibre entre les deux pays? L'un est gros, l'autre est petit. C'est comme si Herb Grubel entrait dans le ring avec Mike Tyson; il y aurait sûrement un gagnant et ce ne serait pas Herb.

Les choses sont légèrement différentes en Europe où les pays sont à peu près tous de la même taille et d'égale puissance. Mais comment s'assurer de la protection de notre souveraineté et de nos intérêts? C'est comme si nous étions un maringouin sur un géant. Je crois que c'est ce qui fait peur à bien des Canadiens.

Vous pourriez peut-être répondre à cette question en général tous les quatre.

M. Christopher Ragan: Je pense qu'Herb vous répondrait que...

M. Herbert Grubel: Vous ne pouvez pas répondre pour moi.

Des voix: Ah, ah!

M. Lorne Nystrom: J'ai une objection, monsieur le président. Est-ce que Chris peut répondre pour Herb et Herb pour Chris?

M. Christopher Ragan: Je pense que pour certaines personnes ici présentes, un des avantages d'une monnaie commune serait précisément l'abandon de la souveraineté monétaire canadienne. D'autres y voient un inconvénient parce qu'ils pensent que la souveraineté monétaire canadienne a été un succès. Ceux qui croient qu'elle a été un échec pour une raison ou une autre pensent qu'il serait avantageux d'y renoncer.

M. Herbert Grubel: Tout cela est plus ou moins vrai. Comme le gouverneur nous l'a dit ce matin, notre réaction dépendra de ce que les Américains feront. Il va falloir surveiller la situation de près.

Les Américains eux-mêmes, au lendemain de la crise asiatique, ont baissé les taux d'intérêt même si l'économie était déjà florissante et qu'ils ne l'auraient pas fait autrement. Ils l'ont fait dans l'intérêt du reste de la planète. Donc, ils tiennent compte aussi de l'effet de leurs politiques ailleurs dans le monde.

Selon mon modèle, si nous avions autant de poids que les institutions de Cleveland ou de St. Louis dans la prise de décisions du conseil des gouverneurs du Système fédéral de réserve, ce serait beaucoup mieux que de devoir simplement se fier à des indices de ce qui pourrait être dans l'intérêt des États-Unis. Ils domineront toujours, et je n'ai rien contre cela, mais si nos provinces des Prairies éprouvaient des difficultés, il y aurait de bonnes chances que les États américains des Prairies éprouvent des difficultés eux aussi. Nous pourrions donc avoir une alliance entre les représentants du conseil des gouverneurs, entre nos Prairies et les Prairies américaines, pour avoir plus de poids dans l'élaboration de la politique des taux d'intérêt.

• 1710

M. Pierre Siklos: Vous avez demandé si la science importait. Oui, dans le cas de l'Europe. Au cours des années qui ont mené à la création de l'Union monétaire européenne, il y a eu des transferts importants à des pays comme l'Espagne et le Portugal. Ces transferts ont pris fin ou sont sur le point de prendre fin à cause du pacte de stabilité.

L'autre problème ou ce dont on se plaint, c'est que la politique monétaire de la BCE est surtout dictée par la France et l'Allemagne. Mais au moins, de plus petits pays comme l'Autriche et les Pays-Bas ont voix au chapitre à la BCE. Nous n'aurions certainement pas notre mot à dire si nous avions une monnaie commune. Je sais qu'en principe c'est possible, mais je ne vois pas comment les Américains pourraient accepter que le Canada ou n'importe quel autre pays exerce une influence.

M. Herbert Grubel: Comment le savons-nous? Leur avons-nous posé la question?

M. Pierre Siklos: Oui. Lawrence Summers a dit que non, oubliez ça.

M. Herbert Grubel: Pourquoi alors les Américains se sont-ils joints au Fonds monétaire international? Pourquoi sont-ils devenus membres des Nations Unies? Ils souhaitent, tout comme un grand nombre d'entre vous, faire ce qu'il faut pour leurs concitoyens. Les législateurs américains veulent faire la même chose et si on peut leur prouver qu'il est dans l'intérêt des Américains que le Mexique soit un pays plus prospère...

Un des plus graves problèmes et des plus difficiles à régler qui se pose pour les Américains est celui de l'immigration illégale de Mexicains. Que peuvent-ils faire? Rien. Ils peuvent chasser les Mexicains dix fois ou cent fois, mais ceux-ci vont se réessayer jusqu'à ce qu'ils réussissent. La seule solution à ce problème est de réduire l'attrait qui s'exerce en ayant un Mexique plus prospère. Comment le Mexique peut-il être prospère avec des taux d'intérêt de 30 p. 100? Il faut stabiliser le régime politique en ayant recours à une union monétaire pour éviter que les mésaventures du passé ne se répètent.

M. Pierre Siklos: Monsieur, en se joignant au FMI, ils n'ont pas renoncé à leur souveraineté monétaire, bien au contraire. Ils s'en sont servi pour accroître leur influence sur le système financier international. Ils avaient tout à gagner. Que pouvons-nous leur apporter?

M. Herbert Grubel: Et les Nations Unies? Les cyniques disent...

M. Andrew Jackson: Ils ne paient même pas leurs cotisations.

M. Pierre Siklos: Oui, c'est la raison pour laquelle ils ne paient pas leurs cotisations.

M. Herbert Grubel: J'ai certains collègues cyniques qui disent que maintenant que les Américains n'exercent plus autant d'influence aux Nations Unies, au FMI, à la Banque mondiale ou ailleurs, ils sont prêts à tout abandonner. Eh bien, si vous voulez être cynique...

Je pense qu'il y a au gouvernement, dans les assemblées législatives et au congrès des gens qui veulent faire ce qu'il y a de mieux pour leur pays. Parfois, les institutions les en empêchent. Avant le libre-échange, personne ne pouvait dire: «Élisez-moi, je vais vous obtenir le libre-échange.» Tous les groupes d'intérêts risquant d'être perdants se seraient arrangés pour que ce parti soit défait. Mais lorsque, dans un moment de grande sagesse, tous les partis et tous les députés se sont aperçus que cette concurrence entre les partis pour avoir la faveur des industries qui voulaient leur protection est néfaste pour notre pays et que nous avons besoin du libre-échange, il y a eu plus ou moins rassemblement, si je me souviens bien...

Une voix: Je ne m'en souviens pas.

Des voix: Ah, ah!

M. Herbert Grubel: ... et nous avons obtenu le libre-échange.

Le président: Vous êtes un peu révisionniste, mais ça va.

Des voix: Ah, ah!

Le président: Monsieur Nystrom, j'ai promis à M. Epp de le laisser poser une question et j'aimerais tenir parole.

M. Lorne Nystrom: D'accord.

Le président: Merci.

Allez-y.

M. Ken Epp (Elk Island, Alliance canadienne): Merci.

J'aurais bien aimé être ici pendant toute la séance, mais ma question est très brève.

Un d'entre vous a dit que les constructeurs automobiles canadiens avaient vraiment profité de la valeur flottante du dollar. Je voudrais que vous m'expliquiez pourquoi et que vous me disiez si j'ai raison ou non de penser que parce que nous importons des véhicules japonais de grande qualité, avec le taux de change, ils deviennent très coûteux, ce qui fait que les fabricants canadiens peuvent augmenter leur prix pour qu'il se situe juste au-dessous de l'équivalent japonais de sorte qu'ils demandent maintenant un prix gonflé, et parce que cette dévaluation de notre dollar...

Une voix: Il y a aussi un tarif.

M. Ken Epp: ... nous payons tous une taxe supplémentaire, pour ainsi dire, pour que les fabricants automobiles fassent de gros profits. Est-ce que j'ai raison ou est-ce que je me trompe? Quelle explication avez-vous à me donner?

• 1715

M. Andrew Jackson: J'aurais une ou deux choses à répondre à cela.

Je vous recommanderais d'essayer de trouver, si la chose vous intéresse, un document sur l'industrie automobile préparé par Jim Stanford des Travailleurs canadiens de l'automobile pour la conférence sur la productivité qu'a tenue récemment le Centre d'étude des niveaux de vie.

Il est très instructif de revenir à cette hypothèse du dollar paresseux. Si vous croyez que les fabricants sont paresseux, c'est qu'en raison du faible dollar, presque toute les industries comme celle de l'automobile, qui ont grandement profité... Essentiellement, l'avantage pour eux, c'est qu'ils paient leurs travailleurs en dollars canadiens et vendent 80 ou 90 p. 100 de ce qu'ils produisent aux États-Unis en dollars américains. Donc, lorsque le dollar s'apprécie, les coûts de production diminuent en réalité.

L'argument veut que cette industrie enregistre actuellement des gains de productivité fantastiques. Des investissements incroyables ont été faits au Canada. On ne peut donc pas dire que les trois grands se sont endormis sur leurs lauriers et se sont contentés d'amasser de très grands profits. En fait, ces profits ont été réinvestis au point où plus de 25 p. 100 de tous les véhicules des trois grands sont maintenant assemblés en Ontario.

Pour ce qui est de votre question au sujet des prix, si j'ai bien compris, je crois que vous avez tort. Un modèle comparable se vend moins cher au Canada qu'aux États-Unis, ce qui me fait dire que le prix est établi en fonction du marché canadien.

M. Ken Epp: Mais il se vend plus cher qu'il le devrait.

M. Andrew Jackson: En réalité, les consommateurs canadiens font une meilleure affaire.

M. Ken Epp: Mais vous ne pensez pas qu'il se vend plus cher à cause de cette augmentation artificielle des prix?

M. Andrew Jackson: Quelle augmentation artificielle des prix?

M. Ken Epp: Eh bien, quand on importe un véhicule japonais, il y a un avantage pour ce qui est du taux de change, ce qui fait augmenter le prix.

Une voix: Il y a aussi un tarif japonais.

M. Andrew Jackson: Il reste que le prix n'est pas aussi élevé qu'on s'y attendrait vu la différence entre les monnaies.

M. Herbert Grubel: Je peux répondre rapidement à Ken.

J'ai écrit ici que c'est au moment où les profits étaient très élevés dans l'industrie automobile que la convention collective est arrivée à échéance. C'était à une époque où nous, au Parlement, n'avions pas eu d'augmentation de salaire depuis je ne sais trop combien d'années. Je n'avais eu aucune augmentation de salaire à l'université depuis 15 ans. Qu'est-il advenu de la convention? Les syndicats ont tout à coup été capables d'obtenir une augmentation de 13 p. 100—3 p. 100 par année sur trois ans ou à peu près.

M. Andrew Jackson: C'était bien au-dessous de l'augmentation de la productivité, Herb.

M. Herbert Grubel: Le fait est que seuls les travailleurs automobiles ont eu droit à une telle augmentation. Je trouve que c'est injuste parce que si les taux de change augmentaient de nouveau, je doute que l'industrie automobile serait aussi concurrentielle par définition qu'elle l'aurait été s'il n'y avait pas eu de telles augmentations de salaire.

Cette hypothèse de la main-d'oeuvre et de la gestion paresseuses est celle de John McCallum, qui vient ici tout le temps. Il s'est aperçu qu'en fait les dépréciations des monnaies ont cet effet sur la productivité.

Le président: Merci, monsieur Grubel.

Merci, monsieur Epp.

Nous allons laisser M. Ragan faire très brièvement un dernier commentaire, après quoi nous nous ajournerons.

M. Christopher Ragan: En réponse à cette question, je dirais qu'il ne sert à rien de penser que les entreprises profitent d'un taux de change flexible. Le taux de change est un prix, et c'est parfois un prix instable. C'est le prix des devises étrangères. Le prix augmente parfois et diminue aussi parfois. Quand on achète des devises étrangères, comme le fait un importateur, les affaires vont moins bien lorsque ce prix augmente. Quand on vend des devises étrangères, comme le fait un exportateur, les affaires vont mieux.

Il est vrai que la récente dépréciation du dollar canadien a aidé certains exportateurs, mais le même argument veut aussi que la forte appréciation du dollar canadien en 1991, lorsque le Canada a entrepris sa récente désinflation, a nui à de nombreux exportateurs. On n'y peut rien. C'est la façon dont la politique monétaire fonctionne et aurait dû fonctionner en 1991. Et, en 1997, c'est la façon dont les taux de change flexibles auraient dû fonctionner en réponse aux bouleversements externes.

Le président: Merci beaucoup, messieurs Ragan, Grubel, Jackson et Siklos. Je tiens à vous remercier infiniment au nom du comité.

Nous avons un vote, mais nous avons aussi une autre réunion où nous devons aller. En fait, ne bougez pas, parce que nous devons procéder à un examen article par article.

• 1720

Au nom du comité, j'aimerais vous exprimer notre plus sincère gratitude. Ce fut une table ronde très intéressante.

Les témoins: Merci.

Le président: Nous allons probablement vous demander de revenir.

La séance est levée.