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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 104 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 24 avril 2018

[Enregistrement électronique]

(1310)

[Traduction]

     Chers collègues, bienvenue à la 104e séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne.
    Aujourd’hui, nous accueillons l’honorable Bob Rae, envoyé spécial du premier ministre auprès du Myanmar.
    Ce sous-comité a beaucoup travaillé au dossier de la crise à laquelle font face les Rohingyas, y compris en rédigeant deux rapports, en 2012 et en 2016, et nous sommes très intéressés à vous entendre au sujet de votre récent rapport au premier ministre à ce sujet.
    Comme d’habitude, nous allons commencer par les observations liminaires, puis nous passerons directement aux questions des membres du Sous-comité.
    Monsieur Rae, si vous voulez bien commencer, vous avez la parole.
    Je suis heureux d’avoir l’occasion de rencontrer de nouveau le Sous-comité et je suis très heureux de pouvoir parler de mon rapport et de la situation actuelle au Myanmar et au Bangladesh.
    Je peux dire aux membres du Sous-comité — je suis sûr qu’ils le savent déjà — que je me joindrai à la ministre Freeland dans ses voyages au Bangladesh et que je resterai un peu plus longtemps dans la région. Nous espérons pouvoir discuter de la situation avec les membres de l’Organisation de la coopération islamique ainsi qu’avec le gouvernement du Bangladesh. J’espère vraiment que nous pourrons retourner à Cox's Bazar, surtout à la lumière de la détérioration des conditions matérielles dans le camp.
    C’est peut-être là-dessus que je vais commencer. Comme je suis convaincu que les membres du Sous-comité ont lu mon rapport, je n’ai pas l’intention de le revoir en détail; ce n'est pas nécessaire. J’aimerais vous présenter les grandes lignes du rapport et peut-être faire le point sur ce qui s’est passé.
    Premièrement, la situation évolue très rapidement, non seulement en ce qui concerne les conditions dans le camp, mais aussi en ce qui concerne les autres problèmes soulevés dans mon rapport.
    D’abord, en ce qui concerne la situation humanitaire au Bangladesh et au Myanmar, les conditions météorologiques ont commencé à changer, et nous sommes maintenant dans la saison des pluies, ce qui signifie non pas qu’il pleut jour et nuit, mais que lorsqu’il pleut, il pleut très fort et les pluies ont un impact très dramatique sur un environnement déjà sérieusement affecté par l’arrivée de 700 000 réfugiés.
    Les conditions dans le camp sont très mauvaises. Les membres auront peut-être remarqué que le ministre du Bien-être social du Myanmar s’est rendu au camp il y a quelques semaines et a déclaré à quel point la situation était mauvaise, et il a été très ému par ce qu’il y a vu.
    Je pense qu’il y aura de nombreuses raisons pour lesquelles les gens choisiront de concentrer leur attention sur d’autres aspects de mon rapport, mais je tiens à souligner que, du point de vue de l’urgence de la situation, nous devons être pleinement conscients — et c’est le message que j’ai livré au gouvernement tout au long du processus — de la gravité et du danger de mort créé par les conditions qui existent actuellement dans le camp.
    Nous avons toutes les raisons de croire qu’en raison de la météo et d’autres facteurs, elles le deviendront encore plus dans les semaines à venir. À la menace des coulées de boue s'ajoute celle des maladies d’origine hydrique. La météo en soi rend inaccessibles les écoles temporaires et les bâtiments qui risquent de s’effondrer. Il en résultera une détérioration immédiate de la qualité des services dans le camp. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et l'Organisation internationale pour les migrations ont lancé ensemble un appel de 951 millions de dollars américains, ce qui représente plus de 1 milliard de dollars canadiens.
    La réponse n'est pas tellement encourageante jusqu'ici. Une bonne partie de mon rapport porte donc sur l’ampleur de cet aspect particulier de la crise, à savoir la nécessité pour nous de nous attaquer aux problèmes de santé, d’assainissement et de logement, et de créer des conditions propices à l’apprentissage et à la santé humaine. Nous sommes loin de réunir ces conditions aujourd’hui.
    C’est un point sur lequel je veux continuer à insister. J’espère que nous continuerons d’avoir l’appui des députés pour pousser le gouvernement — je le dis à tous les députés de tous les partis — à faire tout ce que nous pouvons pour que le Canada fasse de réels progrès en vue de contribuer encore davantage. Comme les membres le savent, j’ai demandé au gouvernement d’augmenter sensiblement son financement pour le porter à 150 millions de dollars par année pendant quatre ans.
     Cela englobera des problèmes autres que les conditions dans les camps au Bangladesh, mais la majeure partie de cet argent ira certainement aux camps au Bangladesh. Nous devons continuer de veiller à ce que le niveau de financement demeure approprié pour le Canada, compte tenu de la gravité de la situation.
    Deuxièmement, en ce qui concerne le Myanmar, il reste encore des centaines de milliers de Rohingyas qui vivent dans des conditions très vulnérables. Certains sont dans des camps de personnes déplacées dans leur pays. Il y a un très grand camp de personnes déplacées dans leur pays à Sittwe. Il y a d’autres camps, mais surtout, il y a des gens qui vivent dans des conditions de confinement et qui ont des provisions très insuffisantes. Il n’y a pas d'emploi disponible, et il est impossible de circuler au pays. Le couvre-feu est très strict. Les gens sont en danger et ils sentent que leur vie est menacée, ce qui contribue selon moi aux nouvelles qui nous sont parvenues récemment, à savoir que des bateaux quittent le pays, les circonstances obligeant les gens à quitter par la voie des eaux. Cette possibilité avait toujours suscité la crainte, et les craintes semblent maintenant se concrétiser.
     La principale demande que le Canada doit continuer de faire en ce qui concerne la situation immédiate au Myanmar, c’est que le gouvernement du Myanmar respecte certaines normes et conditions en ce qui concerne l’accès international, l’accès humanitaire, la liberté de mouvement de la population, la capacité de travailler, la fin des boycottages et tout ce qui est possible pour créer les conditions sur le terrain qui permettront un retour de la population rohingya au Myanmar.
    Jusqu’ici, la plupart des gouvernements et la plupart des organisations internationales sont d’avis que ces conditions n’ont pas été remplies et que nous n’en sommes pas encore au point où les gens peuvent dire qu’il est temps d’entamer le processus de rapatriement. La question du rapatriement ne concerne pas les bâtiments ou l’infrastructure. Il s’agit de savoir quelles sont les conditions humaines réelles et quels sont les rapports entre les personnes qui permettraient aux gens de revenir sans que leur vie, leur sécurité ou leur santé soit menacée. À l’heure actuelle, ces conditions ne s’appliquent pas et n’existent pas. L’accès international à l’aide humanitaire est encore très limité dans le Nord, et cela demeure un problème critique.
    En ce qui concerne l’impunité et la reddition de comptes, le rapport fait état d’un certain nombre de mesures qui doivent être adoptées. Il est encourageant de constater qu’un certain nombre de pays reconnaissent de plus en plus la gravité des crimes contre l’humanité auxquels il faut s’attaquer et la façon dont nous devons composer avec les conséquences de la situation. Des efforts continus sont déployés au Conseil des droits de l’homme des Nations unies, dont une mission d’enquête qui en arrive maintenant à des conclusions semblables à celles de nombreuses autres missions de collecte de renseignements. Nous entendrons, en juin, je crois, le Conseil des droits de l’homme nous parler de la mission d’enquête, et nous aurons un rapport final en septembre.
    J’ai eu l’occasion de m’entretenir avec des membres du Conseil. J’ai eu l’occasion de discuter de ces questions à La Haye, et de rencontrer des spécialistes des violations des droits de la personne et du droit international. Je continuerai d’exhorter le gouvernement canadien à donner l’exemple et j’espère sincèrement que c’est une recommandation à laquelle le gouvernement donnera suite.
    Enfin, ma recommandation porte sur la nécessité pour les pays de travailler en collaboration. Je sais que la ministre Freeland a soulevé cette question au G7 et au Commonwealth. Je sais que le premier ministre a rencontré le premier ministre du Bangladesh et a soulevé certains problèmes d'accès humanitaire aux camps au Bangladesh et certains des problèmes bureaucratiques et réglementaires pour ce qui est de faire entrer dans les camps les médecins, infirmières, ingénieurs et autres personnes qui doivent y faire leur travail.
(1315)
     Il semble clair pour la plupart d’entre nous que nous devrons continuer de soulever cette question. Je sais que la ministre Freeland et moi-même soulèverons ces questions lorsque nous nous rendrons au Bangladesh à la fin de la semaine prochaine.
    J’ai encouragé le gouvernement à travailler efficacement, dans la mesure du possible, de concert avec le Parlement et tous les ministères. Suivant mon expérience au gouvernement, je répète constamment qu’il est essentiel et pas toujours facile d’amener les ministères à travailler ensemble. Il y a parfois des guerres de territoire et les gens ne sont pas nécessairement pleinement conscients de ce que font les autres, alors il faut vraiment faire un effort constant pour collaborer.
    J’espère que le gouvernement réagira positivement à la suggestion selon laquelle il devrait y avoir un rapport régulier au Parlement et que c’est un dossier qui doit être documenté et dont il faut rendre compte.
    J’aimerais dire quelques mots sur la question des réfugiés dans le monde. Il est important pour nous, en plus d’un certain nombre d’autres contextes dans lesquels nous devons placer ce conflit actuel, de savoir qu’il y a des dizaines de millions de personnes dans des camps de réfugiés; que nous vivons la plus grande crise de réfugiés au monde depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale; et que le système actuel est clairement défaillant en ce qui concerne le financement de ces camps, la façon dont nous les finançons, l’obligation des pays hôtes et l’obligation des autres États membres d’augmenter le niveau de financement pour que nous puissions faire face à l’ampleur de la crise.
    Pour ce qui est de la réinstallation, je suis toujours intéressé par la réponse à un rapport et j’ai constaté avec intérêt que plusieurs médias avaient répondu à mon rapport en insistant sur la question de savoir si nous devrions oui ou non réinstaller les réfugiés rohingyas au Canada. Ce que je recommande au gouvernement, c’est que nous discutions avec d’autres pays et que nous déterminions entre nous de la façon de procéder. Nous accueillons régulièrement des réfugiés; comme pays, nous avons une politique sur les réfugiés, et je pense qu’il est tout à fait naturel que nous considérions les réfugiés rohingyas parmi les autres que nous voudrions admettre au pays.
    J’ai été franchement troublé par la réponse de nombreuses personnes, sur Twitter et Facebook, à cette recommandation. Je crois que la grande majorité des Canadiens sont très généreux et comprennent que nous devrons continuer d’être généreux si nous voulons faire une différence.
    J’ai été très heureux de la réaction de la communauté rohingya du Canada à mon rapport. J’ai eu l'occasion de rencontrer un certain nombre de membres de cette communauté au cours des derniers mois. C’est une partie très importante de mon expérience à ce poste, et je l’apprécie vraiment.
    Enfin, monsieur le président, j’espère qu’il y a eu des discussions entre les partis au sujet d’un invité qui m'accompagne devant le Sous-comité.
    M. Tun Khin est un militant rohingya de premier plan qui vit en Angleterre depuis plusieurs années. Il a rencontré le Parlement britannique et des dirigeants politiques au Congrès et en Europe. Lorsqu’il a communiqué avec moi et m’a dit qu’il aimerait me parler de mon rapport, j’ai dit: « Eh bien, je vais être à Ottawa aujourd’hui, alors si vous voulez venir avec moi pour rencontrer les membres du Sous-comité, vous êtes le bienvenu. »
    J’espère qu’à la fin de mon intervention, il aura l’occasion de dire quelques mots. Je ne veux pas empiéter sur le temps de parole de qui que ce soit — je sais à quel point c'est un sujet délicat, puisque je suis ici depuis un certain temps —, mais j’ai hâte d’en discuter davantage avec M. Khin. Je sais qu’il sera heureux de dire quelques mots vers 14 heures.
(1320)
    Merci beaucoup monsieur Rae. Oui, nous réserverons du temps à la fin, après les questions des membres, pour entendre votre invité, avec grand plaisir.
    Cela dit, passons directement à la première série de questions. Nous allons commencer par M. Sweet.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Rae d’être ici.
    Les personnes dont nous parlons, les musulmans rohingyas, sont victimes d'un processus constant de délégitimation, de persécution et d’abus depuis des décennies. Ces abus et cette déshumanisation par l’armée du Myanmar et, par extension, par le gouvernement, ont tragiquement abouti à ce qu'il y a tout lieu de qualifier de génocide. Nombreux sont ceux qui ont parlé de crimes contre l’humanité, mais je crois que nous avons maintenant atteint le seuil du génocide. C’est non seulement un affront à leurs droits comme minorité musulmane, mais aussi un affront à tout ce qui est bon, pur et civilisé et assurément un affront à la liberté de religion.
    Nous avons soulevé cette question à la Chambre et au Comité à de nombreuses reprises depuis les dernières élections. Nous vous sommes très reconnaissants de votre rapport et de votre travail dans ce dossier. Nous continuons de déplorer le peu de pressions diplomatiques qui ont été exercées sur le gouvernement du Myanmar et, par ricochet, sur l’armée.
    Je me désole de voir qu’à ce jour, une seule personne du gouvernement du Myanmar a été sanctionnée en vertu de la loi Magnitski. À votre avis, où le gouvernement a-t-il manqué à son devoir de régler la crise? Que peut-on faire de plus dès maintenant pour protéger les droits religieux et les droits de la personne des musulmans rohingyas au Myanmar?
(1325)
     Monsieur Sweet, je vous remercie de votre question. J’ai dit dans mon rapport que j’étais en faveur. Lorsque le gouvernement m’a demandé: « Que pensez-vous du recours à la loi Magnitski dans le cadre de nos travaux? » J’ai dit: « Allez-y, utilisez-la. » L’essentiel est de s’assurer d’avoir des preuves qui justifient toute attaque contre cette mesure.
    Le gouvernement doit suivre un processus juridique pour déterminer la responsabilité d’une personne. Je crois encore que cela devrait continuer de se produire. La ministre m’a dit qu’elle appuie et qu’elle tient à cette mesure, et je sais qu’elle en parle à ses collègues ministres des Affaires étrangères.
     Vous comprendrez qu’une mesure comme celle que nous avons prise est vraiment plus efficace lorsqu’un certain nombre d’autres gouvernements acceptent de faire la même chose. À l’heure actuelle, deux gouvernements ont accepté de procéder de la sorte, soit le nôtre et celui des États-Unis. Les gouvernements européens n’ont pas encore suivi.
    Nous poussons les Européens et nous leur disons: « Essayons d’agir ensemble et d’aller dans la même direction en même temps. » Il y a des points de vue divergents dans d’autres capitales, mais j’ai dit très clairement que je pense qu’il y a lieu d’appliquer des sanctions individuelles, et j’espère que le gouvernement pourra continuer d’examiner la question.
    Vous me demandez si, à mon avis, il y a eu des lacunes. Je ne peux pas entrer dans les entrailles du ministère de la Justice ou de la division juridique du ministère des Affaires mondiales et demander: « Qu’en est-il de ce type? Qu’en est-il de telle ou telle personne? » Toutefois, je crois qu’il est important que nous prenions ces mesures et que nous favorisions une discussion à un niveau très élevé avec les autres gouvernements pour veiller à ce qu’ils fassent la même chose, et j’espère qu’ils le feront.
    Vous avez mentionné avoir demandé au gouvernement un investissement de 150 millions de dollars par année sur une période de quatre ans et précisé qu'à l’heure actuelle, il est difficile de recueillir des fonds auprès de la communauté internationale pour satisfaire aux besoins des réfugiés au Bangladesh.
    Ce qui me préoccupe vraiment, c’est la fragilité du Bangladesh en ce moment également. Cela me préoccupe. Dans votre recommandation 5 en particulier, vous parlez de traiter avec des partenaires internationaux.
    J’ai l’impression que nous sommes dans une position où nous avons une certaine autorité morale. Aung San Suu Kyi est citoyenne honoraire du Canada. Nous avons investi des millions de dollars dans le développement des institutions démocratiques en Birmanie. Nous avons aussi exercé des pressions internationales contre le gouvernement sud-africain afin d'assurer l'effondrement de l’apartheid.
     Étant donné que le Bangladesh est un partenaire du Commonwealth et que nous avons investi en Birmanie, ne pensez-vous pas que le Canada pourrait prendre l’initiative et réunir une communauté internationale qui pourrait exercer suffisamment de pression sur l’armée et le gouvernement birmans pour s’assurer que leur comportement est conforme aux normes démocratiques internationales?
    Monsieur Sweet, l'idée maîtresse de mon rapport est que le Canada devrait jouer un rôle de chef de file, et c'est ce que je dis. Je ne passe pas par quatre chemins dans le rapport; je le dis très clairement. Pour que nous soyons un chef de file, nous devons être prêts à prendre nous-mêmes des mesures et à faire nous-mêmes des investissements.
    En formant cette coalition, ce groupe de pays aux vues similaires, nous devons reconnaître que même si vous dites que nous avons investi des millions de dollars en Birmanie, nous avons toujours fait très peu dans ce pays. Pendant longtemps, il n'y avait pratiquement aucune relation économique ou politique entre notre gouvernement et le gouvernement de la Birmanie. Nous n'avions pas de représentation diplomatique; nous n'avions pas de programme d'aide. Nous n'avons rien eu pendant très longtemps — pendant des décennies.
    Pendant cette période où nous étions absents de là, devinez qui y était? Les Chinois, qui ont toujours été très présents et qui ont investi non pas quelques millions, mais des milliards de dollars dans l'économie du Myanmar. Il en va de même pour le gouvernement indien, de façon différente, ainsi que pour un certain nombre d'autres gouvernements d'Asie qui ont beaucoup investi au Myanmar. Pour ce qui est de l'effet de levier, j'aimerais que nous en ayons plus, mais je pense que ce que nous devons faire, avec le Bangladesh et un certain nombre d'autres pays, c'est un effort réel pour apporter un changement réel au Myanmar.
    Vous avez tout à fait raison. Il existe des normes internationales de base que, je crois et je le dis dans le rapport, le gouvernement du Myanmar n'a en aucun cas respecté. Le fait est que plus de 700 000 personnes sont parties en l'espace d'environ quatre mois; des centaines de villages ont été détruits et des milliers de personnes ont été tuées; il y a des preuves que l'on a eu recours au viol comme outil de guerre; il y a des exemples horribles de personnes qui ont été, comme vous l'avez dit, déshumanisées et marginalisées sur une longue période. Ce sont là des exemples de personnes qui, loin d'avoir été à la hauteur, ont commis un crime horrible contre l'humanité.
    Dans mon rapport, je parle très explicitement de la question du génocide, que vous avez soulevée avec moi et que vous avez déjà abordée — je sais que M. Genuis en a parlé publiquement il y a quelques jours — en donnant des définitions et en définissant les étapes.
    L'essentiel ici, c'est que nous devons établir un processus qui permettra au gouvernement ou au Parlement d'établir les faits. On ne peut pas tout simplement utiliser ce terme à la légère et dire, j'ai lu trois articles de journaux et voilà pourquoi je pense qu'il s'agit d'un génocide. Il doit y avoir un processus sérieux en vue d'établir les faits pour que nous en arrivions au point où nous puissions dire que c'est de cela qu'il s'agit. Je crois fermement que c'est ce qui devrait se produire. Je n'hésite pas à le dire. Je pense que ce qui s'est produit...
    Par-dessus tout, comme je l'ai dit dans mon rapport, un génocide ne se produit pas en un éclair, du jour au lendemain. C'est un processus. Un processus terrible est en cours au Myanmar, et il a eu des conséquences très graves pour les Rohingyas et, à mon avis, pour de nombreux autres membres de la classe politique du Myanmar. Beaucoup d'autres groupes et personnes ont été très durement touchés par ce qui s'est passé.
(1330)
    Monsieur Rae, à votre avis, dans quelle mesure l'investissement étranger qui se fait actuellement en Birmanie nuit-il à la capacité de développer cette coalition pour exercer des pressions sur le gouvernement du Myanmar?
    Je ne pense pas que ce soit le cas. Les pressions, la persuasion ou le renforcement du processus seraient évidemment grandement facilités si nous pouvions convaincre la Chine et l'Inde de participer au processus, mais c'est une chose difficile à faire, et je pense que tout le monde doit y réfléchir.
    Nous devons toutefois comprendre qu'il n'y a pas eu énormément d'investissements étrangers au Myanmar. Ce n'est que tout récemment que cet État est sorti de son isolement politique, économique et social important, et le processus de développement dans de nombreuses régions du pays est très lent. Dans d'autres régions, il se déroule plus rapidement. Nous avons encore beaucoup d'occasions de faire ce que nous pouvons pour collaborer avec d'autres.
    La clé réside dans la collaboration avec les autres. Il ne s'agit pas seulement de ce que nous faisons, mais aussi de ce que nous faisons avec les autres. C'est l'un des messages clés de mon rapport.
    Merci beaucoup, monsieur Rae.
    Nous passons maintenant à Mme Khalid.
    Merci, monsieur le président, et merci à vous, monsieur Rae, pour l'excellent travail que vous avez fait dans ce contexte très difficile.
    Pour commencer, j'aimerais obtenir des précisions. Je sais que vous avez exprimé l'opinion qu'il y a deux gouvernements en Birmanie ou au Myanmar, l'un étant le gouvernement civil et l'autre le gouvernement militaire, mais vous avez aussi dit qu'il y a du ressentiment et de la discrimination bien ancrés contre les Rohingyas, de l'avis de ceux qui vivent dans l'État d'Arakan. Nous avons aussi entendu parler de persécution contre d'autres minorités, y compris des chrétiens qui vivent en Birmanie ou au Myanmar.
    Quel est exactement le rôle de ce gouvernement civil, en ce qui concerne le travail qu'il fait pour s'attaquer à la discrimination populaire contre les minorités, et pourquoi pensez-vous qu'il y a deux gouvernements?
    La constitution de 2008, qui est la constitution de la dictature militaire qui a existé entre 1962 et 2008, confère à l'armée le contrôle de trois ministères clés, soit les Affaires frontalières, la Défense et les Affaires intérieures.
    Le ministère des Affaires frontalières donne à l'armée le plein contrôle de toute la zone frontalière du Myanmar, avec le Bangladesh, l'Inde, la Chine, la Thaïlande et la Malaisie, notamment. Vous avez là un ministère puissant.
    Il y a le ministère de la Défense, qui est celui qui dépense le plus au pays.
    Il y a aussi le ministère des Affaires intérieures, qui s'occupe de toutes les affaires internes du pays, y compris l'administration des collectivités locales.
    Toute l'information, et je dis bien toute l'information, provenant des villages locaux est transmise au ministère des Affaires intérieures, qui est responsable de toutes les questions de sécurité interne, de toutes les questions de surveillance. Tout ce qui concerne l'utilisation des téléphones cellulaires, notamment, relève du ministère des Affaires intérieures, qui exerce un contrôle total à cet égard.
    Quand les gens parlent d'Aung San Suu Kyi et disent: « C'est la dirigeante de facto: elle peut faire cela. Elle peut faire fi de tout », il faut dire non. Après 2008, Aung San Suu Kyi, qui a été assignée à résidence pendant de nombreuses années, a fini par être libérée et a pu participer à la vie politique et diriger un parti politique, la Ligue nationale pour la démocratie, qui était le parti de son père et qui a pu présenter des candidats aux élections.
    Elle ne peut pas être présidente du pays; la constitution est discriminatoire à son endroit parce que ses enfants ont des passeports britanniques. Elle est ministre des Affaires étrangères et occupe un poste appelé « conseiller d'État ». Il n'est pas question d'un conseiller d'État dans la constitution du Myanmar. Les militaires contrôlent 25 % des sièges de la chambre basse du Parlement du Myanmar, et ils peuvent bloquer tout autre changement constitutionnel.
    Nous sommes en présence d'un statu quo.
    La Ligue nationale pour la démocratie a ses propres règles et sa propre politique. Au cours des six derniers mois, Aung San Suu Kyi a fait quelques déclarations indiquant qu'elle était très préoccupée par le maintien du processus de paix. Il y a encore beaucoup de conflits dans le nord du pays, dans l'État Kachin, l'État Chin, et l'État Shan, parmi les Môns.
    Même à Karen, les combats se poursuivent. Il ne s'agit pas seulement de petites batailles; des bombes sont larguées sur les maisons. Je reçois des messages textes de gens, étant donné l'époque à laquelle nous vivons, qui me disent que c'est ce qui se passe dans leur pays en ce moment.
    Je pense que nous devons comprendre que la notion selon laquelle il s'agit automatiquement d'une sorte de démocratie en transition... Il n'y a rien d'automatique dans cela. Nous avons affaire à un gouvernement militaire avec participation civile, avec sa tête Aung San Suu Kyi. Je crois que nous devons mieux comprendre la situation qui se produit à l'intérieur du pays avant de conclure que certaines personnes sont responsables de certaines choses. Je ne pense pas que nous ayons toutes les réponses à ces questions.
(1335)
    Il est un peu difficile de vraiment comprendre la situation intérieure lorsqu'un grand nombre d'ONG et de gouvernements sont en quelque sorte interdits d'entrée au pays, mais vous avez pu y aller, parler aux gens et voir de vos propres yeux ce qui se passe.
    Nous parlons de la réinstallation des Rohingyas partout dans le monde dans des pays comme le Canada qui, je le sais, sera heureux d'accueillir des réfugiés, mais, au bout du compte, après avoir parlé à des réfugiés de diverses parties du monde, j'ai compris que leur souhait ultime est simplement de rentrer chez eux. Nous parlons de centaines et de milliers de personnes, de leur réinstallation et de leur réintégration au Myanmar.
    Est-ce que cela pourra se faire du vivant de ces réfugiés? À mon avis, il s'agit en fait de savoir comment nous allons nous y prendre pour réintégrer les gens à la base et éliminer la haine entre les populations du Myanmar. Comment comme pays pouvons-nous nous attaquer à ce problème?
(1340)
    Je pense que la chose la plus importante que nous devrions faire est, dans un sens, poursuivre ce que nous avons commencé, comme beaucoup de députés le savent. Nombreux sont les députés qui connaissent des ONG qui travaillent fort dans différentes régions du pays et qui font du bon travail, en encourageant le dialogue, la compréhension et des débats plus approfondis avec les gens.
    J'ai moi-même eu l'occasion, à Rangoun, il y a quelques mois, de passer une matinée avec 10 membres de la communauté bouddhiste d'Arakan et 10 membres de la communauté rohingya. Ils sont venus par avion de l'État d'Arakan pour participer à un séminaire que le gouvernement du Canada a appuyé dans le cadre de son programme d'aide. On nous a permis de rester et d'assister au dialogue et aux débats qui ont eu lieu.
    Il n'y avait ni médias ni public. Personne ne voulait se faire prendre en photo. Personne ne voulait pas passer à la télévision du Myanmar de peur d'être attaqué pour l'avoir fait. Ces personnes n'auraient probablement pas pu avoir ce dialogue à Arakan même, bien qu'un certain nombre d'efforts soient déployés pour élargir le débat là aussi.
    Il y a beaucoup d'exemples dans le monde de personnes qui ont vécu ensemble pendant des centaines d'années et de situations qui se sont détériorées d'un seul coup et qui ont dégénéré en conflit. Puis le conflit se règle, et les gens reprennent lentement mais sûrement le dialogue.
    Il ne s'agit pas de ce que nous faisons; mais plutôt de ce que nous appuyons. Nous n'intervenons pas pour dire: « Réunissez-vous et faites ceci. » Cela ne fonctionne pas. Ce que nous faisons, c'est travailler avec des groupes qui comprennent que ce genre de dialogue est essentiel, du fait de la nature pluraliste de la société du Myanmar.
    Le Myanmar n'est pas une société monolithique. C'est un pays complexe et diversifié, avec une communauté majoritaire, oui, mais avec de nombreuses minorités. Il y a 135 minorités explicitement reconnues dans la constitution du Myanmar. Malheureusement, les Rohingyas n'en font pas partie. Il y a un problème particulier concernant le statut dont a été privée la population rohingya. Il s'agit d'une question très difficile.
    Y a-t-il une possibilité selon moi? Bien sûr que si. Personne ne doit en douter le moindrement; les régions de l'État d'Arakan où vivent les Rohingyas depuis des centaines d'années sont celles qu'ils considèrent comme leur foyer. Ils ne considèrent pas le Bangladesh comme leur patrie. Ils ne se considèrent pas comme des Bengalis, comme le disent souvent d'autres citoyens du Myanmar. Ce ne sont pas des Bengalis. Ce sont des gens de l'État d'Arakan, qui est leur patrie d'origine.
    Je pense qu'il faut mieux comprendre cela. Notre gouvernement a été très clair au sujet de la nature de la communauté rohingya et des raisons pour lesquelles elle doit être appuyée et soutenue par d'autres.
    Merci beaucoup.
    Nous allons passer directement à Mme Hardcastle.
    Merci, monsieur le président.
    Merci, monsieur Rae, de votre travail et de votre rapport.
    J'aimerais que vous nous expliquiez davantage le travail que vous avez exposé dans votre rapport. Étant donné votre proximité avec le gouvernement, vous devez être en mesure de nous dire tout de suite où, selon vous, il y a des possibilités d'action immédiate. Je ne sais pas si cela concerne le renforcement des capacités au Myanmar ou la situation au Bangladesh.
    Je pense qu'il serait bon que nous soyons mis au courant de ces choses, et si nous en avons l'occasion, que vos invités interviennent également.
    Merci de votre question.
    Je suis heureux de vous entendre dire que je suis si près du gouvernement. Il y a des jours où je pense que c'est vrai et d'autres où je n'en suis pas sûr. Cela ne m'inquiète pas vraiment.
    Voici ce que je dis toujours au gouvernement, à quiconque me pose la question. Je dis qu'il faut réfléchir aux grands risques. Qu'est-ce qui vous garde éveillé la nuit? Qu'est-ce qui vous inquiète sur le plan de la sécurité des gens? Pour moi, il existe deux grands risques en ce moment. Il y a d'abord les conditions dans les camps au Bangladesh.
    Je le répète, imaginez un instant que 700 000 personnes arrivent tout à coup dans un très petit territoire, coupant tout ce qui leur tombe sous la main pour se construire des abris. Même dans les meilleures conditions, même si le terrain était parfaitement plat et que la température était parfaitement douce et que tout allait bien à tous les points de vue, ce serait tout de même terriblement difficile.
    On est en présence d'une terre vallonnée. Lorsque la pluie arrive, chaque vallée devient une rivière. Chaque rivière est pleine de bactéries. Chaque rivière sera... Il s'agit là de choses de base. Il suffit de parler aux gens dans les camps pour savoir ce qui doit nous inquiéter. Nous devons débourber les latrines. Nous avons des équipes de personnes, de bénévoles, qui font le travail le plus élémentaire pour sauver des vies, afin que les gens ne tombent pas malades en buvant de l'eau.
    Tous les jours, des gens tombent malades après avoir bu de l'eau. Nous avons une épidémie de diphtérie. Le monde pensait qu'il n'y aurait plus jamais d'éclosions de diphtérie. L'Organisation mondiale de la Santé pensait que tout cela était fini. C'est terrible. Il y a des cas de rougeole. On s'attend à ce qu'il y ait une épidémie de choléra.
    Les gens me demandent quel est selon moi le risque le plus important. Le risque le plus important, c'est celui-là. La situation va empirer. Avec la détérioration des conditions météorologiques, la situation ne s'améliorera pas.
    Il faut donc qu'il y ait une réponse, et j'ai parlé très directement au gouvernement et je lui ai dit que tous les types de réponses imaginables doivent être envisagés par la communauté mondiale. Il se peut que les formes traditionnelles d'aide ne suffisent pas.
    Ma deuxième grande crainte est la marginalisation continue de la population de l'État d'Arakan, dans le Nord-Ouest du Myanmar, où les gens vivent dans une situation très précaire. Ils sont vulnérables sur le plan de la santé, de leur capacité d'apprendre, mais surtout, ils sont vulnérables en raison des restrictions quant à leurs déplacements, à leur capacité de travailler et à leur possibilité d'être eux-mêmes. C'est inquiétant, parce qu'on sait qu'on peut atteindre un point de bascule dans ces situations, où les conflits dépassent soudainement les bornes et où les discours haineux prennent le dessus.
    Je suis sûr que vous avez vu les commentaires de M. Zuckerberg, qui admet que Facebook a été utilisé comme véhicule de propagande haineuse au Myanmar. Cela a eu lieu dans une très large mesure, et c'est très inquiétant.
    Cela me préoccupe. Je dis au gouvernement que nous devons être conscients, alertes et prêts à intervenir. Ce qui est frustrant — encore une fois, vu de l'extérieur — c'est que le gouvernement est parfois lent à agir, et il doit être prêt à réagir rapidement compte tenu de la gravité de la crise.
    Je ne sous-estime pas du tout l'importance de la question de l'impunité et de la reddition de comptes, mais je crois qu'il faudra du temps et beaucoup de persévérance et de patience pour recueillir les preuves. C'est un travail laborieux. Il nous a fallu plus d'une décennie pour traduire Milosevic en justice, et nous ne devrions pas présumer que, simplement parce que nous prononçons un discours, disons quelque chose ou identifions une personne, nous aurons une réponse instantanée. Nous devons comprendre que ces choses sont le fruit de beaucoup de travail et d'efforts. Il faudra donc beaucoup de temps pour accumuler des preuves, et je pense que nous devrions le faire de la façon la plus efficace possible.
    Le problème immédiat auquel nous faisons face, cependant, c'est que des gens vont mourir si nous ne... De toute façon, des gens vont mourir compte tenu de leur état de santé, mais nous voulons nous assurer qu'un moins grand nombre de gens meurent, et c'est ce à quoi nous devons faire face.
    Pour vous donner une idée, monsieur le président, lors d'une réunion de travailleurs humanitaires à Cox's Bazar, la ville la plus proche des camps, une des personnes assises dans la salle — je m'en souviens très bien — m'a regardé et m'a dit: « Monsieur Rae, vous devez comprendre quelque chose. » Elle a ajouté: « Il ne s'agit pas de savoir si des gens vont mourir. Il s'agit de savoir combien de personnes vont mourir. »
(1345)
    Je vous le signale, chers collègues, parce que je veux que vous sachiez que ce n'est pas quelque chose qui sort de nulle part, mais bien quelque chose de réel. Cela se passe à l'autre bout du monde, mais cela se produit bel et bien, et nous devons être en mesure de réagir.
    Il nous reste environ 10 minutes. J'aimerais savoir si les membres du Comité sont prêts à entendre maintenant M. Khin. Êtes-vous d'accord?
    Des député: D'accord
    Le président: Monsieur Khin, nous vous invitons à prendre place à la table.
    Je souhaite la bienvenue à M. Khin. Il est membre de l'Organisation birmane des Rohingyas du Royaume-Uni.
    Nous serions heureux d'entendre ce que vous avez à dire pendant cinq à sept minutes.
    Merci.
(1350)
    Monsieur le président, honorable envoyé spécial et mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de me donner l'occasion de prendre la parole aujourd'hui.
    Je suis Rohingya. Je suis né et j'ai grandi dans l'État d'Arakan, dans l'ouest de la Birmanie. Je suis parti quand j'avais environ 17 ans. En fait, mon grand-père a été député et sous-ministre de 1952 aux années 1960. Le grand-père de ma mère a été le premier juge dans le Nord de l'État d'Arakan.
    Aujourd'hui, je ne suis pas citoyen de la Birmanie. Nous, les Rohingyas, vivons depuis des temps immémoriaux dans l'État d'Arakan. On nous a dépouillés de nos droits comme ethnie lorsque le général Ne Win a pris le pouvoir en 1962. On a ensuite mis fin au programme de langue rohingya de 1961 à 1965. Il y avait une émission en langue rohingya en Birmanie — une émission de radio — mais on y a mis fin pour nous priver de nos droits comme ethnie. Aujourd'hui, on dit que les Rohingyas n'existent pas.
    Les actions se sont intensifiées: en 1978, il y a eu l'opération King Dragon, au cours de laquelle 250 000 Rohingyas ont fui. Lorsque la pression a monté à l'échelle internationale, les Rohingyas ont été rapatriés du Bangladesh en 1978. C'est à ce moment-là que le premier exode a eu lieu, mais à cause des pressions, ces gens ont été rapatriés.
    L'armée birmane a mis en oeuvre la loi sur la citoyenneté de 1982. Cette loi privait les Rohingyas de droits fondamentaux. En raison de cette loi, je ne suis pas citoyen de la Birmanie aujourd'hui, même si mon grand-père a été député et si mon père a été au service du gouvernement pendant plus de 20 ans. À cause de cette loi, je ne pouvais pas aller à l'université. Lorsque j'étais dans l'État d'Arakan, je ne pouvais pas fréquenter l'université et j'ai vu beaucoup de mes amis condamnés, comme l'ami de mon frère, qui a été condamné à la prison parce qu'il n'avait pas le droit de se marier, mais qu'il l'a fait en cachette.
    Quand on veut se marier, il faut avoir un permis, et il peut falloir de trois à cinq ans pour l'obtenir.
    Lorsque nous devons voyager, comme d'Ottawa à Toronto, par exemple, nous devons obtenir un laissez-passer. Cela prend de deux à trois jours. Même si votre grand-père ou votre mère est gravement malade, vous ne pouvez pas y aller.
    Nos terres ont été confisquées par les militaires. Ils ont amené des non-Rohingyas sur notre territoire, et nous devons les nourrir. Mon père a été privé de ses terres par les militaires birmans, et on y a amené des non-Rohingyas. C'est ce que j'ai vécu lorsque j'étais dans l'État d'Arakan jusqu'à l'âge de 17 ans.
    Je ne pouvais pas aller à l'université, mais je voulais étudier. Heureusement, ma famille était assez notable, alors j'ai pu quitter le pays. J'ai la chance d'être ici aujourd'hui. Comme moi, plus d'un million d'étudiants rohingyas ne peuvent pas étudier et leur vie est détruite.
    C'est ce qui s'est passé de 1962 à 2010. Après 2010, lorsque la prétendue démocratie est arrivée en Birmanie, les discours haineux se sont propagés et, à cause d'eux, 140 000 Rohingyas ont été déplacées à l'intérieur du pays, à Sittwe plus précisément. Les Rohingyas ont été exclus du recensement de 2014. En 2015, pour la première fois dans une élection, les Rohingyas n'ont pas pu voter, et leur droit de vote et leur droit d'être élu député leur ont été retirés.
    Que s'est-il passé d'autre? En 2016, pendant des attaques contre les Rohingyas, on a incendié des maisons et des villages, et en octobre 2017, la crise la plus importante s'est produite. À l'époque, j'étais au Bangladesh, où j'ai passé quatre semaines. J'ai rencontré de mes amis, dont certains étaient des amis d'enfance, et j'ai rencontré beaucoup de membres de ma famille. Ils m'ont dit que le gouvernement birman avait incendié les maisons de façon très systématique.
    J'aimerais vous relater une histoire qu'une femme m'a racontée. Lorsque les militaires sont entrés dans son village, ils ont rassemblé les villageois, et un garçon de sept ans a été poignardé à mort. Ensuite, un militaire a violé la dame en question, et un autre militaire a essayé de le faire aussi, mais elle a pu s'enfuir. Son mari a été assassiné devant elle par l'armée.
    Dans un village, Tula Toli, des milliers de Rohingyas ont été tués. Les militaires leur ont dit qu'ils ne leur feraient pas de mal et leur ont demandé de sortir de leur maison. Trois camions des forces armées les ont alors encerclés, puis simplement abattus. C'est ce que j'ai entendu lorsque j'étais au Bangladesh, et j'y suis allé trois fois — en février et il y a deux semaines. J'ai rencontré ces gens. Ils m'ont raconté ces histoires insupportables et indicibles. J'ai du mal à vous les relater. Mais vous savez tous de quoi il retourne.
    Je tiens à souligner ce que le gouvernement birman fait à notre communauté. Nous sommes un peuple. Nous sommes une minorité pouvant être gérée. Nous avons notre territoire. Nous avons notre culture et notre civilisation. On nous a tout enlevé. Tout ce qui nous restait, c'était des terres, mais on a brûlé tous les villages en août 2017. On nous a déjà chassés de notre pays. C'est définitif. Il s'agit d'une intention très systématique de détruire intentionnellement notre communauté. Il s'agit d'un génocide. C'est ce que je peux dire moi-même en tant que Rohingya.
    Nous apprécions vraiment l'appui continu du gouvernement canadien. Je tiens à remercier chaleureusement l'envoyé Bob Rae pour son excellent rapport.
    De quoi les Rohingyas ont-ils besoin à court terme? Nous sommes un peuple. Nous ne voulons pas que notre communauté soit exploitée dans des camps de réfugiés pendant des années. Le gouvernement birman et l'armée ont rasé les villages, alors je ne vois pas comment les Rohingyas pourraient y retourner dans 5 ou 10 ans. Les gens m'ont dit qu'ils voulaient retourner, mais l'armée birmane et le gouvernement ont rendu cela impossible. Ils ont tout rasé et tout brûlé. Parmi les personnes qui restent maintenant, 1 à 10 familles fuient chaque semaine.
(1355)
    Il y a trois jours, j'ai reçu un appel. Il y a des gens qui essaient de fuir encore cette fin de semaine. C'est ce que j'entends chaque semaine, chaque fois, de la part des membres de ma famille, de mes amis.
    À court terme, nous avons donc besoin de soutien pour protéger ces réfugiés rohingyas. La saison des pluies de la mousson approche et, selon un agent de l'Organisation internationale pour les migrations que j'ai rencontré, les quelque 200 000 réfugiés rohingyas peuvent avoir une incidence directe sur les inondations et les glissements de terrain. Cela arrive toujours là, chaque année. Je crains que la saison des pluies ne soit encore plus désastreuse.
    J'aimerais demander au gouvernement canadien et à la communauté internationale de protéger les réfugiés et de renforcer leurs capacités.
    Nous, les Rohingyas, ne voulons pas que notre communauté soit exploitée. Les gens veulent étudier; c'est ce qu'un réfugié m'a dit il y a quelques jours lorsque j'étais dans un camp. Ils veulent envoyer leurs enfants étudier, alors ils veulent un renforcement de leurs capacités.
    Il n'est pas facile de réinstaller 700 000 personnes. Nous aimerions que quelques centaines ou quelques milliers de personnes, qui en sont capables, reçoivent une bonne éducation. Nous avons besoin de Rohingyas de la base pour assurer le leadership. Il est important de les réinstaller et de les intégrer dans les universités canadiennes ou ailleurs. Il y a beaucoup d'étudiants qui n'ont pas pu aller à l'université. Ils ont tout simplement arrêté leurs études, et leur vie est détruite à cause de l'exploitation à laquelle ils feront face.
    À plus long terme, ce que nous demandons ici, c'est... Comme nous l'avons vu, dans cette situation en Birmanie, les moines bouddhistes, les institutions, l'armée, les forces de sécurité, la Ligue nationale pour la démocratie et le Parti de l'union, de la solidarité et du développement disent tous que les Rohingyas sont des immigrants illégaux. Nous ne voyons aucune protection dans notre pays. Nous avons donc besoin d'une patrie protégée, d'un retour sous protection à cette patrie au Myanmar. Nous ne demandons pas un État distinct; nous n'exigeons que notre citoyenneté et nos droits, mais nous avons besoin de la protection de la communauté internationale dans notre pays. Sinon, nous ferons face à une autre atrocité de masse. Cela pourrait se produire n'importe quand.
    C'est pourquoi, avant le rapatriement, il faut que la situation change. Avant d'être rapatriés, nous voulons être protégés dans notre pays, la Birmanie, où il reste au moins 450 000 Rohingyas. Ces gens fuient chaque jour.
    Chers amis, je suis très heureux que vous vous préoccupiez de notre sort et je vous remercie de votre merveilleux soutien à notre communauté. Nous sommes un peuple du XXIe siècle qui fait face à un génocide. Nous sommes parfois désespérés pour notre communauté. Dans les camps de réfugiés, mes frères et mes soeurs m'ont dit, s'il te plaît, prends la parole pour nous; s'il te plaît, appuie-nous; nous faisons face à un génocide. Nous avons besoin de votre aide, de votre soutien, pour mettre fin à ce génocide. Nous voulons retourner dans notre patrie. S'il vous plaît, aidez-nous. Comment? En nous protégeant pour que nous puissions y retourner. C'est ce que je vous demande à tous.
    Merci beaucoup. J'apprécie vraiment votre merveilleux soutien. Je suis sûr que vous continuerez tous l'excellent travail que vous faites pour sauver la vie des Rohingyas. Merci beaucoup.
(1400)
    Merci beaucoup, monsieur Khin, pour ces observations passionnées.
    Monsieur Rae, je vous remercie d'être ici et de nous avoir parlé des Rohingyas.
    Vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion dans votre conclusion, monsieur Khin.
    Sur ce, merci à tous.
    La séance est levée.
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