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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 052 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 23 mars 2017

[Enregistrement électronique]

(1305)

[Traduction]

    Bonjour à tous. Je déclare ouverte cette séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne. Nous allons continuer aujourd'hui notre étude sur la situation des droits de la personne au Soudan du Sud.
    Nous accueillons deux invités qui vont témoigner par vidéoconférence. David Morley est président et chef de la direction d'UNICEF Canada depuis 2011. Il était auparavant président d'Aide à l'enfance Canada. De 1998 à 2006, M. Morley a été chef de la direction de Médecins Sans Frontières Canada. Pendant cette période, Médecins Sans Frontières a reçu le prix Nobel de la paix.
    Je veux aussi souhaiter la bienvenue à Jonathan Pedneault de Human Rights Watch. M. Pedneault est chercheur auprès de la division Afrique pour le Soudan du Sud. Depuis janvier 2016, il enquête sur les violations des droits de la personne et du droit humanitaire international commises par les forces gouvernementales et rebelles au Soudan du Sud. En 2013 et 2014, il a formé des reporters sud-soudanais et centrafricains au journalisme en situation de conflit.
    Nous allons vous laisser environ sept minutes chacun pour vos observations préliminaires, après quoi nous passerons directement aux questions des membres du Comité.
    Pourquoi ne pas commencer avec vous, monsieur Morley? À vous la parole.
    Je vous remercie de vous intéresser à ces enjeux cruciaux pour les enfants et les familles du Soudan du Sud, mais aussi bien sûr importants pour nous, Canadiens, comme en témoigne le soutien bien senti que le Canada a offert et continue d'offrir à la population de ce pays.
    L'UNICEF s'emploie à coordonner l'aide humanitaire déployée à l'échelle planétaire au bénéfice des enfants sud-soudanais. Nous sommes à la tête des opérations de secours menées aux fins de l'aide alimentaire, du soutien à l'éducation et de la protection de l'enfance ainsi que pour l'approvisionnement en eau, les systèmes sanitaires et l'hygiène. Notre rôle à ce chapitre vise notamment à limiter le dédoublement des services offerts par les différentes agences qui oeuvrent au Soudan du Sud. Je veux d'ailleurs profiter de l'occasion pour remercier Affaires mondiales Canada de l'engagement annoncé la semaine dernière pour appuyer notre travail dans différents pays, y compris le Soudan du Sud.
    Avant même que le conflit n'éclate, la situation des enfants sud-soudanais figurait parmi les pires observées sur la planète. La violence qui continue de régner dans ce pays n'a fait qu'envenimer les choses. Nous constatons que plus de 4 millions d'enfants ont maintenant besoin d'une aide humanitaire d'urgence. Nous savons que quelque 3,5 millions de Sud-Soudanais ont été déplacés par le conflit et que plus de 1,6 million d'entre eux ont quitté le pays. C'est plus de 10 % de la population.
    En février dernier, la famine a été officiellement déclarée dans certaines régions de l'État d'Unité. C'est la première fois au cours des six dernières années qu'une famine est déclarée quelque part dans le monde, et seulement la deuxième fois depuis plus de 30 ans. Cette famine est principalement attribuable à la crise économique causée par cet horrible conflit qui perdure. Nous craignons fort de nous retrouver d'ici mai ou juillet avec près de la moitié de la population considérée à risque dans une situation d'insécurité alimentaire. Nous recensons actuellement près d'un million d'enfants souffrant de malnutrition aiguë.
    Je vais vous montrer quelque chose qui va vous donner une bien meilleure idée de la situation que n'importe quel chiffre. Vous allez voir ce qu'on entend par « malnutrition aiguë ». J'ai ici ce qu'on appelle un bracelet de mesure du périmètre brachial. On le place autour du bras de l'enfant à la hauteur du biceps. On tire sur la languette et si l'on atteint la partie en jaune, c'est que l'enfant souffre de malnutrition aiguë. En pareil cas, l'ouverture du bracelet a la taille d'une pièce de deux dollars. C'est la circonférence du bras d'un enfant de six mois à cinq ans qui souffre de malnutrition aiguë. C'est désormais le cas d'un nombre sans cesse croissant d'enfants sud-soudanais.
    C'est dans ce contexte que l'UNICEF a lancé de très vastes opérations de secours. De concert avec le Programme alimentaire mondial, nous avons enclenché des mécanismes d'intervention rapide pour faire parvenir des denrées alimentaires, des fournitures et des vaccins dans les secteurs difficiles à atteindre. Nous devons souvent nous y rendre par hélicoptère, car il n'existe pas d'accès routier.
    Nous devons constater une augmentation des besoins des enfants et des familles victimes de cette escalade de la violence. Les travailleurs humanitaires — nos collègues, comme ceux des autres agences — continuent d'avoir à surmonter plusieurs obstacles pour offrir à ces gens-là l'aide dont ils ont besoin. Ces obstacles ne sont pas uniquement dus au conflit lui-même. Il arrive que l'on nous refuse l'accès et que nous ayons à composer avec des tracasseries administratives. Dans certains cas, nos travailleurs humanitaires doivent eux-mêmes être déplacés en raison de l'insécurité découlant des tensions croissantes ou de directives provenant des autorités.
    Cela ne nous empêche pas de tout mettre en oeuvre pour accomplir notre tâche, et c'est dans ce contexte que nous exhortons toutes les parties au conflit à mettre fin aux actes répréhensibles ciblant les travailleurs humanitaires. On doit aussi faire cesser les mauvais traitements infligés aux enfants. Toutes les parties doivent respecter les droits de la personne et le droit humanitaire international en veillant à ce que les civils, et les enfants tout particulièrement, soient à l'abri du danger.
    Nous pouvons constater que les réseaux de protection de l'enfance sont mis à rude épreuve. Nous voyons des filles et des femmes qui sont grandement exposées à la violence sexuelle et au viol, des atrocités commises par toutes les parties au conflit. Nous avons également vu des écoles et des hôpitaux être victimes d'attaques, lesquelles étaient aussi le fait de toutes les parties. Des factions armées étatiques et non étatiques sont en effet à l'origine de ces graves violations.
    Dans cette conjoncture, nous essayons tant bien que mal de réunir les familles. Nous avons des services pour aider les enfants seuls et séparés de leurs proches à retrouver leur famille et à la rejoindre. Nous leur offrons également du soutien psychosocial.
    Nous savons en outre que plus de 17 000 enfants demeurent associés à des groupes armés. Nous intervenons auprès des parties au conflit afin qu'elles cessent de recruter des enfants pour servir au sein de ces groupes armés. Malgré les engagements pris tant par les forces gouvernementales que par celles de l'opposition pour stopper le recours aux enfants, le nombre de ceux qui participent au conflit ne cesse d'augmenter.
    L'UNICEF a été en mesure d'aider plus de 19 000 enfants à quitter ces groupes armés. Nous nous employons actuellement à favoriser leur réintégration à la société. Nous leur offrons des moyens de gagner leur vie ou de reprendre leurs études pour faciliter leur retour au sein de leur communauté, mais ils sont nombreux à avoir manqué l'école pendant des années. Plusieurs ont été victimes de mauvais traitements sur le plan physique, émotionnel, social et psychologique. Le retour au sein de leur communauté et de leur famille n'est pas chose facile, mais cela demeure la grande priorité.
    Au chapitre des droits de la personne, nous nous préoccupons également de la violence faite aux filles et aux femmes. La crise actuelle a grandement exacerbé cette forme de violence qui est perpétrée par toutes les parties au conflit. Dans le but de freiner cette violence et d'appuyer les survivantes, l'UNICEF forme des médecins, des travailleurs de la santé et des travailleurs sociaux afin qu'ils puissent répondre aux besoins des victimes.
    Dans les États d'Équatoria-Central et d'Unité, nous avons diffusé des messages de prévention et fourni des services d'intervention et d'aiguillage dont bénéficient près de 19 000 femmes, filles, hommes et garçons. À Juba, nous avons offert, en collaboration avec nos partenaires, une formation aux travailleurs humanitaires pour l'atténuation des risques associés à la violence faite aux filles et aux femmes et l'amélioration de la sécurité de celles-ci à l'intérieur et à l'extérieur des camps pour personnes déplacées.
    Dans d'autres régions du pays, dont Bor et Jonglei, l'UNICEF combat la violence fondée sur le sexe au moyen d'un engagement communautaire, c'est-à-dire en formant des groupes de décideurs locaux, autant hommes que femmes, pour qu'ils changent les normes sociales dommageables et qu'ils travaillent dans le sens d'une amélioration des choses.
    En raison du conflit qui y règne actuellement, le Soudan du Sud est le pire endroit au monde pour être un enfant. La situation est catastrophique, tant du point de vue humanitaire que dans la perspective des droits de la personne, et l'UNICEF met tout en oeuvre pour alléger du mieux qu'elle peut les souffrances de ces enfants et de ces familles.
    Je vous remercie de la contribution apportée par le Canada en vue d'améliorer la situation dans ce pays au seuil du désespoir.
(1310)
    Merci beaucoup, monsieur Morley.
    Nous allons maintenant entendre M. Pedneault.
    À vous la parole.
    Je suis rentré du Soudan du Sud il y a quelques jours à peine. J'ai eu la chance d'y passer trois semaines au cours desquelles j'ai pu discuter directement avec des personnes handicapées et des aînés dans des camps pour personnes déplacées à l'intérieur du pays dans l'État d'Unité, mais également à Malakal et à Juba. C'était mon sixième voyage au Soudan du Sud depuis que j'ai amorcé ce travail pour Human Rights Watch au début de 2016. Comme vous le savez sans doute, nous travaillons à documenter le conflit et les violations des droits de la personne qui ont cours dans ce pays depuis le début de la guerre en décembre 2013.
    Comme vous le savez, ce qui était au départ un conflit politique entre le président Kiir et celui qui était alors vice-président, Riek Machar, a rapidement dégénéré en affrontement ethnique avec déplacement des combats vers le nord jusqu'à la grande région du Nil Supérieur, qui comprenait les anciens États du Nil Supérieur, de Jonglei et d'Unité. Nous avons pu constater en 2014 une violence extrême de la part des deux parties. On pouvait clairement y observer des modèles conformes à une guerre conventionnelle avec la prise de contrôle de villes par les soldats, puis par les combattants de l'opposition. Selon les forces temporairement au pouvoir dans une ville, différents groupes ethniques pouvaient être ciblés. Des dizaines de milliers de personnes ont ainsi dû être déplacées vers des camps de protection des civils situés dans des bases gardées par les Nations unies.
    À Malakal, par exemple, une ville qui a changé de main plus d'une dizaine de fois, on pouvait observer des mouvements de population qui variaient en fonction des forces aux commandes. Si la ville était contrôlée par des soldats dinkas, ce sont surtout les Shilluks et les Nuers qui s'enfuyaient vers les sites de protection des civils, l'inverse étant également vrai lorsque la ville tombait aux mains de l'opposition.
    En 2015, nous avons noté des actes d'horreur dans l'ancien État d'Unité, qui était généralement contrôlé en grande partie par l'opposition. Le chef de l'opposition, Riek Machar, vient d'ailleurs de la ville de Leer, au centre de cet État. Il s'agit d'une des régions qui est actuellement touchée par la famine au Soudan du Sud. Nous avons recensé de graves cas de mauvais traitements à l'encontre de civils perpétrés par des soldats et des milices progouvernementales en 2015, et d'horribles campagnes de la terre brûlée où l'on avait recours à des tanks et des milices tribales pour voler le bétail, détruire les villages et anéantir les modes de subsistance de façon très systématique, ce qui a forcé le déplacement de dizaines de milliers de personnes qui n'avaient plus de quoi assurer leur subsistance. La famine que nous constatons aujourd'hui est la suite directe de ces exactions qui ont eu cours en 2105 qui n'ont eu que peu de conséquences pour les commandants et les responsables eux-mêmes.
    À la suite de cette offensive marquée d'atrocités, un accord de paix a été conclu, comme vous le savez sans doute, en août 2105. Il s'agit d'une entente de partage des pouvoirs assortie de mesures de reddition de comptes, y compris la mise en place proposée d'un tribunal hybride qui allait faire enquête sur les crimes commis par les deux parties au conflit et se prononcer à ce sujet. Malheureusement, comme nous l'avons noté par la suite, les dispositions de l'accord de paix ont en fait incité de nouveaux groupes à faire leur apparition dans l'État d'Équatoria et dans certaines régions de l'ouest du pays en clamant leur appartenance à l'opposition, ce qui a entraîné le déploiement de forces de contre-insurrection par le gouvernement et la propagation des violations des droits de la personne à la grandeur du pays.
    J'ai eu l'occasion de visiter des endroits comme Yambio, Wau et Yei en 2016, et j'ai pu voir comment le gouvernement a mené des missions de contre-insurrection extrêmement violentes dans ces secteurs, en ciblant les jeunes, en les incarcérant pendant de longues périodes, en les torturant pour obtenir de l'information sur les agissements des rebelles, en menant des opérations de nettoyage sur les routes à proximité des villes, en détruisant des villages, et en forçant le déplacement de dizaines de milliers de civils que nous avons pu voir traverser la frontière vers l'Ouganda au rythme effroyable de quelque 4 000 personnes par jour pendant une certaine période.
(1315)
    On ne compte plus le nombre de viols, d'enlèvements et de disparitions forcées attribuables à des acteurs militaires et étatiques. Depuis l'an dernier, nous nous intéressons tout particulièrement à cette propagation des conflits qui montre bien, non seulement que l'accord de paix n'a pas permis de mettre fin aux violations des droits de la personne, mais aussi que les deux parties, l'opposition et le gouvernement, gardent au coeur de leur stratégie pour remporter cette guerre les mauvais traitements infligés aux civils.
    La communauté internationale n'a malheureusement pas su imposer un embargo sur les armes et d'autres mesures punitives qui auraient indiqué très clairement au gouvernement du Soudan du Sud et à l'opposition que leurs agissements actuels sont inacceptables. Comme vous le savez sans doute, on n'est pas parvenu à adopter en décembre dernier une résolution mise aux voix pour imposer un tel embargo sur les armes, une victoire nette aux yeux du gouvernement du Soudan du Sud, ce qui n'a pas manqué de ragaillardir les parties au conflit.
    Le fait qu'une famine ait été déclarée n'a pas empêché la poursuite des attaques à l'encontre de villages dans les secteurs de Mayendit et de Leer, les deux régions qui sont directement touchées. J'ai eu la chance de rencontrer des civils qui ont fui leur village au cours des dernières semaines. Ces gens-là ont dû fuir leur domicile à deux ou trois reprises au cours des récentes années. Certains ont dû traverser des zones marécageuses pour se mettre en sécurité. Ils ont éprouvé toutes les difficultés du monde à trouver à s'alimenter. Ils ont vécu tout cela en se retrouvant sous le feu des armes et en craignant constamment d'être violés ou tués, ou de voir leurs enfants être enlevés par des groupes armés.
    Le cynisme avec lequel le gouvernement a répondu à la déclaration de famine en affirmant qu'il allait imposer un droit de 10 000 $US sur l'aide humanitaire, le fait qu'il continue de bloquer l'accès des travailleurs humanitaires aux deux régions touchées par la famine dans l'État d'Unité, et le fait que ses forces militaires ont continué d'attaquer des civils et des biens leur appartenant, montrent clairement que nous sommes dans le cas du Soudan du Sud en présence d'un gouvernement qui a toujours fait fi des droits fondamentaux de la personne. L'attitude adoptée par la communauté internationale dans ses relations passées et actuelles avec le gouvernement du Soudan du Sud — le premier vice-président a récemment participé à un forum sur la sécurité à Munich en Allemagne où il a discuté avec les hommes d'État comme s'il était le représentant légitime et démocratiquement élu d'un gouvernement respectant les droits de la personne...
    Désolé, mais il semble y avoir un problème d'éclairage. Est-ce que vous me voyez encore?
(1320)
    Ne vous inquiétez pas; nous pouvons vous entendre.
    Vous revoilà. Il y a un détecteur de mouvement.
    Désolé, mais je n'ai pas l'habitude de ces installations.
    La présence récente du vice-président à Munich et l'absence de sanctions à l'encontre des principaux dirigeants du gouvernement et de l'opposition ont malheureusement fait en sorte que les parties au conflit au Soudan du Sud sont plus déterminées que jamais.
    Tout l'argent qui peut être dépensé actuellement pour sauver des vies revient en fait à poser un diachylon sur des blessures très profondes découlant d'un manque de reddition de comptes qui perdure depuis l'indépendance. Nous exhortons le gouvernement du Canada à continuer d'exercer des pressions sur les autres pays comme les États-Unis, mais aussi dans certaines régions d'Afrique, en insistant sur la nécessité de mettre en place le tribunal hybride pour que des enquêtes puissent être menées.
    Je vous remercie.
    Merci à tous les deux pour vos témoignages à la fois bouleversants et très éclairés. Nous allons passer directement aux questions, car je sais qu'il y en aura beaucoup.
    Nous débutons par M. Anderson.
    Merci, monsieur le président.
    Merci à nos deux témoins d'être des nôtres aujourd'hui.
    J'aimerais en savoir plus long au sujet de la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. Je ne sais pas si vous pouvez nous aider à y voir plus clair.
    Monsieur Pedneault, qu'est-ce qui doit se passer pour que cette résolution soit adoptée, ou croyez-vous qu'il soit possible dans le contexte actuel de faire adopter une résolution semblable aux Nations unies?
    Malheureusement, les Nations unies ont perdu une large part de leur crédibilité aux yeux de bon nombre des acteurs sur le terrain. En ne parvenant pas à faire adopter un embargo sur les armes après avoir fait peser cette menace sur toutes les parties au conflit pendant une longue période, on a insufflé une nouvelle ardeur aux belligérants.
    Sous la direction désormais assurée par David Shearer, la MINUSS doit être davantage ouverte sur l'extérieur. On doit se montrer plus déterminé dans l'accomplissement de son mandat, mais aussi manifester sa présence dans des secteurs moins bien protégés par les forces internationales. Comme vous le savez sans doute, les Nations unies concentrent leur présence dans un certain nombre d'emplacements. Leurs patrouilles se heurtent sans cesse aux troupes gouvernementales et aux combattants de l'opposition. La mission doit s'affirmer davantage dans son rôle de protection des civils et déployer la force nécessaire au besoin. C'est ce que prévoit son mandat et on ne devrait pas hésiter à le faire.
    Avez-vous une idée de la raison pour laquelle on ne le fait pas?
    Je crois que la mission s'est retrouvée coincée dans ses efforts pour établir une relation de travail avec un gouvernement qu'une telle relation n'a jamais intéressé. En permettant au gouvernement de lui imposer différentes restrictions au fil des ans, la mission a perdu sa capacité à façonner les événements sur le terrain en s'efforçant d'être un acteur à part entière, plutôt que de devoir réagir de façon passive à ce qui se produit. Il faut absolument changer la dynamique des choses de telle sorte que la mission ne se contente plus de réagir.
    C'est ce que l'on a commencé à faire. Récemment, des Casques bleus sont venus à la rescousse de travailleurs humanitaires à Yei. Pour les travailleurs des Nations unies dans cette ville, c'est une très bonne nouvelle. Nous devons voir davantage d'actions semblables où les Casques bleus interviennent plus directement pour sauver des vies.
(1325)
    Monsieur Morley, avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet?
    Il faut également constater que les événements au Soudan du Sud se déroulent impunément au su et au vu de tous, ce qui peut avoir pour effet de motiver les responsables. Je pense que des efforts comme celui-ci et l'intérêt manifesté par le gouvernement canadien... Je crois que la déclaration de famine met davantage la situation en lumière. Ce n'est pas tant en raison des considérations techniques à l'origine d'une telle déclaration, mais du fait que cela permet d'espérer une plus grande sensibilisation de la population mondiale et une certaine intensification des pressions politiques de telle sorte que des mesures puissent être prises. Sans cela, comme l'indiquait M. Pedneault, la situation va perdurer, car personne à l'extérieur du Soudan du Sud ne semble vouloir s'intéresser à ce qui se passe dans ce pays.
    Merci.
    Monsieur Pedneault, vous avez parlé de la nécessité de documenter la situation et de conserver des preuves. C'est toujours un élément critique dans les études que nous menons, mais je me demande simplement si vous croyez que l'on en fait suffisamment à ce chapitre. Est-ce que d'autres organisations vous appuient dans ce travail et est-ce qu'on va être en mesure d'amasser assez d'éléments pour pouvoir en faire une utilisation concrète?
    Nous ne conservons pas de preuves, manifestement. Nous recueillons plutôt des preuves par l'intermédiaire de témoignages. Nous ne sommes pas un organisme d'enquête comme la Commission des droits de l'Homme, par exemple. Comme vous l'avez peut-être constaté, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme a été rétabli, à Genève. L'an dernier, une commission comportant trois commissaires a été créée pour étudier de possibles mécanismes de reddition de comptes pour le Soudan du Sud. Nous sommes heureux du rétablissement de la Commission et que son mandat a été élargi. Je crois que le vote a lieu aujourd'hui, et nous avons bon espoir que la Commission aura les ressources supplémentaires pour mener ces activités d'enquête et de conservation des preuves.
    Toutefois, ce n'est pas suffisant. Il faut aussi que ceux qui documentent ces cas de violations des droits de la personne se fassent plus entendre. La mission des Nations unies au Soudan du Sud comporte un volet en matière de droits de la personne. Les nombreux enquêteurs de sa division des droits de la personne mènent de telles activités. Ils n'ont malheureusement pas publié beaucoup de leurs constatations par crainte de s'aliéner le gouvernement du Soudan du Sud. Encore une fois, cette dynamique doit changer.
    Nous espérons que ces preuves et ces témoignages pourront un jour être utilisés devant les tribunaux, si on parvient un jour à mettre en place un tribunal hybride.
    Je ne sais pas combien de temps il me reste.
    Plusieurs témoins ont indiqué que la famine est essentiellement l'oeuvre de l'homme. Elle découle des conditions sur le terrain. Alors que cette famine prend de l'ampleur, les puissances régionales jouent-elles un rôle positif ou négatif quant à la capacité d'intervention visant à régler le problème? Quel sera le rôle des puissances régionales au Soudan du Sud dans six mois?
    Je pense que le gouvernement du Soudan du Sud a été très habile en s'alliant récemment à l'Éthiopie et à l'Égypte pour éviter des sanctions par le Conseil de sécurité des Nations unies. Comme vous le savez, l'Autorité intergouvernementale pour le développement — l'IGAD — et la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest ont joué un rôle actif dans l'accord de paix et dans la surveillance du processus de paix.
    Malheureusement, on constate actuellement que les intérêts régionaux ou nationaux divergents empêchent l'IGAD de trouver un terrain d'entente ou d'exercer les pressions nécessaires pour que le gouvernement du Soudan du Sud mette fin aux violations des droits de la personne. Par conséquent, je dirais que les pays de la région n'ont pas joué un rôle très positif pour mettre fin aux violations de droits de la personne qui font perdurer cette famine.
    Monsieur Morley?
    Non.
    Cette famine sera-t-elle une raison suffisante pour que les gens prennent conscience que des mesures s'imposent, ou non?
    Sans pressions externes venant de pays comme le Canada, je ne crois pas que ce sera le cas.
    Je pense que c'est vrai; la déclaration de famine... Nous avons aussi parlé de conditions de préfamine pour accroître la sensibilisation. À mon avis, si la situation empire, nous aurons effectivement besoin d'un appui externe élargi pour apporter les changements qui s'imposent au Soudan du Sud.
(1330)
    Habituellement, c'est lorsqu'on commence à publier des photos de ce genre de choses que les gouvernements occidentaux s'intéressent vraiment à ces enjeux et décident d'intervenir. Nous espérons qu'on n'en arrivera pas là.
    C'est vrai. C'est ce qui s'est passé lors de la dernière famine qui a frappé la Corne de l'Afrique. Les interventions ont été mitigées jusqu'à la publication de photographies horrifiantes. Notre objectif est de ne pas en arriver à une tragédie d'une telle ampleur, mais c'est difficile.
    Merci.
    Merci beaucoup, monsieur Anderson.
    Nous passons maintenant à M. Fragiskatos.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Morley, vous avez parlé des organismes humanitaires et des difficultés auxquelles ils sont confrontés, notamment les obstacles majeurs pour la distribution de l'aide humanitaire. Par exemple, vous avez évoqué la nécessité d'utiliser des hélicoptères pour aller sur le terrain. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?
    Si nous parlons bel et bien d'une famine, il faudra éventuellement discuter de la distribution de l'aide humanitaire et des difficultés avec lesquelles les ONG et les travailleurs humanitaires doivent composer. Dans le cas présent, ce ne sont pas de simples difficultés, mais des problèmes extrêmement graves et très préoccupants. Pourriez-vous nous parler de certains de ces enjeux?
    Certainement. L'état des infrastructures du Soudan du Sud rend le transport difficile même en temps normal. Le pays ne compte que 200 kilomètres de routes pavées, environ, ce qui nuit au transport de lourdes charges.
    Voici comment fonctionne notre mécanisme d'intervention rapide. Nous collaborons avec le Programme alimentaire mondial pour l'envoi d'hélicoptères dans ces régions. Nous trouvons un lieu d'atterrissage près d'un village. Ensuite, nous devons collaborer avec les divers groupes armés afin que nos équipes ne soient pas la cible de tirs à leur arrivée.
    Habituellement, nos équipes restent sur les lieux pour une semaine, environ. Nous avons des cliniques mobiles qui servent au dépistage de cas d'enfants souffrant de malnutrition et à l'organisation de campagnes de vaccination. Certaines collectivités ont encore des enseignants; nous leur fournissons alors du matériel scolaire. Nous devons toujours être prêts à partir à tout moment. Le transport par hélicoptère entraîne une hausse considérable des coûts. C'est beaucoup plus coûteux que le transport par bateau sur le Nil ou que d'autres modes de transport. C'est donc extrêmement difficile à maintenir.
    Il y a des problèmes d'ordre politique dans ce pays, mais pour ces femmes et ces enfants... Vous savez, lorsque j'ai une coupure, je veux la couvrir d'un pansement pour favoriser la guérison. C'est exactement ce que nous pouvons faire maintenant pour ces femmes et ces enfants. Nous savons aussi que toute crise humanitaire nécessite une solution d'ordre politique. C'est la solution qu'il nous faut, en fin de compte. Entre-temps, nous pouvons intervenir sur le terrain, mais une solution politique s'impose.
    Combien de temps me reste-t-il, monsieur le président?
    Vous avez quatre minutes.
    Très bien. J'ai une autre question. Je céderai ensuite la parole à M. Tabbara pour que nous ayons tous l'occasion de poser des questions aujourd'hui.
    Pourriez-vous parler davantage des difficultés associées à l'établissement de liens avec les acteurs locaux afin de vous acquitter de vos responsabilités? Vous devez sans doute avoir des liens avec divers acteurs dont vous connaissez les activités, comme l'UNICEF ou d'autres organismes, et qui sont en mesure d'intervenir parce qu'ils communiquent régulièrement avec des acteurs qui sont sur le terrain — des politiciens locaux ou des autorités locales —, desquels vous devez obtenir l'autorisation d'intervenir dans certaines régions. Quelles sont les difficultés associées à cela?
    Personnellement, je n'irais pas jusqu'à parler de liens, mais dans les zones de conflit où je me suis rendu et où j'ai travaillé, j'ai toujours eu à négocier avec divers acteurs, comme des groupes armés ou... À ces gens s'ajoutent des gens de la collectivité, comme les membres des conseils de village, les enseignants, les aînés et les sages-femmes. Ce sont des gens de la société civile locale. Nous ne le reconnaissons peut-être pas dans le contexte canadien, mais cela existe. Les villages sont toujours dotés d'une certaine structure, et le réseau d'entraide essentiel au progrès social fait partie des choses qui ont été détruites dans ce conflit.
    Nos collègues sur le terrain sont en négociation et en communication constantes. Sans cela, nous ne pourrions intervenir comme nous le faisons actuellement. Je n'irais probablement pas jusqu'à dire qu'il y a un dialogue, mais des négociations constantes sont nécessaires pour nous rendre au-delà des lignes de front pour offrir l'aide nécessaire. Sans cela, nous ne pourrions pas faire notre travail.
(1335)
    Merci beaucoup.
    Je cède la parole à M. Tabbara afin qu'il puisse poser des questions.
    Je remercie les témoins qui sont ici aujourd'hui.
    Ma question s'adresse à M. Pedneault. D'autres témoins que nous avons entendus ont mentionné que ce conflit n'était pas lié à des divisions entre les tribus, mais qu'il était plutôt lié au pétrole, aux ressources et à la distribution de la richesse. Souscrivez-vous à cette affirmation? Pourriez-vous parler davantage de cet aspect?
    Le Soudan du Sud a été secoué par des conflits pour la majeure partie des 60 dernières années. Il y a eu une longue guerre avec le Nord, évidemment, mais il a connu beaucoup de conflits internes, comme des combats intercommunautaires et de fréquents vols de bétail ou d'enlèvements de femmes. Il est aussi caractérisé par de nombreuses pratiques culturelles qui ont entraîné la situation actuelle, dans une certaine mesure. L'histoire du pays est aussi marquée par des conflits entre les agriculteurs et les éleveurs.
    Quant au contexte actuel, on se retrouve, d'une part, avec le président Salva Kiir, un Dinka qui s'est entouré d'un groupe de conseillers majoritairement formé de Dinkas et, d'autre part, avec un chef de l'opposition d'origine nuer qui a réussi pour le moment à créer une coalition multitribale. Il s'agit donc manifestement d'un conflit tribal. La tribu a une incidence sur la façon dont les gens perçoivent leur rôle dans cette guerre. Elle a aussi une incidence sur les comportements des gens lorsqu'ils rencontrent des soldats dans la rue. Nous savons qu'à plusieurs occasions, des Nuers ont été obligés de prétendre parler le dinka afin de ne pas être abattus par des soldats dinkas. L'inverse est aussi arrivé.
    Actuellement, dans les Équatorias, on constate que des troupes majoritairement formées de Dinkas provenant des régions natales du président et de son général en chef sont responsables de la majorité des exactions commises dans le cadre de cette contre-insurrection à l'égard de gens qu'ils soupçonnent d'être des partisans de l'opposition. On parle de gens des Équatorias, soit les Baris, les Kakwas ou les Kukus. Ces gens sont ciblés simplement parce qu'ils sont originaires d'une région donnée.
    Ce serait une grave erreur de ne pas reconnaître la nature ethnique de ce conflit. À l'origine, ce n'était peut-être pas un conflit ethnique, mais plutôt un conflit politique entre deux hommes qui luttaient pour le pouvoir, comme je l'ai indiqué. Malheureusement, au fil du temps, tandis que le conflit prenait de l'ampleur, cela s'est transformé en conflit ethnique, comme le démontrent les témoignages de plus en plus nombreux en ce sens. Le gouvernement a malheureusement encouragé cette perception, à la fois par ses actions et par ses déclarations publiques.
    J'espère que cela répond à votre question.
    Merci beaucoup. Nous passons maintenant à Mme Hardcastle.
    Merci, monsieur le président. Merci, messieurs.
    J'aimerais revenir sur un commentaire de M. Pedneault concernant le changement nécessaire de la dynamique des relations avec le gouvernement. Ma question porte sur les recommandations que nous pourrions faire à l'égard de l'embargo sur les armes. J'aimerais avoir vos points de vue respectifs; pensez-vous que c'est essentiel? À votre avis à tous, un embargo sur les armes est-il essentiel actuellement pour limiter l'expansion du conflit au Soudan du Sud? J'aimerais avoir vos commentaires à ce sujet.
    L'autre aspect est la reddition de comptes. Devons-nous intensifier nos efforts pour obtenir des preuves pouvant être utilisées devant les tribunaux hybrides?
(1340)
    Pour l'exercice 2016-2017, le gouvernement du Soudan du Sud a décidé de consacrer près de la moitié de son budget à l'acquisition d'équipement militaire et à la solde des soldats participant au conflit. Si ma mémoire est bonne, seulement 20 % du budget, voire moins, était consacré à l'éducation, tandis qu'une portion plus faible encore était consacrée aux soins de santé, soit environ 4 %.
    La communauté internationale a permis au gouvernement du Soudan du Sud de continuer à acheter des armes tout au long du conflit, et c'est précisément ce qu'il a fait. Récemment, le pays a acheté des avions de combat de l'Ukraine; ils ont été livrés au Soudan du Sud par l'intermédiaire de l'Ouganda. Le pays reçoit constamment de nouvelles armes et des munitions, en toute légalité. Le Canada a imposé un embargo sur la vente d'armes au Soudan du Sud. L'Union européenne a fait de même, mais pour le moment, aucun embargo international sur la vente d'armes au Soudan du Sud n'a été imposé.
    Même s'il est très probable que le gouvernement et l'opposition réussissent à se procurer des armes et des munitions par l'intermédiaire de sources clandestines, nous sommes d'avis qu'un embargo sur les armes entraînerait une hausse des coûts de cette guerre en rendant plus coûteuse l'acquisition d'armes et d'équipement militaires. Cela permettrait aussi d'envoyer un signal clair: mener pendant quatre ans une guerre caractérisée par toutes sortes d'exactions et la violence extrême a des conséquences. Pour le moment, même si elle a menacé de prendre des mesures en ce sens, la communauté internationale a failli à la tâche, affaiblissant ainsi l'effet dissuasif qu'elle pouvait avoir au Soudan du Sud. Il faut passer de la parole aux actes, sinon les gens finissent par penser que cela n'arrivera jamais. Ils considèrent alors qu'ils ont le champ libre, et les exactions se poursuivent.
    Monsieur Morley, avez-vous des observations à faire sur notre démarche à l'égard du message que nous souhaitons transmettre?
    C'est peut-être davantage une question de perception — ce qui peut avoir une certaine influence, à mon avis —, mais je pense qu'il est important d'établir la corrélation entre cette famine et la guerre. Sans cette guerre, il n'y aurait peut-être pas de famine. Un embargo sur les armes et une solution politique sont nécessaires pour lutter contre la famine. Nous pouvons poursuivre notre travail pour aider la population de la région, mais à long terme — je pense que M. Pedneault a parfaitement décrit la situation —, il faudra en faire plus pour enrayer la cause profonde de cette famine.
    Je crois qu'il me reste quelques minutes.
    En effet.
    J'aimerais avoir votre avis sur les meilleures mesures que nous pourrions prendre à l'avenir pour atténuer les souffrances et sur le rôle potentiel du Canada. Nous savons que la mission des Nations unies comprend des camps de protection des civils, où les gens demeurent longtemps, beaucoup plus longtemps que prévu. J'aimerais avoir vos commentaires sur le recours à ces camps et sur les problèmes systémiques connexes.
    Puis-je répondre?
    Oui.
    Merci.
    Je ne suis pas allé au Soudan du Sud depuis environ deux ans; je ne suis peut-être pas très à jour. Les sites de protection des civils sont absolument nécessaires, s'ils peuvent être protégés et ne sont pas envahis, ce qui arrive parfois. Sinon, ces sites permettent de sauver des vies.
    Dans le cadre de mon travail, j'ai toutefois été témoin de la transformation des luttes politiques en des divisions ethniques, qui existent dans les différents... Les sites de protection des civils sont là, tout juste en dehors de la ville de Bor ou de Malakal. Si ces sites n'existaient pas, je crois qu'il y aurait beaucoup plus de massacres.
    C'est là que nous devons offrir les services que nous sommes en mesure d'offrir. Les gens là-bas sont vivants, alors nous... Je parle seulement de l'UNICEF, mais il y en a d'autres. On a mis sur pied des cliniques et des espaces conviviaux pour les enfants, et on tente de mettre sur pied des écoles. On fait ce qu'on peut.
    Ce qui est choquant, c'est que ces gens vivaient ensemble dans la collectivité avant. Cela démontre que la lutte politique s'est transformée en une lutte ethnique. Comme l'a fait valoir M. Pedneault, on ne peut pas nier qu'il s'agit aujourd'hui d'une lutte ethnique, alors que ce n'était pas le cas auparavant. Je crois que les sites de protection des civils — je ne sais pas si vous êtes du même avis, monsieur Pedneault — sont essentiels pour maintenir les gens en vie.
(1345)
    J'aimerais ajouter à votre témoignage, monsieur Morley.
    J'ai récemment travaillé dans certains sites de protection des civils. Ce sont des endroits très mornes. Les gens ne peuvent pas partir. J'ai rencontré des jeunes qui étaient coincés dans ces camps, où il n'y a pas d'arbre et où il y a beaucoup de poussière. Pendant la saison des pluies, il y a des inondations et de la boue partout, et les latrines débordent. Il n'y a aucune possibilité économique pour les gens dans ces sites de protection des civils.
    Ces gens ne sont pas là par choix. Ils sont là parce qu'ils ont peur de partir. Ils sont convaincus qu'en sortant de là, ils seront tués. Comme nous l'avons vu à maintes reprises, il est tout à fait possible qu'ils se fassent tuer. Les sites en soi sont essentiels.
    Au Soudan du Sud, 250 000 personnes vivent dans ces sites de protections des civils. Ce sont des populations vulnérables. Il y a plus d'un million — ou deux millions, maintenant — de personnes déplacées au Soudan du Sud. Elles ne sont pas toutes dans les sites de protection des civils. Nombre d'entre elles sont dans la brousse, dans des zones très difficiles d'accès pour l'aide humanitaire, surtout que le gouvernement et les forces de l'opposition sont déterminés à faire obstacle à l'aide humanitaire ou à l'utiliser à titre de moyen de punir un groupe ou un autre, ou de s'enrichir.
    La question de la manipulation de l'accès à l'aide humanitaire par le gouvernement est très importante et doit être abordée. Il est beaucoup plus facile pour les organismes humanitaires d'accéder aux zones contrôlées par le gouvernement. La plupart des écoles ouvertes se trouvent sur les terres des Dinka, tandis que de nombreux hôpitaux et écoles des États du Haut-Nile, de Jonglei, de l'Unité et des Équatorias sont durement touchés.
    Qu'est-ce que cela signifie à long terme? Que les enfants de ces régions font l'objet de nombreuses formes de discrimination, simplement parce qu'il est plus facile de travailler dans les zones contrôlées par le gouvernement. Je crois qu'il faut garder cela en tête. Bien sûr, les sites de protection des civils sont essentiels, même si la MINUSS et certains segments de l'ONU souhaitent les fermer parce qu'ils jugent qu'ils prennent trop de ressources et qu'il faut trop de soldats de la paix pour les protéger. Malgré ces pressions, je crois qu'il est évident selon le contexte actuel qu'on ne peut faire confiance au gouvernement pour la protection de sa population.
    Merci beaucoup.
    Il nous reste un peu de temps. Nous devons prévoir quelques minutes à la fin de la séance pour les travaux à huis clos.
    Madame Khalid, vous avez la parole.
    Merci, monsieur le président. Je vais tenter d'être brève.
    Monsieur Pedneault, j'aimerais vous poser quelques questions au sujet d'une déclaration de Human Rights Watch voulant que les acteurs internationaux aient involontairement perpétué l'utilisation des enfants soldats en se concentrant sur la réhabilitation plutôt que sur la reddition de comptes. Vous avez dit aujourd'hui qu'il n'y avait pas vraiment eu de guérison parce que les blessures sont trop profondes. Vous avez insisté sur la nécessité de rendre des comptes.
    Pouvez-vous nous expliquer ce que vous voulez dire lorsque vous opposez la réhabilitation et la reddition de comptes? On parle d'enfants victimisés. Je veux savoir où se trouve l'équilibre entre ces deux éléments.
(1350)
    Je dois vous avouer que je n'avais pas entendu cette citation exacte. Je crois que la personne qui l'a écrite voulait probablement dire qu'il fallait que les commandants — et non les enfants — rendent des comptes. Ce sont eux qui arrachent les enfants à leur famille et qui les forcent à joindre leurs rangs. Nous demandons activement et sans relâche une reddition de comptes à cet égard. C'est une chose de réhabiliter ces enfants — et c'est un travail très important que nous ne voulons aucunement critiquer —, mais si cette réhabilitation n'est pas associée à des mesures punitives contre les responsables de cette situation horrible, alors qu'est-ce qui arrivera? Nous continuerons de payer pour réparer les abus et réparer les vies détruites par des personnes qui ne subiront aucune conséquence.
    Voilà pourquoi nous nous concentrons sur la reddition de comptes. À mon avis, c'est un élément essentiel dans tout conflit, et surtout au Soudan du Sud, où le président se sert des événements de 1991 pour attaquer ses adversaires et nourrir l'hostilité à l'égard d'une tribu, pour des événements qui n'ont même pas fait l'objet d'une enquête ou d'un procès. Même si l'on rétablit la paix demain ou après-demain au Soudan du Sud, la guerre recommencera d'ici cinq ans si les responsables de ces abus ne font pas l'objet d'une enquête, ne sont pas accusés et ne subissent pas de procès.
    Sinon, nous sommes condamnés à voir cet horrible scénario se répéter. Le peuple du Soudan du Sud souffre depuis trop longtemps déjà.
    Pour faire suite à vos propos, rapidement, j'aimerais savoir si ces enfants qui sont kidnappés et qui deviennent des soldats pour les diverses tribus du Soudan du Sud deviennent ensuite des commandants. Y a-t-il des organismes qui travaillent à la réhabilitation des enfants soldats, pour les réintégrer dans leur collectivité?
    Est-ce que je peux répondre à cette question?
    S'il vous plaît. Merci.
    L'UNICEF est responsable de la réhabilitation. Lorsque je travaillais pour Médecins Sans Frontières, nous savions que l'UNICEF était responsable de la réhabilitation en Sierra Leone. C'est l'une des choses les plus difficiles à imaginer. Étant donné ce que ces enfants ont vécu et la façon dont les collectivités perçoivent ces enfants s'ils ont été forcés de commettre des atrocités pour faire partie d'un groupe... Je crois que la notion de travail psychosocial pour la collectivité et les enfants dépasse largement ce qu'on peut s'imaginer ici au Canada.
    Je crois que la reddition de comptes des commandants est une question très importante, mais de façon similaire, si l'on ne travaille pas à la réhabilitation de ces enfants, ils seront à leur tour une menace pour la stabilité et la paix du pays. Ces deux éléments sont importants. La chose la plus difficile que j'ai eue à faire dans ma carrière, c'est ce travail de réhabilitation des enfants.
    Merci beaucoup.
    Monsieur Sweet, vous avez le temps de poser une dernière question.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Messieurs, je tiens à vous remercier pour l'excellent travail de vos organismes.
    Monsieur Morley, j'ai visité le camp de réfugiés de Zaatari en Jordanie. L'UNICEF y fait un excellent travail en collaboration avec d'autres partenaires internationaux. Je tenais à vous féliciter pour cela.
    Le temps est toujours l'ennemi des comités; je vais donc poser une seule question. Je crois connaître votre réponse, mais j'aimerais l'entendre afin qu'elle soit consignée au compte rendu.
    La doctrine de la « responsabilité de protéger » — mes collègues savent que c'est mon dada, et cela ne me dérange pas du tout — comporte trois piliers. Le premier est la responsabilité du gouvernement de tout pays de protéger ses citoyens contre la guerre, le crime, le génocide, les crimes contre l'humanité et le nettoyage ethnique. Le deuxième veut que la communauté internationale aide les pays à s'acquitter de ces responsabilités. Le troisième pilier veut que la communauté internationale soit prête à agir de manière décisive en temps utile, et à avoir recours à des mesures coercitives au besoin, pour que les pays s'acquittent de leur responsabilité de protéger. La doctrine a été créée en 2005 et confirmée par les Nations unies en 2009.
    Avons-nous franchi le point où la communauté internationale devrait mettre en oeuvre le troisième pilier?
(1355)
    Voulez-vous répondre à la question, monsieur Morley?
    C'est très difficile. Vous savez mieux que moi ce qui doit être fait au pays. Je ne sais pas si nous sommes rendus là ou non. Je crois que nos collègues le sauraient. Notre travail vise plutôt le volet humanitaire, mais je crois que nous vivons une période critique. Je ne sais pas ce que Human Rights Watch...
    Je vais vous aider un peu. Vous avez parlé d'une famine catastrophique et du déplacement de nombreuses personnes, des enfants soldats — 19 000 ont été libérés et 17 000 sont toujours en captivité, à votre connaissance — et aussi de l'échec de la communauté internationale en ce qui a trait à l'embargo sur les armes. Combien de dommages collatéraux faudra-t-il encore pour que la communauté internationale prenne cette doctrine au sérieux et agisse? L'embargo international sur les armes serait une mesure coercitive.
    Il faut prendre la doctrine au sérieux. Il faudrait un réel embargo sur les armes parce que, de toute évidence, les mesures prises par la communauté internationale n'ont pas suffi jusqu'à maintenant.
    Il est évident que le gouvernement du Soudan du Sud contrevient tous les jours au premier pilier.
    On ne devrait même pas parler du deuxième pilier, parce qu'on a déjà essayé d'entraîner les soldats pour qu'ils répondent au droit international humanitaire ou d'accroître la capacité au Soudan du Sud et que, de toute évidence, cela n'a pas fonctionné.
    Notre organisation n'est pas responsable de la décision relative au troisième pilier, mais une chose est claire: il faut qu'il y ait une reddition de comptes et des conséquences. La communauté internationale ne peut pas continuer de prétendre que le gouvernement respecte la loi s'il continue de tuer activement des segments de sa population et d'encourager ses soldats à violer un nombre incalculable de femmes ou de tolérer de tels gestes. La communauté internationale, le système des Nations unies et les pays comme le Canada doivent défendre ces valeurs en imposant des conséquences à ceux qui les considèrent comme étant optionnelles.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Messieurs, je vous remercie une fois de plus de votre présence ici aujourd'hui. Vos témoignages nous seront très utiles dans le cadre de notre étude.
    Avant de terminer, M. Anderson et M. Tabbara m'ont présenté une demande pour la tenue d'une séance d'une journée sur le camp de réfugiés de Dadaab au Kenya. Je crois que M. Anderson a été choisi pour en parler. Voulez-vous nous expliquer cela, en 30 secondes?
(1400)
    Certains d'entre nous ont manifesté leur intérêt à cet égard. Nous le proposons au Comité. On nous a demandé de travailler ensemble à la préparation d'une motion pour le Comité. C'est ce que nous avons fait. Je crois que nous sommes d'accord sur le contenu. Je vais récapituler, rapidement. Il s'agit du plus grand camp de réfugiés au monde. La situation en Somalie demeure non sécuritaire. Le gouvernement du Kenya et les Nations unies ont collaboré à la mise sur pied d'un programme de rapatriement volontaire que nous devrions peut-être étudier. Il a permis le rapatriement de plus de 50 000 Somaliens, et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés réduit l'approvisionnement du camp pour favoriser ce programme volontaire. Je crois que nous avons l'obligation d'étudier la question et je crois qu'il y a une échéance.
    Un député: Le mois de mai.
    M. David Anderson: D'accord. Le gouvernement du Kenya a établi l'échéance en mai pour ce camp; il serait donc important d'étudier la question en avril ou au début du mois de mai.
    D'accord.
    Nous proposons donc au Comité d'ajouter ce point à l'ordre du jour.
    Très bien. Si tout le monde est d'accord, je vais régler la question avec la greffière. Êtes-vous d'accord?
    Des députés: D'accord.
    Le président: C'est excellent.
    Merci beaucoup; je vous remercie d'avoir travaillé ensemble et d'avoir fait la proposition au Comité.
    Monsieur le président, j'aimerais soulever un petit point de nature administrative...
    Oui.
    Nous avons demandé à recevoir un témoin, Vinansio Wani-Lado, à ce sujet.
    Je voulais seulement m'assurer que vous l'aviez pris en note.
    Oui. On y travaille.
    Merci beaucoup.
    La séance est levée.
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