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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 129 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 22 novembre 2018

[Enregistrement électronique]

(1300)

[Traduction]

    C'est avec grand plaisir que nous entreprenons aujourd'hui une mise à jour de notre étude sur la situation du peuple rohingya. Je suis aussi très heureuse de voir que nous accueillons aujourd'hui plusieurs témoins rohingyas.
    Nous allons commencer par notre témoin par vidéoconférence. Je veux m'assurer que la technologie fonctionne.
    Nous entendrons donc M. Shwe Maung, président-directeur général de l'Arakan Institute for Peace and Development. M. Maung a également été député, au Myanmar; il a représenté le canton de Buthidaung, dans l'État de Rakhine, de 2010 à 2015.
    Vous avez 10 minutes pour présenter votre témoignage, puis nous passerons aux autres témoins et ensuite à la période de questions.
    Bienvenue, monsieur Maung.
    Avant toute chose, madame la présidente, je tiens à vous remercier de me donner cette occasion de témoigner sur la situation actuelle des droits de la personne du peuple rohingya au Myanmar devant le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes....
    Pouvez-vous nous entendre?
    Oui, je peux vous entendre, mais il y a un écho.
    Je crois qu'il y a une répétition et un retard lorsque je parle. Monsieur, je crois que le problème vient de la diffusion en continu. Pourriez-vous interrompre ce mode pour éviter d'entendre deux fois ce que nous disons? Si vous fermez la diffusion en continu, vous n'allez pas nous entendre deux fois.
    Oui, je vous entends en double. Où est-ce que je trouve cela? Je n'ai rien fait.
    Nous allons passer aux autres témoins qui sont avec nous en personne. Je demanderai à nos experts techniques de bien vouloir régler le problème et de s'assurer que la technologie fonctionne. Ensuite, vous pourrez continuer. Merci beaucoup de votre patience.
    Je veux souhaiter la bienvenue à nos autres témoins qui sont ici en personne. Nous accueillons Mme Zainab Arkani, travailleuse en établissement pour Accueil Maison Région de Waterloo; M. Raïss Tinmaung, de l'Association des Rohingyas du Canada; M. Slone Phan, de la Karen Community of Canada; et Mme Yasmin Ullah, du Rohingya Human Rights Network — le Réseau rohingya des droits de la personne— , à Vancouver.
    Bienvenue à tous. Je tiens à vous rappeler que vous avez tous les quatre 16 minutes en tout, c'est-à-dire quatre minutes chacun, mais vous pouvez répartir votre temps comme vous le voulez.
    Je crois que je vais demander à Yasmin de commencer.
(1305)
    Madame la présidente, je m'appelle Yasmin, et je suis une femme rohingya.
    Pendant de nombreuses générations, les Rohingyas ont fait partie des groupes ethniques minoritaires du Myanmar, jusqu'à ce que le pays déclare son indépendance en 1948. C'est à cette époque que le Parlement birman a rédigé sa toute première constitution, et jamais on ne s'est interrogé à savoir si les Rohingyas étaient aussi des citoyens birmans.
    Sous le régime colonial britannique, la plupart de ceux qui étaient considérés comme des étrangers devaient se procurer une carte de vérification nationale — ou NVC pour national verification card — s'ils voulaient devenir, après une période d'attente déterminée, des citoyens birmans naturalisés. Sous le règne britannique, l'origine des Rohingyas n'a jamais été remise en question. On tenait pour acquis qu'ils faisaient partie des nombreux groupes ethniques minoritaires qui habitaient le territoire qui était devenu la Birmanie, ou le Myanmar comme on l'appelle aujourd'hui.
    Cela a changé dans les années 1970, lorsque les militaires se sont emparés du pouvoir et ont progressivement modifié les lois qui protégeaient nos droits à la citoyenneté. En 1982, le gouvernement a adopté une loi révoquant la citoyenneté des Rohingyas, sous le prétexte que le mot « Rohingya » n'apparaissait pas dans le traité qui a mené à l'unification de la Birmanie, et que, par conséquent, les Rohingyas ne faisaient pas partie des 135 groupes ethniques minoritaires. Même si l'existence de groupes minoritaires était reconnue dans le traité lui-même, le Parlement birman n'a jamais présenté de motion pour son adoption. En conséquence, les Rohingyas ne pouvaient plus se procurer une carte d'identité nationale, qui est la pièce d'identité acceptée au Myanmar.
    Le temps a passé. Aujourd'hui, on impose aux Rohingyas toutes sortes de contraintes: on entrave leur liberté de circulation, on restreint leur accès à l'éducation et aux services de santé et on les empêche d'occuper des emplois dans la fonction publique, à moins qu'ils puissent fournir une pièce d'identité assortie de permis spéciaux qui sont extrêmement compliqués, longs et onéreux à obtenir. Si un Rohingya avait besoin de soins médicaux d'urgence, par exemple, il devrait d'abord obtenir un permis qui coûterait davantage que le revenu annuel du ménage, sans compter tout le temps que cela prend. Il faut des jours et des jours pour obtenir ces permis.
    Cela constitue un grave problème pour la communauté rohingya, en particulier pour les femmes. Lorsqu'une femme vit une grossesse ou un accouchement difficile, elle doit demander de l'aide à des médecins de Rakhine. Vu le discours haineux qui prévaut actuellement dans l'État de Rakhine, la plupart des femmes qui demandent de l'aide médicale ne ressortent pas vivantes de l'hôpital. Leur bébé non plus. Selon les rumeurs, ces femmes sont tuées par injection létale avant de recevoir leur congé de l'hôpital.
    Je veux également mettre en relief que les enfants sont aussi touchés. Je veux vous parler d'un garçon de 16 ans du nom d'Abu Talek. Il est décédé le 6 novembre 2018, dans la prison de Buthidaung. Il avait été arrêté en 2016, simplement parce qu'il se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment. Il purgeait une peine de sept ans, mais n'avait jamais été jugé. Aucun document n'étayait les accusations contre lui. Aucun avocat ne l'a défendu. Pendant son incarcération, il a été brutalement torturé par des militaires. Il a succombé aux blessures causées par la torture il y a quelques semaines.
    Pour être en sécurité, les Rohingyas auraient besoin d'un territoire qui leur soit propre. Ce serait la seule solution durable pour mettre fin au génocide. Cela s'inscrit dans notre mandat, relativement à l'adoption de la « responsabilité de protéger ». Je cite:
Il incombe également à la communauté internationale, dans le cadre de l'Organisation des Nations unies, de mettre en oeuvre les moyens diplomatiques, humanitaires et autres moyens pacifiques appropriés, conformément aux Chapitres VI et VII de la Charte, afin d'aider à protéger les populations du génocide, des crimes de guerre, du nettoyage ethnique et des crimes contre l'humanité.
    La communauté internationale a failli dans sa tâche de protéger les Rohingyas du génocide qui se déroule présentement. Nous avons fermé les yeux sur le problème en 1982, en 1991, en 1992, en 2012 et en 2015, et cela a mené au véritable massacre qui s'est déroulé sous nos yeux en 2017.
(1310)
    Nous ne pouvons plus nous contenter d'offrir nos condoléances et de parler de « génocide » du bout des lèvres sans rien tenter pour y mettre un terme. Il est temps que le Canada prenne les rênes de la communauté internationale pour faire obstacle aux génocides, pas seulement celui des Rohingyas, mais également celui des autres groupes minoritaires du Myanmar. Il est temps de faire pression sur les militaires et le gouvernement civil du Myanmar afin qu'ils se conforment à la Déclaration universelle des droits de l'homme, pour laquelle le Myanmar a voté en 1948. Le Canada est l'un des auteurs de la Déclaration et en est aussi cosignataire.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    C'est maintenant au tour de M. Phan.
    Merci. C'est un honneur pour moi d'être ici aujourd'hui.
    Je m'appelle Slone Phan. Je suis né dans l'État karen, en Birmanie.
    J'avais 12 ans quand des militaires birmans ont attaqué mon village; les mêmes militaires qui ont attaqué d'autres groupes ethniques minoritaires en Birmanie, comme les Rohingyas. J'ai fui mon village et je suis resté caché dans la jungle pendant des mois. Il n'y avait aucun endroit sûr où me réfugier en Birmanie, dans l'État de Karen. Nos parents nous ont finalement conduits en Thaïlande, en franchissant la frontière illégalement. Nous avons eu de la chance; les autorités thaïlandaises ne nous ont pas tués. Elles nous ont laissé entrer, et nous avons réussi à survivre dans des camps de réfugiés pendant neuf ans. J'ai essentiellement grandi dans les camps de réfugiés en Thaïlande. En 2004, je suis venu au Canada grâce au Programme d'étudiants réfugiés d'Entraide universitaire mondiale du Canada.
    Une fois arrivé ici, je me suis joint à l'organisme Karen community of Canada, afin de représenter le peuple karen au Canada. Nous voulons sensibiliser les gens à la souffrance du peuple karen et aux violations des droits de la personne en Birmanie. Nous sommes solidaires du peuple rohingya, qui subit aujourd'hui le même genre de traitements brutaux que le peuple karen a subis pendant plus de 70 ans.
    Les attaques cruelles contre le peuple rohingya ne sont pas des incidents isolés; elles témoignent plutôt des schémas de violence répétée des militaires birmans. Le nombre d'attaques a aussi augmenté dans l'État de Kachin et dans le nord de l'État de Shan. On y commet aussi probablement des crimes de guerre; les militaires et le gouvernement central feraient, entre autres, obstruction à l'acheminement de l'aide humanitaire.
    De 1949 à 2012, notre nation, l'État de Karen, a été ravagée par des conflits armés pratiquement incessants ainsi que par les atrocités commises sur tout le territoire. Puisque les militaires birmans ont violé le cessez-le-feu à l'échelle du pays conclu en 2015, l'État de Karen risque de plonger à nouveau dans la guerre civile.
    La zone de cessez-le-feu a connu un accroissement marqué du nombre de terres confisquées et de personnes déplacées par des projets de construction, et certaines lois adoptées récemment risquent d'exacerber le problème. Pendant ce temps, des dizaines de milliers de réfugiés karens et de personnes déplacées à l'intérieur du pays sont en difficulté à cause des compressions drastiques dans l'aide internationale.
    La situation en Birmanie est complexe et instable. Il va donc falloir prendre des mesures globales pour veiller à ce que les politiques canadiennes continuent de protéger les droits de la personne et de soutenir les efforts de paix dans l'État de Karen, et de là, dans toute la Birmanie.
    Merci.
    Vous aurez plus de temps pendant la période de questions pour approfondir certains points que vous vouliez aborder.
    C'est au tour de M. Raïss Tinmaung, pour quatre minutes.

[Français]

    Bonjour, mesdames et messieurs. Nous vous remercions beaucoup de nous avoir invités, mes collègues et moi, à nous présenter devant cette institution prestigieuse qu'est le Sous-Comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, souvent décrit comme étant la conscience du Parlement.
    Je m'appelle Raïss Tinmaung et je suis un Rohingya. Mes parents viennent de Zolda Khana et d'Amla Phara. Les petits villages autour d'Akyab n'existent plus, car ils ont été brûlés au sol lors des massacres de 2012.
    Je voudrais tout d'abord vous remercier et remercier le gouvernement fédéral d'avoir fait une déclaration la semaine dernière pour exprimer sa préoccupation face au rapatriement forcé de mon peuple.
    J'aimerais également remercier tous les députés d'ici d'avoir adopté une motion unanime déclarant qu'il s'agissait d'un génocide, un peu après que le Réseau des droits de la personne Rohingya eût organisé des rassemblements dans 10 différentes villes partout au pays et envoyé une lettre forte au premier ministre comportant plus de 125 signatures de professeurs d'université canadiens et d'activistes canadiens reconnus. Si vous voulez la voir, je l'ai ici avec moi.
    Finalement, je voudrais remercier encore une fois tous les députés de leur soutien unanime à la révocation de la citoyenneté d'Aung San Suu Kyi, à la suite de notre pétition ayant recueilli plus de 65 000 signatures.
(1315)

[Traduction]

    Le Canada s'est engagé à offrir la généreuse somme de 300 millions de dollars pour l'aide humanitaire. Nous devons nous assurer que l'argent est bien dépensé dans des programmes qui aideront mes soeurs et mes frères, mais surtout mes soeurs qui se trouvent dans des camps, qui ont le droit de recevoir un traitement approprié au traumatisme provoqué par le viol. Il faut que l'argent serve à financer des programmes qui les aideront à acquérir les compétences nécessaires pour gagner leur vie et nourrir leurs enfants avec dignité et fierté. C'est ce que toute mère voudrait pour ses enfants. Faisons-en sorte que les fonds soient utilisés pour faire obstacle au trafic sexuel et au trafic de narcotiques, de trafics endémiques dans les camps. Nous devons aussi veiller à ce que la situation dans les camps n'entraîne pas l'éclosion d'un nouveau groupe extrémiste dans le Sud-Est asiatique.
    Le Canada a déclaré que la situation au Myanmar était un génocide, un terme juridique assorti d'implications juridiques. La prochaine étape, après avoir reconnu cela, est d'invoquer la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, conclue en 1948, à la suite de la Deuxième Guerre mondiale et de l'Holocauste, et dont le Canada comme le Myanmar sont signataires.
    En invoquant la Convention, nous pourrons traduire le Myanmar, comme État, devant la Cour internationale de Justice, qui pourrait obliger l'ensemble du gouvernement à accorder réparation pour les conséquences du génocide, à redonner leurs terres aux gens qui ont été forcés de la fuir, à donner aux gens les droits de citoyenneté auxquels ils ont foncièrement droit et à rétablir les lois qui protègent leurs droits fondamentaux de la personne.
    Le Canada n'a pas à invoquer la Convention à lui seul. Il peut le faire avec d'autres nations alliées aux vues similaires qui ont aussi adopté une position ferme contre le nombre effroyable de violations des droits de la personne commises par le Myanmar jusqu'ici.
    Cette approche est recommandée par des groupes de réflexion canadiens reconnus en matière de droits de la personne, y compris par M. John Packer du Centre de recherche et d'enseignement sur les droits de la personne de l'Université d'Ottawa et des experts du Centre Raoul Wallenberg, par ailleurs dirigé par l'honorable Irwin Cotler, l'ancien président de votre très prestigieux Sous-comité des droits internationaux de la personne.
    Pour conclure, je tiens à dire, en tant que fier Canadien, que même si la position de notre pays à l'égard de la situation des droits de la personne au Myanmar est, jusqu'ici, très honorable, nous devons prendre conscience du fait qu'il y a encore énormément de chemin à faire avant d'en arriver aux résultats souhaités. Le Canada et la communauté internationale n'ont pas encore pris de mesures concrètes qui changeront la situation sur le terrain au Myanmar. Dans ce pays, les groupes ethniques minoritaires des villages des États de Kachin, de Karen, de Shan et de Chin continueront d'être bombardés; quelques 127 000 Rohingyas sont toujours enfermés dans des camps de concentration; et les plans de rapatriement proposés supposent même l'ajout de nouveaux camps, parce que, selon ce que montrent les images satellites de l'organisme Human Rights Watch, les villages rohingyas n'ont pas seulement été incendiés, ils ont été complètement rasés par des bulldozers.
    Non seulement les gens n'ont plus accès à l'aide humanitaire ou aux visites des enquêteurs en matière de droits de la personne, mais des journalistes ont été arrêtés et condamnés parce qu'ils ont rapporté le massacre de civils dont tout le monde avait pourtant connaissance.
    Le mois dernier, la mission d'établissement des faits de l'ONU a déclaré que « c'est un génocide qui est toujours en cours ».
    D'accord. Merci beaucoup. Nous aurons plus de temps pour les questions.
    Je vais maintenant demander à Mme Arkani de commencer. Vous avez quatre minutes.
    Mesdames et messieurs les membres du Sous-comité des droits internationaux de la personne, je vous remercie de m'avoir invitée à témoigner ici aujourd'hui.
    Je suis née à Buthidaung, un village de l'État d'Arakan, en Birmanie, mais j'ai grandi dans diverses villes, parce que mes parents, des fonctionnaires, se faisaient transférer de ville en ville. Ma mère a été enseignante au secondaire toute sa vie, et mon père a été fonctionnaire jusqu'en 1995, lorsque le gouvernement birman a renvoyé pratiquement tous les fonctionnaires non bouddhistes de chacun de ses services.
    Je suis arrivée au Canada en 2007, et depuis, je vis à Kitchener, en Ontario. Dès la toute première semaine où je suis arrivée au Canada, je me suis impliquée dans le travail communautaire afin d'aider les Rohingyas nouvellement installés arrivés au Canada depuis les camps de réfugiés du Bangladesh dans le cadre du programme de parrainage gouvernemental. Ils me racontent les choses horribles qu'ils ont vécues, autant en Birmanie qu'au Bangladesh, et qui continuent de les hanter.
    Il y a un sujet en particulier que j'aimerais aborder ici aujourd'hui: les lacunes du processus de rapatriement. Le rapatriement des réfugiés rohingyas s'accompagne toujours de souvenirs horribles et cauchemardesques. Un grand nombre de mes proches parents et de voisins, ainsi que mon époux et les membres de ma belle-famille, ont survécu à la crise des réfugiés de 1978 et ont été rapatriés en 1979. La situation des Rohingyas en Birmanie était toujours la même. Un grand nombre de personnes rohingyas que j'ai aidées à Kitchener ont été torturées par les autorités bangladaises pendant le rapatriement forcé des années 1990. Beaucoup ont subi des fractures à force d'être battus, et d'autres ont perdu des êtres chers.
    Un homme du nom de Mohammed Ayub a perdu son oeil droit lorsque les autorités ont tiré sur la foule avec de vraies balles. Une autre fois, une balle est passée au travers du corps d'une femme et a atteint un enfant qui se trouvait derrière elle. L'enfant est mort sur le coup. La femme a eu la chance d'être l'une des réfugiés parrainée par le gouvernement qui a pu venir au Canada en 2007. Elle vit maintenant à Vancouver.
    Les réfugiés ont été retenus des jours et des nuits, des semaines et des mois. Comme pendant la crise de 1978, les vrais problèmes n'ont pas été réglés, dans le cadre du rapatriment des années 1990, et on a fait fi de toutes les considérations en matière de sécurité. Tout a été fait avec une brutalité extrême; souvent, les rapatriés étaient pris en chasse, puis chargés à bord de camions et renvoyés. Personne ne vérifiait si toute la famille était là. Combien de parents et de jeunes enfants ne se sont plus jamais revus?
    Et maintenant, le spectre du rapatriement revient hanter les réfugiés. Même si le gouvernement bangladais a déclaré qu'il n'y avait aucun rapatriement forcé et que personne ne serait renvoyé contre sa volonté, de nombreux chefs de section — on dit aussi majhis — ont été appelés à fournir une liste des rapatriés, et torturés s'ils n'ont pas pu le faire. Il y a eu plusieurs cas où les membres d'une famille, dans un état de détresse, ont pris du poison parce qu'ils préféraient mourir dans le camp que d'être rapatriés. Ma propre nièce m'a dit: « Si je suis rapatriée, je vais prendre du poison, de la mort aux rats. »
    Tout cela prouve que la Birmanie tient un discours malhonnête sur le rapatriement. Toutes les personnes déplacées depuis 2012 à Sittwe, à Kyauktaw et à Minbya sont toujours dans des camps de concentration.
    J'aimerais conclure en citant le rapporteur spécial de l'Organisation des Nations unies, Mme Yanghee Lee:
Le Myanmar n'a pas fourni la garantie que les réfugiés ne subiraient pas les mêmes persécutions ni les mêmes violences.
    Merci.
(1320)
    Merci à tous pour vos témoignages.
    Nous allons réessayer d'entendre par vidéoconférence M. Shwe Maung.
    Pouvez-vous nous entendre?
    Oui, madame.
    Allez-y, je vous prie.
    Merci.
    Madame la présidente, j'aimerais avant tout vous remercier de cette occasion de témoigner à propos de la situation actuelle des droits de la personne du peuple rohingya au Myanmar devant le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes.
    Je vais commencer par me présenter. Je m'appelle U Shwe Maung, ou Abdul Razak, et j'ai été député au Myanmar de 2010 à 2015. Je suis également président de l'Arakan Institute for Peace and Development, membre du conseil d'administration de l'ASEAN Parliamentarians for Human Rights et membre fondateur de l'International Panel of Parliamentarians for Freedom of Religion or Belief, un forum international des parlementaires voués à la liberté de religion ou de croyance.
    Madame la présidente, les Rohingyas ont été privés de leur droit de vote aux élections générales de 2015 par le gouvernement du Parti de la solidarité et du développement de l'Union, qui a le soutien de l'armée. On m'a interdit de me représenter aux élections parce que mes parents étaient accusés de ne pas être des citoyens du Myanmar, même si je siégeais déjà au Parlement comme député.
    Le 12 septembre 2015, je me suis rendu aux États-Unis, à la Commission Tom Lantos des droits de l'homme du Congrès américain, pour y tenir une séance d'information sur la situation actuelle des droits de la personne du peuple rohingya au Myanmar, en ma qualité de député en fonction, ainsi que pour assister à la deuxième conférence annuelle de l'International Panel of Parliamentarians for Freedom of Religion ou Belief, à New York. Depuis, je suis en exil aux États-Unis.
    J'ai déjà témoigné devant votre comité, le 3 mai 2016, à propos de la situation des droits de la personne du peuple rohingya. J'ai parlé des politiques de du Parti de la solidarité et du développement de l'Union et de la Ligue nationale pour le démocratie à l'égard des Rohingyas et des musulmans du Myanmar. Voici ce que j'ai dit pendant mon discours: « Si c'est bien le cas, les difficultés auxquelles se heurtent les Rohingyas vont se multiplier par deux dans un avenir proche. » Nous sommes maintenant deux ans et demi plus tard, et les problèmes ont bien plus que doublé.
    La Ligne nationale pour la démocratie est au pouvoir depuis trois ans au Myanmar, avec à sa tête Aung San Suu Kyi, conseillère d'État et ministre des Affaires étrangères. La situation des droits de la personne du peuple rohingya dans les États kachin et shan s'est détériorée sous le règne du gouvernement civil. La situation est pire que sous les précédents gouvernements militaires. Les Rohingyas sont victimes de discrimination et de persécution depuis 1942, mais la situation à l'époque du gouvernement d'Aung San Suu Kyi est la pire de toute l'histoire du Myanmar.
    Pendant la première semaine d'août 2017, les forces de sécurité du Myanmar ont lancé une campagne de persécution dans le nord de l'État de Rakhine. Selon les images satellites de l'organisme Human Rights Watch et d'Amnistie internationale, plus de 300 villages rohingyas ont été systématiquement rayés de la carte. Environ 35 000 hommes, femmes et enfants rohingyas ont perdu la vie. Des centaines de femmes ont été victimes de viol collectif. Des enfants ont été rejetés dans leur maison en flammes par les forces de sécurité et des miliciens, lesquels avaient été entraînés par la police locale et étaient armés de fusils et d'épées avant que les forces de sécurité ne commencent leurs opérations de persécution et ne tuent des Rohingyas innocents. Ce qui est très intéressant, c'est qu'il n'a fallu que quelques semaines pour déporter de force plus de 700 000 Rohingyas vers le Bangladesh. Il est parfaitement évident qu'il s'agit d'un génocide visant le peuple rohingya.
    Je communique fréquemment avec les gens sur le terrain, alors je sais tout de ce qui se passe tous les jours dans ma patrie, l'État d'Arakan. Alors que des Rohingyas innocents étaient assassinés et leurs maisons incendiées tous les jours, j'ai réclamé, dans une vidéo sur Facebook Live, le 27 août 2017, que les dirigeants du gouvernement du Myanmar à Naypyidaw protègent la vie des innocents. En réaction, les forces policières du Myanmar ont intenté une poursuite judiciaire contre moi et ont émis un mandat d'arrestation le 1er septembre 2017. Cela m'a vraiment choqué.
    Le monde entier a été choqué de voir des millions de Rohingyas obligés de fuir vers le Bangladesh et de vivre dans le plus grand camp de réfugiés du monde. L'ONU, les États-Unis, le Canada, et l'Union européenne et le monde entier ont exprimé leur ferme désir de voir cesser ces atrocités, ces crimes contre l'humanité et ces crimes de guerre. Le monde veut que les gens qui ont perpétré ces crimes soient tenus responsables.
(1325)
    Je tiens à remercier tout particulièrement la Chambre des communes du Canada d'avoir adopté une motion reconnaissant que la situation au Myanmar est un génocide, des efforts déployés par le gouvernement canadien en vue de trouver une solution durable pour le peuple rohingya, ainsi que des 300 millions de dollars en aide humanitaire qu'il a fournis en réaction à cette crise.
    Madame la présidente, la situation actuelle du peuple rohingya dans l'État d'Arakan est toujours extrêmement sombre. Le gouvernement du Myanmar continue de nier non seulement le massacre du peuple rohingya, mais également l'existence même de l'ethnie rohingya, et ce, malgré les pressions internationales. Le pire, c'est que le génocide des Rohingyas continue. Le Myanmar et le Bangladesh ont accepté de rapatrier 2 200 réfugiés rohingyas sur un million. Selon ce qui a été rapporté, les deux pays avaient accepté de commencer le 15 novembre 2018. Le Myanmar semble plus déterminé que le Bangladesh à réaliser le rapatriement de cette poignée de réfugiés. Cependant, aucun réfugié n'accepterait de retourner au Myanmar sans preuve concrète de sa protection et du respect de ses droits fondamentaux, y compris la citoyenneté complète, la liberté de mouvement et la liberté de religion.
    Sur ce, une question se pose. Le gouvernement du Myanmar désire-t-il vraiment le rapatriement des réfugiés? J'en doute. Ce soi-disant rapatriement n'est pas fait de bonne foi. Même si le gouvernement du Myanmar dit qu'il est « prêt pour le rapatriement », il continue de nier les droits fondamentaux du peuple rohingya. Le Myanmar est toujours prêt à s'engager lorsque la pression monte, mais il brise systématiquement ses engagements. Nous avons tiré énormément de leçons des rapatriements de 1978 et de 1994. Je crois que l'objectif du Myanmar est de réduire la pression internationale et d'empêcher l'ONU de trouver une solution durable pour le peuple rohingya.
    Le Myanmar continue d'accuser les Rohingyas d'être des immigrants illégaux. Presque tous les villages de réfugiés ont été rasés au bulldozer et complètement détruits. Les récoltes, le bétail, tout a été pillé. Les mêmes forces de sécurité et milices locales continuent, selon un rapport, de menacer les Rohingyas d'expulsion dans l'éventualité où ils seraient réinstallés. Cela est particulièrement vrai dans la région sud de Maungdaw.
    Le gouvernement du Myanmar a émis des permis de manifestations contre le rapatriement des Rohingyas et leur réinstallation dans le sud de Maungdaw. Le gouvernement du président U Thein Sein avait créé les cartes de vérification nationales pour aliéner la plus grande partie de la population rohingya. Ces cartes ne garantissent en rien la citoyenneté. Une personne qui présente une demande pour obtenir une soi-disant carte de vérification nationale reconnaît par le fait même être une étrangère, selon la description sur la carte. Cela va à l'encontre de la loi de 1982 sur la citoyenneté.
    Plus de 100 000 Rohingyas vivent encore dans la région de Sittwe, dans des camps de personnes déplacées à l'intérieur du pays. Leur avenir est incertain. Ils n'ont toujours pas été réinstallés dans leurs lieux d'origine. Il leur est interdit de sortir du camp. Ils n'ont plus d'espoir; cela fait six ans qu'ils vivent dans ces camps semblables à des prisons. Vu la situation, comment peut-on espérer le retour des Rohingyas? Dans la situation actuelle, leur rapatriement ne ferait que perpétuer le cycle vicieux de la discrimination et de la persécution, et peut-être qu'un autre génocide arrachera pour de bon la population de son territoire ancestral.
    C'est pourquoi, madame la présidente, la communauté internationale devrait redoubler d'efforts et trouver un mécanisme qui ferait en sorte que le gouvernement du Myanmar accepterait de tenir les auteurs de ces crimes responsables, reconnaîtrait l'existence du peuple rohingya et rétablirait leurs droits civils dans la dignité et la sécurité.
    Je vais m'arrêter ici. Merci beaucoup de m'avoir accordé de votre temps, madame la présidente.
(1330)
    Merci beaucoup, et merci d'avoir à nouveau témoigné devant notre comité.
    Nous avons du temps pour une période de questions. Nous allons commencer par M. Anderson. Vous avez sept minutes.
    Merci, madame la présidente.
    Je veux remercier nos témoins d'être avec nous aujourd'hui.
    Je partage mon temps avec M. Sweet, alors je vous saurai gré de répondre succinctement.
    Monsieur Maung, lorsque nous nous sommes rencontrés, en 2014, vous étiez député et vous étiez venu ici pour devenir membre du réseau de l'International Panel of Parliamentarians for Freedom of Religion or Belief. En 2015, votre citoyenneté était menacée, et on vous a interdit de vous présenter à nouveau aux élections. En 2016, vous avez perdu votre citoyenneté et, pendant que vous étiez aux États-Unis, le gouvernement militaire a émis un mandat d'arrestation contre vous. Quelle est votre situation actuelle?
    Présentement, je suis en exil. J'ai demandé l'asile politique aux États-Unis, puisque ma situation est difficile. Je ne peux pas retourner dans mon pays. Je reste donc en Amérique, mais je communique fréquemment avec mes compatriotes rohingyas de l'État d'Arakan ou des camps du Bangladesh.
    Vous préoccupez-vous de la possibilité que les camps soient perçus par la communauté internationale comme une solution de compromis acceptable? Même si beaucoup de choses ont été dites, il n'y a pas eu, concrètement, énormément de pression sur le gouvernement du Myanmar. Il semble y avoir une perte d'intérêt pour le sujet, jusqu'à un certain point.
    Est-ce quelque chose qui vous préoccupe, et que pouvons-nous faire en réaction à ces préoccupations?
    Oui, la question des camps me préoccupe beaucoup, en particulier puisque le gouvernement bangladais envisage d'envoyer 100 000 réfugiés sur une île qui s'enfonce un peu plus chaque jour dans l'eau. La situation est extrêmement dangereuse. Il se pourrait qu'il y ait un autre génocide contre le peuple rohingya. C'est très inquiétant.
    De plus, selon l'accord bilatéral qui a été conclu entre le gouvernement du Myanmar et du Bangladesh, quelque deux mille réfugiés sont censés être rapatriés au Myanmar, mais ce qui me préoccupe, dans ce cas, c'est que si rien n'est fait... Ce n'est pas la première fois. Nous avons tiré des leçons de ce qui s'est passé en 1978 et en 1992. Le gouvernement du Myanmar promet toujours quelque chose avant un rapatriement.
    Je vais vous donner un exemple. Pendant l'une des réunions de Dhaka, le directeur général de l'immigration du Myanmar a affirmé que les rapatriés obtiendraient une carte de citoyenneté à leur retour. En vérité, on ne leur a jamais octroyé une carte de citoyenneté, seulement ce qu'on appelle une « carte blanche ». Cette année, encore une fois, l'histoire se répète avec les cartes de vérification nationales, ce qui contrevient à la loi de 1982. C'est une carte pour les étrangers, non pas pour les citoyens du Myanmar.
    Merci.
    J'ai une dernière question à vous poser avant de céder la parole à M. Sweet.
    On a pour ainsi dire contraint les Rohingyas à quitter leur pays, et les militaires ont pu, par conséquent, aller dans d'autres endroits. Je me demandais si vous pouviez nous parler un peu des conflits qui sévissent dans d'autres régions. Peut-être que M. Phan ou un autre témoin seraient mieux placés pour répondre. L'armée a-t-elle pu renforcer ses capacités et déplacer ses ressources, relativement à d'autres conflits? Est-ce quelque chose que vous avez observé depuis que les Rohingyas ont été forcés de quitter leur pays?
(1335)
    Monsieur Anderson, pouvez-vous répéter la question?
    Je vais demander à un autre témoin de répondre.
    Excusez-moi, pourriez-vous répéter?
    L'armée a contraint les Rohingyas à quitter le Myanmar. Cela leur permet d'avoir davantage de ressources à déplacer dans d'autres régions. Est-ce quelque chose que vous avez observé? Savez-vous si c'est ce qui est arrivé; l'armée a-t-elle renforcé ses capacités dans d'autres régions, par exemple dans les États kachin et karen? Pouvez-vous nous parler un peu de cela?
    Je crois que Mme Ullah voudrait aussi intervenir.
    Oui. L'armée a une politique de birmanisation. Cela ne s'applique pas à une région ethnique; cela vaut pour l'ensemble de la Birmanie. Dans les États kachin, karen, shan et d'Arakan, les violations des droits de la personne se poursuivent et empirent. En 2018, la Birmanie est en train de reculer.
    Merci.
    Puis-je ajouter quelque chose?
    Puisque l'État de Rakhine est l'une des régions les plus déboisées de la Birmanie, même si on a déjà tout pris dans la région, que les ressources ont déjà été exploitées, on continue de l'utiliser comme route de contrebande pour le bois et le teck expédiés vers d'autres régions, par exemple les États shan, karen et kachin, et vendus au Bangladesh ou dans d'autres pays.
    On observe la même chose avec l'oléoduc en construction, qui part du canton de Kyaukpyu et qui passe par la province du Yunnan. Tout cela, seulement pour acheminer le pétrole des pays du Moyen-Orient. Ces travaux ne se font pas seulement dans l'État de Rakhine; ils se font dans bon nombre d'endroits. Dans l'État de Rakhine, on a effectivement détruit une grande partie des montagnes et des ressources naturelles à cause des opérations minières. Tout cela a entraîné énormément de dommages environnementaux. De nombreuses régions côtières ont été détruites, et les problèmes environnementaux, comme les cyclones, se sont réellement aggravés.
    Je n'ai que 45 secondes, mais je tiens à vous dire que vous êtes des héros. Je suis sûr que tout le monde ici pense la même chose. Ce à quoi vous avez survécu est extraordinaire.
    Ce n'est pas la seule raison pour laquelle vous méritez des louanges; vous consacrez également votre temps à défendre les intérêts de votre peuple, au lieu de simplement vivre paisiblement dans un pays libre comme le Canada. Je tiens à vous remercier du fond du coeur de tout cela.
    Malheureusement, je n'ai pas le temps d'en dire plus, mais sachez que je vous suis reconnaissant de votre témoignage.
    Merci beaucoup.
    La parole va maintenant à M. Tabbara, pour sept minutes.
    Merci beaucoup à tous les témoins. Merci beaucoup de ce que vous faites en matière de défense des intérêts. J'ai assisté à quelques réunions à Kitchener ou dans la région de Waterloo, et je dois dire que votre force ne tarit pas.
    J'ai deux questions, et je partagerai mon temps avec Mme Khalid.
    Il y a deux parties: d'un côté, les conditions relatives au rapatriement du peuple rohingya dans l'État de Rakhine, et de l'autre, les États du Myanmar et des alentours. Le président de l'Indonésie, M. Joko Widodo, a dit que l'Indonésie était prête à aider le gouvernement du Myanmar à mettre en place des conditions favorables dans l'État de Rahkine.
    Des gens ont quitté le Bangladesh pour retourner au Myanmar. Une centaine de personnes ont été arrêtées à bord d'un bateau près de Yangon. Étant donné que d'autres gouvernements se disent prêts à aider et à fournir du soutien, la situation du peuple rohingya s'est-elle améliorée?
    Madame Arkani peut répondre en premier.
(1340)
    Je tiens à dire que je communique fréquemment avec les membres de ma famille. Ils se trouvent encore à Buthidaung, dans l'État d'Arakan, et certains d'entre eux se trouvent dans des camps. Ce qu'ils me disent, c'est que le gouvernement construit des camps de concentration. Par camps de concentration, j'entends des maisons entourées d'une clôture de fer et de gardes. Qu'est-ce que cela veut dire? Si un retour en toute sécurité est impossible, alors... Est-on vraiment libre de nos mouvements, si on vit entouré d'une clôture de fer? Quelles garanties avons-nous?
    Vous avez aussi mentionné les 106 personnes à bord d'un bateau qui fuyaient vers la Malaisie. Le gouvernement les a arrêtées à Yangon, dans le canton de Kyauktan, et leur a donné des cartes de vérification nationales. C'est un autre problème, car elles n'avaient pas d'autre choix. Soit elles acceptaient la carte de vérification nationale, soit elles allaient en prison.
    Tous les Rohingyas de l'État d'Arakan ont très peur, à cause de ce que fait l'armée; elle vient incendier les maisons des villages. Certaines personnes ne quittent pas le pays. Elles construisent une hutte, une petite cabane en bambou, et y vivent. Maintenant, le gouvernement veut envoyer ces personnes dans les camps. Dans quel but?
    Les personnes qui vivent là-bas... Elles doivent construire une maison. C'est leur patrie. Elles devraient pouvoir y rester, mais le gouvernement refuse. Le gouvernement veut les envoyer dans des camps. Tout cela est malhonnête.
    Nous sommes reconnaissants de l'aide apportée par les gouvernements internationaux, mais le gouvernement birman n'est pas digne de confiance.
    Le fait que certains États voisins ont déclaré leur intention d'aider les Rohingyas vous donne-t-il un peu espoir? Ou est-ce que, au contraire...
    Il n'y a pas vraiment là...
    Je vais céder la parole à ma collègue.
    Si vous me le permettez, j'aimerais ajouter quelques commentaires à ce que ma collègue, Mme Arkani, a dit.
    Cela fait des décennies qu'on s'en prend à mon peuple, vous le savez très bien. Chaque massacre est suivi de ce qu'on appelle la « phase intermédiaire », et c'est pendant cette phase que toutes sortes de choses horribles se produisent, comme la traite de personnes ou le trafic sexuel.
    La fuite en bateau est une conséquence directe de la traite des personnes qui se fait dans les jungles de la Thaïlande et jusqu'en Malaisie. Les gens qui sont partis viennent de camps d'internement... de camps pour les personnes déplacées à l'intérieur du pays.
    Les 127 000 personnes dont M. Shwe Maung a parlé — et que j'ai brièvement mentionnées — n'ont nulle part où fuir. Dès le moment où les gens vivant dans les camps du Bangladesh entendent parler de rapatriement, ils essaient de fuir.
    Les gens à bord des bateaux... Cela fait à peine trois semaines que j'ai terminé de traduire les entrevues réalisées par le Musée canadien pour les droits de la personne. On va y tenir la toute première exposition rohingya et je vous invite tous à assister à la cérémonie d'ouverture. Certaines des personnes interrogées vivent dans ces camps où on fait la traite de personnes. Les survivants racontent que, à bord de ces bateaux, ils font encore une fois face aux autorités birmanes. Ce sont les autorités birmanes qui s'adonnent à la traite des personnes. Tout est lié. Les gens ne sont aucunement en sécurité.
    Combien de temps me reste-t-il?
    Il vous reste deux minutes.
    Fantastique.
    Avant tout, je veux me joindre à mes collègues et vous remercier de vos efforts de défense des intérêts et du courage dont vous faites preuve lorsque vous dénoncez ce genre de choses et parlez au nom de ceux qui n'ont pas de voix. Merci du fond du coeur.
    Madame Arkani, vous avez parlé de rapatriement. Nous savons que les Rohingyas sont ciblés non seulement par les militaires, mais aussi par la population locale, y compris leurs voisins et leurs amis. Lorsqu'il est question de rapatriement, je ne crois pas que la seule difficulté soit de revenir sur un territoire et d'être accepté par le gouvernement; il faut aussi être accepté par les gens. Peut-être pourriez-vous nous dire comment, selon vous, le rapatriement devrait se faire.
    Ensuite, une question pour M. Phan ou Mme Ullah; peut-être pourriez-vous nous parler des autres groupes minoritaires qui font face également à la violence des militaires. Ces groupes minoritaires font-ils face à la violence de la population locale des environs?
    Allez-y, madame Arkani.
    J'ai quitté mon pays à l'âge de 24 ans. J'ai grandi là-bas. J'ai obtenu un diplôme là-bas; je fais partie du 1 % de gens — moins de 1 % — qui l'obtiennent. J'ai eu énormément de chance.
    J'ai toutes sortes d'amis. En vérité, la Birmanie est un pays très diversifié. Il y a toutes sortes de groupes ethniques. J'allais à l'école avec des chrétiens et des Népalais. C'est un pays magnifique. Le problème, c'est le racisme. Le gouvernement sait utiliser la religion pour parvenir à ses fins. Dès qu'il veut quelque chose, il invoque la religion. C'est en utilisant la religion que le gouvernement attise la haine chez les gens. J'ai fait l'expérience de la haine quand j'étais jeune. Même mes amis très proches — mes amis bouddhistes — utilisaient des propos racistes envers nous. Je sais que mes amis ne pensaient pas ce qu'ils disaient, mais c'était une réalité dans la communauté. Même des personnalités religieuses proféraient des propos haineux.
    Ce que j'aimerais voir, c'est une réunification pacifique. Peut-être que notre gouvernement — le gouvernement canadien — pourrait organiser des ateliers là-bas sur les processus de paix. Cela permettrait de réunir les gens. Ils ne se haïssent pas vraiment, ils sont simplement manipulés par le gouvernement de la Birmanie. Il y a de la beauté au fond des gens, mais la haine et le racisme l'empêchent de se manifester.
(1345)
    Allez-y, monsieur Phan.
    Malheureusement, votre temps est écoulé. Il nous restera peut-être deux ou trois minutes à la fin de la séance pour revenir sur le sujet.
    La parole va à Mme Hardcastle.
    Je vais entrer directement dans le vif du sujet. Nous devons utiliser notre temps judicieusement.
    Yasmin, je me souviens de la dernière fois que vous êtes venue ici. Vous n'aviez pas eu l'occasion de témoigner. Je crois savoir que vous êtes venue à vos propres frais, parce que le sujet vous tient vraiment à coeur. Vous ne savez pas à quel point je trouve cela inspirant.
    M. Tinmaung a dit plus tôt que nous devons prendre des mesures concrètes et que nous devons veiller à ce que les conditions de vie n'entraînent pas la montée de nouveaux groupes extrémistes dans les camps. Je voulais savoir ce que vous en pensiez. Faut-il prendre des mesures concrètes? En quoi cela pourrait-il favoriser l'extrémisme? J'en reviens probablement à la question du racisme que Zainab avait abordée.
    Le genre de conditions dans lesquelles nous avons vécu nous ont montré que nous devons prendre tous les moyens possibles pour survivre.
    La plupart du temps, les gens des camps de réfugiés vivent pour ainsi dire dans les limbes. Ils ne savent pas de quoi leur avenir sera fait. Ils ne savent même pas s'ils pourront manger le lendemain. Dans le meilleur des cas, ils peuvent se nourrir de riz une fois par jour, du riz qui, ironiquement, a peut-être été acheté de la Birmanie.
    J'ai entendu des histoires à briser le coeur: des gens ont rapporté que de jeunes enfants, en fuyant le massacre de l'année dernière au Myanmar, ont seulement pu prendre avec eux un livre d'école, une école où ils n'avaient pas le droit d'aller. Voilà le genre de choses dont les Rohingyas ont besoin: des bibliothèques, des choses pour s'occuper l'esprit et élargir leurs horizons, pour s'éduquer et pour être en mesure d'exprimer leurs inquiétudes devant la communauté internationale.
    Je crois que l'éducation est quelque chose d'extrêmement puissant, non seulement pour prévenir la radicalisation, mais également pour accroître nos moyens de revendication en général. L'éducation nous permettrait de faire plus de choses, et de trouver de nouvelles façons de nous améliorer. Mais cela ne serait possible que si le gouvernement du Bangladesh le permettait, étant donné qu'il ne permet pas aux gens de continuer leurs études après la sixième année, je crois. M. Tinmaung pourrait probablement vous en dire plus.
    Nous vivons la même chose en Birmanie. On nous isole du reste de la communauté rakhine, dans la plupart des écoles. La situation est probablement très similaire à ce qui se passait aux États-Unis il y a quelques années, avant le mouvement des droits civiques. La ségrégation imposée actuellement fait en sorte que les élèves sont non seulement séparés selon leur race et leur origine ethnique, mais aussi harcelés parce qu'ils sont des Rohingyas. Certains enseignants iront même jusqu'à refuser de se présenter dans leur école.
    Ces enfants sont également perdus dans les limbes. Ils n'ont nulle part où aller. Ils ne savent pas ce qui les attend. J'ai un peu vécu cela quand j'étais réfugiée en Thaïlande. Je n'avais pas de statut juridique là-bas. C'était difficile, parce que mon avenir était complètement flou. Cela crée vraiment le sentiment d'être un étranger, de ne pouvoir arriver à rien, de ne jamais pouvoir réussir dans la vie.
    Je crois que les Rohingyas, dans l'ensemble, pensent eux aussi qu'on ne leur donne pas le genre de ressources dont ils auraient besoin pour réussir, mais je crois qu'il y a des choses que nous pourrions faire. Avec 300 millions de dollars, il y a des choses que l'on pourrait créer, des possibilités que nous pourrions leur offrir.
(1350)
    Croyez-vous que nous devrions prendre position et dénoncer, très directement, le rapatriement qui se fait actuellement?
    Je crois que oui.
    Et vous, Zainab?
    Oui, je le crois aussi. Absolument.
    Tant que la Birmanie ne nous accordera pas la citoyenneté complète ou n'assurera pas notre protection, tant que la force internationale du maintien de la paix ou d'autres gouvernements internationaux ne sera pas intervenue, nous devons dénoncer la situation. Autrement, il y aura un autre génocide, comme mon collègue l'a dit.
    Merci beaucoup.
    Nous avons du temps pour des questions très courtes. Vous avez 30 secondes chacun.
    Commencez, monsieur Sweet.
    Y a-t-il autre chose que les témoins voudraient nous faire parvenir par écrit?
    J'aimerais savoir, en particulier, si vous êtes au courant de l'existence d'un réseau au sein de la communauté rohingya — un réseau de leaders, du moins — qui préparerait une structure pour élaborer des politiques, édifier un gouvernement, etc. si le rapatriement réussit.
    Je vais laisser 30 secondes à M. Fragiskatos également.
    Merci, madame la présidente.
    Je tiens à tous vous remercier au nom de London, en Ontario. Il y a une communauté émergente rohingya dans cette région, et vos efforts héroïques de défense des intérêts cadrent avec les leurs. Je voulais que cela figure au compte rendu.
    Le quotidien The Guardian a fait paraître un éditorial, il y a quelques semaines. Je vais vous en traduire une partie:
Les Rohingyas doivent avoir le droit de retourner chez eux, mais ils doivent pouvoir le faire en toute sécurité et de leur propre gré, ce qui n'est pas le cas présentement. Jusque-là, il faut fournir au Bangladesh tout ce dont il a besoin pour les héberger. Il faut également s'opposer au rapatriement forcé, cela étant inadmissible et inacceptable.
    Êtes-vous d'accord avec l'opinion de l'auteur?
    Il nous reste environ cinq minutes. Nous avons pu poser un certain nombre de questions, mais je sais qu'il en reste encore d'autres que vous voulez poser. Je vais donc vous permettre de répondre très succinctement aux questions auxquelles vous voulez vraiment répondre, si vous avez quelque chose de très important à dire dans les cinq minutes qu'il nous reste. J'offre cette possibilité à tous, y compris M. Maung, par vidéoconférence.
    Qui aimerait commencer?
    Je peux commencer, monsieur. Parliez-vous de l'article de M. Garnett Genuis?
    Je parlais de l'article du quotidien britannique, The Guardian.
    Ah, The Guardian. Je suis désolé.
    C'était un éditorial.
    Je vous ai mal compris. J'avais cru entendre « Garnett ».
    Non, j'ai dit « Guardian ». J'aime bien M. Garnett Genuis et tout le reste, mais c'était dans le quotidien The Guardian.
    En ce qui concerne le rapatriement et la force policière, etc., dont M. Sweet a parlé, il faut qu'il soit très clair qu'il n'est pas question ici de rapatrier le peuple rohingya vers une autre patrie qui lui appartiendrait. Nous sommes originaires du Myanmar. Nous venons du Myanmar. Notre peuple, les gens là-bas dans les camps, avec qui j'ai vécu pendant un mois, devraient avoir le droit de retourner chez eux.
    Le gouvernement du Myanmar doit accepter de leur accorder tous les droits inhérents à la citoyenneté et le droit d'étudier, de travailler et d'être traités comme des êtres humains. Zainab a très bien répondu à la question de Mme Khalid, qui voulait savoir si la faute incombait au gouvernement ou au peuple.
    Malgré tout, partout où il y a de bonnes personnes... Quand un génocide arrive, quand il y a des massacres, il y a toujours eu et il continue d'y avoir des groupes d'extrémistes bouddhistes criminels. Ce sont eux qui perpètrent ces massacres. Je vous renvoie à un rapport de l'organisme Fortify Rights, intitulé They Gave Them Long Swords, soit « on leur a donné de longues épées ». Ce ne sont pas les militaires qui portent l'épée, mais plutôt les civils qui commettent les massacres, et c'est la même chose partout. C'est la même chose dans les villages des États karen et kachin.
    Donc, jusqu'à ce que la situation sur le terrain change, nous ne pouvons pas... Le Canada doit évaluer les mesures qu'il prend par rapport à leur incidence sur la situation sur le terrain, au Myanmar, ainsi que sur le gouvernement et les organismes birmans. Voyez-vous, c'est par rapport à cela que nous avons établi que nous avons réussi à donner une voix aux gens qui se trouvent dans les camps, afin qu'ils puissent retourner chez eux. Les réfugiés ne vivront pas éternellement dans ces camps. Les conditions y sont atroces, mais ils accepteront de partir seulement lorsque la situation sur le terrain aura changé, et c'est ce que nous demandons.
    J'ai des collègues là-bas. Madame la présidente, accepteriez-vous qu'ils vous fassent parvenir leurs observations?
(1355)
    Nous accepterons volontiers leurs mémoires. Malheureusement, nous n'avons pas le temps de les laisser témoigner de vive voix.
    Je voulais cependant demander à M. Maung s'il voulait dire un dernier mot avant que nous terminions. Vous avez une minute, environ.
    Oui, madame la présidente. Merci.
    Comme je l'ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, pour l'instant, le rapatriement n'est pas sécuritaire pour les Rohingyas, étant donné que le gouvernement du Myanmar n'a pris aucune mesure donnant à penser qu'il veillera à la sécurité des gens. En outre, le gouvernement du Myanmar continue d'accuser les Rohingyas d'être des immigrants illégaux. D'un côté, le gouvernement affirme dans les médias qu'il est prêt pour le rapatriement, et de l'autre, il encourage la population locale qui s'oppose au rapatriement des Rohingyas et à leur réinstallation sur leurs terres ancestrales.
    Nous nageons dans le flou. Même si les Rohingyas étaient prêts à retourner au Myanmar, la situation ne serait pas différente de ce qu'elle était en 1978 et en 1994. Le gouvernement du Myanmar avait promis de grandes choses pour ces rapatriements, mais il n'a pas tenu ses promesses. Présentement, il n'y a rien de concret qui laisserait croire que le Myanmar prendrait des mesures pour réinstaller les rapatriés rohingyas sur leurs propres terres ou pour leur accorder — ou pour rétablir — leurs droits civils.
    Merci.
    D'accord, merci.
    Je veux remercier chacun d'entre vous de s'être présenté. Vos témoignages ont été très instructifs et très convaincants. Nous allons poursuivre l'étude dans une semaine à partir d'aujourd'hui, soit le 29. À ceux qui sont intéressés ou qui nous regardent à la télévision, nous allons approfondir le sujet pendant une heure de plus.
    Je veux remercier ceux qui sont venus de loin.
    Avant de lever la séance, je veux rappeler aux membres du Comité que jeudi prochain, le 27, à 8 h 30, il y aura un déjeuner avec des défenseurs des droits des femmes, dans le cadre du programme Women of Courage de l'organisme KAIROS. Il s'agit de femmes du Soudan du Sud, de la Palestine, du Congo, de la Colombie et des Philippines. Vous avez tous reçu l'invitation, alors j'espère que vous pourrez assister au déjeuner.
    Encore une fois, je remercie chaleureusement nos témoins.
    La séance est levée.
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