Passer au contenu
;

SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
Passer à la navigation dans le document Passer au contenu du document






Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 139 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 19 février 2019

[Enregistrement électronique]

(1305)

[Traduction]

     Je vous souhaite à tous la bienvenue à notre séance sur l'état de la liberté de la presse dans le monde. Il sera question du Myanmar.
    Nous accueillons deux témoins, qui comparaissent tous les deux par téléconférence.
    Tout d'abord, nous recevons le président de la Los Angeles Rohingya Association, M. Ko Ko Naing. Il est un membre fondateur de l'Association et il agit à titre de gestionnaire des relations publiques et communautaires. Il est Rohingya. Il a demandé l'asile politique aux États-Unis et est devenu un citoyen américain en 2010.

[Français]

    Nous recevons aussi M. Daniel Bastard, directeur du bureau Asie-Pacifique de Reporters sans frontières.

[Traduction]

    Il témoignera aujourd'hui. Il a acquis plus de 15 ans d'expérience dans différents médias en Europe, dans les Amériques et en Asie.
    Nous allons demander à chacun de vous de faire votre déclaration préliminaire. C'est M. Bastard qui commence.

[Français]

    Monsieur Bastard, je vous cède la parole pour 10 minutes, puis il y aura une période de questions et réponses.
    Je suis le directeur du bureau Asie-Pacifique de Reporters sans frontières, qui est une organisation non gouvernementale dont le mandat consiste à défendre la liberté de l’information partout dans le monde. L’un de nos principaux outils de plaidoyer est le Classement mondial de la liberté de la presse, que nous établissons chaque année pour 180 pays.
    En 2018, le Myanmar était classé à la 137e place sur 180 pays. En octobre dernier, nous avons pu lancer ce que nous appelons une procédure d’alerte sur la place du Myanmar dans le classement de 2019, parce qu’au vu de l’évolution des indicateurs que nous utilisons pour mesurer le degré de liberté de la presse dans chaque pays, nous avons remarqué que plusieurs de ces indicateurs ont subi une dégradation inquiétante.
    Il y a d’abord l’indépendance des journalistes, à commencer par les journalistes d’investigation. Ici, je veux naturellement faire référence au cas des deux journalistes de Reuters, MM. Wa Lone et Kyaw Soe Oo, qui croupissent en prison depuis 14 mois. Leur seul crime est d’avoir enquêté sur le massacre de 10 civils rohingyas dans un village de l’État d'Arakan en septembre 2017, pendant la vague de répressions qui a poussé près de 1 million de Rohingyas, au total, à l’exil au Bangladesh.
    Ce nettoyage ethnique, pour reprendre les mots de l’ONU, a été absolument caché aux médias. Les deux journalistes de Reuters ont eu le courage d’enquêter avec professionnalisme, de recueillir des témoignages, des preuves et des documents, jusqu’à ce qu’ils se fassent arrêter dans un guet-apens tendu par la police elle-même. Concrètement, deux agents leur ont soudain remis de mystérieux documents, avant que deux autres policiers les arrêtent immédiatement pour les accuser d’être en possession de secrets d’État.
    Cette arrestation a été clairement une manipulation grossière, mais cela n’a pas empêché la justice d’incriminer les deux journalistes au motif d’une vieille loi sur les secrets d’État qui date de l’époque coloniale. Ensuite, toute la procédure qui a suivi n’a été qu’une mascarade.
    En avril dernier, l’armée elle-même a reconnu la réalité du massacre sur lequel les journalistes avaient enquêté. Un tribunal militaire a même condamné sept soldats pour cela, mais les journalistes, eux, sont restés en prison. Même l’un des policiers qui avaient participé à leur arrestation a avoué, durant l'audience, que les deux journalistes avaient bel et bien été piégés par la police. Tout ce que ce policier lanceur d’alerte a récolté, c’est de se retrouver lui-même en prison pour non-respect de sa hiérarchie, et son collègue qui devait témoigner le lendemain a mystérieusement disparu.
    Toute l’instruction dans cette affaire a été une effroyable tartufferie. L’interpellation rocambolesque des journalistes, la fabrication des pseudo-preuves qui les incriminent, la mise en scène de leur garde à vue, les pressions exercées sur les témoins durant les audiences préliminaires, absolument rien ne tient, et pourtant, en septembre 2018, le couperet est tombé: ils ont été officiellement condamnés à sept ans de prison. Le verdict a été confirmé par une cour d’appel en décembre dernier. Un second appel devant la Cour suprême a été déposé il y a environ deux semaines, mais au vu du manque total d’indépendance de l’institution judiciaire dans cette affaire, il y a peu de chances que les juges de la Cour suprême dédisent le verdict pris en première instance.
    Comment comprendre cette atteinte aussi flagrante à la liberté de la presse dans un pays qu’on disait être sur la voie de la transition démocratique?
    Si l’appareil policier, judiciaire et politique a pu s’en prendre aussi allègrement à ces journalistes, c’est peut-être parce que c’était comme un gage apporté par le gouvernement civil d’Aung San Suu Kyi aux militaires et au milieu fondamentaliste bouddhiste, dans le cadre de cette fameuse répression de la minorité musulmane rohingya.
    Il y a tout de même un détail intéressant qu’il faut savoir relever. C’est la relative rapidité avec laquelle la justice birmane a traité le cas des journalistes de Reuters en appel. Il faut savoir que le président de la République, qui est lui-même un proche d’Aung San Suu Kyi, a un droit de grâce constitutionnel. Certains observateurs pensent qu’ils pourraient justement accorder une grâce aux deux journalistes de Reuters à l’occasion du Nouvel An birman, qui se déroule en avril; c’est une tradition dans le pays. Cependant, pour cela, il convient naturellement que tous les recours soient épuisés en appel, ce qui expliquerait ce curieux empressement.
    Dans cette hypothèse, d’un côté, le pouvoir civil pourrait ainsi faire montre de sa clémence et de son humanité tout en confirmant la condamnation des journalistes, ce qui, de l’autre côté, permet aux militaires et aux nationalistes bouddhistes de sauver la face. Selon ce scénario, les journalistes Wa Lone et Kyaw Soe Oo retrouveraient certes leurs familles, mais le message que les autorités enverraient aux autres journalistes est absolument glaçant: voilà ce qu’il vous en coûtera si vous osez enquêter sur les sujets interdits.
(1310)
    L'autre aspect très inquiétant de l'évolution de la liberté de la presse au Myanmar est le développement très inquiétant de l'autocensure au sein des rédactions. Les journalistes savent désormais qu'ils s'exposent aux représailles de l'appareil militaire en enquêtant, par exemple, dans l'État d'Arakan, sur ce que l'ONU a tout de même qualifié de génocide des populations musulmanes rohingyas.
    Plus généralement, beaucoup de journalistes n'osent plus se risquer à traiter des sujets qui pourraient froisser la majorité bouddhiste et, surtout, ses éléments les plus extrémistes. C'est notamment ce que m'a dit un des journalistes à qui Reporters sans frontières apporte du soutien. Nous lui apportons une assistance juridique parce que ce journaliste est poursuivi en justice pour avoir mis en cause, dans un article, les discours haineux du moine fondamentaliste Ashin Wirathu, qui est devenu assez célèbre notamment parce qu'on l'appelle le visage de la terreur bouddhiste, pour reprendre la une d'un numéro de la revue Time publié il y a quelques années.
    Alors, de quoi notre journaliste est-il accusé? Comme énormément d'autres reporters au Myanmar, il fait l'objet de poursuites en vertu de l'alinéa 66d) de la Loi sur les télécommunications. C'est un texte très vague et assez mal formulé, mais dont l'essence de base est de criminaliser la diffamation. Concrètement, même si un journaliste publie une enquête irréprochable et parfaitement sourcée avec des preuves irréfutables à l'appui, il aura toutes les chances d'être attaqué en vertu de cette loi par une personne qui aura été citée dans l'article. Cette loi agit, en fait, comme une épée de Damoclès qui pèse au-dessus du journalisme d'investigation. Pas plus tard qu'en octobre dernier, trois autres journalistes ont passé 15 jours derrière les barreaux tout simplement pour avoir enquêté sur une affaire de marché public de la ville de Yangon.
    Les exemples de censure et d'autocensure peuvent aller très loin. Par exemple, le simple emploi du terme « Rohingya » dans les médias est formellement interdit par les autorités, et ceux qui ne se plient pas à cet oukase sont menacés de fermeture. En juin dernier, le réseau Radio Free Asia a été banni du pays pour avoir refusé d'utiliser le terme « Bengali » à la place de « Rohingya », comme l'exige le gouvernement. En utilisant le terme « Bengali », on sous-entend que les populations rohingyas ne seraient pas intégrées à la terre du Myanmar, et c'est justement la vision que veulent imposer les autorités.
    Il faut savoir aussi qu'à l'autre bout du Myanmar, dans le nord-est, l'environnement dans lequel les journalistes essaient de travailler est tout aussi hostile. L'intensification récente des conflits entre l'armée et les groupes rebelles dans les États Shan et Kachin s'accompagne d'une incapacité pour les journalistes à couvrir de vastes zones contrôlées par l'armée. Ceux qui osent s'y rendre font l'objet de sérieuses menaces et, parfois, de représailles de la part des belligérants.
    Voilà en quelques phrases l'actuelle situation de la liberté de la presse au Myanmar, qui risque fort de perdre à nouveau des places au Classement mondial de la liberté de la presse que Reporters sans frontières sortira en avril. Il est d'ailleurs assez intéressant de voir comment la situation a évolué sur le long terme depuis la victoire de la Ligue nationale pour la démocratie, le parti de Aung San Suu Kyi, aux élections de 2012. À cette époque, on a connu un changement radical et les publications de presse se sont multipliées, les journalistes n'avaient plus à craindre d'être sans cesse arrêtés pour leurs écrits. Très concrètement, le pays est passé de la 151e place au Classement de la liberté de la presse en 2013 à la 131e place en 2017. Il a donc gagné plus de 20 places en quatre ans. Le problème, c'est qu'en 2008, le pays a reculé de nouveau de six places.
    Compte tenu de ce que je viens de dire à l'instant et de ce qui s'est passé durant l'année écoulée, il y a fort à croire que ce n'est pas un accident de parcours, mais bien un réel retournement de tendance. C'est d'autant plus préoccupant que l'actuel chef du gouvernement, Mme Aung San Suu Kyi, n'a pas levé le moindre petit doigt pour prendre ne serait-ce que la défense des journalistes de Reuters. Au final, cela en dit long sur le chemin encore très cahoteux et très sinueux que le Myanmar devra parcourir en matière de liberté de la presse pour mener à bien sa transition démocratique.
    Je vous remercie de votre attention.
(1315)
    Merci de votre témoignage, monsieur Bastard.

[Traduction]

     C'est au tour de M. Naing, qui dispose de 10 minutes.
    Dans mon témoignage, j'aimerais remercier le gouvernement canadien de l'énorme rôle qu'il joue pour mettre fin à la crise des Rohingyas. Comme vous le savez, c'est une crise mondiale. Au nom de la communauté des Rohingyas, j'aimerais remercier le gouvernement et le peuple canadiens de jouer un rôle proactif pour mettre fin à la crise.
    Comme l'a dit mon collègue journaliste, après que la Birmanie a obtenu son indépendance de la Grande-Bretagne en 1948, le régime civil n'a duré que quelques années. Lorsque le général Ne Win, un dictateur, a pris le pouvoir en 1962, le pays était très isolé. Il n'y avait pas de liberté d'expression. De nombreux journalistes ont été emprisonnés. On s'est servi de la loi sur les secrets officiels de 1923 pour condamner les journalistes de Reuters.
     Des journalistes ont été emprisonnés; on parle de plus de 15 ans, je crois. Les autorités ont eu recours à cette loi. En fait, elle a été adoptée par le général Ne Win, de sorte qu'elle existe. Tant d'autres journalistes sont portés disparus, de sorte que cela n'a rien de nouveau. Les journalistes de Reuters ont disparu récemment, mais auparavant, bon nombre de journalistes avaient disparu.
    J'ignore si vous connaissez Burma VJ. Il a été fait par des citoyens norvégiens et birmans. Ils étaient en exil en Norvège. Ils sont allés dans le pays durant la révolution safran en 2006, je crois, pour montrer ce qu'était la démocratie en Birmanie. J'ai regardé le documentaire Burma VJ, et on montre que le gouvernement birman a utilisé des informateurs pour emprisonner des citoyens innocents. Bon nombre de citoyens innocents ont été emprisonnés et interrogés au hasard seulement pour s'être opposés au gouvernement. Il y a un grand mouvement en ligne, mais la situation des journalistes ne s'améliore toujours pas. La liberté de la presse n'existe pas en Birmanie.
    De nombreux journalistes citoyens rohingyas sont en exil, dans des pays voisins comme la Thaïlande, la Malaisie et les États-Unis. Je suis un journaliste citoyen. Je communique toutes les nouvelles que je reçois. J'en reçois de sources secrètes, dans l'État de Rakhine, de mon réseau. Nous avons réussi à obtenir des nouvelles de la crise des Rohingyas qui frappe l'État de Rakhine. Ces journalistes citoyens s'exposent à de grands risques. Certains d'entre ont été arrêtés dans l'État de Rakhine et n'ont pas été libérés. À ma connaissance, deux de mes contacts ont été arrêtés et n'ont pas encore été libérés.
    Il y a de nombreux journalistes citoyens rohingyas dans le monde, car nous essayons d'attirer l'attention sur la crise. La liberté d'expression est inexistante en Birmanie. À ce moment-ci, dans le pays, une personne qui proteste dans la rue peut être arrêtée à tout moment. Le gouvernement utilise la démocratie pour tromper le monde.
    Malheureusement, nous avons tous fait valoir qu'Aung San Suu Kyi devait être une leader démocrate pour tous, mais elle a montré son vrai visage. Elle ne défend pas les Rohingyas ou les minorités ethniques. Elle est du côté du gouvernement birman. Le gouvernement birman est notoirement connu pour les actes de génocide qu'il commet contre non seulement la communauté rohingya, mais aussi diverses autres communautés, comme les Karens, les Shans et d'autres minorités. De nombreux citoyens innocents ont été tués, et le gouvernement utilise la propagande pour diffuser de fausses nouvelles et faire un lavage de cerveau au public birman.
    Le terme « Rohingya » est très tabou en Birmanie. Si l'on se fait prendre à l'utiliser, on peut se faire arrêter. Même les médias d'information locaux évitent de l'utiliser. En public, si une personne l'utilise, un informateur l'entendra et elle sera arrêtée. Ils veulent que la population utilise le mot « Bengali », qui fait référence aux immigrants illégaux du Bangladesh. Ils utilisent ce mot. Le gouvernement birman utilise grandement la diffamation pour arrêter des citoyens de façon aléatoire.
    La tenue d'un procès juste n'est pas garantie. La magistrature n'est pas indépendante du gouvernement central, et le gouvernement peut arrêter n'importe qui n'importe quand. Il est bien connu que le gouvernement birman a un journal, The Global New Light of Myanmar. Ce journal diffuse de fausses nouvelles sur la crise des Rohingyas en appelant les Rohingyas des terroristes. Il utilise le journal pour diffuser des fausses nouvelles.
(1320)
     Les médias sociaux, en particulier Facebook, jouent un rôle énorme. Facebook a également une très grande responsabilité dans le génocide des Rohingyas, la crise des Rohingyas. Le gouvernement et le public birmans utilisent cet outil pour diffuser des propos haineux et de la propagande afin d'anéantir les Rohingyas et justifier l'assassinat des Rohingyas dans l'État Rakhine et d'autres États. Comme vous le savez, récemment, des journalistes de Reuters ont été emprisonnés et condamnés en raison de leur couverture du massacre de Rohingyas innocents en 2017. C'est un exemple qui illustre que le gouvernement birman utilise la loi sur les secrets officiels de 1923 pour arrêter des journalistes innocents seulement parce qu'ils ont rapporté les faits.
    Il y a également des lois qui restreignent l'utilisation d'Internet. Les citoyens birmans n'ont pas du tout le droit de dénoncer le gouvernement birman, de le critiquer ou de parler de la crise des Rohingyas. Si un citoyen de la Birmanie se fait prendre à communiquer les nouvelles sur les Rohingyas ou à s'opposer au gouvernement, il sera passible d'arrestation et d'une amende. Il pourrait également être isolé. Comme je l'ai dit plus tôt, à ma connaissance, deux de mes contacts ont été arrêtés dans l'État de Rakhine. Je n'ai pas de nouvelles d'eux pour le moment. Habituellement, des sources sur le terrain, dans l'État de Rakhine, me donnaient des nouvelles de la crise des Rohingyas. Ils ont été arrêtés il y a deux ans et n'ont pas communiqué avec moi depuis.
    De plus, le gouvernement birman utilise de nombreux informateurs dans des endroits publics, en particulier dans des salons de thé et dans des restaurants, pour espionner ses citoyens. Quiconque se fait prendre à parler de la crise des Rohingyas ou à parler contre le gouvernement birman sera arrêté. De nombreux militants se sont fait interdire l'entrée en Birmanie. Il y a une liste noire et une interdiction de visa pour les journalistes et militants internationaux qui couvrent la crise des Rohingyas ou qui critiquent le gouvernement. La liberté d'expression et la liberté de presse sont tout à fait inexistantes en Birmanie. Malheureusement, même après le chemin chaotique qu'a parcouru la Birmanie vers la démocratie, Aung San Suu Kyi ne fait rien pour rétablir la liberté de presse en Birmanie, ou même pour permettre aux journalistes d'accéder à l'État de Rakhine concernant la crise des Rohingyas.
     Je dirais que le gouvernement birman essaie de mentir au monde. Il essaie de camoufler le meurtre de citoyens rohingyas innocents. Nous devons recevoir beaucoup de nouvelles de nos contacts de confiance sur le terrain. Certains des contacts n'ont pas d'autres choix que de se réfugier au Bangladesh. Leur vie était en danger parce qu'ils communiquaient les nouvelles sur la crise des Rohingyas.
    Beaucoup de discours haineux et de fausses nouvelles sont diffusés dans les médias sociaux, sur Facebook ces jours-ci, surtout soutenus par le gouvernement birman. Il y a également le mouvement nationaliste 969, soutenu lui aussi par le gouvernement birman. Il essaie de diffuser des propos haineux contre les Rohingyas. Son objectif ultime est de faire disparaître complètement les Rohingyas de la Birmanie — vous savez, un mouvement nationaliste dont le but est de faire de la Birmanie un État bouddhiste. Cela s'apparente à l'Holocauste, en 1942, quand Hitler a tenté d'anéantir les Juifs. Nous, les Rohingyas, avons été déplacés partout dans le monde en raison de cette crise. Il n'y a pas de liberté de presse. Le fait est que beaucoup de citoyens journalistes décrivent ce qui se passe, et Dieu merci, car nous arrivons à savoir ce que fait le gouvernement birman — il est notoire qu'il emprisonne des citoyens innocents et qu'il isole ses citoyens parce qu'ils disent la vérité.
    À ce sujet, le gouvernement canadien et les nations occidentales doivent jouer un rôle énorme, et non seulement en prenant des sanctions contre le gouvernement. Ils devraient peut-être essayer d'isoler la Birmanie davantage en ne lui donnant aucune récompense. La liberté de presse est totalement inexistante en Birmanie. Il en est de même pour la liberté d'expression. N'importe qui peut être arrêté à tout moment, sans raison.
    Merci.
(1325)
    Je vous remercie beaucoup tous les deux de votre témoignage.
    Nous passons maintenant au premier tour de questions.
    C'est vous qui commencez, monsieur Sweet. Vous disposez de sept minutes.
     Merci beaucoup, madame la présidente.
    De nombreux éléments des exposés des deux témoins me préoccupent. J'aimerais parler du témoignage de M. Naing en particulier.
    Monsieur Naing, vous avez mentionné que le gouvernement birman utilisait Facebook pour répandre la haine intentionnellement. Je me demande si vous seriez capable d'en envoyer des exemples au Comité — je ne pense pas que nous ayons la capacité de traduction que vous avez peut-être dans votre réseau — de sorte que nous ayons des éléments de fait.
    Madame la présidente, j'aimerais que nous puissions accepter ces documents en ce sens.
    C'est profondément préoccupant. Au Royaume-Uni, un comité spécial est en train d'examiner la question — je ne me souviens pas de son nom officiel, mais on l'appelle le comité des fausses nouvelles. En fait, il a tiré des conclusions selon lesquelles Facebook est délibérément très complexe, de sorte qu'on ne peut pas faire une recherche et déterminer qui est l'auteur des propos haineux.
    Si le gouvernement du Myanmar fait cela, alors nous devrions peut-être être en mesure de le souligner. Si je pouvais demander aux attachés de recherche d'ajouter une partie des travaux du comité du Royaume-Uni pour nous assurer de préciser qu'on utilise Facebook pour ce type de choses.
    Serait-ce possible, monsieur Naing? Pourriez-vous le faire pour nous?
    Certainement. Je peux vérifier auprès de mes contacts. Concernant Facebook, des éléments montrent que le mouvement 969 est utilisé. On utilise ce mouvement pour diffuser des propos haineux contre les Rohingyas. Je peux certainement vous fournir ces éléments.
    Merci beaucoup. Cela nous serait très utile dans nos travaux.
    Monsieur Bastard, vous avez mentionné que — et je pense que cela consternerait la plupart des gens qui nous écoutent — depuis l'arrivée du gouvernement d'Aung San Suu Kyi, la liberté journalistique est en fait plus restreinte qu'auparavant.
    Vous avez parlé d'une détérioration de la liberté journalistique. Avez-vous également constaté une détérioration des droits de la personne d'autres minorités, en plus de la liberté de presse?

[Français]

    Je veux d'abord rappeler que notre mandat est de nous occuper de la liberté de la presse. Par conséquent, je ne voudrais pas trop m'avancer dans un domaine que je ne maîtrise pas. Cependant, je peux dire que la liberté du journaliste-citoyen, par exemple, est aussi très entravée. Comme l'a dit M. Naing, les gens qui veulent publier sur Facebook des informations qui déplaisent au gouvernement vont subir notamment des répercussions juridiques et des poursuites judiciaires.
    Il y a surtout sur Facebook toute une armée de trolls au service de la mouvance bouddhiste fondamentaliste. On a un peu enquêté sur la question. Ces gens, qui sont assez proches des responsables de l'armée, s'en prennent aux journalistes-citoyens en recourant au harcèlement et à des discours haineux. Ces pratiques se développent de plus en plus. Même les journalistes non professionnels, les citoyens qui veulent dire la vérité et qui ne sont pas habituellement la cible de l'arsenal juridique utilisé pour réprimer la liberté de la presse, font l'objet de représailles.
(1330)

[Traduction]

    Vous avez tous les deux parlé du mouvement ultranationaliste des moines bouddhistes en particulier, et de la majorité bouddhiste. Y a-t-il des voix dissidentes au sein de cette majorité? Est-ce que des bouddhistes dénoncent ces mesures prises contre les Rohingyas et d'autres minorités? Un certain nombre de minorités sont persécutées, mais bien entendu, ce sont les Rohingyas qui souffrent le plus. Est-ce que des gens se prononcent contre leur propre majorité et essaient de défendre les droits de la personne ou la liberté de presse?
    Oui. Des citoyens essaient de se faire entendre. Toutefois, si c'est public, ils peuvent être arrêtés. Ils ne peuvent pas vraiment s'exprimer publiquement. Ceux qui sont en exil — certains font partie de la majorité bouddhiste — s'expriment, mais ils ne peuvent pas le faire publiquement en Birmanie.
    Monsieur Bastard, avez-vous des choses à dire à ce sujet?

[Français]

    Je voudrais simplement faire une remarque. Comme dans tout mouvement religieux, il y a des extrémistes et des modérés. Cependant, en ce moment, on entend beaucoup plus les extrémistes que les modérés.

[Traduction]

     M. Anderson va prendre le temps qu'il me reste.
    Les journalistes étrangers sont-ils traités différemment des journalistes locaux? Les journalistes de Reuters qui ont été emprisonnés étaient des journalistes locaux, mais comment exerce-t-on des pressions sur les journalistes étrangers? Interdit-on simplement aux gens d'entrer? Quelqu'un a mentionné qu'ils n'obtiennent pas de visa.
    Je me demande seulement quelle est la différence entre les deux, quant à la façon dont on les traite.

[Français]

     D'abord, il y a le chantage qui se fait autour des visas. Les visas de journalistes sont très difficiles à obtenir. Les journalistes étrangers qui veulent enquêter dans le pays en sont généralement réduits à utiliser un visa de tourisme ou un visa d'affaires et à être très discrets lorsqu'ils font leur travail. Les journalistes étrangers courent à peu près les mêmes risques que leurs confrères du Myanmar. J'ai en tête le cas de trois journalistes, soit un Birman, une Singapourienne et un Malaisien, qui ont été arrêtés et mis en prison pendant un mois en novembre 2017, simplement parce qu'ils avaient voulu filmer des plans du Parlement du Myanmar.

[Traduction]

    Merci.
    C'est maintenant au tour de M. Tabbara, qui dispose de sept minutes.
    Merci, madame la présidente.
    Je remercie les témoins d'être présents ainsi que de se faire entendre et de jeter un peu de lumière sur le silence, dans le cas de bon nombre de journalistes, au Myanmar.
    Ma première question s'adresse à M. Naing.
    Récemment, je lisais un article du Guardian portant sur deux journalistes qui ont été arrêtés. Il s'agit de Wa Lone et de Kyaw Soe O. On les a accusés de transmettre des documents secrets à d'autres sources. Le juge les a déclarés coupables de cela. Cependant, il y a eu un tollé. Leur avocat a dit qu'il essaierait par tous les moyens d'obtenir leur acquittement. Bon nombre d'autres pays, des défenseurs de la liberté de presse, et l'ONU, l'Union européenne, les États-Unis et le Canada ont réclamé qu'ils soient tous les deux acquittés.
    En cour, un jugement défavorable à leur égard a été prononcé, et ils auraient... Je suis désolé; les mots me manquent. Ils ont été jugés et le gouvernement a dit qu'ils passaient des documents secrets. C'est un exemple typique de ce qui arrive à des journalistes.
    Est-ce que l'intervention de nombreux États, qui demandent leur acquittement, a mis plus de pressions sur le gouvernement du Myanmar, ou y a-t-il plus de réticences, de sorte qu'on n'a pas déployé des efforts de grande envergure pour leur acquittement?
(1335)
    Vous savez, le gouvernement birman est bien connu pour emprisonner des journalistes simplement parce qu'ils disent la vérité, et il n'y a donc pas moins d'efforts déployés. Oui, des pressions internationales sont exercées pour la libération des journalistes; toutefois, le gouvernement birman n'en tient pas compte, délibérément. Il dit qu'ils ont été condamnés au titre de la loi sur les secrets officiels de 1923. C'est la loi à laquelle il a recours. La loi disait que les journalistes divulguaient des secrets d'État.
    De fortes pressions ont été exercées. Cependant, les pays voisins qui sont membres de l'ANASE, dont Singapour et la Malaisie... La Malaisie s'est exprimée, mais des pays comme Singapour, la Thaïlande et le Vietnam ont été très indulgents parce qu'ils font toujours affaire avec lui.
    Je dirais alors qu'il y a moins de pressions. Le gouvernement birman ne s'en soucie pas. Il dit qu'il s'agit d'un problème intérieur et qu'il a le droit d'emprisonner des journalistes qui couvrent la crise des Rohingyas.
    De plus, des dizaines de journalistes et d'activistes ont manifesté en appui aux hommes, à Yangon. Les ambassadeurs des États-Unis et du Royaume-Uni se sont fait entendre. L'ambassadeur des États-Unis au Myanmar a dit que la décision était profondément troublante, et Dan Chugg, l'ambassadeur britannique, a dit qu'il était extrêmement déçu du verdict prononcé contre les deux journalistes qui ont été incarcérés.
    Est-ce que les manifestations, et les déclarations des ambassadeurs ont mis plus de pressions à l'interne sur le gouvernement du Myanmar, ou y reste-t-on indifférent?
     Oui, il y a des pressions à l'interne. Comme je l'ai déjà dit, le gouvernement birman ne tient pas compte des pressions internationales. En 2006, il y a eu la révolution de safran, durant laquelle de nombreux citoyens ont été arrêtés. Le gouvernement birman fait face à des pressions internationales depuis plus d'un siècle, mais il n'y prête pas attention. Il ne fait rien à cet égard. Il faut que les gouvernements occidentaux exercent plus de pressions et fassent plus que de prendre des sanctions. Il s'agirait peut-être d'isoler le gouvernement birman en ne récompensant pas l'armée birmane.
    On peut prendre des sanctions contre le gouvernement birman, mais cela ne fonctionnera pas au bout du compte, car il y a toujours des pays, comme Singapour et la Chine, qui l'appuient et qui disent qu'il s'agit d'une affaire interne et qu'ils doivent respecter le gouvernement. Les différents pays dans le monde, les pays occidentaux comme le Canada, les États-Unis et les pays de l'Union européenne critiquent le gouvernement birman et exercent des pressions, mais le gouvernement ne fait rien à cet égard. Il dit seulement qu'il s'agit d'une affaire interne et qu'il prendra toutes les mesures nécessaires.
    Ma prochaine question s'adresse à M. Bastard. Dans votre déclaration préliminaire, vous avez dit que la censure s'exerce dans beaucoup de journaux du Myanmar. Je suppose que c'est la même chose pour les journalistes indépendants, ou pour les gens qui créent des blogues ou qui font paraître des publications. Pouvez-vous nous dire si vous êtes au courant d'incidents où le gouvernement birman a fait taire ceux qui affichent des publications ou qui bloguent dans les médias sociaux?

[Français]

    Il faut savoir qu'au Myanmar, Internet égale Facebook, cette dernière plateforme étant la principale porte d'entrée pour tous les internautes en Birmanie. Le réseau a connu une forte hausse du nombre d'utilisateurs en quelques années. Je crois que le nombre d'utilisateurs a été multiplié par 15 en trois ans.
    Le réseau social n'avait quasiment personne pour modérer l'activité de toute cette masse d'utilisateurs. En fait, les journalistes-citoyens qui voulaient publier en ligne des informations fiables voyaient généralement leurs publications se retrouver complètement au bas de la liste, parce que les algorithmes de Facebook sont tels que ce sont les sites affichant des discours de haine et de fausses informations qui récoltent le plus de clics.
    Ces algorithmes sont aussi manipulés par les autorités — par l'armée notamment. Comme le disait M. Naing, Facebook a donc une énorme responsabilité en ce qui a trait à la la censure des journalistes-citoyens et à la dissémination de fausses informations qui ont notamment conduit au durcissement de la haine contre les Rohingyas au sein de la population du Myanmar.
(1340)
    D'accord.
    Merci beaucoup.

[Traduction]

    C'est maintenant au tour de Mme Hardcastle.
    Merci beaucoup, madame la présidente.
    Messieurs, j'aimerais vous poser une question générale. J'aimerais que vous me parliez de l'idée d'une presse indépendante par rapport à l'idée d'une presse financièrement solide. Pouvons-nous discuter un peu de la mesure dans laquelle l'entreprise de presse privée est intimidée par un gouvernement ou non, selon où elle est? Parlez-nous un peu des médias, des réalités du marché et, idéalement, du rôle que le Canada pourrait jouer pour isoler et ne pas récompenser certains gouvernements. Y a-t-il des moyens auxquels nous ne pensons pas, mais qui nous permettraient de récompenser cette presse indépendante? Commençons par vous, monsieur Bastard.

[Français]

    Merci de ces deux questions.
    Concernant la presse privée, on n'a pas vraiment de grandes sociétés ou de grands magnats de la presse, comme il peut y en avoir dans les pays occidentaux ou d'autres pays asiatiques. On a plutôt de petites publications qui reposent essentiellement sur la publicité, qui sont monoindustrielles, c'est-à-dire qu'on ne fait que de la presse, par exemple, des magazines, de la radio et des quotidiens. On a une presse régionale assez développée. Toutes ces structures sont encore très faibles et elles auraient besoin, notamment, de plus d'apport financier. Cela leur permettrait d'être plus viables dans l'avenir. C'est quelque chose que le Parlement et le gouvernement canadiens pourraient penser à soutenir.
    Je vais donner un exemple très concret. Bien sûr, on peut décider de prendre des sanctions financières ou commerciales contre le Myanmar, mais il faut voir si cela ne va pas affecter davantage la population que le gouvernement. C'est pourquoi nous envisageons, avec d'autres organisations non gouvernementales, de faire juger certains cas suivant la fameuse loi Magnitski. Cette loi a été conçue aux États-Unis, mais d'autres pays ont adopté une loi semblable. Cela permettrait de cibler vraiment les responsables de la répression de la liberté de la presse au moyen des autorisations de leur visa et les avoirs qu'ils peuvent posséder à l'étranger. Cependant, beaucoup d'entre eux ont plutôt des avoirs en Chine; cela complique beaucoup les choses. Malgré tout, on peut envoyer un signe. Si l'on s'attaque aux portefeuilles des dirigeants, de ceux qui commandent et qui décident de la répression de la liberté de la presse, on peut les faire réfléchir.

[Traduction]

     Monsieur Naing.
    Je suis d'accord avec les journalistes. La Birmanie est isolée depuis plus d'une décennie. Ce n'est que depuis récemment qu'on a un peu de démocratie. À l'heure actuelle, les journaux en Birmanie sont le Global New Light of Myanmar et Eleven Media. Ils sont parrainés par le gouvernement birman. Nous avons besoin de vraies informations journalistiques en Birmanie. Cependant, il est notoire que le gouvernement birman aime censurer les nouvelles, de sorte qu'il n'y a pas de grand journal au pays. Les journalistes de Reuters ne font que diffuser les nouvelles sur la crise des Rohingyas et se font arrêter. Je dirais qu'il faut exercer de la pression internationale sur le gouvernement birman en prenant des sanctions contre lui. De plus, nous devrions dire à des pays comme Singapour et la Chine, où le régime militaire cache son argent, qu'il est connu que le gouvernement birman met des journalistes en prison, de sorte qu'ils ne devraient pas le récompenser.
    D'un point de vue économique, avec le gouvernement birman, il n'y a pas encore de grandes sociétés. La seule chose à laquelle je peux penser, c'est que le gouvernement américain a Voice of America, qui est la chaîne de nouvelles basée à Washington D.C. Elle a fait un excellent travail en diffusant les nouvelles sur la crise des Rohingyas. Elle est financée par le Congrès américain, et nous sommes vraiment ravis que le gouvernement américain ait Voice of America. Ce serait très bien si le gouvernement canadien avait également ce type de nouvelles pour sensibiliser la population birmane et le gouvernement birman à la liberté de la presse.
(1345)
    Merci beaucoup.
    Pour le prochain tour de questions, les interventions ne seront que de trois minutes. C'est M. Fragiskatos qui commence.
    Merci, madame la présidente.
    Si possible, j'aimerais céder une partie de mon temps à M. Fergus.
    Je vous remercie tous les deux de votre témoignage.
    J'ai une question, et elle s'adresse à M. Bastard.
    Nous en avons déjà parlé à certains égards, mais je crois qu'il sera bon de préciser, à la fin, lorsque nous produirons un rapport, la mesure dans laquelle les choses ont changé au fil des décennies. Ce que je veux dire, c'est que le journalisme, dans un contexte de violence généralisée, d'un génocide en fait, ce n'est pas quelque chose de nouveau. Des journalistes ont couvert la situation au Rwanda. Des journalistes ont couvert les champs de la mort du Cambodge et d'autres situations semblables. Je me demande dans quelle mesure les médias sociaux ont des répercussions sur la couverture de situations comme un génocide, que vivent les Rohingyas — ou s'il ne s'agit pas tout à fait d'un génocide, de cas de violence de masse. Les médias sociaux aident-ils ou gênent-ils la couverture et la dénonciation de la violence perpétrée sur le terrain? Vous pouvez parler de la Birmanie si vous le souhaitez. Puisque c'est une question générale, vous pouvez donner une réponse générale.

[Français]

    Dans le cas de la Birmanie, les médias sociaux ont manifestement nui à la liberté de l'information. Je pense qu'ils ont contribué à l'éclatement du génocide. On pourrait presque comparer le rôle que joue Facebook en Birmanie à celui qu'a joué la radio des Mille Collines au Rwanda. En 1994, juste avant le génocide rwandais, des appels à la haine étaient diffusés sur cette radio et retransmis dans tout le pays, ce qui a accéléré le déclenchement du génocide.
    En Birmanie, comme je l'ai expliqué, Facebook a connu une hausse très impressionnante de son nombre d'utilisateurs. Cette plateforme a été utilisée pour propager de fausses informations à partir desquelles on a construit des discours de haine, qui ont nourri la haine du Rohingya. Il faut aussi reconnaître la grande responsabilité de Facebook dans le déclenchement du génocide, parce qu'aucun moyen n'a été mis en œuvre pour modérer les activités sur cette plateforme en birman, à un point tel qu'au printemps, un collectif d'une douzaine d'ONG birmanes a envoyé un courrier à Mark Zuckerberg pour l'interpeller et lui faire part de sa responsabilité dans le génocide birman.
    Plus globalement, je m'occupe de toute la zone asiatique. On voit que les réseaux sociaux sont largement utilisés pour propager les discours de haine. C'est vrai en Inde avec Twitter, et c'est vrai aussi au Vietnam et aux Philippines. C'est quelque chose qu'il faut vraiment prendre en compte. Il y a un réel besoin de modération qui est très difficile à définir, mais les médias sociaux sont vraiment responsables de la propagation des discours de haine.
(1350)
    Merci beaucoup.

[Traduction]

     Nous allons tout d'abord laisser M. Anderson intervenir et nous aurons le temps de revenir à vous par la suite.
    Merci, madame la présidente.
    Je vous remercie de votre présence. J'aurais aimé que nous ayons un peu plus de temps.
    Je veux revenir à la discussion sur les journaux. Je crois comprendre qu'en 2013, on a autorisé l'établissement de journaux privés pour la première fois. Dix-neuf journaux sont nés. Sept d'entre eux existent encore. Ils doivent rivaliser avec deux quotidiens dirigés par le gouvernement, et un quotidien dirigé par les forces militaires.
    Pouvez-vous nous parler des liens entre ces journaux? Je crois que vous avez dit, monsieur Bastard, que s'il y avait plus d'argent, ce serait utile. Je me demande s'il s'agit vraiment de la solution. Je crois que vous avez dit également que nous devons nous attaquer à ceux qui entravent la liberté. C'est probablement la première chose que nous voulons faire.
    Pourriez-vous parler un peu des liens entre ces journaux. Tout le monde a son parti pris. Comment les traitons-nous?

[Français]

    Disons que les journaux proches du gouvernement sont plus ou moins des organes de propagande. Quant aux journaux privés, ils avancent dans une zone grise. Comme je l'ai dit, il y a comme une épée de Damoclès qui pèse sur eux. Même s'ils publient une enquête parfaitement sourcée, ils risquent d'être poursuivis en diffamation. Même s'ils ne sont pas reconnus coupables in fine, cela représente pour eux des frais financiers énormes. C'est pour cela que je parlais de solidité financière pour les organes de presse privée.
    Depuis 2013, il s'est développé une culture de la déontologie journalistique et de l'éthique que l'on doit prendre en compte — il ne faut pas la négliger. Je pense notamment au groupe Eleven Media, dont trois journalistes ont été mis en prison en octobre dernier. Ce sont vraiment des héros. Ils incarnent ce que pourrait être la liberté de la presse en Birmanie.

[Traduction]

    Puis-je vous interrompre ici? Je crois que vous aviez terminé. Il y a eu de si bonnes nouvelles en 2016. On s'attendait à ce que les choses progressent de façon positive. Que s'est-il passé après 2016? Vous avez dit un peu plus tôt qu'il fallait tenir des gens responsables. Qui sont les gens qui devraient être tenus responsables des changements?
    Nous allons préparer un rapport. Il serait bon d'avoir l'information.
    Vous n'avez que 20 secondes. J'en suis désolée.

[Français]

    D'accord.
    Le changement est dû au fait que Mme Aung San Suu Kiy a dû s'allier aux militaires pour garder le pouvoir. De cette façon, l'armée a imposé sa loi, et Mme Aung San Suu Kiy et le pouvoir civil ont plié dans cette négociation pour garder le pouvoir.

[Traduction]

     C'est maintenant au tour de M. Fergus, qui posera une question.

[Français]

     Merci, madame la présidente.
    Je remercie aussi les deux témoins. Leur témoignage d'aujourd'hui est pour le moins stressant et il est difficile de bien comprendre la situation.
    Monsieur Bastard, pourriez-vous étoffer vos commentaires concernant le rôle de Facebook et de tous les médias sociaux? Vous êtes assurément au courant du fait que Facebook, comme d'autres réseaux sociaux, prend de plus en plus de moyens, notamment au Royaume-Uni, aux États-Unis et au Canada, pour contrôler les commentaires — je pèse mes mots en disant cela — publiés sur Facebook et les réseaux sociaux. Pourquoi n'ont-ils pas fait la même chose dans les pays où il y a un risque grave de génocide?
    Je ne veux pas emprunter une espèce de piste néocoloniale, mais je pense que Facebook considère les petits pays comme des laboratoires. C'est ce que j'ai pu observer au Cambodge. À la fin de 2017, Facebook a mis en place la fonctionnalité « fil Explorer » au Cambodge et dans cinq autres pays de moyenne importance, dont le Nicaragua, la Slovénie et le Sri Lanka. Cette fonctionnalité reléguait dans un espace très difficile à atteindre toutes les informations d'intérêt public. On ne trouvait plus que des billets sur ce qu'un ami avait mangé ou des vidéos de petits chats.
    Toutes les informations d'intérêt public, qui sont fondamentales dans ce genre de pays où la presse est réprimée et où les réseaux sociaux devraient jouer ce rôle de diffusion d'information, étaient reléguées dans un espace quasiment introuvable. Alors, beaucoup d'ONG, comme la nôtre, ont interpellé Facebook là-dessus. Au bout de quelques mois, devant le tollé, le réseau social a finalement retiré cette fonctionnalité.
    Ce que nous dit l'exemple birman, c'est que Facebook a fait preuve d'une très coupable négligence en tout cas. Notre correspondant au Myanmar m'a expliqué qu'il avait contacté l'une des quelques personnes chargées non pas de contrôler, comme vous l'avez dit, mais de modérer le réseau social. Mon correspondant est entré en contact avec lui, et en fait, c'est quelqu'un qui est progouvernement.
(1355)
    Merci, monsieur Bastard. Je suis désolée de vous interrompre, mais je dois donner la parole à M. Anderson pour une dernière question très courte.

[Traduction]

    Je remercie Mme Hardcastle de me céder une partie de son temps.
    Quelqu'un a parlé de la presse régionale. Compte tenu des pressions militaires accrues qui sont exercées sur les États de Kachin, de Kayin, de Shan et de Rakhine, quelle est la situation de la presse régionale dans ces secteurs? Ils sont un peu plus autonomes, si l'on veut, jusqu'à un certain point. Quelle est la situation de la presse là-bas?

[Français]

    Il y a une intensification des conflits dans les zones frontalières. Dès qu'il y a un peu de conflits, les journaux n'ont pas de liberté éditoriale. C'est même dangereux physiquement de publier des choses que l'armée ne voudrait pas que l'on publie. C'est vraiment dans les quelques zones où la population vit en paix que les journaux régionaux peuvent être diffusés.

[Traduction]

    Ces zones ont-elles leurs propres journaux régionaux? C'est ce que je veux savoir. Dans ces zones, y a-t-il une presse régionale qui leur permet de communiquer leur message?

[Français]

    Il y a des journaux régionaux, mais ils ne sont diffusés que dans certaines zones en paix. Toutes les zones en conflit et bouclées par l'armée ne sont pas du tout couvertes par la presse.

[Traduction]

    Merci.
    Je remercie beaucoup nos deux témoins de leurs témoignages très éloquents et informatifs.
    J'aimerais rappeler au Comité que jeudi, deux réunions sont prévues. De 11 heures à midi, nous participerons à celle du comité des affaires étrangères pour entendre le témoignage du secrétaire général adjoint et coordonnateur des secours d'urgence, M. Mark Lowcock. Par la suite, nous nous réunirons de nouveau ici, à 13 heures, à huis clos, pour discuter de la liste des témoins qui comparaîtront dans le cadre de notre étude sur les femmes défenseures des droits humains. Nous nous reverrons tous jeudi.
    Merci beaucoup.
    La séance est levée.
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication
ParlVU