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SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 128 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 20 novembre 2018

[Enregistrement électronique]

(1305)

[Traduction]

    Merci beaucoup de votre présence.
    Je tiens à remercier nos trois témoins. Nous en avons deux avec nous et un autre, qui participe à notre séance par vidéoconférence.
    Par vidéoconférence, nous avons M. Abid Shamdeen, directeur général adjoint et cofondateur de Nadia's Initiative. Il s'agit d'un organisme voué à la défense des victimes de violence sexuelle et à la reconstruction des communautés en crise.
    Nous avons également avec nous Mme Susan Korah, qui représente A Demand for Action, une initiative mondiale qui défend la protection des chrétiens assyriens/chaldéens/syriaques et d'autres minorités du Moyen-Orient.
    Enfin, nous avons M. Matthew Travis-Barber, directeur général de Yazda, une organisation multinationale yézidie mise sur pied pour appuyer les yézidis et d'autres groupes vulnérables.
    Il est un ex-directeur. Excusez-moi, je reconnais mon erreur.
    Nous ferons le point aujourd'hui sur la situation des droits de la personne chez les yézidis, les chrétiens et d'autres minorités religieuses et ethniques qui vivent en Irak.
    Vous aurez chacun 10 minutes, après quoi nous aurons une série de questions de sept minutes chacune. Nous consacrerons un peu de temps aux affaires du Comité à la fin de la séance.
    J'aimerais commencer par Abid, au cas où nous aurions des problèmes techniques, parce qu'il communique avec nous par vidéoconférence.
    Allez-y, monsieur Shamdeen.
    Bonjour. Merci beaucoup de me donner la chance de m'adresser à vous aujourd'hui et de vous parler par vidéoconférence. Je suis désolé de ne pas pouvoir être avec vous en personne. Nous travaillons très fort depuis quelque temps pour les yézidis et d'autres minorités d'Irak.
    J'aimerais tout d'abord vous rappeler la situation qui a cours en Irak et les circonstances qui nous ont amenés ici, auprès des yézidis. Vous savez ce qui se passe là-bas, mais je veux vous transmettre quelques statistiques sur ces populations en Irak pour la période allant de 2014 jusqu'à maintenant.
    À mon avis, l'attaque des yézidis par Daech était planifiée; elle a été systématique et a eu pour but de rayer cette population de l'Irak. Il y avait près d'un demi-million de yézidis, dont plus de 400 000 à Sinjar, le territoire ancestral de cette population. Daech a tué près de 5 000 yézidis en août 2014 et réduit en esclavage environ 6 500 femmes et enfants. La plupart des yézidis qui ont été tués étaient des femmes âgées dont Daech ne voulait pas comme esclaves.
    Les enfants yézidis, pour leur part, ont fini par se faire manipuler à l'extrême. Beaucoup ont été recrutés par Daech pour lutter dans ses rangs. Certains se battent actuellement pour cette organisation en Syrie.
    Environ 3 000 yézidis, la plupart des enfants, sont encore en captivité. Les autres, ce sont les femmes maintenues captives depuis 2014. Environ 350 000 yézidis demeurent déplacés, dans des camps pour personnes déplacées à l'intérieur de leur pays (PDIP), situés dans le nord de l'Irak et dans la région du Kurdistan. Quelques milliers de yézidis sont dans des camps de réfugiés en Turquie et en Grèce.
    Jusqu'à maintenant, je crois, nous avons découvert environ 67 charniers qui contiennent les restes de yézidis. On en a découvert un, il y a deux jours seulement, à Tel Azer, au sud de Sinjar.
    Les secteurs occupés par les yézidis ont toujours été négligés par le gouvernement, que ce soit le gouvernement régional du Kurdistan (GRK) ou le gouvernement irakien. Après 2003, ils étaient principalement sous l'autorité du GRK et contrôlés par le gouvernement du Kurdistan. Daech y a sévi et commis le génocide. Maintenant libérés, ces secteurs demeurent négligés. En effet, lorsque Mossoul et d'autres régions ont été libérées, tous les yeux étaient rivés sur Mossoul, qui a profité de la majorité des mesures d'aide. La plupart des PDIP ont quitté Mossoul pour retourner à Tikrit et dans d'autres régions, mais les yézidis, eux, demeurent dans des camps.
    Il en est ainsi à cause d'intérêts politiques concurrents et surtout parce que les deux gouvernements, le GRK et le gouvernement irakien, ne sont pas intéressés à reconstruire les secteurs yézidis et à assurer la sécurité de cette population. Les yézidis n'ont jamais eu leurs propres forces de sécurité et ils ne se sont jamais dotés d'une gouvernance locale. C'est ce qui a contribué à leur génocide et c'est ce qui continue de leur causer des problèmes aujourd'hui.
    L'Irak est libérée aujourd'hui, et les gens retournent chez eux, mais les yézidis sont forcés, selon moi... J'ai l'impression que les yézidis sont gardés en captivité dans ces camps pour PDIP, parce que, premièrement, leurs territoires ancestraux n'ont pas été reconstruits; il n'y a pas de forces de sécurité et l'accès à Sinjar a été bloqué. Les routes qui mènent à Sinjar, depuis le Kurdistan, depuis les camps pour PDIP, ont été bloquées à répétition de 2014 à 2016 ou 2017, et fermées complètement depuis ce temps.
(1310)
    Je suis en pourparlers avec le GRK et le gouvernement irakien. Les deux se blâment mutuellement pour la fermeture des routes. Nous n'avons pas encore obtenu de réponses claires sur les raisons pour lesquelles ces routes sont bloquées, mais nous croyons qu'il s'agit principalement d'une question de contrôle. Comme vous le savez, ces régions sont disputées et chaque partie en veut le contrôle. On ne veut pas que les yézidis y retournent tant que l'une ou l'autre partie n'exercera pas un contrôle total sur Sinjar.
    Selon nous, le Canada et d'autres pays occidentaux ne viennent pas en aide à ces gens en fournissant simplement un certain financement pour la réalisation de programmes de l'ONU, parce que les populations de Sinjar et des autres régions revendiquées ne profitent pas de ces programmes.
    Nous avons essayé de mettre en place un programme distinct, le Nadia's Action Fund. Nous avons eu des discussions principalement avec le gouvernement français. J'ai essayé de faire imprimer des documents pour vous. Le président Macron, que nous avons rencontré dernièrement au Forum de Paris sur la Paix, s'est engagé à appuyer financièrement notre initiative et il a personnellement libéré des fonds pour nous.
    Nous agissons ainsi en partie, parce que nous voulons donner aux yézidis les moyens de se prendre en main. Si les yézidis ne participent pas à la gouvernance, à la reconstruction et à la sécurité des territoires qu'ils habitent, ce sont des gens du Kurdistan, de Bagdad ou de Bassorah qui le feront, et cela ne fonctionnera pas.
    Le problème tient, je crois, à ce que nous n'avons pas encore fait participer les yézidis, ni même les chrétiens, à la gouvernance de leurs régions et à la gestion de leur sécurité.
    Nous avons également rencontré M. Trudeau au Forum de Paris sur la Paix. Nous l'avons exhorté à intervenir pour régler certains de ces problèmes. Je sais que le Canada a accueilli certains yézidis, principalement des gens qui ont survécu au génocide. J'ai soulevé la question la dernière fois que j'ai participé à une séance du comité de la citoyenneté. Selon nous, puisque le Canada a accepté de recevoir ces familles, il doit accueillir le reste de leurs membres qui demeurent en Irak.
    Comme je l'ai dit au début, les fondements mêmes de la communauté yézidie ont été ébranlés. Presque toutes les familles yézidies ont, soit perdu certains de leurs membres, soit vécu des séparations, alors que certains des leurs sont réfugiés dans des camps pour les PDIP. Il est important de réunir certaines de ces familles une fois les survivants retrouvés.
    J'essaie de respecter le temps qui m'est imparti. Si je le dépasse, veuillez me le faire savoir.
    Il vous reste une minute.
    Je suis très heureux que Matthew Barber soit également avec nous. Il connaît très bien les questions relatives aux yézidis. Nous avons travaillé ensemble en Irak pour aider les yézidis à Sinjar.
    Comme je l'ai dit, j'estime que la responsabilité des gouvernements occidentaux ne se limite pas à fournir des fonds à l'ONU. Il faut agir. Il faut exercer des pressions sur le GRK et le gouvernement irakien pour qu'ils cessent de bloquer les routes menant aux secteurs yézidis, fassent participer les yézidis à la gouvernance locale de leurs territoires et veillent à ce que ces gens puissent, comme tous les autres, retourner chez eux pour se remettre de ce génocide.
    Nous avons travaillé avec les gouvernements britannique et américain, comme vous le savez, afin de faire adopter par l'ONU une résolution pour la tenue d'une enquête sur les crimes de Daech. La résolution a été adoptée en septembre de l'an dernier. Je demeure en communication avec le chef de l'équipe, M. Karim Khan, de l'ONU. L'organisation n'a pas encore mis en place une structure ou une équipe pour mener sur place des travaux en vue de recueillir des éléments de preuve de ces charniers ou de la perpétration du génocide dont les yézidis ont été victimes.
(1315)
    Pourriez-vous conclure, je vous prie. Votre temps est écoulé.
    D'accord.
    J'expère avoir le temps de préciser certaines choses pendant la période des questions et réponses. J'estime que le Canada, tout comme la France, devrait s'engager directement pour aider ces gens, et ne pas se contenter de le faire par l'entremise de l'ONU. Il est très important de permettre à l'ONU d'intervenir, mais il est également important de participer directement, de doter ces collectivités des moyens dont elles ont besoin pour faire face à un génocide et de les aider à diriger leurs territoires elles-mêmes.
    Merci beaucoup.
    Nous passons maintenant à M. Matthew Barber, notre deuxième témoin, pour 10 minutes.
    Merci beaucoup.
    J'ai huit minutes pour vous parler de tout ce qui ne fonctionne pas chez les minorités irakiennes et d'une solution pour régler le problème. J'essaierai d'aller le plus vite possible.
    Depuis le début du génocide des yézidis, il y a trois ans et demi, j'ai été invité de nombreuses fois à présenter à des députés et à des congressistes ainsi qu'à de nombreux organismes gouvernementaux des exposés, des conférences et des séances d'information comme celle-ci sur la situation qui a cours a Sinjar et sur l'aide que nous pouvons apporter aux yézidis et aux autres minorités de l'Irak. Toutefois, le conseil que nous avons invariablement donné aux gouvernements occidentaux, moi et d'autres intervenants, n'a jamais été suivi. Nous avons recommandé d'intervenir directement dans le marasme politique interne irakien qui, par définition, est la cause des abus, de la discrimination et de la privation systématique du droit de vote dont les minorités sont victimes en Irak et qui menacent leur existence future dans leurs propres territoires.
    Daech compte encore des cellules actives en Irak; même si sa structure organisationnelle et ses capacités d'imposer son régime ont été détruites, son idéologie extrémiste d'intolérance religieuse survit dans de nombreux segments de la société. Voilà qui demeure un problème perpétuel pour les minorités religieuses de ce pays.
    Bien que Daech soit à coup sûr l'acteur qui fait montre, sans scrupule, de la plus grande cruauté dans la région, il n'est pas le seul qui menace l'avenir des minorités en Irak. En effet, ce ne sont pas les extrémistes religieux qui représentent la pire menace pour la survie et la pérennité des minorités religieuses dans ce pays, mais les entités politiques, soi-disant légitimes, qui jouent des coudes pour prendre le territoire et le pouvoir. Ces entités se disputent des territoires où les populations minoritaires sont concentrées, comme Sinjar et la région de Ninive, qui sont maintenant revendiquées par le gouvernement central de Bagdad et le gouvernement régional du Kurdistan, situé dans le nord du pays, depuis la chute du régime de Saddam Hussein en 2003.
    Entre la chute de Saddam Hussein et le génocide des yézidis en 2014, c'était Bagdad qui était responsable du budget de l'infrastructure et des services à Sinjar, mais la ville était contrôlée par les forces armées et la police kurdes. Or, ces forces peshmergas ne sont pas une armée kurde nationale; elles sont constituées de milices partisanes contrôlées par des partis politiques particuliers. Sinjar est tombée sous le contrôle des forces fidèles au Parti démocratique du Kurdistan, le PDK, soit le parti de l'ancien président Masoud Barzani. Ce parti n'a pas permis au gouvernement central de participer à l'administration de la ville. Il a plutôt nommé unilatéralement la plupart des responsables administratifs, sans tenir d'élections ni consulter la population yézidie locale. Qui plus est, le PDK a commencé à recourir à des méthodes répressives contre ses rivaux politiques, intimidant et emprisonnant les yézidis qui joignaient les rangs de partis politiques favorables à la gouvernance locale et à la participation directe de Bagdad plutôt qu'à l'annexion de Sinjar à la région du Kurdistan. Tout ceci est survenu avant le génocide.
    Néanmoins, certains yézidis de Sinjar espéraient que les autorités kurdes allaient faire progresser leur statut de minorité marginalisée. Toutefois, ces espoirs ont été réduits à néant pour de bon le jour où le génocide yézidi a commencé. Ce qui est arrivé constitue l'un des pires cas d'indifférence à l'endroit d'une minorité ethnoreligieuse de notre époque. En effet, lorsque les djihadistes de Daech approchaient de Sinjar, les forces peshmergas affiliées au PDK, qui assuraient la sécurité de la ville, ont reçu l'ordre des autorités kurdes basées à Erbil de se retirer. Elles n'ont engagé aucun combat contre Daech, s'étant retirées avant l'arrivée de l'ennemi. Au lieu de faciliter une évacuation et de fournir une protection aux civils, les peshmergas ont fui la ville avant même que les familles yézidies n'aient pu partir. Malgré les supplications des yézidis, ils ont refusé de leur laisser des armes pour protéger leurs familles. Nous connaissons tous ce qui est arrivé: plus de 6 000 yézidis, dont plus de la moitié étaient des femmes, ont été réduits en esclavage, et 10 000 autres ont été tués.
    Naturellement, après le génocide, la très vaste majorité des yézidis de Sinjar ont rejeté les prétentions kurdes sur l'administration de leur ville. Depuis août 2014, les yézidis exigent que les autorités de Bagdad travaillent directement avec eux pour mettre en place une administration locale non partisane et des forces de sécurité qui leur permettront de diriger eux-mêmes leurs affaires dans une Irak unifiée, comme Abid nous l'a dit par téléconférence.
    Les yézidis et ceux qui défendent leur cause, comme moi, ont de nombreuses fois demandé à la communauté internationale et aux gouvernements occidentaux de collaborer directement avec les autorités de Bagdad pour faciliter ce processus et d'exiger que les responsables leur rendent des comptes. La survie de la minorité yézidie sur leurs territoires ne sera possible que si la sécurité et la stabilité de Sinjar sont assurées. Toutefois, au lieu de travailler en ce sens, d'innombrables leaders mondiaux se sont pris en photo avec Nadia Murad, ont fait des ouvertures au sujet des droits des yézidis et, dans certains cas, ont fourni une certaine aide financière destinée à du soutien humanitaire.
    Plus de quatre ans après le génocide, Sinjar n'est toujours pas sûre ni stable. Au contraire, le Parti démocratique du Kurdistan a accentué les abus et la violence politique à l'endroit des yézidis, parce que les forces affiliées au Parti des travailleurs du Kurdistan qui ont défendu Sinjar contre les djihadistes se sont ensuite établies en permanence dans la ville et parce qu'elles ont résisté aux tentatives du PDK de reprendre le territoire disputé, le PDK a mis en place un blocus économique qui empêche les yézidis ayant survécu au génocide de transporter des vivres, des articles ménagers, des fournitures scolaires, de l'équipement agricole et les matériaux requis pour reconstruire leurs maisons.
(1320)
    En fait, les pouvoirs kurdes irakiens ont délibérément fait obstacle à la reconstruction de Sinjar et empêché les yézidis, qui vivent dans des tentes depuis plus de quatre ans, de retourner chez eux et de poursuivre leurs vies. Même si Human Rights Watch a signalé l'obstruction exercée depuis presque trois ans, la route qui relie la région de Dohuk à Sinjar demeure complètement fermée.
    Les forces de sécurité du PDK ont arrêté, battu et intimidé des yézidis qui avaient joint ou tenté de joindre des milices affiliées au Parti des travailleurs du Kurdistan pour défendre leur territoire. Elles ont également expulsé les familles indigentes de jeunes yézidis qui ont joint les milices irakiennes non peshmergas pour aider à libérer les villages yézidis de Daech. Les forces du PDK ont quelquefois empêché les secours médicaux d'accéder à Sinjar — j'en ai été moi-même témoin — et bloqué la route à des ONG qui apportaient de l'aide humanitaire à Sinjar ou qui venaient appuyer les travaux de reconstruction.
    Plus récemment, les forces de sécurité du PDK ont menacé d'expulsion un grand nombre de yézidis vivant dans des camps situés dans la région du Kurdistan s'ils votent pour des candidats yézidis indépendants qui se présentent aux élections parlementaires irakiennes, soit des yézidis non affiliés au PDK.
    La réponse à la question sur le statut des minorités irakiennes après le passage de Daech est donc que les forces politiques locales qui se disputent le pouvoir continuent de maltraiter ces populations et qu'une grande partie des territoires ancestraux de ces gens demeure inhabitable.
    La situation des chrétiens assyriens est semblable à celle des yézidis. Les autorités du PDK utilisent un certain nombre de tactiques de manipulation et de coercition pour imposer un contrôle unilatéral sur la plaine de Ninive. Or, ce n'est pas ce que souhaitent la majorité des Assyriens qui, comme les yézidis, préféreraient mettre en place des organismes de gouvernance locale et leurs propres forces de sécurité qui évolueraient dans une Irak unifiée. Ils ne souhaitent pas que leurs terres ancestrales soient annexées à une région du Kurdistan, que les chefs ont juré de séparer un jour de l'Irak.
    Malheureusement, les responsables occidentaux entendent rarement ce que ces minorités ont à dire à cause de la stratégie habile mise en oeuvre par le PDK dans son système de favoritisme financier. En effet, le PDK recrute des personnalités yézidies ou assyriennes connues, dont des prêtres, des évêques, d'autres membres du clergé, des professeurs d'université, des chefs tribaux et des élites politiques, en les plaçant sur la liste de ses effectifs. Ainsi, dès qu'un chef tribal, ou un évêque, par exemple, accepte un salaire du PDK, il se prive automatiquement de sa capacité de défendre les droits de sa collectivité. S'il critique une politique du PDK, il perd l'avantage financier dont il profitait. De cette façon, le PDK a réussi à éliminer presque toute opposition publique.
    Ainsi, lorsque des entités gouvernementales comme votre comité demandent à des élites politiques yézidies et assyriennes connues de leur présenter des recommandations, elles s'adressent presque toujours à des personnes affiliées au PDK. Or, ces personnes formulent un message cohérent avec les ambitions du PDK, qui ne reflète pas les véritables sentiments de leurs populations respectives. Cette stratégie a eu une incidence extrêmement destructrice sur le statut de ces minorités, qui sont devenues dans les faits des troupeaux sans bergers.
    Dernièrement, le PDK et d'autres entités politiques ont exploité le système des quotas des minorités pour faire élire leurs propres candidats au parlement irakien. Il y a un système de quotas applicables aux minorités en Irak, qui garantit un certain nombre de sièges aux Assyriens. Toutefois, parce que la loi n'est pas respectée, le vote pour ces sièges n'est pas limité aux Assyriens; il est techniquement élargi aux musulmans.
    Cette année, plusieurs partis politiques non assyriens, dont le PDK, ont incité des milliers de musulmans, qui n'avaient jamais mis les pieds dans la région de Ninive et qui habitent des districts non assyriens situés de l'autre côté du pays — des endroits comme Bassorah et Kirkuk — à voter pour des personnalités assyriennes alliées figurant sur les tickets de ces partis non assyriens comme le PDK. En conséquence, même s'il existe un quota pour que les chrétiens assyriens puissent profiter d'une présence minimale au niveau politique, les Assyriens d'Irak n'ont pour ainsi dire aucune représentation au gouvernement.
    Un rapport sur le sujet sera rendu public très bientôt que je vous recommande de lire. Le favoritisme politique a fait l'objet d'un rapport publié l'an dernier. J'en suis coauteur. Il a pour titre Erasing Assyrians. Il est facile à trouver si vous cherchez dans Google. Vous pourrez y trouver beaucoup de renseignements sur le système de favoritisme. C'est l'Assyrian Policy Institute qui rendra public le nouveau rapport. On y parlera de toutes ces fraudes électorales.
    J'ai presque terminé.
    Vous pensez probablement que la situation est très triste, mais qu'il est difficile de faire quelque chose à ce sujet, tout particulièrement si vous vous concentrez sur l'immigration au Canada et non sur les affaires étrangères. Toutefois, je tiens à préciser que, si nous voulons réellement agir pour corriger la situation des minorités en Irak, un sujet qui continuera de retenir l'attention — même si le problème semble bien loin et bien mineur comparativement à tout ce à quoi nos propres populations sont confrontées, il continuera de faire surface —, il faudra agir directement au niveau politique.
    Je propose la mise sur pied d'une commission, par un ou plusieurs gouvernements qui exercent une influence en Irak; laquelle commission travaillerait directement avec les autorités de Bagdad qui, je crois, seraient très réceptives à cette initiative, pour résoudre le problème des territoires disputés et créer la gouvernance locale requise à Sinjar.
(1325)
    Si rien n'est fait, les partis kurdes s'empareront encore de Sinjar, et la situation reviendra à ce qu'elle était avant le génocide, ce qui incitera les yézidis à continuer d'immigrer et à demander refuge en Occident.
    Merci beaucoup, monsieur Barber.
    Nous entendrons maintenant Mme Susan Korah.
    Ce ne sera pas facile de parler après un tel exposé.
    Madame la présidente, madame et messieurs membres du Comité, merci de m'avoir invitée ici.
    J'aimerais me présenter en quelques mots. Je travaille actuellement comme journaliste pigiste à Ottawa. Je ne suis pas d'origine irakienne et je ne peux donc pas parler à partir d'une expérience personnelle. Toutefois, je suis de religion chrétienne orthodoxe de rite syriaque, comme beaucoup de personnes en Irak, et j'ai accès à de nombreuses sources d'information grâce au réseau constitué par ces gens.
    Au cours de la dernière année, j'ai également été bénévole auprès d'une organisation basée en Suède appelée A Demand for Action, fondée et dirigée par des chrétiens assyriens-chaldéens-syriaques immigrés à Södertälje. J'ai également des rapports avec certains yézidis pour mon travail de journaliste.
    Comme vous le savez probablement, on estimait que les chrétiens d'Irak étaient au nombre de 1,3 million avant la chute de Saddam Hussein, mais leur population est en chute libre depuis lors. Une ONG catholique, Aid for the Church in Need, a rendu public un rapport il y a un an dans lequel il a qualifié l'exode forcé des chrétiens d'Irak de « très grave ». Selon ce rapport, l'Irak comptait 275 000 chrétiens en 2015, mais ce nombre a diminué pour passer à 150 000 en 2017. D'après le magazine américain National Review, plus de la moitié des chrétiens irakiens sont des réfugiés à l'intérieur de leur pays et il se pourrait bien qu'ils disparaissent complètement en 20 ans si leur population continue de décroître à ce rythme.
    Où se trouvent ces chrétiens déplacés à l'intérieur de leur pays? Les camps parrainés par l'ONU ne sont pas une option viable pour eux. Beaucoup d'informateurs nous ont affirmé plusieurs fois qu'il est pour ainsi dire impossible pour ces gens d'aller dans un camp parrainé par l'ONU parce qu'ils se font attaquer, intimider et harceler par les autres réfugiés simplement pour ce qu'ils sont. Ils ont dit que vivre là était un véritable cauchemar. Je dirais que leur situation est semblable à celle des réfugiés LGBT.
    L'organisation que je représente, A Demand for Action, a en fait protesté contre cette situation devant le bureau du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés à Beyrouth, au Liban, mais cela n'a rien donné.
    Jusqu'à dernièrement, ces chrétiens déplacés vivaient dans des camps gérés par l'Église et dans des refuges de fortune. Un collègue journaliste de Virginie, Jordan Allott, qui est également cinéaste, a visité l'Irak en septembre dernier pour tourner un documentaire sur les chrétiens persécutés dans différentes parties du monde, dont l'Irak. Il a rapporté qu'en raison d'un financement en constante diminution, le dernier camp dirigé par l'Église à Erbil, dans la région du Kurdistan, a été démantelé et que ces chrétiens n'avaient plus nulle part où aller.
    Beaucoup d'entre eux retournent dans leurs anciennes maisons dans des villes comme Qaraqosh, qui était autrefois une ville chrétienne en plein essor. Certains le font parce qu'ils n'ont pas le choix, mais d'autres retournent chez eux parce qu'ils en ressentent très profondément le besoin et parce qu'ils veulent revendiquer la propriété de leurs terres ancestrales. Pour eux, Mossoul et les plaines de Ninive sont des lieux sacrés. C'est là qu'ils ont pratiqué leur religion.
    Ils se perçoivent comme un groupe religieux ethnoculturel très distinct, et non comme des chrétiens semblables aux autres qui peuvent être dispersés sans perdre leur identité et leur langue. Leur langue, l'araméen, est pour eux un legs très précieux du christianisme, parce que c'est la langue que Jésus parlait.
    Ils craignent de perdre leur culture et leur identité, et ils m'ont dit eux-mêmes que, s'ils sont dispersés partout dans le monde, ils perdront leur culture et tous leurs repères chrétiens.
(1330)
    Daech a déjà profané et détruit de nombreuses églises et de nombreux manuscrits historiques; il s'est également efforcé d'effacer deux millénaires de christianisme dans cette région, mais le retour de ces gens chez eux, comme ces personnes nous l'ont dit, ne se limite pas à ces problèmes. Ils ont surtout besoin qu'on leur garantisse le droit à une citoyenneté égale assurée par la règle de droit, la sécurité et, sur le plan économique, la capacité de travailler et d'élever une famille en paix.
    Les Églises en Irak, de toutes les confessions religieuses, ont tenté de coordonner la reconstruction et de ramener les chrétiens de la région de Ninive chez eux. Une grande part des travaux de reconstruction sont effectués par l'entremise du Comité de reconstruction de la plaine de Ninive, un organisme pluriconfessionnel.
    Les membres de certaines confessions estiment qu'ils doivent se doter d'un territoire sûr, semblable à la région du Kurdistan, mais l'idée provoque des querelles et des dissensions dans leurs rangs. Pour d'autres, ce serait créer un ghetto, et ils privilégient l'appartenance à l'Irak.
    Les chrétiens qui demeurent en Irak demandent aux gouvernements occidentaux, dont le Canada, non seulement d'aider à financer la reconstruction des plaines de Ninive, mais d'utiliser également leur pouvoir à Bagdad et dans la région du Kurdistan pour que la sécurité de toutes les minorités, les chrétiens, les yézidis et d'autres également, soit protégée et qu'un statut de citoyenneté égal à celui des autres leur soit accordé, y compris des droits à la propriété et la liberté de culte.
    Les chrétiens demandent également à la communauté internationale de reconnaître que les atrocités perpétrées contre eux constituent un génocide. Jusqu'à maintenant, seuls l'Union européenne, les États-Unis, le Royaume-Uni et quelques pays en Europe l'ont fait.
    J'ai quelques informations au sujet des yézidis que j'aimerais ajouter à celles que Abid et Matthew ont données. J'ai parlé avec Dalal Abdi. C'est la directrice canadienne de Yazda. Elle a établi une liste des mesures souhaitées qui, fondamentalement, complète ce que Abid a dit.
    Il semble qu'il y ait actuellement moins de 1 500 yézidis au Canada, répartis entre London, où Dalal vit, Toronto, Winnipeg et Vancouver. Elle demande au Canada d'accueillir un plus grand nombre de réfugiés yézidis, non seulement pour réunir les familles, mais parce que c'est d'une importance cruciale pour permettre à ces gens de guérir de tous les traumatismes qu'ils ont vécus, tout particulièrement les femmes. Elle a parlé des femmes qui ne peuvent tout simplement pas guérir parce qu'elles se rendent malades à s'inquiéter de leurs mères ou de leurs soeurs gardées captives par Daech et des choses horribles qui leur arrivent.
    Elle a parlé de la route bloquée entre Dohuk et Sinjar. Elle a parlé des inondations récentes, qui ont véritablement ajouté à la misère des gens qui vivent dans des tentes, etc. Elle a demandé si le Canada peut faire quelque chose pour qu'une équipe d'enquêteurs soit mise sur pied plus rapidement afin de traîner en justice les auteurs de ces atrocités. Je crois qu'un Canadien, William Wiley, a commencé à prendre certaines mesures à cet égard.
    Le dernier point sur la liste de demandes était d'appuyer la reconstruction de l'infrastructure à Sinjar.
    Voilà tout ce que j'ai à dire. Merci.
(1335)
    Merci beaucoup, madame Korah.
    Nous allons avoir une série de questions de six minutes pour avoir assez de temps. Sept minutes? D'accord, mais essayez d'être le plus brefs possible.
    Nous commençons par M. Anderson.
    Merci, madame la présidente.
    Je veux remercier nos témoins d'être avec nous aujourd'hui.
    Je ne crois pas que nous pourrons examiner la question à fond en sept minutes, mais nous essaierons.
    Monsieur Shamdeen, j'ai une question à vous poser au sujet des femmes qui ont été enlevées et violées. Nous avons entendu dire qu'elles ont des enfants, qu'elles sont placées dans des familles et que de nouvelles familles sont créées avec leurs enfants. Combien de ces femmes sont-elles encore détenues? Combien ont été envoyées dans d'autres pays? Quelles mesures sont prises actuellement pour les ramener chez elles?
    Comme je l'ai dit au début, des milliers ont été emmenées en captivité. La plupart de celles qui ont été secourues ont été achetées par leurs propres familles, des parents ou des amis. Actuellement, comme Daech est poussé hors de la Syrie, beaucoup de djihadistes qui veulent s'échapper de Syrie et qui ont besoin d'argent pour cela offrent de vendre certaines femmes yézidies à leurs familles. Ils demandent habituellement 25 000 $ ou 30 000 $, une somme que les familles n'ont pas.
    Le problème tient à ce que les gouvernements irakien et kurde n'ont jamais formé une force opérationnelle. J'estime que les deux gouvernements sont responsables du génocide des yézidis; aucun des deux n'a protégé les yézidis. Ils n'ont pas mis sur pied une force opérationnelle pour surveiller les événements et tenter de secourir ces femmes et ces enfants. Fait plus important, la coalition formée pour combattre Daech, dont le Canada fait partie, je crois, n'a pas exercé de suivi particulier sur la question des yézidis gardés en captivité, tout particulièrement en Syrie.
    Les communautés chrétiennes ont-elles souffert également de cela?
    Je ne suis pas sûr du nombre de chrétiens, mais je crois que c'est 200 ou 300 personnes. J'ai surveillé la situation en 2015 et en 2016 par l'entremise du Secrétariat d'État et nous avons pu leur obtenir une certaine aide. Daech a refusé de négocier pour les femmes et les enfants yézidis, parce qu'ils considéraient que ces infidèles méritaient d'être esclaves, mais ils ont négocié pour les chrétiens, et nous avons pu les faire libérer.
    D'accord. Merci.
    J'étais ici avant les élections de 2015 et j'étais membre du Comité des affaires étrangères. Nous avons parlé de certaines de ces questions à ce moment-là. Nous avons notamment parlé d'essayer de remettre en place les structures de gouvernement local requises. Selon ce que vous dites, cela n'a pas été une réussite.
    Les discussions ont porté notamment sur les mesures à prendre pour la mise en place d'un système de justice. Vous avez parlé de reddition de comptes et de la nécessité de tenir les auteurs de crimes responsables de leurs actes. Deux ou trois modèles existent pour cela. L'un consiste à faire les choses depuis l'extérieur. L'autre, qui est préféré, je crois, selon les discussions que nous avons eues avec les témoins, est de permettre aux gens d'établir des mécanismes locaux de contrôle et de justice.
    A-t-on pu commencer à travailler en ce sens, ou cela a-t-il été impossible à cause d'autres facteurs — les quotas, les manoeuvres politiques d'obstruction, le contrôle militaire?
    Ce n'est pas tant que ces facteurs y font obstacle; c'est que le gouvernement les néglige totalement. Le gouvernement régional du Kurdistan est dominé par le Parti démocratique du Kurdistan. Or, ces gens ambitionnent d'annexer Sinjar et ils essaient de l'occuper. Bagdad fait problème, du fait qu'elle néglige totalement cette ville. Les problèmes du gouvernorat de Ninive et de Sinjar paraissent bien loin pour les autorités bagdadiennes, aux prises avec leurs propres problèmes. En principe, on déclare que le territoire disputé devrait être administré par Bagdad, mais on ne lève pas le petit doigt pour cela.
(1340)
    Puis-je vous poser une question alors? Vous avez dit que les autorités de Bagdad accueilleraient favorablement une commission chargée de travailler avec elles. Est-ce parce que ces gens y verraient une bonne occasion pour étendre leur contrôle à cette région...
    Exactement.
    ... et se montrer utiles de quelque façon, ou est-ce parce qu'ils veulent simplement le territoire? Sont-ils réellement intéressés à mettre en place une bonne gouvernance dans cette région, ou laisseront-ils essentiellement les choses comme elles l'étaient auparavant mais en prenant le contrôle du territoire?
    La commission, je crois, éliminerait un travail pénible pour eux, en s'occupant de trouver comment mettre en place une infrastructure et des entités administratives qui n'ont encore jamais vraiment existé. Il ne s'agit donc pas tant de rétablir une administration, mais de la créer de toutes pièces.
    Les gens du Parti démocratique du Kurdistan ont fini par partir. Ils ont évacué tous les peshmergas à l'automne 2017. La place est donc libre depuis plus d'un an, et l'occasion est parfaite pour mettre une administration en place. Les activistes yézidis la réclament. Ils ont rencontré et rencontrent encore des responsables à Bagdad, au cabinet du premier ministre, pour leur demander de nommer un kaimakam, le chef de district de Sinjar, qui aurait le pouvoir de commencer à faire venir des ONG pour la reconstruction. Actuellement, un ONG qui voudrait travailler à la reconstruction à Sinjar n'aurait aucun interlocuteur à qui s'adresser pour obtenir l'autorisation d'entreprendre les travaux.
    Pourquoi la communauté internationale se montre-t-elle aussi désintéressée?
    C'est une excellente question; je la pose depuis plusieurs années déjà. Je ne comprends pas. La situation est déchirante, réellement. Mais, voici ce que je dirais...
    Permettez-moi de reformuler ma question. Que devrions-nous faire pour amener la communauté internationale à s'intéresser de nouveau à cette région et à faire montre d'une certaine responsabilité pour l'aider à se développer de nouveau?
    La communauté internationale veut donner de l'argent aux entités existantes, comme les organismes de l'ONU, qui ont une capacité limitée de réaliser les mesures que je recommande. On ne veut pas s'immiscer dans les politiques intérieures de l'Irak, parce qu'on considère qu'on se mêlerait alors de la création d'un État et qu'on se rendrait coupable de colonialisme.
    Voilà qui est bien ironique, parce que les gouvernements occidentaux n'ont eu aucun scrupule à signer une coalition avec les États-Unis pour envahir et occuper le pays et en changer le régime politique. C'est ce qui a créé l'instabilité qui a amené Daech à s'activer en Irak. Maintenant qu'il faut reconstruire le pays, ils parlent de colonialisme.
    Je suggère que les représentants d'une coalition de pays se rendent à Bagdad, proposent une relation de travail — sans s'imposer — et disent à ces gens: « Regardez, ce génocide vous cause un problème. Le monde entier regarde l'Irak. Votre pays a maintenant une lauréate du prix Nobel de la paix issue de la population yézidie. Vous devez faire quelque chose à ce sujet, alors, laissez-nous vous aider. » Ils vous accueilleraient avec beaucoup d'enthousiasme et vous diraient qu'ils ne peuvent pas vraiment s'occuper de Sinjar, qu'ils n'en ont pas la capacité et que la corruption là-bas est un grave problème. La commission pourrait alors se rendre à Sinjar, travailler avec les Yézidis de l'endroit et organiser de vraies élections, des élections équitables — il n'y en a jamais eu — pour créer un système de leadership. Il serait ensuite possible de commencer à y envoyer des groupes pour la reconstruction de la ville.
    Mike Pence a déclaré que beaucoup d'argent serait donné pour les minorités en Irak. Or, ce qui fait problème, à mon sens, c'est qu'il n'y a aucun système en place pour utiliser cet argent de façon responsable. La plupart des Yézidis ne peuvent toujours pas retourner à Sinjar, et tous les problèmes dont nous parlons demeurent entiers. Peu importe ce qu'on ferait, on « mettrait la charrue avant les boeufs ». Il faut que des mécanismes d'administration de la sécurité soient mis en place là-bas et qu'ils relèvent des gens de la place.
    Il ne s'agit pas de créer une nouvelle région du Kurdistan pour les Assyriens de Ninive ou pour les Yézidis. Tout ce qu'il faut faire, c'est créer un gouvernorat à Sinjar. La ville aura un gouverneur, tout comme Mossoul et Kirkuk. Chaque directorat a son gouverneur. Il faut créer une telle entité et il faut que ce soit les gens de la place qui occupent les fonctions administratives et non pas un parti politique doté d'une armée.
    Merci beaucoup.
    Je vous prie de m'excuser d'avoir pris beaucoup de temps pour vous répondre.
    Nous avons dépassé le temps qui vous est imparti, monsieur Anderson, et nous devons discuter de certaines affaires du Comité à la fin de notre séance, nous passons donc à M. Tabbara.
    Merci beaucoup à chacun de vous pour vos témoignages.
    Monsieur Barber, vous présentez les choses d'une façon bien logique. Je vais vous laisser finir. Vous avez dit que les gouvernements et les gens doivent être tenus responsables. Lors d'une conférence tenue au Koweït il n'y a pas très longtemps, on s'est engagé à fournir 30 milliards de dollars pour la reconstruction de l'Irak, mais ce pays a des problèmes de corruption. Vous étiez en train d'en parler, je crois.
    Si nous nous engageons à verser autant de milliards de dollars, comment pouvons-nous nous assurer qu'ils n'iront pas simplement au gouvernement central, mais qu'ils seront dépensés aux bons endroits et répartis partout dans le pays pour que tous puissent reconstruire leurs maisons et retourner vivre chez eux en toute sécurité? Comment pouvons-nous nous assurer que la reconstruction ne sera pas entravée par la corruption?
    L'Irak est un grand pays, et je ne peux pas offrir de solutions pour tout. La corruption là-bas est un problème énorme.
    Ce que je peux dire concernant les régions où vivent des populations minoritaires, comme Sinjar et la plaine de Ninive, c'est que si les commissions dont nous avons parlé, composées de plusieurs représentants de quelques gouvernements occidentaux, étaient présentes sur le terrain et surveillaient la reconstruction et l'aide humanitaire tout en travaillant avec les autorités politiques, il y aurait moyen d'oeuvrer sur deux fronts en même temps: le travail humanitaire et la reconstruction d'une part, et l'administration ainsi que la mise en place d'institutions d'autre part.
    Ces commissions surveilleraient l'utilisation des fonds sur les lieux mêmes. Ce serait, je crois, une excellente façon de procéder. Les membres de ces commissions pourraient travailler de concert avec le gouvernement irakien, traiter ces gens avec respect et leur faire sentir qu'ils participent aux décisions tout en contrôlant les choses en douceur.
(1345)
    Je vais partager mon temps avec le député Saini.
    Monsieur Barber, vous avez soulevé un point très intéressant. Je veux y revenir, parce que j'abonde dans le même sens que vous.
    Dans la lutte géopolitique en cours en Irak, il y a deux types de structures de gouvernance: il y a la structure locale et la structure internationale. Ce n'est qu'une proposition, mais devrions-nous en quelque sorte amener les acteurs géopolitiques qui ont une influence en Irak mais qui ne sont pas irakiens à conclure une sorte d'entente qui permettrait d'exercer une pression sur les gens de la place? Il semble y avoir tout un méli-mélo là-bas, où les ordres proviennent d'un peu partout. Alors, si nous pouvions dire aux véritables autorités que c'est l'entente qui a été conclue et qu'il faut maintenant la mettre en oeuvre...
    Oxfam et certains autres organismes humanitaires donnent l'argent directement aux gens et non à une organisation ou à un intermédiaire. Ils fournissent les fonds pour des achats précis, que ce soit au moyen d'une carte de débit ou d'un transfert direct d'argent. De cette façon, ils éliminent les intermédiaires et fournissent l'aide directement aux gens sans passer par une autre organisation où les fonds pourraient se perdre ou être détournés par des manoeuvres de corruption.
    Pour répondre rapidement à votre question, je vous dirai que pendant l'année où j'ai dirigé Yazda en Irak, certains de mes employés ont créé un programme spécialement pour les femmes yézidies qui ont été réduites en esclavage et qui s'en sont sorties. La collectivité dans son ensemble n'était pas concernée, mais le programme a été réalisé avec le gouvernement de Bagdad par l'entremise de sa direction de la protection des femmes et de son ministère des affaires sociales. Les femmes reçoivent une carte spéciale qui leur donne accès à une allocation mensuelle pour le reste de leur vie, et ce, même si elles ont quitté leur pays pendant un certain temps et qu'elles y sont revenues. Toutes les femmes qui ont connu l'esclavage y ont droit.
    Les programmes de ce genre pourraient être élargis. Le fait est que l'aide financière ne suffit pas. Nous pouvons reconstruire leur économie. Nous l'avons fait en apportant des poules et des moutons, etc. aux familles de Sinjar qui étaient retournées chez elles. Ces gens commenceront à survivre et à reconstruire leurs maisons. Nous devrions nous concentrer sur la reconstruction, et non sur des paiements en argent indéfinis. Nous pouvons les aider à construire leurs vies.
    Pour ce qui est de la géopolitique, voici le problème: le pays est fracturé et compte de nombreux joueurs. La Turquie dispose actuellement de 20 bases militaires dans la région du Kurdistan, dans le nord de l'Irak. Le PDK est un mandataire de la Turquie. L'autre volet du PRK, l'Union patriotique du Kurdistan à Sulaymaniyah, est un allié de l'Iran. Ce pays exerce également une influence à Bagdad. Beaucoup des petites milices qui s'activent dans les territoires disputés appartiennent à l'un ou l'autre de ces camps. Les allégeances deviennent très complexes. J'ai dressé des diagrammes et des cartes à ce sujet dans le passé.
    Les États-Unis n'ont pas de très bonnes relations avec la Turquie actuellement. Ils n'en ont aucune avec l'Iran et notre président s'est employé à les empirer. Il semble impossible de faire appel à ce pays actuellement. Je ne crois pas qu'on puisse faire de l'Irak un pays stable en demandant à d'autres partenaires régionaux de changer leur vision des choses. Ces partenaires régionaux sont en compétition les uns contre les autres.
    À mon avis, nous devrions tirer profit des relations que le Canada, les États-Unis et des gouvernements européens ont avec Bagdad et la région du Kurdistan pour faire avancer notre propre stratégie, qui est de sauver ces minorités.
    Il ne s'agit pas de réaliser une grande stratégie géopolitique qui favoriserait les intérêts de nos pays et qui ressemblerait à du néo-impérialisme ou à du colonialisme. Ce qu'il faut faire, c'est aider cette mosaïque de peuples à survivre en Irak; c'est permettre aux Yézidis de rester dans leurs terres ancestrales au lieu de continuer à migrer en Allemagne, au Canada et ailleurs en travaillant directement avec ces partenaires. Voilà notre priorité.
    Merci.
    Nous passons à Mme Hardcastle pour sept minutes.
    Merci beaucoup à vous trois pour vos commentaires. La discussion est vraiment intrigante, et je me débats encore avec l'idée qu'il nous faut appuyer les gouvernements locaux et non travailler de concert avec la communauté internationale. Je ne peux en parler plus en détail par manque de temps.
    Nous devons, je crois, utiliser davantage nos structures internationales pour amener tout particulièrement des gens à comparaître devant un tribunal pénal. Selon moi, le plus gros problème, dont on ne parle pas suffisamment, concernant la lutte pour le pouvoir et les relations géopolitiques tient à cette conception horrible et brutale du pouvoir.
    Les interventions ne sont pas axées sur la communauté, et un énorme problème d'égalité homme-femme sévit dans ces milieux. Pourquoi appuyons-nous ou devrions-nous appuyer un processus qui, de façon plus claire et plus décisive, amène des gens devant un tribunal pénal pour des actes de violence sexuelle et le viol de femmes? Est-ce trop prématuré? Ce processus devrait-il être exécuté en même temps que tous les autres? À mon sens, c'est la seule façon de progresser sur tous les fronts.
    Vous réfléchissez peut-être à cela depuis beaucoup plus longtemps et vous pouvez peut-être nous faire part un peu de vos constatations.
    Abid, n'hésitez pas à vous prononcer sur le sujet également.
    Vous pouvez utiliser le reste de mon temps; c'est donc la présidente qui vous interrompra.
(1350)
    Merci beaucoup.
    Voilà des questions importantes, et, si j'avais eu plus de huit minutes, j'aurais adoré en parler également.
    Ce sont des choses dont les Yézidis parlent beaucoup. Amal Clooney travaille au volet juridique de ces questions. Les autorités irakiennes exécutent de façon expéditive beaucoup de personnes qu'elles accusent de complicité avec Daech après la tenue de procès sommaires condamnés par Amnistie Internationale et Human Rights Watch. Lorsqu'elles font des exécutions, elles ne mentionnent jamais les crimes perpétrés contre des Yézidis. C'est arrivé peut-être une fois, je crois. Cette situation contrarie beaucoup les Yézidis.
    Soudainement, ils ont des terroristes et ils les tuent, mais, malgré cela, on ne nous rend pas justice parce que ces gens ne sont pas jugés pour le génocide ou l'esclavage sexuel dont ils se sont rendus coupables; toutefois, tout cela n'a rien à voir avec la survie future des Yézidis.
    La question revêt une importance psychologique très grande. Elle aidera à améliorer le moral de la collectivité. Pour moi, elle passe après les problèmes politiques et le vide administratif dont j'ai parlé, parce que c'est ce qui entrave la reconstruction et le retour des gens chez eux.
    J'estime que c'est ce qui importe le plus; le reste vient après.
    Je pense également à la communauté internationale. Nous sommes la communauté internationale.
    Oui.
    Il ne devrait pas y avoir de problèmes, selon moi, à obtenir la participation de l'ONU à la création du genre de commission dont j'ai parlé. Toutefois, ce qui est certain, c'est que l'ONU ne mènera pas toute seule un projet destiné à provoquer ce genre de changement politique. Comme nous accordons une aide financière à l'Irak et aux Kurdes, comme nous leur fournissons les armes dont ils ont besoin pour leurs armées, nous avons une influence qui peut nous permettre de réaliser ce genre de changement que l'ONU n'a pas.
    Merci.
    Abid.
    Oui, naturellement, nous voulons faire participer la communauté internationale; nous nous y employons, tout comme Nadia Murad, qui travaille avec Amal Clooney depuis presque trois ans afin d'amener le Conseil de sécurité de l'ONU à adopter la résolution pour la tenue d'enquêtes sur les crimes de Daech. Le problème, c'est que le processus est extrêmement lent; les choses ne bougent pas.
    Comme je l'ai mentionné, la résolution a été adoptée en septembre de l'an dernier, et nous avons exercé des pressions depuis ce temps pour que l'équipe se rende là-bas et commence à recueillir des éléments de preuve dans les charniers. Toutefois, cette équipe n'est pas prête. Elle n'est pas déployée. Elle n'est pas sur les lieux. Or, les autorités de l'Irak ont décidé d'ouvrir elles-mêmes les charniers sans la surveillance d'observateurs internationaux. Nous avons donc communiqué avec le gouvernement irakien par l'entremise du gouvernement américain et nous avons fait arrêter les travaux jusqu'à nouvel avis. On espère que l'équipe de l'ONU pourra au moins aller observer les travaux là-bas.
    Voilà donc en partie ce que nous faisons. Pour ce qui est du gouvernement local et de la reconstruction, nous voulons simplement que la communauté participe à la résolution des problèmes pour que les gens soient en mesure de reconstruire leurs territoires ancestraux et de contribuer au processus. Or, actuellement, au lieu, par exemple, de traîner devant un tribunal ceux qui contrôlaient Sinjar avant 2014 et au cours de cette année-là, ou de simplement leur poser des questions sur les raisons pour lesquelles ils sont partis et n'ont pas averti les Yézidis que Daech allait attaquer, on laisse ces mêmes gens retourner à Sinjar et diriger de nouveau la ville sans leur demander aucun compte.
    Voilà le problème. Nous, les Yézidis, voulons que les criminels de Daech soient poursuivis devant un tribunal, et un tribunal international, naturellement. C'est ce que nous avons toujours privilégié depuis ce temps. En fait, je souhaite, nous voulons, la création d'un tribunal semblable à celui de Nuremberg ou à la Commission de vérité et réconciliation mise sur pied en Afrique du Sud, ou quelque chose du genre, où les membres de Daech pourraient avouer tout particulièrement les actes de violence sexuelle infligés aux femmes et aux enfants yézidis. Nous voulons la création d'un tel tribunal.
    Comme Matthew l'a dit, les membres de Daech qui ont été amenés dans les tribunaux en Irak n'ont été accusés que de terrorisme. Ils n'ont pas parlé — dans aucun procès que j'ai vu — de leur participation à l'esclavage des femmes yézidies, pour laquelle nous voulons qu'ils soient accusés. Voilà pourquoi nous voulons que la communauté internationale participe au processus.
(1355)
    Je désire remercier tous nos témoins pour leur présence parmi nous et leurs témoignages très éclairants.
    Nous allons suspendre notre séance pour une minute seulement, et demander à nos témoins de quitter la salle afin que nous puissions traiter à huis clos des affaires du Comité.
    [La séance se poursuit à huis clos].
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