Passer au contenu
;

SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain
Passer à la navigation dans le document Passer au contenu du document






Emblème de la Chambre des communes

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 006 
l
1re SESSION 
l
42e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 5 mai 2016

[Enregistrement électronique]

(1305)

[Traduction]

    Bonjour à tous. Je déclare cette séance ouverte.
    Permettez-moi de commencer par remercier Mme Chris Lewa d'être avec nous ce soir par la magie des ondes. Elle est cofondatrice et coordonnatrice du Projet Arakan. Elle s'adonne, depuis 1999, à des activités de promotion et de défense des droits étayées par des recherches qui portent essentiellement sur la situation dans le nord de l'État de Rakhine, sur celle des réfugiées rohingyas et sur les déplacements des migrants au Bangladesh, en Thaïlande et en Malaisie.
     Elle a été consultante pour des organismes internationaux de défense de droits de la personne, pour des organismes des Nations unies et pour des gouvernements de donateurs préoccupés par la question des réfugiées rohingyas. Elle a également témoigné à titre d'experte devant la Asylum and Immigration Chamber du Royaume-Uni dans le cadre de ses auditions sur le comportement à adopter au Myanmar.
    Mme Lewa est une intervenante qui ne ménage pas ses efforts pour défendre la cause des Rohingyas puisqu'elle est passée sur les ondes de la radio de CBC, de la National Public Radio, de l'Australian Broadcasting Corporation, de Deutsche Welle et d'autres radiodiffuseurs.
    Mme Lewa, je tiens à vous remercier de nous consacrer de votre temps aujourd'hui de Bangkok.
     Je tiens à vous remercier, monsieur le président, ainsi que madame et messieurs les membres du Comité, de m'avoir invitée à vous parler du non-respect des droits de la personne des Rohingyas au Myanmar.
    Comme vous avez eu la bonté de me présenter à vos collègues et de décrire rapidement le travail réalisé dans le cadre du Projet Arakan, je vais commencer par vous donner un bref aperçu de la situation politique actuelle au Myanmar, et des défis qu'elle présente, en particulier dans le cas des Rohingyas qui se trouvent dans l'État de Rakhine.
    Comme la Ligue nationale pour la démocratie, ou LND, n'est au pouvoir que depuis un mois, il est encore trop tôt pour spéculer sur l'approche qu'elle adoptera face au conflit qui se déroule dans l'État de Rakhine, surtout que les dirigeants de ce parti ont déjà déclaré qu'il ne s'agit pas pour eux d'une priorité. On ne détecte encore aucune tendance chez les leaders de la LND qui laisserait entendre que celle-ci va combattre les moines bouddhistes radicaux du pays, ni qu'elle va contester les quatre lois religieuses controversées promulguées sous le gouvernement du président Thein Sein. Toutefois, les premiers signes ne sont pas très encourageants.
    La LNB a même nommé un ministre des Affaires religieuses qui a laissé entendre que le statut des musulmans devrait être au plus celui de « citoyens associés », alors même que les manifestants défendant la pluralité des religions étaient condamnés à des peines de prison plus lourdes. Cette semaine, les nationalistes ont manifesté à l'extérieur de l'ambassade des États-Unis pour protester contre l'emploi du terme « Rohingyas » dans une déclaration américaine et ont menacé d'organiser une manifestation encore plus importante si le gouvernement ne réagit pas. Le ministre des Affaires étrangères du gouvernement de Daw Aung San Suu Kyi aurait même demandé à l'ambassade américaine de veiller à ne plus utiliser ce terme, courbant donc l'échine devant les demandes des nationalistes.
     Dans l'État de Rakhine, la LND dirige un gouvernement minoritaire et le choix d'un ministre en chef appartenant à la LND a fait l'objet de vives contestations de la part du Parti nationaliste arakan, ou Parti du Rakhine, qui a remporté la majorité des sièges lors de l'élection dans cet État. Cela a provoqué des divisions internes au sein de ce parti alors que les tenants de la faction dure ont déclaré qu'ils s'opposeraient à la LND. S'ajoute à cela qu'un conflit armé entre les forces armées du Myanmar et celles de l'Arakan prend actuellement de l'ampleur, contraignant les villageois de l'État de Rakhine à se déplacer. Coincée entre les militaires et les nationalistes de cet état, la LND se trouve donc dans une situation particulièrement délicate.
    Je vais maintenant vous entretenir de la situation des droits de la personne, mais j'aimerais auparavant faire état de trois points connexes.
     Tout d'abord, le conflit dans l'État de Rakhine sévit depuis fort longtemps. Il a des dimensions multiples et implique trois parties, les bouddhistes du Rakhine, les musulmans rohingyas et le gouvernement du Myanmar, qui se méfient tous les uns des autres, avec les tensions que cela implique. Les bouddhistes du Rakhine perçoivent les Rohingyas comme une menace à leur existence et l'hostilité entre les deux n'a cessé d'augmenter depuis l'indépendance du Myanmar, alors que les gouvernements qui se sont succédé sur plusieurs décennies ont progressivement imposé des politiques de persécution et d'exclusion contre les Rohingyas.
    Il faut aussi savoir que le conflit actuel qui perdure touche à la fois aux ethnies et aux religions. Tant d'un point de vue constitutionnel que purement juridique, la discrimination est fonction de l'identité ethnique, mais sur le terrain, c'est la religion qui sert à mobiliser les forces. Je vous en donne un exemple avec le cas des Kamans, un petit groupe musulman de l'État de Rakhine, dont la citoyenneté est reconnue, mais qui ont également été attaqués en 2012, et qui ont dû fuir dans les mêmes camps pour personnes déplacées que les Rohingyas.
    Je dois enfin vous préciser que la situation des droits de la personne à laquelle sont confrontés les Rohingyas varie selon les régions de l'État de Rakhine. Par exemple, dans le nord de cet État où les Rohingyas représentent 90 % de la population, il n'y a eu que peu d'agitation au niveau local, ni déplacements importants de population depuis 2012. Dans la plupart des cas, les abus ont été le fait des forces de sécurité. Par contre, dans le reste de l'État de Rakhine, les violences ont été largement répandues et les autorités ont obligé des populations à se déplacer, en faisant des victimes de la ségrégation.
    Je passe maintenant aux diverses dimensions de l'analyse de la situation actuelle des droits de la personne.
     Commençons par la citoyenneté. La législation de 1982 sur la citoyenneté fait des Rohingyas des apatrides, puisqu'ils ne figurent pas dans la liste des 135 groupes ethniques reconnus par le gouvernement. Celui-ci, comme la plupart des habitants du Myanmar, les désigne sous le terme de « Bengalais » et prétend que ce sont des étrangers qui viennent du Bangladesh. Au cours des années 1990, ils ont reçu des cartes d'identité temporaires, qui ont été annulées en 2015 par le président Thein Sein. Les attestations qu'ils ont maintenant ne leur confèrent aucun droit et n'ont aucun fondement juridique. Ils n'ont, pour tout document, qu'une liste des membres de leur famille.
     Depuis 2014, le gouvernement s'est lancé dans une vaste opération de vérification de la citoyenneté dans le cadre de laquelle les Rohingyas sont contraints de s'identifier comme des Bangalais. Un millier d'entre eux ont été naturalisés dans la ville de Myebon, sans pour autant obtenir le droit de circuler librement. Ailleurs, la plupart ont tout simplement refusé de participer à cet exercice, mais le petit nombre de ceux qui l'ont fait n'ont encore reçu aucune réponse. Toute l'opération semble maintenant être au point mort.
(1310)
    En janvier dernier, les responsables de l'immigration ont annoncé l'entrée en vigueur d'une nouvelle réglementation exigeante pour l'inscription des enfants des Rohingyas sur la liste des membres de la famille de leurs parents. La plupart des familles pauvres n'ont pas les moyens de respecter ces exigences et d'acquitter les frais qu'elles imposent. On peut s'attendre à ce que leurs enfants ne soient inscrits nulle part. Il faut aussi savoir que, dans les camps accueillant les Rohingyas déplacés ailleurs dans l'État de Rakhine, aucun mécanisme d'enregistrement des naissances n'a été mis en place. Les Rohingyas n'ont donc maintenant aucune existence officielle et ont perdu leur nationalité. En 2014, ils ont été exclus du recensement de la population et, l'an dernier, ils se sont vus refuser le droit de participer à l'élection nationale.
    La seconde dimension est celle du travail forcé et de l'extorsion. Si la prévalence du travail forcé a beaucoup diminué au cours des dernières années, l'armée y a encore recours pour l'entretien de ses camps, pour recruter des sentinelles et des porteurs. Quant à l'extorsion, partout au pays, c'est un problème grave et très largement répandu.
    La dimension suivante est celle de la liberté de religion. Dans le nord de l'État de Rakhine, l'ordonnance de 2012 sur le couvre-feu est toujours en vigueur et s'applique uniquement aux musulmans à qui elle interdit de se rassembler dans les mosquées, alors que rien n'empêche les bouddhistes de fréquenter les monastères. Les mosquées, les madrasas et les maktabs sont donc fermés depuis quatre ans et les musulmans se sont vus interdire de prier en groupe et de participer à des cérémonies religieuses. Les forces de sécurité ont aussi détruit récemment de mosquées et un cimetière rohingya.
    Nous en venons maintenant à la liberté de circuler et au choix de la résidence. Les fortes restrictions à la liberté de circuler visent à empêcher les Rohingyas d'accéder à des moyens de subsistance. Dans le nord de l'État de Rakhine, ils doivent se procurer une autorisation de déplacement, même pour passer d'un village à l'autre, et ne sont pas, bien sûr, autorisés à franchir les limites des deux cantons où ils se trouvent. Le couvre-feu contribue également à restreindre leurs possibilités de déplacement, sans parler des demandes constantes de pots-de-vin. Actuellement, quelque 110 000 Rohingyas et Kamans sont rigoureusement confinés dans des camps pour personnes déplacées coupés des autres régions de l'État de Rakhine. Les personnes qui vivent encore dans leurs villages sont soumises aux mêmes restrictions, tout comme les quelque 25 000 Rohingyas qui ont été déplacés à l'intérieur du pays, officiellement pour des raisons de sécurité.
    La cinquième dimension de ce problème de respect des droits de la personne concerne l'accès aux services. Dans le nord de l'État de Rakhine, les conditions d'accès aux soins de santé et à l'éducation sont catastrophiques. Les hôpitaux locaux sont négligés, mal équipés, et le personnel médical bouddhiste pratique régulièrement la discrimination contre les patients rohingyas. La nécessité d'obtenir des autorisations de déplacement et les demandes de pots-de-vin aux points de contrôle compliquent encore l'accès aux installations de santé. Environ 10 000 Rohingyas vivant dans les camps de Sittwe n'ont accès qu'à une seule clinique médicale desservie par seulement deux médecins. Les autres camps s'en remettent à des équipes médicales mobiles organisées par des ONG internationales. Dans les cas d'hospitalisation d'urgence, l'hôpital de Sittwe dispose d'une section spéciale réservée aux Rohingyas, mais ceux-ci doivent y être transférés sous escorte militaire. Ces complications sont à l'origine de nombreux décès qui auraient pu être évités, y compris dans le cas de femmes ayant des grossesses difficiles.
    En ce qui concerne l'éducation, des centres d'apprentissage ont été mis en place dans les camps pour déplacés, mais ils manquent d'enseignants qualifiés et on évalue à 60 000 le nombre d'enfants rohingyas qui sont privés de formation scolaire. Dans le nord de l'État de Rakhine, de nombreux enseignants bouddhistes n'ont pas repris leur poste après les violences de 2012. La pénurie d'enseignants et de matériel didactique, les classes surpeuplées, la discrimination et la pauvreté font que de nombreux enfants rohingyas ne fréquentent plus l'école. S'ajoute à cela, comme je l'ai déjà indiqué, que les établissements musulmans d'enseignement religieux ont été fermés.
    Quant à l'enseignement supérieur, c'est quelque chose de totalement inaccessible pour tous les Rohingyas qui se trouvent dans l'État de Rakhine, où qu'ils s'y trouvent. Les Rohingyas déplacés ont aussi de la difficulté à accéder à l'eau, à des installations sanitaires, à des logements convenables et, bien sûr, à des moyens de subsistance. Les rations alimentaires ont été réduites récemment, sous prétexte d'un plafonnement des fonds qui y sont consacrés. La situation humanitaire dans les camps des Rohingyas est tout simplement inacceptable.
    Permettez-moi maintenant d'aborder rapidement la question des droits des femmes et des enfants. J'ai déjà évoqué quelques-uns des problèmes auxquels ils sont confrontés. La violence contre les femmes est omniprésente. Ses auteurs sont aussi bien des représentants du Myanmar, de l'État de Rakhine, sans oublier la communauté rohingya elle-même. La fréquence des viols, en particulier des forces de sécurité, a augmenté après les violences de 2012. Le désespoir a également poussé quantité de femmes et d'enfants rohingyas à s'enfuir, malgré les risques élevés pour eux de se trouver pris dans des réseaux de traite de personnes.
(1315)
    Je réalise fort bien que mon temps de parole est épuisé et c'est très rapidement que je vais vous parler des migrations de masse et des réactions à celles-ci dans la région.
    La crise maritime que la région a connue à la fin de 2015 remonte maintenant à un an et, actuellement, il y a encore plus de 340 Rohingyas en Malaisie, et 300 de plus sont détenus pour une longue période en Thaïlande pour des problèmes d'immigration, et ils ont peu d'espoir d'être libérés. Il n'y a qu'à Aceh, en Indonésie, que certains ont été accueillis dans des camps et traités plus ou moins correctement. Toutefois, nombres d'entre eux ont déjà fui ces camps indonésiens pour rejoindre des membres de leur famille ou des amis, ou qui que ce soit d'autre, en Malaisie.
    Les fuites par la mer ont pratiquement cessé depuis mai 2015, lorsque la Thaïlande et les autres pays de la région ont démantelé les réseaux de trafiquants, mais cela a eu pour conséquence que les Rohingyas sont maintenant pris au piège dans l'État de Rakhine.
    J'aurais beaucoup aimé pouvoir m'étendre sur mes recommandations, mais je vous les ai communiquées par écrit. En ce qui concerne celle que je me permets de formuler à l'intention du gouvernement du Canada, permettez-moi simplement de vous dire que les représentants du Projet Arkaan endossent pleinement les recommandations faites au nouveau gouvernement du Myanmar par Mme Yanghee Lee, le Rapporteur spécial sur les droits de l’homme au Myanmar des Nations unies.
    Je me tiens maintenant à votre disposition pour répondre à toutes les questions que vous pourriez avoir.
(1320)
    Merci beaucoup, madame Lewa. Je suis convaincu qu'un des membres du Comité va vous interroger sur vos recommandations, ce qui vous permettra de nous les présenter.
    Cela dit, nous allons entamer la première série de questions, et je vais commencer par donner la parole à M. Sweet, qui va disposer de sept minutes.
     Madame Lewa, je vous remercie beaucoup de toutes ces informations. J'avais un peu de mal à vous entendre et j'espère que vous voudrez bien m'excuser si je vous demande de confirmer un certain nombre de points. Cela tient sûrement à la qualité de la connexion et à la distance qui nous sépare.
    Si je vous ai bien entendue, vous nous avez expliqué que la citoyenneté de 135 groupes ethniques est reconnue, mais pas celle des Rohingyas. Ai-je bien compris?
    Oui, c'est exact.
    Seriez-vous assez aimable pour nous donner une idée de la fréquence de vos séjours sur le terrain et de l'époque à laquelle vous y êtes allée pour la dernière fois et avez pu observer les conditions qui prévalent dans ces camps?
    Je n'y suis pas allée cette année, mais je me suis rendue de nombreuses fois à Rangoon pour garder le contact avec les organismes internationaux d'aide humanitaire, avec les militants rohingyas qui y sont installés, avec les politiciens et, bien sûr, avec le milieu diplomatique. Si je ne me suis pas rendue dans cette région, alors que j'étais au Myanmar en mars, c'est en partie parce que les étrangers voulant visiter les camps sont maintenant soumis à des restrictions. Ils doivent obtenir des autorisations. Comme je n'entretiens pas de liens opérationnels avec un quelconque organisme présent sur le territoire birman, je ne peux pas demander à visiter les camps avec un visa de touriste. J'y suis allée au moins une fois chaque année depuis 2012. Je reste bien évidemment en relation directe avec plusieurs personnes vivant dans les camps comme, par exemple, mon guide qui est devenu un ami. Lorsque je lui téléphone, il me fait le point de la situation dans la région. Une grande partie de ce que je vous ai dit au sujet de l'accès aux services repose également sur des conversations que j'ai eues récemment avec des représentants de pratiquement tous les grands organismes humanitaires, comme ceux des Nations unies, de l'UNICEF, de Solidarités International et du Danish Refugee Council, qui m'informent de [Note de la rédaction: inaudible].
    Je vous remercie. Votre témoignage colle bien à ce que nous avons entendu de Human Rights Watch, soit que les gens bénéficient d'une pseudo liberté pour visiter les camps s'ils parviennent à franchir tous les obstacles qui sont mis sur leur route.. Encore merci de votre réponse.
    Pouvez-vous me dire si vous avez connaissance d'un rapport quelconque sur la situation dans les camps? Un incendie a ravagé l'un d'eux mardi. Avez-vous des renseignements privilégiés sur ce qui s'est passé et êtes-vous en mesure de nous faire un point de la situation?
    Oui. J'ai été interviewée à ce sujet par un certain nombre de journalistes.
    Il arrive qu'un incendie soit accidentel. C'est un type d'accident assez courant, non seulement dans les camps, mais également dans les villages. Il fait très chaud et l'air est très sec. Les gens vivent dans des maisons en bois ou en bambou et, dans le camp, ils se trouvent dans des abris en bambou qui sont mal protégés contre les incendies. Si le vent souffle fort, un incendie peut provoquer des destructions importantes.
    Je dois vous mentionner une chose de plus, que je ne vous ai pas encore indiquée clairement. J'ai une équipe de chercheurs. En plus de visiter les camps, je dispose d'une équipe de chercheurs, qui sont en poste à la frontière avec l'État de Rakhine, qui est situé au nord. Ce sont des Rohingyas et des Bangladais qui ont accès à un certain nombre de sources d'information. Nous prêtons en vérité une attention toute particulière à [Note de la rédaction: inaudible], même si nous n'y avons pas d'accès direct. Nous veillons également à documenter de façon aussi crédible que possible la situation dans le nord de l'État de Rakhine. C'est pourquoi j'ai fait la distinction dans mon exposé, parce qu'on ignore souvent la réalité de la situation dans cette région. Vous avez parlé des incendies, mais il y en a eu aussi plusieurs dans cette région, dont un qui a détruit récemment tout un marché. Je tenais à vous le préciser.
     Ces gens ont peut-être eu de la chance [Note de la rédaction: inaudible], parce que les camps de districts touchés vont bénéficier d'un peu d'aide des organismes internationaux et du gouvernement pour reconstruire les abris. Bien évidemment, les gens auront perdu le peu de biens qu'ils avaient. Il arrive souvent, lorsqu'un incendie touche un village dans l'État nordique de Rakhine, que les gens ne bénéficient d'aucune forme d'aide ni de soutien, et que les villageois doivent tout reconstruire par eux-mêmes.
     Vous nous avez dit que ces gens sont mal nourris, qu'ils n'ont pas accès à des installations sanitaires, qu'ils n'ont, dans le meilleur des cas, qu'un accès limité à l'éducation par ce qu'ils manquent d'enseignants qualifiés. Ils ne bénéficient pas de soins de santé. Ils ne sont pas libres de circuler. Ils sont pratiquement condamnés à une mort lente, très certainement à une longue période de pauvreté. Dans pratiquement tous les domaines ils sont la proie des éléments, qu'ils soient victime d'un incendie ou qu'ils aient des problèmes de santé et ils ne sont pas prêts de trouver des emplois s'ils ne peuvent même pas suivre une scolarité.
(1325)
    Je n'avais pas assez de temps pour vous parler des conditions réelles de vie dans les camps. La vie y est pratiquement impossible. Même dans les villages, ils sont soumis à tellement de restrictions! Le gouvernement cherchant jusqu'à maintenant à inciter les Rohingyas à partir ailleurs, il applique manifestement une politique de coupures, dont la coupure de l'accès aux moyens de subsistance. Bien évidemment, les restrictions touchent également tous les autres services. En résumé, la situation dans les camps est, comme je vous l'ai déjà dit, tout à fait inacceptable. C'est ce que m'ont dit tous ceux qui travaillent sur le terrain.
    Ils n'ont vraiment aucun endroit où aller, avec les traitements que leur réservent les pays voisins. Si on ajoute à cela l'interdiction qui leur est faite de circuler librement, on peut dire qu'ils sont tout à fait coincés là où ils sont.
    J'aimerais préciser un point à l'intention de vos chercheurs. Les représentants de Human Rights Watch nous ont parlé de la complexité de la situation avec, dans les faits, deux gouvernements qui se font concurrence. Il y a d'une part le gouvernement de la LND nouvellement élu et d'autre part le gouvernement militaire. Chacun tire la couverture à lui, tout en imputant les responsabilités à l'autre. Mais il y a aussi un troisième larron. Le gouvernement de l'État de Rakhine joue aussi un rôle dans cette situation et la complique encore plus. Il rend la vie des Rohingyas encore plus difficile.
    Vous avez tout à fait raison. C'est ce qui rend ce conflit si complexe et si difficile à régler. Jusqu'à maintenant, je n'ai vu que très peu d'évolution vers une solution quelconque. Il semble que l'ancien gouvernement, et peut-être même la LND, tentent de se satisfaire du statu quo, mais je ne crois pas que cette solution soit acceptable. Cela fait déjà quatre ans que nous faisons face à cette crise et je ne constate aucune évolution.
    Pensez-vous que, si nos diplomates pouvaient pratiquer une forme de diplomatie tranquille pour exercer des pressions sur eux afin qu'ils tiennent les promesses qu'ils ont faites au président Obama et que les Nations unies ouvrent dans le pays un Bureau des droits de la personne, cela améliorerait la situation des Rohingyas?
    Oui, cela contribuerait certainement à améliorer leur situation, mais quant à la régler complètement, je ne crois pas que cela suffirait. Il faut que la solution vienne du gouvernement. C'est la raison pour laquelle j'ai insisté dans les causes de cette crise sur la campagne anti-musulmans en cours dans le pays. Sans s'y attaquer en premier, et [Note de la rédaction: inaudible] le fait de conférer des pouvoirs aux nationalistes de l'État de Rakhine mènera à la poursuite des abus contre les Rohingyas. Je crois également qu'il est important que la LND fasse preuve de logique en la matière. Ces dirigeants ont mentionné à plusieurs occasions par le passé que le respect de la primauté du droit est un problème majeur dans l'État de Rakhine. Comme nous tous, je crois, j'aimerais voir cela se produire dans l'État de Rakhine. Si la primauté du droit devait être restaurée, ou renforcée, nous aurions probablement davantage de chances de trouver une forme quelconque de solution et de tenter de parler aux divers groupes. Il est vrai que c'est là un problème extrêmement complexe. Il n'y a pas qu'un côté à la médaille. Les Rakhines, l'armée et la LND sont également concernés. J'espère, bien sûr, que la communauté internationale va continuer à insister et à exercer des pressions sur le gouvernement [Note de la rédaction: inaudible] pour s'attaquer à cette question.
    Je vous remercie, madame Lewa.
    J'invite maintenant M. Miller à poser la seconde question.
    Je vous remercie, madame Lewa, de votre témoignage. Ma question va peut-être vous permettre d'aborder vos recommandations.
    Nous avons entendu de nombreux témoins et au moins l'un d'entre nous a demandé de suspendre les échanges commerciaux avec le gouvernement du Myanmar jusqu'à ce que les droits de la personne des Rohingyas soient davantage respectés. Il est manifeste que dans une démocratie encore toute jeune cela pourrait avoir l'effet inverse sur la situation à laquelle sont confrontées ces personnes. Un autre témoin a proposé, si nous décidions d'appliquer des sanctions, de nous en prendre à certaines formes d'échanges commerciaux ou d'aide, ce qui toucherait bien évidemment deux groupes distincts.
     J'aimerais savoir ce que vous pensez d'une augmentation des échanges commerciaux et, bien évidemment, de l'aide, et comment, à votre avis, il pourrait être possible d'en tirer parti pour améliorer la situation des droits de la personne et le statut juridique des Rohingyas.
    Je vous remercie à l'avance de votre réponse.
    C'est une question à laquelle il est difficile de répondre parce que je ne suis pas personnellement [Note de la rédaction: inaudible] pour l'instant partisane des sanctions commerciales, mais sans l'ombre d'un doute, il faudrait accroître l'aide humanitaire. C'est certain. C'est l'une des questions qui me préoccupent le plus actuellement par ce que, lors de mon voyage récent au Myanmar, j'ai réalisé que la communauté internationale et celle des donateurs semblent se lasser dans une certaine mesure de la situation, alors que, moi, je cherche une façon d'améliorer la situation des Rohingyas.
    L'une des hypothèses dont j'ai entendu parler serait de s'éloigner un peu de l'aide humanitaire classique, voulant couvrir tous les domaines, et de commencer plutôt par viser une reprise rapide de l'économie et, ensuite, de passer à l'aide au développement. Je me demande comment une aide au développement pourrait profiter aux Rohingyas s'ils ne sont pas en mesure de se déplacer et d'aller là où ils le veulent. Je suis toujours d'avis qu'il importe que le gouvernement du Canada, comme ceux des autres pays donateurs, continue à garantir que, pour le moins, l'aide humanitaire continuera à être destinée aux Rohingyas qui vivent dans les camps et ailleurs, là où ils en ont besoin.
    J'ai aussi entendu dire que le budget du Programme alimentaire mondial a subi des coupures, ce qui impose dorénavant à ses dirigeants d'abandonner dans une certaine mesure l'aide alimentaire de nature générale pour venir plus précisément en aide à des personnes vulnérables. Je n'en ai pas parlé dans mon témoignage, mais il y a aussi dans ces camps un nombre élevé de personnes déplacées à l'intérieur de leur propre pays, les PDIP comme nous les appelons. Ils n'ont reçu aucune aide des autorités pour plusieurs raisons, entre autres parce qu'ils sont arrivés plus tard que les autres dans ces camps. Eux étaient déjà victimes du partage des rations, qui ont encore été réduites, comme je vous l'ai déjà dit.
    La situation des Rohingyas, qui ont été déplacés, et des autres personnes présentes dans ces camps les a déjà mis au bord du précipice. La réduction de leur aide humanitaire, ainsi que les menaces de pressions sur le gouvernement pour qu'il trouve une solution, sont des moyens d'intervention qui, à mes yeux, ne conviennent pas. Ce sont des hypothèses qui m'inquiètent beaucoup. Je tiens à m'assurer que l'aide de la communauté internationale va se poursuivre. Je sais fort bien qu'on procède de nos jours à quantité de coupures à cause du nombre élevé de crises sur la scène mondiale, mais moi, je m'efforce de trouver une solution à cette crise.
    Ma dernière discussion sur le sujet portait sur le groupe des chefs de mission qui a été mis sur pied à Rangoon. Celui-ci comprenait, entre autres, l'ambassadeur de Suède. Je crois qu'il était dirigé par l'ambassadeur du Danemark, mais que l'ambassadeur des États-Unis y participait également très activement, tout comme les représentants de l'Union européenne et du Royaume-Uni et, si j'ai bonne mémoire, de la Turquie. À ma connaissance, ce groupe ne compte pas de représentant du Canada. Il semble maintenant mettre de l'avant un plan, dont malheureusement ses membres ne m'ont pas informée, mais qui prévoit des étapes à court terme, à moyen terme et à long terme pour parvenir à une solution. À ce que j'ai pu apprendre, l'essentiel de leur message est que [Note de la rédaction: inaudible] la coordination pour s'attaquer au problème de la liberté de circuler et de l'accès aux services est une priorité.
    J'ai néanmoins quelques commentaires à faire à ce sujet, parce qu'il est évident que la liberté de circuler et l'accès aux [Note de la rédaction: inaudible] sont liés intrinsèquement à la question de la citoyenneté. Comme je constate, comme je vous l'ai dit dans mon témoignage, que la question de la citoyenneté n'évolue aucunement pour l'instant, je ne veux pas que la communauté internationale la néglige tout simplement parce qu'elle semble insoluble pour l'instant.
    C'est pourquoi il faut continuer à exercer des pressions, de façon constante. Je suppose également que le gouvernement de la LND parviendra probablement à obtenir un peu plus d'aide sous forme de contrats d'affaires et d'autres éléments. Je suis d'avis que les gouvernements étrangers ne doivent absolument pas négliger la situation dans l'État de Rakhine. Ils doivent continuer en faire l'une de leurs principales priorités.
(1330)
    Je vous remercie.
    Madame Lewa, le Myanmar a accordé au Rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de la personne au Myanmar l'accès à l'État de Rakhine depuis 2010. Celui-ci a bien dû formuler des recommandations depuis cette époque.
    Le gouvernement a-t-il suivi certaines de ces recommandations, et des demandes ont-elles été formulées pour que des rapporteurs spécialisés dans des domaines précis se rendent dans le pays pour faire face à des situations particulières?
(1335)
    Il est exact que c'est en 2010 que le gouvernement a accordé pour la première fois au rapporteur spécial, M. Quintana, à l'époque, l'accès à l'État de Rakhine. Toutefois, cet accès a été suspendu à plusieurs occasions. M. Quintana lui-même n'a pu y retourner en 2011. Depuis les violences [Note de la rédaction: inaudible], Mme Yanghee Leey, qui lui a succédé, a été autorisée à s'y rendre. Cependant, tout comme son prédécesseur, elle s'est heurtée à des problèmes pendant ces visites. Lors de son dernier voyage, elle a demandé au gouvernement l'autorisation de retourner dans l'État de Rakhine et la réponse a été négative. Il nous faut garder à l'esprit que, actuellement, elle ne bénéficie pas d'un libre accès à cet État.
    En ce qui concerne les rapporteurs spéciaux, se consacrant à des sujets précis, je vous confirme qu'un certain nombre d'entre eux ont déjà formulé des demandes auprès du gouvernement. Je plaide moi-même beaucoup auprès de différents rapporteurs spécialisés à Genève. Jusqu'à maintenant, le gouvernement du Myanmar n'a accordé l'accès à l'État de Rakhine à aucun autre rapporteur spécial des Nations unies se consacrant à des volets précis des droits de la personne.
    Il y a une autre question que je voudrais aborder…
    Madame Lewa, je vais mettre fin à cette série de questions pour permettre à Mme Hardcastle d'intervenir. Nous aurons d'autres questions à vous soumettre immédiatement après.
    Je tiens à vous remercier, madame Lewa, d'avoir accepté de veiller aussi tard pour pouvoir participer à notre débat de ce soir. Je sais qu'il est tard pour vous et nous vous en remercions.
    J'aimerais en savoir davantage sur vos recommandations. Je réalise fort bien que vous avez déjà fait état de certaines d'entre elles dans vos réponses à mes collègues, mais je me demande si vous pourriez être un peu plus explicite sur les objectifs que nous devrions recommander au gouvernement du Canada. Vous nous avez dit un peu plutôt ne pas être partisane de pressions sous forme de sanctions. C'est du moins ce que j'ai compris. Le son n'est pas toujours très bon et il est possible que je sois dans l'erreur. Vous nous avez également parlé d'un groupe de chefs de mission dont, à votre avis, le Canada devrait faire partie. J'aimerais en savoir un peu plus sur vos recommandations.
    Je vous demande pardon, mais je n'ai pas compris la fin de votre question. Seriez-vous assez aimable pour la répéter?
    Vous nous avez dit qu'il existe un groupe de chefs missions dont vous croyez que le Canada devrait faire partie. J'aimerais que vous nous en disiez un peu plus sur vos recommandations qui nous concernent directement.
     Bien sûr. Tout d'abord, je vous ai parlé de ce groupe d'ambassadeurs à Rangoon, qu'on appelle le groupe des chefs de mission. Il regroupe des ambassadeurs d'un certain nombre de pays. Quelques ONG y participent également, comme l'Internationale Save the Children Alliance et le Danish Refugee Council. Il me semble qu'il y aurait avantage à ce que la communauté internationale s'efforce de réagir de façon concertée et coordonnée, et joue un rôle de messager [Note de la rédaction: inaudible] auprès du gouvernement. C'est ce que je voulais dire.
    Quant à des recommandations, il me serait certainement difficile de formuler des recommandations précises pour le gouvernement canadien, mais il ne fait aucun doute que je lui recommanderais de continuer à suivre étroitement la situation des droits de la personne, la situation humanitaire et la situation politique dans l'État de Rakhine, et à intervenir de façon proactive et continue auprès du gouvernement du Myanmar pour régler ces problèmes.
    Je crois également que le gouvernement du Canada devrait condamner publiquement les cas de violence contre des minorités religieuses et ethniques, y compris contre les Rohingyas. En ce qui concerne l'aide et le financement, je sais fort bien que votre gouvernement participe déjà à l'effort humanitaire, mais je ne sais pas s'il serait en mesure d'accroître sa participation. Il faut pour le moins qu'il la poursuive.
    Il y a également une autre question qui concerne les réfugiés. Votre pays a été le premier à procéder concrètement à la réinstallation de Rohingyas, qui venaient au départ de camps de réfugiés situés au Bangladesh. Comme vous le savez, ce pays a maintenant mis fin à ce programme de réinstallation des résidants de ces camps, mais la Malaisie, elle, a augmenté le nombre de réinstallations de réfugiés Rohingyas, surtout aux États-Unis. Le Canada pourrait peut-être contribuer à ces efforts et fournir une solution plus durable, la réinstallation en étant une, aux personnes qui sont déjà exilées et particulièrement vulnérables. C'est aussi une des raisons pour lesquelles les Rohingyas déménagent parfois d'un camp de réfugiés à un autre, d'un pays à un autre, parce qu'ils sont frustrés et tentent de trouver une solution.
    Je n'ai guère eu le temps de vous parler de la situation des réfugiés dans la région, mais comme vous le savez, aucun des pays de la région n'a signé la Convention relative au statut des réfugiés. Pour l'essentiel, ils les considèrent comme des immigrants illégaux. Dans le cas particulier des Rohingyas qui sont des apatrides, je crois qu'on peut dire qu'il n'y a pratiquement aucun espoir qu'ils puissent retourner un jour au Myanmar. Ils l'espèrent, mais étant donné les perturbations à l'intérieur du pays, s'attendre à ce que des réfugiés puissent y retourner à court terme me paraît tout à fait irréaliste. Année après année, leurs enfants naissent en exil. Cela m'amène à vous proposer que le Canada envisage à nouveau la réinstallation des Rohingyas.
    Ce sont là les principales recommandations auxquelles je pense. Elles figurent dans ma liste, mais je n'ai pu en faire état dans ma déclaration préliminaire.
(1340)
    Merci beaucoup, madame Lewa.
    La parole est maintenant à M. Saini, qui dispose de cinq minutes.
    Madame Lewa, je tiens à vous parler un peu de constitution, parce qu'il me semble que la loi sur la citoyenneté de 1982 semble être à l'origine d'un problème. Le 31 mars 2015, et je suis sûr que vous le savez déjà, les cartes blanches des Rohingyas ont été annulées. Ce sont maintenant des apatrides qui ont maintenant encore plus de difficultés à accéder à des services.
     Si nous nous penchons à nouveau sur cet état de fait et analysons le texte de la constitution, quelle recommandation feriez-vous au gouvernement pour réviser les exigences actuelles afin que les Rohingyas aient au moins une pièce d'identité? Ce serait là un début, une première étape, sur la voie de leur reconnaissance et cela leur garantirait d'avoir accès à des services, en particulier dans le domaine des soins de la santé.
     Oui, et cela ne concerne pas uniquement la constitution. En effet, celle-ci ne fait aucune mention des personnes dont la citoyenneté n'est pas reconnue dans le pays. Je crois qu'il faut absolument procéder à une réforme législative afin de réviser toutes les lois qui sont discriminatoires et les rendre conformes aux droits internationaux de la personne. L'une de ces lois est effectivement la Loi sur la citoyenneté de 1982. Comme vous le savez, elle classe les gens en trois catégories. Il faut aussi savoir que les Rohingyas ne sont pas reconnus comme un groupe ethnique et que, du fait de l'appartenance à leur ethnie, ils n'ont pas accès à la citoyenneté. En vérité, la loi laisse la porte entrouverte, mais très étroitement. C'est ainsi que l'article 6 de cette loi précise que toute personne qui était citoyenne du Myanmar avant son entrée en vigueur devrait le rester. L'autre problème posé par cette loi est la façon dont elle est mise en oeuvre. C'est là le noeud du problème parce que, de nos jours, le gouvernement ne reconnaît même pas que les Rohingyas ont déjà eu par le passé le même [Note de la rédaction: inaudible] que les autres citoyens du pays.
    Il faut encore ajouter à cela que le gouvernement du Myanmar tente de promouvoir l'acquisition de la citoyenneté par la naturalisation, mais les Rohingyas s'opposent à cette mesure avant tout parce qu'elle ne confère que des droits réduits, en particulier lors des élections, mais aussi parce que, pour demander la citoyenneté de cette façon, les Rohingyas doivent parler couramment…
     C'est ainsi qu'il faut respecter plusieurs exigences et plusieurs critères pour faire reconnaître la maîtrise d'une langue nationale. Bien évidemment, comme les Rohingyas ne sont pas reconnus comme groupe ethnique, leur langue n'est pas non plus reconnue comme une langue nationale, ce qui signifie que [Note de la rédaction: inaudible] la modalité dont j'ai parlé n'a permis qu'à un millier d'entre eux de recevoir la nationalité birmane. Il s'agit là de gens qui se trouvent dans des situations très différentes [Note de la rédaction: inaudible] dans le nord de l'État de Rakhine [Note de la rédaction: inaudible], des gens qui vivent là depuis longtemps. Ils constituent une toute petite minorité, mais ils doivent parler le Rakhine, la langue nationale dans cet état. Dans le nord de celui-ci, 80 % des Rohingyas ne le parlent pas, ce qui les empêche automatiquement d'accéder à la naturalisation.
    Je crois qu'en ce qui concerne le problème de la citoyenneté, Il va falloir finir par trouver une façon, et je ne suis pas avocate, d'accorder la citoyenneté, avec les droits qui l'accompagnent, à tous les membres d'un groupe.
     Je sais que les Rohingyas tiennent très fermement à ce que le nom de « Rohingyas » soit reconnu. Je sais pourquoi cette exigence est importante pour eux. C'est que, au Myanmar, si vous n'appartenez pas à un groupe ethnique, la constitution et le système législatif en vigueur font que vous n'avez aucun moyen de bénéficier des droits de la personne. En même temps [Note de la rédaction: inaudible], pour les Rakhines qui voient là les prémices d'une revendication territoriale ultérieure.
    Ce qui est probablement le plus important, à mes yeux, est que les Rohingyas aient maintenant accès à la citoyenneté du Myanmar [Note de la rédaction: inaudible], que ce soit à la suite d'une demande de reconnaissance sur une base ethnique ou sur d'autres bases. Étant donné leur longue tradition de résidence au Myanmar, les Rohingyas devraient avoir accès, d'une façon ou d'une autre, à la citoyenneté de ce pays. Comment cela pourra-t-il se faire concrètement, je n'ai malheureusement pas de solution toute prête à vous proposer.
(1345)
     Merci beaucoup.
    Je donne maintenant la parole à M. Anderson.
    Bonjour, madame. Je m'appelle David Anderson, et je tiens à vous dire que nous sommes très heureux de nous entretenir avec vous aujourd'hui.
    Comme j'ai plusieurs questions à vous poser, je me permets de vous demander d'y répondre de façon relativement succincte afin que je puisse me rendre à la seconde et à la troisième partie.
    Je suis très désireux de comprendre un peu mieux le volet religieux de cette situation. Lorsque nous voyons un ministre des Affaires religieuses qui va rencontrer l'un des groupes extrémistes, fait des salamalecs devant l'un des moines à qu'il remet des offrandes, cela nous semble être aux antipodes de ce qu'on attendrait de ce ministre.
    Pouvez-vous nous aider à faire la part des choses entre ce qui est de nature religieuse et ce qui relève de la culture et du nationalisme?
    J'aurai ensuite quelques questions précises à vous poser sur les conséquences de la législation sur les Rohingyas.
    Comme vous le savez, les musulmans ont assez fréquemment été victimes de tragédies au Myanmar. Ce n'est pas récent. Cela fait déjà plus de 20  ans que je vais en Thaïlande et j'ai souvent eu l'occasion par le passé de m'entretenir avec des défenseurs de la démocratie. Nous étions généralement [Note de la rédaction: inaudible] de tragédies qui survenaient brutalement et, par le passé, les violences contre les musulmans [Note de la rédaction: inaudible] n'avaient rien d'exceptionnel.
    Ce que je trouve particulièrement troublant aujourd'hui et, à mes yeux, cela s'assimile à un cancer de la société, c'est que ce sont les moines eux-mêmes qui dirigent ce mouvement alors que le pays s'ouvre à un peu plus de liberté d'expression et de participation. Ce n'est pas uniquement le fait des moines, mais aussi [Note de la rédaction: inaudible] celui de la société [Note de la rédaction: inaudible] absolument déterminant. C'est pourquoi je ne saurais vraiment parler de la nature du régime sans espérer que le gouvernement de la LND va adopter un plan vraiment efficace et énergique pour faire cesser les activités des groupes anti musulmans, en particulier des moines. Je l'espère très sincèrement. Les propagateurs de haine [Note de la rédaction: inaudible]. Sinon, cela revient à donner un blanc-seing aux manifestants pour poursuivre leurs débordements.
    Puis-je vous interrompre un instant?
     Lorsqu'il y a eu des violences, les moines y ont participé. C'est une certitude. Il y a bien sûr eu des gens qui ont fait sortir les habitants de leurs villages et qui ne toléraient pas les messages des moines. Tant qu'il y aura [Note de la rédaction: inaudible], je crois que cela leur insufflera de l'espoir.
    D'accord. Ce que je voulais dire ici est qu'il ne s'agit pas uniquement des moines parce que, en septembre 2015, le Parlement a adopté quatre lois sur la protection des races et des religions. Il y a eu la loi sur le contrôle de la population, la loi sur les mariages spéciaux des femmes bouddhistes, la loi sur les conversions religieuses et la loi sur la monogamie. Seriez-vous en mesure de nous parler un peu des répercussions de ces lois sur la population rohingya? Est-ce qu'elles entraînent des formes de discrimination et violent la liberté de religion? Vous paraît-il possible que le nouveau gouvernement les abroge ou les modifie?
(1350)
    Comme vous le savez, les lois ayant trait à la religion ont été adoptées sous les pressions du mouvement dirigé par les moines, le Ma Ba Tha, ce qui signifie Organisation pour la protection de la race et de la religion.
     J'ai pris connaissance de toutes ces lois et je crois que nombre d'entre elles ne visent pas nécessairement les Rohingyas. Sachez, par exemple, que je n'ai jamais eu connaissance d'un mariage mixte entre un Rohingya et quelqu'un d'une autre ethnie, même si ce n'est pas totalement impossible. En ce qui concerne la monogamie, ce n'est pas la première fois. Ce type de disposition a toujours existé et, en pratique [Note de la rédaction: inaudible], elle est interdite. Celle qui me préoccupe le plus, et même m'inquiète beaucoup, est celle sur le contrôle de la santé de la population. Concrètement, le gouvernement s'est maintenant doté d'une politique qui impose, dans certaines régions du pays, d'espacer les naissances d'au moins trois ans. Elle pourrait servir à remplacer, ou même à compléter, qui sait, la politique précédente qui était imposée dans le nord de l'État de Rakhine. Ce n'était pas le cas dans la ville de Sittwe. Il n'y avait que dans le nord de l'État de Rakhine que les gens mariés devaient demander la permission… Seuls les Rohingyas doivent demander la permission de se marier. Les autres groupes ne sont pas soumis à cette exigence. Les Rohingyas doivent, eux, s'engager par écrit à ne pas avoir plus de deux enfants. Si cette mesure ne semble plus être appliquée, le règlement qui l'avait instituée n'a jamais été abrogé. Avec la nouvelle loi sur le contrôle de la santé de la population, il y a vraiment lieu de craindre que [Note de la rédaction: inaudible] avec l'intention de [Note de la rédaction: inaudible] les Rohingyas à l'avenir.
    Je vous remercie.
     Monsieur le président, je n'ai pas bien compris. Trois ans…
    Elle a fait référence à une période de trois ans, mais je n'ai pas bien entendu moi non plus.
    Madame Lewa, pourriez-vous, s'il vous plaît, répéter ce que vous avez dit au sujet d'une période de trois ans...
    De mémoire, parce que je n'ai pas le texte sous les yeux, la loi précise que le gouvernement peut imposer, dans n'importe quelle région du pays où il le juge nécessaire, une période de 36 mois entre la naissance de deux enfants. Je n'ai pas la moindre idée de la façon dont il pourrait s'y prendre [Note de la rédaction: inaudible] pour que les femmes attendent 36 mois pour devenir à nouveau enceintes. Mystère! C'est ce que dit la loi. Elle ne prévoit pas de pénalités en cas de contravention, mais c'est le simple fait que cela figure dans une loi qui est inquiétant.
    Je vous remercie de cette précision.
    Madame Lewa, il nous reste juste assez de temps pour permettre à un autre député, M. May, de vous poser une brève question. Si possible, nous allons essayer de nous en tenir à un total de trois minutes.
    Je vous remercie, madame Lewa, de vous être jointe à nous aujourd'hui.
    Nous savons que la situation sur place est horrible. Nous savons que la traite des personnes se poursuit. Tout juste la semaine dernière, on nous a signalé que 12 réfugiés Rohingyas avaient été trouvés dans la jungle thaïlandaise. Nous savons que cette traite des personnes se poursuit. Notre ministre des Affaires étrangères a récemment annoncé que 44 millions de dollars seraient consacrés au renforcement des institutions démocratiques au Myanmar. Notre comité a entendu il n'y a pas si longtemps un témoin, M. John Sifton, qui a insisté sur l'importance de la coopération entre des pays comme la Malaisie, la Thaïlande et le Bangladesh.
    À votre avis, qu'est-il possible de faire pour promouvoir l'inclusion politique des Rohingyas avec un programme doté de 44 millions de dollars?
     C'est une question à laquelle il n'est pas facile de répondre, mais peut-être qu'en se consacrant uniquement à la dimension régionale, il y a beaucoup de choses qui pourraient être mises de l'avant. Comme vous le savez, j'ai également collaboré avec le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et je me suis alors efforcée d'amener les pays de la région à coordonner leurs réponses au niveau régional, ce qui englobait bien évidemment de répondre aux besoins de protection des Rohingyas quand ils fuient le pays, mais aussi de s'attaquer tous ensembles aux racines fondamentales de ses problèmes au Myanmar qui sont la cause profonde pour laquelle ces gens veulent quitter le pays. Les seuls progrès que j'ai pu constater jusqu'à maintenant ont été lors de la dernière réunion du Processus de Bali, lorsque les pays touchés ont, semble-t-il, convenu que s'il devait y avoir une autre crise, ils prendraient les mesures nécessaires pour coordonner leurs réactions.
(1355)
    Madame Lewa, seriez-vous assez aimable pour répéter la fin de ce que vous venez de dire? Je ne vous ai pas bien entendue, et il semble que nos analystes eux non plus n'aient pas saisi. Quel est le seul progrès que vous avez constaté?
    J'ai assisté au milieu du mois de mars à une réunion ministérielle qui s'inscrivait dans le Processus de Bali. Je ne me souviens plus de la date exacte. Il semble que des membres, qui se sont ajoutés à ce processus, auraient convenu que, en cas de nouvelle crise, ce processus deviendrait pour l'essentiel la plateforme régionale pour discuter de la coordination d'une réponse. Le problème que cela pose est que, bien sûr, le Processus de Bali vise essentiellement à combattre les trafics et à protéger les frontières, mais il semble que, jusqu'à maintenant, ces pays éprouvent un besoin de plus en plus impératif d'améliorer la protection des gens qui parlent. De toute façon, c'est la première étape. Comme ces participants ont également adopté pour principe de ne pas s'ingérer dans les affaires internes des autres, il est probable qu'ils ne s'exprimeront pas de façon très énergique pour pousser le gouvernement du Myanmar à s'attaquer aux causes profondes des problèmes. Maintenant, quant à l'emploi de ces 44 millions de dollars, cela dépasse un peu mes compétences, en particulier si vous cherchez à faire la promotion d'une institution démocratique. Bien évidemment, il est important de dialoguer. C'est manifeste.
    Je vous remercie, madame Lewa. Nous avons épuisé le temps dont nous disposions. Je tiens encore à vous remercier de votre contribution aux travaux de ce comité sur ce sujet très important. Vous avez abordé un certain nombre de domaines et cela s'est révélé très instructif et très enrichissant pour les membres de ce sous-comité. Nous avons été particulièrement sensibles au fait que vous acceptiez de nous appeler à minuit à votre heure.
    Je vous remercie encore infiniment du temps que vous avez bien voulu nous consacrer.
    Il n'y a pas de quoi.
    Le seul autre sujet inscrit dans le dossier qui nous a été transmis par voie électronique concerne un communiqué de presse sur les événements prévus dans deux semaines dans le cadre de la semaine de la comptabilité. Il s'agit simplement de prévenir les gens qui voudraient venir assister à nos débats ou y participer.
     Devrions-nous poursuivre à huis clos?
    Une voix: Tout à fait.
    [La séance se poursuit à huis clos.]
Explorateur de la publication
Explorateur de la publication
ParlVU