Bienvenue à la 23e séance du Comité spécial sur les relations sino-canadiennes.
Conformément à l'ordre de renvoi du mercredi 23 septembre 2020, le Comité se réunit pour étudier les relations sino-canadiennes.
[Français]
Il s'agit d'une réunion hybride, conformément à la motion adoptée par la Chambre le 25 janvier 2021.
[Traduction]
Notre premier témoin aujourd'hui est la présidente de la United States-China Economic and Security Review Commission, Carolyn Bartholomew, à qui je souhaite la bienvenue.
Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation à comparaître ce soir.
Je vous prie de faire votre déclaration préliminaire. Vous avez la parole pour cinq minutes.
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Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de témoigner aujourd'hui.
Pour ceux d'entre vous qui ne le savent pas, la Commission États-Unis-Chine a été créée par le Congrès au moment où il a voté, essentiellement, pour ouvrir la voie à l'adhésion de la Chine à l'OMC parce qu'il subsistait des préoccupations au sujet de son admission. Nous avons rédigé un rapport de 575 pages contenant des recommandations à l'intention du Congrès, que je me ferai un plaisir de vous faire parvenir. Je pense qu'il est important de reconnaître que notre relation est bipartite, l'un des seuls exemples de bipartisme qui fonctionne parfois ici à Washington.
Nos deux pays, inutile de le rappeler, partagent non seulement une frontière, mais aussi des valeurs: principes démocratiques, droits de la personne et primauté du droit, respect de la liberté d'expression, de religion, d'association et de presse. Nous sommes de tout cœur avec vous pour dénoncer l'emprisonnement injuste des deux Michael et exiger leur libération immédiate.
Nos valeurs communes heurtent de plus en plus le Parti communiste chinois, qui s'emploie à les miner. Voici ce qu'a déclaré, mercredi dernier, le directeur du FBI, Chris Wray, dans sa déposition devant le comité sénatorial du renseignement:
Je ne pense pas qu'il y ait un pays qui présente une menace plus grave pour nos efforts d'innovation, notre sécurité économique et nos idées démocratiques. Et les moyens dont il dispose pour influencer nos entreprises, nos établissements d'enseignement et nos gouvernements à tous les niveaux sont profonds, étendus et persistants.
Il a signalé que le FBI ouvrait une nouvelle enquête toutes les 10 heures sur diverses activités menées par le gouvernement chinois sur le territoire américain et qu'il y a actuellement ici plus de 2 000 enquêtes en cours impliquant le gouvernement chinois.
L'un des importants outils d'influence du Parti communiste chinois ou PCC est le Département du travail sur le front uni, qui cherche à coopter et à neutraliser les sources d'opposition éventuelle aux politiques et à l'autorité du Parti communiste chinois. Les efforts du Front uni sont déployés à l'intérieur de la Chine comme à l'extérieur.
Sous le leadership de Xi Jinping, le Front uni joue un rôle sans cesse grandissant dans la politique étrangère de la Chine. En 2019 seulement, les organes nationaux et régionaux du Front uni de la Chine ont dépensé plus de 2,6 milliards de dollars américains, plus que le budget du ministère chinois des Affaires étrangères.
La mission du Front uni comprend l'objectif de « guider » les Chinois à l'étranger pour assurer leur soutien au PCC. De sérieux efforts sont également déployés pour coopter et influencer à l'étranger les élites d'ethnie non chinoise. Il est délicat de discuter des activités du Front uni à la lumière de l'augmentation de la xénophobie et de la violence contre les Américains d'origine asiatique. Il faut veiller à toujours faire la distinction entre le PCC et le peuple chinois.
L'une des principales cibles du Front uni sont les médias de langue chinoise à l'extérieur de la Chine, que le Front commun cherche à coopter, ou à contrôler carrément, de façon à assurer au PCC le contrôle de l'information accessible aux sinophones. Par exemple, l'Agence de presse de Chine, une plateforme d'information officielle en langue chinoise, qui gère aussi secrètement d'autres services médiatiques à l'étranger, fait officiellement partie du Bureau des affaires chinoises à l'étranger, qui est contrôlé par le Front uni.
Pour répondre aux préoccupations concernant l'influence du PCC dans les médias, la Commission États-Unis-Chine a recommandé, entre autres choses, que le Congrès américain renforce la Foreign Agents Registration Act afin d'exiger l'enregistrement de tout le personnel des médias étatiques chinois, puisqu'il est su que les activités chinoises de collecte du renseignement et de guerre de l'information ont recours au personnel d'organisations médiatiques dirigées par l'État chinois. Nous avons également recommandé que le Congrès modifie la réglementation sur les communications afin d'accroître la transparence quant à l'appartenance des médias au gouvernement chinois et à l'étiquetage du contenu médiatique parrainé par le gouvernement chinois.
Parmi les organisations affiliées au Front uni, on compte des associations d'étudiants et d'universitaires chinois, des instituts Confucius et des organismes professionnels, qui offrent des avantages et du soutien aux étudiants chinois sur les campus universitaires et collégiaux, notamment sous forme de réseautage social, d'aide dans la recherche de logement et d'avancement professionnel. En retour, on s'attend à ce que les étudiants contredisent les critiques du PCC et favorisent les marques d'appui à l'ascension globale du PCC. Pour influencer les étudiants et d'autres personnes réfractaires, entre autres, les Ouïghours, il se pratique d'autres formes de pression, telles que les menaces à l'endroit des membres de leur famille demeurés en Chine.
À la fin de l'année dernière, le ministère de la Justice des États-Unis a accusé plusieurs personnes d'avoir tenté de menacer, de contraindre ou de harceler certains résidents des États-Unis pour les amener à rentrer en Chine. Huit personnes ont été accusées de complot pour agir aux États-Unis en tant qu'agents illégaux de la République populaire de Chine et six d'entre elles font également face à des accusations de complot en vue de commettre des traques entre États américains et à l'étranger.
Sur les campus, les atteintes à la liberté d'expression sont à la hausse, par exemple, les attaques contre les étudiants favorables au mouvement prodémocratie à Hong Kong et les contestations dans les salles de classe des enseignements qui remettent en question les positions du PCC. En même temps, il y a des pressions pour l'autocensure, qui est évidemment une réaction moins apparente aux tactiques du Front uni. Cette tendance menace directement la liberté universitaire.
Le Front uni met à profit les organisations professionnelles transnationales, comme l'Association pour les sciences et la technologie de Chine et les associations d'étudiants boursiers rentrés au pays, pour regrouper des étudiants et universitaires chinois dans un bassin de compétences utiles aux priorités nationales et au développement technologique. Certaines de ces organisations semblent indépendantes, mais elles sont en fait subordonnées au Département du travail sur le front uni. Cet effort favorise le transfert des activités de recherche à des entités en Chine. L'ampleur même de ces transferts rend l'effort stratégiquement important et éventuellement néfaste.
La stratégie du Front uni vise également à obtenir l'appui de sociétés et d'intérêts commerciaux étrangers en se servant de l'économie chinoise comme d'une arme, promettant un accès continu ou élargi aux marchés chinois en vue d'amener ces sociétés à exercer des pressions sur leur gouvernement pour qu'il adopte des politiques favorables aux intérêts du PCC. Cette stratégie comprend également un recours intensif au lobbying traditionnel.
Nos réponses stratégiques devraient privilégier l'accroissement de la transparence, ce qui permettrait également de mieux faire connaître les sources de financement et les affiliations avec des directeurs étrangers.
Les États-Unis et le Canada ne sont pas les seuls à être aux prises avec ces opérations d'influence chinoise, sans cesse plus nombreuses. Partout dans le monde, des pays ressentent le va-et-vient de la volonté du PCC d'accroître son pouvoir, son influence et sa primauté. L'Australie, bien sûr, a été le terrain d'essai pour une grande partie des activités du Front uni, comme l'a été l'Estonie.
Dans son rapport annuel publié en février dernier, le service de renseignement de l'Estonie a signalé la grande capacité qu'avait Pékin de mener des opérations d'influence en Occident grâce à l'effet de levier économique, à la surveillance des ressortissants chinois à l'étranger et à la bienveillance acquise des élites locales.
Devant les opérations d'influence du PCC, nous sommes confrontés à un même défi et nous devons tous travailler ensemble pour y répondre avec efficacité.
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D'accord. Sur ce point, je vais exprimer des positions qui sont les miennes et pas nécessairement celles de la Commission.
Le gouvernement chinois, le PCC, utilise vraiment le projet des nouvelles routes de la soie en vue de créer des marchés pour ses propres produits et d'accroître son influence. Les Chinois disent que ce qu'ils désirent, bien sûr, c'est une communauté de destinations humaines communes.
L'an dernier, la Commission a tenu une audience sur la présence chinoise en Afrique, et nous avons pu constater de bien des façons l'impact des investissements de la Chine en Afrique. Le mois prochain, nous allons en tenir une sur la présence de la Chine en Amérique latine.
Un outil dont les Chinois se servent dans le projet des nouvelles routes de la soie, c'est bien entendu, les prêts qu'ils accordent. Soit dit en passant, le Monténégro, qui a reçu, je crois, 1 milliard de dollars de la Chine pour la construction de routes, vient tout juste d'informer l'Union européenne qu'elle a besoin d'aide pour le remboursement. Une préoccupation qui résulte de tous ces prêts accordés, c'est qu'il s'agit, bien sûr, de la diplomatie du piège de l'endettement. Maintenant, c'est la diplomatie des vaccins qu'ils pratiquent; ils utilisent les vaccins pour tenter d'accroître leur influence.
La Banque asiatique d'investissement pour les infrastructures était un effort réel, je crois, pour établir une nouvelle institution internationale conçue et contrôlée essentiellement par la Chine. Les Chinois éprouvent des difficultés au sein des institutions multilatérales et ils s'efforcent d'y exercer leur influence, mais la BAII était essentiellement leur façon d'en établir une à partir de rien.
Nous devrions tous reconnaître qu'il y a d'énormes besoins d'investissement dans les infrastructures partout au monde. À mon avis, c'est un défi que tous nos pays doivent relever ensemble, mais il comporte parfois des aspects insidieux.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je vous remercie, madame Bartholomew, d'être avec nous. Vos observations sont des plus utiles et des plus pertinentes pour l'étude de ce comité. Vous avez évoqué les paroles du président Biden, qui disait qu'il fallait collaborer avec la Chine sur certaines questions et l'affronter sur d'autres.
Plus on entend de témoignages, plus on a l'impression que la Chine utilise toutes les occasions qui lui sont données pour se positionner pour la suite des choses, notamment sur le plan commercial. Votre témoignage semble aller directement dans ce sens. On sait pertinemment que les entreprises chinoises doivent se conformer aux obligations de l'État chinois en matière de sécurité et que certaines d'entre elles, dont Huawei, communiquent des informations aux autorités chinoises qu'elles ont recueillies dans les pays où elles font des affaires.
Comment peut-on concevoir une collaboration avec la République populaire de Chine et ses entreprises, sachant qu'elles cherchent toutes les occasions de se servir de cette collaboration à des fins politiques à long terme?
Quelles précautions doit-on prendre pour éviter de se retrouver dans une situation où, en voulant collaborer, au bout du compte, on ne ferait que leur donner d'autres outils pour s'imposer contre nous?
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Question intéressante et compliquée. Si j'avais la réponse, nous serions tous en bien meilleure posture, mais je vais essayer de répondre.
La réalité, c'est que nous devons trouver des façons d'entretenir des relations avec la Chine. La question est de savoir selon quelles conditions. La Chine occupe une telle place dans l'économie mondiale à l'heure actuelle que je ne vois tout simplement pas comment nous pourrions couper complètement les relations, en partie parce qu'il y aurait des préoccupations dans d'autres pays. J'observe avec inquiétude ce qui se passe actuellement en Allemagne et en France. Ces pays misent tout sur l'économie et le commerce.
À divers endroits, nous pourrions travailler à ces questions. Il y a bien sûr les préoccupations en matière de sécurité nationale, compte tenu de ce que font les entreprises chinoises, mais il y a aussi tout le système de subventions et de tarifs protectionnistes que le gouvernement chinois impose.
Il nous faut réformer non seulement l'OMS, mais aussi l'Organisation mondiale du commerce, car nous devons nous attaquer aux causes profondes de cette concurrence déloyale. J'ai déjà siégé au conseil d'administration d'une entreprise manufacturière américaine, qui a du reste une usine à London, en Ontario. Les travailleurs américains et canadiens sont peut-être les meilleurs au monde, mais ils travaillent dans un domaine où ils sont désavantagés. Nous devons nous attaquer à toutes ces subventions.
Partout dans le monde, on est de plus en plus conscient et inquiet de la montée de la Chine et de la façon dont elle s'affirme. La Chine est, d'une certaine façon, son pire ennemi avec ses tactiques brutales, les insultes qu'elle lance, sa « diplomatie du loup guerrier ».
Il y a des possibilités, mais nous vivons dans un monde où nous ne pourrons pas couper les ponts. La Chine compte 1,4 milliard d'habitants. La réalité, c'est que nous allons devoir trouver un moyen de travailler avec elle là où nous le pouvons, et continuer d'exercer des pressions là où nous ne le pouvons pas.
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Permettez-moi de faire quelques réglages, monsieur le président. J'ai eu quelques difficultés techniques avec mon chronomètre.
Merci, madame Bartholomew, de vous joindre à nous. J'ai trouvé votre témoignage des plus intéressants jusqu'à maintenant.
En 2012, le Canada a conclu un accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers avec la Chine, l'APIE. Il a été critiqué à cause d'un manque de réciprocité, sur des points clés, à l'avantage de la Chine. Par exemple, le Canada a accordé aux investisseurs chinois un accès général au marché canadien, sans que la Chine accorde la réciprocité, et la Chine peut filtrer plus largement les investissements que le Canada ne le fait. De plus, cet accord omet une réserve que le Canada applique depuis longtemps concernant les prescriptions de résultats qui favorisent les peuples autochtones, et il affaiblit la position bien établie du Canada au sujet de la transparence dans l'arbitrage entre investisseur et État.
Votre commission a récemment mené une étude, en 2020, c'est-à-dire l'an dernier, sur toute cette question aux États-Unis. D'abord, que pensez-vous de ce genre d'accord asymétrique, fondé en partie sur les réalités historiques du commerce entre le Canada et la Chine? Quelle est votre opinion? Quelles recommandations avez-vous faites? Dans quelle mesure ont-elles infléchi les politiques?
Je ne connais pas très bien cet aspect particulier. Je vais donc passer à une autre question, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.
Au cours de la dernière année, c'est-à-dire depuis qu'il a entrepris ses travaux, le Comité a beaucoup discuté des préoccupations suscitées par le refus de la Chine de se conformer à l'ordre international fondé sur des règles. Comment l'amener à le faire? Cela vaut pour beaucoup de choses, pas seulement pour la détention arbitraire de personnes comme M. Spavor et M. Kovrig, qui est certes une partie du problème, mais aussi en général, pour le manquement aux règles, qu'il s'agisse de commerce et d'investissement ou des autres éléments dont nous venons de parler.
Quel est votre avis? Ce que je retiens de vos propos, c'est que la Chine essaie de créer de nouvelles normes, par exemple en édulcorant les droits de la personne ou en recourant à des façons différentes de traiter avec d'autres pays. Pouvons-nous exercer une influence à cet égard avec l'aide d'autres pays et grâce à une action coordonnée ou sommes-nous dans une impasse à cet égard également?
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Nous devons essayer. Abandonner reviendrait à céder complètement le terrain au gouvernement chinois et à son autoritarisme, l'idéologie qu'il essaie de propager.
J'ai quelques sujets de préoccupation. Le premier, bien sûr, est la loi sur la sécurité nationale qui a détruit pour Hong Kong le principe « un pays, deux systèmes ». Cette loi comprend une disposition qui, selon les Chinois, leur permet essentiellement d'intervenir à tout moment dans n'importe quel pays si l'un d'entre nous a violé ce qu'ils considèrent comme leur loi. Comme je l'ai vu hier, il y a une nouvelle tendance qui consiste à promouvoir la primauté du droit chinois dans le monde et à nous obliger tous à respecter les lois chinoises.
Nous devons faire appel au système judiciaire, au système juridique, pour nous assurer que chacun sait à quoi s'en tenir et est mobilisé. Il faut voir quels pays seront les plus préoccupés par cette question et trouver des façons de faire front commun. Voilà l'expression que j'utiliserais.
Il s'agit d'un affrontement idéologique, selon moi, et nous ne pouvons pas renoncer. Je ne sais pas toujours très bien comment il faut s'y prendre, mais si nous laissons tomber, nous aurons perdu sur toute la ligne.
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Merci, madame la présidente Bartholomew. C'est un plaisir de vous accueillir.
L'État américain, sous deux administrations, a reconnu le génocide des Ouïghours. Le Parlement du Canada l'a fait également, bien que le gouvernement ne l'ait pas encore fait. Il y a eu beaucoup de débats aux États-Unis au sujet du renforcement des mesures relatives à la chaîne d'approvisionnement.
Au Canada, le système que nous utilisons pour bannir l'esclavage dans les chaînes d'approvisionnement — le recours au travail forcé dans nos chaînes d'approvisionnement — est essentiellement fondé sur la présentation de plaintes. L'Agence des services frontaliers du Canada étudie les plaintes lorsqu'elle en reçoit, mais les mécanismes d'enquête sont encore en cours d'élaboration. Il serait à peu près impossible de mener une enquête sérieuse à l'intérieur de la Chine, et les nouvelles mesures n'ont mené à l'interdiction d'aucune expédition.
En revanche, aux États-Unis, vous avez la Uyghur Forced Labor Prevention Act proposée par le représentant McGovern, qui a été appuyée par 406 voix contre 3 à la chambre basse, et est maintenant à l'étude au Sénat. Comme vous le savez sans doute, ce projet de loi ferait que, a priori, les marchandises provenant du Xinjiang sont considérées comme produites au moyen du travail forcé, à moins de preuve du contraire.
Que pensez-vous de cette loi sur la prévention du travail forcé des Ouïghours? Pourquoi reçoit-elle un appui aussi solide de la part des deux partis? D'autres pays devraient-ils envisager d'adopter un modèle semblable, compte tenu du fait qu'il est presque impossible de faire fonctionner efficacement un système fondé sur les plaintes?
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Je vais commencer par répondre à votre dernière question.
Cela ne fait aucun doute, nous devons travailler ensemble et déployer des efforts concertés et être conscients du fait que le gouvernement chinois excelle à diviser pour mieux régner. Je ne suis pas certaine que le prêt octroyé au Monténégro se chiffrait effectivement à 1 milliard de dollars. Je vais devoir vérifier les faits à ce sujet. Je ne veux pas me tromper sur ce chiffre.
Les outils de coercition que les Chinois utilisent sont en quelque sorte les intérêts commerciaux de tous nos pays. Avant la pandémie, j'ai participé à une conférence en Australie où les établissements de la défense et du renseignement essayaient vraiment de trouver des façons de soulever leurs préoccupations et de tenir compte de leurs intérêts économiques, de ceux des États-Unis et du Canada et de tout le reste. Ce qui importe pour les politiques, c'est de reconnaître que même s'ils doivent protéger ces intérêts, ils ont aussi une obligation nationale à l'égard de la sécurité de leur pays.
C'est un message difficile à communiquer, mais quand je pense à la coercition économique exercée par le gouvernement chinois, le premier exemple qui me vient à l'esprit — et ce n'était probablement pas la première fois — est l'interruption du saumon norvégien par les Chinois en représailles parce que le prix Nobel avait été décerné à Liu Xiaobo. D'une certaine façon, c'est comme une cause type. C'est ce que font souvent les Chinois. Maintenant, ils font la même chose avec l'Australie. C'est une cause type, comme avec Taïwan pour les ananas. C'est une cause type pour voir comment le monde réagira. Nous réagissons en augmentant notre consommation d'ananas taïwanais, de vins australiens et ainsi de suite.
Il s'agit en partie d'éduquer le milieu des affaires qui continue de croire que les choses vont bien aller pour eux en Chine, en leur faisant comprendre qu'elles ne vont pas nécessairement bien aller. S'il s'agit de ressources, c'est une autre histoire. Il faut faire valoir qu'il y a des intérêts en matière de sécurité nationale et que la vente de ces produits a un coût, n'est-ce pas? Ce coût va au-delà du coût financier.
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Encore une fois, je pense que c'est en partie une question d'éducation. En ce qui concerne les investissements des États-Unis en Chine, il s'agit en partie des grandes banques d'investissement. Ils vont trouver un moyen de faire de l'argent, quoi qu'il arrive. Quand on regarde les choses, on constate que nous n'avons pas mentionné la fusion militaire-civile qui est opérée en Chine, qui utilise des entreprises et des technologies civiles pour acquérir la technologie développée ailleurs, dont elle a besoin à ses fins militaires. C'est très embêtant. Il est très difficile pour certaines personnes, pour certaines entreprises, de savoir exactement dans quoi elles investissent au juste.
Cela dit, je pense que certaines de ces banques s'en fichent éperdument. Ray Dalio a publié un article dans le Financial Times assez récemment, et j'ai été franchement dégoutée par ce qu'il y écrivait, à savoir que tout ce qui compte est essentiellement la rentabilité, et que même s'ils ne savent pas qui va remporter la mise, ils investissent en Chine autant qu'ils le peuvent. Je trouve cela tout simplement épouvantable. Nous devons trouver des façons d'obliger les entreprises à rendre des comptes lorsqu'elles investissent dans ce qui deviendra en fin de compte une menace pour nous, non pas sur le plan économique, en ce sens, mais sur le plan militaire.
Nous sommes également très préoccupés par les caisses de retraite. Les détenteurs de ces régimes ne savent pas où leur argent est investi et ils ne savent pas à quel point certains de ces investissements sont risqués. Il y a deux volets. Il y a le risque financier, et il y a aussi le risque lié à ce dans quoi nous investissons, à ce que nous en retirons et au genre de menace que cela représente pour nous.
Il y aura toujours des gens, encore une fois, qui...
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Madame Bartholomew, je suis heureux que vous ayez pu vous joindre à nous. Cela a été très, très intéressant.
Il y a quelques minutes, vous avez eu un échange intéressant avec M. Lightbound au sujet de l'examen des investissements en Chine continentale et de l'incidence sur votre sécurité, ainsi que du risque. Qu'en est-il de l'autre façon d'enquêter sur les investissements en bourse aux États-Unis, sur le marché des obligations et sur les marchés boursiers?
J'ai lu récemment dans un article intéressant que l'un des défis que l'Union soviétique a dû relever pendant la guerre froide était d'avoir très peu accès aux capitaux occidentaux, alors que dans le monde d'aujourd'hui, la Chine a un grand accès aux capitaux— aux capitaux américains en particulier, mais aussi aux capitaux occidentaux en général. Cela les aide énormément. Nous ne savons même pas comment ces investissements sont faits et comment ils aident la Chine à utiliser nos propres technologies contre nous ou, sinon contre nous, contre les minorités de la Chine continentale.
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Vous savez, bien sûr, que lorsque vous vous attaquez aux riches intérêts, vous vous attaquez aux géants qui ne veulent pas que qui que ce soit les empêche de faire ce qu'ils font — encore une fois, c'est un peu la vision du monde de Ray Dalio.
J'essaie simplement de penser au nombre d'années pendant lesquelles nous, à la commission, avons parlé et soulevé des préoccupations au sujet des sociétés chinoises qui sont cotées en bourse aux États-Unis, par exemple au sujet de leurs normes comptables. Nous ne pouvons pas avoir accès au produit du travail, aux documents, au compte rendu des audits des entreprises chinoises, aux risques qui se présentent. Il y a toutes sortes de mécanismes qui permettent de faire circuler l'argent.
Je pense que la réforme du CFIUS que nous avons effectuée en vertu de la FIRRMA visait à répondre à certaines des préoccupations concernant l'acquisition d'actifs américains par des sociétés chinoises, y compris des biens immobiliers. S'ils achètent un terrain pour installer un « entrepôt » près d'installations militaires névralgiques, quelqu'un doit s'assurer que nous demeurions extrêmement attentifs.
Les préoccupations au sujet du marché boursier sont réelles. Je pense que le Congrès en est très conscient et qu'il y accorde beaucoup plus d'attention et qu'il se préoccupe de ce que les entreprises chinoises achètent aux États-Unis par l'entremise d'un certain nombre de mécanismes. J'irais même jusqu'à parler de blanchiment d'argent. Il y a un article qui vient d'être publié au sujet d'une épicerie fine qui appartenait à un entraîneur du New Jersey et qui a fait un chiffre d'affaires de 100 millions de dollars. Il y avait là un système de sociétés fictives très complexe remontant jusqu'à Macao. Il y a aussi un aspect de blanchiment d'argent dans toutes ces opérations.
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Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
Je remercie également tous les membres du Comité.
[Traduction]
Merci beaucoup. Je vais essayer de présenter mon exposé dans les deux langues officielles, une façon typiquement canadienne de faire les choses, je suppose. Je m'excuse également auprès de l'équipe d'interprètes. Malheureusement, j'ai eu des problèmes avec la technologie aujourd'hui, et je n'ai pas pu livrer mon texte à l'avance.
Ce soir, j'aimerais parler des questions de sécurité nationale. Mes préoccupations sont le fruit de trois décennies d'observation au sein du Service canadien du renseignement de sécurité, à surveiller, étudier et même enseigner les activités des services du renseignement chinois au Canada.
[Français]
Le déséquilibre qui existe dans les relations entre le Canada et la Chine suscite de sérieuses préoccupations. Nous ne jouons pas à armes égales. D'un côté comme de l'autre, nous ne suivons pas les mêmes règles — du moins pas celles que le Canada aimerait voir suivre. Ces règles sont probablement la norme sur la scène internationale. Malheureusement, comme l'ont mentionné plusieurs des témoins qui ont fait une présentation devant votre comité, selon son gré, la Chine fait souvent fi de la façon de faire les choses.
[Traduction]
Dans mes fonctions de chef du Service canadien du renseignement de sécurité, le SCRS, pour l'Asie-Pacifique, j'ai constaté un grand déséquilibre entre divers aspects des activités que les services du renseignement chinois mènent au Canada.
Pour comprendre leurs façons d'opérer, nous devons aussi comprendre que leur méthodologie découle d'un ensemble de normes opérationnelles que nous n'avons pas dans le monde occidental. Dans le monde occidental, on utilise souvent l'analogie des grains de sable à la plage. Par exemple, si le service du renseignement russe veut nous voler de l'information, il se rendra à la plage sous le couvert de la nuit avec un seau et une pelle pour remplir son seau autant que possible et s'enfuir avant le lever du soleil.
Les services du renseignement chinois et le gouvernement chinois suivent ce que nous appelons un processus de collecte massive. Ils envoient, disons, mille personnes prendre un bon bain de soleil, et quand elles reviennent en fin de journée, elles secouent toutes leur serviette de plage au même endroit. Les services du renseignement recueillent ainsi une quantité d'information absolument phénoménale.
Nous parlons de déséquilibre, parce que les services du renseignement chinois se sont servis d'un grand nombre d'institutions et de personnes, dont les plus grands atouts sont ce que nous appelons les agents d'influence. Ces agents d'influence au Canada ont réussi à s'infiltrer à différents niveaux de la hiérarchie. Bien que le SCRS ne divulgue pas publiquement autant d'information qu'il le devrait et qu'il ne donne pas autant de séances d'information aux élus qu'on le voudrait, on retrouve ces agents d'influence un peu partout dans les entités fédérales, provinciales et municipales.
M. Dick Fadden, qui était directeur du SCRS il y a de nombreuses années, a tenté d'avertir le grand public, et malheureusement, il a été sévèrement réprimandé par le gouvernement de l'époque. En fin de compte, lorsque nous parlons de déséquilibre, nous n'avons qu'à regarder, par exemple, le nombre de diplomates chinois en poste à Ottawa par rapport à celui des diplomates américains. Les États-Unis sont notre principal partenaire commercial, et nous accusons un déficit commercial avec la Chine, qui a pourtant presque le double de diplomates au Canada. Pourquoi? C'est à cause des activités d'espionnage et de l'ingérence qu'ils pratiquent dans notre pays.
Merci beaucoup.
Je vous transmets les salutations chaleureuses du Pacifique de la part de Tahuna, la terre traditionnelle des Ngai Tahu.
Je vais rapidement vous présenter le contexte géopolitique des activités d'ingérence politique de la Chine, qu'on appelle le « Front uni de la Chine ». On le surnomme aussi la « zone grise » et la « guerre politique ».
Je vous exhorte à les appeler les mesures actives de la Chine, parce qu'en parlant des mesures actives de l'Union soviétique, nous comprenions qu'il s'agissait aussi d'opérations du renseignement. Elles s'articulaient notamment autour d'un front uni, qui est une technique soviétique de base qui n'est pas propre à la Chine. Ces mesures actives comprenaient la désinformation. Elles ciblaient l'élite du pays ainsi que les groupes dissidents de la diaspora. Nous ne comprenons pas toujours en quoi consiste le Département du travail sur le front uni, parce qu'il n'en existe pas d'équivalent chez nous. Toutefois, je crois qu'il nous sera très utile de comprendre en quoi consistent les mesures actives de la Chine.
De plus, on parle souvent du système d'État-parti de la Chine. Je vous exhorte à réfléchir au lien entre l'État-parti et le marché militaire afin de mieux comprendre des relations entortillées comme celles entre l'État et Huawei ainsi que la façon dont les universités soutirent des technologies secrètes pour l'Armée de Libération Populaire.
Je vais passer au contexte de fond. Je vous ai envoyé la présentation PowerPoint qui devait accompagner mon allocution, mais je crois comprendre que votre système de radiodiffusion ne peut pas l'afficher.
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Je comprends. Je suis dans une chambre d'hôtel avec des installations très limitées. Toutes mes excuses.
Pour ce qui est du contexte géopolitique, je vous ai envoyé quelques cartes. L'une d'elles est la nouvelle carte officielle verticale du monde. C'est un monde centré sur la Chine. Elle révèle une réorientation totale, la réflexion fondamentale de la politique étrangère très agressive de la Chine dont Xi Jinping a hérité. Il ne l'a pas inventée. Cette réorientation a commencé dans les années 1980, et même en 1949, mais les grands changements sont survenus dans les années 1980. Vous connaissez probablement les noms de certains de ses influenceurs. Alfred Mahan a souligné qu'une puissance montante doit devenir influente. Il parlait de la mise sur pied d'une marine océanique et de la nécessité de protéger les voies de communication maritimes, parce que la Chine est obsédée par les goulots d'étranglement.
Il y a aussi Halford Mackinder, le fondateur de la géopolitique moderne.
Les secrétaires d'État américains Acheson et John Foster Dulles forment le troisième groupe d'influenceurs. Ils ont décrit deux concepts qui sont cruciaux pour notre compréhension de ce qui se passe actuellement. Le premier est celui de la chaîne d'îles — la première, la deuxième et la troisième chaîne d'îles — qui est à la base des pactes de défense en étoile qui relient les États-Unis à des alliés comme la Nouvelle-Zélande, la Corée et le Japon. Le deuxième concept est celui de l'évolution pacifique. Il souligne que le communisme sera miné dans le bloc de l'Est si l'on tolère un plus grand contact avec le monde extérieur, avec le monde occidental dans le cadre de la culture, de l'éducation et autres. Le Parti communiste chinois, le PCC, a été très influencé par cette façon de penser, et sous Xi Jinping, il a adopté une réaction non seulement défensive, mais très agressive, parce que la Chine est convaincue que l'Occident est faible et divisé.
Ce sont les quatre vecteurs des mesures actives du PCC. J'ai choisi ce terme, que vous entendrez d'ailleurs au Canada et à l'étranger. Le premier regroupe les activités visant à contrôler les communautés chinoises d'outre-mer et leurs médias dans notre société et à les utiliser comme agents de la politique étrangère chinoise, et parfois aussi à des fins d'espionnage. Le deuxième regroupe les « recruteurs de l'élite », qui ciblent notre élite politique et économique. Le troisième est une stratégie mondiale de renseignement visant à orienter le discours international sur les enjeux qui concernent la Chine. Le quatrième vecteur est l'initiative La Ceinture et la Route, qui est un bloc militaire, politique et économique.
Vous voyez donc que l'ingérence politique est l'outil le plus agressif de la politique étrangère de la Chine. C'est un moyen d'atteindre les objectifs de la Chine sans recourir à la force militaire. Il vise à affaiblir l'opposition aux objectifs de la Chine, à établir des relations de clients ou de propriétaires d'actifs avec l'élite et même à installer des collaborateurs au sein de notre élite. Il permet d'accéder à de l'information et à des technologies sensibles — autrement dit, à pratiquer l'espionnage. Il contrôle le discours de la diaspora et le discours international sur les enjeux qui concernent la Chine.
Si vous le souhaitez, je pourrai parler plus tard d'une stratégie résiliente, mais je crois que cet aperçu suffira.
[Français]
Je vous remercie beaucoup de votre attention.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je salue les deux témoins.
Monsieur Juneau-Katsuya, vous avez fait des commentaires dernièrement sur les liens qui existent entre les dirigeants de CanSino Biologics et l'État chinois dans le cadre du Programme des mille talents.
Pour ma part, j'ai posé des questions au Dr Halperin, de l'Université Dalhousie, qui n'a pas exprimé de préoccupations relativement à ces liens.
J'ai aussi posé des questions à M. Iain Stewart, président du Conseil national de recherches du Canada. Il m'a répondu que CanSino Biologics était une entreprise privée cotée à la bourse de Hong Kong et qu'il ne voyait pas vraiment de problème.
Selon vous, est-ce que les hauts dirigeants de nos agences font preuve d'aveuglement volontaire? Ne sont-ils pas plutôt mal informés par les agences de sécurité nationale sur les relations de CanSino Biologics?
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Ils sont très mal informés par les agences de sécurité nationale.
Malheureusement, le Service canadien du renseignement de sécurité, ou SCRS, a pour politique depuis plusieurs années de transmettre le moins d'information possible aux entreprises canadiennes. C'est notre plus grand défaut. C'est la plus grande faiblesse que nous nous sommes imposée nous-mêmes.
Je suis d'accord sur tous les commentaires formulés par Mme Brady aujourd'hui. En matière d'espionnage, la prévention est la seule et unique manière de se défendre. Une fois que le loup est dans la bergerie, il est trop tard.
Le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité a également pris une mauvaise décision lorsqu'il a, à une certaine époque, réprimandé le SCRS, car il avait tenté de faire plus de sensibilisation auprès des entreprises canadiennes. Ce comité est également mal dirigé, selon moi.
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Je suis tout à fait d'accord avec vous. Nous nous trouvons dans une situation déséquilibrée. Nous ne combattons pas sur un pied d'égalité.
Cela est dû en partie au fait que nous retournons au scrutin tous les cinq ans, alors que le gouvernement chinois jouit de sa pérennité. Il n'est pas tenu de changer son plan d'action. Le prochain gouvernement n'aura pas nécessairement de priorités différentes. La vie continue, tout simplement.
Le gouvernement chinois, comme l'ont affirmé ses propres fonctionnaires, n'établit pas ses plans sur des années, mais sur des générations. Il sait qu'il récoltera toujours les semences qu'il plante grâce à sa pérennité.
Que pouvons-nous faire là-contre? Demander la réciprocité. Demander un meilleur équilibre entre ce qu'il nous offre et ce que nous lui offrons.
Je vais vous donner un exemple. Il y a quelques années, nous avons vendu la société Nexen à une entreprise dirigée par le gouvernement chinois pour 15 milliards de dollars. Essayez d'acheter un dépanneur en Chine si vous le pouvez. Je vous mets au défi d'y réussir. C'est impossible.
Lorsqu'une société énergétique est dirigée par des fonctionnaires capables de mettre le pied dans une province comme l'Alberta, si elle doit appeler le premier ministre, elle le fera directement. Je suis Canadien et si j'appelle le premier ministre de l'Alberta, je serai probablement mis en attente à perpétuité.
Voilà donc le déséquilibre auquel nous nous heurtons et que nous devons corriger nous-mêmes.
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Je viens de rédiger un document évaluant les changements que la Nouvelle-Zélande a apportés au cours de ces quatre dernières années depuis que le problème de l'ingérence politique de la Chine fait l'objet d'un débat public.
La conversation publique s'est avérée très efficace. Elle a déclenché une série d'enquêtes qui ont fait l'objet de débats au Parlement, ce qui a entraîné l'adoption d'une nouvelle loi pour parer les points faibles de notre société.
Je tiens vraiment à mettre l'accent sur les mesures législatives, car dans certains secteurs, les gens ont tendance à vouloir corriger le problème sans adopter de loi afin de ne pas offenser la Chine.
Je tiens à souligner qu'en général, les universités ne veulent pas d'une loi comme la Foreign Agent Registration Act, la FARA américaine, mais nous avons besoin de ce type de mesure. Nous avons besoin à la fois de lois et de conversations publiques, car comme on dit souvent, la lumière du soleil est le meilleur désinfectant. Nous avons aussi besoin de sensibiliser le public. Si les gens savent ce qui se passe, ils peuvent choisir judicieusement leurs interactions.
Le problème, c'est que notre ministre de la Sécurité nationale n'a presque pas parlé de ces questions. C'est notre premier ministre, donc c'est à lui de prendre les devants.
Nous avons également vu ce qui est arrivé à l'Australie. Ce pays a été le premier à lancer le débat, mais il l'a fait avec une telle spontanéité qu'il s'est attiré des ennuis.
Je vous répondrai donc que la conversation publique au Parlement est vraiment importante, parce que le hansard protège les intervenants. Le privilège parlementaire protège les gens qui disent des choses qui pourraient être mal reçues hors du Parlement. Ensuite, il faut que les médias comprennent la gravité de ces enjeux, puis il faut adopter des lois qui corrigent les points faibles que la Chine exploite.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je remercie encore une fois nos témoins, qui apportent un éclairage des plus intéressants et des plus pertinents pour notre étude.
Monsieur Juneau-Katsuya, depuis de très nombreuses années au Parlement fédéral, j'expérimente la façon de faire canadienne. Les témoins francophones s'expriment dans les deux langues officielles, et les témoins anglophones s'expriment en anglais. Vous avez confirmé la règle ce soir par votre intervention. Je vous remercie de l'éclairage que vous apportez relativement à notre étude.
Dans votre ouvrage, intitulé Ces espions venus d'ailleurs, vous parlez de la création de sociétés écrans, d'entreprises qui, au fond, n'ont pour objectif que de recueillir de l'information pour le gouvernement chinois.
Au Canada, avez-vous des exemples d'entreprises de ce type?
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Plusieurs entreprises ont été créées, particulièrement dans les années 1990, soit avant la rétrocession de Hong Kong à la Chine continentale, en 1997. Plusieurs étaient effectivement des sociétés écrans, qui venaient ici pour chercher des informations. Elles semblaient vouloir collaborer avec des entreprises canadiennes, mais, une fois qu'elles avaient reçu l'information nécessaire, elles disparaissaient.
Dans la même optique, à titre d'exemple, on a parlé avec le témoin précédent des instituts Confucius. Ces instituts font exactement le même travail à l'heure actuelle. Ce sont, ni plus ni moins, des satellites d'espionnage qui sont envoyés. De même, on a demandé au directeur de l'Institut Confucius du Nouveau-Brunswick de quitter le Canada à la suite d'activités qui s'apparentaient beaucoup plus à de l'espionnage.
Je me souviens d'avoir moi-même enquêté sur un dossier, encore une fois au Nouveau-Brunswick, où un directeur antérieur avait demandé à un employé du gouvernement provincial du Nouveau-Brunswick d'obtenir une adresse courriel officielle pour lui-même afin de pouvoir avoir accès aux informations du gouvernement provincial. Cela lui aurait donné une porte d'entrée à toutes les informations du gouvernement provincial. Ce n'est pas le seul incident que l'on pourrait relater.
Beaucoup d'incidents dans le monde mettent en cause des instituts, comme l'Institut Confucius, ou d'autres entreprises, qui sont venus faire du vol de technologies et d'informations. Dans certains cas, ils viennent aussi collaborer avec le crime organisé chinois. C'est un autre élément particulièrement troublant lorsque l'on voit qu'il y a une certaine collusion entre le gouvernement chinois et le crime organisé pour mener certaines activités.
D'ailleurs, cette situation est présentement étudiée en Colombie-Britannique relativement aux casinos. Cela a été révélé par une transfuge dans les années 1990. Ce transfuge au service de renseignement australien avait indiqué qu'au début des années 1980, à l'époque où il faisait partie des services de renseignement chinois, sa fonction avait été d'aller à Hong Kong pour recruter les triades afin que la rétrocession de 1997 ait lieu sans aucune complication. C'est une autre démonstration de la collusion qui existe entre le crime organisé chinois et les services de renseignement chinois à l'heure actuelle.
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À la suite de chaque élection nationale et aussi après l'élection des gouvernements locaux, le Parlement de la Nouvelle-Zélande mène une évaluation pour voir comment les choses se sont déroulées et si la campagne électorale a soulevé des préoccupations.
Mon gouvernement a mené deux enquêtes sur l'ingérence étrangère. Il a effectué un examen global des élections de 2017, puis des élections d'organismes locaux dans les années qui ont suivi. Nous avons constaté que des groupes et des particuliers avaient fait des dons à nos politiciens locaux et centraux.
C'est pourquoi le débat public est très important. Je vous assure que nos députés et nos maires ne savaient pas qu'ils recevaient de l'argent du PCC. Ils ne comprenaient pas qui étaient leurs partenaires. Ils le comprennent mieux maintenant. Dans notre rapport à la commission électorale de cette année, nous avons pu affirmer que personne n'avait reçu de tels dons pendant la campagne électorale du gouvernement central.
Nous avons découvert des dons inappropriés, et le Serious Fraud Office mène actuellement plusieurs enquêtes sur ces cas. En les traitant, nous saisissons l'occasion d'éduquer les gens. Nous avons également constaté qu'au cours des années précédentes, les médias de langue chinoise diffusés en Nouvelle-Zélande avaient tenté d'inciter le public chinois à voter en bloc pour un parti dont le candidat représentait très évidemment le PCC. Nous avons également constaté une certaine désinformation dans les médias de langue chinoise au sujet des élections. Nous avons aussi vu de la publicité politique déguisée, ce qui contrevient à notre loi électorale.
Malheureusement, nous ne disposons que de mesures très faibles pour régler ces problèmes. Il faut que nous réexaminions notre loi électorale. Il faut que invitions des personnes qui parlent chinois à siéger à notre commission électorale.
Nous devons aussi modifier nos lois sur la presse. En Nouvelle-Zélande, nous n'avons pas encore trouvé moyen de corriger la façon dont la diaspora chinoise est ciblée par le PCC, qui la considère comme une ressource et un outil pour sa politique étrangère. La plupart de ces gens ne sont en fait que des victimes de ses activités. De plus, leurs médias doivent maintenant suivre les mêmes lignes directrices en matière de censure que les médias de Chine.
Notre gouvernement n'a pas encore trouvé moyen de régler ce problème, mais je tiens à souligner qu'hier, dans son important discours sur les relations entre la Nouvelle-Zélande et la Chine, notre ministre des Affaires étrangères a très judicieusement fait l'éloge d'un groupe de la communauté chinoise qui n'adhère pas au PCC. Il faut que nous soutenions mieux nos communautés chinoises locales. Il faut que nous montrions qu'elles sont différentes les unes des autres et qu'elles ne sont pas toutes sous le contrôle du PCC comme le gouvernement chinois le souhaiterait.
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Oui. Mais avant, j'aimerais corroborer les propos de Mme Brady. Ce qu'elle a décrit, nous avons observé exactement la même chose de la part du gouvernement chinois ici même au Canada lors d'élections précédentes.
Pour ce qui est des poursuites et des enquêtes, premièrement, elles ont augmenté. Nous constatons qu'il y a beaucoup plus d'ingérence. Il y a beaucoup plus d'agents d'influence à des échelons très stratégiques des trois paliers de gouvernement, municipal, provincial et fédéral.
En ce qui concerne les poursuites, il y a un problème au sein même de notre propre système. Les poursuites relèvent de la GRC. Le SCRS ne peut pas intenter de poursuites et, malheureusement, il ne s'entend pas bien avec les autres enfants dans la cour d'école. Il ne communique pas très bien l'information. Il ne le fait pas comme il le devrait, et la GRC a perdu la capacité d'enquêter sur les activités d'espionnage parce qu'elle n'est plus dans le coup depuis la création du SCRS en 1984.
Nous devons rajuster le tir. Le comité parlementaire sur la sécurité et le renseignement qui a été créé est un moyen de le faire. Notre problème et notre faiblesse, c'est que tous les cinq ans, nous avons un nouveau groupe de personnes dans ce comité, avec un nouveau groupe d'analystes.
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Vous me mettez vraiment à l'épreuve aujourd'hui.
C'est encore un débat difficile au gouvernement. Le problème que nous avons en Nouvelle-Zélande, c'est que nos législatures ne durent que trois ans. En 2017, le débat sur l'ingérence politique de la Chine est devenu public tout à coup après la publication de mon article, et il a confirmé ce que disait notre service du renseignement de sécurité. Lorsque le nouveau gouvernement a été formé, il lui a fallu six semaines pour rallier une coalition. Il a dû faire ses propres évaluations. Cela a pris six mois et c'était ardu, parce que cela ébranlait complètement notre pensée du moment au sujet de la Chine, qui était vue surtout comme un partenaire économique; il y avait aussi une espèce d'appréhension désespérée d'un problème auquel nous ne pouvions rien.
Mon pays a finalement décidé que la sécurité nationale l'emportait sur la sécurité économique. Autrement dit, sans sécurité nationale, il n'y a pas de sécurité économique, et tout le monde doit apprendre cette leçon, depuis les entreprises jusqu'aux universités.
Ensuite, il a fallu encore un an pour lancer cette enquête sur l'ingérence étrangère, et il y a eu toute une bataille pour amener le débat sur la place publique.
C'est un travail de patience. À la fin de la première enquête, qui a duré plus d'un an, notre ministre de la Justice a déclaré que nous allions adopter d'autres lois. Je pense que vous savez grâce à votre propre façon de procéder au Canada que cela prend du temps, justement parce que le problème est si grave dans notre société et si endémique, comme le signalait M. Juneau-Katsuya. Toutefois, nous nous attaquons au problème et nous adoptons tranquillement des mesures législatives qui portent, par exemple, sur l'investissement étranger en Nouvelle-Zélande, auquel s'appliquent maintenant des critères de sécurité nationale.
Je peux vous faire parvenir un document que j'ai écrit récemment et qui montre les changements législatifs. Comme nous vivons en démocratie, nous devons tenir ce débat sur la place publique. Nous ne changeons pas nos politiques de façon arbitraire. C'est notre force, mais aussi notre faiblesse et notre vulnérabilité, et le Parti communiste chinois compte bien jouer là-dessus.
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Je pense qu'il est grand temps d'appeler un chat un chat.
Dans l'histoire moderne, la Chine représente probablement, pour le Canada, l'adversaire et la menace les plus redoutables pour notre démocratie, pour notre économie et pour les citoyens canadiens d'origine chinoise ou d'autres origines.
Le gouvernement chinois ne perçoit pas de la même manière que nous la relation avec les autres qui font du commerce. Pour lui, il s'agit essentiellement d'une guerre, et à la guerre, tous les coups sont permis. Il est donc prêt à faire ce qu'il faut, c'est-à-dire soudoyer, tricher, mentir et intimider, parce que le but du jeu est de gagner, point final.
En fin de compte, si vous voulez vraiment comprendre comment fonctionne le gouvernement chinois, apprenez à jouer au go, parce que le jeu de go consiste essentiellement à acquérir du territoire et à exercer de l'influence sur la planche de jeu. Cela n'a rien à voir avec la chance, mais avec la stratégie. Les Chinois sont des stratèges redoutables et le recours à l'influence est très important.
Le changement de politique et la volte-face du directeur du SCRS, qui a enfin nommé la Chine pour ce qu'elle est, devraient aussi être une indication ou un signe pour notre gouvernement et nos représentants élus que nous devons tenir tête à la Chine. Malheureusement, nous avons nos dissensions sur la scène internationale, où nous ne travaillons pas nécessairement ensemble. Nous voyons seulement les affaires de Huawei. Lorsque nous avons donné des signes de faiblesse, d'autres sont venus de l'arrière pour essayer de combler le vide que nous avions laissé. Nous devons être capables de coopérer à l'échelle internationale et certainement d'essayer de travailler ensemble au Canada aussi.
Un des grands problèmes que j'ai observés dans la fonction publique, par exemple, c'est à propos de notre conflit avec Huawei. Peu après que les troubles ont commencé, avec les procédures judiciaires et tout le reste, nous avons vu le ministère des Affaires mondiales se tourner vers une entreprise chinoise, Nuctech, qui fait autant problème que Huawei, pour sécuriser nos ambassades et nos consulats moyennant plusieurs millions de dollars. C'est comme si la main droite ne parlait pas à la main gauche. Nous faisons des choses au gouvernement, mais nous n'avons pas l'appui de nos fonctionnaires. Je parle des Affaires mondiales. Si un ministère aurait dû être au courant de ce qui se passait, c'est bien lui. Il y a un coup de pied au derrière qui s'est perdu quelque part.
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Malheureusement, oui, c'est le cas.
Le dossier chinois en particulier est très mal compris par l'ensemble du gouvernement canadien, et même par le SCRS, à l'occasion. On perçoit mal la menace et on la comprend mal, malheureusement. Les Chinois opèrent et pensent différemment. Ils ont des moyens opérationnels très différents. Cela nous échappe.
On se doit d'avoir une plus grande rigueur, sans, nécessairement, verser dans l'exclusion ou le racisme. Il faut assurément beaucoup plus de rigueur pour être en mesure de comprendre les techniques d'opération.
Il est essentiel de comprendre le jeu d'influence. Les Chinois jouent avec les leviers d'influence, que ce soit en investissant de l'argent ou en se rapprochant de certains élus, pour faire dévier le cours des choses vers la direction qu'ils souhaitent.
Lorsque j'ai abordé cette question, au sein même du SCRS ou du gouvernement, on m'a trop souvent répondu que, dans le cadre du système capitaliste, il fallait accorder des chances à la Chine. Toutefois, ce sont les Chinois qui ont inventé le capitalisme. Ils savent beaucoup mieux que nous jouer avec le système capitaliste. Ils savent exactement quels leviers d'influence ils peuvent utiliser.
Il y a un manque de sensibilité et un manque d'écoute. À titre d'exemple, Innovation, Sciences et Développement économique Canada peut, à une certaine étape du processus, consulter les services de renseignement en matière de sécurité nationale. Si ces derniers mentionnent qu'il y a un danger, le ministère peut refuser qu'une entreprise étrangère s'établisse ici sans avoir à dévoiler quoi que ce soit. Dans le cas qui nous intéresse, il s'agit d'une entreprise chinoise. Or ce mécanisme est très peu utilisé, et ces préoccupations sont très peu écoutées.
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Merci de votre question.
Il faut être très lucide au sujet du PCC. On n'arrivera pas à saisir tous les aspects des mesures actives du PCC ou de la Chine. Cela arrive comme une vague, que rien n'arrête.
Je pense que nous devons tirer des leçons de l'expérience de la Lituanie, de l'Estonie, de la Finlande et de la Lettonie, qui composent depuis longtemps avec l'ingérence politique russe. Ce qu'elles font pour avoir une société résiliente, à part adopter d'excellentes lois sur l'ingérence politique — et je vous recommande celle de la Lituanie en particulier —, c'est qu'elles éduquent leur population. La Finlande, par exemple, offre régulièrement des cours sur la désinformation à l'intention du grand public. Elle informe la population, sans dire nécessairement d'où vient la désinformation.
Nous devons être réalistes et savoir que nous n'allons pas saisir chaque aspect, mais nous avons la loi et nous avons une bonne campagne publique en marche qui aidera à éduquer notre population et à nous garder forts et résilients. Nous pouvons nous attendre à ce que la Chine fasse de l'ingérence politique indéfiniment sous la gouverne de Xi Jinping; raison de plus d'aborder le problème avec lucidité.
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Merci, monsieur le président.
[Français]
Mesdames et messieurs, bonsoir.
C'est avec plaisir que je suis ici pour vous faire part de mes points de vue concernant certains enjeux que je perçois actuellement, tout comme mes concitoyens, relativement à la sécurité de leurs informations personnelles et des méthodes modernes de commerce en ligne, eu égard à ce que représentent les entreprises chinoises dans notre société.
Je peux résumer la situation de la façon suivante. Les citoyens, les entreprises de toutes tailles et tous les ordres de gouvernement au pays sont tous, sans exception, égaux devant les cyberrisques et les cyberattaques.
Au cours des 20 dernières années, nous avons subi d'énormes revers économiques à cause de cyberopérations dirigées contre des entreprises et des gouvernements.
Au cours de ces années, nos chercheurs et développeurs ont mis au point des technologies de pointe qui font, ou plutôt qui faisaient, l'envie du reste du monde. Les services de renseignement chinois, ou MSS, et les groupes pirates de citoyens chinois favorables au Parti communiste chinois de la République populaire de Chine et tolérés par celui-ci se sont allègrement amusés à agir contre nos institutions et entreprises.
L'Évaluation des cybermenaces nationales 2020 du Centre canadien pour la cybersécurité ainsi que l'organisme américain Office of the Director of National Intelligence, ou ODNI, sont unanimes: les objectifs stratégiques poursuivis par la Chine, comme l'initiative Made in China 2025 et les activités qui auront lieu à l'occasion du centenaire de la Chine communiste, en 2049, représentent un cyberrisque important.
En cette période de crise sanitaire que nous connaissons en 2021, les chercheurs du milieu de la santé du Canada ont constaté que les acteurs se livrant à des activités présentant une menace pour le pays, tant externes qu'internes, nuisent à l'élaboration et au déploiement de solutions de prévention et d'atténuation des risques liés à la pandémie de COVID-19.
Auparavant, les menaces étaient dirigées contre le développement économique, les institutions gouvernementales et notre façon de vivre, bref, contre les infrastructures essentielles.
Au cours des 20 dernières années, la Chine a travaillé fort pour rattraper son retard en matière d'innovation et de développement dans les pays de l'Ouest.
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D'accord, monsieur le président.
L'exemple le plus éloquent pour les Canadiens est sans aucun doute le vol, entre 2000 et 2009, des brevets de fabrication, des plans stratégiques et des autres types de propriétés intellectuelles de Nortel.
Ces informations stratégiques sont passées des mains du MSS à celles des ingénieurs de Huawei, alors que des dirigeants de Nortel au Canada faisaient fi des avertissements de la GRC et du SCRS.
Les interventions de l'unité 61398 de l'Armée de libération du peuple, ou ALP, chez Nortel se sont poursuivies ailleurs dans le monde ainsi qu'à Calgary, en 2012, où l'unité s'est infiltrée et a volé le code source du fabricant de systèmes de contrôles industriels Telvent. C'est le type de contrôle que l'on retrouve dans les réseaux de distribution électriques, les systèmes de distribution et d'assainissement de l'eau, les transports en commun structurés, comme les métros, ainsi que dans la majorité des oléoducs de gaz et de pétrole de l'Amérique du Nord. Plus que jamais, nos infrastructures essentielles sont exposées à risque à cause de cette situation.
Je tiens à mentionner aussi le spectaculaire vol de données de recherche fondamentale sur la sécurité quantique des réseaux informatiques du Conseil national de recherches du Canada, ou CNRC, qui a eu lieu à Ottawa et à London en 2014.
Les services de contre-espionnage américains, soit le National Counterintelligence and Security Center, ou NCSC, nous mettent maintenant en garde contre la collecte indue et abusive de données sur l'ADN par des compagnies pharmaceutiques chinoises.
Que pouvons-nous faire?
Contrairement à certains de ses alliés et pays amis, le Canada n'a toujours pas pris de décisions stratégiques concernant l'exclusion de l'entreprise Huawei comme partenaire d'affaires et concurrent dans la course à la 5G. Le gouvernement actuel tarde à dire s'il se range aux côtés de ses alliés, ou non, devant Huawei.
Le vendredi 16 avril dernier, des instances du gouvernement du Québec se sont dites désireuses de faire affaire avec des entreprises chinoises comme Huawei, sans procéder à une évaluation des menaces et des risques.
Une telle déclaration démontre bien à quel point nos dirigeants ne sont pas adéquatement informés quant aux enjeux liés à la cybersécurité par rapport aux décisions économiques qui semblent favorisées. Une importante entreprise de télécommunication des Pays-Bas a appris à ses dépens qu'elle n'était pas adéquatement informée en la matière. Elle a d'ailleurs pu démontrer comment des conversations de son premier ministre avaient pu être écoutées à partir de la Chine depuis 2010.
La Chine a aussi récemment démontré sa capacité à pirater un réseau de distribution électrique dans la région de l’Himalaya dans le cadre de son conflit avec l'Inde.
Est-ce que nous et nos voisins américains sommes capables de détecter et d'arrêter à temps une telle intrusion par les pirates chinois afin de prévenir des cyberattaques sur nos réseaux électriques de l'ampleur de celles ayant occasionné la panne de 2003?
Nous sommes en cyberguerre, dans le contexte d'une guerre de l'information.
Il faut améliorer ce qui fonctionne moins bien et favoriser les initiatives qui aideront les différents intervenants à contribuer à une meilleure qualité de vie, physique comme numérique. Cela nous aiderait à redevenir les meneurs que nous sommes fondamentalement dans l'économie mondiale.
Je suis prêt à répondre à vos questions dans les deux langues officielles.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant le Comité. Cela me fera plaisir de répondre aux questions dans les deux langues officielles, mais je vais faire mon discours en anglais.
[Traduction]
Je pense que la Chine représente la plus grande menace à la politique étrangère occidentale du Canada depuis des décennies. On peut voir la force militaire de ce pays et la façon dont il compense certaines de ses faiblesses, ainsi que son poids économique et ses ambitions mondiales. Retenons que les Canadiens doivent commencer à voir le monde pour ce qu'il est plutôt que pour ce qu'ils aimeraient qu'il soit. C'est un monde hautement concurrentiel et hautement contesté sur le plan géopolitique, un monde ébranlé par des conflits permanents et au seuil d'une guerre conventionnelle ou nucléaire. Nous ne voyons ici qu'une partie de ce vaste spectre où nous subissons de fortes pressions sur de nombreux fronts. C'est le cas depuis 2008.
Je pense que pour décrire la relation avec la Chine, il vaut mieux parler « d'interdépendance concurrentielle ». L'Alaska est un bon exemple. Nous avons passé une heure à faire de la démagogie des deux côtés, puis nous avons eu huit heures de dialogue stratégique sur des questions fondamentales d'intérêt commun. Nous devons comprendre que, même si nous sommes d'accord autour de nombreux enjeux en matière d'interdépendance concurrentielle — sur le plan économique, par exemple —, il y a aussi bien d'autres enjeux et intérêts sur lesquels nous accusons des différences fondamentalement irréconciliables. Il nous faut retenir que le Canada ne peut pas imposer sa volonté à la Chine, mais qu'il ne doit pas non plus accepter un rôle subordonné dans cette relation. Nous devons nous préparer à une concurrence systémique à long terme.
La concurrence porte essentiellement sur la façon de libérer le potentiel national et de réaliser nos ambitions nationales. En fin de compte, cela nous ramène davantage à une question de concurrence qu'une question de confrontation. Parfois, il suffit de coopérer avec ses concurrents. Il ne s'agit pas d'une relation monochromatique, et c'est, je pense, ce qui nous réunit ici ce soir. Il faut reconnaître, et c'est tout à l'honneur du Comité, que vous êtes aux prises avec une relation extrêmement difficile et complexe, caractérisée par une interdépendance incontournable dans toutes sortes de domaines, de l'économie du savoir aux questions comme l'Iran et la Corée du Nord.
Que peut faire le Canada? D'abord, nous devons prendre acte de ce que nous pouvons faire et ne pouvons pas faire. Nous ne déciderons pas du type de régime que va adopter la Chine, et nous ne pouvons pas fixer la taille de l'économie chinoise. Nous pouvons, par exemple, nous dire que les quatre attributs de la formule qui a permis à la Chine d'en arriver là au cours des 40 dernières années — sur lesquels je ne peux m'étendre par manque de temps — ne s'appliquent plus. L'avenir ne ressemblera pas à une trajectoire linéaire comme celle que nous avons vue dans le passé. La Chine se dit qu'elle n'a plus de relations stables avec les États-Unis et qu'elle doit donc se renforcer pour soutenir la concurrence stratégique. Je pense que le Canada doit faire de même. Il doit se fortifier en s'appuyant sur ses amis.
Nous devons donc, entre autres choses, contrer le discours chinois selon lequel l'Est est en plein essor et l'Ouest en plein déclin. Les médias chinois sont de grands producteurs de récits, et les systèmes autoritaires excellent toujours à mettre en valeur leurs forces et à dissimuler leurs faiblesses. Nous devons apprendre à faire la distinction entre l'image et la réalité et ne pas y adhérer par inadvertance. Ayons confiance en nous. Ne gonflons pas la menace, mais ne la militarisons pas non plus à des fins politiques.
N'oublions pas non plus que la Chine n'est pas infaillible, que l'alarmisme ne nous aide pas et que la Chine a beaucoup de vulnérabilités. Le Canada est beaucoup mieux placé que la Chine pour relever les défis du XXIe siècle en ce qui concerne le PIB par habitant, l'énergie, la sécurité alimentaire, la démographie, l'éducation, l'harmonie sociale, l'immigration, l'affectation des capitaux, la transparence des systèmes géopolitiques et ainsi de suite.
Au lieu de nous concentrer sur la façon de parvenir à affaiblir la Chine, nous devons nous concentrer sur la façon de nous renforcer, nous. Ce faisant, il sera plus facile d'unir nos alliés. Ce qui importe le plus en matière d'influence, c'est de faire des choix. Nous devons choisir les thèmes importants pour nous et pour lesquels nous voulons changer les choses. Sur ces divers plans, nous devrons réduire l'écart avec nos alliés. Nous devrons stimuler notre dynamisme national et tirer parti de notre réseau mondial et de nos alliances et partenariats.
Au cours de la session précédente, il a beaucoup été question du Groupe des cinq. Bien entendu, le Groupe des cinq n'est plus seulement une communauté du renseignement électromagnétique. Le renseignement touche désormais à l'application de la loi, aux frontières, au renseignement humain et au renseignement financier. Nous faisons beaucoup de choses et nous pouvons en faire beaucoup plus encore. Nous devons renforcer notre prestige dans le monde, parce que c'est un aspect sur lequel la Chine n'a aucun contrôle, contrairement à nous.
Nous devons nous poser des questions. Qu'est-ce qui est d'intérêt national pour le Canada? Prenons l'exemple du Xinjiang ou d'autres cas de figure. Nous devons donner l'exemple. Nous devons nous exprimer clairement et de façon cohérente. Nous devons faire comprendre clairement à la Chine qu'il n'y aura pas de relation normale tant que cette ombre immense planera au-dessus de nos relations. Nous devons être attentifs aux biens et aux articles qui sont produits par le travail forcé, comme on l'a déjà souligné.
Nous devons...
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D'accord, je vous remercie.
Il y a plusieurs années déjà, vous sonniez l'alarme sur l'importance de mieux sensibiliser nos chercheurs universitaires et nos réseaux de recherche aux potentielles infiltrations d'acteurs étrangers qui, par exemple, ont des liens directs avec l'Armée populaire de libération de la Chine. Ces gens sont sur les campus universitaires canadiens et infiltrent les réseaux de recherche.
Selon le « Rapport public du SCRS 2020 », il y a eu une forte augmentation des activités pendant la pandémie de COVID-19. Le rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, ou CPSNR, mentionne également que le Canada a été la cible, au cours de la dernière année, d'efforts soutenus et accrus qui ont été déployés par des acteurs étrangers, notamment la Chine, la Russie et l'Iran.
Selon vous, quel est le degré de sensibilisation des réseaux de chercheurs universitaires quant à cette menace que représente, par exemple, la Chine?
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Je vous remercie, monsieur Waterhouse, monsieur Leuprecht, d'être parmi nous ce soir.
Monsieur Leuprecht, nous avons eu l'occasion de discuter il y a quelques jours à peine.
Monsieur Waterhouse, en tant qu'ancien ministre de la Sécurité publique du Québec, j'ai trouvé très intéressant de vous entendre dire que le Québec prétend pouvoir faire les choses par lui-même. Quand la situation se rétablira et que nous pourrons aller prendre un café, j'aimerais que nous en discutions.
Messieurs, je suis totalement fasciné par les appréhensions exprimées à l'égard d'une puissance comme la Chine en matière de cybersécurité. Selon un dénommé Greg Austin, qui dirige le Cyber, space and future conflict programme à l'Institut international d'études stratégiques, les capacités de cyberdéfense de la Chine seraient nettement inférieures à celles de la plupart des puissances occidentales, dont le Canada. Selon lui, le Canada se classe au 9e rang parmi les 155 pays évalués, tandis que la Chine se classe au 27e rang.
Pourquoi la Chine est-elle à ce point une menace pour le Canada?
À la lumière de ces informations fort intéressantes, je me demande pourquoi le Canada et les autres puissances occidentales ne sont pas pour la Chine une menace équivalente ou supérieure en matière de cybersécurité.
Ma question s'adresse aux deux témoins.
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Monsieur Bergeron, j'accepte votre invitation à prendre un café. N'importe quand, ce sera un plaisir pour moi.
Je n'ai pas pris connaissance des points d'évaluation de M. Austin. Je ne sais pas comment il est arrivé à déterminer la position de la Chine et celle du Canada. Par contre, je peux vous dire qu'un élément important est la force de frappe de chacun. La Chine dispose d'une équipe d'environ 100 000 cybersoldats, si je peux me permettre d'utiliser cette unité de mesure. Aux États-Unis, il y en a entre 5 000 et 6 000 qui travaillent à la National Security Agency, à Fort Meade. Au Canada, seules 200 ou 300 personnes ont pour mandat de faire de la cyberdéfense. Livrer des cyberattaques est même un mandat récent.
Il faut savoir, à propos des rapports de force, si, par rapport à la Chine, nous maîtrisons la technologie à cent pour cent. La Chine est en mesure d'absorber des pertes, mais ce n'est pas notre cas. Cela aurait plus de conséquences pour nous.
Il faudrait que j'étudie davantage cette question pour être en mesure de mieux comprendre la position de M. Austin.
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Le paysage est différent de ce qu'il était il y a 20 ou 30 ans, quand l'économie était favorable à l'installation des entreprises en Chine, et que les Chinois voyaient cela d'un bon œil. Ils créaient des emplois chez eux et nous bénéficions de prix très bas. C'est ainsi que notre économie a pu tourner à plein régime, mais les règles du jeu ont changé et nous voyons maintenant les lignes claires tracées par la Chine, tout comme son ambition de tout faire faire chez elle pour devenir le manufacturier de la planète.
Cela étant posé, force est de constater que les Chinois se préoccupent peu de la provenance de leurs informations pourvu qu'ils mettent la main dessus, surtout dans le cas du secteur manufacturier. Quand tout sera terminé, nous ne pourrons plus rien faire. Il ne nous restera plus qu'à appeler la Chine pour lui acheter des produits au prix fort.
Cela dit, nous devons reconnaître que l'économie qui nous a poussés à aller en Chine pour tout fabriquer là-bas a changé. Les gros fabricants, en particulier dans le secteur des semi-conducteurs, modifient leurs plans et prévoient maintenant fabriquer des téléphones intelligents, des tablettes et des appareils électroniques aux États-Unis ou au Vietnam, par exemple, ou ailleurs en Asie, parce qu'il existe un risque réel qu'à un moment donné, ils ne disposent plus de la souplesse voulue pour retourner en Chine et continuer comme avant.
Deuxièmement, les importants fabricants de puces électroniques présents à Taïwan envisagent un plan B, parce que si, soudainement, la Chine décidait de prendre le contrôle de l'île, comme elle a menacé de le faire, cela aurait un impact important sur le marché électronique.
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Je vais vous donner un bref aperçu de ce qu'il en est.
Sur le plan démographique et du niveau d'emploi, la Chine atteindra son pic d'ici 2025. Elle a déjà maximisé ses gains de productivité. À l'heure actuelle, elle compte huit travailleurs chinois par retraité et, d'ici 2050, ils seront deux. La Chine devra d'abord maîtriser le vieillissement de sa population avant de s'enrichir.
Son niveau d'endettement augmente — 300 % du PIB en 2019 — et elle ne peut donc pas continuer de progresser comme l'a fait, par exemple, la Corée du Sud ou Taïwan. La Chine manque de temps pour rattraper son retard, et c'est pourquoi le président Xi redouble d'efforts. Il sait qu'il doit faire vite.
Par ailleurs, le système politique est sclérosé, il présente une rigidité toute léniniste. Il y a de moins en moins de place pour l'innovation et pour des décisions relevant du sommet. Les mauvaises nouvelles ne sont jamais tolérées au sommet. C'est ce qui explique les difficultés ayant entouré la communication d'informations au sujet du virus.
On constate que la Chine est de plus en plus mal vue, au point que le phénomène a atteint des sommets historiques dans divers pays partenaires et alliés, dont le Canada. La Chine est soumise à des contraintes budgétaires en raison du ralentissement de son économie. Il y a une demande croissante de sa population et une société vieillissante. Il faut sérieusement craindre que la Chine se retrouve en défaut de paiement pour certains de ses prêts au titre de son initiative La Ceinture et la Route, ce qui aurait de graves répercussions sur la légitimité des dirigeants chinois, qui ont vraiment vendu cette idée comme étant l'avenir de la Chine. Les Chinois sont aussi vulnérables sur le plan de la sécurité alimentaire et énergétique, parce que le pays ne peut pas produire suffisamment de nourriture pour sa population et qu'il importe la moitié de son pétrole du Moyen-Orient.
Je peux continuer, si vous voulez.
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Cela ne fait aucun doute.
Regardons les pays qui étaient dans une très bonne position quant à leur service de renseignement, que ce soit Taïwan, l'Australie ou même le Vietnam. Leurs réponses étaient très rapides, non seulement grâce à leur service de renseignement, mais aussi grâce à leur capacité d'évaluation.
[Traduction]
Les Chinois ont une capacité d'évaluation stratégique, à l'instar des États-Unis, de l'Australie et du Royaume-Uni, mais pas au Canada. Nous n'avons pas la capacité de
[Français]
fournir des conseils stratégiques et des renseignements à notre gouvernement. Nous n'avons pas non plus de plan sur la biosécurité. Nous avons dépensé
[Traduction]
environ 400 milliards de dollars,
[Français]
et un service de renseignement nous coûterait à peu près 500 millions de dollars par année.
[Traduction]
C'est un dixième de pour cent de ce que nous dépensons pour lutter contre la pandémie. Je pense qu'il vaudrait la peine de payer cette prime.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Bonsoir, messieurs Leuprecht et Waterhouse. Je vous remercie de contribuer à cette étude que nous menons.
D'abord, monsieur Leuprecht, je suis très content de vous entendre. Je crois que c'est l'une des premières fois qu'un témoin nous parle de l'aspect vulnérable de la Chine, par exemple, et des façons de s'adapter, même si vous nous dites qu'on doit ajuster certaines priorités politiques fédérales.
Monsieur Waterhouse, au début de votre présentation, quand vous parliez de métros, d'oléoducs et de tout cela, j'ai eu une certaine inquiétude.
Puisque vous êtes un ancien officier des systèmes d'information, trouvez-vous que, en 2021, l'infrastructure de sécurité au Canada a régressé?