:
La séance est ouverte. Bienvenue à la septième séance du Comité spécial sur les relations sino-canadiennes. Conformément à la motion adoptée le mercredi 23 septembre 2020, le Comité se réunit pour étudier les relations entre le Canada et la Chine.
[Français]
La réunion d'aujourd'hui est en format hybride. La réunion est également télévisée et elle sera accessible sur le site Web de la Chambre des communes.
[Traduction]
Voici quelques règles à suivre pour assurer le bon déroulement de la séance.
Les membres du Comité et les témoins peuvent s’exprimer dans la langue officielle de leur choix, car des services d’interprétation sont disponibles. Vous avez le choix, au bas de votre écran, entre le parquet, l’anglais et le français. Avant de parler, veuillez attendre que je vous donne la parole. Si vous participez par vidéoconférence, veuillez cliquer sur l’icône du microphone pour annuler la sourdine.
[Français]
Je vous rappelle que toutes les interventions des membres du Comité ainsi que celles des témoins doivent être adressées à la présidence.
Je vous demanderais de parler lentement et clairement.
[Traduction]
Lorsque vous ne parlez pas, votre micro doit être en sourdine.
Je souhaite maintenant la bienvenue au ministre des Affaires étrangères, l’honorable François-Philippe Champagne, ainsi qu’à Marta Morgan, sous-ministre, et à Weldon Epp, directeur général, Direction générale de l’Asie du Nord et de l’Océanie.
Merci à tous.
[Français]
Je vous remercie beaucoup d'être ici.
J'invite maintenant monsieur le ministre à faire sa présentation d'ouverture.
Monsieur le ministre, vous avez la parole.
:
Je vous remercie, monsieur le président.
Chers collègues, mesdames et messieurs les députés, c'est un grand plaisir pour moi d'être avec vous ce soir, et je vous remercie de m'avoir invité à témoigner devant vous aujourd'hui.
Le travail que vous faites ici est important, car les relations entre le Canada et la Chine sont importantes pour les Canadiens.
[Traduction]
Je tiens d’abord à remercier les fonctionnaires qui m’accompagnent aujourd’hui. Je vous remercie de votre temps et je vous remercie également d'être au service du Canada. Je prends également un moment pour remercier l’ambassadeur Barton, notre équipe des différentes missions en Chine et nos diplomates dans ce pays, qui ont fait un travail extraordinaire, je me souviens, au cours de la première phase du rapatriement depuis Wuhan.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie de m’avoir invité à comparaître. Le travail que vous faites, comme je l'ai dit, est essentiel, car la relation entre le Canada et la Chine est importante pour tous les Canadiens. Les pays qui composent la région indo-pacifique sont des moteurs de prospérité économique pour le Canada et pour le monde entier.
Selon certaines estimations, dans 10 ans à peine, l’Asie assurera environ 60 % de la croissance économique mondiale. Les relations bilatérales et multilatérales que nous favorisons et la stabilité de la région permettent de créer des emplois, d'ouvrir des marchés, de relier des sociétés et de soutenir les familles canadiennes chez nous. Deuxième économie en importance au monde et comptant 1,4 milliard d’habitants, la Chine est un acteur clé dans la région et bien au-delà.
[Français]
Cette année marque les 50 ans de la relation diplomatique entre le Canada et la Chine. Cinquante ans plus tard, je ne pense pas que quiconque puisse dire que ces relations sont faciles. Les Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor sont maintenant détenus arbitrairement depuis près de deux ans.
Nos relations avec la Chine sont complexes et multidimensionnelles, non seulement pour le Canada, mais aussi pour les démocraties du monde entier. La Chine change sous nos yeux et à un rythme accéléré.
[Traduction]
Nous reconnaissons l’influence croissante de la Chine sur la scène internationale, en tant que plaque tournante mondiale de la fabrication, du commerce, des prêts, et aussi à titre de plus grand pays commerçant au monde. Elle est le premier partenaire commercial d’un nombre étonnant de 124 pays. C’est le premier partenaire commercial de l'Afrique, le deuxième de l'Amérique latine. La Chine est aussi un partenaire commercial important pour le Canada, tant pour les importations que pour les exportations. La valeur du commerce bilatéral de biens et de services entre les deux pays a été multipliée par huit au cours des 20 dernières années.
De plus, la Chine peut être un acteur clé sur la scène mondiale pour lutter contre les changements climatiques et la COVID-19, ou pour assurer la stabilité des marchés financiers et le développement économique mondial.
La Chine, dont le financement de l’aide au développement en Afrique et en Amérique latine est important, s’impose de plus en plus comme un acteur influent dans les pays en développement. Ainsi, dans le cadre de son initiative Nouvelle route de la soie, la Chine a signé des accords de coopération avec 138 pays pour construire des infrastructures qui la relieront aux pays en développement. Les banques chinoises ont déjà accordé des prêts d’une valeur de plus de 461 milliards de dollars américains, ce qui soulève de nombreuses préoccupations concernant la viabilité de la dette, la transparence et les normes internationales en matière de travail et d’environnement.
L’ambition de la Chine atteint même la région arctique, où elle vise à développer des voies de navigation. Elle parle de la route polaire de la soie. C’est là une nouvelle réalité dont nous devons tenir compte dans nos échanges très lucides, comme je l'ai dit quelques fois.
La Chine de 2020 n’est pas la Chine de 2015, ni même celle de 2018.
L'essor de la Chine a fait surgir des menaces troublantes pour les droits de la personne, les accords d’autonomie de longue date... [Difficultés techniques]... et les institutions internationales qui sous-tendent l’ordre fondé sur des règles dont le Canada est un ardent défenseur. Nous voyons un pays et des dirigeants de plus en plus disposés à peser de tout leur poids pour défendre leurs intérêts.
[Français]
Cela inclut le recours à une diplomatie coercitive, comme la détention arbitraire des Canadiens Michael Kovrig et Michael Spavor. Ce sentiment n'est cependant pas ressenti uniquement par moi au Canada. Les démocraties du monde entier sont en train de repenser leurs propres relations avec la Chine.
[Traduction]
Le multilatéralisme sera essentiel à la stabilité et à la sécurité mondiales dans un monde où la Chine est un acteur puissant. C’est pourquoi nous travaillons avec des pays aux vues similaires pour défendre l’ordre international fondé sur des règles et veiller à ce que la Chine honore ses obligations en vertu du droit international en matière de droits de la personne. Dans nos relations avec ce pays, nous serons résolument guidés par les intérêts du Canada, ses valeurs et ses principes fondamentaux, y compris les droits de la personne, ainsi que par les règles mondiales et les partenariats stratégiques.
Soyons clairs, la sûreté et la sécurité des Canadiens chez eux et à l’étranger seront toujours au cœur de notre approche.
Des tactiques telles que la diplomatie coercitive, y compris la détention arbitraire, sont inacceptables dans la conduite des relations entre États, et j’ai soulevé cet enjeu non seulement avec nos alliés, mais aussi directement avec mon homologue chinois.
Nous contestons et continuerons de contester les violations des droits de la personne commises par la Chine, et nous protégerons toujours les Canadiens au nom de notre sécurité nationale. Nous livrerons concurrence grâce à nos entreprises innovantes et aux ressources abondantes qui nous permettent de le faire, et nous coopérerons pour surmonter les défis mondiaux comme les changements climatiques, parce qu’il n’y a pas de solution facile sans la Chine.
Plus de 700 jours se sont écoulés depuis l’arrestation et la mise en détention arbitraires de MM. Kovrig et Spavor, ainsi que la condamnation arbitraire de M. Schellenberg, et nous restons profondément préoccupés. Nous continuons de réclamer la libération immédiate de MM. Kovrig et Spavor, et la clémence pour M. Schellenberg, comme nous le faisons pour tous les Canadiens qui risquent la peine de mort.
Tous les membres du Comité, et même tous les Canadiens, s'indignent de la détention de MM. Kovrig et Spavor et s’inquiètent de leur bien-être. Je voudrais également saluer la résilience dont les familles font preuve et leur soutien de tous les instants.
Enfin, après de longs mois, nous avons récemment obtenu un accès consulaire virtuel à MM. Kovrig et Spavor. J’ai personnellement soulevé cette question lors d’une réunion avec mon homologue, le conseiller d’État Wang Yi, à Rome, en août dernier. Nous avons travaillé sans relâche.
Depuis octobre, l’ambassadeur Barton s’est rendu à deux reprises dans les prisons où les deux Canadiens sont injustement détenus pour mener des visites virtuelles sur place afin de confirmer personnellement leur état de santé et leur bien-être. C’est un progrès très important, et nous continuons à travailler d'arrache-pied pour obtenir leur libération.
En ce qui concerne Hong Kong, l’imposition de la nouvelle loi sur la sécurité nationale dans cette région a soulevé de graves préoccupations au sujet de l’avenir du système judiciaire indépendant de Hong Kong, de l’avenir des droits de la personne et des libertés dans la région administrative spéciale, de l’intégrité du cadre « Un pays, deux systèmes » et du rôle de Hong Kong comme plaque tournante mondiale
Le 11 novembre, nous avons condamné la destitution de leurs fonctions, par la Chine, de quatre législateurs démocratiquement élus à Hong Kong. C’est une attaque contre les libertés de Hong Kong, selon les termes de la Déclaration commune sino-britannique.
Aux côtés de nos partenaires, nous continuons d’appeler les autorités chinoises à respecter leurs obligations internationales en matière de droits de la personne. Nous avons été à l’avant-garde de la réaction internationale à la loi sur la sécurité nationale. Nous avons publié des déclarations, souvent à notre incitation, aux côtés de l’Australie, du Royaume-Uni, des États-Unis, du G7 et du Groupe des cinq ainsi qu’au Conseil des droits de l’homme et, plus récemment, à la Troisième Commission de l’Assemblée générale des Nations unies.
Nous avons également été les premiers à suspendre notre traité d’extradition avec Hong Kong et avons annoncé une série d’autres mesures, notamment des mesures de contrôle des exportations et une mise à jour des conseils aux voyageurs pour la région.
La semaine dernière, vous avez entendu mon collègue, le , parler des mesures d’immigration que nous avons mises en place. Notre réponse à Hong Kong et à la Chine concerne de nombreux ministères et nécessite une grande coordination.
[Français]
Comme vous tous et vous toutes, j'en suis sûr, je suis alarmé par les rapports faisant état de violation flagrante des droits de la personne au Xinjiang. Cette violation vise les Ouïghours et d'autres minorités musulmanes sur la base de leur religion et de leur ethnicité.
[Traduction]
En public et en privé, dans des dialogues multilatéraux et bilatéraux, nous avons appelé le gouvernement chinois à mettre fin à la répression au Xinjiang. J’ai soulevé cette question directement avec mon homologue chinois tout récemment à Rome, cet été, lors d’une réunion convoquée à ma demande. En septembre, nous avons fait part de nos préoccupations concernant la situation des droits de la personne au Xinjiang et à Hong Kong au Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève, et en octobre, nous avons été l’un des 39 pays à signer la déclaration de la Troisième Commission à l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, qui évoque la situation des droits de la personne au Xinjiang... [Difficultés techniques]...
:
J'aurais beaucoup à dire, monsieur le président. Je ne sais pas combien de temps il me reste.
Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de remonter aux années 1970. Comme je le disais, et je pense que tous nos collègues en conviendront, la Chine de 2016 n'est pas celle de 2020. La Chine de 2018 n'est pas non plus celle de 2020, parce que, entretemps, nous avons eu la détention arbitraire de Michael Kovrig et de Michael Spavor et la condamnation arbitraire de M. Schellenberg. Il y a eu le cas des Ouïghours, dont toute la communauté internationale a entendu parler. Il y a aussi eu, bien sûr, l'imposition de la loi sur la sécurité nationale à Hong Kong, qui remet en question la formule « un pays, deux systèmes » et qui signale la perte de la liberté et des droits dont on y jouissait. Il s'est passé bien des choses.
Je pense que le rôle de ce comité, et certainement le mien, est aussi d'examiner la Chine à court, à moyen et à long terme. Dans le cas des relations internationales, il est crucial de penser au long terme. Cette année marque 50 ans de relations, comme vous l'avez mentionné. C'est un triste anniversaire, car deux Canadiens sont détenus arbitrairement depuis près de deux ans, et les Canadiens pensent à eux et à leurs familles, qui ont tellement lutté pendant tout ce temps-là, et ils sont de tout cœur avec eux.
Il faut toutefois réfléchir à la façon de collaborer avec un pays comme la Chine. J'essayais de dire au début, pour revenir à la question de M. Chong, que le Canada n'est pas le seul à faire face à ce défi. Je dois dire que nous en discutons à chaque réunion avec ceux qui partagent nos points de vue.
Vous avez parlé des changements climatiques. Nous avons mentionné un certain nombre de domaines dans lesquels nous allons soit contester, soit coexister, soit coopérer. C'est le travail sur lequel nous devons vraiment nous concentrer maintenant. Plusieurs personnes ont dit que la meilleure façon de régler ce problème géopolitique est de collaborer avec ceux qui partagent nos vues. Le Canada a adopté cette stratégie. Vous avez vu que bon nombre de nos déclarations s'adressaient à nos alliés en Europe, aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Il est crucial que les Canadiens ici comprennent que le Canada n'est pas seul à faire face à ces problèmes.
J'ai souvent souligné que Michael Kovrig et Michael Spavor ne sont pas seulement deux Canadiens, mais deux citoyens d'une démocratie libérale. Ce problème n'est donc pas vraiment bilatéral, mais multilatéral. Nous unirons-nous pour défendre la liberté et les droits de la personne? C'est le fond même du problème. Voilà pourquoi j'ai présenté des chiffres. De toute évidence, ces chiffres sont révélateurs, mais nous devons coopérer pour que nos démocraties libérales s'attaquent ensemble à certains de ces problèmes.
:
Monsieur Bergeron, je vous remercie de poser cette question d'actualité.
C'est un sujet qui revient constamment lorsque je parle avec mes collègues des démocraties libérales de partout dans le monde, particulièrement avec ceux situés en Europe. Nous nous demandons comment nous pouvons le mieux nous organiser et travailler ensemble pour affronter ces défis. Plusieurs pays, y compris le Canada, ont en commun les mêmes valeurs et les mêmes principes, et ils sont préoccupés par les mêmes questions que vous avez évoquées. Nous examinons bien sûr ce que nous pourrons faire compte tenu de cette nouvelle administration américaine.
Pour traiter ces questions de violation des droits de la personne, tant en ce qui concerne les Ouïghours, qu'au Tibet et à Hong Kong, la réponse intelligente est de travailler de concert, c'est-à-dire que les démocraties libérales s'organisent pour faire front commun contre ces transgressions. Ces enjeux ne sont pas des enjeux bilatéraux, mais multilatéraux.
Par exemple, quand on me demande si j'ai posé des gestes dans le cas des Ouïghours, je réponds « oui ». J'en ai parlé à la représentante du Comité des Nations unies en matière de droits de la personne, qui peut demander d'avoir accès au territoire pour rapporter à la collectivité internationale ce qu'elle y constate. La déclaration signée par 38 pays à la troisième rencontre du Comité des Nations unies, à New York, est aussi encourageante. Dans une déclaration commune, les représentants de 38 pays se sont exprimés, de façon quand même assez évocatrice, sur la situation à Hong Kong et sur celle des Ouïghours.
Cela démontre exactement ce que vous venez de dire, monsieur Bergeron, soit que la collectivité internationale ou, en tout cas, la collectivité des démocraties libérales, a en commun avec le Canada les mêmes valeurs et les mêmes principes, et elles veulent s'organiser ensemble pour s'attaquer à ces questions.