:
Merci, et bienvenue à tous.
[Traduction]
Pour assurer le bon déroulement de la séance, j'aimerais vous présenter quelques règles à suivre.
[Français]
Pour ceux et celles qui participent à la réunion à distance, je profite de cette occasion pour rappeler à tous les participants que les captures d'écran ou la prise de photo de votre écran ne sont pas autorisées et que cela a aussi été souligné par le Président Rota le 29 septembre 2020.
[Traduction]
Les députés et les témoins peuvent s'exprimer dans la langue officielle de leur choix. Des services d'interprétation vous sont offerts pour la séance. Vous avez le choix, au bas de votre écran, entre « parquet », « anglais » et « français »
[Français]
Avant de prendre la parole, cliquez sur l'icône du micro pour activer votre propre micro. Lorsque vous avez terminé, mettez votre micro en sourdine pour minimiser l'interférence.
[Traduction]
Je rappelle aux députés et aux témoins que tous les commentaires doivent être adressés à la présidence.
[Français]
Lorsque vous parlez, exprimez-vous clairement et lentement.
[Traduction]
À moins de circonstances exceptionnelles, tous les participants à distance doivent utiliser un casque d'écoute et un micro-perche.
[Français]
Veuillez signaler tout problème technique à la présidence et noter que nous pourrions devoir suspendre la séance pendant quelques minutes, étant donné que nous devons garantir la pleine participation de tous les membres.
Je ne lirai pas les informations qui sont habituellement adressées à ceux qui participent à la réunion en personne. Nous savons qu'il n'y a personne dans la salle aujourd'hui.
J'aimerais donc souhaiter la plus cordiale bienvenue à nos témoins et leur dire que, pour leur allocution d'ouverture, nous leur accordons un total de sept minutes et demie, et que suivra une période de questions de la part des membres du Comité.
J'ai l'habitude d'utiliser un carton jaune pour vous indiquer qu'il vous reste une minute. Quand j'utilise le carton rouge, cela veut dire que votre temps de parole est écoulé.
Comme témoins, cet après-midi, de l'Association des juristes d'expression française du Nouveau-Brunswick, nous accueillons M. Érik Labelle Eastaugh, professeur et directeur de l'Observatoire international des droits linguistiques, Faculté de droit, Université de Moncton, et, d'Impératif français, nous recevons M. Jean-Paul Perreault, président, accompagné de M. François Côté, avocat.
Monsieur Labelle Eastaugh, vous avez la parole pour sept minutes et demie.
:
Monsieur le président, honorables membres du Comité, je tiens d'abord à vous remercier de m'avoir offert l'occasion de prendre la parole dans le cadre de vos importants travaux sur l'avenir des droits linguistiques au Canada.
Je tiens également à souligner qu'il est très agréable de voir que vous avez tous allumé vos caméras. C'est assez différent des cours que je donne depuis le début de la pandémie.
Comme je suis juriste, mon allocution portera sur les aspects juridiques des thèmes retenus par le Comité dans le cadre de sa résolution du 24 novembre 2020. Je me propose d'aborder brièvement les trois thèmes suivants: premièrement, les rôles respectifs du gouvernement fédéral et des provinces relativement aux questions linguistiques d'un point de vue constitutionnel; deuxièmement, le rapport entre le principe d'égalité en droit canadien et la notion d'asymétrie; et, troisièmement, l'approche que devrait retenir le Parlement en ce qui concerne l'encadrement des entreprises fédérales.
D'entrée de jeu, il importe de souligner qu'en tant que champ de compétence, la langue relève tant de l'État fédéral que des états provinciaux. Chaque ordre de gouvernement a le pouvoir de légiférer sur les questions linguistiques qui sont accessoires à ses compétences matérielles.
Par ailleurs, la Constitution impose à certains gouvernements, tant fédéral que provinciaux, des obligations particulières quant à la protection de la langue française. Il s'ensuit que l'aménagement linguistique n'est pas la responsabilité d'un seul ordre de gouvernement et qu'il ne peut l'être. À preuve, le paragraphe 16(3) de la Charte canadienne des droits et libertés invite le Parlement ainsi que les législatures provinciales à légiférer afin de faire progresser l'égalité de l'anglais et du français dans la société canadienne.
La question du principe d'égalité des langues officielles, notamment dans son rapport avec la notion d'asymétrie, revient souvent dans les débats récents qui entourent la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Je crois qu'il y a lieu de préciser certains points à ce sujet.
D'abord, nul ne peut douter que le français et l'anglais sont asymétriques sur le plan sociologique. L'énorme pouvoir d'attraction de l'anglais, qui découle en partie de son poids numérique, fait que les communautés francophones, qu'elles soient minoritaires ou majoritaires à l'échelle provinciale, doivent consacrer beaucoup plus d'efforts que les communautés anglophones pour se maintenir et s'épanouir dans leur langue. Cette différence sociologique fait dire à certains que le principe d'égalité enchâssé dans la Charte canadienne et la Loi sur les langues officielles a pour effet de désavantager le français et non de l'appuyer, car il exigerait qu'on accorde un traitement identique aux deux langues. Toutefois, il s'agit d'une erreur.
Il ne faut pas oublier que le système des langues officielles a été mis en place afin de renforcer la langue française et de protéger les francophones, qui étaient nettement désavantagés. Pour sa part, la langue anglaise n'avait nul besoin d'une loi pour la protéger. Si la Loi sur les langues officielles repose sur un principe d'égalité entre l'anglais et le français, son existence même découle et témoigne d'une reconnaissance des inégalités entre l'anglais et le français.
Le principe d'égalité linguistique, tel que défini par la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme, et tel qu'il est reconnu par les tribunaux, cherche à conférer aux collectivités francophones la capacité de se maintenir et de s'épanouir malgré l'asymétrie sociologique que l'on connaît. Il s'agit en effet d'un principe d'égalité dite « réelle » et non « formelle ». À la différence de l'égalité formelle, l'égalité réelle exige que l'État tienne compte des asymétries entre les deux communautés linguistiques et qu'il y applique parfois des normes différentes.
En effet, la jurisprudence relative aux droits linguistiques tient compte systématiquement de l'asymétrie sociologique entre l'anglais et le français. Par exemple, dans l'arrêt Ford, qui portait sur les exigences en matière d'affichage contenues dans la Charte de la langue française, la Cour suprême du Canada a reconnu la fragilité du français et le fait que le gouvernement du Québec a un rôle particulier à jouer dans sa protection.
Par ailleurs, les arrêts qui traitent de l'article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, notamment l'arrêt Solski, qui porte sur les écoles passerelles, soulignent que cette disposition doit être interprétée en tenant compte du contexte particulier de chaque communauté linguistique. De fait, l'article 23 s'applique de façon asymétrique au Québec, en raison d'une exception explicite prévue à la Loi constitutionnelle de 1982. Il s'ensuit que, si le Parlement souhaite prendre des mesures additionnelles pour protéger et promouvoir le français à titre de langue vulnérable, il peut le faire dans le cadre du système actuel, et ce, sans déroger à ses principes fondamentaux.
Au cours des derniers mois, les débats entourant la promotion du français ont été alimentés par la suggestion voulant que le Parlement adopte une loi pour soumettre les entreprises fédérales situées au Québec au régime de la Charte de la langue française. Or, dans la mesure où l'objectif d'une telle loi serait de garantir aux travailleurs francophones le droit de travailler dans leur langue sans être victimes de discrimination et de garantir au public le droit d'être servi en français, il n'est ni nécessaire ni souhaitable d'abandonner le cadre du régime actuel. Le Parlement pourrait facilement atteindre ce résultat en assujettissant les entreprises fédérales à la Loi sur les langues officielles. En revanche, une approche calquée sur la Charte de la langue française comporterait des désavantages importants.
Premièrement, une telle approche ne viserait que le territoire québécois. Ce faisant, le Parlement s'éloignerait sensiblement des obligations de base du gouvernement fédéral en matière linguistique. Lorsqu'on a élaboré le système des langues officielles, on a explicitement rejeté un modèle « territorial », comme celui employé en Suisse, dans lequel les droits linguistiques seraient définis sur une base provinciale. On a plutôt adopté un modèle « mixte » dans lequel les mêmes droits sont attribués à tous les francophones du pays, sous réserve d'un critère numérique à l'échelle locale. Au regard de ce principe fondamental, on pourrait difficilement justifier une loi qui accorde des droits aux francophones de Montréal, mais pas à ceux de Moncton ou de Sudbury.
Deuxièmement, une loi qui reprend directement le libellé de la Charte de la langue française, comme certains projets de loi déposés par le passé, risque de contrevenir au paragraphe 16(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. La Charte de la langue française est fondée sur le principe de la primauté du français et cela se répercute dans le libellé des droits qu'elle confère. Une loi fédérale qui reprendrait le même cadre pourrait être contestée en vertu de l'article 16 de la Charte canadienne des droits et libertés, car elle accorderait des droits au français qu'elle n'accorde pas à l'anglais.
En revanche, les parties IV et V de la Loi sur les langues officielles confèrent essentiellement les mêmes droits aux francophones que la Charte de la langue française, mais sans établir une hiérarchie entre le français et l'anglais. Dans cette optique, l'Association des juristes d'expression française du Nouveau-Brunswick accueille favorablement les propositions récentes de la ministre Joly à cet égard. Toutefois, il nous faudra prendre connaissance du projet de loi qui suivra pour être en mesure de nous prononcer de façon définitive.
Sur ce, je vous remercie à nouveau de m'avoir donné l'occasion de témoigner devant vous.
C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
:
Bonjour à tous et à toutes.
Je vais prendre la parole, étant donné que le président d'Impératif français, M. Jean-Paul Perreault, semble avoir quelques problèmes techniques. Il se joindra probablement à nous par la suite.
Monsieur le président, membres du distingué Comité et chers citoyens du Québec à l'écoute des présentes, en direct ou pour la postérité, je vous salue.
C'est un honneur pour moi de comparaître devant le comité parlementaire. Je remercie et salue particulièrement Impératif français et son président, M. Perreault.
Je vais présenter trois propositions législatives simples, claires et détaillées. À notre avis, elles sont parfaitement réalisables sur le plan juridique, et le gouvernement fédéral pourrait les adopter afin de concrètement contribuer à endiguer le déclin de la langue française au Québec dans ce qui relève de ses champs de compétence, au seul prix — douterions-nous qu'il soit trop cher à payer? —, d'avoir la volonté politique d'agir véritablement en ce sens.
Les recommandations et propositions législatives que nous soumettons au gouvernement fédéral sont mises par écrit et détaillées dans le mémoire d'une soixantaine de pages que nous avons déposé à la Chambre des communes le 5 février. Il comporte en annexe des propositions détaillées ainsi que des amendements de modèle législatif qui sont de nature à être directement mis en vigueur par le gouvernement.
Nous avons choisi de cibler nos recommandations sur trois points précis. À notre avis, ils sont de haute importance, sans porter préjudice aux nombreux autres enjeux linguistiques qui intéressent l'État du Québec au sein de la fédération. Elles évoluent toutes...
Nos propositions évoluent toutes à la manière d'une idée directrice commune: celle du constat que le modèle du bilinguisme d'égalité symétrique individualiste, actuellement et depuis longtemps prôné par le gouvernement fédéral, ne fait que proclamer une égalité de façade artificielle et dont l'utilité concrète est discutable au Québec, en ce qu'il échoue de manière absolue à protéger les droits linguistiques collectifs de la nation québécoise à sa seule langue commune, la langue française.
Le modèle d'égalité de droit et de statut des langues française et anglaise au sein du palier fédéral, qui accorderait un traitement identique au français et à l'anglais, se révèle selon nous n'être qu'une égalité entre le pot de terre et le pot de fer dans le contexte nord-américain.
Il est temps, nous l'affirmons, de se défaire de ce modèle dysfonctionnel pour plutôt privilégier une approche de bilinguisme asymétrique et territoriale où, dans une perspective collective et plus large que les revendications individuelles seules, la langue française reçoive un traitement et une protection distincte, renforcée et particulière pour tenir compte de la réalité nord-américaine, mais aussi pour le fait que la question linguistique n'est pas qu'une affaire individuelle au Québec. C'est un enjeu de société commandant le maintien permanent d'une forte majorité francophone dans la population du Québec, condition liée à l'existence même de la nation québécoise. L'histoire en attestait hier, la réalité contemporaine en atteste aujourd'hui.
Cela dit, nos trois propositions sont les suivantes:
Nous suggérons premièrement d'étendre la Charte de la langue française aux entreprises privées de compétence fédérale. Il s'agirait ici de permettre la pleine extension de la Charte de la langue française aux entreprises privées de compétence fédérale, dans les secteurs de l'aviation et des télécommunications notamment, pour permettre aux travailleurs québécois y gagnant leur vie de disposer enfin des mêmes droits que leurs millions d'homologues déjà protégés par cette loi dans le reste du secteur privé, au Québec.
Nous proposons concrètement deux voies pour y parvenir. La première serait tout simplement, pour Ottawa, de laisser l'Assemblée nationale du Québec procéder seule à une telle extension, ce qui serait tout à fait constitutionnellement faisable depuis la reconnaissance de la théorie constitutionnelle du double aspect, reconnue et clarifiée depuis l'affaire Banque canadienne de l'Ouest. Le fédéral pourrait aussi procéder lui-même à une telle extension, et nous suggérons alors pour ce faire d'amender plutôt le Code canadien du travail pour y inclure une disposition de renvoi aux dispositions de la Charte de la langue française, lui permettant de demeurer l'objectif législatif opérant.
Nous sommes d'opinion ferme que, sur cette question précise, une modification de la Loi sur les langues officielles serait probablement une mauvaise idée. Celle-ci est une loi publiciste, faite pour encadrer la fonction publique et les services aux citoyens beaucoup plus que les relations de travail dans le secteur privé. La remodeler, en ce sens, risquerait de causer des problèmes de cohérence législative. En outre, l'étendre ainsi, si ce n'est que pour étendre la politique linguistique fédérale actuelle en ce domaine, ne règlerait pas le problème. Plutôt, cela ne ferait que le censurer sous un voile législatif. Vraiment, il faut un régime complet et détaillé qui a fait ses preuves et qui fonctionne très bien: celui de la Charte de la langue française, qui viendrait par ailleurs avec des décennies d'enseignement, de jurisprudence et de stabilité juridique.
En outre, sur cette question, et nous épousons ici l'approche territoriale, l'Assemblée nationale est manifestement beaucoup plus proche qu'Ottawa de la réalité des entreprises au Québec et constitue, selon nous, l'interlocuteur politique législatif et démocratique le plus légitime au sein de la fédération pour aborder de tels enjeux.
Notre seconde proposition serait de modifier la Loi sur les langues officielles pour mettre en place un régime particulier de protection de la langue française au Québec et dans la région de la capitale fédérale, vu son importance incontournable au sein de la fédération. Notre seconde proposition ainsi soumise serait de modifier la Loi sur les langues officielles pour y inclure un régime de protection détaillé des droits linguistiques des fonctionnaires au Québec et dans la capitale fédérale de pouvoir pleinement travailler et communiquer en français au travail qui s'inspirerait des articles 45 et 46 de la Charte de la langue française, empêchant toute forme de discrimination ou de pression linguistique à l'embauche ou en cours d'emploi.
Nous proposons ici de reprendre non seulement l'esprit de la Charte de la langue française et de le transposer dans le domaine fédéral, mais aussi le régime juridique et les droits d'accès aux tribunaux qu'elle comporte — adaptés au contexte fédéral, mais la même idée — pour garantir une protection effective et véritable des droits linguistiques des fonctionnaires fédéraux à l'usage du français au Québec, dont plus de 44 % ont été révélés par les récents rapports du Commissariat aux langues officielles comme souffrant d'insécurité linguistique en milieu de travail dans une culture de passage à l'anglais. Encore une fois, pour lutter contre une telle situation, la Charte de la langue française serait le modèle à suivre.
Je vais accélérer un peu, mais je répondrai à vos questions avec plaisir par la suite.
Notre troisième et dernière proposition sera de rouvrir le dossier constitutionnel et de proposer un retour à la mouture initiale de la Charte de la langue française en matière d'officialité des lois. Il est temps de tourner la page sur l'arrêt Blaikie, une décision rendue par la Cour suprême il y a plus de 40 ans dans un contexte constitutionnel différent du nôtre, qui a grandement évolué depuis, pour permettre au Québec d'avoir comme seule langue officielle de sa législation la langue française.
Une situation est étrange au Canada: seul le Québec est assujetti, en vertu de l'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, à une obligation de bilinguisme législatif, alors que, juste à côté, l'Ontario peut avoir ses lois en langue officielle anglaise avec une traduction en français. Nous ne réclamerions que l'égalité, un changement symbolique qui aurait un effet puissant sur le renouveau générationnel et l'immigration.
Finalement, je voudrais ouvrir une toute petite parenthèse simplement pour contextualiser mes propos. Nos interventions sont uniquement concentrées sur la situation du Québec, sans porter préjudice aux francophones hors Québec. Nous partageons leurs préoccupations, mais nous ne nous concentrons ici que sur le Québec.
:
Merci, monsieur le président.
Je vais laisser tomber ma petite introduction.
C'est intéressant, car cette fois-ci, nous avons entendu deux témoignages et deux versions parfois contradictoires.
Je me tourne vers vous, monsieur Labelle Eastaugh, pour vous poser une question. Vous reconnaissez donc qu'il y a une asymétrie sur le plan sociologique et que c'est la preuve que la Loi, dans sa mouture actuelle, n'a pas atteint ses objectifs.
Qu'est-ce que vous proposez de concret pour qu'on reconnaisse cette asymétrie factuelle?
Je poserai la même question à M. Côté.
:
Je serai plus concret, monsieur Labelle Eastaugh.
Le Comité permanent des langues officielles s'est toujours penché sur le sort des minorités francophones hors Québec. Or, avec cette lecture que nous faisons, nous nous rendons compte qu'il y a une minorité que nous avons négligée pendant des décennies. C'est la minorité québécoise, c'est le Québec, le coeur francophone canadien dans l'ensemble nord-américain. Je pensais que vous auriez des propositions à faire à ce sujet, et c'est dans ce contexte que s'inscrivait ma question.
Monsieur Côté, on entend dire qu'il ne faut pas changer la Loi, que tout va bien et qu'il y a une symétrie. De votre côté, vous préconisez une approche asymétrique. Comment doit-on traduire cela?
Vous avez fait des propositions pour le Québec, mais j'aimerais vous entendre sur la manière dont on pourrait effectuer ce virage et élargir la portée de la Loi sur les langues officielles afin d'y inclure ce que j'appellerais la minorité francophone québécoise dans l'ensemble nord-américain.
:
D'accord. Dans ce cas, mes questions s'adresseront à M
e Côté.
Vu mon nom de famille, ma provenance et mon accent, vous vous doutez certainement que je fais partie de ces francophones hors Québec qui comptent malheureusement plus de 400 ans d'expérience en matière de lutte contre l'assimilation et contre le déclin de la langue d'Antonine Maillet.
Il y a deux jours, le premier vice-président régional pour la région du Québec de l'Alliance de la fonction publique du Canada, M. Yvon Barrière, est venu témoigner. Il nous a raconté une anecdote dont je souhaite vous faire part, dans le but que nous en discutions, vous et moi.
M. Barrière faisait partie d'un comité composé d'une douzaine de hauts fonctionnaires fédéraux. À l'exception d'une seule personne, tous ces fonctionnaires étaient des francophones, des Québécois pour la plupart, ou parlaient français, y inclus la présidente du comité. De façon proactive, un service d'interprétation simultanée était offert lors de ces réunions et tous les éléments visant à respecter les droits linguistiques étaient en place. M. Barrière a dit que, lors de l'une des réunions, il s'est soudainement aperçu que tout le monde parlait en anglais, malgré le service d'interprétation simultanée. Pour ainsi dire, puisque tous les francophones s'exprimaient en anglais, les interprètes devaient interpréter des propos tenus dans leur langue maternelle, plutôt que l'inverse.
C'est une expérience que nous avons déjà vécue. Toutefois, le contexte illustré par le témoin était frappant: tous les participants étaient des francophones, à l'exception d'une seule personne unilingue anglophone, alors il n'y avait aucune obligation pour eux de parler en anglais.
Comment expliquez-vous ce phénomène?
:
Merci, monsieur le président.
Monsieur Côté, vous faites le constat suivant: la politique linguistique du gouvernement fédéral relève d'une conception individualiste et symétrique fondée sur des droits individuels transportables, en quelque sorte, alors que la loi 101 est davantage inspirée d'un modèle territorial. Autrement dit, un modèle asymétrique permettrait une application plus efficace de la loi.
Permettez-moi de l'expliquer à ma manière. En matière d'aménagements linguistiques, on voit que, dans tous les endroits du monde où il existe un modèle de bilinguisme plus territorial, comme en Suisse ou en Belgique, il n'y a pas d'assimilation des langues minoritaires à la langue majoritaire. Au Canada, c'est le contraire: il y a une assimilation de la langue minoritaire. En fait, partout au monde où il y a des systèmes fondés sur un bilinguisme individuel et symétrique, comme au Canada, il y a une assimilation des langues minoritaires.
Cela correspond-il à ce que vous pensez?
:
Je répondrais que oui, absolument.
Il y a même des études qui ont été portées à l'échelle internationale au sujet de l'utilisation des langues officielles. Je vais vous donner un exemple intéressant. Dans les organisations internationales, lorsque plusieurs langues officielles sont déclarées égales et laissées au choix individuel de chacun, cela conduit systématiquement à une domination de l'anglais. C'est le cas aux Nations unies, mais aussi au Conseil de l'Europe, où l'anglais est utilisé jusqu'à 70 % du temps. Par ailleurs, cela est particulièrement ironique maintenant que le Royaume-Uni est sorti de l'Union européenne.
L'idée de déclarer une égalité individualiste de choix linguistique profite toujours à l'anglais. Cela est incontournable, à tout le moins en Amérique du Nord.
Je suis donc absolument d'accord sur votre interprétation de la situation. C'est notamment pour cette raison que le modèle territorial doit être privilégié. Le législateur fédéral aurait donc grand intérêt à s'inspirer de son homologue québécois et à adopter, sinon le texte, à tout le moins l'esprit la Charte de la langue française. Il faut des mesures pour véritablement protéger les droits collectifs d'utilisation du français au sein des entreprises fédérales et de la fonction publique, sans oublier notre droit constitutionnel.
:
Je ne peux pas me prononcer sur les mesures que la va finalement proposer. Nous pouvons en avoir une vague idée en lisant les communiqués publics, mais nous attendons de voir le contenu de ces mesures, pour dire les choses ainsi.
Pour ce qui est des mesures concrètes à adopter, je reviens encore une fois à la Charte de la langue française. Ses articles 45 et 46 offrent une protection effective et efficace du droit véritable de travailler et de communiquer en français en milieu de travail, sans préjudice à l'anglais, bien sûr. Une protection différenciée et particulière pour le Québec qui s'inspirerait de ces dispositions serait tout indiquée.
Dans le mémoire que nous avons soumis, nous proposons une modification législative qui se composerait de trois articles. L'idée est tout simplement de reprendre le régime de la Charte de la langue française et de l'intégrer dans la Loi sur les langues officielles pour encadrer la fonction publique fédérale, en offrant des recours effectifs, c'est-à-dire la possibilité de recourir aux tribunaux, au lieu de simplement recourir au commissaire aux langues officielles.
Il faut véritablement s'inspirer d'un modèle en place depuis plus de 40 ans, qui a fait ses preuves et qui pourra avoir un poids réel devant les tribunaux judiciaires: la Charte de la langue française. Le fédéral aurait intérêt à s'en inspirer s'il veut véritablement protéger les droits linguistiques de ses fonctionnaires qui travaillent au Québec et dans la capitale fédérale.
:
Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins, MM. Labelle Eastaugh et Côté, d'être parmi nous aujourd'hui. C'est fort apprécié.
Monsieur Côté, je vais commencer par vous.
Au cours de la dernière semaine, les libéraux et la ont effectué beaucoup de communications sur une possible modernisation de la Loi sur les langues officielles. Nous nous attendions à un projet de loi, mais nous avons plutôt eu droit à un document de travail qui accouchera d'un comité, lequel accouchera d'une recommandation. Pourtant, les libéraux sont au pouvoir depuis cinq ans. La Loi n'a pas été modifiée depuis à peu près 30 ans.
Voyez-vous dans cette approche une espèce de manœuvre électoraliste de dernière minute de la part d'un gouvernement minoritaire qui sait qu'aucune de ces propositions ne sera adoptée?
:
Oui, c'est absolument exact. Selon nous, c'est une tactique purement dilatoire visant à gagner du temps pour repousser la présentation d'un projet de loi ou d'un livre blanc.
D'ailleurs, un professeur de l'Université de Moncton, dont le nom m'échappe, s'est amusé à compiler le nombre de fois, depuis le premier gouvernement Trudeau, où l'on a parlé de modifications à la Loi sur les langues officielles: plus de 150. Le gouvernement en parle, mais ne fait jamais rien. Continuer à en parler, faire des études et proposer un livre blanc, à mon avis, est une tactique dilatoire permettant, au moyen de belles paroles, de renvoyer cela à plus tard, après les élections.
D'ailleurs, je suis très content que vous m'ayez posé cette question, car j'en profite pour faire savoir à l'ensemble des membres du Comité et, plus largement, à la Chambre qu'il sera impératif que tous les partis politiques à Ottawa clarifient leur position officielle et offrent des propositions concrètes avant les élections. Il est absolument hors de question qu'ils reportent cela à plus tard, après les élections. Il faut arrêter d'essayer de gagner du temps.
Vous savez qu'au NPD, nous avons toujours été en faveur d'accorder les mêmes droits linguistiques aux personnes qui travaillent dans des entreprises québécoises de compétence fédérale. C'est une revendication que nous portons. La situation est absurde: si l'on travaille pour le Mouvement Desjardins, on a certains droits, notamment celui de communiquer et de travailler en français, mais on n'a pas les mêmes droits si l'on travaille pour la Banque Royale. Cela n'a évidemment aucun sens.
Par contre, monsieur Côté, je suis assez surpris de constater que vous ne vous préoccupez pas vraiment des droits des francophones à l'extérieur du Québec. Peut-être qu'ils sont dans votre angle mort ou que vous y êtes moins sensible. Il me semble cependant que nous devrions faire preuve de solidarité.
Je voudrais justement m'adresser à M. Labelle Eastaugh à ce sujet.
Vous avez dit qu'on pouvait faire preuve de cohérence en accordant les mêmes droits, c'est-à-dire communiquer avec son employeur et travailler en français, en utilisant des outils fédéraux. J'aimerais que vous nous donniez un peu plus d'explications à ce sujet.
:
Merci, monsieur Boulerice.
Je ferai le lien avec un dossier dans lequel je suis impliqué. Lorsque je porte mon chapeau d'avocat, je fais partie de l'équipe qui représente M. André Dionne, un fonctionnaire québécois qui a travaillé pendant 20 ans pour le Bureau du surintendant des institutions financières et qui comparaît actuellement devant la Cour d'appel fédérale pour défendre son droit de travailler en français.
Dans ce dossier, nous avons constaté que le Secrétariat du Conseil du Trésor et le ministère de la Justice adoptent depuis longtemps une interprétation très restrictive des droits qui sont conférés par la partie V de la Loi sur les langues officielles, laquelle porte sur la langue de travail. C'est un problème qui a également été souligné par l'ancien juge à la Cour suprême M. Michel Bastarache. Les droits existants des fonctionnaires sont robustes, mais ils ne sont pas mis en œuvre, parce qu'ils sont interprétés de façon trop restrictive par le gouvernement.
Une des mesures que je proposerais, si le Parlement voulait agir dans cette direction, serait de modifier le libellé de la Loi pour clarifier les obligations actuelles en matière de langue de travail. En effet, je crois que ces obligations, si elles étaient interprétées correctement, suffiraient pour protéger les droits que revendique Impératif français.
:
Je vais partager mon temps de parole avec M. Dalton.
Je vais renchérir sur les commentaires de mon collègue du NPD à propos de l'importance que l'on accorde à la langue française.
Monsieur Côté, comme vous l'avez bien dit, on se doit de respecter la langue française et d'arrêter de se servir de ce sujet pour toucher les cordes sensibles seulement en période préélectorale. En effet, il est important que chaque parti clarifie sa position à cet égard.
Pour ma part, je peux vous dire que les Canadiens sauront à quoi s'en tenir à l'égard de la langue française dans les 100 premiers jours de mandat du chef du Parti conservateur. Les langues officielles ainsi que les minorités linguistiques sont importantes au Québec comme ailleurs au pays.
Vous avez parlé d'un système symétrique en matière de langues officielles. Vous êtes ici dans un forum fédéral où sont représentés plusieurs territoires. Le gouvernement du Québec, pour sa part, gère la langue française sur le territoire de la province de Québec. Or, notre étude porte sur les mesures du gouvernement pour protéger et promouvoir la langue française au Québec et au Canada.
Je vous invite donc à faire preuve d'une plus grande ouverture et à ne pas regarder seulement du côté du Québec pour trouver une solution. Arrêtons de mettre le français et l'anglais en opposition et travaillons ensemble pour promouvoir le français. Personnellement, je suis porté davantage à promouvoir une langue qu'à l'isoler en pensant que nous pouvons être solides sur un petit territoire. Je préfère voir plus grand et étendre la langue française partout au Canada.
J'aimerais entendre votre opinion à cet égard, monsieur Côté.
:
Je vous remercie de votre question.
En fait, je partage votre esprit d'ouverture.
Pour répondre également à la question précédente de M. Boulerice, je dirai que, si nous avons concentré notre étude et nos propositions sur la situation du Québec, c'est tout simplement parce que cela correspond à l'encadrement du projet de recherche intellectuelle. Nous ne sommes absolument pas opposés à l'idée d'étendre à l'extérieur du Québec les mesures que nous proposons. À vrai dire, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse, l'Ontario ou le Manitoba pourraient tout à fait s'inspirer des mesures que nous proposons dans notre mémoire. Ces mesures seraient applicables sur le territoire du Québec là où le fédéral a compétence. Cela dit, absolument rien n'empêche le fédéral d'appliquer des mesures analogues au sein des autres provinces. Nous sommes dans une fédération, non pas dans un État unitaire. Au sein d'une fédération, les distinctions provinciales de chacun des états provinciaux méritent un traitement différencié.
Nous proposons un traitement différencié pour le territoire du Québec, qui est le siège de la francophonie et la seule province où les francophones sont majoritaires. Cependant, absolument rien n'empêche le fédéral de faire migrer de telles mesures vers l'extérieur pour protéger également les francophones hors Québec. En fait, si c'était le cas, nous nous en réjouirions. Il n'y a aucune opposition de notre part.
:
Merci, monsieur le président.
Je m'excuse, mais mon ordinateur a planté et j'ai dû le redémarrer avant de revenir.
Cela fait plaisir de revoir tout le monde.
Je crois que ma question s'adresse à Me Labelle Eastaugh.
Deux des députés qui siègent au Comité viennent du Manitoba, et j'ai fait valoir de nombreuses fois devant le Comité qu'il y a dans cette province une communauté francophone historique très dynamique, qui y est établie depuis des siècles.
Les données montrent que le français recule dans l'Ouest canadien. Il y a une pénurie d'enseignants francophones dans l'Ouest du Canada, et peu de places pour recevoir une éducation en français. Cela va à l'encontre du droit constitutionnel de ces communautés de recevoir une éducation dans la langue de la minorité. Ces communautés doivent s'adresser aux tribunaux pour faire valoir leurs droits.
J'aimerais avoir vos commentaires quant à votre interprétation du Livre blanc publié par la il n'y a pas si longtemps; croyez-vous qu'il y a une amélioration de ce côté-là, que les communautés n'auront plus besoin de se tourner vers les tribunaux? Avez-vous des conseils à nous donner pour faire en sorte que ces communautés n'aient plus à se tourner vers les tribunaux pour faire valoir leurs droits constitutionnels?
:
Merci, monsieur Duguid.
Un commentaire positif que je pourrais faire par rapport au Livre blanc est que le gouvernement, pour la première fois, reconnaît clairement et ouvertement l'importance des institutions pour la survie et le développement des communautés linguistiques en situation minoritaire du Canada. Les minorités défendent cela devant les tribunaux depuis 40 ans, et nous sommes heureux de voir que le gouvernement fédéral s'est engagé à offrir son soutien pour cela.
Dans l'avenir, si nous voulons garder espoir d'inverser les tendances que vous avez mentionnées dans vos commentaires, il va falloir des investissements substantiels dans le développement des institutions des communautés en situation minoritaire, parce que c'est dans ces espaces que la langue vit. Sans ces espaces, la langue va simplement disparaître.
Pour ce qui est d'éviter les tribunaux, je dirais que les gouvernements pourraient commencer par mettre en œuvre leurs obligations, dans un esprit de générosité, au lieu d'adopter les interprétations restrictives qui leur sont imposées par leur ministère de la Justice.
Si le Parlement veut aider ces communautés à éviter ce genre de problème, je lui recommanderais d'essayer de réduire au minimum l'ambiguïté de la loi et d'imposer des obligations claires à l'égard du développement des institutions des communautés minoritaires. Je comprends tout de même que cela pose un problème, parce que vous voulez que les obligations puissent être adaptées selon le contexte.
Vous pourriez aussi songer à inverser le fardeau de la preuve dans les poursuites judiciaires relatives aux droits linguistiques. Actuellement, une personne qui croit que ses droits sous le régime de la loi ont été violés va déposer une plainte et le commissaire va préparer un rapport; mais ensuite, si la personne croit qu'elle doit se tourner vers les tribunaux pour résoudre le problème, parce que l'institution refuse de se conformer, alors elle doit monter un dossier et défendre sa cause devant la Cour fédérale.
Une option que vous pourriez examiner, pour inverser le fardeau de la preuve, serait de faire en sorte que, si le commissaire dépose un rapport selon lequel il y a eu un manquement, il incomberait à l'institution de contester la conclusion devant les tribunaux, plutôt que d'imposer aux particuliers le fardeau de la défendre, parce que ceux-ci ne disposent habituellement pas de beaucoup de moyens pour cela.
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Merci, monsieur le président.
L'une des propositions que nous entendons est d'adapter la Loi sur les langues officielles pour satisfaire aux demandes du Québec. Il faut comprendre que le modèle territorial que le Québec essaie de mettre en place a pour objectif de faire du français la langue commune en milieu de travail, la langue commune de la province et la langue d'intégration. Or, ce n'est pas l'objectif de la Loi sur les langues officielles, laquelle propose plutôt de donner un libre choix et d'assurer une forme de bilinguisme. Cette proposition est impossible dans le reste du Canada, étant donné que les francophones sont vraiment en minorité.
La raison pour laquelle il faut favoriser l'esprit de la loi 101 plutôt que le bilinguisme, c'est que celle-ci vise à faire du français la langue commune. En favorisant le bilinguisme, on envoie aux nouveaux arrivants le message selon lequel ils n'ont pas besoin d'apprendre le français pour s'intégrer à notre société, car ils peuvent tout aussi bien s'y intégrer grâce à l'anglais.
Qu'en pensez-vous, monsieur Côté?
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Nous constatons bien que les témoignages d'aujourd'hui présentent des visions opposées. C'est correct, c'est tout à fait normal. Or, je suis content de voir que nos deux témoins s'entendent sur une chose, c'est-à-dire la situation asymétrique des deux langues. Je pense que c'est quelque chose d'intéressant que nous, tous ensemble, devrions pouvoir mettre à profit dans le cadre de cette étude, en vue du rapport à venir.
Monsieur Labelle Eastaugh, nous avons vu récemment les propositions et le document de travail de la ministre. Il y est question des droits linguistiques des travailleurs et travailleuses francophones à l'extérieur du Québec, mais en tenant compte des concentrations de francophones, qui varient selon les régions. Cela inquiète certaines personnes.
Monsieur Arseneault, j'ai rencontré récemment des artistes acadiens francophones du Nouveau-Brunswick qui ne voulaient pas que le Nouveau-Brunswick soit divisé en petites régions et que les droits des francophones soient ainsi inégaux.
Monsieur Labelle Eastaugh, vous avez parlé de critères fédéraux. Qu'est-ce qui pourrait être proposé pour qu'on respecte au maximum les droits des travailleurs et travailleuses francophones en situation minoritaire?
:
Nous avons un autre groupe de témoins qui nous attend pour la deuxième heure, et nous devons faire des tests de son. Nous devons malheureusement bien gérer notre temps.
Maîtres Labelle Eastaugh et Côté, au nom des membres du Comité permanent des langues officielles, je tiens sincèrement à vous remercier de vos témoignages. Ils sont importants pour l'étude que nous menons.
Je vous remercie également, monsieur Perreault, même si nous n'avons pas pu vous entendre.
Je rappelle que Me Labelle Eastaugh est directeur de l'Observatoire international des droits linguistiques et professeur à la Faculté de droit de l'Université de Moncton. Il fait également partie de l'Association des juristes d'expression française du Nouveau-Brunswick.
Me Côté, qui représente Impératif français, nous a entretenus en l'absence de M. Perreault, qui éprouvait des difficultés techniques.
Encore une fois, je vous remercie et je vous invite à nous envoyer des mémoires ou des rapports, puisque nous venons à peine de commencer notre étude.
Nous allons suspendre la séance quelques minutes, de façon à accueillir les prochains témoins.
:
Le Comité reprend ses travaux.
Aujourd'hui, le Comité se réunit dans le cadre de son étude sur les mesures du gouvernement visant à protéger et promouvoir le français au Québec et au Canada.
[Traduction]
J'ai quelques commentaires à faire à l'intention des témoins.
[Français]
Avant de prendre la parole, s'il vous plaît, attendez que je vous nomme. Lorsque vous êtes prêts à parler, cliquez sur l'icône du microphone pour l'activer. Les députés préciseront à qui s'adressent leurs questions.
[Traduction]
Je vous rappelle à tous que tous les commentaires doivent être adressés à la présidence.
[Français]
Les services d'interprétation offerts pour cette vidéoconférence sont à peu près les mêmes que ceux offerts pendant les réunions ordinaires du Comité. Au bas de l'écran, vous pouvez choisir le parquet, l'anglais ou le français.
[Traduction]
Je vous demanderais de parler lentement et clairement et de mettre votre micro en sourdine quand vous n'avez pas la parole.
[Français]
J'aimerais maintenant accueillir les témoins et leur souhaiter la bienvenue.
Vous disposerez de sept minutes et demie pour faire votre allocution d'ouverture. Nous aurons ensuite une période de questions et de réponses.
Comme à l'habitude, je vais vous aviser lorsqu'il vous restera une minute de temps de parole et lorsque celui-ci sera écoulé.
Nous recevons l'honorable Serge Joyal, juriste et ancien sénateur. Il témoignera à titre personnel.
Nous recevons également l'honorable Marlene Jennings, présidente du Quebec Community Groups Network, ainsi que Mme Sylvia Martin-Laforge, directrice générale du QCGN.
Monsieur Joyal, vous avez la parole pour sept minutes et demie.
:
Je vais tenter d'utiliser mes sept minutes et demie de la manière la plus efficace possible.
Je voudrais vous remercier de m'avoir invité cet après-midi.
Je possède 45 années d'expérience personnelle en ce qui a trait à la Loi sur les langues officielles au Canada.
Cela a commencé en 1976, lorsque j'ai intenté une poursuite à la Cour supérieure du Québec, devant l'honorable juge Jules Deschênes, contre Air Canada, qui était à l'époque une entreprise d'État. Le recours avait pour but de permettre aux employés d'Air Canada de travailler en français et, surtout, d'obtenir une injonction pour l'obliger à traduire tous ses manuels d'entretien, afin que la langue française comme langue de travail soit véritablement efficace.
Par la suite, j'ai été à l'origine de la création du Comité permanent des langues officielles, dont vous êtes les honorables membres aujourd'hui. Pour ce faire, j'ai déposé en 1981 un projet de loi, avec mon collègue M. Pierre De Bané.
Je suis également l'auteur du Programme de contestation judiciaire pour les articles 16 à 23 de la Charte canadienne des droits et libertés, articles qui définissent le statut du français et lui donnent la protection que vous connaissez.
Je suis intervenu en 1997 dans le dossier de l'Hôpital Montfort. Je n'ai pas à donner de détails sur cette situation; je pense que la majorité d'entre vous s'en souvient.
Je suis également intervenu auprès du président du Conseil du Trésor en 1998, lorsque les communautés francophones ont dû subir les conséquences des compressions budgétaires décrétées par le gouvernement de l'époque. D'ailleurs, aucun poste budgétaire du gouvernement n'y avait échappé, sauf ceux visant des groupes autochtones et pour lesquels une exception avait été faite. Il n'y avait cependant eu aucune exception pour les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Je suis donc intervenu pour que cette décision soit révisée.
J'ai été le porteur de la modification apportée à la partie VII de la Loi sur les langues officielles en 2005. Quand notre collègue le feu sénateur Jean-Robert Gauthier s'est retiré, nous avons pu poursuivre les débats et faire adopter la modification à la partie VII. Je reviendrai sur cet aspect tantôt.
Je suis intervenu en 2007 pour empêcher l'abolition du Programme de contestation judiciaire par le gouvernement de l'époque. J'ai appuyé la Fédération des communautés francophones et acadienne, qui menaçait de poursuivre le gouvernement afin qu'il revienne sur sa décision d'abolir le Programme.
J'ai participé à l'étude du Comité sénatorial permanent des langues officielles sur la révision de la Loi sur les langues officielles, en 2018.
Finalement, en 2019, j'ai adressé une demande à la Cour supérieure du Québec en vue de faire appliquer l'article 55 de la Loi constitutionnelle de 1982, c'est-à-dire de faire adopter une version française officielle de la Loi constitutionnelle de 1867. Nous sommes présentement devant les tribunaux pour défendre ce dossier.
C'est donc sur cette base que je vous remercie de m'avoir invité cet après-midi.
Je ferai une brève présentation, mais j'imagine que, lors de la période de questions, nous aurons l'occasion de préciser plusieurs des points que j'aurai soulevés.
Mettons d'abord les choses au clair pour tout le monde.
Mon premier point a trait à l'immigration, c'est-à-dire qu'il faut maintenir une masse critique stable de locuteurs francophones. Cet objectif est essentiel à la vitalité du français au pays. Pourquoi? C'est parce que le taux de fertilité ne réussit pas à surpasser le taux de décès. C'est le cas même au Québec, province dont je suis moi-même originaire. Il y a donc une perte nette annuelle si l'on n'a pas recours à l'immigration.
Deuxièmement, le Québec est la province où les gens vieillissent le plus rapidement. Dans le monde entier, nous sommes presque ex æquo avec le Japon. Selon les statistiques, 25 % des Québécois auront 65 ans et plus d'ici 2030. C'est donc dire que 25 % de la population aura quitté le marché du travail ou n'y participera plus de façon active. C'est une donnée qu'il est absolument important de considérer relativement au marché du travail.
Je vous renvoie à l'éditorial du Devoir d'hier, le 24 février. L'Institut de la statistique du Québec concluait que « les personnes immigrantes occupaient 12,2 % de tous les emplois au Québec il y a 10 ans », mais qu'elles en occupent maintenant 18 %. C'est donc dire qu'il y a eu 250 000 emplois occupés par les sources d'immigration alors que les emplois occupés par les personnes déjà résidantes au Québec ont diminué de 110 000.
Cela signifie que, si l'on ne peut pas recourir aux ressources démographiques de l'immigration, le rapport entre les locuteurs francophones et les locuteurs anglophones au Québec va s'amenuiser. Il va s'amenuiser au point où la vie communautaire en français va devenir extrêmement difficile dans certaines régions.
À mon avis, cette question est fondamentale si nous voulons comprendre la dynamique dans laquelle nous sommes engagés collectivement, en tant que Québécois et Canadiens, en matière d'immigration. Il est essentiel de s'assurer que les personnes qui veulent immigrer peuvent avoir un parcours de formation facilité par un appui financier, non seulement aux travailleurs, mais aussi à la famille et à ceux qui font partie de la cellule familiale. Cela permettra de reconstituer ce rapport d'équilibre qui, à mon avis, est essentiel dans notre pays.
En conclusion, ce qui m'apparaît extrêmement important, c'est la découvrabilité des œuvres françaises sur les plateformes numériques. Les nouvelles générations sont soumises à l'influence de la langue anglaise par cet instrument que vous avez tous dans la main. À mon avis, la question de cette anglicisation est une priorité beaucoup plus importante, et elle doit faire l'objet d'initiatives de la part du gouvernement. Sinon, les quelques mesures que nous pouvons prendre à droite et à gauche ne réussiront pas à renverser la tendance de l'omniprésence de l'anglais dans toutes les sphères de la vie quotidienne.
Merci, monsieur le président. Je serai heureux de participer à votre échange cet après-midi.
Mesdames et messieurs les membres du Comité, bonjour. Je m'appelle Marlene Jennings, et je suis la présidente du Quebec Community Groups Network. Je suis accompagnée aujourd'hui de la directrice générale du QCGN, Mme Sylvia Martin-Laforge.
Au cours de la dernière décennie, le gouvernement du Canada a subi des pressions de la part de communautés de langue officielle en situation minoritaire pour moderniser la Loi sur les langues officielles. Sous la direction du QCGN, des anglophones du Québec ont participé activement à de nombreux processus de consultation qui ont abouti aux propositions sur la voie à suivre déposées par l'honorable la semaine dernière.
Le mémoire du QCGN sur la modernisation de la Loi sur les langues officielles, qui a été présenté au Comité le 27 novembre 2018, a été rédigé avec la collaboration d'une grande partie du secteur communautaire servant les anglophones du Québec. Nous tenons à remercier les organisations ayant pris le temps d'y contribuer.
Les attentes du Québec anglophone à l'égard de la modernisation de la loi demeurent les suivantes:
Le principe directeur de la loi actuelle doit demeurer intact: l'égalité du statut de l'anglais et du français. L'égalité de statut doit être garantie catégoriquement dans toutes les institutions assujetties à la loi partout au Canada.
Nous sommes pleinement conscients que le terme « égalité » a eu une signification juridique bien précise. C'est pourquoi l'équipe QCGN appuie l'approche de mise en œuvre des engagements du gouvernement fédéral envers les communautés anglophones et francophones en situation minoritaire du Canada qui soit adaptée au contexte et aux besoins spécifiques des différentes communautés de langue officielle en situation minoritaire.
Nous comprenons que la langue française nécessite une attention particulière et nous savons que les données démontrent une baisse de l'utilisation du français à l'échelle nationale ainsi que les dangers qui guettent les communautés francophones en situation minoritaire sur le plan démographique. Nous venons justement d'entendre le témoignage du sénateur Joyal sur la réalité de la question démographique.
J'ai fait une déclaration — conjointement avec certains membres du Comité — pour réitérer l'engagement de notre organisation à respecter le français comme langue officielle du Québec et à poursuivre le travail que nous réalisons pour soutenir et défendre le français au Québec et dans le reste du Canada.
Cependant, nous rejetons l'idée que, dans la sphère fédérale, la protection et la promotion du français passent nécessairement par une restriction des droits linguistiques des anglophones du Québec. Notre communauté sert trop souvent de bouc émissaire, et elle est parfois tout simplement ignorée. C'est assez. La majorité des anglophones du Québec y sont restés après la tourmente des années 1970. Le Québec, c'est aussi chez nous, et nous savons que nous devons apprendre le français et l'utiliser dans l'espace public.
Après tout, c'est un groupe de parents anglophones préoccupés de Saint-Lambert qui, dans les années 1960, ont inventé l'immersion française pour que leurs enfants puissent vivre et s'intégrer dans un Québec francophone. Nous avons été étonnés de constater que le gouvernement n'a pas fait mention de nos écoles dans ses plans visant à soutenir davantage l'immersion française.
Nos institutions communautaires — les hôpitaux, les bibliothèques, les établissements postsecondaires — servent l'ensemble de la population du Québec, en anglais et en français. C'est un fait connu que Jean-François Lisée a appris l'anglais dans un groupe de scouts de Thetford Mines. Paul St-Pierre Plamondon a étudié à l'Université McGill, tout comme Laurent Duvernay-Tardif. Harmonium a fait ses débuts sur les ondes de CHOM FM.
Notre communauté ne menace aucunement le français, nous ne sommes pas des « ennemis ».
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Les propositions du gouvernement du Canada tiennent compte des demandes importantes formulées par la communauté anglophone du Québec dans le cadre des consultations concernant la modernisation de la Loi sur les langues officielles.
Il y a lieu d'être optimistes quant aux propositions visant à renforcer le rôle du Conseil du Trésor dans la coordination de la loi et à élargir les pouvoirs du commissaire aux langues officielles pour assurer le respect de la loi.
Aussi, nous sommes ravis que le Programme de contestation judiciaire soit maintenant inscrit dans la loi, car il s'agit d'un important mécanisme de protection des droits linguistiques devant les tribunaux.
Il est possible de mieux soutenir nos institutions communautaires, et il existe des dispositions permettant une plus grande transparence sur les transferts fédéraux destinés à assurer notre vitalité. Ces propositions sont toutefois modulées par la nécessité de collaborer avec les provinces.
En toute honnêteté, le Québec n'affiche pas un bon bilan sur aucun de ces fronts. La centralisation de la gestion et du contrôle des établissements de santé et de services sociaux a eu de graves conséquences sur la participation de la communauté à la direction des hôpitaux. Par l'adoption de la loi 40, le gouvernement provincial a tenté de nous priver des droits à l'éducation dans la langue de la minorité linguistique, prévue à l'article 23 de la loi, et, à ce jour, la lutte se poursuit devant les tribunaux.
Maintenant, le gouvernement du Québec laisse planer l'idée de limiter le nombre d'inscriptions dans les cégeps anglophones, ce qui aurait une incidence directe sur les ressources mises à la disposition de ces derniers.
Le Québec n'a jamais accepté de clause linguistique contraignante ni de dispositions en faveur de la transparence en matière de transferts fédéraux. Il n'y a aucune raison de penser qu'il en acceptera à l'avenir.
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Ce que vous soulevez est absolument vrai.
Comme vous le savez, le Québec dispose de l'initiative en matière de sélection des immigrants depuis l'entente Cullen-Couture de 1978, qui a été renouvelée par la ministre McDougall et qui est toujours en application. Cela est important sur deux plans.
D'une part, il y a la formation des immigrants en langue française. Je ne sais pas si vous connaissez le rapport de la vérificatrice générale du Québec sur l'inefficacité — malheureusement — de la gestion des programmes d'enseignement du français aux immigrants. À mon avis, il y a là une responsabilité dont l'application doit être redéfinie. C'est absolument essentiel.
D'autre part, on a vu le gouvernement du Québec — et je ne fais pas de politique partisane, ici — réduire le taux d'immigration au Québec. Le Québec a la possibilité de réduire son taux d'immigration en ne qualifiant pas ou en ne sélectionnant pas des immigrants. Cependant, ce faisant, il diminue son influence relative au Canada, et cela a une importance qui vous touche, à la Chambre des communes.
Je regarde M. Beaulieu. Lorsqu'il s'agit de redéfinir la carte électorale, on tient toujours compte de l'augmentation des ratios de population dans les différentes régions du pays. Regardez ce qui est arrivé au dernier redécoupage électoral. Une majorité de députés a été attribuée à l'Ontario et aux provinces de l'Ouest, alors que seulement trois députés de plus ont été attribués au Québec. Toutefois, en pratique, cela ne correspondait pas à l'augmentation réelle de la population.
Donc, pour le Québec, la question de déterminer le quantum de l'immigration est une décision très stratégique pour maintenir son influence en tant que foyer principal de la vie française au Canada et en Amérique du Nord, comme l'ont dit plus tôt certains témoins. Nous en sommes tous conscients. Pour raffermir le poids sociétal du Québec français, il faut, non pas que la population du Québec s'éteigne et se réduise constamment, mais il doit y avoir un mouvement constant d'immigration intégrée à la vie française...
:
Merci, monsieur le président.
Avant tout, je tiens à remercier les témoins d'être avec nous aujourd'hui. Soyez assurés que vos commentaires sont d'une importance cruciale pour nous.
Je vais commencer en adressant mes questions au QCGN.
Nous avons souvent tendance à faire fi de la réalité de la communauté minoritaire anglophone du Québec. J'aimerais que les membres du Comité puissent avoir un bon aperçu de la communauté minoritaire anglophone du Québec.
Madame Jennings, je sais que vous l'avez déjà fait dans votre exposé, mais pourriez-vous nous donner des exemples plus précis sur les possibilités d'emploi, sur le revenu médian, sur la rétention des élèves et sur les facteurs qui assureront la vitalité de la communauté minoritaire anglophone? Pouvez-vous nous donner un aperçu au meilleur de vos connaissances?
Merci.
:
Merci beaucoup de la question.
Nous savons tous et toutes que l'employabilité et les emplois sont des indicateurs et des facteurs clés essentiels de la vitalité de toute communauté minoritaire. Figurez-vous qu'au Québec, le principal employeur est le gouvernement québécois. On pourrait dire qu'il a levé le pont-levis pour empêcher les Québécois anglophones d'entrer dans son château. À peine 1 % des fonctionnaires québécois sont anglophones.
Ensuite, il y a le gouvernement fédéral. Peut-être pourrions-nous trouver des emplois là. Mais savez-vous que, dans toutes les institutions fédérales du Québec assujetties à la mouture actuelle de la Loi sur les langues officielles — c'est-à-dire plus de la moitié des institutions —, les Québécois anglophones sont sous-représentés. Des 3 800 employés du Service correctionnel du Canada au Québec, 110 sont anglophones.
Le taux de chômage des anglophones est aussi plus élevé que celui de la majorité. Notre revenu médian est parmi les plus bas de toutes les communautés de langue officielle en situation minoritaire au Canada. Parmi les Québécois anglophones, 18 % vivent sous le seuil de lont pauvreté, en comparaison de 12 % des Québécois francophones. Les inscriptions dans les écoles primaires et secondaires a diminué de 60 % depuis les années 1970. Pourtant, notre taux de bilinguisme a atteint 69 % et il est même de 82 % chez les jeunes.
Les gens qui fréquentent nos écoles et qui en sont diplômés sont parfaitement bilingues, et pourtant, quand ils essaient de décrocher un emploi, le gouvernement provincial leur ferme la porte au nez, tandis que le gouvernement fédéral la laisse tout juste entrouverte. Les propositions de la ne font absolument aucune mention de cette question. Il s'agit d'un enjeu clé pour la vitalité de notre communauté, mais il n'y a aucune mesure pour régler ces problèmes.
Mme Jennings a parlé tantôt de l'égalité de statut. On sait qu'à l'extérieur du Québec, l'anglais est la langue commune, la langue d'intégration des immigrants. Les transferts linguistiques des allophones se font massivement vers l'anglais, peut-être jusqu'à 99 %. Chaque année, l'assimilation des francophones hors Québec ne cesse de croître.
Au Québec, c'est plutôt l'inverse. Les établissements scolaires anglophones sont surfinancés, que ce soit au primaire ou au secondaire. Les cégeps anglophones reçoivent à peu près 17 % du financement, alors que la langue maternelle de 8,1 % des étudiants est l'anglais. À l'université, il y a un écart encore plus grand.
Sans faire la même chose que ce qui se fait au Canada anglais envers les francophones, ne pensez-vous pas qu'il serait équitable qu'il y ait un meilleur équilibre? En fait, pour ce qui est des établissements anglophones, la loi 101 a toujours voulu qu'ils soient maintenus, mais pour les anglophones, pas pour l'ensemble de la population, puisque cela favorise les transferts linguistiques vers l'anglais.
Qu'en pensez-vous, madame Jennings?
:
Madame Jennings, vous me faites dire ce que je n'ai pas du tout dit.
Le fait qu'il y ait des institutions anglophones qui puissent répondre aux besoins de la communauté anglophone, c'est déjà beaucoup plus généreux que ce qui se fait au Canada anglais pour les francophones. Ce n'est pas jouer au football que de vouloir l'équité et l'égalité.
Je vais vous donner un autre exemple.
On sait que, pour assurer le poids démographique des francophones au Québec, il faudrait que les nouveaux arrivants s'intègrent à la société québécoise et qu'il y ait des transferts linguistiques proportionnels au poids démographique des francophones. Dans n'importe quel pays, quand un nouvel arrivant s'installe, il est tout à fait normal qu'il veuille s'intégrer à la majorité.
Ce sont 85 % des nouveaux arrivants qui débarquent à Montréal et, quand ils s'installent, il y a une tendance naturelle chez eux de se diriger vers la majorité canadienne-anglaise. C'est pour cette raison que le français doit être la langue commune, la langue officielle, la langue d'inclusion de tout le monde, y compris des anglophones, cela étant dit en tout respect.
Nous sommes tout à fait d'accord pour maintenir des institutions anglophones afin de préserver l'épanouissement de la communauté anglophone.
Vous dites que vous êtes d'accord sur le fait que le français est la langue commune. Cela veut dire qu'il est normal, même pour les anglophones, d'utiliser le français comme langue commune, c'est-à-dire...
:
Je vous remercie beaucoup, monsieur le président.
Mes premières questions s'adresseront au sénateur Joyal.
Monsieur Joyal, vous ne vous en souvenez probablement pas, mais, la première fois que nous nous sommes rencontrés, j'étais au cégep, à Saint-Jean-sur-Richelieu. C'était en 1990, et notre discussion portait sur la question du lac Meech.
J'ai bien aimé votre intervention sur l'importance de l'immigration pour assurer une masse critique de francophones dans des communautés. Dans le cas contraire, il pourrait y avoir un effritement et ce serait difficile de conserver par la suite des ressources et des services en français.
Le Québec a la mainmise — vous en avez parlé — sur toute l'immigration économique. Étant donné que le Québec donne beaucoup de points aux gens qui ont une connaissance du français, cela facilite l'arrivée d'immigrants qui sont francophones. Nous l'avons vu dans le cas des gens provenant des communautés maghrébines qui se sont installés au Québec dans les dernières années.
J'aimerais avoir vos commentaires sur ce que pourrait faire le gouvernement fédéral pour attirer davantage d'immigrants francophones à l'extérieur du Québec afin de conserver ces masses critiques?
:
Je vous remercie de la question.
Je me souviens très bien des années 1990. Nous aurons peut-être le plaisir d'en reparler à un moment donné.
Permettez-moi de vous dire que le gouvernement canadien peut faire énormément pour inciter des personnes de l'extérieur du Canada à immigrer dans des régions où il y a des communautés francophones qui manquent de main-d'œuvre et de ressources. Je crois comprendre que votre collègue de la Colombie-Britannique doit faire face à un énorme besoin de professeurs de langue française. Je pense qu'il en va de même dans plusieurs autres provinces; les chiffres le démontrent bien. Une situation concernant la Saskatchewan, en particulier, a récemment été portée à mon attention.
Il y a des types d'emplois désignés dans ces régions comme étant essentiels à la vitalité de la vie française. Pour appuyer le recrutement de ces ressources, je crois que le gouvernement canadien peut faire beaucoup dans des pays où soit les futurs arrivants maîtrisent déjà le français, soit ils s'engagent à suivre une formation en français et à occuper un emploi qui correspond à leur nouvelle habileté linguistique. Je pense que le gouvernement pourrait être beaucoup plus proactif qu'il ne l'a été jusqu'à maintenant.
Je crois que, dans vos considérations visant à modifier la Loi, vous devriez envisager de modifier le préambule et, en particulier, le paragraphe 2b) de la Loi, qui dit ce qui suit en ce qui concerne l'objet de la Loi:
[...] d'appuyer le développement des minorités francophones et anglophones et, d'une façon générale, de favoriser, au sein de la société canadienne, la progression vers l'égalité [...]
Il y a une reconnaissance [difficultés techniques]...
:
Merci, monsieur le président.
Je vais partager mon temps de parole avec mon honorable collègue de la rive sud de Québec M. Blaney.
Je ferai un commentaire en premier lieu, et je poserai ensuite une brève question à Mme Jennings.
Madame Jennings, vous avez dit vous réjouir du projet présenté par le gouvernement actuel en ce qui concerne les langues officielles. Permettez-moi de vous dire que, moi, je ne me réjouis pas et que cela ne permet pas de protéger les langues officielles. Je voulais vous faire part de ce commentaire, parce que nous ne sommes pas au même diapason.
Par ailleurs, vous avez fait un commentaire très intéressant. J'aime le fait que, selon votre organisation, les anglophones ne sont pas une menace pour les francophones. J'aime ce point de vue, que je trouve constructif. Je pense qu'il faut s'inspirer du traitement réservé aux anglophones au Québec, s'en servir comme modèle à exporter au Canada.
Je pense que, si on fait la promotion du français, le Canada sera un pays encore plus fort en matière de bilinguisme. C'était mon commentaire. Je vais maintenant céder la parole à mon collègue de la rive sud M. Blaney.
:
Monsieur le président, je remercie mon collègue par votre entremise. Ma foi, le temps s'égrène.
Je veux souhaiter la bienvenue aux témoins et les remercier de comparaître devant le Comité. Nous recevons d'anciens parlementaires, soit Mme Jennings et M. Joyal, un éminent sénateur.
C'est vraiment un plaisir et un privilège de vous avoir parmi nous. J'ai pu souligner le 40e anniversaire de la Loi sur les langues officielles en tant que ministre de la Francophonie.
Monsieur Joyal, vous nous avez parlé d'immigration, mais on voit les francophones du Québec se tourner vers l'anglais. Comment peut-on faire pour que la Loi sur les langues officielles compense cette asymétrie sociologique et le fait nous soyons dans une mer anglophone? Comment peut-on le faire tout en respectant la minorité anglophone, qui s'est très bien exprimée aujourd'hui? Comment peut-on éviter ce déclin, que je n'oserais qualifier d'inéluctable, mais qui est tout de même une réalité?
Je retiens que cette question dépasse le cadre de la Loi sur les langues officielles. Vous avez parlé de la culture et de la langue. J'utiliserai la première partie de mon temps de parole pour poser cette question. Je vous remercie de votre présence.
:
Merci, monsieur Blaney.
L'approche pour fortifier l'usage du français doit être une approche globale. Il y a un terme anglais, qui a été traduit en français, pour qualifier cela. Il s'agit du terme « holistique », c'est-à-dire « qui s'adresse à tous les aspects de la vie ». Cela s'applique autant à la qualité du français parlé qu'à la protection du patrimoine historique, qu'à la formation dans les domaines d'avenir, quels qu'ils soient, ou qu'à l'utilisation de ce que je vous montrais tantôt, c'est-à-dire comment ces nouveaux instruments sont en fait d'insidieux instruments d'anglicisation dormante.
Regardez les nouvelles générations et ce à quoi elles ont accès. Auparavant, nous avions accès à un satellite et à 50 postes de télévision. De nos jours, tous les aspects de notre vie quotidienne sont couverts et influencés par l'appareil que nous avons tous dans notre main. Les nouvelles générations n'auront que cet appareil-là pour les années à venir. Il y a une très grande réflexion à faire, dans ce contexte.
:
Merci, monsieur le président.
Ces quatre minutes passeront comme un éclair avec le sénateur Joyal, nos invités de ce soir et nos témoins.
Monsieur Joyal, j'aimerais revenir sur la question du déclin démographique. J'aimerais que vous nous en disiez davantage.
Avant de vous céder la parole, toutefois, j'aimerais faire un commentaire rapide en lien avec vos propos sur le projet de loi , la Francophonie et la découvrabilité.
J'aimerais rappeler à mes collègues et aux gens qui nous écoutent que le gouvernement a ramené le Canada au sein de l'UNESCO ainsi que le financement relatif à la diversité culturelle en 2018. C'est à l'occasion de la présence de ma collègue à Paris que nous avons ramené la discussion sur la question du numérique. Je sais que ces discussions depuis trois ans font leur bout de chemin. Je vous inviterais peut-être même à en parler à notre collègue le ministre du Patrimoine canadien, M.Guilbeault. En effet, beaucoup de discussions s'entament à l'échelle internationale, et vous avez raison de dire que cela doit passer par là.
Cela dit, il existe un défi extrêmement important sur le plan de la francisation et de l'immigration. Seriez-vous d'accord pour dire que, si on s'attarde uniquement à la langue de travail sans s'occuper de la francisation et de l'immigration, sans favoriser des corridors d'immigration au Québec et hors Québec, le poids démographique francophone diminuera en Amérique du Nord?
Que manque-t-il, d'une part, au processus de francisation et, d'autre part, aux corridors d'immigration?
Vous avez parlé des professeurs, mais y a-t-il autre chose à mentionner?
:
À mon avis, il est essentiel que le gouvernement canadien fortifie davantage la présence de ses agents d'immigration à l'étranger. Cela vaut autant pour le Québec que pour le gouvernement canadien. Je sais qu'à une certaine époque, en ce qui concerne le Québec, on a réduit la taille des bureaux ou on les a regroupés.
Je pense que, autant pour le Québec que pour le Canada, il est essentiel de s'assurer qu'on déploie les meilleurs efforts dans les ambassades et les consulats du Canada, ainsi que dans les délégations du Québec, pour tenter de cibler les groupes susceptibles d'être sensibles aux messages de possibilités que le Canada et le Québec, en particulier, offrent.
Regardez ce qui se passe dans le secteur hospitalier; près de 10 000 personnes ont quitté leurs fonctions pendant la pandémie.
Regardez ce qui se passe avec les CPE, au Québec; le gouvernement n'a pas pu remplir sa promesse, parce qu'il n'y a pas suffisamment d'éducatrices.
Regardez ce qui s'est produit dans le domaine agricole, l'été dernier.
Il y a énormément d'occasions. Or, on a l'impression que toutes ces occasions qui existent au Québec, comme elles existent ailleurs au Canada, ne sont pas suffisamment comprises et ne servent pas suffisamment d'arguments pour aller vers les ressources d'immigration qui existent dans différents pays.
Madame Jennings, vous avez dit tantôt vouloir monter à bord de l'autobus, mais ne pas vouloir être envoyée à l'arrière. J'espère que vous n'évoquiez pas le racisme pratiqué en Amérique.
On a beaucoup culpabilisé les francophones du Québec pour leur volonté d'assurer l'avenir du français. À mon avis, ce sont plutôt les francophones qui sont actuellement assis à l'arrière de l'autobus, et c'est le français qui est en déclin. Je veux valider cela avec vous.
Considérez-vous que les francophones ont le droit d'assurer l'avenir du français au Québec et au Canada?
Au Québec, les francophones ont-ils le droit de faire du français la langue commune?
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Merci, monsieur le président.
Madame Jennings, c'est à vous que je vais adresser ma question.
Au NPD, quand nous parlons de compétences ou de droits linguistiques, nous ne considérons pas cela comme un jeu à somme nulle. Ce n'est pas parce qu'un joueur gagne que l'autre doit perdre. Nous voulons que tout le monde grandisse et progresse ensemble. Vous avez parlé tantôt — et j'ai bien aimé votre propos — de l'attention particulière qui doit être portée au fait français, vu sa situation extrêmement minoritaire dans le contexte nord-américain.
Les témoins précédents ont parlé de la différence entre l'égalité formelle, selon la loi, et l'égalité réelle, sur le plan sociologique, dans la réalité. Vous, par contre, n'avez pas utilisé le mot « asymétrie ». Selon vous, la langue française, au Québec ou au Canada, est-elle dans une position asymétrique par rapport à la langue anglaise, même si on en reconnaît l'égalité de fait?
C'est tout le temps dont nous disposions pour cette séance.
Au nom de tous les membres du Comité et en mon nom personnel, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation et d'avoir contribué à la présente étude. Je remercie l'honorable Serge Joyal, juriste et ancien sénateur, qui a comparu à titre personnel; l'honorable Marlene Jennings, qui est présidente du Quebec Community Groups Network, ainsi que Mme Sylvia Martin-Laforge, qui est la directrice générale de ce même organisme. Je vous invite à nous faire parvenir toute autre documentation dont nous pourrions prendre connaissance aux fins de cette étude.
En terminant, je veux aussi remercier toute l'équipe qui nous a accompagnés lors de cette séance, soit la greffière, les analystes, les interprètes et les techniciens.
Je vous remercie de votre participation.
C'est ce qui met fin à la réunion d'aujourd'hui.