:
Je déclare la séance ouverte.
[Traduction]
Bienvenue à la 20e séance du Comité permanent des langues officielles de la Chambre des communes.
[Français]
Le Comité se réunit au sujet de son étude intitulée « Mesures du gouvernement pour protéger et promouvoir le français au Québec et au Canada ».
[Traduction]
Pour garantir le bon déroulement de la réunion, j'aimerais vous faire part de certaines règles.
[Français]
Pour celles et ceux qui participent à la réunion à distance — je profite de cette occasion pour le rappeler à tous les participants à cette réunion —, les captures d'écran ou la prise de photo de votre écran ne sont pas autorisées. Cela a été souligné par le Président de la Chambre, M. Rota, le 29 septembre 2020.
[Traduction]
Les députés et les témoins peuvent s'exprimer dans la langue officielle de leur choix. Des services d'interprétation sont offerts pendant la réunion. Au bas de votre écran, vous avez la possibilité de choisir le parquet, l'audio en anglais ou l'audio en français.
[Français]
Avant de prendre la parole, cliquez sur l'icône du micro pour activer votre propre micro. Lorsque vous avez terminé, mettez votre micro en mode sourdine pour minimiser les interférences.
[Traduction]
Je vous rappelle que toutes les observations des députés et des témoins doivent être adressées à la présidence.
[Français]
Lorsque vous parlez, exprimez-vous lentement et clairement.
[Traduction]
À moins de circonstances exceptionnelles, tous les participants à distance doivent utiliser un casque d'écoute et un micro-perche.
[Français]
Nous faisons une exception, cet après-midi, pour notre témoin.
Signalez tout problème technique à la présidence. Veuillez noter que nous pourrions devoir suspendre la séance pendant quelques minutes, étant donné que nous devons pouvoir garantir la pleine participation de tous les députés.
Il n'y a personne en salle.
J'aimerais tout de suite accueillir et souhaiter la bienvenue à notre témoin.
Je voudrais dire à M. Jean-Pierre Corbeil qu'il disposera de sept minutes et demie pour faire son allocution, qui sera suivie d'une période de questions posées par les membres du Comité.
Comme d'habitude, j'utilise un carton jaune pour signaler aux témoins qu'il leur reste une minute. J'utilise un carton rouge pour leur signaler que le temps est écoulé.
Chers membres du Comité, accueillons M. Jean-Pierre Corbeil, directeur adjoint, Diversité et statistique socioculturelle de Statistique Canada.
Monsieur Corbeil, vous avez la parole pour sept minutes et demie.
:
Merci, monsieur le président.
Je remercie les membres du Comité d'avoir invité Statistique Canada à comparaître devant eux afin de nourrir leur étude sur les mesures que le gouvernement du Canada peut prendre pour protéger et promouvoir le français au Canada.
J'aborderai trois points principaux dans ma courte allocution. Dans un premier temps, je parlerai de divers indicateurs et concepts qui permettent de suivre l'évolution du français au Canada. Dans un deuxième temps, je présenterai quelques-uns des enjeux et des défis propres à la situation du français à l'extérieur du Québec et de ceux qui touchent plus particulièrement cette province. Finalement, je terminerai cette allocution en présentant quelques éléments qui devront faire l'objet d'analyses plus approfondies sur le sujet et qui requièrent de prendre en considération la complexité croissante des dynamiques linguistiques et du multilinguisme au pays, et au Québec en particulier.
Tout d'abord, de quoi parle-t-on lorsqu'il est question de la situation du français au Canada? Il existe en réalité plusieurs indicateurs et concepts qui peuvent témoigner de son évolution. Il y a ceux dits traditionnels, qui portent sur l'évolution de l'effectif et de la proportion de la population de langue maternelle française, celle dont le français est la principale langue d'usage au foyer et celle qui le maîtrise suffisamment pour soutenir une conversation.
Toutefois, bien que les données statistiques sur l'usage du français dans la sphère privée soient très utiles et qu'elles révèlent diverses facettes de la diversité linguistique, les politiques, les chartes et les législations en matière de langue visent essentiellement l'espace public. En ce sens, la collecte et la diffusion d'informations sur la langue de travail et les pratiques linguistiques dans divers domaines d'espace public, comme la langue d'enseignement, les services de garde, les activités culturelles, la langue d'affichage public, les communications et les divers services offerts à la communauté, pour ne nommer que ceux-là, sont très importantes et utiles.
Devant cette grande diversité d'indicateurs, la question est donc de savoir lesquels sont jugés les plus importants ou témoignent le mieux de ce qu'on peut appeler l'état et l'évolution du français. Le constat qu'on dresse sur l'état du français pourrait également être différent selon qu'on focalise sur un seul indicateur ou qu'on intègre plusieurs indicateurs non mutuellement exclusifs.
Deux des indicateurs traditionnellement utilisés pour suivre l'évolution du français hors Québec, soit la langue maternelle ou la première langue officielle parlée, révèlent que la population de langue française continue de s'accroître en nombre, mais qu'elle a diminué en proportion. Il en va de même pour ce qui est de la population qui déclare pouvoir soutenir une conversation en français.
Quant à la population parlant le français à la maison, celle qui en fait l'usage prédominant diminue en nombre et en proportion au profit de son usage à égalité avec l'anglais ou comme langue secondaire. De même, en matière de langue de travail, l'usage prédominant du français recule en nombre et en proportion au profit de son utilisation à égalité avec l'anglais.
[Traduction]
Bien entendu, il est périlleux de ne s'en tenir qu'à une analyse globale sans prendre en considération la grande diversité des situations et des contextes selon que l'on réside dans les régions rurales ou les grands centres urbains des provinces atlantiques, de l'Ontario ou des provinces de l'Ouest.
De plus, certains indicateurs moins souvent utilisés témoignent du fait que le tableau n'est pas entièrement négatif. Par exemple, au cours des dix dernières années pour lesquelles les données sont disponibles, le nombre d'inscriptions dans l'ensemble des écoles de langue française en situation minoritaire a connu une croissance de 17 % pour atteindre près de 171 000 élèves. De même, le nombre de jeunes inscrits dans un programme d'immersion en français au Canada s'est accru de près de 70 % depuis le début du tout premier plan d'action pour les langues officielles en 2003, pour s'établir à près de 478 000 jeunes au cours de l'année 2018-2019.
Plusieurs études ont cependant bien documenté le fait que l'enjeu principal dans ce domaine est lié à la rétention des acquis en langue seconde et aux possibilités de les maintenir au fil du temps.
[Français]
Deux enjeux supplémentaires de taille contraignent l'essor du français au Canada hors Québec. L'étude d'envergure intitulée « Projections linguistiques pour le Canada, 2011 à 2036 », diffusée par Statistique Canada en 2017, a montré à quel point des changements majeurs en matière d'effectifs d'immigrants de langue française seraient requis afin de stabiliser le poids démographique de la population de langue française. De plus, la transmission incomplète du français entre les générations, conjuguée à une faible fécondité et au faible statut de cette langue dans nombreuses régions du pays, freine la croissance de la population de langue française.
Au Québec, l'évolution de la présence et de l'usage du français est complexe et multiforme. Par exemple, les données du recensement sur la langue maternelle ou sur la principale langue d'usage à la maison sont généralement utilisées pour décrire l'évolution de la présence du français au Québec. Or nous savons que l'immigration est le principal moteur de croissance de la population et que la grande majorité de ces immigrants — plus de sept sur dix, en réalité — n'ont ni le français ni l'anglais comme langue maternelle. De même, lors du dernier recensement, parmi les quelque 180 000 nouveaux immigrants de plus que comptait la région de Montréal, plus de la moitié parlaient une langue tierce le plus souvent à la maison.
Finalement, il faut mentionner que, sur les quelques 1,1 million d'immigrants qui résidaient au Québec en 2016, 55 % déclaraient parler plus d'une langue à la maison.
Ces quelques statistiques témoignent-elles automatiquement du recul du français au profit de l'anglais au Québec? Pas nécessairement, car la réalité est beaucoup plus complexe.
Par exemple, dans la région métropolitaine de Montréal, lors du dernier recensement, sur les quelque 230 000 travailleurs parlant une autre langue que le français ou l'anglais le plus souvent à la maison, près de 46 % utilisaient le plus souvent le français au travail, tandis que 18 % l'utilisaient à égalité avec l'anglais.
De même, entre 2006 et 2016, on y a observé une baisse de 6 points de pourcentage de l'utilisation prédominante de l'anglais au travail par les travailleurs de langue maternelle anglaise et de 7 points chez ceux de langue maternelle tierce au profit d'une utilisation prédominante du français ou à égalité avec l'anglais. À l'inverse, c'est chez les travailleurs de langue maternelle française qu'on a observé une baisse de l'utilisation prédominante du français au profit de l'utilisation des deux langues à égalité.
Selon l'Office québécois de la langue française, on a observé une croissance de l'accueil bilingue dans les commerces de Montréal entre 2010 et 2017, mais la possibilité de se faire servir en français était demeurée stable à hauteur de 95 %.
Par ailleurs, lors du dernier recensement, parmi les quelque 6 000 étudiants de langue maternelle française qui ont obtenu un diplôme de l'Université McGill entre 2006 et 2011, plus de 80 % ont déclaré parler le français le plus souvent à la maison. Il ne s’agit là, bien sûr, que de quelques exemples qui témoignent de la complexité de la dynamique linguistique qui prévaut au Québec.
Avant de conclure, j'aimerais souligner que, au-delà des informations sur la présence du français comme langue maternelle et comme principale langue d'usage à la maison, il importe de pousser plus loin l'analyse de plusieurs dynamiques et dimensions de l'évolution de la situation du français.
Au Québec, par exemple, quels sont les facteurs spécifiques qui expliquent l'accroissement du bilinguisme français-anglais au travail? Quel rôle jouent les secteurs d'industrie impliqués dans le commerce extérieur avec le reste du pays ou à l'international?
Une analyse plus fine de ces questions est absolument nécessaire, d'autant que l'on connait depuis longtemps la place grandissante qu'occupent les biens et les services des industries de pointe et du savoir, ainsi que leurs exportations vers l'extérieur du Québec. De même, il faut mieux comprendre pourquoi l'on observe une sous-représentation marquée des populations issues de l'immigration dans les administrations publiques provinciales, régionales et locales et les sociétés d'État sur le territoire de la région métropolitaine de Montréal, des secteurs où l'usage du français est pourtant quasi généralisé.
Il semble également impératif de mieux comprendre le rôle des trajectoires linguistiques et scolaires, d'une part, et la langue utilisée dans l'espace public au Québec, d'autre part.
De même, devant la complexité croissante des dynamiques linguistiques en présence et le multilinguisme croissant à la maison dans la région de Montréal, il faut sans doute repenser l'usage des indicateurs traditionnels que sont la langue maternelle et la langue parlée le plus souvent à la maison, incluant la focalisation sur les transferts linguistiques, et mieux les intégrer à d'autres indicateurs des pratiques linguistiques afin d'obtenir un portrait plus complet de l'évolution de la présence du français au Québec.
Au Canada hors Québec, la transmission du français aux enfants, le maintien des acquis chez les jeunes dont le français est la langue seconde, une meilleure compréhension des problèmes et des obstacles qui freinent l'accroissement, l'intégration et l'inclusion d'une immigration de langue française très diversifiée sur le plan ethnoculturel, ainsi qu'une meilleure compréhension des obstacles et des possibilités en matière de trajectoires scolaires en français, du préscolaire à l'universitaire, ne sont également que quelques exemples parmi tant d'autres qui requièrent des analyses plus approfondies.
En terminant, les nombreuses données qui seront recueillies lors du recensement de la population de 2021, au mois de mai prochain, et de la prochaine enquête sur la population de langue officielle en situation minoritaire en 2022, conjuguées à celles provenant d'autres sources de données administratives et d'enquêtes, permettront de construire un riche écosystème de données pour enrichir notre compréhension des dynamiques complexes entourant l'évolution de la situation du français au pays.
Je vous remercie de votre attention. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions sur le sujet.
:
Je vous remercie de la question, qui est très pertinente.
Il est évident que, si l'on regarde l'évolution depuis le recensement de 2001, sans égard à la question de la comparabilité entre les recensements, il en ressort que nous avons des populations vieillissantes, notamment dans les provinces atlantiques. Au Nouveau-Brunswick, par exemple, la population a même décliné dans son ensemble entre 2011 et 2016, et non seulement la population de langue française.
Il y a des défis particuliers. Par exemple, on remarque une anglicisation vraiment considérable dans les provinces atlantiques. La proportion des francophones qui utilisent l'anglais le plus souvent à la maison est très importante. Bien entendu, il y a d'énormes variations selon le poids démographique que représentent ces populations.
En Ontario, il suffit de penser à Toronto, où il n'y a pas de réelle concentration de francophones sur le territoire. Il y a un nombre important de locuteurs du français, mais cela ne se compare pas à la région d'Ottawa ou dans le nord de l'Ontario.
Cela a beaucoup évolué dans le temps, mais pas seulement en fonction de l'apport de la migration. Il faut bien comprendre que les provinces atlantiques n'accueillent que très peu d'immigrants de langue française. La majorité de ceux-ci s'établissent à Ottawa, à Toronto, à Calgary, à Edmonton et à Winnipeg, notamment. Encore là, tout est une question de concentration.
Quand on parle de l'évolution du français, il faut considérer les facteurs qui contribuent à l'évolution de la population. On a dit qu'il y avait deux facteurs clés. L'immigration a déjà été mentionnée, mais il y a aussi la migration interprovinciale. Au Nouveau-Brunswick, par exemple, on observe une situation assez particulière, soit une importante mobilité vers l'extérieur de la province de personnes de langue française hautement diplômées.
Dans le nord du Nouveau-Brunswick, on a de la difficulté à retenir les immigrants. Pour des raisons économiques ou socioéconomiques, ceux-ci préfèrent en effet émigrer à l'extérieur de la province. Certaines régions reçoivent très peu de personnes issues de l'immigration internationale ou de la migration interprovinciale. Même en Ontario, on le voit très bien. Des écoles ferment dans le nord de cette province alors que, dans le sud-ouest, les écoles débordent.
La migration joue donc un rôle extrêmement important. Dans certaines communautés, la concentration de francophones est plus élevée. Dans de tels cas, la vitalité du français est sans doute plus importante et meilleure que dans des régions qui accueillent très peu de personnes issues de la migration, dont la population est plutôt vieillissante et qui doivent faire face à l'exode des jeunes générations.
:
Oui, tout à fait. Je dois avouer que ce résultat de 94 % est très stable dans le temps. Cependant, vous n'avez pas tort, car on a déjà fait des enquêtes où l'on modifiait légèrement la question de façon à demander aux gens s'ils pouvaient s'exprimer sur divers sujets. À ce moment, la proportion baissait.
Cela étant dit, je pense que beaucoup de gens s'entendent sur le fait que la capacité de soutenir une conversation n'est pas un indicateur très solide de la situation du français au Québec. Ce qui est peut-être important à cet égard, à mon avis, c'est la mesure dans laquelle on en fait un usage. Est-ce que cela doit nécessairement être un usage principal?
Je donnais l'exemple, tout à l'heure, de ce qui se passe en milieu de travail. Entre 2006 et 2016, soit sur une période de 10 ans, la population qui déclarait parler le français et l'anglais à égalité au travail est passée de 4,7 % à 7,4 %. Or, on connaît très mal les facteurs qui expliquent cet accroissement. On sait, par exemple, que les exportations vers l'étranger en matière de biens et de services se sont accrues de façon importante, en particulier dans les industries de services. Évidemment, ce n'est pas le seul facteur qui explique cette évolution. On ignore si cela provient du milieu de travail interne ou si cela découle du fait que le Québec, notamment Montréal, est une plateforme de l'intelligence artificielle, de la haute technologie, des industries du multimédia, de l'aéronautique, et ainsi de suite.
C'est assurément une analyse qu'il faut pousser plus loin pour mieux comprendre la situation et, peut-être, pour mieux agir et mieux influer sur la valorisation de l'usage du français au travail.
:
Je vous remercie de la question.
Bien sûr, les projections démographiques reposent sur des hypothèses et des scénarios. Nous avons élaboré bon nombre de ces scénarios en prenant en considération les tendances observées au cours des 15 années précédant le recensement de 2011 ou l'Enquête nationale auprès des ménages. En utilisant et en examinant ces tendances, nous pouvons effectuer une analyse très fine, étant donné que nous utilisons dans ce cas ce qu'on appelle la microsimulation. Nous assignons à chaque Canadien une probabilité, soit celle de vivre un événement au cours de son existence, qu'il s'agisse de migrer, d'apprendre une langue, de donner naissance à un enfant, ou d'autre chose encore. Nous savons, par exemple, que les personnes venant de donner naissance à un enfant sont moins susceptibles de migrer vers une autre province pendant un certain nombre d'années. Tout cela est pris en compte. C'est extrêmement complexe.
Cela étant dit, étant donné que le Québec accueille majoritairement des immigrants dont la langue maternelle n'est ni l'anglais ni le français, nous ne sommes pas étonnés de voir que le français en tant que langue maternelle diminue de façon importante dans cette province. Cela fait partie des résultats importants que nous observons. Il y a eu une poussée importante du nombre d'immigrants de langue anglaise au cours des dernières années au Québec. Même en tenant compte du poids relatif, il semble que, de façon générale, les immigrants soient plus nombreux à s'orienter vers l'anglais que vers le français. Ultimement, cela fait en sorte que ces immigrants ont davantage tendance à utiliser l'anglais que le français.
Toutefois, contrairement à ce que plusieurs personnes pourraient penser, il y aurait sur l'île de Montréal une stabilisation de l'ordre de 66 % environ pour ce qui est de la population qui déclare avoir comme première langue officielle parlée le français. Nous ne nous attendons pas nécessairement à une diminution, parce qu'il y a de plus en plus de migration de l'île de Montréal vers la couronne. En revanche, il y a une augmentation importante de la population de langue anglaise à Laval et sur la Rive-Sud. Bien sûr, cela contribue à ce que le poids du français comme langue parlée à la maison diminue.
Il ne faut pas oublier — et c'est sans doute le défi important qui nous pousse à considérer divers indicateurs — que les transferts linguistiques effectués par la population de langue maternelle tierce ne suffisent pas à compenser la croissance de cette population à long terme.
:
Le Comité reprend maintenant ses travaux.
Le Comité se réunit aujourd'hui dans le cadre de son étude portant sur les mesures du gouvernement pour protéger et promouvoir le français au Québec et au Canada.
[Traduction]
J'aimerais formuler quelques observations pour renseigner les témoins.
[Français]
Avant de prendre la parole, attendez que je vous nomme. Lorsque vous êtes prêts à parler, cliquez sur l'icône représentant le micro pour activer celui-ci.
[Traduction]
Je vous rappelle que toutes les observations doivent être adressées à la présidence.
[Français]
Les services d'interprétation offerts au cours de cette vidéoconférence sont à peu près les mêmes que ceux offerts pendant les réunions régulières du Comité. Au bas de votre écran, vous pouvez choisir entre le parquet, l'anglais ou le français.
[Traduction]
Lorsque vous parlez, exprimez-vous lentement et clairement, et mettez votre micro en sourdine lorsque vous n'intervenez pas.
[Français]
J'aimerais maintenant souhaiter la plus cordiale des bienvenues à nos témoins de ce soir.
Vous disposerez chacun de sept minutes et demie pour livrer votre présentation. Je vous aviserai lorsqu'il vous restera une minute, et le carton rouge vous indiquera que votre temps est écoulé. Les membres du Comité sont bien au fait de cette procédure.
Nous recevons ce soir, à titre personnel, M. Charles Castonguay, qui est professeur à la retraite, et M. Patrick Sabourin, qui est docteur en démographie.
Je vais d'abord céder la parole à M. Castonguay pour sept minutes et demie.
Monsieur Castonguay, vous avez la parole.
:
Je vous remercie, monsieur le président.
Bonsoir, mesdames et messieurs.
[Traduction]
Nos politiques linguistiques fédérales et provinciales ne permettent pas de préserver la dualité linguistique fondamentale du Canada ou le caractère français de la province du Québec. Ma conclusion repose sur l'analyse de près d'un demi-siècle de données de recensement.
Premièrement, je vais expliquer brièvement pourquoi nos politiques linguistiques échouent à ces deux égards. Plus un groupe linguistique minoritaire est concentré sur un territoire donné, mieux il résiste à l'assimilation à la langue majoritaire. Par conséquent, une politique linguistique visant à préserver le volet français de la population du Canada aurait dû maintenir et promouvoir, d'abord et avant tout, le caractère français du Québec.
Toutefois, la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme a rejeté une telle approche. La Commission a plutôt opté pour la liberté de choix individuelle, et pour la libre circulation des personnes d'un océan à l'autre, sans mesure linguistique susceptible de restreindre cette mobilité. Ce principe de libre-échange linguistique a guidé la politique linguistique du Canada depuis.
Il est frappant de constater qu'au même moment, la Commission Gendron du Québec était également préoccupée par la façon d'assurer la libre circulation des Québécois unilingues francophones dans l'ensemble de leur province, qui était notamment entravée par la domination de l'anglais dans le monde du travail montréalais. Le Québec a donc opté pour une politique visant à préserver le caractère français de la province, avec le français comme seule langue officielle et une Charte de la langue française visant à faire du français la langue par défaut des communications publiques générales entre tous les Québécois, y compris au travail.
Le conflit était inévitable entre l'approche du Canada favorisant le libre-échange linguistique et la « langue officielle de votre choix », et l'approche protectionniste du Québec favorisant « une seule langue officielle et commune ». Le résultat était également inévitable. Les tribunaux ont laissé bien peu de la version originale la Charte de la langue française du Québec. Cette situation a eu des conséquences désastreuses pour le français du Québec et, automatiquement, pour le français de l'ensemble du Canada.
Je vais maintenant citer quelques statistiques. La composante de la langue française parlée à la maison au sein de la population canadienne est passée de 29 % en 1951 à 21 % selon le dernier recensement, en 2016. Depuis l'adoption de la Loi sur les langues officielles du Canada, le pourcentage de Canadiens ayant le français comme langue la plus souvent parlée à la maison a diminué tout aussi rapidement. En revanche, la population de langue anglaise du Canada s'est plutôt bien maintenue.
C'est surtout le pouvoir d'assimilation extraordinairement puissant de l'anglais qui explique cette situation. Le nombre de Canadiens de langue maternelle française qui ont adopté l'anglais en tant que langue principale à la maison a augmenté de façon constante, passant de moins de 300 000 en 1971 à plus de 400 000 en 2016. Au cours de cette même période, le nombre de Canadiens de langue maternelle non officielle qui se sont assimilés à l'anglais est passé de 1,2 million à 2,7 millions, tandis que le nombre de ces Canadiens qui se sont assimilés au français n'a atteint qu'un quart de million, une hausse en grande partie attribuable au fait que le Québec choisissait des immigrants qui avaient déjà adopté le français comme langue principale à la maison lorsqu'ils étaient à l'étranger, avant de s'établir au Québec.
Dans l'ensemble, le gain global que l'anglais tire de l'assimilation au Canada est passé de moins de 1,5 million de personnes en 1971 à plus de 3 millions en 2016. Le français, en revanche, reste enlisé dans une perte globale attribuable à l'assimilation de l'ordre de 180 000 personnes, selon le dernier recensement.
Dans l'ensemble du Canada, la politique linguistique du pays et la Charte de la langue française cruellement affaiblie du Québec n'ont donc aucunement empêché l'érosion du volet francophone de la population canadienne.
Dernièrement, la situation ne semble pas plus rose pour le français au Québec. En effet, de 2001 à 2016, c'est-à-dire au cours des 15 dernières années, la majorité francophone du Québec a chuté à un rythme record et a atteint un plancher historique. Par contre, pour la première fois dans l'histoire du recensement, l'anglais s'est maintenu au Québec en tant que langue maternelle et a gagné un peu de terrain en tant que langue principale à la maison.
Le changement le plus stupéfiant est celui constaté sur l'île de Montréal, où les jeunes de langue maternelle française sont maintenant plus souvent bilingues que leurs homologues anglophones et adoptent maintenant l'anglais comme langue principale à la maison à un taux de 6 %.
Pour ce qui est de la situation du français dans le reste du Canada, le taux d'anglicisation de la population de langue maternelle française hors Québec a augmenté de façon constante, passant de 27 % en 1971 à 40 % en 2016.
La preuve la plus accablante de la faillite de la politique linguistique du Canada demeure toutefois l'anglicisation sans cesse croissante des francophones dans la capitale même du Canada qui a très exactement doublé depuis l'entrée en vigueur de la Loi sur les langues officielles du Canada, passant de 17 % en 1971 à 34 % en 2016. Ce taux a même dépassé 40 % en 2016 chez les jeunes adultes de langue maternelle française, un précurseur avéré d'une anglicisation encore plus forte à venir.
Il est donc grand temps de s'assurer que la politique linguistique du Canada prévient la progression de l'érosion du volet francophone d'une dualité linguistique canadienne en déclin.
:
Merci, monsieur le président.
Bonjour à tous. Je remercie le Comité de m'avoir invité.
J'aimerais commencer mon intervention en soulignant que je comparais ici à titre personnel, en tant que scientifique, démographe et citoyen préoccupé par l'avenir de la langue française.
Mon intervention s'inscrit dans le premier volet du mandat de cette étude, qui demande de brosser un portrait objectif et détaillé de la situation du français et de l'anglais au Québec. Je vais donc brièvement présenter le fruit de mes travaux de recherche sur l'avenir démographique de la langue française au Canada.
Cependant, avant de commencer, je voudrais informer le Comité que la correspondance transmise pour convoquer les témoins contient des fautes de français et plusieurs exemples de ce que Gaston Miron appelait le « traduidu », c'est-à-dire des phrases qui ont l'air d'être en français, mais qu'on ne comprend parfaitement qu'en en lisant la version anglaise.
Je ne souligne pas cela parce que je suis un puriste de la langue. Vous ne me verrez jamais au front pour la sauvegarde du bon français ou pour abolir le groupe Radio Radio. Cependant, le gouvernement fédéral, par son statut institutionnel et par sa prétention au bilinguisme, se doit d'être exemplaire, qui plus est lorsqu'il s'agit du Comité permanent des langues officielles.
Une langue vivante est une langue qui pense le réel en dehors des filtres que lui imposerait une langue tierce. Si le français n'est qu'une langue de traduction, si elle ne peut être réellement vivante au sein même du gouvernement fédéral, comment ce dernier pourrait-il avoir l'autorité morale pour défendre la cause de la langue française partout au pays.
Comme l'a déjà montré le professeur Charles Castonguay, le français décline au Québec et au Canada, et ce, depuis un bon moment.
Le déclin s'accélère au Québec depuis le début des années 2000. Au cours de cette brève allocution, j'aimerais mettre l'accent sur les causes de ce déclin et sur les perspectives d'avenir.
D'abord, quand on parle de déclin, on parle d'une baisse du poids démographique des francophones par rapport aux autres groupes linguistiques. Plus le poids du français diminue, moins il est compétitif sur le plan démographique: c'est-à-dire qu'il y aura moins de gens et moins de demandes pour des services en français par exemple, moins de possibilités de travailler en français, moins d'immigrants qui auront l'occasion ou le désir de côtoyer des francophones, etc.
Au Canada, ce qui importe surtout, c'est le poids relatif du français par rapport à l'anglais puisque ces deux langues entrent en compétition l'une avec l'autre. Les deux langues sont officielles partout sur le territoire, le choix linguistique est laissé à l'individu. On parle ici d'un principe de personnalité.
Il existe d'autres formes d'aménagement linguistique qui limitent cette compétition. En Suisse, par exemple, c'est le lieu de résidence qui détermine l'usage des langues: on parle alors d'un principe de territorialité. La compétition entre les langues est limitée à certaines zones désignées bilingues.
Passons au déclin du français et au régime démographique. La démographie, sur le fond, est une discipline assez simple: pour connaître l'évolution d'une population, il faut connaître ce qui y entre et ce qui en sort. On peut y entrer en immigrant ou par une naissance, on peut en sortir par un décès ou en émigrant, c'est-à-dire en déménageant hors de sa région.
Quand on parle d'un groupe linguistique en démolinguistique, on peut aussi entrer ou sortir d'une population en changeant de langue d'usage. C'est un peu comme déménager, mais c'est déménager de langue. C'est ce qu'on appelle une substitution linguistique.
Pour anticiper l'avenir, il faut d'abord comprendre le régime démographique qui a historiquement déterminé la dynamique linguistique au Canada. Comme on a sept minutes, il va falloir travailler à la hache comme on dit, grossièrement. Vous me pardonnerez les approximations.
Faisons un petit retour en arrière.
Au début du XXe siècle, avant la Seconde Guerre mondiale, on a un régime de forte fécondité à l'avantage des francophones et c'est ce qu'on a appelé, à tort ou à raison, « la revanche des berceaux ». Cet avantage est mitigé par une forte sortie des francophones vers les États-Unis et par une immigration cyclique européenne et britannique au profit des anglophones, surtout à l'extérieur Québec.
Après le baby-boom, il y a eu ce qu'on appelle un baby bust, c'est-à-dire que la fécondité chute rapidement, et cela a annulé définitivement l'avantage de fécondité des francophones. Cependant, au Québec, à partir des années 1970, on assiste à un important exode des anglophones qui contribue à maintenir le poids démographique du français. C'est l'époque référendaire qui se poursuit jusqu'au milieu des années 1990.
À partir des années 1990, les taux d'immigration augmentent de manière importante et se maintiennent à des niveaux parmi les plus élevés au monde, on parle d'environ deux fois le niveau des États-Unis. Cette immigration est de moins en moins européenne et de plus en plus diversifiée. Pendant ce temps, la fécondité des Canadiens et des Québécois demeure bien en deçà du seuil de remplacement. Les anglophones sont toujours mobiles, mais pas autant que durant la période référendaire. Ils quittent moins le Québec. En conséquence, le déclin du français prend de l'ampleur, ce qu'a démontré M. Castonguay.
La table est mise pour l'avenir: au cours des prochaines décennies, on aura une faible fécondité et une pression à la hausse sur les seuils d'immigration. Au Canada hors Québec, l'assimilation linguistique des francophones devrait se poursuivre.
Comme la fécondité des francophones est très semblable à celle des anglophones, le potentiel de croissance des deux groupes va venir essentiellement de l'immigration.
Pour assurer le maintien et l'équilibre linguistique, le français doit pouvoir intégrer une part des immigrants correspondant à son poids démographique parmi les langues officielles canadiennes, qui est d'environ 90 % au Québec.
Or les substitutions linguistiques y sont à peu près réparties de façon égale. Au Canada hors Québec, toutes les substitutions vont vers l'anglais, mais, au Québec, c'est à peu près égal.
Si cette proportion a fait des progrès au cours des dernières décennies, c'est en grande partie grâce à l'augmentation de la part de l'immigration francophone. Le statut et l'attractivité du français au Québec ont fait peu de progrès, et l'amélioration des substitutions linguistiques vers le français plafonne. La faiblesse de l'attractivité du français au Québec a donc été masquée par deux phénomènes, soit la forte propension des anglophones à quitter le Québec, qui tirait à la hausse le poids des francophones, et la sélection des immigrants francisés à l'étranger, qui donnait l'impression qu'on francisait ces immigrants sur place. Ce sont deux phénomènes dont les effets auront tendance à s'estomper.
En tenant compte de tous ces facteurs, on peut projeter que le français déclinera un peu partout au Canada et au Québec à court et à moyen terme. Il ne serait pas utile de vous enterrer ici sous une montagne de chiffres. Mentionnons seulement quelques faits saillants provenant de mes travaux doctoraux. D'abord, à l'extérieur du Québec, le français décline en relatif et en absolu. Le poids démographique des francophones va diminuer et les francophones seront de moins en moins nombreux. Le déclin est essentiellement dû au vieillissement démographique et à l'assimilation linguistique.
Au Québec, le déclin du français est relatif, c'est-à-dire que le poids démographique du français diminue par rapport à l'anglais. Dans l'ensemble, on assiste à une anglicisation et à une polarisation linguistique du Canada. On assiste à une anglicisation, parce que le français a perdu du terrain un peu partout, et à une polarisation parce que les francophones seront de plus en plus concentrés au Québec, à l'extérieur de la région métropolitaine de recensement de Montréal.
Il faut aussi tenir compte du fait que les changements anticipés à l'échelle fédérale et provinciale cachent des changements locaux encore plus importants. La banlieue montréalaise, par exemple, est en pleine mutation depuis 10 ou 15 ans, et cette mutation...
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Merci, monsieur le président.
Je vous remercie, messieurs Sabourin et Castonguay, de votre présence parmi nous à cette heure aussi tardive.
Je trouve cela intéressant et un peu décevant. Votre témoignage est intéressant, mais le constat que vous faites sur l'avenir de la langue française est décevant.
Une question me brûle les lèvres. Nous ne sommes pas des experts. Nous n'avons pas fait de recherches exhaustives sur le déclin de la langue française, plus particulièrement dans la région de Montréal. Nous sommes conscients de cela et c'est pour cela que nous avons agi. C'est pour cela que nous faisons cette étude aujourd'hui.
En tant que législateur, j'aimerais pouvoir poser des gestes concrets pour diminuer le déclin et renverser la courbe pour faire en sorte que le français reprenne sa place. Il faut comprendre que, dans l'histoire, nos ancêtres ont mené plusieurs batailles grâce auxquelles, aujourd'hui, nous pouvons échanger en français au sein du Comité permanent des langues officielles du Canada, un pays qui a deux langues officielles.
Ma question s'adressera à vous deux, messieurs Castonguay et Sabourin.
Si, demain matin, vous deveniez les décideurs de la rédaction de la nouvelle loi, quelles seraient vos cinq priorités pour renverser la courbe?
Je voudrais remercier nos deux témoins de leurs témoignages-chocs de ce soir. J'ai la chance de siéger au Comité permanent des langues officielles depuis plusieurs années et je dois vous dire que ce sont vraiment deux témoignages percutants. J'irais jusqu'à dire que, pour le Comité, c'est une sortie du placard où l'on se penche vraiment sur la situation du français, non seulement à l'échelle du pays, mais au Québec.
Je vous félicite, monsieur Castonguay, pour votre livre coup de coeur que vous venez de lancer.
Mes deux questions sont les suivantes.
Pouvez-vous laisser un message au Comité, ce soir, justement sur le rôle que le Canada [difficultés techniques] pour forcer le foyer canadien-français.
Ma question qui s'adresse à M. Sabourin est la suivante: les répercussions de la Loi sur les langues officielles [difficultés techniques] des mesures réparatrices et des mesures proactives. Vous en avez évoqué plusieurs. J'aimerais peut-être, si c'est possible dans le temps qu'il nous reste, vous entendre à ce sujet. J'aimerais également vous remercier encore une fois de votre étude, que j'estime très importante.
Je veux vous répéter que c'est un pivot, ce soir, au Comité permanent des langues officielles. C'est un constat percutant sur l'état du français au pays et au Québec.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je veux à mon tour remercier nos deux témoins.
Messieurs Castonguay et Sabourin, je vous remercie d'être avec nous ce soir.
Monsieur Sabourin, vous êtes l'heureux élu, c'est à vous que s'adresse ma question.
Tout à l’heure, nous avons entendu le témoignage de notre statisticien, M. Corbeil, qui nous a parlé des projections linguistiques pour le Canada. Il nous a fourni un document sur l'étude de 2011 à 2036.
Ce document fait mention du recul du français à l'échelle du pays, y compris au Québec. Il fait également mention des projections pour la minorité anglophone du Québec. Le rapport stipule que ce recul est dû, notamment, à l'accroissement de l'immigration et que les langues maternelles et officielles, dont le français et l'anglais, sont en déclin au profit des langues maternelles tierces. Je veux avoir votre opinion à ce sujet.
Premièrement, que pensez-vous de ces projections?
Deuxièmement, que pouvez-vous dire sur le déclin de la langue anglaise sur le territoire québécois?
Dernièrement, à quoi attribuez-vous ce déclin plus précisément?