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AANR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent des affaires autochtones, du développement du Grand Nord et des ressources naturelles


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mercredi 5 février 2003




¹ 1535
V         Le président (M. Raymond Bonin (Nickel Belt, Lib.))
V         M. John Graham (directeur, Institut sur la gouvernance)

¹ 1540

¹ 1545

¹ 1550

¹ 1555
V         Le président
V         M. Brian Pallister (Portage—Lisgar, Alliance canadienne)

º 1600
V         M. John Graham
V         M. Brian Pallister
V         Le président
V         M. Brian Pallister
V         M. John Graham
V         M. Brian Pallister
V         Le président
V         M. Yvan Loubier (Saint-Hyacinthe—Bagot, BQ)

º 1605
V         M. John Graham
V         Le président
V         M. Pat Martin (Winnipeg-Centre, NPD)
V         M. John Graham
V         M. Pat Martin
V         M. John Graham
V         M. Pat Martin
V         M. John Graham
V         M. Pat Martin
V         M. John Graham

º 1610
V         M. Pat Martin
V         M. John Graham
V         M. Pat Martin
V         M. John Graham
V         M. Pat Martin
V         M. John Graham
V         Le président
V         M. Charles Hubbard (Miramichi, Lib.)

º 1615
V         M. John Graham
V         Le président
V         M. John Graham
V         Le président
V         M. Maurice Vellacott (Saskatoon—Wanuskewin, Alliance canadienne)
V         M. John Graham
V         M. Maurice Vellacott
V         M. John Graham
V         Le président
V         M. Julian Reed (Halton, Lib.)

º 1620
V         M. John Graham
V         M. Julian Reed
V         M. John Graham
V         M. Julian Reed
V         Le président
V         M. Yvan Loubier
V         Le président
V         M. John Graham
V         Le président
V         Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.)

º 1625
V         M. John Graham
V         Le président
V         M. Pat Martin
V         M. John Graham
V         M. Pat Martin
V         M. John Graham
V         M. Pat Martin
V         M. John Graham
V         Le président

º 1630
V         M. Clarence (Manny) Jules (président, Commission consultative de la fiscalité indienne)

º 1635

º 1640
V         Le président
V         M. Maurice Vellacott
V         M. Clarence Manny Jules
V         M. Maurice Vellacott
V         M. Clarence Manny Jules
V         M. Maurice Vellacott
V         M. Clarence Manny Jules
V         M. Maurice Vellacott
V         M. Clarence Manny Jules
V         M. Maurice Vellacott

º 1645
V         M. Clarence Manny Jules
V         M. Maurice Vellacott
V         M. Clarence Manny Jules
V         M. Maurice Vellacott
V         M. Clarence Manny Jules
V         M. Maurice Vellacott
V         M. Clarence Manny Jules
V         M. Maurice Vellacott
V         Le président
V         M. Yvan Loubier
V         M. Clarence Manny Jules

º 1650
V         M. Yvan Loubier
V         M. Clarence Manny Jules
V         Le président
V         M. Pat Martin

º 1655
V         M. Clarence Manny Jules
V         Le président
V         M. Pat Martin
V         M. Clarence Manny Jules
V         M. Pat Martin
V         M. Clarence Manny Jules
V         Le président
V         M. Julian Reed

» 1700
V         Le président
V         M. Clarence Manny Jules
V         Le président
V         M. Maurice Vellacott
V         Le président
V         M. Yvan Loubier
V         Le président
V         M. Pat Martin
V         M. Clarence Manny Jules

» 1705
V         M. Pat Martin
V         M. Clarence Manny Jules
V         M. Pat Martin
V         M. Clarence Manny Jules
V         Le président
V         M. Charles Hubbard
V         Le président
V         M. Clarence Manny Jules
V         Le président
V         M. Clarence Manny Jules

» 1710
V         Le président
V         M. Clarence Manny Jules
V         Le président










CANADA

Comité permanent des affaires autochtones, du développement du Grand Nord et des ressources naturelles


NUMÉRO 022 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mercredi 5 février 2003

[Enregistrement électronique]

¹  +(1535)  

[Traduction]

+

    Le président (M. Raymond Bonin (Nickel Belt, Lib.)): Bienvenue à tous. Nous reprenons aujourd'hui l'étude du projet de loi C-7, Loi concernant le choix des dirigeants, le gouvernement et l'obligation de rendre compte des bandes indiennes et modifiant certaines lois.

    Nous avons aujourd'hui le plaisir d'accueillir le directeur de l'Institut sur la gouvernance, M. John Graham.

    M. Graham, soyez le bienvenu parmi nous. Nous vous remercions d'avoir accepté notre invitation. Nous vous prions sans tarder de bien vouloir nous faire votre exposé, après quoi, il y aura une période de questions.

    Les membres de notre comité savent que le temps de parole accordé est de cinq minutes, et qu'il comprend à la fois les questions et les réponses. Si la question est trop longue, c'est votre réponse qui risque d'être interrompue. On vous permettra cependant de faire des remarques en guise de conclusion.

    Monsieur Graham, la parole est à vous.

+-

    M. John Graham (directeur, Institut sur la gouvernance): Je vous remercie, monsieur le président.

    Je suis du Nord de l'Ontario, monsieur Bonin. Il y fait tellement froid, que nous parlons tous très vite là-bas et brièvement. Autrement, notre visage risquerait de geler.

    Je vais vous faire un exposé, qui devrait durer à peu près 20 minutes. Je répondrai ensuite aux questions qu'on me posera.

    J'aimerais d'abord vous parler un peu de l'Institut sur la gouvernance, au cas où certains d'entre vous ne le connaîtraient pas. Quelqu'un m'a un jour demandé ce qui se passait lorsqu'on quittait la fonction publique pour passer au secteur sans but lucratif. J'ai répondu que chaque nouvelle occasion représente une possibilité sur le plan commercial. Je vais donc vous donner une idée de ce qu'est notre organisme.

    Nous avons reçu le mandat de favoriser une administration efficace, tant par la théorie que par l'action. Nous comptons maintenant six associés et 14 employés. Nous sommes financièrement autonomes. Nous ne recevons aucun soutien financier de quelque organisation que ce soit, y compris le gouvernement fédéral. Nous estimons que cela nous aide à avoir l'esprit d'entreprise et à être réceptifs.

    Nous oeuvrons à la fois sur les plans national et international. Parmi les sujets que nous abordons, mentionnons la capacité d'élaboration des politiques ainsi que notre très importante initiative portant sur la biotechnologie en gouvernance. Sur ce dernier point, nous nous efforçons de susciter un plus grand intérêt des parlementaires pour les enjeux liés à la biotechnologie. Si certains d'entre vous veulent en savoir plus sur le sujet, je me ferai un plaisir de leur en parler après l'audience.

    L'engagement des citoyens est un autre sujet qui nous tient à coeur, tout comme l'éthique et la gouvernance.

    Notre organisme se situe dans le premier tiers de tous les groupes de réflexion canadiens. J'aimerais penser que cela tient à la qualité de nos renseignements, mais notre revenu est peut-être la mesure plus objective de notre rang.

    Nous avons un site Web assez complet. Je vous fournirai d'ailleurs volontiers notre adresse sur la toile si vous le souhaitez.

    J'aimerais maintenant vous donner les grandes lignes de mon argumentation. Une bonne gouvernance est essentielle au développement socio-économique des Premières nations. Les nations autochtones ont fait beaucoup de chemin depuis les transformations amorcées au début des années 50. Il est important de rappeler qu'à l'époque, les Premières nations n'administraient à peu près rien.

    À titre d'exemple, je me rappelle avoir eu une conversation avec le chef Hill, ancien chef et membre du conseil de la nation Tyendinaga. Il me disait qu'au début des années 50, leur budget était de 15 000 $. Aujourd'hui, cinquante ans plus tard, on nous dit qu'il est de plusieurs dizaines de millions de dollars. Il faut donc garder à l'esprit que depuis cette époque, il s'est produit une transformation profonde.

    En dépit de cela, pour diverses raisons, de nombreuses Premières nations ont encore une piètre gouvernance. Ici, je précise que j'entends par là, un système de gouvernance, et que je ne cherche nullement à blâmer de manière indirecte les dirigeants des Premières nations, ni leurs administrateurs. Je me penche plutôt sur le système dans son ensemble.

    Les Premières nations font partie d'un système très complexe, comme un grand nombre d'entre vous le savent sans doute. Encore une fois, je parle ici d'un système, dont bien des aspects ont été façonnés sans qu'on ait le moindrement consulté les Autochtones.

    La Loi sur la gouvernance des Premières nations est un modeste pas en avant, et j'insiste sur le terme «modeste». J'illustrerai cela en soulignant certains des graves problèmes actuels en matière de gouvernance, et en montrant comment le projet de loi en traite. Enfin, j'insisterai sur le fait qu'il reste encore beaucoup à faire.

    Ce dont nous avons besoin, c'est d'une véritable transformation de la gouvernance des Premières nations. Si nous tenons vraiment à ce qu'elles prennent la place qui leur revient au sein de la Confédération canadienne, il nous faut adopter de nouvelles solutions, qui s'écartent radicalement de ce que nous faisons actuellement.

    Je vais parcourir tout cela très rapidement. D'ailleurs, la gouvernance a déjà fait l'objet d'une kyrielle d'études internationales qui appuient cette.

    Pour commencer, j'aimerais citer des propos fort pertinents de M. Kofi Annan:

Une bonne gouvernance est peut-être le facteur d'élimination de la pauvreté et de promotion de développement le plus important.

    Il a bien dit «le facteur le plus important». Pourquoi ces spécialistes de la scène internationale affirment-ils cela?

    Ce tableau vous donnera une idée de ce qui sous-tend cette notion de la gouvernance. L'axe des x, axe horizontal, représente l'aide internationale. Plus on se déplace vers la droite, plus l'aide est importante. L'axe vertical, celui des y, illustre la croissance. Tous les points correspondent à des pays.

    En se déplaçant sur l'axe, on s'attendrait normalement à une correspondance entre l'aide et la croissance. La courbe devrait donc monter depuis le coin inférieur gauche jusqu'au coin supérieur droit. Autrement dit, la courbe devrait ressembler à peu près à ceci. Or, ici vous voyez la ligne tirée entre les points; elle descend légèrement. Elle indique davantage d'aide et moins de croissance. Une observation aussi troublante a été faite dans nombre d'études internationales. De tels résultats ne sont pas précisément ce que recherchent les organismes d'aide internationale.

¹  +-(1540)  

    Il doit donc y avoir un autre facteur à l'oeuvre ici, et selon beaucoup d'observateurs, il s'agit de la gouvernance, qui revêt ainsi beaucoup d'importance.

    La diapo suivante cite des propos assez semblables de deux chercheurs de l'Université Harvard, Stephen Cornell et Joseph Kalt, à qui l'on doit une étude de tribus américaines. Je suis sûr que vous avez entendu parler d'eux. On passe ensuite à des données canadiennes beaucoup plus modestes, établissant une nette corrélation entre le faible taux de suicide de certaines Premières nations de la Colombie-Britannique et d'importantes initiatives d'autonomie gouvernementale.

    Chez certaines des nations affichant ce genre d'initiative, le taux de suicide se rapproche même de la moyenne provinciale. La gouvernance ne compte donc pas seulement à l'échelle internationale, mais aussi ici même, chez les Indiens d'Amérique du Nord.

    Bien. Maintenant, quelles sont les preuves de la piètre gouvernance dont souffrent de nombreuses Premières nations? La diapo suivante donne toute une série d'indicateurs financiers, vérifications avec réserve, lourd endettement et plans de cogestion ou de gestion par une tierce partie. L'eau potable est également un indicateur important. Selon la commission O'Connor, qui s'est penchée sur la tragédie de Walkerton, l'eau dont disposent les réserves des Premières nations est l'une des moins propres de l'Ontario.

    Si on me le demandait, j'irais même jusqu'à dire que l'eau est le problème de gouvernance le plus grave pour les Autochtones et le gouvernement du Canada. C'est un enjeu fondamental, auquel sont liées la santé et la sécurité de nos enfants ainsi que des personnes plus âgées. C'est de loin le problème de gouvernance le plus aigu que les Premières nations et le gouvernement du Canada doivent résoudre.

    Parmi les autres indicateurs, il y a lieu de mentionner le nombre réduit de règlements actifs, leur piètre application et le peu de politiques actives. Il y en a de nombreux autres, notamment la durée de vie des logements, la scolarité et les signes de corruption et de népotisme.

    Les diapos suivantes traitent de ce que je considère être les conditions qui ont entraîné l'apparition de certains de ces problèmes; pour chacune d'entre elles, je préciserai ce que prévoit faire la Loi sur la gouvernance des premières nations, le cas échéant.

    À mon avis, il y a lieu de mentionner au premier chef des systèmes de scrutin de style municipal qui sèment la discorde. Je citerai à cette fin Walter McKay, et je vous demanderai de retenir tout particulièrement la seconde phrase:

Non seulement avons-nous divisé les allégeances entre clans, mais ces systèmes d'élection ont divisé les familles, frère contre frère, soeur contre soeur, parents contre leurs enfants et aînés contre aînés.

    Encore une fois, un tel phénomène n'est pas limité au Canada. Les puissances coloniales de l'Afrique ont entraîné les mêmes conséquences désastreuses à mon avis, en utilisant le même système électoral uninominal majoritaire à un tour.

    Il en résulte donc des collectivités divisées, une instabilité politique et un très faible capital social. Ici, je me reporte bien entendu à la définition de cette notion qu'en donne Robert Putnam, sur la base des recherches qu'il avait menées à Harvard.

    La Loi sur la gouvernance des premières nations prévoit bien un code assez souple portant sur le choix des dirigeants, ce qui pourrait favoriser une réflexion sur les systèmes électoraux. Toutefois, l'actuelle Loi sur les Indiens permet aussi la tenue d'élections selon la coutume, disposition qui peut avoir préséance sur la nouvelle loi. La Loi sur la gouvernance des premières nations n'est donc pas un grand pas en avant pour ce qui est de cette question.

    L'autre enjeu de taille est l'appartenance, les catégories de résidents, qui sont au nombre d'au moins six. Imaginez ce que peut donner dans des collectivités de quelque 600 personnes, le fait d'avoir six catégories de résidents...à la longue, cela signifie la disparition des Indiens inscrits, au sens de la Loi.

    Les deux problèmes que j'ai évoqués tiennent surtout aux taux d'exogamie, et ils ne feront que s'aggraver, au fur et à mesure que l'exogamie augmentera, que les gens iront à l'université, entreront dans la population active, etc. On peut en conclure que les problèmes de collectivités divisées s'accroîtront, et bien sûr, la Loi sur la gouvernance des premières nations ne traite pas des questions liées à l'appartenance.

    Pour vous donner un exemple de la possibilité de la disparition de la notion des Indiens inscrits, le tableau suivant vous montre une croissance démographique stable jusque vers 2031. Le rose représente la Loi sur les Indiens. Après 2031, on observe une baisse puis une chute très marquée jusqu'à la disparition des Indiens inscrits.

    D'autres règles en matière d'appartenance revêtent encore plus d'importance. Ainsi, par exemple, au bas du tableau, on voit la règle des deux parents, ce qui mène encore plus vite à l'extinction des Indiens inscrits.

    La seule règle apportant un peu de stabilité est celle du parent unique, qu'on voit au haut du tableau. Le problème avec cela, c'est que pour bon nombre des Premières nations, elle est tout simplement inadmissible. Elle permettrait en effet à quelqu'un d'aller s'établir à Los Angeles pendant sept générations, après quoi un descendant pourrait revenir à Tyendinaga et dire: «Je suis l'un des vôtres, je suis l'un de vos membres». Bien sûr, une telle chose est tout à fait inadmissible pour beaucoup de gens de Tyendinaga.

¹  +-(1545)  

    Le troisième problème, c'est le traitement des femmes autochtones, l'appartenance, la maison matrimoniale, les ruptures de mariage, les injonctions restrictives, le paiement de pensions aux mineurs, etc. Je crois savoir que vous avez entendu le témoignage de nombreux groupes de femmes autochtones et que vous en entendrez encore et donc je vais passer très rapidement. Je pense que ces groupes sont beaucoup mieux placés que moi pour vous expliquer certains de ces problèmes.

    En ce qui concerne le manque de mesures visant à encourager l'investissement privé, nombre de réserves de Premières nations ont du logement social. Cela entraîne un piètre état du logement et retarde le développement économique. L'emprunt hypothécaire est la principale source de financement des petites entreprises au Canada. Or, de nombreuses Premières nations ne sont pas en mesure de s'en prévaloir à cause de leur système de logement public.

    Il est possible aux termes de l'article 20 de la Loi sur les Indiens d'obtenir ce que l'on appelle un «certificat de possession». C'est une forme de propriété quasi privée et dans certaines Premières nations, il y a en fait un marché du logement.

    La Loi sur la gouvernance des premières nations ne traite pas vraiment de cette question. L'article 15 prévoit des pouvoirs d'emprunt, mais cela n'est pas nécessairement lié à la question du logement public.

    En ce qui concerne la prédominance du secteur public, la plupart des réserves des Premières nations ont un secteur privé et une société civile sous-développés et n'ont pas de médias indépendants. Par conséquent, il y a peu d'automatismes régulateurs, un choix restreint pour les citoyens, des stratégies de développement risquées où on se retrouve à tout miser sur une chose. Cela a également pour effet d'intensifier les divisions lors des élections, tout simplement parce que le secteur public est le seul secteur viable dans la communauté.

    La Loi sur la gouvernance des premières nations prévoit un certain contrôle des pouvoirs gouvernementaux des Premières nations. On y prévoit un mécanisme obligatoire d'examen des plaintes et des mesures de redressement, l'application de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et des mesures visant la promotion d'une plus grande transparence. Il y a donc des aspects du projet de loi qui méritent d'être loués.

    Pour vous donner un exemple un peu plus concret, ces trois cercles sont typiques du Canada ou de la plupart des pays occidentaux: le gouvernement, le secteur privé et la société civile avec les médias au centre. Dans une réserve des Premières nations, le cercle du secteur privé serait beaucoup plus petit, tout comme celui de la société civile, et au centre les médias qui ne sont pas indépendants vis-à-vis du secteur public.

    Les citoyens ne versent pas d'impôts à leur gouvernement. Je n'essaie pas nécessairement de faire valoir que les Premières nations devraient verser des impôts au gouvernement fédéral ou aux gouvernements provinciaux. Toutefois, il est à noter que lorsque les citoyens ne paient pas d'impôts à leur gouvernement, cela affaiblit clairement la reddition de comptes. Un des facteurs de motivation de la bonne gouvernance vient des citoyens eux-mêmes; et s'ils ne versent pas d'impôts, ils ne vont pas exiger de la même façon un bon gouvernement et de bons services.

    Ainsi, la reddition de comptes est affaiblie et l'indépendance des Premières nations réduite. Ce sont en grande partie les organismes de financement qui fixent les priorités. On peut faire valoir que sur le plan de l'environnement, si vous ne payez pas pour votre propre service d'eau, le service de vidanges, etc., il n'y a aucun mécanisme de marché qui réduit le gaspillage environnemental.

    La Loi sur la gouvernance des premières nations ne dit rien à ce sujet, il est possible toutefois que les citoyens bénéficient d'une meilleure reddition de comptes par l'adoption de codes, de mécanismes de redressement, etc. Il est à noter qu'il y a très peu de gouvernements au monde dont les citoyens ne versent pas au moins certains impôts ou des frais d'utilisation. Si les Premières nations continuent à ne rien verser, elles continueront à souffrir de problèmes importants de reddition de comptes tout simplement parce que les citoyens ne seront pas exigeants.

    Ensuite, il y a le fait qu'on a le sentiment de ne pas pouvoir agir. Des recherches effectuées à Harvard révèlent que les éléments fondamentaux nécessaires au développement sont absents dans certaines Premières nations, c'est-à-dire, la souveraineté de facto et la propriété. Le développement économique des réserves indiennes est d'abord et avant tout un problème d'ordre politique.

    Cela revient à dire qu'il faut assumer la responsabilité de son propre développement. Autrement dit, les décisions sur le développement de votre communauté doivent venir essentiellement de votre propre peuple et de votre propre gouvernement. Sinon, on se voit comme victimes et on tient les autres responsables. Il existe effectivement des arguments d'ordre éthique, historique et juridique qui expliquent pourquoi les Premières nations sont des victimes, ont été des victimes. En fait, ces arguments sont très convaincants. Ils sont présentés dans le rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones.

¹  +-(1550)  

    Ceci dit, se considérer une victime et blâmer les autres n'est certainement pas une bonne stratégie de développement. C'est avancer la notion que le développement est entre les mains de quelqu'un d'autre. Autrement dit, c'est vous qui êtes responsables de la situation terrible dans laquelle je me trouve et c'est à vous de régler le problème. Tant que le problème ne sera pas réglé, je ne peux vraiment pas faire grand-chose.

    C'est l'argument simpliste. Évidemment, beaucoup de Premières nations ont dépassé ce stade depuis longtemps, mais il y en a qui font face à ce problème, ne sont pas prêtes à acquérir leur autonomie ni à se prendre en main.

    Dans la Loi sur la gouvernance des premières nations, l'élimination du pouvoir du ministre dans l'approbation des lois est certainement une bonne chose qui donne un peu plus de pouvoirs législatifs aux Premières nations. Mais là, il s'agit essentiellement d'une question d'attitude. Ce n'est pas un problème qui peut être réglé par une loi.

    Enfin, j'en arrive au numéro 8, les systèmes de services publics font terriblement défaut—notamment l'éducation, la réglementation, l'imputabilité des institutions et les pouvoirs d'application des lois et des règlements.

    Si l'on examine ce qui se passe dans les Premières nations, on est assez ébranlé face aux problèmes de fond que l'on constate. Prenons l'eau. Il n'y a pas de système de réglementation dans les réserves concernant l'eau. En tant que Canadien, je trouve choquant que nous n'ayons pas de loi fédérale concernant l'eau potable qui s'applique aux réserves des Premières nations. En fait, pour les autres questions de réglementation, on constate la même chose. J'ai une diapositive qui indique les principaux problèmes de réglementation dans la gouvernance des Premières nations.

    Quelles sont donc les conséquences? De piètres résultats pour ce qui est de l'eau, de l'éducation, etc., le risque de vides réglementaires, un manque d'équilibre face au pouvoir et des obstacles majeurs à l'autonomie gouvernementale. Le plus important est peut-être le suivant. Quand on en arrive finalement à négocier des ententes d'autonomie gouvernementale, il y a tellement à faire. Il y a tellement de systèmes de gouvernance à bâtir quand on essaie d'envisager la gouvernance des Premières nations. Je reprends l'exemple de l'eau, on demande aux Premières nations de se doter de systèmes de réglementation concernant l'eau. La population moyenne est de 600 personnes. Cela représente donc un défi énorme. Comme l'on ne savait pas en fait très bien ce qu'il en était, certains accords d'autonomie gouvernementale ont en réalité empiré la situation. Ils ne l'ont pas améliorée.

    Que fait la Loi sur la gouvernance des premières nations? Certains choses positives. La Commission des droits de la personne et le mécanisme de redressement s'efforcent d'améliorer l'imputabilité des institutions. Il y a des améliorations majeures en ce qui concerne l'application des règlements, ce qui est probablement l'un des aspects les plus importants du projet de loi, et il y a aussi les systèmes de recueils qui sont des éléments essentiels de tout bon système de gouvernance. Dans l'initiative de M. Nault à propos de l'éducation, il est maintenant question de mettre sur pied des commissions scolaires.

    Je vous donne un autre exemple du genre de problèmes de réglementation que l'on rencontre dans les réserves et que l'on n'imagine même pas dans le reste du Canada. Il y a des tas de problèmes. Eau potable, traitement des eaux usées, déchets solides, lutte aux incendies, ponts, logement résidentiel, éducation, parcs et loisirs. Il s'agit dans tous ces cas de systèmes publics qui font terriblement défaut dans les réserves des Premières nations du Canada.

    Enfin, il y a la question des petites collectivités. Des collectivités qui ont en moyenne 600 habitants alors que certaines en ont moins de 100. Nombre des éléments de ce projet de loi s'appliquent à des collectivités de cette importance. Les conséquences sont évidentes: un bassin de talent réduit, surtout pour l'éventail de responsabilités envisagées; un dédoublement des rôles entre les fonctionnaires et les politiques; la gestion de l'«intimité» et les problèmes d'échelle. L'Agence de protection de l'environnement aux États-Unis estime que pour avoir un système d'exploitation des installations d'eau potable, il faut 10 000 foyers, soit environ 40 000 personnes. Or, aucune réserve au Canada ne s'approche de ce chiffre. Ainsi, dans un sens, il nous faut examiner cette notion de petite collectivité beaucoup plus systématiquement et sérieusement.

    En ce qui concerne la LGPN, il y a la délégation des pouvoirs qui peut s'appliquer à un regroupement de Premières nations. L'adoption de codes peut en effet contribuer au règlement des problèmes d'intimité, mais c'est en fait un problème très important qui s'inscrit dans ce que j'appelle la nouvelle transformation. Jusqu'ici, nous nous sommes concentrés presque exclusivement, mais pas totalement, sur les petites collectivités pour la gouvernance des Premières nations. Je pense qu'il nous faut maintenant examiner cela très soigneusement et aller plus loin.

¹  +-(1555)  

    Bref la LGPN est un petit pas en avant: elle reconnaît l'importance de la question de la gouvernance et contient certaines réponses à plusieurs problèmes de gouvernance graves. Mais il reste encore beaucoup à faire.

    En conclusion, si je devais essayer d'envisager une nouvelle transformation, voici certaines des leçons apprises au niveau international dont je tiendrais compte: la solution n'est pas essentiellement une question d'argent; la réforme de la gouvernance devrait être dirigée par les Premières nations, il est crucial d'établir de bons partenariats et la patience est une vertu. Il n'y a pas de solutions miracles. La gouvernance prend énormément de temps. Ce n'est pas quelque chose qui se produit du jour au lendemain; c'est un processus à long terme.

    Dans notre programme à venir, l'application effective de la loi et l'élaboration de codes seront de toute évidence importantes. L'administration d'un code de gouvernance sera particulièrement difficile. Les mécanismes de plaintes et de redressement seront très difficiles à mettre en oeuvre, surtout dans les petites collectivités. J'ai certaines suggestions précises à faire à ce sujet. Les systèmes de recueils, de même que vaincre la résistance aux lois seront également importants. On peut en effet imaginer des poursuites de la part des Premières nations qui ne sont pas satisfaites. Et puis, il y a toute la question des ressources et je veux savoir s'il y aura des ressources importantes à la disposition des Premières nations pour mettre en oeuvre nombre des choses qu'on leur demande de faire aux termes des dispositions de ce projet de loi.

    Une autre chose qui serait utile serait d'expérimenter d'autres instruments en vue d'apporter de réels changements auxquels pourrait participer le gouvernement fédéral. Je songe, par exemple, à un système de certification volontaire. Cela aurait pu permettre d'obtenir nombre des choses que l'on essaie d'obtenir par les codes dans ce projet de loi. Essentiellement, un bon système de certification revient à faire des citoyens le moteur des réformes. C'est ce que l'on recherche en fait, que ce soit voulu par les citoyens des réserves des Premières nations eux-mêmes plutôt que de leur être imposé.

    J'ai parlé d'aborder les problèmes fondamentaux et de mettre en place des gouvernements autochtones modernes. Comme je le disais, j'estime que la mise en place d'un système de réglementation de l'eau potable est une priorité.

    Pour ce qui est de repenser l'approche actuelle en matière d'autonomie gouvernementale, je passerai cette liste en revue très rapidement. La justice ne peut être la responsabilité d'une seule communauté autochtone, alors que c'est ce que nous essayons d'établir. Je crois qu'il nous faudrait plutôt une nation ou des gouvernements provinciaux ou des gouvernements provinciaux et nationaux à double structure. Pour les raisons déjà évoquées, je pense qu'une partie de la transformation nécessaire serait un type de gouvernement à double structure, gouvernements provinciaux ou régionaux.

    En conclusion, monsieur le président, les questions de gouvernance sont importantes. La LGPN est un petit pas de plus mais ce qui est vraiment nécessaire, c'est une transformation de la gouvernance des Premières nations.

+-

    Le président: Merci beaucoup de cet excellent exposé.

    Chers collègues, il nous reste 30 minutes puis quelques minutes pour les dernières observations que voudra faire notre témoin. Nous allons faire deux tours. Le premier de quatre minutes et le second de deux minutes. Je ne peux pas faire mieux avec le temps dont je dispose.

    Je donne donc cinq minutes à l'opposition officielle.

+-

    M. Brian Pallister (Portage—Lisgar, Alliance canadienne): Monsieur, merci de cet exposé très stimulant qui porte à réfléchir.

    Vous avez dit que la patience était une vertu et, à ce titre, je dirais que le programme que propose ce projet de loi manque sérieusement de vertu. Il est marqué par la hâte, tant dans les consultations qui l'ont précédé que par la façon dont il nous a été présenté en nous demandant une étude rapide. Je ne pense pas du tout que ce soit une démarche vertueuse si l'on considère l'importance des problèmes de gouvernance que vous nous avez exposés.

    Entre de nombreuses autres choses qui nous préoccupent, il y a le danger d'adopter précipitamment un modèle inefficace qui ne soit pas solidement appuyé par les intéressés. Vous l'avez dit très éloquemment dans votre exposé.

    Vous avez semblé louer l'idée des mécanismes de redressement et de contrôle d'application des règlements. Je pense toutefois qu'il faudrait s'interroger sur leur utilité. Ne vous inquiétez-vous pas que les principes fondamentaux de bonne gouvernance, tels que l'expérience et la responsabilité dans la gestion et la propriété, la capacité de compter sur les droits démocratiques et les libertés, etc., ont essentiellement échappé aux Canadiens autochtones pendant très longtemps du fait du caractère protectionniste de la Loi sur les Indiens? Comment peut-on avoir un espoir de bonne gouvernance quand les gens ne partagent pas ou ne peuvent pas partager la responsabilité financière des coûts des services? Comment peut-on parler de bonne gouvernance quand les gens ne peuvent, du fait de modèles législatifs protectionnistes, voire colonialistes, participer sur un pied d'égalité à la structure économique de notre pays? Et comment peut-on parler de bonne gouvernance lorsque le pouvoir de la collectivité reste massivement entre les mains de très très peu de personnes?

º  +-(1600)  

+-

    M. John Graham: À certains égards, vous répétez certaines notions que j'ai évoquées dans mon exposé. Le gouvernement semble être la seule option envisagée. On met tous ses oeufs dans le même panier de développement. Il n'y a pas suffisamment de freins et contrepoids. Il y a toute cette motion de logement public. En fait, je suis assez d'accord avec vous, j'ai quelques réserves quant à la rapidité à laquelle on veut faire de ce projet une réalité.

    Je pense que ce sera un travail énorme pour les petites collectivités. Le mécanisme de redressement, par exemple, présenterait un gros problème dans certaines collectivités et je m'inquiète beaucoup des pouvoirs prévus pour ce mécanisme. Il faut l'examiner de très près. C'est disposer d'un pouvoir très puissant que de pouvoir essentiellement déclarer qu'un ordre du conseil de nos Premières nations abroge essentiellement un code ou certains éléments d'un code. On peut d'autre part s'interroger de l'indépendance d'un tel mécanisme de redressement dans une collectivité de quelque 100 personnes.

    Dans un sens, cela revient au fait qu'il s'agit là de collectivités trop petites. Trop petites pour réellement se doter d'un système de gouvernance moderne. Je crois que c'est fondamental.

+-

    M. Brian Pallister: Me reste-t-il un peu de temps, monsieur le président?

+-

    Le président: Une minute et demie.

+-

    M. Brian Pallister: Vous avez dit des tas de choses intéressantes, monsieur. Nous craignons beaucoup pour notre part que ceci exacerbe les problèmes de séparation entre le pouvoir et la prise de décisions.

    Vous avez parlé du changement d'attitude qui s'impose mais, comme me l'a dit un chef, ce projet de loi, c'est comme vouloir peindre une chambre à l'étage alors que l'on devrait plutôt réparer les fondations.

+-

    M. John Graham: En effet. Je conviens que pour ce qui est de mes priorités, je m'y prendrais autrement. Comme je l'ai dit, je pense que c'est néanmoins un petit pas dans la bonne direction mais qu'il y a d'énormes problèmes de gouvernance, notamment la question de l'eau. Si j'étais le ministre, ce serait ma toute première priorité. Nous allons un de ces jours avoir un problème comme à Walkerton dans les réserves des Premières nations.

+-

    M. Brian Pallister: Merci de vos commentaires, monsieur.

[Français]

+-

    Le président: Monsieur Loubier, vous avez quatre minutes.

+-

    M. Yvan Loubier (Saint-Hyacinthe—Bagot, BQ): Merci, monsieur le président.

    Monsieur Graham, j'aimerais faire une petite remarque avant de vous poser mes questions. Je regarde votre présentation sur les exemples d'une piètre gouvernance par les premières nations. Je fais la remarque à tous les invités qui nous brossent un tableau qui n'est pas trop reluisant. Je vous ferai remarquer que vous dites qu'il y a à peu près 25 p. 100 des premières nations qui accusaient des dettes excessives en janvier 2000. Je ne veux pas nier qu'il y a des problèmes, mais cela veut dire que 75 p. 100 des communautés fonctionnaient bien et n'avaient pas de dettes excessives. Il faut faire attention, lorsqu'on brosse un tableau, de ne pas dépeindre la situation comme étant plus négative qu'elle ne l'est en réalité. Je ne vous dis pas qu'il n'y a pas de problèmes, mais dans le dossier autochtone, on a tendance à regarder le chiffre qui dépeint le mieux une réalité qui est criante.

    Si on avait à faire des comparaisons avec nous, on pourrait dire qu'on a un gouvernement fédéral et qu'il a une dette de 535 milliards de dollars. C'est 100 p. 100 de mauvaise performance. À Québec, on a 135 milliards de dollars de dette accumulée. C'est encore 100 p. 100 de mauvaise performance puisqu'il y a un gouvernement provincial. Alors, il faut faire attention à cela. Je ne vous dis pas qu'il n'y a pas de problèmes, mais il faut interpréter les choses de façon correcte.

    J'ai deux questions à vous poser. Premièrement, vous parlez d'expérimenter d'autres instruments en vue d'apporter de réels changements et vous suggérez un système de certification volontaire assorti de mesures d'incitation. J'aimerais que vous nous donniez quelques exemples de ce que de tels instruments pourraient représenter.

º  +-(1605)  

[Traduction]

+-

    M. John Graham: Merci de vos observations.

    Vous avez tout à fait raison, les indicateurs de piètre gouvernance peuvent parfois être trompeurs. Pour moi, c'est le cumul d'indicateurs: le fait que vous ayez des indicateurs financiers, l'eau, l'éducation et tout un éventail d'autres indicateurs montre que le problème est assez important—plus important que pour la plupart des administrations au Canada, en tout cas des administrations non autochtones.

    Quant au système de certification volontaire, j'ai en fait rédigé un mémoire à ce sujet que je me ferai un plaisir de vous remettre. Ce n'est pas tellement différent des systèmes de certification type ISO. J'envisage un système de Premières nations qui serait élaboré peut-être par une organisation à but non lucratif des Premières nations. Cela pourrait porter sur la gestion financière, ou sur d'autres aspects des codes de bonne gouvernance.

    La Première nation Membertou en Nouvelle-Écosse a un certificat de type ISO pour les questions de gestion. D'après cette Première nation, cela leur permet d'obtenir de meilleurs taux d'intérêt dans les banques. Ce sont des incitatifs assez positifs.

    L'idée est que la Première nation élabore une norme particulière, par exemple, pour les Premières nations ou même pour des Premières nations d'importance différente. Il pourrait y avoir un système différent pour une Première nation de 100 personnes et pour une autre de 8 000.

    La raison pour laquelle ce doit être volontaire, c'est que les citoyens eux-mêmes, quand ils apprennent qu'il existe un système de certification semblable, pourraient décider d'élire des dirigeants qui s'engageraient à obtenir la certification de leur Première nation. Les citoyens diraient qu'ils en ont assez de voir qu'il n'y a jamais de budgets, d'entendre parler de dettes, des gens qui prennent de l'argent, etc. Qu'ils veulent être certifiés et qu'ils éliront des dirigeants qui maintiendront cette certification.

+-

    Le président: Je dois vous interrompre.

    Monsieur Martin.

+-

    M. Pat Martin (Winnipeg-Centre, NPD): Merci, monsieur le président.

    Merci, monsieur Graham. Il y a beaucoup de choses qui m'intéressent mais, avec quatre minutes, je vais avoir du mal.

    Vous avez dit que sans droit d'imposition ou sans imposer les citoyens, ceux-ci se sentent moins concernés et exigent moins de comptes. En fait, les statistiques ne semblent pas vous donner raison parce que actuellement, 96 p. 100 de toutes les Premières nations remettent leurs vérifications à temps et n'ont pas de problèmes de comptabilité, sur les 633. Quand vous dites que 58 Premières nations sont actuellement gérées par des tiers, c'est un chiffre que je n'ai pas encore vu. Jusqu'à cette année, c'était 27. Il semble qu'il y ait eu une forte augmentation et nous croyons qu'il s'agit d'une mesure punitive à l'égard des collectivités qui ont refusé de coopérer à l'initiative de gouvernance des Premières nations très peu populaire de M. Nault.

    Comment expliquez-vous que la grande majorité des Premières nations qui n'ont pas de droit d'imposition et qui n'imposent pas leurs citoyens rendent des comptes et soient tenues responsables par leurs citoyens?

+-

    M. John Graham: Je pense que vous parlez là de deux choses différentes. Il y a les comptes que doivent rendre les Premières nations au gouvernement fédéral, et c'est ce dont vous parlez—les vérifications.

+-

    M. Pat Martin: Oui, c'est ce dont il est question dans le projet de loi. Il ne s'agit pas de questions d'eau ou... même si beaucoup de Premières nations le souhaiteraient, qu'on s'occupe de ces besoins absolument fondamentaux. Mais rien dans ce projet de loi ne traite de questions urgentes que sont la santé, l'éducation et l'eau potable.

+-

    M. John Graham: Toutefois, le projet de loi traite de toute cette question des relations des gouvernements des Premières nations avec leurs citoyens. Ce n'est pas seulement des relations des gouvernements des Premières nations et du gouvernement fédéral, mais bien de leurs relations avec leurs citoyens. C'est là l'objet de ces codes, en quelque sorte.

+-

    M. Pat Martin: C'est partir du principe qu'ils ne rendent pas actuellement de comptes à leurs citoyens.

+-

    M. John Graham: Ici encore, et ce n'est pas une question de choix. En ce qui concerne la reddition de comptes, je pense que c'est un genre d'échelle mobile. Certains gouvernements sont clairement mieux à même de rendre des comptes que d'autres, pour toutes sortes de raisons.

+-

    M. Pat Martin: Ce sont les 96 p. 100, oui.

+-

    M. John Graham: D'une certaine façon, ce que j'essaie de dire, c'est qu'à mon avis, les gouvernements sont beaucoup plus sensibles à des citoyens exigeants, c'est ça l'idée. Si vous avez des citoyens exigeants, cela pousse la bonne gouvernance.

º  +-(1610)  

+-

    M. Pat Martin: Je comprends. Vous avez mentionné que la mise en oeuvre serait difficile, surtout celle de certains aspects du projet de loi. Le budget de mise en oeuvre pour ce revirement complet de la façon dont on fait les choses dans les communautés des Premières nations—les 633 communautés—s'élèvent à 130 millions de dollars. Certains responsables estiment que cette somme est très sous-estimée: il pourrait s'agir du prochain registre des armes à feu du Canada, la somme sera si incroyable. Les coûts de mise en oeuvre pourraient atteindre autant que un milliard de dollars ou plus.

    Êtes-vous d'avis que cette somme de 130 millions de dollars semble naïve, presque du moins, pour la mise en oeuvre d'un changement aussi fondamental dans la façon dont toutes les communautés des Premières nations se gouvernent?

+-

    M. John Graham: Oui, je dois reconnaître, mais je n'ai pas fait les calculs. Je pense qu'il faudrait voir.

    Je n'ai pas, par exemple, une bonne idée de combien de Premières nations ont déjà des mécanismes de redressement. Je sais que certaines en ont. Pour certaines Premières nations donc, ce sera très simple et presque sans coût. D'autres Premières nations ont des codes.

    Je ne peux pas répondre à votre question. Je n'ai pas fait les calculs pour pouvoir dire absolument que 130 millions de dollars c'est trop peu.

+-

    M. Pat Martin: Très bien.

    J'ai une dernière question. Je n'arrive pas à décider si vous êtes en faveur du projet de loi C-7 ou contre?

+-

    M. John Graham: Je pense que c'est un léger pas en avant. Voilà ce que je dirais. Ce ne serait pas mon premier...

+-

    M. Pat Martin: Savez-vous que la grande majorité des dirigeants des Premières nations partout au pays s'opposent unanimement et avec véhémence à la mise en oeuvre du projet de loi C-7?

+-

    M. John Graham: Oui. Je sais qu'il y a beaucoup d'opposition. Je pense que c'est un problème réel. Comme je l'ai dit, de façon générale, l'histoire à l'échelle internationale nous enseigne qu'une tierce partie ne peut pas imposer une bonne gouvernance. C'est la leçon à retenir.

+-

    Le président: Merci.

    M. Pat Martin: Merci.

    Le président: Monsieur Hubbard.

+-

    M. Charles Hubbard (Miramichi, Lib.): Merci monsieur le président, merci monsieur Graham.

    D'abord, vous avez parlé de l'eau potable. Je pense que nous savons tous, ayant travaillé avec nos Premières nations à travers le pays, que 200 millions de dollars ont été alloués à l'amélioration de l'approvisionnement d'eau dans les réserves des Premières nations. Et ce n'est qu'une partie de la contribution importante du gouvernement.

    J'ai écouté très attentivement ce que vous disiez. Il y a quelque chose qui me préoccupe dans votre exposé.

    Comme vous l'avez dit, si l'on remonte 50 ans en arrière, on se rencontre que les peuples des Premières nations ont fait des progrès considérables. Si je pense à ce que j'ai vu au fil des ans, je peux dire qu'il y a eu des progrès énormes. En fait, tous les peuples du Canada ont fait des progrès, mais les peuples autochtones en ont probablement fait plus que la plupart des non-Autochtones qui sont assis autour de cette table.

    Je sais qu'il y a des questions de gouvernance auxquelles on pourrait apporter des améliorations. Les responsabilités ont été imposées en vertu d'une loi très ancienne. Les choses ont changé considérablement dans les 150 dernières années au Canada.

    Au sujet de la gouvernance, vous avez dit qu'il y a des Premières nations qui ont des codes et des moyens valables.

    Monsieur le président, j'espère que l'on n'en déduit pas que les 630 ou plus Premières nations du pays sont toutes dans un état de confusion. Nous avons construit des écoles dans environ 400 collectivités. Nous avons fait beaucoup de progrès en matière de logement. Nous parlons de l'eau, nous parlons de tous ces facteurs.

    Même s'il y a des gens qui préféreraient ne rien faire ou regarder en arrière, je pense qu'il y a énormément de gens... et le ministre a investi beaucoup de temps, d'efforts et d'argent à essayer d'intégrer ces concepts, idées et possibilités au projet de loi.

    En fait, alors que vous étiez déjà président, lors de la 35e législature, nous avons travaillé sur des révisions facultatives de la Loi sur les Indiens, monsieur le président. Cela fait donc un certain temps que nous essayons d'avancer sur cette question.

    Je suis impressionné que vous ayez de l'expérience et que vous ayez travaillé sur la question de la gouvernance. J'ai été assez stupéfait que vous prévoyiez que dans 60 ans, il n'y ait plus d'Indiens inscrits parmi la population autochtone. Je ne sais pas si la gouvernance est un facteur pour arriver à cette conclusion ou s'il s'agit d'un résultat mathématique. Quoi qu'il en soit, il y a aujourd'hui un million de personnes qui sont liées aux Premières nations de ce pays.

    Monsieur le président, je sais que mes quatre minutes sont écoulées et je parle probablement beaucoup trop. Il faut profiter du fait que nous avons devant nous un homme qui a travaillé dans le domaine de la gouvernance. Des questions ont été soulevées à ce sujet. Peut-être pourrions-nous les réévaluer et essayer de travailler avec les Premières nations pour arriver à des codes pertinents.

    Quel est votre avis? Je sais que je vous ai laissé peu de temps.

    Merci, monsieur le président.

º  +-(1615)  

+-

    M. John Graham: Tout d'abord, je suis d'accord avec vous pour dire que la transformation des années 50 dont j'ai parlé a été remarquable. Je pense qu'il ne faut pas l'oublier. Je suis d'accord avec vous pour dire qu'il y a eu un progrès énorme.

    Je pense que ce qu'il nous faut maintenant, c'est une nouvelle étape, une nouvelle transformation, une nouvelle vision. Je pense que nous avons toujours mis tous nos oeufs dans le même panier, celui des petites collectivités. Maintenant, pour créer des gouvernements vraiment modernes, il faut aller au-delà de cette approche.

    C'est mon premier argument.

    Au sujet du travail en partenariat et de la création de codes, ces codes sont une bonne idée si ce sont les citoyens et le gouvernement des Premières nations qui signalent que c'est quelque chose d'important et qui les demandent. À première vue, cela me semble quelque chose de raisonnable.

    Ces codes ne seront efficaces que s'il y a ce genre de demande de la part des peuples des Premières nations, car il est facile de les contourner. Les gens peuvent écrire des codes et ensuite les oublier complètement.

+-

    Le président: Merci beaucoup.

    Monsieur Graham, j'ai cru comprendre que vous vouliez nous faire partager un mémoire. Pouvez-vous l'envoyer à la greffière pour qu'il puisse être traduit et distribué à tous nos membres?

+-

    M. John Graham: Je peux vous envoyer plusieurs mémoires, effectivement. J'en ai deux sur l'eau et si cela vous intéresse, j'en ai un sur le système de certification.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Vellacott, vous avez deux minutes.

+-

    M. Maurice Vellacott (Saskatoon—Wanuskewin, Alliance canadienne): Il y a des déclarations intéressantes à la page 13, où vous parlez des questions de gouvernance et du traitement des femmes autochtones. Vous parlez surtout de l'incidence négative des collectivités divisées et du fait que les problèmes s'intensifient. Selon vous, les questions de biens immobiliers matrimoniaux sont cruciaux. D'autres témoins ont souligné l'importance de cette question, surtout lorsqu'il y a rupture du mariage, etc.

    Étant donné qu'on ne traite pas du divorce ou des questions de terrains dans cette loi particulière... Je pense que c'est crucial. Est-ce que le fait que le projet de loi ne traite pas des questions des terres et des biens matrimoniaux n'est pas un oubli majeur?

+-

    M. John Graham: Encore une fois, j'essaie simplement de mettre le projet de loi en contexte. Il y a toute une série de problèmes. Je ne suis pas sûr qu'aucun projet de loi puisse régler tous les problèmes.

    Celui-ci est un problème difficile, sans aucun doute. Ce sera un problème épineux qu'il sera difficile de résoudre. Je ne sais pas si le ministère ou les Premières nations ont l'intention de le faire. Je ne suis pas au courant de cela, mais c'est certainement une question qu'il faudra résoudre rapidement.

+-

    M. Maurice Vellacott: Monsieur Graham, au sujet de la reconnaissance réelle des certificats de possession, dans certaines bandes du pays—la Bande indienne des Six-Nations et d'autres—, les gens peuvent utiliser ces certificats pour obtenir un prêt pour acheter un semi-remorque ou autre chose, selon leurs types d'activités. La bande accepte, mais si vous n'effectuez pas vos paiements pour ce prêt, on peut vous déposséder de vos biens, etc... C'est ce qui se passe dans beaucoup de bandes au Canada. Il semble que ce soit quelque chose—ils se sont même battus avec le ministère pour cela—qui soit crucial pour le développement économique, etc.

    Êtes-vous d'accord pour dire que les certificats de possession, les biens personnels prévus à l'article 89 et d'autres sont des questions dont il faut se saisir ici?

+-

    M. John Graham: Oui. Ils ont raison de dire que l'accession à la propriété, c'est l'un des moyens les plus efficaces d'offrir des capitaux aux petites entreprises. Si cette possibilité n'existe pas dans une réserve, alors la création d'un secteur privé viable est très difficile. Comme je l'ai déjà dit, si tout repose sur le secteur public, les divers freins et contrepoids qui existent de façon naturelle dans les autres économies de marché, comme dans le reste du Canada et dans les autres pays occidentaux, sont absents.

    Je pense qu'il y a des communautés qui innovent. Je pense qu'à Kahnawake, par exemple, il est possible d'accéder à des fonds hypothécaires qui permettent d'obtenir du financement par emprunt par le biais des intérêts dans la maison hypothéquée. Il existe donc une solution.

    Le problème, évidemment, c'est qu'aucune banque ne peut saisir la propriété et aucune personne non indienne ne peut saisir le terrain. Je pense qu'il existe des façons de contourner le problème, comme l'ont fait les réserves de Kahnawake et de Six-Nations, sans doute.

+-

    Le président: Merci infiniment.

    Monsieur Reed.

+-

    M. Julian Reed (Halton, Lib.): Merci infiniment, monsieur le président.

    Monsieur Graham, je vais traiter d'une question uniquement. Vous avez soulevé la problématique de l'eau comme exemple des difficultés que connaissent les communautés qui n'ont, en moyenne, que 600 habitants. Pourquoi vous apparaît-il si important de créer un système d'approvisionnement en eau pour 600 personnes? J'habite moi-même dans une ferme. Je suis moi-même responsable de mon approvisionnement en eau et de mon eau potable. Si l'eau n'est pas pure, je tombe malade.

    La comparaison avec ce qui s'est produit à Walkerton me semble étrange. Ce sont les services publics qui n'ont pas assumé leurs responsabilités. Ce n'était pas les habitants qui étaient responsables de la qualité de l'eau potable, ce sont les services publics qui ont commis une erreur. Pourquoi proposerait-on la mise en place d'un système d'approvisionnement en eau dans une communauté qui serait incapable de le gérer? Pourquoi les citoyens ne peuvent-ils pas être responsables de la qualité de l'eau potable?

º  +-(1620)  

+-

    M. John Graham: Il existe des systèmes d'approvisionnement en eau dans certaines communautés des Premières nations, partout au Canada. Ces systèmes existent. Et qu'en est-il des écoles? Dites-vous que les Indiens ne devraient pas se préoccuper de la qualité de l'eau à l'école? Ou au bureau de bande? Ou dans tout autre bâtiment public?

+-

    M. Julian Reed: C'est un argument qui n'en est pas un. Mon école avait un puits.

+-

    M. John Graham: Je ne suis pas d'accord. Tout parent dont les enfants vont à l'école veut que l'eau y soit pure et veut être sûr que c'est bien le cas. S'il n'existe pas de système de réglementation adéquat pour assurer cette qualité, les habitants seront très inquiets. Pourquoi les Indiens devraient-ils se satisfaire d'une eau de deuxième qualité?

+-

    M. Julian Reed: Il ne s'agit pas d'une eau de seconde qualité.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Loubier, deux minutes.

[Français]

+-

    M. Yvan Loubier: Merci, monsieur le président.

    Monsieur Graham, j'ai trouvé votre exposé très intéressant, mais il m'interpelle beaucoup, parce que vous parlez de  ce que le projet de loi ne réglera pas, c'est-à-dire des questions fondamentales qui touchent les premières nations. Vous concluez en disant que c'est un petit pas de plus, mais c'est un tout petit pas qui suscite un tollé formidable de la part des premières nations. Est-ce que ça vaut vraiment le coup de travailler à ce projet de loi, alors qu'il est rejeté de façon massive par l'Assemblée des Premières Nations et par les premières nations que cette assemblée représente?

    Si c'est un tout petit pas qui ne règle absolument rien des problèmes fondamentaux auxquels sont confrontées les nations autochtones au Canada, est-ce que la solution ne serait pas de répondre adéquatement à ce que les premières nations nous ont demandé, c'est-à-dire prendre ce projet de loi, le mettre à la poubelle et recommencer sur des bases qui respectent les relations d'égal à égal, de partenariat, de nation à nation? C'est ce que dit le ministre dans ses beaux discours, mais cela ne se traduit pas dans les faits, dans ses projets de lois. Est-ce que vous ne donnez pas raison à l'Assemblée des Premières Nations? Est-ce qu'on ne devrait pas recommencer notre travail?

[Traduction]

+-

    Le président: Trente secondes.

+-

    M. John Graham: L'argument est intéressant, et le comité, de par ses déplacements dans le pays, pourra mieux comprendre dans quelle mesure on soutient cet argument. Nous allons sûrement entendre les opinions des personnes qui ne soutiennent pas ce projet de loi. Ce sont ces personnes-là qui vont se manifester. Je pense qu'il y aura des Premières nations ainsi que des dirigeants des Premières nations un peu partout au Canada qui soutiendront le projet de loi, mais ils ne vont sans doute pas beaucoup se manifester.

    Votre question est donc pertinente. Il s'agit d'un équilibre, et je pense qu'après nos consultations on sera en mesure de dire s'il faut repenser la chose.

+-

    Le président: Merci.

    Madame Neville.

+-

    Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.): Merci infiniment et merci de vos observations.

    Vous savez sans doute que nous nous penchons sur ce projet de loi après l'étape de la première lecture. Par conséquent, nous disposons d'une certaine marge de manoeuvre pour ce qui est des modifications et des recommandations, ce qui est important.

    J'ai eu du mal à suivre votre exposé, qui, d'après moi, comprend des incohérences. Vous avez parlé de petits groupes qui prennent de l'ampleur, et de transformations majeures dans un contexte où les petits progrès sont difficiles à effectuer. Vous avez également parlé de l'accréditation volontaire avec mesures incitatives. Comment tout ceci va-t-il se concrétiser? J'ai du mal à le concevoir.

º  +-(1625)  

+-

    M. John Graham: Cela fait 50 ans que nous évoluons à petits pas et je pense que globalement, comme on l'a déjà fait remarquer à plusieurs reprises, la situation des Premières nations s'est grandement améliorée.

    Nous sommes maintenant arrivés à un stade décisif. Si nous voulons créer des gouvernements modernes, il nous faudra adopter une perspective nouvelle. Au lieu de procéder comme d'habitude, il faut qu'on s'attarde à la question suivante: comment faut-il procéder pour créer un gouvernement des Premières nations moderne au Canada? Je pense personnellement qu'il nous faut des unités beaucoup plus importantes. Nous avons probablement besoin d'un gouvernement à deux paliers.

    Si vous pensez qu'au bout du compte c'est la meilleure solution, qu'il faudrait mettre en place des gouvernements des Premières qui ressemblent à ceux des provinces ainsi que de petites instances gouvernementales... Au Canada, nous connaissons bien ce système de gouvernement à deux paliers; il en existe de nombreux exemples. Une telle structure nous permettrait de progresser plus rapidement.

    Je vous demande d'excuser les incohérences.

+-

    Le président: Merci.

    Monsieur Martin.

+-

    M. Pat Martin: Merci, monsieur le président.

    Un des aspects qui a vraiment frappé les dirigeants des Premières nations partout au Canada, c'est l'absence de disposition de non-dérogation dans ce projet de loi. Pourtant, les lois traitant des questions autochtones comprennent en général une disposition de non-dérogation qui assure la protection des droits inhérents et des droits issus de traités.

    Pensez-vous que l'ajout d'une disposition de non-dérogation serait conçu comme une preuve de bonne volonté, ce qui rendrait le projet de loi plus acceptable aux yeux de la population?

+-

    M. John Graham: Je vais tout simplement contourner cette question. Elle est hautement juridique. C'est une question constitutionnelle relative à l'article 35. Je sais que par le passé, le ministre de la Justice a eu des problèmes...

+-

    M. Pat Martin: Très bien, si vous n'allez pas répondre à ma question, je préfère ne pas m'y attarder.

    La municipalisation des Premières nations et l'ensemble de la législation semblent indiquer qu'on essaie de transformer les Premières nations en entités juridiques ou en municipalités. Dans un tel contexte, si on emprunte 10 millions de dollars pour construire une usine de traitement des eaux usées puis on manque à ses obligations de rembourser, on risque de se faire saisir ses capitaux ou sa terre par une banque non autochtone, ou pire encore.

    Qu'en pensez-vous?

+-

    M. John Graham: C'est tout à fait impossible. Aucune municipalité ne peut saisir des terres fédérales.

+-

    M. Pat Martin: Non, c'est la banque qui saisirait les terres.

+-

    M. John Graham: Il est impossible qu'une banque saisisse des terres fédérales.

    Il va falloir que le projet de loi comporte des dispositions sur les emprunts, sur les garanties constituées sur un bien; la terre ne peut pas constituer une garantie. J'en suis certain. Il s'agit de terres fédérales. Les autorités municipales ne peuvent pas saisir des terres fédérales. La Constitution les en empêche.

+-

    Le président: Merci.

    Cela met fin à la première partie de notre audience publique. Nous vous remercions beaucoup. C'était très instructif, et nous avons hâte de recevoir vos mémoires écrits, pour que tous les membres du comité puissent les lire.

    Nous allons passer directement à l'audience publique suivante, et nous recevons le président de la Commission consultative de la fiscalité indienne.

    Chers collègues, au sujet de la semaine prochaine, nous avons appris mardi qu'il y avait des annulations. J'ai pris la décision de reporter la séance de jeudi à mardi, au cas où certains d'entre vous voudraient partir plus tôt. Par conséquent, jeudi de la semaine prochaine, nous n'aurons pas de réunion. Je vous fais la recommandation suivante: Que nous invitions les représentants du ministère à témoigner pendant deux heures mardi après-midi. Je pense que vous avez beaucoup de questions auxquelles vous aimeriez que l'on réponde et que le tout soit consigné par écrit avant de partir en voyage.

    Il faudrait que l'on se mette d'accord tout de suite, sans débat, à savoir si l'on peut inviter les gens du ministère mardi après-midi. Quelqu'un a-t-il des objections à cela?

    Bon, c'est ce que nous allons faire.

    J'invite maintenant Clarence «Manny» Jules à prendre place à la table. En commençant à l'heure, nous finirons à l'heure.

    Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Jules. Merci beaucoup d'avoir accepté notre invitation. Nous avons hâte d'entendre votre exposé, qui sera suivi d'une période de questions. Je pense que vous avez vu comment cela se passe.

    J'accorde un certain temps pour la question et la réponse, et si quelqu'un se fait couper la parole, c'est toujours le témoin. Il arrive que mes collègues prennent plus de temps à poser leur question que vous n'en avez pour y répondre, mais c'est la manière dont nous fonctionnons.

    Vous avez la parole.

º  +-(1630)  

+-

    M. Clarence (Manny) Jules (président, Commission consultative de la fiscalité indienne): Je m'appelle Manny Jules et je suis le président de la Commission consultative de la fiscalité indienne et ex-chef et conseiller de la bande indienne de Kamloops de 1974 à 2000.

    Pendant les 20 dernières années, j'ai consacré mes énergies à établir une nouvelle relation entre le Canada et les Premières nations dans le domaine de la fiscalité, et en particulier à l'élaboration du projet de loi sur la gestion financière et statistique des Premières nations, c'est-à-dire le projet de loi C-19, dont votre comité sera bientôt saisi, et qui a été rédigé indépendamment du projet de loi C-7.

    Le projet de loi C-7 aborde la question de la gouvernance des Premières nations. Nous devons débattre et discuter de cette question. Je souscris à un projet de gouvernance des Premières nations qui précise les responsabilités de tous les gouvernements envers nos citoyens. Je suis en faveur d'une bonne gouvernance, de règles claires, et de mécanismes de règlement des différends. Je reconnais que nos collectivités devront établir des pratiques de bonne gouvernance pour être efficaces.

    La gouvernance est une question importante pour nos communautés. Nous avons besoin de bonnes structures de gouvernance pour améliorer notre climat en termes d'investissement, et je suis content que ce projet de loi donne lieu à un débat sur cette question.

    Comme je l'ai dit tout à l'heure, je préconise la mise en place d'un secteur public efficace pour les Premières nations. Je souscris au droit à l'autodétermination pour chacune des Premières nations, pour qu'elles puissent élaborer leurs propres lois et systèmes. Je me rends compte que nous avons besoin d'institutions pour nous appuyer dans cette tâche. Je préconise de remplacer le MAINC par nos propres institutions. C'est pourquoi je suis un ardent défenseur du projet de loi C-19.

    Je crois que nous devons travailler de concert avec vous pour nous assurer que la loi fédérale permette de réaliser notre vision commune, qui est celle d'un système de gouvernement solide et plus autonome pour les Premières nations. Nous devons aussi comprendre la problématique des Premières nations en ce qui a trait au contenu du projet de loi C-7. Je vous exhorte à écouter les critiques constructives et à améliorer ce projet de loi, au besoin, en y apportant des amendements.

    Les Premières nations veulent ce que beaucoup de Canadiens tiennent pour acquis: des possibilités d'emploi, de bons soins de santé, un revenu stable et un logement convenable, des services publics fiables, de bonnes routes, de l'eau potable en abondance et un bon réseau d'égout, ainsi qu'un brillant avenir pour nos enfants. Je sais que les membres du comité partagent ces aspirations.

    À titre de premiers habitants du Canada, pourquoi n'avons-nous pas une part égale aux richesses de ce pays? Toute ma vie, je me suis posé cette question.

    Le problème ne tient pas à notre peuple. Nous sommes tout aussi novateurs que les autres Canadiens, nous avons autant qu'eux l'esprit d'entreprise et nous avons à coeur le bien public. Notre problème, c'est que la Loi sur les Indiens a étouffé le développement de nos propres institutions gouvernementales. Ce qui manque aux Premières nations, c'est un secteur public appuyé par une législation et des normes modernes.

    Le secteur public des Premières nations comprend les gouvernements des Premières nations et les institutions des Premières nations. Ce secteur public est crucial pour notre développement économique, l'atteinte de l'autonomie et l'établissement de collectivités saines. Aujourd'hui, quand les gens songent au secteur public des Premières nations, ce qui leur vient probablement à l'esprit, c'est plutôt le ministère des Affaires indiennes que nos propres gouvernements et institutions. En fait, quand les gens veulent traiter avec nous, ils doivent passer autant de temps, sinon plus, à se plier aux exigences réglementaires du ministère des Affaires indiennes et autres ministères gouvernementaux qu'à traiter avec nos propres administrations. Ces bureaucraties superposées sont un fardeau. C'est ce qu'a affirmé le vérificateur général.

    Le résultat, c'est que ça prend cinq fois plus de temps pour mener à terme un projet de développement sur nos meilleures terres qu'il n'en faut dans le reste du Canada. Cela explique en partie notre pauvreté. Le système créé par la Loi sur les Indiens, actuellement en vigueur, nous a fermé la porte de l'économie. Au mieux, cette loi a ruiné notre climat en matière d'investissement; au pire, elle a volé l'espoir de nos enfants. Chacun reconnaît qu'il faut que ça change.

    Il semble que nous soyons entrés dans une période de planification décennale. En dix ans, nous allons mettre en oeuvre le Protocole de Kyoto; dans une dizaine d'années, nous espérons être les hôtes des Jeux olympiques; dans une dizaine d'années, nous espérons avoir une autoroute à quatre voies d'un océan à l'autre. Nous devons partager une vision consistant à construire un véritable partenariat entre le Canada et les Premières nations, ce qui est réalisable en dix ans.

    J'entrevois pour dans dix ans un avenir où il n'y aurait plus de Loi sur les Indiens; elle aura été remplacée par une législation des Premières nations. Je vois pour dans dix ans un avenir où le ministère des Affaires indiennes n'aura plus de raison d'être; il aura été remplacé par nos propres institutions publiques des Premières nations, protégeant les normes nationales et constituant un troisième ordre de gouvernement.

º  +-(1635)  

    Dans dix ans, il ne pourra plus y avoir d'incertitude quant à la place du secteur public des Premières nations. Elle a été définie par de nouvelles relations financières qui assignent les pouvoirs, responsabilités et revenus entre les trois ordres de gouvernement.

    Je vois dans dix ans un avenir où nous participerons à part entière à l'union économique canadienne. Je vois dans dix ans un avenir qui est aussi brillant que le vôtre.

    Dans ma vision de l'avenir, les Premières nations ont été rétablies comme véritables partenaires au sein de la fédération. Nous participons à l'économie mondiale. Nous sommes devenues plus autonomes en tant que gouvernements. Je crois que nous partageons tous cette vision.

    Notre cheminement sera marqué par des embûches, des difficultés et de la résistance. Il ne faut pas douter qu'un petit groupe de gens réfléchis et courageux peut changer le monde. En fait, cela a toujours été le seul facteur de changement.

    Je préconise de travailler avec le gouvernement fédéral pour élaborer la législation applicable aux Premières nations. Le partenariat nous offre des modalités de changement efficaces. Je reconnais que la législation permet une transition ordonnée des pouvoirs entre votre gouvernement et les nôtres. Je reconnais que la législation donne aux investisseurs et aux marchés un élément de certitude et de confiance.

    D'autres ne seront pas d'accord avec cette démarche. Ils estiment que la baguette magique du changement constitutionnel va apporter la perfection à nos droits et nous délivrer et nous conduire vers la terre promise. Le changement constitutionnel est peut-être nécessaire, mais le simple fait de reconnaître que nous avons des droits ne permettra pas d'améliorer notre infrastructure, d'édifier nos systèmes de gouvernement ou d'attirer des investissements créateurs d'emploi. Il nous faut des solutions pratiques et au bon moment.

    Certains pourraient soutenir qu'en élaborant des approches institutionnelles, nous réduisons l'autonomie des Premières nations. Tout ce que je peux répondre à cela, c'est que, premièrement, la participation à nos institutions sera et doit être optionnelle. Ainsi, le fait de choisir de donner notre adhésion sera en soi l'expression de l'autonomie des Premières nations. Deuxièmement, c'est pratique courante pour les gouvernements partout dans le monde de renoncer à une certaine autonomie quand c'est dans leur intérêt de le faire, et ils y renoncent pour la simple raison que cela leur permet d'améliorer leur sort.

    Il y a de nombreuses années, chacun pouvait choisir à sa guise de circuler d'un côté ou de l'autre de la route. Jusqu'aux alentours de 1920, nous avons conduit à gauche en Colombie-Britannique, mais en fin de compte, nous avons décidé d'adhérer à la même norme que nos voisins et de conduire à droite. Personnellement, je suis content que nous l'ayons fait. À chaque fois que je suis pris dans un embouteillage, je me dis que ce serait bien pire si chaque conducteur était libre de son choix.

    Quand il s'agit de participer à l'union économique et sociale, les Premières nations sont comme un petit pays qui vient tout juste de se doter de routes et de voitures. Nous venons d'apprendre la valeur de la normalisation et de l'engagement à respecter des principes que les blocs commerciaux et les fédérations tiennent maintenant pour acquis. Nous avons découvert que c'est absurde de nous dicter l'un à l'autre où il faut construire les routes et quelle sorte de voiture il faut acheter, mais qu'il est tout à fait logique que tous utilisent la même signalisation routière et conduisent du même côté de la route.

    Par conséquent, j'appuie les principes de l'autonomie et je me rends compte qu'en l'absence de ces principes, les Premières nations ne seraient pas libres de saisir les occasions qu'elles sont seules en mesure d'identifier. Je sais aussi que si nous voulons profiter de ces occasions, nous devons tous adhérer aux mêmes règles de base et fonctionner dans un cadre qui permet le flux des investissements, tout comme le code de la route facilite la circulation routière.

    J'appuie le principe de la reddition de comptes. La plupart des Premières nations sont d'accord avec ce principe. L'organisation que je préside, la CCFI, a été un chef de file pour ce qui est de promouvoir l'amélioration des systèmes de gestion financière. Au début des années 90, la Première nation Kingsclear, au Nouveau-Brunswick, et les Shuswaps de Skeetchestn en Colombie-Britannique, ont toutes deux été confrontées à des problèmes de gestion financière locale. Dans les deux cas, les collectivités ont réagi en élaborant un règlement sur la gestion financière. La CCFI a approuvé ces règlements et les a soumis à l'approbation ministérielle.

    Pour l'imposition des Premières nations, ce sont là des lois du genre de celles que nous voulons maintenant établir sous l'égide du projet de loi C-19.

    L'élaboration de lois sur l'administration financière est l'un des nombreux éléments qui n'étaient nullement envisagés dans la Loi sur les Indiens. La CCFI a accepté de jouer ce rôle, reconnaissant que c'était un élément essentiel pour mettre sur pied de solides administrations pour la fiscalité des Premières nations. Nous avons élaboré le règlement modèle et mis au point un cours de formation complet, à partir des lois établies par les Premières nations Skeetchestn et Kingsclear.

    Au cours des trois dernières années, nous avons dispensé ce cours à plus de 20 Premières nations, pour appuyer l'élaboration de règlements financiers. C'est ce que font les institutions des Premières nations. Ces lois ne visent pas seulement la gestion financière. Elles abordent aussi l'autre pilier de la reddition de comptes, nommément la responsabilité politique. Par exemple, aux termes de la loi adoptée par les Skeetchestn en matière financière, le chef doit démissionner en cas de déficit.

º  +-(1640)  

J'ai confiance que la CCFI, en sa qualité d'institution des Premières nations, a fait la promotion d'une norme de gestion financière bien plus élevée que celle d'autres gouvernements au Canada. Nous vous soumettons cette norme et ce modèle de soutien institutionnel pour que vous en preniez connaissance. Les documents se trouvent ici. J'aimerais présenter au comité permanent cette trousse de formation comme modèle des règles de la gestion des finances publiques.

    Je suis en faveur de la mise sur pied d'institutions des Premières nations pour appuyer les gouvernements des Premières nations. J'espère qu'il y aura une institution sous l'égide des Premières nations qui nous aidera à ériger des structures de gouvernance efficaces.

    Nos institutions veilleront à établir des normes et à les faire respecter. Elles assureront formation et soutien à nos gouvernements. Elles commenceront à remplacer le ministère des Affaires indiennes. Et elles feront en sorte de réduire les coûts pour le Trésor public parce qu'elles surmonteront la longue tradition de méfiance et de frustration à l'égard de l'appareil fédéral. Elles appuieront la croissance économique et les économies des Premières nations.

    Merci de m'avoir invité à témoigner devant votre comité et d'avoir bien voulu m'écouter.

+-

    Le président: Merci pour cet excellent exposé.

    Nous pouvons faire un premier tour de cinq minutes, puis un deuxième tour de quatre minutes.

    Vous avez donc sept minutes, monsieur Vellacott.

+-

    M. Maurice Vellacott: Merci, monsieur Jules, d'être des nôtres aujourd'hui.

    Je suppose que je souhaite mieux comprendre où vous en êtes à l'heure actuelle. Certains éléments ont peut-être déjà été mis en oeuvre, alors que d'autres qui représentent en quelque sorte l'idéal le seront avec le temps. Si je vous ai bien compris, vous vous occupez surtout actuellement de règlements sur l'impôt foncier. Est-ce bien le cas?

+-

    M. Clarence Manny Jules: Nous nous occupons de règlements sur l'impôt foncier ainsi que de règlements sur l'administration financière, et nous nous occupons aussi des permis d'entreprise et de diverses autres questions.

+-

    M. Maurice Vellacott: Alors, commençons par le commencement. Qui paie les impôts fonciers? Étant donné que ces biens sont de propriété commune dans les réserves, étant donné qu'ils appartiennent à la collectivité dans son ensemble, si vous voulez, qui paie les impôts? Aidez-moi à comprendre par une explication très simple.

+-

    M. Clarence Manny Jules: Les non-Indiens qui vivent et qui font des affaires dans les réserves des différentes régions du pays.

+-

    M. Maurice Vellacott: Très bien. Le régime fiscal vise-t-il principalement les non-Autochtones qui font des affaires dans les réserves ou qui y ont des biens immobiliers...? En fait, ils ne sont pas propriétaires des terres, mais d'une maison, d'une entreprise ou que sais-je encore?

+-

    M. Clarence Manny Jules: C'est juste. Ils détiennent généralement ces biens en fiducie en vertu d'un bail. Dans certains cas, ils ont ce qu'on appelle un bail «au noir» ou gratuit. Ce sont surtout ces cas-là que visent les règlements que nous élaborons.

+-

    M. Maurice Vellacott: D'accord. Le régime pourrait-il être étendu aux Autochtones qui seraient ainsi imposés pour...? Vous imposez vos gens ici, bien sûr, pas quelque entité de l'extérieur et pas le gouvernement fédéral. Est-ce là quelque chose qui pourrait être inclus? Est-ce là quelque chose que vous envisagez aussi?

+-

    M. Clarence Manny Jules: Rien dans la Loi sur les Indiens ni dans le projet de loi C-19 n'empêcherait une Première nation de... Quand on occupe un secteur de compétence, on doit l'occuper tout entier. Et les Premières nations ont rattaché le règlement de façon administrative à d'autres articles de la Loi sur les Indiens, notamment les articles 87 et 89.

+-

    M. Maurice Vellacott: Sur la question de la reddition de comptes, les témoins précédents ont indiqué qu'il s'agissait là d'un régime de taxation sans représentation. On peut bien sûr intervertir les deux termes de l'équation et obtenir un résultat différent.

    Croyez-vous que, pour ce qui est de payer pour des services, la taxation—ou une forme de taxation—est envisageable ou souhaitable aux yeux des bandes indiennes? Y verraient-elles une façon d'assurer une meilleure reddition de comptes?

º  +-(1645)  

+-

    M. Clarence Manny Jules: Quand j'ai été élu au conseil en 1974, les tout premiers dossiers dont j'ai dû m'occuper concernaient la reddition de comptes et remontaient à l'avant-dernier mandat. Nous avons donc commencé par élaborer nos règlements à nous pour éviter que ces problèmes ne se reproduisent.

    La reddition de comptes doit être envisagée, non pas seulement dans une optique financière, mais aussi dans une optique politique, et elle ne doit pas se limiter à la réserve en tant que telle, c'est-à-dire au chef et au conseil seulement. Il faut aussi tenir compte du rôle du gouvernement fédéral et de la façon dont il rend des comptes aux Premières nations, ainsi que de la façon dont les gouvernements provinciaux et, dans certains cas, les administrations municipales, leur rendent aussi des comptes.

+-

    M. Maurice Vellacott: Seriez-vous d'accord avec certains des arguments qui ont été présentés par le témoin qui a pris la parole juste avant vous? Il a fait remarquer que le projet de loi C-19 est peut-être lacunaire en ce sens qu'il n'y est pas question des taxes que les Autochtones doivent payer à leurs gouvernements à eux. Il y a donc un lien en raison de la formule de la propriété commune. Il y a un lien direct avec les services rendus parce que ceux qui les utilisent ont payé en partie pour ces services et vont donc exiger des comptes si les services sont insuffisants ou inacceptables.

+-

    M. Clarence Manny Jules: Quand j'ai commencé à promouvoir toute cette idée de l'imposition foncière et de la taxation, j'étais un héros en quelque sorte...

    Mais par la suite—et les membres des Premières nations sont en cela pareils aux autres Canadiens—je me suis heurté à une réticence générale à l'idée d'en discuter, voire de la mettre en oeuvre.

    Ce que je dis, c'est qu'il n'y a rien dans le projet de loi qui empêcherait les Premières nations de prendre une décision en ce sens. Dans les faits, elles ont choisi d'exempter leurs membres de ce genre d'imposition à l'heure actuelle, mais il n'y a rien dans la mesure qui est proposée...

    M. Maurice Vellacott: C'est exact.

    M. Clarence Manny Jules: ...ni d'ailleurs, dans la Loi sur les Indiens, qui les empêcherait de les imposer.

+-

    M. Maurice Vellacott: Pencheriez-vous personnellement, étant donné la vaste connaissance que vous avez du sujet et l'étude que vous avez effectuée, d'un côté ou de l'autre? Vous qui avez étudié les gouvernements autochtones dans les différentes régions du monde et au fil de l'histoire, qu'en pensez-vous?

+-

    M. Clarence Manny Jules: Je vous répondrai de la façon suivante. Il y a très peu de pays autonomes dans le monde qui n'ont pas de régime fiscal. Je crois qu'il y en a peut-être certains au Moyen-Orient, qui ont des revenus pétroliers considérables.

    C'est donc une question avec laquelle les Premières nations sont aux prises, et c'est pourquoi j'ai accepté la présidence de la commission et proposé une nouvelle relation fiscale avec le Canada, afin que nous ayons le bénéfice de l'opinion des gouvernements des Premières nations partout au pays, non pas seulement sur cette question-là, mais sur la santé, l'éducation et la multitude des formules dont les Premières nations doivent tenir compte dans toute discussion sur l'établissement d'une nouvelle relation fiscale.

    Quand on y regarde de plus près, il faut se rendre à l'évidence que, dans toute nouvelle relation fiscale, nous allons devoir au bout du compte contribuer financièrement aux services dont nous allons bénéficier. Le Canada ne peut pas en assumer la responsabilité tout seul, ni personne d'autre d'ailleurs. Les Premières nations doivent prendre l'initiative de dire: Nous sommes prêts à contribuer aux services dont nous bénéficions.

+-

    M. Maurice Vellacott: Très bien. Ainsi, quand vous aurez l'assise financière et les liquidités voulues, vous pourrez, après une certaine période de transition...

+-

    M. Clarence Manny Jules: Pour ma part, j'aimerais que nous discutions de tout cela dans le contexte de l'élaboration d'une nouvelle relation fiscale. Sinon, nous ne ferons que discuter de façon ésotérique de l'article 87 ou de l'article 89. Nous ne saisirons pas vraiment ce que cela entraînerait à l'échelle nationale ni ce qu'il nous faudrait faire au bout du compte pour financer nos propres gouvernements.

+-

    M. Maurice Vellacott: Merci beaucoup.

+-

    Le président: Monsieur Loubier, cinq minutes.

[Français]

+-

    M. Yvan Loubier: Merci, monsieur le président. J'aimerais poser deux questions à M. Jules. D'abord, est-ce que vous avez participé activement à l'élaboration du projet de loi C-7 et à celle du projet de loi C-19? Il existe une interdépendance entre les deux projets. Est-ce que vous avez vraiment participé concrètement à l'élaboration de ces projets de loi?

[Traduction]

+-

    M. Clarence Manny Jules: En ce qui concerne le projet de loi C-7, je n'ai pas du tout participé à l'élaboration de cette mesure législative. Comme vous l'aurez constaté, j'ai dit dans mes remarques préliminaires que j'ai été membre du conseil et chef de ma communauté jusqu'à l'an 2000. J'ai alors décidé de ne pas me représenter aux élections suivantes pour pouvoir consacrer tout mon temps à l'élaboration d'un projet de loi. Le fruit de ce travail, c'est le projet de loi C-19.

º  +-(1650)  

[Français]

+-

    M. Yvan Loubier: D'accord. D'après ce que nous ont dit certains témoins, la combinaison des deux projets de loi, c'est-à-dire C-7 et C-19, serait appliquée d'une façon passablement inégale parmi les premières nations. Ainsi, certaines premières nations seraient en mesure de profiter des nouvelles dispositions, alors que d'autres, particulièrement les petites communautés, n'auraient pas la possibilité de se prévaloir des avantages, si avantages il y a, découlant des deux projets de loi. Que pensez-vous de cette situation et que pourrait-on faire pour la corriger?

[Traduction]

+-

    M. Clarence Manny Jules: J'ai travaillé avec les gouvernements de ces communautés de 1985 environ jusqu'à 1988, année où le projet de loi C-115, qui est venu modifier la Loi sur les Indiens de manière à nous permettre d'imposer les biens fonciers, a été adopté.

    Il y a donc une centaine de communautés au pays qui, à la suite de cette modification, ont commencé à appliquer diverses formules d'imposition. Elles sont de tailles différentes, la plus petite comptant une cinquantaine de membres, alors que d'autres sont beaucoup plus populeuses et comptent plus de 2 000 membres.

    Quand nous nous sommes engagés dans la voie de l'imposition foncière, nous n'avons pas tardé à nous rendre compte que nous ne pouvions pas nous servir de ces fonds comme levier pour obtenir d'autres activités de développement économique. C'est que les banques ne voulaient pas traiter avec nous. Nous avons donc décidé, de concert avec une communauté des Premières nations, celle de Westbank dans la partie centre-sud de la Colombie-Britannique, d'appliquer le modèle de l'Autorité financière municipale de la Colombie-Britannique pour pouvoir, en tant que coopérative, en quelque sorte, mettre notre argent en commun pour aider les communautés, grandes ou petites, à avoir accès aux obligations et aux bons publics.

    Ainsi, quand on crée des institutions gouvernementales autonomes, il faut qu'elles soient suffisamment souples et représentatives pour tenir compte des besoins des petites communautés, des communautés isolées, des communautés urbaines, etc.

    L'idée est critiquée par ceux qui disent que cela ne profitera, par exemple, qu'aux grandes communautés et que la leur n'en tirera aucun bénéfice. C'est absolument faux, car nous avons prouvé, par la promulgation du projet de loi C-115, que la formule peut s'appliquer de manière générale à toutes les Premières nations. Ce que les gens craignent surtout, c'est qu'il ne s'agisse d'un premier empiétement. La position tient aussi à la notion d'immunité fiscale, qui suppose que personne ne peut imposer les Premières nations, pas même dans certains cas, les gouvernements des Premières nations.

+-

    Le président: Monsieur Martin, cinq minutes.

+-

    M. Pat Martin: Je tiens à vous remercier, monsieur Jules, pour cet exposé très intéressant. J'ai passé une journée dans la réserve Skeetchestn, dans la région de Kamloops, comme invité de Ron Ignace, il y a de cela quelques mois. J'ai été à même de voir le travail incroyable qu'on y a accompli. Il m'a invité là pour me montrer ce que certaines communautés font sur le plan de la reddition de comptes, et j'ai pu constater que vos règles sur la gestion financière et sur la nécessité d'équilibrer le budget sont un modèle pour le pays tout entier.

    Je vous demanderais donc, tout d'abord, de bien vouloir transmettre nos condoléances à Ron Ignace pour la terrible tragédie personnelle qui lui est arrivée dernièrement.

    À commencer par le projet de loi C-7, tout ce que vous avez fait a pu être fait en vertu de l'actuelle Loi sur les Indiens. Vous l'avez prouvé. Vous avez proposé ces changements qui vont encore plus loin que le projet de loi C-7. Les dirigeants des Premières nations nous disent qu'ils sont indignés par l'attitude coloniale eurocentrique qui veut imposer toutes ces mesures à leurs communautés alors qu'il n'y a rien qui les empêche de faire comme vous avez fait dans votre communauté. Je veux vous interroger plus tard sur le projet de loi C-19, mais que répondez-vous à la très grande majorité des dirigeants des Premières nations qui ne veulent pas qu'on leur impose ces mesures, si je puis dire?

º  +-(1655)  

+-

    M. Clarence Manny Jules: Ce qui manque à mon avis dans tout ce débat, c'est la confiance. Il n'y a absolument aucune confiance chez les dirigeants des Premières nations. Cela s'explique par le passé. Malheureusement, si nous n'engageons pas le dialogue avec le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et que nous ne devenons pas un partenaire actif dans la fédération, nous nous condamnons nous-mêmes à la pauvreté, non pas seulement pour la décennie à venir mais pour des générations à venir.

    Pour ma part, j'ai toujours essayé de faciliter ce dialogue. La Loi sur les Indiens a d'ailleurs fait l'objet de plusieurs examens, dont certains remontent même avant 1969. Il y a donc eu beaucoup de discussions. On s'entend généralement pour dire que le statu quo ne peut pas être maintenu, que la situation doit changer. Ce qu'il faut faire à mon avis, comme je l'ai dit dans mon exposé, c'est faire preuve du leadership et du courage nécessaires pour faire changer les choses. Mon père m'a appris il y a longtemps de cela qu'on ne peut pas réparer une crevaison en criant après le pneu. Malheureusement, c'est ainsi qu'on réagit.

    Moi, je préfère me retrousser les manches et faire ce qui doit être fait. Si nous avons un désaccord, il n'est pas insurmontable. Le prix à payer pour nos communautés et pour notre pays est trop élevé pour qu'on ne s'attelle pas à la tâche.

    Pour revenir à Skeetchestn, c'est une communauté voisine de Kamloops. Quand Ron a commencé à élaborer les règlements financiers, il était en grande partie motivé par le fait que sa communauté occupait un champ d'imposition foncière qui lui rapporte 700 000 $. Cela lui donne la latitude voulue pour qu'elle ait un budget équilibré.

    Mais nous avons constaté, Pat, que même si nous avions ce champ d'imposition, nous ne pouvions pas nous en servir comme levier. Vous savez, nous dépendons tous du gouvernement fédéral. Nous devons tendre la main pour demander de l'argent pour notre infrastructure. Nous voulons un système d'aqueduc.

    Quand on négocie pendant 10 ans pour installer un système d'aqueduc et que le système n'est pas suffisant pour répondre aux besoins en matière de croissance et de développement économiques, que peut-on faire? Eh bien, on peut se servir des revenus qu'on a pour installer le système dont on a besoin. Nous pouvons investir nous-mêmes pour accroître l'approvisionnement en eau afin de permettre la construction d'un poste d'essence, pour pouvoir construire plus de maisons et accroître le développement économique, et nous en récoltons les bénéfices économiques à long terme.

    C'est ce que je propose.

+-

    Le président: Vous avez 30 secondes.

+-

    M. Pat Martin: L'inclusion d'une clause de non-dérogation dans le projet de loi C-7 permettrait-elle de rassurer les gens, quelque peu du moins, de leur montrer que personne ne cherche à miner les droits inhérents existants?

+-

    M. Clarence Manny Jules: Nous avons proposé l'inclusion d'une disposition de non-dérogation dans le projet de loi C-19.

+-

    M. Pat Martin: J'ai vu cela dans le rapport du CCMC.

+-

    M. Clarence Manny Jules: J'ai discuté de la chose avec certaines des personnes en cause, et j'ai demandé si l'inclusion d'une disposition de non-dérogation aiderait. Nous avons donc proposé cela. Même après que nous l'avons incluse dans notre ébauche pour fins de consultation, beaucoup de ces personnes ont déclaré qu'elles n'avaient toujours pas l'intention de donner leur appui. Il faut donc se demander à quoi tient finalement leur opposition. Tient-elle simplement au fait qu'il s'agit d'une mesure législative fédérale ou est-ce qu'aucune approche ne pourrait les amener à changer d'avis?

    Pour ma part, j'estime qu'il faudrait inclure une disposition de non-dérogation dans la loi fédérale, dans une loi omnibus, ou une autre clause qui permettrait de dissiper les craintes, sous réserve toutefois que les Premières nations acceptent la nécessité d'un changement fondamental. Car, même si nous incluons une disposition de non-dérogation, si elles ne se sentent pas obligées pour autant de prendre part aux discussions, d'apporter des changements constructifs, nous nous retrouverons toujours au même point.

+-

    Le président: Monsieur Reed.

+-

    M. Julian Reed: Merci, monsieur le président.

    Tout d'abord, monsieur Jules, je m'excuse d'avoir dû m'absenter pour constituer un quorum et n'être revenu que pour la dernière moitié de votre exposé.

    Je dois dire, monsieur le président, que j'ai siégé dans cette salle et dans bien d'autres à bien des séances de comité au cours des neuf dernières années, mais je pense que c'est la première fois que j'entends un exposé fait par quelqu'un qui a une vision. Que l'on soit d'accord avec la vision de monsieur ou non, je pense que nous tous, quel que soit le parti politique que nous représentions, devons écouter attentivement ce qui a été dit.

    Je vous félicite, monsieur, c'est un honneur que de vous entendre.

    Je n'ai pas vraiment de questions. Je tiens plutôt à écouter les réponses de M. Jules. J'ai appris quelque chose ici aujourd'hui.

»  +-(1700)  

+-

    Le président: Merci. Cela va permettre à M. Jules de disposer de plus de temps pour le mot de la fin.

    Pour ce qui est de réparer une crevaison, cela ne sert à rien de crier, mais quelques mots qui font passer la frustration permettent parfois de réparer le pneu.

+-

    M. Clarence Manny Jules: En effet.

+-

    Le président: Monsieur Vellacott, vous avez quatre minutes.

+-

    M. Maurice Vellacott: J'ai terminé, merci.

+-

    Le président: Monsieur Loubier.

[Français]

+-

    M. Yvan Loubier: Ça va.

[Traduction]

+-

    Le président: Monsieur Martin, vous avez quatre minutes.

+-

    M. Pat Martin: Je ne refuse jamais une occasion.

    L'une des critiques à l'égard du projet de loi C-19... je sais que nous sommes vraiment ici pour parler du projet de loi C-7, mais je ne pense pas que l'on puisse les traiter tous deux de façon isolée. C'est vraiment un ensemble de lois—le projet C-6, le projet C-7 et le projet C-19.

    D'après notre interprétation, au lieu de diminuer le pouvoir discrétionnaire du ministre, ce projet de loi l'augmente. Pour les quatre nouvelles institutions financières et pour la commission fiscale, c'est le ministre qui nommera tous les administrateurs, sans même demander des recommandations aux Premières nations.

    Ces commissions devront se conformer à des normes plus strictes que le gouvernement fédéral puisqu'elles devront présenter un budget des dépenses et, en fin de ligne, un rapport de vérification. Même notre gouvernement fédéral n'a qu'à se soumettre à une vérification par le vérificateur général, ou le Comité des comptes publics... Le système ne prévoit pas qu'un ministre présente un budget des dépenses et prouve ce qu'il veut dépenser. Les Premières nations vont devoir se conformer à des normes plus strictes.

    Que répondez-vous aux critiques qui prétendent qu'au contraire le ministre va participer encore plus aux décisions quotidiennes sur les dépenses?

+-

    M. Clarence Manny Jules: Je pensais que certains de ces rôles étaient assumés par le Conseil du Trésor, que les divers ministères fédéraux devaient présenter leurs budgets au Conseil du Trésor et qu'ensuite le gouvernement décidait des crédits appropriés, du moins en théorie.

    Vous savez, une autre question très controversée, c'est toute cette affaire du registre des armes à feu. Je peux vous affirmer, monsieur Martin, que les Premières nations vont certainement mieux se réglementer que le gouvernement fédéral ne l'a jamais fait, lui, ou les gouvernements provinciaux.

    J'ai écouté votre exposé à la Chambre il y a environ une semaine. Très franchement, j'ai été un peu déçu, parce que je ne pense pas que vous ayez tout à fait compris l'historique du projet de loi C-115 et comment il est devenu le projet de loi C-19.

    Lorsque le gouvernement fédéral—il s'agissait d'un gouvernement progressiste- conservateur en 1988—a pris des engagements, il avait été convenu que nous nous adresserions directement à la Chambre des communes. C'est le député Jim Fulton qui a mené la lutte et s'est assuré que le projet de loi C-115 serait examiné. Il était accompagné de Nelson Rees. J'ai travaillé avec M. Penner, avec le ministre McKnight et avec M. Siddon pour veiller à ce que ce travail soit fait.

    Pour ce qui est de ce projet de loi en particulier...et l'autre chose qui m'ennuie, c'est que très franchement, je ne dis pas que c'est vous directement—c'est à cause des séances d'information qu'on vous a données—mais vous semblez avoir l'impression que des personnes comme moi n'ont pas d'imagination, que nous ne pouvons pas avoir d'idées nous-mêmes et trouver par la réflexion quelque chose qui va fonctionner.

    J'ai 26 ans d'expérience pratique dans ma communauté qui m'ont amené à croire qu'il nous faut des solutions pratiques. J'ai participé à de nombreuses manifestations. J'ai participé à de nombreuses discussions au niveau fédéral dans l'espoir de changer les choses. Ce que j'ai appris au cours de cette période, c'est que si vous ne prenez pas l'initiative pour convaincre le gouvernement que telle chose est nécessaire, il ne se produit jamais rien.

    Si j'étais resté à attendre que le ministère des Affaires indiennes ou un ministre décide qu'il fallait créer ce concept de l'impôt foncier et qu'il nous fallait mettre sur pied notre propre institut statistique, notre propre commission de gestion financière et d'administration financière, monsieur Martin, cela ne se serait pas fait.

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    M. Pat Martin: Le fait est que nous avons entendu les dirigeants de l'Assemblée des Premières nations et Roberta Jamieson, encore dans mon bureau aussi récemment que l'autre jour, me dire qu'ils étaient opposés aux projets de loi C-7 et C-19 pour les raisons que vous citez, c'est-à-dire qu'on ne leur permet pas de participer pleinement à l'élaboration de ces projets de loi.

    Apparemment, vous avez participé pleinement à l'élaboration du projet de loi C-19. J'en suis heureux. Vous êtes convaincu que c'est ce qu'il faut. Or comme représentants élus du Parlement des Premières nations, les représentants de l'APN disent ne pas avoir été consultés, disent ne pas avoir pu participer.

    J'exprime donc leurs inquiétudes.

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    M. Clarence Manny Jules: Permettez-moi de tirer au clair la genèse de ce projet de loi. Après l'adoption du projet de loi C-115 en 1988, nous avons collaboré avec le gouvernement de la Colombie-Britannique afin de l'aider à adopter une loi habilitante qui lui permettrait de céder ses pouvoirs d'imposition. Nous avons également collaboré avec le gouvernement du Québec au sujet du projet de loi C-67, de manière que les municipalités elles aussi cèdent leurs pouvoirs de taxation aux Premières nations autochtones.

    En 1996, après quelques années de discussion, nous avons proposé des principes fondamentaux sur lesquels bâtir de nouveaux liens en matière de fiscalité et leur permettant de se développer. Nous avons ensuite mis sur pied un comité des chefs chargé d'étudier les relations fiscales, comité qui s'est occupé de donner un caractère officiel à cette notion. Tous ces chefs représentent leur collectivité. Chacun d'entre eux siège au sein d'un comité consultatif de toutes les institutions, en vertu du projet de loi C-19.

    Par conséquent, affirmer que les chefs élus provenant de l'Assemblée des premières nations n'ont pas du tout participé à l'élaboration et à la rédaction du projet de loi C-19 est erroné, c'est tout à fait faux.

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    M. Pat Martin: Enfin, c'est vraiment du projet de loi C-7 que je parlais.

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    M. Clarence Manny Jules: Bon, alors dans ce cas-là, j'aimerais qu'on soit clair sur C-19. C'est de ça que je parle.

    Regardez ce que j'ai à subir: des courriels de moi, de Bobby Nault et de Johnny Chrétien avec des rubriques comme «train hors contrôle» et «terre indienne à vendre». Tout cela parce que j'ai le courage de dire que le statu quo est complètement inacceptable.

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    Le président: Monsieur Hubbard.

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    M. Charles Hubbard: Mes commentaires seront très brefs—merci, monsieur le président. Comme mon ami M. Reed, j'aimerais vous dire que j'étais très impressionné de votre exposé, et de votre vaste expérience. J'ai pensé, monsieur le président, à Martin Luther King, et à son fameux discours dans lequel il parle de son rêve. Nous devons tous avoir un rêve.

    Et pour revenir à ce que disait M. Martin, l'APN a toujours eu la possibilité de s'impliquer dans l'étude qui a abouti au projet de loi C-7. Si je ne m'abuse, monsieur Martin, c'est eux qui ont décidé de ne pas participer. Je ne sais pas exactement si la décision a été prise par toutes les 600 Premières nations, ou par un groupe qui les représentait. Mais ils ont certainement eu la possibilité de participer au processus. Je ne veux pas que le compte rendu donne l'impression que le ministre n'a pas pris en compte les Premières nations en prenant ses décisions.

    En tout cas, je suis très impressionné par vos efforts, et j'espère que vous comptez les poursuivre.

    D'ailleurs, monsieur le président, notre comité va entendre des gens de tous les coins du Canada. Après la consultation, nous reviendrons ici. M. Martin aura sans doute des modifications à proposer, tout comme M. Loubier et M. Vellacott. Nous allons sans doute essayer d'arriver à un projet de loi, à une loi, qui correspond bien aux besoins des Canadiens dans toutes les parties du Canada.

    J'ai beaucoup apprécié votre exposé. Il était très bien fait. Bonne chance dans votre travail.

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    Le président: Merci, monsieur Hubbard.

    Monsieur Jules, la parole est à vous. Vous pouvez faire quelques commentaires pour conclure. Prenez tout le temps que vous voulez. Nous aimons bien vous écouter.

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    M. Clarence Manny Jules: Il ne faut jamais dire «prenez tout le temps que vous voulez».

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    Le président: Bon, si vous prenez trop de temps, il se peut que je sois le seul qui reste à vous écouter, mais vous pouvez prendre tout le temps que vous voulez.

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    M. Clarence Manny Jules: J'étais à Mont-Tremblant quand le président Clinton a fait un discours. Son discours ressemblait beaucoup à ceux de Martin Luther. C'est là que j'ai constaté que nous avons tous la responsabilité de cerner notre place au sein de la société canadienne d'une façon très fondamentale, et que pour faire cela nous devons faire partie—et vraiment faire partie—de la fédération canadienne.

    Pour arriver à cela, nous devons être une part importante de l'économie canadienne. Pensons un peu à la Loi sur les Indiens, qui en 1918 a fait de nous un non-peuple. La loi a établi un ministre qui nous dit ce que nous pouvons et ne pouvons pas faire. Le résultat, c'est la situation d'aujourd'hui—130 ans plus tard, nous n'avons toujours pas nos propres institutions. Nous n'avons pas eu la possibilité de prendre nos propres décisions, des décisions qui nous affectent en tant que peuple. Nous ne sommes donc pas partie prenante de l'économie canadienne.

    La décision Marshall dans l'Est montre cela très clairement. On a empêché les Premières nations d'avoir accès à la pêche. Qu'est-ce qui s'est passé alors? Quelles étaient les conséquences de cet acte? On voit la même chose avec les forêts, et avec les diamants dans le Nord. Tous ces domaines sont très importants, et joueront un rôle essentiel si nous voulons faire partie de l'économie. Mais pour arriver à faire partie de l'économie, nous devons cerner ensemble notre place au sein de la fédération canadienne.

    Quand je pense à notre place, au long voyage que les Premières nations ont entrepris depuis le moment où nous sommes arrivés sur cette terre et où nous nous sommes répandus, à tous ces cadeaux que nous avons donnés au monde—le maïs, le bison, la tomate, les poivrons, pour n'en nommer que quelques-uns, je crois que tous ces cadeaux que les peuples des Premières nations ont donnés au Canada, aux États-Unis et aux Amériques ne peuvent pas être mis de côté. Si nous voulons arriver à cette liberté que nous voulons tous, et si nous voulons nous tenir debout, il faut que nous travaillions ensemble. L'économie canadienne ne peut pas fonctionner avec vous seuls. C'est comme si vous essayez de faire partir un moteur quand un des cylindres ne fonctionne pas.

    Parmi tous les pays qui ont une population indigène, dont l'Australie, le Brésil, les États-Unis et la Nouvelle-Zélande, c'est le Canada qui a la population autochtone la plus importante. Et c'est donc le Canada qui a la responsabilité de commencer à prendre en compte nos espoirs et nos ambitions au sein de la fédération, pour qu'on puisse atteindre les sommets de grandeur que le Canada recherche.

    J'espère que j'aurai l'appui de vous tous, y compris celui de M. Martin.

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    Le président: Comme nous vous l'avons déjà dit, nous avons tous été très impressionnés par votre exposé. Dans 10 ans, mes petits-enfants auront 16, 15, 14 et 12 ans. Je vais leur raconter Clarence Jules et sa vision.

    Merci beaucoup.

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    M. Clarence Manny Jules: Merci.

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    Le président: La séance est levée.