OGGO Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le lundi 3 février 2003
Á | 1105 |
Le président (M. Reg Alcock (Winnipeg-Sud, Lib.)) |
M. Ken Epp (Elk Island, Alliance canadienne) |
Le président |
M. Sheldon Ehrenworth (fondateur, Forum des politiques publiques, directeur général, Driving Government to Excellence Project, À titre individuel) |
Á | 1110 |
Á | 1115 |
Á | 1130 |
Le président |
M. Ken Epp |
Á | 1135 |
M. Sheldon Ehrenworth |
M. Ken Epp |
Á | 1140 |
Le président |
M. Ken Epp |
M. Sheldon Ehrenworth |
Le président |
M. Robert Lanctôt (Châteauguay, BQ) |
Á | 1145 |
M. Sheldon Ehrenworth |
Le président |
M. Robert Lanctôt |
Le président |
M. Robert Lanctôt |
M. Sheldon Ehrenworth |
M. Robert Lanctôt |
Á | 1150 |
M. Sheldon Ehrenworth |
Le président |
Mme Judy Sgro (York-Ouest, Lib.) |
M. Sheldon Ehrenworth |
Á | 1155 |
Mme Judy Sgro |
M. Sheldon Ehrenworth |
 | 1200 |
Mme Judy Sgro |
Le président |
M. Ken Epp |
M. Gerry Ritz (Battlefords—Lloydminster, Alliance canadienne) |
Le président |
M. Gerry Ritz |
M. Sheldon Ehrenworth |
M. Gerry Ritz |
M. Sheldon Ehrenworth |
 | 1205 |
M. Gerry Ritz |
M. Sheldon Ehrenworth |
M. Gerry Ritz |
Le président |
M. Paul Szabo (Mississauga-Sud, Lib.) |
 | 1210 |
Le président |
 | 1215 |
M. Sheldon Ehrenworth |
M. Paul Szabo |
M. Sheldon Ehrenworth |
Le président |
M. Sheldon Ehrenworth |
Le président |
M. Paul Forseth (New Westminster—Coquitlam—Burnaby, Alliance canadienne) |
 | 1220 |
M. Sheldon Ehrenworth |
M. Paul Forseth |
Le président |
M. Sheldon Ehrenworth |
Le président |
M. Sheldon Ehrenworth |
Le président |
 | 1225 |
M. Roy Cullen (Etobicoke-Nord, Lib.) |
M. Sheldon Ehrenworth |
M. Roy Cullen |
M. Sheldon Ehrenworth |
M. Roy Cullen |
M. Sheldon Ehrenworth |
M. Roy Cullen |
M. Sheldon Ehrenworth |
 | 1230 |
M. Roy Cullen |
M. Sheldon Ehrenworth |
Le président |
M. Tony Tirabassi (Niagara-Centre, Lib.) |
 | 1235 |
M. Sheldon Ehrenworth |
M. Tony Tirabassi |
Le président |
M. Tony Tirabassi |
M. Sheldon Ehrenworth |
M. Tony Tirabassi |
M. Sheldon Ehrenworth |
 | 1240 |
M. Tony Tirabassi |
M. Sheldon Ehrenworth |
Le président |
M. Paul Forseth |
Le président |
M. Robert Lanctôt |
M. Sheldon Ehrenworth |
M. Robert Lanctôt |
Le président |
M. Roy Cullen |
 | 1245 |
M. Sheldon Ehrenworth |
M. Roy Cullen |
M. Sheldon Ehrenworth |
M. Roy Cullen |
Le président |
M. Paul Forseth |
 | 1250 |
M. Sheldon Ehrenworth |
M. Paul Forseth |
M. Sheldon Ehrenworth |
M. Paul Forseth |
M. Sheldon Ehrenworth |
 | 1255 |
Le président |
M. Sheldon Ehrenworth |
Le président |
CANADA
Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires |
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TÉMOIGNAGES
Le lundi 3 février 2003
[Enregistrement électronique]
Á (1105)
[Traduction]
Le président (M. Reg Alcock (Winnipeg-Sud, Lib.)): Bonjour et bienvenue à cette réunion du Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires de ce lundi matin. Notre séance est télévisée.
Je souhaite attirer l'attention des membres du comité sur deux feuilles figurant dans leur documentation. Il s'agit d'une part d'un avis de dépôt du rapport annuel du Commissaire à la protection de la vie privée et d'autre part, d'une motion que vous avez tous reçue et qui valide simplement ce que nous sommes en train de faire. Nous entendrons le Commissaire à la protection de la vie privée lors de notre réunion de lundi matin la semaine prochaine, mais le Règlement stipule que nous devons informer la Chambre que nous nous saisissons de son rapport. Nous allons donc le faire, car le Règlement stipule par ailleurs que si nous ne le faisons pas dans un certain délai, ce rapport sera renvoyé à un autre comité.
Je ne vais pas vous demander de vous prononcer sur cette motion maintenant, car je crois que nous n'avons pas encore le quorum.
M. Ken Epp (Elk Island, Alliance canadienne): Nous sommes assez nombreux de ce côté-ci.
Le président: Oui. En fait, quand nous avons décidé de nous réunir le lundi matin, nous avons aussi convenu de ne pas examiner de motions de fond s'il n'y avait pas consentement unanime. Je vous donne donc simplement ce préavis. Quand nous aurons le quorum, j'interromprai nos délibérations quelques instants simplement pour obtenir votre consentement. Si quelqu'un a une objection, qu'il me le dise.
Venons-en au vif du sujet. Nous accueillons aujourd'hui M. Sheldon Ehrenworth—qui se présente comme «Shelly»—qui a derrière lui une longue carrière, une carrière terrifiante pour certains et que d'autres qualifient de distinguée, en tant qu'observateur des activités du gouvernement au départ en tant que haut fonctionnaire lui-même, puis en tant que fondateur du Forum des politiques publiques. Je vais le laisser vous en dire plus à ce sujet.
Je pense que tous mes collègues vont trouver l'exposé de ce matin très intéressant dans le contexte de l'étude que nous avons entreprise.
Sur ce, monsieur Ehrenworth, je vous donne la parole.
M. Sheldon Ehrenworth (fondateur, Forum des politiques publiques, directeur général, Driving Government to Excellence Project, À titre individuel): Merci, monsieur le président.
Je viens de trouver ce document qui me semble pertinent ici. C'est une citation de George Casey, qui dirigeait le comité parlementaire sur la fonction publique. Voici ce qu'il déclarait:
Quelque excellent que pourrait être le gouvernement du jour, ou quelque sages que seraient ses actes administratifs, ils seraient gâtés par les fautes du service civil. |
Et c'est précisément de cette fonction publique que je vais vous parler aujourd'hui. Cette citation remonte à 1877.
Monsieur le président, je suis enchanté de pouvoir intervenir ici aujourd'hui. Si ces audiences signifient qu'on commence à placer la fonction publique à notre ordre du jour politique, je trouve cela très encourageant. Je pense que seule une réforme à vocation politique nous permettra de nous doter de la fonction publique dont nous avons besoin pour réussir dans une économie mondiale et répondre aux besoins des citoyens.
Il est paradoxal que notre programme Gouvernement en direct gagnant d'une médaille d'or et plus précisément le site Web du Canada trônent comme un emblème au sommet d'une bureaucratie décrépite et axée sur le processus qui a connu son apogée à l'ère industrielle. Le principe du gouvernement électronique consiste à donner le pouvoir aux citoyens et à les faire intervenir dans les décisions qui les concernent alors que notre fonction publique continue à fonctionner sur le principe du «c'est nous qui savons».
Je crois que dans un pays aussi immense et varié qu'est le Canada, nous avons besoin d'un gouvernement fort, efficace et surtout pertinent—c'est-à-dire pertinent aux yeux de ses citoyens—pour maintenir notre unité. Or, je crois que nous sommes en train de perdre cet ingrédient indispensable à notre nation, et je trouve inquiétant qu'il y ait si peu de personnes à se rendre compte de ce qui se passe ou à être prêtes à faire quelque chose face à cette situation.
Dans la presse et dans les milieux politiques et d'affaires, on se préoccupe surtout de gouvernance d'entreprise. Quand des dirigeants d'entreprise, par malhonnêteté ou simplement par incompétence, commettent des erreurs, c'est un groupe relativement restreint d'actionnaires et d'employés qui en souffrent. Mais que faut-il penser d'une gouvernance de gouvernement dont les mauvaises orientations, les erreurs d'objectif, les programmes et politiques maladroits pénalisent 30 millions de personnes?
Sans une fonction publique forte, un gouvernement peut tout au plus se contenter d'observer la situation, et les faits ont montré récemment que même cela pouvait être difficile. Trente ministres ne peuvent pas faire grand-chose tout seuls, mais l'histoire a montré, ici et à l'étranger, ce que des ministres visionnaires pouvaient accomplir si des cadres supérieurs brillants, créatifs et plein d'énergie les aidaient à faire les analyses, à concevoir les programmes et à les appliquer.
Malheureusement, nous assistons aujourd'hui au spectacle d'une fonction publique qui est de moins en moins capable d'élaborer et d'exécuter des politiques et qui a de plus en plus une mentalité insulaire et dominatrice. Il est urgent de l'améliorer, que ce soit en l'agrandissant ou en la réduisant. Je pense que nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre encore un cycle d'élection et de gouvernement pour nous occuper du problème de gouvernance de notre gouvernement. C'est maintenant qu'il faut agir, alors que de nouvelles campagnes à la direction sont en cours ou ont récemment été menées dans la plupart des partis politiques fédéraux.
C'est la commission Glassco, avec son slogan invitant les gestionnaires à gérer, qui a inauguré l'ère moderne de la fonction publique il y a 40 ans. Depuis, on a vu proliférer les initiatives d'enquête, de remises en question et d'examens de la bureaucratie fédérale, et c'est une industrie qui est encore en pleine expansion aujourd'hui. Depuis la commission Glassco, 37 études ont été effectuées sur la réforme de la fonction publique; quelle belle illustration de la loi de la proportionnalité inverse de Sir Humphrey Appleby, qui dit que moins on veut en faire à propos de quelque chose, plus on doit l'étudier.
Mais ce n'est qu'au Canada qu'on entend dire, et encore à Ottawa seulement, que nous avons la meilleure fonction publique au monde. Pendant ce temps, dans d'autres pays—le Royaume-Uni, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, la Scandinavie, la France ou même plus près de chez nous en Saskatchewan, au Nouveau-Brunswick et en Alberta—les études effectuées ont été mises en application. Leurs réformes ont pris des formes différentes, mais le fil commun de toutes ces expériences, c'est que les premiers ministres montrent la voie.
À l'inverse, dans cette ville, il a toujours été acquis que le premier ministre, les ministres et les parlementaires ne s'intéressent pas à la fonction publique et qu'une réforme de la bureaucratie ne présente aucun intérêt politique. Pour moi, cela revient à dire que le bon gouvernement, c'est de la mauvaise politique. C'est un raisonnement qui me dépasse, mais qui explique bien pourquoi notre fonction publique a la même apparence et fonctionne de la même façon qu'à l'époque où je suis entré au ministère de l'Industrie et du Commerce en 1972.
J'ai débuté comme agent de commerce subalterne et 15 ans après, quand je suis parti, j'étais cadre intermédiaire et directeur des affaires publiques à Travail Canada. Mon rôle consistait à élaborer des relations plus productives entre le gouvernement et les syndicats. Il y avait une profonde incompréhension entre ces deux groupes, mais le problème allait bien au-delà des syndicats. Le gouvernement, et plus particulièrement la fonction publique, était complètement coupé du reste du monde.
Á (1110)
En 1987, j'ai en quelque sorte privatisé mon emploi en créant le Forum des politiques publiques. J'avais deux objectifs à l'époque. Le premier était de réunir les dirigeants du gouvernement, du secteur privé, du milieu universitaire, du milieu syndical et du secteur des organisations à but non lucratif pour leur donner l'occasion de se mettre les uns à la place des autres. Nous pensions que cela permettrait de réaliser de meilleures interactions, un échange mutuel d'information et que cela déboucherait sur l'élaboration de politiques et une prestation du service mieux ciblées et plus sensibles aux besoins.
Le deuxième objectif était de mettre à profit les connaissances et l'expérience de gens d'affaires qui avaient bien réussi en dehors du gouvernement fédéral pour moderniser le régime de gestion de notre fonction publique. Au début des années 90, nous avions réussi à mobiliser des partisans de tous les horizons politiques convaincus que le fonctionnement du gouvernement était trop important pour être étudié de façon partiale. En dépit de nos efforts, le Forum n'a guère progressé sur ces deux fronts.
Aujourd'hui, je pense que la fonction publique est plus isolée que jamais des parties concernées et du public. La réforme Fonction publique 2000 semblait être une réponse directe à l'appel de notre forum à un renouvellement de la fonction publique, mais elle n'a donné que très peu de résultats. Il s'est agi d'un simple exercice interne bénéficiant de très peu d'appui politique et sans intervention soutenue de l'extérieur du gouvernement. Le groupe de conseillers-experts en restructuration que le Forum avait contribué à mettre sur pied a été mis sur la touche. Je me souviens encore de Paul Tellier, à l'époque greffier du Conseil privé, disant que seule la fonction publique pouvait se réformer. Aujourd'hui, il serait le premier à reconnaître qu'il avait tort.
De fait, aucune fonction publique n'a jamais été capable de se réformer toute seule en profondeur. Dans la foulée de Fonction publique 2000, nous avons eu l'examen des programmes qui a peut-être évité la faillite à notre pays. On a fusionné des ministères, éliminé des fonctions, confié certains secteurs d'activités aux provinces ou au secteur privé, et supprimé quelque chose comme 50 000 emplois, du moins sur papier. Mais, chose étonnante, on n'a fait aucun effort pour modifier le régime de gestion ou la culture de la bureaucratie. On l'a réduite, mais sans essayer de l'améliorer. Voilà à peu près où nous en sommes aujourd'hui.
À une exception près. Lors de l'entreprise de réduction menée au milieu des années 90, il n'y avait aucune stratégie pour encourager les meilleurs fonctionnaires à rester. Quand on dit à quelqu'un: «Tenez, voilà 200 000 $, trouvez-vous un emploi où vous pourrez travailler deux fois moins en gagnant deux fois plus», les gens qui ont le choix n'hésitent pas.
Je ne veux surtout pas dire que tous les bons fonctionnaires sont partis, mais simplement qu'il a été difficile de remplacer ceux qui étaient partis et que ceux qui sont restés travaillent encore plus qu'avant pour faire fonctionner le système.
Si vous posiez la question à Allan Blakeney, Bill Davis, Peter Lougheed ou Frank McKenna, ils vous diraient, au moins en privé, que leur réussite politique s'explique en bonne partie par le fait qu'ils ont pu disposer d'une administration compétente, motivée, ouverte sur l'extérieur et souple. Ils ont laissé leurs gestionnaires gérer parce qu'ils savaient qu'ils étaient branchés sur le monde extérieur. Ces dirigeants comprenaient parfaitement leur rôle et avaient la conviction que leurs hauts fonctionnaires savaient quoi faire quand certains ministres, dont certains n'avaient qu'une expérience limitée, ne le savaient pas.
Malheureusement, au niveau fédéral, Lester Pearson a probablement été le dernier premier ministre à comprendre la valeur d'une fonction publique solide. Je suis sidéré de voir à quel point les ministres ne font plus confiance à leurs hauts fonctionnaires pour gérer des questions complexes ou trouver des solutions novatrices aux problèmes. Au lieu de suggérer de rectifier ce système, ils ont laissé une partie de plus en plus importante du vrai pouvoir tomber entre les mains du Bureau du Conseil privé et du Bureau du premier ministre qui ne peuvent pas faire grand-chose d'autre, à mon avis, que de maintenir le couvercle sur la marmite.
S'il y a eu une bonne décision depuis l'examen des programmes, cela a été de retirer à la fonction publique la tâche de perception des recettes du gouvernement pour la confier à un organisme indépendant. L'idée n'était pas nouvelle. Les Britanniques ont commencé à envisager ce genre de réforme au début des années 80. À la fin des années 80, ils avaient regroupé 80 p. 100 de leurs fonctionnaires au sein d'agences de direction, nommé des PDG auxquels ils avaient fixé des objectifs de rendement clairs en leur donnant les outils nécessaires, récompensé le succès et imposé des conséquences à l'échec.
La création de l'Agence des douanes et du revenu avait une justification parfaitement claire: libérer les percepteurs d'impôt de règles et de procédures bureaucratiques centralisées pour leur permettre de mieux faire leur travail. Elle a été le résultat de la vision et de la détermination d'un sous-ministre extrêmement solide, Pierre Gravel, qui avait réussi à convaincre son ministre et le gouvernement de la nécessité d'une réforme bureaucratique en profondeur pour organiser une perception efficace des recettes. Naturellement, Pierre n'est plus là, mais d'après ce que je constate, ce passage au statut d'agence commence à rapporter des dividendes.
Une importante question reste cependant sans réponse. Si le régime laissait à désirer pour les percepteurs d'impôt, les gens responsables de percevoir l'argent des citoyens, pourquoi serait-il satisfaisant pour les 175 000 autres fonctionnaires qui dépensent cet argent au nom des citoyens?
Á (1115)
Cela montre peut-être que nous avons besoin de plus de sous-ministres visionnaires et convaincants, mais c'est aussi une situation révélatrice d'une culture qui se complaît dans le statu quo, qui ne tire des leçons de ses expériences, bonnes ou mauvaises, qu'à contrecoeur, et qui ne tient pas compte des leçons en provenance de l'extérieur, du secteur privé, du secteur bénévole ou des autres gouvernements.
D'où vient cette culture? Pourquoi d'autres organisations évoluent-elles rapidement alors que la fonction publique fédérale s'obstine dans son immobilisme? La réponse tient en partie au fait que rares sont les cadres supérieurs du gouvernement qui ont une autre expérience. Quand on entre dans la fonction publique, en général tout de suite après ses études, on est censé y rester jusqu'à la retraite. Les promotions se font presque toujours de l'intérieur, et l'on peut grimper jusqu'au sommet de la bureaucratie sans avoir mis un pied dans le monde extérieur, de sorte que la plupart des responsables n'ont jamais été confrontés à un véritable bilan. Ils n'ont pas la moindre idée de ce que signifie verser à temps la paye des employés—ou pire encore, ne pas la verser à temps—et ils puisent davantage leur inspiration chez leurs collègues que chez leurs clients. Contrairement à Washington, Londres, Paris et certaines de nos capitales provinciales, Ottawa souffre profondément de l'absence d'un apport intellectuel extérieur. Cette situation se traduit fatalement par de mauvais conseils stratégiques suivis d'une mauvaise mise en oeuvre.
Vous pouvez vous reporter au programme énergétique national ou au traumatisme récent du registre des armes à feu, sans parler de tout ce qui s'est passé entre les deux. Vous constaterez que toutes ces politiques malencontreuses ont été élaborées par des gens qui avaient très peu d'expérience directe du monde extérieur au gouvernement, qu'il s'agisse de l'industrie pétrolière ou des propriétaires d'armes à feu. La culture de la fonction publique n'a pas été façonnée seulement par le carriérisme, d'autres influences néfastes y ont contribué. Comme je n'ai que peu de temps, je ne vais en mentionner qu'une, l'approche dysfonctionnelle de la reddition de comptes au gouvernement fédéral.
Á (1130)
Le président: Merci, monsieur Ehrenworth.
Nous allons commencer notre tour de ce côté-ci avec M. Epp.
M. Ken Epp: Merci beaucoup.
J'ai beaucoup aimé votre exposé. Chose intéressante, vous avez dit quelque chose que j'ai dit moi-même il n'y a pas si longtemps lorsque je me suis adressé à un petit groupe de personnes. J'ai dit, j'ai hâte au jour où je serai ministre et où j'écrirai une note à tous les gestionnaires de mon ministère qui ira comme suit: «À compter d'aujourd'hui, toutes les décisions relatives au financement, à l'octroi des marchés et à la gestion doivent être fondées sur l'intérêt supérieur du Canada et du contribuable, et non sur des considérations politiques.»
Vous avez mentionné cela à quelques reprises. Vous avez dit, par exemple, qu'il nous faut des ministres et des sous-ministres visionnaires. Vous avez également dit que seule une réforme impulsée par l'autorité politique réglera ces problèmes. Cela dit, parallèlement, j'ai l'impression que c'est justement le jeu politique qui a fait que la fonction publique de notre pays est aujourd'hui plus déconsidérée que jamais dans notre pays et que la situation est si mauvaise.
Que répondez-vous à cela? Comment allons-nous opérer une révolution inspirée par l'autorité politique si les politiques eux-mêmes s'accrochent au statu quo?
Á (1135)
M. Sheldon Ehrenworth: Je ne voulais pas vous donner l'impression qu'il n'y a que les politiques qui sont accrochés au statu quo. Je crois que le problème tient à l'incapacité où nous sommes depuis plusieurs années de prendre du recul et de considérer l'ensemble de la fonction gouvernementale et de nous demander comment obtenir les meilleurs résultats au XXIe siècle.
J'ai cité les exemples d'Allan Blakeney, Peter Lougheed et Bill Davis, et j'ai cité l'exemple de 30 ministres et 300 parlementaires qui ne peuvent pas faire le travail de 250 000 personnes à moins qu'il y ait une quelconque interaction et une quelconque coordination, et que l'on sache qui est responsable de quoi.
Mais j'ai la conviction que cela doit devenir une priorité politique. Vous dites qu'il y a eu 37 études au cours des 40 dernières années sur le système de gestion au gouvernement. M. Mulroney avait fait de la fonction publique une priorité politique parce qu'il avait reçu une centaine de lettres des faiseurs d'opinions du pays qui lui disaient: «On ne peut pas gérer une fonction publique comme ça. Vous devez opérer un changement dans le système de gestion.» Mais en fait, on ne s'intéressait pas du tout à la gestion.
Quand on y songe, si j'étais premier ministre, je voudrais sûrement recruter les meilleurs éléments qui soient pour l'appareil gouvernemental et qu'ils conseillent les ministres et administrent les programmes. L'initiative Fonction publique 2000—et je cite cet exemple parmi bien d'autres—a fini par déboucher sur l'idée suivante: seuls les fonctionnaires peuvent réformer la fonction publique; c'est nous, les gestionnaires de la fonction publique. Mais une fois qu'on occupe un poste d'autorité...
Pour être tout à fait franc, je ne crois pas qu'un premier ministre puisse opérer le genre de changement dont je parle. Je crois que cela doit être quelqu'un qui, essentiellement, prend du recul et dit: «Voici ma vision du pays, et voici comment nous allons la mettre en oeuvre», parce que le statu quo devient le modus operandi dès lors qu'on devient haut fonctionnaire et qu'on s'installe dans un poste d'autorité au sein de la fonction gouvernementale.
M. Ken Epp: Ce que vous dites est très intéressant. Je ne sais pas comment m'exprimer sans que cela semble partisan, ce que je ne voudrais pas, mais j'ai lu deux livres qui, à mon avis, sont très importants et qui offrent un potentiel pour ce genre de leadership au Canada. Ce sont deux livres de Preston Manning. Je parle du livre The New Canada, et du plus récent, Think Big.
J'ai tout lu, et c'est très dommage que les médias se soient concentrés sur une seule partie du livre et qu'ils aient raté le dernier chapitre, où l'auteur parle de toutes les choses qui devraient être examinées et étudiées, ainsi que des solutions appropriées. Pourtant, il semble que le peuple canadien ne soit pas prêt à ce genre de leadership politique.
Comment, selon vous, peut-on faire comprendre aux Canadiens que nous avons réellement besoin d'un leadership politique fort dans ce pays, pour mener une fonction publique forte et régie par des principes? Comment y arriver dans un contexte de guerre politique, où ceux qui remportent les élections ne sont pas ceux qui ont de bonnes suggestions ou des politiques éclairées, mais plutôt ceux qui peuvent dire le plus de mal sur l'adversaire? Que doit-on croire?
Je m'inquiète de la pagaille dans laquelle nous sommes à cause de notre incapacité à avoir un débat libre à propos des problèmes et à parler de ce que les différents chefs et partis politiques ont à offrir plutôt que des insinuations et des mensonges à propos de chacun.
Á (1140)
Le président: Peut-être qu'à titre de comparaison, vous pourriez proposer d'autres livres.
M. Ken Epp: Peut-être le livre Straight Through the Heart?
M. Sheldon Ehrenworth: Quand nous avons lancé le Forum des politiques publiques, l'idée directrice était que le fonctionnement du gouvernement était très important. Personne n'y prête réellement attention. Il ne s'agit pas d'une question partisane, ce sont les résultats du gouvernement qui le sont. Tant que le public, les médias et la classe politique ne reconnaîtront pas qu'il faut changer les rouages du gouvernement pour refléter les réalités...
Je ne suis pas venu ici pour parler de réforme de notre système politique. Je laisse cela à la classe politique. En fait, je suis désolé d'avoir été aussi dur avec la fonction publique, à laquelle je crois fermement, mais la réalité, c'est que personne ne soulève ces questions à cause de la tradition de Westminster.
Alors ma réponse c'est que vous en savez beaucoup plus sur la façon de dépolitiser le fonctionnement du gouvernement. Ce qui me préoccupe vraiment, c'est de trouver comment rendre les opérations gouvernementales plus efficaces. Je pense que la suggestion qui a trait à la reddition des comptes est essentielle.
Le président: Merci, monsieur Ehrenworth.
Monsieur Epp, je vous redonnerai la parole au second tour.
Monsieur Lanctôt.
[Français]
M. Robert Lanctôt (Châteauguay, BQ): Merci, monsieur le président.
Je pense qu'il devrait y avoir de grands changements dans l'organigramme du gouvernement du Canada. On sait tous que le pouvoir est entre les mains du Bureau du premier ministre, et ce, depuis 1993, et on sent qu'il y a un énorme dérapage. On dirait que tout ce que fait la fonction publique présentement, c'est d'accepter de gérer d'une façon... Je n'ai pas besoin de vous le dire, on l'a vu avec les armes à feu, on l'a vu avec le programme des commandites, on l'a vu avec les programmes de DRHC, et j'en passe. Je pense que plus on va fouiller, plus on va en trouver. Donc, c'est un chaos total.
Je comprends que vous vouliez changer la fonction publique, mais est-ce que les dirigeants veulent vraiment la changer? On dit que la nouvelle gestion publique est là depuis au moins dix ans et on voit tous les scandales qui existent et qui continuent. On espère que cela arrêtera parce qu'on se sert des deniers publics. J'espère qu'on s'en servira d'une meilleure façon qu'on le fait présentement.
Mais comment faire, si on ne part pas des organigrammes principaux d'un gouvernement, pour changer le secrétariat du Conseil privé ou le Conseil privé et mettre d'autres aspects, donner d'autres façons de faire? Je ne sais pas, mais peut-être pourrait-on regarder ce que font d'autres pays dans le monde. Le système britannique et le système du gouvernement du Canada ne doivent pas être les seuls. Il doit y avoir un autre système pour empêcher que ce soit un homme qui dirige à peu près tout. On voit tous les scandales que cela a donnés. On part de considérations beaucoup plus politiques et on nomme des gens comme Gagliano à un poste au Danemark. Un comité a simplement demandé de pouvoir poser des questions à cette personne pour savoir si elle avait les compétences requises et cela lui a été refusé. Pourtant, on fait partie d'un gouvernement où on voudrait améliorer les choses. Or, cela a été une nomination purement politique.
On nous fait de beaux discours. Je vous écoute, je sais que vous venez ici comme témoin, mais pendant que vous dites qu'on doit voir quelle est la compétence des gens, on refuse même... Ce ne sont pas les gens qui sont autour de cette table, mais je regarde la grande majorité des gens qui font partie de ce gouvernement. Comment peut-on croire qu'on veut vraiment changer les choses lorsque l'année dernière, en 2002, on a refusé des choses aussi simples que celle-là? On a voulu poser des questions pour voir s'il avait les compétences requises, mais ce fut refusé. Pourquoi? Parce qu'un homme, le Bureau du premier ministre, a dit non, que c'était une nomination politique et que le comité n'avait pas à examiner cela.
Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je trouve qu'on dérape très loin.
Á (1145)
[Traduction]
M. Sheldon Ehrenworth: Je ne vois pas tout sous l'angle politique, et j'essaie d'être non partisan. Je pourrais probablement répondre à vos commentaires avec certains très bons commentaires de mon cru, mais je vais me retenir. Je ne pense pas avoir la sagesse suffisante pour pouvoir dire voici comment il faut s'y prendre, mais nous n'arriverons à rien sans leadership politique.
On m'a beaucoup critiqué parce que j'ai toujours admiré Margaret Thatcher, pas tellement pour ses politiques mais plutôt pour certaines des choses qu'elle a faites pour essayer de rendre la fonction publique plus souple et responsable. C'est elle qui a insisté pour que soit mis en place un programme pour utiliser de l'anglais simple. Au Canada, nous devrions avoir un programme pour utiliser de l'anglais et du français simples. Le gouvernement n'est pas aussi complexe que ce qu'on laisse croire.
Je vais vous parler d'une conversation que j'ai eue avec un ministre du gouvernement canadien il y a un an et demi. C'était une réunion officieuse et je ne vous dirai pas de qui il s'agit. J'ai parlé du fait que le système était replié sur lui-même, axé sur le contrôle et les règlements et que la fonction publique n'allait pas en s'améliorant. Ce qu'il m'a répondu était assez troublant. Il a dit: «Souvent, au Conseil des ministres, lorsque l'on a affaire à une situation trop difficile, nous songeons à privatiser cette composante particulière ou à en donner la responsabilité aux provinces, parce que nous ne croyons pas que la fonction publique puisse remédier à cette situation.» Alors, si ça n'est pas suffisant pour vouloir faire changer les choses radicalement...
Je ne crois pas que 2 p. 100 de la fonction publique au Canada serait en désaccord avec ce que je viens de dire, et ceux qui le seraient diraient que je n'ai pas travaillé au gouvernement suffisamment longtemps et que je n'ai pas assez d'ancienneté pour avoir connu les changements radicaux qui ont eu lieu. Encore une fois, je suis désolé d'avoir à venir ici vous dire cela, mais si je regarde le gouvernement depuis que j'ai quitté le Forum des politiques publiques il y a six ans, nous avons fait un pas en avant et trois pas en arrière.
Comment s'y prendre? Il serait bon de commencer par aborder ces quatre recommandations avec le prochain premier ministre et les chefs de parti, de signaler dans les programmes électoraux de tous les partis fédéraux du Canada que le fonctionnement du gouvernement est trop important pour être traité de manière partisane. C'est comme ça que nous y arriverons.
Je me souviens quand nous avons travaillé sur la réforme parlementaire au Forum des politiques publiques. Nous avons abordé la période des questions. Je crois que nous nous sommes dit: «Pourquoi ne pas avoir une période des questions comme celle de Québec? C'est beaucoup plus civilisé.» Encore une fois, je ne prétends pas être un expert en la matière.
Le président: Peut-on avoir des questions et des réponses plus courtes pour que l'on puisse poser plus de questions?
Monsieur Lanctôt, le temps qui vous est imparti est écoulé, mais je vous laisse poser une dernière question avant d'aller plus loin.
[Français]
M. Robert Lanctôt: Est-ce que vous me permettez de poser deux autres questions?
[Traduction]
Le président: Allez-y.
[Français]
M. Robert Lanctôt: Merci.
[Traduction]
M. Sheldon Ehrenworth: Puis-je répondre à l'une des questions?
[Français]
M. Robert Lanctôt: Je me demande aussi quelle est la vision que vous pouvez avoir en tant qu'ancien fonctionnaire.
Est-ce que ça préoccupe les fonctionnaires de voir que de moins en moins de gens vont voter, que de moins en moins de gens croient en cette démocratie qui est établie et qui est un peu affaiblie par ce dont on a parlé un peu plus tôt? Comment les fonctionnaires réagissent-ils lorsque, par exemple, on parle avec un sous-ministre ou un sous-ministre adjoint, qu'on a des discussions en privé où on nous dit qu'on devrait faire telle chose, qu'on devrait respecter les compétences des provinces ou du Québec et qu'on applique complètement autre chose? Je pense que la population voit ces choses-là. Les gens nous demandent pourquoi, lorsqu'ils votent aux élections fédérales, le taux est si bas, de plus en plus bas. Ils se sentent très loin des préoccupations qui sont les leurs par rapport à ce qu'ils font dans cette gouvernance.
Il y a des lois, il y a même une Constitution, et on ne la respecte même pas. Donc, comment voulez-vous que les gens aient confiance et disent vouloir voter pour telle personne si leur vote ne donne pas grand-chose parce qu'on ne respecte même pas les lois cadres du pays?
Á (1150)
[Traduction]
M. Sheldon Ehrenworth: Pour répondre au début de votre question, je pense que les fonctionnaires sont préoccupés par ce qui se passe et que c'est la raison pour laquelle la fonction publique ne représente plus la carrière qu'elle était lors de la dernière génération. C'était une vocation et ce n'est plus le cas aujourd'hui. J'ai lu dans un article de journal que la fonction publique se rendait à Oxford pour y engager des étudiants d'élite, en supposant que ces étudiants viendront des meilleurs établissements d'enseignement et resteront dans le système. Je ne crois pas qu'ils resteront. Je crois que ce système est trop restrictif et que travailler au gouvernement aujourd'hui ne donne pas le même genre de satisfaction que lors des dernières générations.
La seule autre chose dont je voudrais parler c'est que j'ai passé deux semaines en Alberta au mois de novembre, lorsqu'on a annoncé le programme du registre des armes à feu et Kyoto. Je ne crois pas que les Albertains soient contre un engagement du gouvernement fédéral dans des questions comme les armes à feu et l'environnement. Je pense que beaucoup de gens se demandent, quand le gouvernement fédéral se saisit d'une question particulière, s'il sera capable d'obtenir les résultats voulus. Il s'agit ici du niveau de confiance.
Le président: Merci.
Chers collègues, pour ceux qui n'étaient pas là au début de la séance, nous avons la motion. Après la question de Mme Sgro, qui est la prochaine, je vais demander le vote à moins que quelqu'un n'ait une préoccupation à ce sujet. C'est simplement une motion pour confirmer que c'est ce comité qui sera saisi du rapport du Commissaire à la protection de la vie privée.
S'il y a quelque chose qui vous préoccupe à ce sujet, veuillez me le signaler, s'il vous plaît. Sinon, je vais demander le vote puisque nous avons le quorum.
Madame Sgro.
Mme Judy Sgro (York-Ouest, Lib.): Merci beaucoup, monsieur Ehrenworth. Merci d'être assez courageux pour venir ici nous aider à nous attaquer à une question qui, selon moi, est extrêmement troublante.
Je me suis déjà heurtée à un mur et j'ai trouvé très frustrant d'être «juste» une députée. Je pensais qu'être député était assez important, mais le rôle de député, travailler avec la bureaucratie, se pencher sur des questions importantes, est très difficile ici. Il faut essayer de comprendre exactement quel est notre rôle, ce qui revient à la question de reddition de comptes. Il n'y a pas que les ministres. C'est aussi le rôle des députés, de ce qu'ils sont censés faire, mais lorsque vous êtes mis à l'écart, que vous ne pouvez aller de l'avant parce que vous n'êtes qu'un député... Beaucoup de nos députés ont fait un travail extraordinaire. Mais ce travail prend fin parce que le gouvernement, quel qu'il soit, prend la relève.
Je remarque donc avec tristesse, d'après vos commentaires, que nous avons un problème énorme, qui n'existe pas que depuis 1993. Cette question m'a tellement travaillée que j'ai lu plusieurs livres sur cette question des rouages du gouvernement pendant mes vacances en Floride, pour comprendre comment s'y prendre, sans savoir que ce changement viendrait et que nous aurions l'occasion de commencer à travailler réellement sur cette question.
Mais que faire maintenant? Vous avez mis en évidence quatre éléments, je crois qu'il faudra du leadership politique, mais il faudra probablement plus que cela. Alors, quel est notre rôle et comment faire pour aller plus loin et faire tomber ce mur?
M. Sheldon Ehrenworth: Je ne voudrais vexer personne, mais je suis d'accord avec vous sur tout ce que vous dites. Je pense que c'est scandaleux, simplement scandaleux qu'on dise que vous êtes une «simple» députée. Vous mettez le doigt sur une réalité de notre pays qu'on ne trouve pas dans bien d'autres endroits autour du monde et, à mes yeux, c'est plutôt antidémocratique.
Je vais vous dire une chose à laquelle je crois sincèrement. Il y avait autrefois, ici, le Centre parlementaire, qui faisait la promotion de changements au régime parlementaire. Dans notre pays, ce n'est pas la majorité silencieuse qui fait les politiques, mais la minorité bruyante. Pour cette question, il faut des champions. Je me suis concentré sur la fonction publique et pas vraiment sur le palier politique. Mais il doit y avoir un groupe de l'extérieur qui soulève cette question et lance un débat public. Les médias doivent en parler. Les leaders d'opinion doivent commencer à en discuter. Je ne dis pas que le pays va s'effondrer, mais je crois que notre gouvernement fédéral sera de moins en moins pertinent.
Dans un pays étalé sur 9 000 milles, je crois qu'il nous faut un gouvernement fort, centralisé, efficace et respecté, tant du point de vue du régime politique que du point de vue administratif. Beaucoup de gens peuvent donner leur avis sur ces questions et faire preuve de leadership, mais elles doivent être mobilisées. Ce n'est pas vous, ni vos collègues, qui vous lèverez pour dire qu'il faut un changement. Il faut que cela vienne des Canadiens. C'est comme ça que les leaders de notre pays apprendront et réagiront.
Vous avez cerné le sentiment que j'avais quand j'étais fonctionnaire: «ce n'est qu'un député». Je trouve scandaleux qu'un fonctionnaire ne retourne pas nécessairement l'appel d'un député.
Á (1155)
Mme Judy Sgro: Au sujet de la façon dont on peut amener les Canadiens à comprendre comment fonctionne notre gouvernement, le gouvernement du Canada, il faut dire que très peu de gens le comprennent vraiment et que lorsqu'on essaie d'expliquer aux électeurs qu'on ne peut avoir accès qu'à certains paliers, cela ne les intéresse pas. Tout ce qu'ils veulent, c'est une réaction. Ils comprennent plus facilement comment fonctionne l'administration municipale et ils s'attendent à ce qu'au palier fédéral, on puisse fournir les mêmes réponses.
Il y a très certainement divers fonctionnaires, que j'ai rencontrés, qui veulent en faire davantage; mais eux aussi sont frustrés du fait que le régime actuel ne le leur permet pas. Est-ce qu'il suffirait, pour changer les choses, d'une déclaration venue d'en haut? Il faut bien plus, pour changer l'attitude qui peut faire dire aux fonctionnaires: «Nous sommes ici aujourd'hui et pour longtemps; vous êtes là aujourd'hui, mais peut-être pas demain. Vous êtes donc insignifiants.» C'est un refrain qu'on nous sert souvent pour nous faire sentir ainsi. Beaucoup d'entre nous ne se sentent ni de trop, ni insignifiants, et ne se sentiront jamais comme cela. C'est en partie la raison de notre appartenance au comité.
On me dit aussi que des ministres ont ce sentiment, pour certains ministères. Il faudra donner un grand coup pour changer les choses, même avec notre fantastique nouveau chef du Conseil privé.
Est-ce possible?
M. Sheldon Ehrenworth: Si je ne croyais pas cela possible, je ne serais pas ici. Je trouve que si j'ai assez bien réussi dans la création, notamment, du Forum sur les politiques publiques, et dans sa direction, je n'ai pas eu autant de succès pour ce qui est d'atteindre ses objectifs et je suis convaincu... Voilà pourquoi les Canadiens doivent commencer à dire les choses comme elles le sont.
À cause de cette déclaration, et d'autres, que j'ai faites, je ne travaillerai probablement plus jamais à Ottawa, mais ce qui se passe dans ce pays me passionne vraiment. Je le répète, je crois qu'il faut mobiliser des gens de l'extérieur de la fonction publique, pour qu'ils commencent à parler. En toute franchise, je doute qu'on y arrive avec une simple réforme administrative. Il doit s'agir aussi d'une réforme politique. C'est pourquoi il faut mobiliser les leaders de l'extérieur.
Nous avons de la chance puisque dans notre pays, il n'y a guère plus de 150 leaders d'opinion. Nous savons probablement tous qui ils sont. Je ne parle pas des gens qui représentent le milieu des affaires, mais de ceux qui connaissent bien les rouages du gouvernement et qui sont aussi passionnés que moi. Parlons à Red Wilson. Parlons à Paul Tellier. Parlons à ceux qui sont dans des postes d'influence, qui ont l'expérience du gouvernement, afin qu'ils lancent un débat politique sur ces questions. Mais je le répète, il faut que cela fasse partie des programmes politiques.
 (1200)
Mme Judy Sgro: Merci pour cet intérêt.
Le président: Merci, monsieur Ehrenworth.
Monsieur Epp, vous avez la parole.
M. Ken Epp: Monsieur le président, j'ai une courte intervention à faire.
Vous dites qu'il n'y a guère plus de 150 leaders d'opinion. Il y a 300 députés. Merci pour votre message si convaincant.
M. Gerry Ritz (Battlefords—Lloydminster, Alliance canadienne): Il y a aussi 104 sénateurs.
M. Ken Epp: En effet 104 sénateurs.
Merci pour votre puissant message.
Des voix: Bravo, bravo!
Le président: Mais bien sûr, Ken, vous ne lui avez pas posé cette question épineuse. Combien parmi les 300 font partie des 150? C'est une autre question que nous poserons une autre fois, peut-être.
Sur ma liste, j'ai dans l'ordre: M. Ritz, M. Szabo, M. Forsythe et M. Cullen, avant de commencer la deuxième ronde de questions avec M. Lanctôt.
Monsieur Tirabassi, si vous avez une question, je vous ajoute avant le début de la deuxième ronde.
Vous avez tous reçu l'avis, pour la motion de M. Ritz, appuyée par M. Szabo? Vous plaît-il de l'adopter?
(La motion est adoptée [voir le Procès-verbal])
Le président: Merci.
Nous passons maintenant à monsieur Ritz.
M. Gerry Ritz: Merci, monsieur le président.
Merci pour votre exposé si fouillé. On y trouve beaucoup de bon grain, dans l'ivraie.
Il y a une chose qui m'est venue à l'esprit, quand vous énonciez vos quatre principes, les quatre points de la fin de votre exposé: dans tout cela, comment intégrer une loi exhaustive sur les dénonciateurs?
M. Sheldon Ehrenworth: Je constate la présence ici de Hugh Winsor. Il a récemment écrit une chronique sur ce sujet.
Je crois qu'il faut permettre à certaines personnes de parler. Il faut laisser ces personnes dire ce qu'elles savent, mais elles compromettent leur poste en le faisant. C'est le problème dans cette ville, parce que ça ne se produit pas très souvent. Il doit y avoir un point au-delà duquel personne n'ira.
En réponse à votre question, je crois qu'il faut pouvoir protéger les gens, mais peu importe, il faut une loi sur les dénonciateurs. On ne congédie pas un fonctionnaire; on l'enferme dans un petit placard, jusqu'à ce qu'il se sente si mal qu'il n'ait d'autre choix que de partir. C'est un moyen pour une fin et non une fin en soi.
Comme je le disais, il faut protéger les gens, mais une fois que le système s'en prend à quelqu'un, aucune loi sur les dénonciateurs ne pourra le protéger.
M. Gerry Ritz: Au tout début, vous disiez que le premier ministre en poste énonce les valeurs et détermine l'ouverture, etc., puis vous dites que cela se fait avec l'appui de mesures législatives.
M. Sheldon Ehrenworth: En Grande-Bretagne, il y a eu un cas de ce genre pendant la guerre des Malouines. Je me souviens m'en être servi comme étude de cas, avec de nombreux fonctionnaires, à Queen's. Un navire, le Belgrano, a été coulé. C'était un navire argentin, coulé par les Britanniques. Le ministre a déclaré que le navire avait été coulé parce qu'il allait livrer bataille, qu'il allait vers les lieux d'une bataille, et que tous avaient été prévenus qu'il fallait sortir de cette zone.
Un fonctionnaire s'est manifesté pour dire que ce n'était pas vrai. Le navire n'allait pas livrer bataille, il se déplaçait et il a été coulé par erreur.
Le fonctionnaire a été congédié, et plus tard, réintégré dans ses fonctions. Mais je me souviens que pour les personnes qui se penchaient sur cette étude de cas, c'était très épineux, cette idée qu'on puisse remettre en question...
Voilà pourquoi nous avons la tradition britannique. Voilà pourquoi les sous-ministres sont nommés par le premier ministre puisqu'au bout du compte, ils relèvent du premier ministre et non de leur ministre.
Au bout du compte, c'est le même processus de reddition de comptes. Si vous faites votre travail et que vous parlez en respectant les règles qui vous permettent d'agir, alors... Mais nous n'avons pas de règles; il n'y a pas de processus de reddition de comptes.
 (1205)
M. Gerry Ritz: En effet, ni de transparence, d'ailleurs.
Pour revenir à ce que disait Mme Sgro, est-ce que la taille de la fonction publique représente un problème? Le nombre et l'ambiguïté donnent une certaine sécurité.
Depuis le début de mon mandat, comme député, nous avons perdu le numéro de certains contacts directs que nous avions à l'Immigration, à l'ADRC, à l'Agriculture. Ces personnes ne sont plus là. Mme Sgro disait que parfois, comme députés, nous sentons que nous sommes loin du contrôle et que nous ne pouvons pas poser de questions, par exemple.
Comment retrouver cela? Comment forcer les ministères, qui sont devenus des silos, si vous permettez cette analogie, à nous rendre ces contacts qui nous permettent de servir nos commettants, les contribuables canadiens qui paient leurs salaires, afin d'avoir un accès plus direct aux ministères, plutôt que de passer par les numéros sans frais qui servent à tous et où on ne retourne pas les appels, par exemple? Comment forcer le jeu?
M. Sheldon Ehrenworth: J'aimerais pouvoir vous donner une seule réponse, simple, mais devant la culture du secret... J'aimerais être un meilleur expert en matière de gouvernance. Je constate que dans les provinces, il n'y a pas une distinction aussi claire entre la politique et l'élaboration des politiques. Les fonctions publiques provinciales semblent collaborer plus étroitement avec le régime politique qu'on ne le fait traditionnellement à Ottawa.
Je ne peux pas dire autre chose, sinon que je trouve incroyable, si c'est vrai, que d'après les chiffres cités récemment par les médias, la fonction publique est maintenant aussi grosse, ou plus, qu'avant les compressions budgétaires. C'est époustouflant. J'ai déjà dit qu'aux États-Unis, 11 p. 100 de la fonction publique était située dans la région de la capitale nationale, dans le district de Columbia et qu'à Ottawa, c'était 30 p. 100. Nous étions beaucoup trop centralisés. Maintenant, c'est 40 p. 100. C'est incroyable.
M. Gerry Ritz: Ils ont cinq nouveaux immeubles.
Merci.
Le président: Merci, monsieur Ritz.
Monsieur Szabo, vous avez la parole.
M. Paul Szabo (Mississauga-Sud, Lib.): Merci.
Monsieur Ehrenworth, j'ai une formation en comptabilité, et dans ce domaine on préfère le concret à l'abstrait. En général, j'adopte une approche terre à terre.
J'aimerais que vous réagissiez à ce que je vais dire. Il y a un domaine dont vous n'avez pas parlé qui pourtant influe considérablement sur notre débat relatif à la gouvernance du gouvernement, soit la culture du gouvernement. La politique en matière de gouvernance dans le secteur public est fondée sur une série de principes, dont le code de l'honneur. Notre système fiscal tout entier est fondé sur le code de l'honneur de l'autodéclaration. Nous tenons pour acquis que les demandeurs de financement effectueront le travail adéquatement. Nous leur faisons confiance. Dans le cadre de notre système global, la Loi sur la gestion des finances publiques comprend toutes les dispositions nécessaires pour que nous nous assurions que nos fournisseurs sont honnêtes, et s'ils ne le sont pas, il existe des mesures qui nous permettent de récupérer notre argent. Dans notre système, la bureaucratie est fondée sur le principe de l'honnêteté, parce que cela crée un environnement propice à l'innovation et au progrès, permettant à la bureaucratie d'évoluer. Les piliers de notre culture, tels que je les conçois, sont la confiance et la présomption de bonne foi, pour la bonne et simple raison qu'il serait bien trop coûteux d'abandonner ces principes et de vérifier systématiquement les déclarations de revenu. Disons que les bureaucrates sont malhonnêtes et que nos fournisseurs sont sournois.
Par exemple, lorsque l'armée américaine vérifie les produits de ses fournisseurs, afin de déterminer s'ils respectent les normes en matière de qualité, elle ne vérifie que 1 p. 100 de la marchandise. Les autorités américaines ont déterminé statistiquement qu'il était plus judicieux d'agir de la sorte, même s'il fallait assumer les conséquences de l'infiltration de produits ne répondant pas aux normes, parce que c'était moins cher. Je pourrais également citer l'exemple de la Ford Pinto. Ils savaient pertinemment qu'ils avaient un problème; mais ils préféraient ne pas le régler parce ça coûtait moins cher d'assumer les coûts des poursuites que de changer la conception de la Pinto.
Il existe donc au sein de la culture de la fonction publique et dans la gouvernance du gouvernement ces principes de confiance et de présomption de bonne foi, ce qui a des répercussions très importantes.
Vous avez cité en exemple le registre des armes à feu, le gâchis de DRHC et la sous-traitance du gouvernement. Il s'agit là de sujets très controversés. Je pense qu'il est très facile de critiquer, en disant qu'on a gaspillé 1 milliard de dollars. Mais vous savez aussi bien que moi, par exemple, que la vérificatrice générale a conclu, pour ce qui est du registre des armes à feu, que 80 p. 100 des demandes étaient falsifiées. Il s'agissait de demandes qui nécessitaient un traitement manuel, etc. C'était du sabotage. J'espère que le cabinet KPMG va faire la lumière sur tout cela. Quand on saura toute la vérité sur cette histoire, ce registre ne sera plus une question controversée. Quant à DRHC, il s'agissait apparemment d'un gâchis de 1 milliard de dollars, mais une fois que la lumière a été faite, beaucoup de personnes se sont retrouvées en prison parce qu'elles avaient fraudé le gouvernement. On a pu récupérer la plupart des fonds. De fait, la perte nette du gouvernement était insignifiante. Au début on a parlé de 1 milliard de dollars, mais après l'examen en profondeur de la situation, on s'est aperçu qu'en fait le système avait bien fonctionné, et qu'on avait agi comme il se devait.
Pour ce qui est des commandites, il y a des fonctionnaires qui risquent de faire face à des chefs d'accusation criminelle et il est possible que certains fournisseurs se retrouvent dans la même situation. Ce sont les enquêtes menées par la GRC et le rapport final de la vérificatrice générale qui permettront de trancher dans ces affaires.
 (1210)
Je pense qu'il faudrait arrêter de s'attarder sur le côté controversé et se rendre compte que ces exemples reflètent la réalité, parce que si on s'attarde au détail des histoires et des exemples que vous avez cités, on se rend compte qu'au bout du compte notre système a bien fonctionné. Les pratiques de confiance et de bonne foi et les dispositions de protection inhérentes à la Loi sur la gestion des finances publiques nous ont permis d'améliorer les dispositions de protection financière et la productivité dans la fonction publique.
Cela dit, les ministres ont des responsabilités si étendues, qu'il leur serait impossible de toutes les assumer sans qu'ils puissent compter sur la bureaucratie. En raison de cette extrême dépendance et du caractère changeant de leurs fonctions, il y a des risques importants que la bureaucratie ne soit pas à la hauteur. Il existe donc une relation particulière entre les ministres qui sont en fonction pour une période donnée et la bureaucratie qui assure la continuité entre les différents gouvernements qui se succèdent, etc.
Enfin, un des aspects qui ressort du rapport de la vérificatrice générale pour ce qui est de la gouvernance, c'est que les bureaucrates ont tendance à adopter la loi du moindre effort, et c'est certainement le cas pour le recrutement des ressources humaines. Il y a des employés qui ont quitté la fonction publique mais leur capacité productive a été remplacée, mais pas par l'embauche d'employés à temps plein. La vérificatrice générale a fait état d'un virage marqué: la dépendance accrue envers les employés contractuels et à temps partiel, et pour une simple et bonne raison: il était plus facile de combler un poste de la sorte plutôt que de passer par le processus d'embauche d'un employé à temps plein.
Je vous fais part de ces divers aspects pour que vous connaissiez la situation si jamais les arguments sont soulevés à nouveau à l'avenir et pour que vous vous rendiez compte qu'il ne s'agit pas d'un phénomène face auquel on ne peut rien faire. Le gouvernement du Canada, comme tous les autres gouvernements, ne cesse d'évoluer mais c'est un petit peu comme faire tourner un paquebot, le virage dans ce cas-là se fait très lentement.
Monsieur le président, je suis désolé, j'ai parlé trop longtemps. Je m'arrête donc.
J'ai soulevé toutes ces questions pour que vous y pensiez et que vous me fassiez part de vos observations.
Le président: Merci, monsieur Szabo.
Vous avez laissé moins de dix-huit secondes à M. Ehrenworth pour qu'il réponde, mais je vais le lui permettre parce que je pense qu'il a certainement quelque chose d'intéressant à nous dire.
 (1215)
M. Sheldon Ehrenworth: Ma réponse risque de froisser certaines personnes.
Si vous pensez que le système fonctionne bien, si vous dites que le système fonctionne bien, eh bien je ne pense pas que vous abordiez la chose comme moi, parce que le système tombe en lambeaux, et la situation se détériore. Nous essayons d'éliminer le risque au sein du gouvernement, et c'est impossible. Les gens ont une peur démesurée de se tromper.
Vous rendez-vous compte de la longueur de la Loi sur la gestion des finances publiques? C'est un document éléphantesque. Tout comme la Loi sur l'emploi dans la fonction publique. Pensez-vous vraiment que les gens qui sont touchés par ces lois ont lu ces documents en entier et respectent chacun des règlements?
Un gouvernement ne peut fonctionner...
M. Paul Szabo: Je ne prétends pas que tout le monde est obligé de lire la Loi de l'impôt sur le revenu du début à la fin...
M. Sheldon Ehrenworth: Et pourtant de nos jours on y est bien obligé.
M. Paul Szabo: Ce n'est pas vrai.
Le président: Monsieur Szabo, merci.
M. Sheldon Ehrenworth: Actuellement, il existe un code de l'honneur dans notre système fiscal, et je pense que les choses fonctionnent relativement bien ainsi. Mais si les Canadiens n'ont plus confiance en leur gouvernement, s'ils n'ont plus confiance dans le système fiscal, les choses fonctionnent beaucoup moins bien. C'est pour cela que Revenu Canada est devenu une agence, parce que le gouvernement avait peur de ne pas disposer des outils nécessaires pour effectuer le travail efficacement, et des organes comme le Conseil du Trésor et la Commission de la fonction publique imposaient leur volonté en matière d'embauche, de mise à pied et d'exécution du travail.
Le président: Très bien, merci.
On va passer à M. Forseth.
M. Paul Forseth (New Westminster—Coquitlam—Burnaby, Alliance canadienne): Merci et bienvenue au comité.
Je voudrais aborder un nouveau sujet, à savoir le fait que la prestation de services devrait être modelée par le biais d'une politique ascendante plutôt que descendante. Peut-être que vous pourriez aborder la question des ministères qui traitent directement avec le public. Comment le gouvernement fédéral peut-il répondre aux besoins des citoyens et prendre ses responsabilités pour ce qui est des normes en matière de prestation de services. De plus, qu'en est-il du devoir du ministère de communiquer avec sa clientèle et de répondre à ses besoins.
Après tout, ce sont les citoyens qui paient ces services. Nous effectuons notre travail pour eux, en leur nom. Je vais vous donner des exemples spécifiques, des exemples de la vie de tous les jours.
Je vais vous parler du formulaire de la déclaration de revenu. La complexité de ce formulaire n'est pas fondée, et on commence à se demander qui est au service de l'autre. Pour ce qui est des prestations aux aînés au Canada, le système global n'est pas axé sur le client. Étudions maintenant le cas des prestations aux anciens combattants. Que fait la bureaucratie pour s'adapter aux besoins spéciaux et changeants de sa clientèle? J'ai assisté récemment à une assemblée publique. J'y ai rencontré nombre de personnes qui étaient choquées et qui cherchaient désespérément quelqu'un qui pourrait les aider à tirer profit des services liés aux prestations aux anciens combattants.
Qu'en est-il du traitement des demandes d'immigration? Prenons l'exemple d'un Canadien qui va à l'étranger et qui épouse quelqu'un, le ministère pertinent est incapable de délivrer le statut d'immigrant reçu, et pourtant il s'agit d'une situation simple. Très souvent, ça prend jusqu'à trois ans pour que l'époux ou l'épouse obtienne sa résidence permanente.
Voilà donc quelques exemples basés sur une structure ascendante de prestation de services. Ce sont des exemples dont j'ai entendu parler dans mon bureau de circonscription et que j'essaie d'acheminer aux ministères, mais la communication se fait très difficilement.
Les consommateurs des services n'ont pas de choix, puisqu'il n'existe aucune forme de marché et parce qu'ils ne peuvent pas faire appel à un autre prestataire de service. Selon vous, comment pourrions-nous donner davantage de pouvoir au consommateur, serait-il envisageable de créer une charte dans laquelle seraient énumérées les normes en matière de prestation de services, à laquelle le consommateur pourrait se référer et dire: «Vous avez promis que pour un dossier moyen, le processus serait terminé dans l'espace de 18 mois. Ça fait maintenant deux ans, et je n'ai toujours pas eu de vos nouvelles.»
J'essaie de faire comprendre à mes électeurs que le bureau du député est une espèce d'ombudsman de dernier recours, qu'il ne faut y faire appel qu'après avoir tenté de communiquer directement avec le ministère et avoir épuisé tous les moyens. Et pourtant il y a des clients qui nous disent qu'il est impossible de parler avec qui que ce soit. Ils reçoivent une lettre tapée à l'ordinateur qui n'est même pas signée. Il est impossible de rejoindre qui que ce soit par téléphone, ils sont tout simplement incapables de communiquer. Nous avons cette prolifération de sites Web des ministères et des centres d'appels, mais on oublie que certaines personnes, dont les aînés, n'ont jamais utilisé un ordinateur.
Je parle donc de ce devoir des ministères de communiquer tous les renseignements pertinents aux clients, de traiter directement avec les clients, et de répondre à leurs besoins. Il faut qu'on s'attaque à ce malaise ambiant. Peut-être que la solution serait de donner davantage de pouvoirs aux citoyens à la base en plus de gérer à partir des échelons et d'essayer de trouver les sauveurs du système comme les Iacocca dans le cas de Chrysler ou la nouvelle équipe de gestion dans le cas d'IBM. Où sont les mécanismes qui nous permettraient de travailler à partir de la base, de donner aux citoyens, qui paient les services, des normes raisonnables en matière de prestation de services?
 (1220)
M. Sheldon Ehrenworth: Peut-être, et je ne pourrai pas ajouter grand chose à cela si ce n'est pour dire qu'il y a une grande différence entre le gouvernement et le secteur privé. Dans le secteur privé, il y a de la concurrence. Je ne veux pas que mon passeport soit traité par plus d'une agence. Il est maintenant plus facile qu'auparavant de traiter avec le bureau des passeports parce que les règles ont été à peu près toujours les mêmes. Si vous vouliez obtenir votre passeport rapidement, à moins de connaître quelqu'un sur place, ce n'était pas possible. Il suffit maintenant de payer 50 $ de plus pour avoir son passeport en deux jours, au besoin.
Les choses changent. La culture évolue, je sais que c'est nécessaire, mais je ne sais pas comment susciter cette évolution. Lou Gerstner ou Red Wilson, un ancien fonctionnaire provincial qui a dirigé Bell Canada, pourraient vous fournir des points de vue très intéressants parce qu'ils savent comment fonctionne le gouvernement. Ils connaissent la différence entre le gouvernement et le secteur privé et c'est peut-être à ce niveau que vous pourriez trouver des réponses. Ces réponses, vous pourriez également peut-être les obtenir de fonctionnaires qui ont un esprit d'avant-garde, qui savent ce qu'il faut faire, mais à qui on ne donne pas les outils pour le faire.
M. Paul Forseth: Dans ce cas, vu les travaux de notre comité et l'objectif de notre rapport, il vaudrait peut-être mieux lancer un appel à tous et demander à ceux qui pensent pouvoir contribuer à nos travaux, de communiquer avec notre greffière pour venir comparaître devant le comité. Nous devons entendre toutes les idées et toutes les réponses qu'on peut nous fournir j'en suis sûr. Je suis également persuadé que les pouvoirs politiques souhaitent entendre ces réponses. Mais dans notre comité, nous sommes censés être un peu moins sectaires et nous essayons de mettre en place une meilleure supervision parlementaire de l'ensemble de la fonction publique. Il faudrait demander à ces personnes de nous communiquer leur opinion.
Le président: Puis-je intervenir à ce sujet, monsieur Ehrenworth? Compte tenu de votre expérience, vous pouvez peut-être répondre à cette question. Si nous envoyons une lettre ouverte à tous les fonctionnaires, combien d'entre eux se présenteront? Combien d'entre eux estimeront qu'ils ne courent pas de danger à se présenter devant nous dans le climat actuel?
M. Sheldon Ehrenworth: Je puis vous proposer quelqu'un qui viendrait.
Le président: Ma question était plus théorique.
M. Sheldon Ehrenworth: D'accord, mais il faut tenir compte du le contexte. On dit souvent que le ministre des Finances est l'ancien ministre de l'Industrie dont la plus grande réalisation a été de brancher le Canada à l'Internet, de faire du Canada l'un des pays les plus branchés au monde. Toutefois, si cela s'est fait, c'est grâce à un dénommé Doug Hull, qui dirigeait l'autoroute de l'information au gouvernement fédéral. Il a peut-être enfreint certaines règles, mais il a réussi. Et s'il a réussi, c'est grâce à ses compétences dans ses fonctions. Il n'a pas commis de fraude, mais il a enfreint certaines règles.
Et bien, Doug Hull ne travaille plus au gouvernement. On l'a évincé parce qu'il ne respectait pas les règles. Il a toutefois atteint l'objectif. C'est là le genre de personne avec qui vous devriez en discuter. C'est l'un des fonctionnaires le plus compétent que j'ai jamais rencontré et un véritable constructeur de nation.
Le président: Si vous me permettez d'ajouter mon grain de sel, M. Forseth a vraiment mis le doigt sur le problème. D'après mon expérience, un grand nombre de fonctionnaires sont très préoccupés par ce qui se passe et ils ont des idées à proposer, mais il leur est très difficile, compte tenu de la culture actuelle, de venir en discuter. L'un de nos dilemmes, c'est de voir comment on peut créer un climat dans lequel les personnes ne se sentent pas menacées lorsqu'elles parlent de leurs préoccupations, et dans lequel elles n'ont pas à se dire dans un tel cas que leur carrière va être fichue. C'est un dilemme et je ne crois pas que nous ayons de solution à proposer.
Passons maintenant à M. Cullen, puis M. Tirabassi, de retour à M. Lanctôt et ensuite, comme toujours, le président aura l'occasion de poser une question.
 (1225)
M. Roy Cullen (Etobicoke-Nord, Lib.): Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur Ehrenworth.
Pour commencer, je ne sais pas d'où venait votre observation sur le fait que les fonctionnaires ne répondent pas aux appels des députés, mais si un député téléphone à un fonctionnaire et accepte de ne pas avoir de réponse, il n'a que ce qu'il mérite.
Pour ce qui est de la reddition de comptes, vous avez écrit une lettre au rédacteur dans la Globe and Mail. Je ne l'ai pas lue. J'en ai ici un résumé dans lequel vous décrivez la nouvelle Agence des douanes et du revenu du Canada comme une nouvelle Agence qui met l'accent sur la gestion publique pour créer...qui montre une nouvelle structure de régie qui favorise un maximum de reddition de comptes. Est-ce un bon résumé de ce que vous avez dit? Pour ma part, je n'ai pas lu l'article.
M. Sheldon Ehrenworth: Je me ferai un plaisir de vous en envoyer copie.
Ce que j'ai dit, c'est que c'est encore une expérience. On ne peut pas encore prendre du recul pour décider si cela fonctionne bien ou non. Cela semble être un pas dans la bonne direction en matière de reddition de comptes.
M. Roy Cullen: Je ne veux pas vraiment discuter du bon fonctionnement ou non de l'Agence. Mais vous dites que c'est un modèle pour ce qui est de maximiser la reddition de comptes. Est-ce exact?
M. Sheldon Ehrenworth: Pas nécessairement.
M. Roy Cullen: Quelqu'un a donc pris des libertés avec vos propos.
Je vais néanmoins poser ma question. Le gouvernement a créé un certain nombre d'agences, entre autres Parc Canada, Nav Canada et l'Agence canadienne des douanes et du revenu, en plus des autorités aéroportuaires. Bon nombre de députés estiment que la reddition de comptes par ces agences a diminué. Nos électeurs nous disent que nous n'avons guère de contrôle sur ces nouvelles agences. C'est peut-être injustifié, mais vu l'importance que vous semblez accorder au rôle des députés, comment arrivez-vous à concilier les contradictions en matière de reddition de comptes?
M. Sheldon Ehrenworth: Je ne souhaite pas que les députés rendent des comptes sur ce que fait ou ce que ne fait pas Revenu Canada. En fait, je ne veux pas que le Ministre ait non plus à rendre de comptes à ce sujet. Ceux qui prennent ces décisions...
En fait, c'est un exemple parfait d'un cas où le Ministre n'intervient pas, ou ne devrait pas intervenir, dans les décisions qui émanent de ce ministère. Il s'agit de questions fiscales, entre autres. Le Ministre n'intervient pas non plus dans le cas du Bureau de la concurrence; il le fait peut-être sur la façon dont le Bureau est organisé, mais pas dans les décisions du Bureau de la concurrence.
Dans de tels cas, la reddition de comptes doit se faire au niveau des fonctionnaires car c'est eux qui prennent les décisions. Par le passé, ils n'ont pas nécessairement eu à rendre compte de leurs décisions. Vous pouvez aller devant la Cour fédérale, dépenser 50 000 $ pour voir si vous avez tort ou raison, mais peu leur importe, puisque ce n'est pas leur argent.
M. Roy Cullen: Oui.
La DRC est peut-être un mauvais exemple, surtout dans le cas des questions fiscales techniques, mais il existe des questions plus générales au sujet des droits des contribuables, entre autres. Même dans le cas de Parcs Canada ou des autorités aéroportuaires...
Si à votre avis, la création par le gouvernement d'organismes dépendants à quoi la reddition de compte, comment peut-on concilier cela avec l'impression qu'ont les parlementaires, à tort ou à raison, que la reddition de compte est moindre?
M. Sheldon Ehrenworth: À mon avis, ces organismes ne sont pas nécessairement indépendants. Les sociétés d'État peuvent être plus ou moins indépendantes, même si, lorsque vous regardez qui est nommé pour les diriger, vous pouvez vous demander s'ils doivent leur nomination à leurs qualifications ou à leurs relations.
Pour moi, la reddition de compte doit se faire au niveau des organismes, de ceux qui sont responsables de ce qui ce fait, et la méthode est très simple. Les politiques sont chargées d'élaborer et d'adopter des lois. Ils ne devraient aucunement être chargés de mettre en oeuvre ou d'administrer ces décisions. Cela relève de la fonction publique. Dans certains cas, il n'existe peut-être pas de division claire, mais cela a toujours été ainsi au Canada et c'est pourquoi nous avons une fonction publique non partisane. Contrairement au Canada, aux États-Unis, lorsqu'un nouveau gouvernement arrive au pouvoir, les quatre échelons supérieurs de la fonction publique changent. Ici, rien ne change parce que la fonction publique réagit aux orientations politiques, mais parallèlement, son travail est d'administrer les programmes.
 (1230)
M. Roy Cullen: Je voulais également aborder d'autres sujets. On pourrait en déduire logiquement, je suppose, que nous devrions créer des agences et des autorités quasi gouvernementales, des sociétés d'État—autrement dit, plus il y en a et mieux cela vaut.
M. Sheldon Ehrenworth: Ce n'est pas ce que je dis. Ce que je dis, c'est que quelqu'un devrait prendre un peu de recul et se demander comment il vaut mieux procéder. Vaudrait-il mieux créer des agences? Vaudrait-il mieux adopter des lois? Je reviens peut-être sur certaines choses que j'ai dites; rien n'était définitif, mais il faut au moins examiner le système actuel, prendre du recul et voir comment on pourrait être plus efficace, car le système de gouvernement fonctionne mal actuellement.
Le président: Monsieur Cullen, je crains que votre temps ne soit écoulé. Nous reviendrons à vous s'il en reste.
Vous avez parlé d'un article du Globe and Mail. Notre excellente attachée de recherche en a copie. Nous ferons traduire cet article et, si vous le souhaitez, nous le distribuerons.
Au risque de prêter des propos à notre témoin, je soupçonne que pour ce qui est de la création des agences, il ne s'agit pas tant de déterminer s'il faudrait en avoir davantage ou non, mais plutôt de voir si ces agences nous empêchent d'aller droit à l'essentiel. Mettons-nous trop l'accent sur ces agences pour trouver une solution à court terme au lieu de nous attaquer au problème réel?
Mais je ne suis pas témoin et je ne peux donc pas vous prêter ces propos, monsieur.
Nous allons maintenant entendre M. Tirabassi et M. Lanctôt.
M. Tony Tirabassi (Niagara-Centre, Lib.): Merci, monsieur le président; moi aussi, je tiens à remercier le témoin de sa présence.
Mes propos traduiront sans doute mon exaspération. Je voudrais faire référence à mon expérience municipale, puisque j'ai passé 15 ans dans ce milieu. En effet, on en revient toujours à la même personne, que ce soit le contribuable municipal ou l'électeur, comme on dit ici. Est-ce que vous lui assurez un bon service? C'est ce que nous essayons de déterminer.
Par ailleurs, nous essayons de satisfaire le contribuable municipal—moi, je ne suis ici que depuis deux ans, et mes 15 ans en politique municipale pèsent encore très lourd dans mon point de vue—qu'est-ce que nous attendons de nos collaborateurs? Vous voulez satisfaire le contribuable municipal ou l'électeur, tout en préservant l'efficacité et la motivation de vos effectifs, qui doivent être équitablement rémunérés. Si vous parvenez à concilier les deux, vous avez gagné.
Mais comment y parvenir?
Pendant ces 15 années, j'ai eu affaire à toutes les maximes, notamment celle de la création du guichet unique. Ensuite arrivait un autre conseil, qui disait à nos employés que ce qui fonctionnait bien devait être démantelé, examiné puis remonté. Il a fallu apprendre à en faire plus avec un peu moins, tout en ménageant les recettes fiscales jusqu'à la fin de l'exercice.
Et c'est toujours la même chose. On veut aussi surveiller ce que font les employés, car ils doivent travailler en fonction de ces exigences. Si on compare le secteur public au secteur privé, on voit que ce dernier mesure l'efficacité de son personnel et le rémunère en fonction de son bilan. Dans le secteur privé, on fait un bilan et dans le commerce, c'est le chiffre d'affaires, ce qu'on a vendu aux consommateurs. Pour faire un parallèle avec Pepsi ou Coke, tant qu'on vend des caisses de Pepsi et de Coke, et qu'on dégage un bilan positif, les affaires marchent.
Comme M. Szabo, j'en viens à la conclusion, après plusieurs années dans le secteur public, même si je suis ici depuis peu de temps, que la plupart de ceux qui travaillent dans le secteur public, à quelque niveau que ce soit, s'acquittent honnêtement de leurs tâches. Il y a bien sûr des cas particuliers, mais les utilisateurs des services et ceux qui fréquentent les mairies sont bien servis. Et quand on entend parler des améliorations nécessaires et du moral très bas des fonctionnaires, j'aimerais savoir comment tout cela doit être mesuré.
Dans le cas de Pepsi et de Coke, ces deux sociétés ont connu des échecs commerciaux retentissants. Elles ont tenté de prendre certaines orientations, mais elles sont toujours revenues au produit initial. Imaginez la situation si nous fonctionnions comme des sociétés privées. C'est un argument que j'ai entendu à maintes et maintes reprises. Imaginez la situation si le gouvernement décidait de revenir à ses vieilles méthodes.
Je tiens à être très clair. Vous voyez, d'après mes propos, que je m'efforce de me situer à mi-chemin entre le contribuable, l'électeur et le fonctionnaire. Il va bien falloir s'entendre sur la façon de mesurer les résultats, sachant qu'on n'en fait jamais assez. Comment mesurer les résultats, sans les mesurer comme dans une société privée soumise à la concurrence? À quels concurrents pouvez-vous vous comparer?
Voilà ma question. Sans tomber dans les généralités, dites-moi précisément comment vous effectuez cette mesure.
 (1235)
M. Sheldon Ehrenworth: Si j'étais un spécialiste des mesures, je pourrais vous en parler. Encore une fois, ne tirez pas sur le messager. Le mode de fonctionnement de notre gouvernement pose un gros problème car, à vrai dire, nous ne mesurons rien. Pourquoi ne peut-on pas mesurer? Peut-on mesurer ce qu'il en coûte pour émettre des chèques? On pourrait sans doute mesurer 80 p. 100 de ce que fait le gouvernement. Rendons-lui justice: il s'efforce de mesurer tout ce qu'il peut. Mais comment savoir si on travaille bien ou mal à moins d'effectuer des mesures?
Il y a 15 ans, on a fait une étude sur le moral dans la fonction publique et il y a 10 ans, une autre étude a établi que le moral avait baissé. Il faudrait que les auteurs de ces études en refassent une pour voir si le moral s'est amélioré ou non. Voilà une chose que l'on peut mesurer.
D'un autre côté, le gouvernement a-t-il pour objectif de remonter le moral des fonctionnaires? Il veut pouvoir gérer les affaires publiques grâce à des programmes. Vous allez peut-être me demander des détails, mais je ne suis pas un spécialiste de la question et je ne pourrai pas vous en donner. Je vous dis simplement que l'administration publique est plus introvertie, plus secrète et plus soucieuse de contrôle. Elle est moins collégiale qu'il y a 15 ans. On ne saurait affirmer pour autant que nous n'avons rien à apprendre du secteur privé. La gestion, c'est la gestion et les ressources humaines sont les mêmes dans le privé et dans le public. Quand on est incapable de traiter les employés avec respect...
J'ai l'impression que le gouvernement se cache derrière ce qui différencie notre système—on n'y peut rien changer—et les systèmes étrangers. J'insiste sur le fait que plusieurs autres pays sont à des années-lumière d'avance dans la façon de traiter ces questions. Ils ont un avantage concurrentiel considérable sur le Canada.
Si l'on considère que le gouvernement représente 50 p. 100 de l'économie, il est manifeste que notre niveau de vie dépend de la qualité de notre secteur public, et non pas nécessairement de celle du secteur industriel.
M. Tony Tirabassi: Est-ce que j'ai le temps de poser une petite question?
Le président: Oui.
M. Tony Tirabassi: Vous avez dit que d'autres pays ont des années-lumière d'avance sur nous. Est-ce qu'ils réussissent à mesurer le degré de satisfaction de leurs citoyens par rapport aux nôtres, et à évaluer leurs efforts d'amélioration et de modernisation? Pouvez-vous nous dire...
M. Sheldon Ehrenworth: Le comité pourrait certainement vous trouver cela.
M. Tony Tirabassi: Est-ce que l'information existe? Est-ce que leurs citoyens sont plus satisfaits?
M. Sheldon Ehrenworth: Oui.
 (1240)
M. Tony Tirabassi: D'accord.
M. Sheldon Ehrenworth: Paul Volcker est l'ancien président de la Federal Reserve des États-Unis. En 1987, il est devenu président de la Commission nationale de la fonction publique et il a dû s'occuper des questions dont nous parlons aujourd'hui. En faisant une recherche à son sujet, j'ai constaté qu'il est maintenant président de la deuxième Commission nationale de la fonction publique.
Les choses ne se sont guère améliorées aux États-Unis, mais il y a toujours un point qui préoccupe les gens de l'extérieur. La réalité, c'est que les fondations jouent un rôle beaucoup plus important aux États-Unis qu'ici. Ce sont les chiens de garde du gouvernement et elles défendent toutes les valeurs dont nous venons de parler. Il nous faudrait un meilleur système politique. Nous n'avons pas l'équivalent de ces fondations au Canada. La plupart des activités sont financées par les gouvernements.
Le président: Merci, monsieur Ehrenworth.
Monsieur Tirabassi, vos questions concernant le système de mesure m'ont intrigué. Le problème, c'est qu'avant de mesurer quoi que ce soit, il faut pouvoir constater ce qui se produit. Vous m'avez souvent entendu demander en comité aux ministères combien de voitures ils avaient achetées l'année dernière.
La dernière fois, les fonctionnaires m'ont dit qu'ils s'étaient préparés à cette question et qu'ils allaient y répondre. Bien. Supposons que vous fassiez partie des services professionnels du Conseil du Trésor et que nous devions nous rencontrer à 17 h 30 demain. Est-ce que vous serez en mesure de me dire combien le gouvernement du Canada a acheté de voitures l'année dernière, quels types de voitures, quelles marques, ou même simplement dans quelles provinces elles ont été achetées? Ce sont des questions simples, vous devriez pouvoir y répondre rapidement. Si vous pouvez donner les réponses à 17 h 30 et que cette information soit disponible, vous pourrez commencer à mesurer le degré de satisfaction des administrés. Mais il faut identifier l'activité d'abord, et j'aimerais savoir si vous en êtes capable.
M. Paul Forseth: À quelle heure?
Le président: À 15 h 30. Excusez-moi, c'est 15 h 30.
Ce devrait être facile à trouver. Les fonctionnaires disent qu'ils connaissent déjà le nombre de voitures, car c'est ce que je demande constamment. Voyons s'ils peuvent trouver la réponse.
Monsieur Lanctôt.
[Français]
M. Robert Lanctôt: Merci, monsieur le président.
Je vais revenir au registre des armes à feu. C'est un dossier que tous les citoyens ont à coeur, pas seulement ceux du Québec, mais ceux du Canada en entier, parce qu'il est vrai que les problèmes politiques et organisationnels sont énormes. Je suis en accord avec vous sur ce que M. Szabo a dit plus tôt. Dans le cas du registre des armes à feu, il y a quand même eu une décision politique intéressante, mais le problème est attribuable à l'administration de ce registre.
Comment les fonctionnaires auraient-ils pu empêcher un tel fiasco? Ce n'est pas l'idée politique initiale qui est mauvaise, c'est l'administration, ce qu'on en a fait. Ce sont les modalités du montage d'un tel registre qui deviennent un fiasco. On essaie de le sauver par tous les moyens et on en est rendu à un gouffre de près d'un milliard de dollars pour un registre qui était supposé coûter deux millions de dollars par année. Il y a là quelque chose que je ne comprends pas.
Comment se fait-il que les fonctionnaires n'aient pas sonné l'alarme? C'est vrai qu'il y a beaucoup de roulement. Est-ce que le roulement des employés ou des fonctionnaires suffit à expliquer qu'un dossier qui était politiquement correct soit devenu un gouffre pour tous les citoyens, qui ont mis un milliard de dollars dans un tel dossier? Comment peut-on expliquer qu'un ou plusieurs fonctionnaires n'aient pas agi? À quelle porte ont-ils frappé et obtenu un refus? Selon vous, y a-t-il eu des gens qui ont frappé à la porte du ministre et obtenu un refus? Comment est-ce possible d'arriver à un tel fiasco?
[Traduction]
M. Sheldon Ehrenworth: Cela n'a coûté qu'un milliard de dollars. Et la réduction des effectifs de la fonction publique? Elle était censée coûter 1,5 milliard de dollars, et elle en a coûté 3 milliards. Je n'ai jamais vu personne se plaindre du fait que l'opération, qui devait coûter 1,5 milliard de dollars, en a coûté en réalité 3 milliards.
Je ne connais pas suffisamment le dossier de l'enregistrement des armes à feu, mais j'imagine assez bien ce qui s'est passé. On a ce programme que des fonctionnaires essaient de mettre en place, et au bout d'un an, on se rend compte que les choses ne vont pas très bien. On fait appel à quelqu'un qui va devoir remettre le programme d'enregistrement des armes à feu sur la bonne voie, à n'importe quel prix. L'élément moteur, c'est qu'il faut remettre le programme sur pied à n'importe quel prix car en définitive, c'est le ministre qui en sera tenu responsable.
Je ne sais pas si vous trouvez ma réponse assez convaincante, mais c'est en tout cas un scénario tout à fait vraisemblable de ce qui s'est passé.
[Français]
M. Robert Lanctôt: Ça va, monsieur le président.
[Traduction]
Le président: Merci, monsieur Lanctôt.
Je vais donner la parole à M. Cullen puis à M. Forseth, et il faudra mettre un terme aux questions.
Écoutons M. Cullen, puis ce sera à moi.
M. Roy Cullen: Merci, monsieur le président.
Monsieur Ehrenworth, il a beaucoup été question à ce comité, de la nécessité d'une meilleure gestion horizontale. Nous avons un sous-comité qui s'occupe du renouvellement de la fonction publique.
L'un des sujets que nous allons étudier est le suivant: la fonction publique est-elle capable de s'organiser de façon à proposer une meilleure gestion horizontale des dossiers? Je pense ici au secteur privé où, depuis des années—ce sont des phénomènes cycliques, et la situation a peut-être changé, je ne l'ai pas toujours suivie de très près—les sociétés privées se sont mises à plat et ont commencé à pratiquer la gestion matricielle, où l'on constitue un groupe multidisciplinaire qui va assurer le cheminement de chaque projet, quitte à plus ou moins laisser tomber la structure hiérarchique.
Compte tenu de la culture de la fonction publique, est-ce que les fonctionnaires peuvent gérer les dossiers en mode horizontal au lieu de dire simplement: «nous allons faire ceci ou cela»? Est-ce qu'on peut faire véritablement changer les choses?
 (1245)
M. Sheldon Ehrenworth: Lorsque j'ai commencé à m'intéresser à l'administration gouvernementale, j'entendais tout le temps le mot «collégialité». C'était l'expression favorite de Michael Pitfield. Il était alors le secrétaire du cabinet, un homme très brillant. Il croyait que, dans un gouvernement efficace, les divers ministères devaient travailler de concert, comme s'ils formaient une seule administration.
C'est impossible. Nous partons de l'hypothèse que nous n'avons qu'une seule administration gouvernementale. Mais nous n'avons pas qu'une seule administration gouvernementale; nous en avons peut-être 20. Cela nous ramène à la question de la culture. Je me rappelle l'époque où j'étais fonctionnaire et où je recevais un appel du ministère des Affaires étrangères, et on me disait: «Vous êtes au ministère du Travail. Pourquoi vous occupez-vous de commerce international? C'est notre rayon à nous.» Tant que vous aurez ce genre de culture et de réaction, et que vous n'admettrez pas le fait que la somme des parties n'est pas égale à l'ensemble, vous ne pourrez jamais mettre en place un gouvernement horizontal. Il faut l'admettre.
La «collégialité» au sein de la fonction gouvernementale est un oxymoron. J'aimerais qu'il en soit autrement, mais c'était le cas lorsque vous aviez le ministère de l'Industrie et celui de l'Expansion régionale et industrielle qui n'avaient aucun contact. On investissait des milliards de dollars dans les régions et le ministère de l'Industrie n'était jamais consulté. C'est aussi vrai aujourd'hui, que ce l'était hier.
M. Roy Cullen: Je vais vous demander, tout d'abord, n'est-ce pas le Bureau du Conseil privé qui doit jouer un rôle quelconque dans cette concertation? Deuxièmement, pouvons-nous passer à un meilleur modèle, ou cette culture est-elle tellement ancrée que nous nous battons contre des moulins à vent?
M. Sheldon Ehrenworth: Je pense que nous pouvons passer à un meilleur modèle. Le Bureau du Conseil privé a un rôle important à jouer comme intermédiaire entre les ministères et le cabinet du premier ministre. Lors de l'avènement de Fonction publique 2000, on a nommé le greffier du Conseil privé premier responsable de la fonction publique. Mais je ne suis pas sûr qu'on puisse vraiment être responsable de la fonction publique et relever du premier ministre en même temps, parce que la fonction publique est totalement subordonnée à la fonction politique.
M. Roy Cullen: Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Forseth.
M. Paul Forseth: Dans ma dernière question, je disais que le renouvellement de la fonction publique devait être impulsé par la base. Mais parlons un peu plus des responsables, et de ces organismes centraux, tels que le CPM et le BCP. Les gens ne savent même pas ce que c'est que le BCP. Le CPM, c'est le cabinet du premier ministre, dont le personnel ne cesse de croître, et le BCP, c'est le Bureau du Conseil privé.
Vous pourriez peut-être nous dire en quelques mots ce que sont ces organismes et quelle est leur raison d'être ou leur rôle. Qu'est-ce qui explique leur existence? Ces organismes centraux font-ils problème? Si oui, quel est le problème structurel auquel il faut remédier?
On entend souvent dire qu'un ministre a entendu une annonce concernant son ministère à la radio dans le taxi qui le menait à la Colline du Parlement. C'est parce qu'il y avait des choses qui se préparaient, et la décision ultime a été prise par le CPM et le BCP, ce qui fait que le ministre est court-circuité en dernière analyse. Donc, si l'on peut imaginer qu'un ministre peut être court-circuité, imaginez alors dans quelle mesure on peut contourner la supervision parlementaire dans le sens le plus large du terme.
Vous pourriez peut-être donc nous parler de l'importance et des problèmes du CPM et du BCP dans la structure générale de la responsabilité ministérielle.
 (1250)
M. Sheldon Ehrenworth: C'est là que l'autorité réside aujourd'hui. Pour les raisons que j'ai expliquées dans mon exposé, ni le BCP, ni le CPM n'étaient aussi puissants par le passé. Je n'ai pas grand-chose d'autre à dire à ce sujet, si ce n'est que le CPM est une institution politique, et le BCP doit jouer le rôle d'intermédiaire entre l'administration et l'autorité politique. Je ne crois pas que ce soit encore possible à notre époque.
Je pense que j'ai eu le cerveau lessivé par des tas de gens à mes débuts...et comme vous savez, le Canada était à l'époque fort bien servi par une fonction publique professionnelle et non partisane, qui était en tout temps sensible à l'orientation politique. Je ne vois pas comment on ne peut pas jouer le jeu politique, comment l'on peut conseiller un ministre sans se mettre à sa place et lui dire: «si vous faites ceci ou cela, voici ce que l'opposition peut faire». Mais je continue de croire qu'il est possible que quelqu'un donne le même conseil à un gouvernement libéral,conservateur ou néo-démocrate.
Pour prendre l'exemple du gouvernement de Bob Rae, je crois que sa plus grande erreur a été de ne pas admettre qu'il avait un caucus faible et des ministres faibles, et qu'il n'a pas utilisé la fonction publique comme il aurait dû le faire, parce que celle-ci était en mesure de contrebalancer le fait que les néo-démocrates avaient fini par gagner une élection qu'ils n'étaient pas censés gagner.
Je ne sais pas si j'ai bien répondu, mais c'est la meilleure réponse que je peux vous donner.
M. Paul Forseth: Nous avons entendu M. Savoie, l'auteur de Governing from the Centre, et il nous a expliqué comment, au fil du temps, pour diverses raisons d'ordre politique, pour des raisons de commodité ou autres, le pouvoir et l'autorité décisionnels ont fini par aboutir au centre, et c'est peut-être un tort. Si tel est le cas, cela explique peut-être en partie pourquoi la fonction publique en général est incapable de s'adapter aux nouvelles réalités. Si le pouvoir est désormais au centre, c'est alors au centre qu'il faut remédier au problème.
M. Sheldon Ehrenworth: Il est vrai que le pouvoir est désormais au centre. Je vais même jusqu'à dire que c'est le centre aussi qui doit régler ce problème. Le pouvoir réside désormais au centre parce qu'on n'a plus guère confiance dans les aptitudes des ministères. La même chose se passe en Ontario. C'est le cabinet du premier ministre qui prend toutes les décisions, et je crois que c'est au détriment... dans un environnement aussi complexe, il est presque impossible de gérer. J'ai dit qu'il fallait éviter les excès, mais c'est à peu près tout ce que vous pouvez faire.
Autrefois, les ministres disposaient d'une autorité énorme. Qu'un ministre des Finances puisse dire: «d'accord, vous pouvez fusionner» pour dire ensuite: «désolé, vous ne pouvez pas fusionner parce que le CPM a dit non», cela ne se serait jamais vu autrefois.
M. Paul Forseth: D'accord, vous dites qu'il est peut-être difficile d'introduire des changements à partir du haut. Vous confirmez ce que j'ai dit, à savoir qu'on peut amorcer les changements à partir du bas et voir les choses sous l'angle du consommateur ou du client pour connaître un équivalent quelconque aux forces du marché. Si le client ne peut pas obtenir ses prestations d'ancien combattant en frappant à la porte d'à côté, le client doit alors avoir une charte quelconque ou quelque norme de rendement auxquelles le ministère a adhéré, pour que les gens au bas de l'échelle puissent s'accrocher à quelque chose pour obtenir une réaction de la bureaucratie.
M. Sheldon Ehrenworth: Qu'on donne aux ministères les outils dont ils ont besoin pour faire le travail. Donnez-leur l'autorité voulue. Responsabilisez-les. Cela vient du haut. Ensuite, dites aux gens de gérer, et s'ils atteignent leur but, très bien. Sinon, qu'ils fassent face à la musique. C'est vrai dans le secteur public, dans le secteur privé, ou dans n'importe quel secteur.
 (1255)
Le président: Nous approchons du terme de la réunion et j'aimerais poser deux questions sur des sujets qu'on a laissé de côté et qui m'ont intrigué au cours de la conversation.
Le premier concerne la centralisation. Au début de son intervention, Ken a dit que le phénomène avait commencé en 1993. Je ne veux pas nécessairement donné une justification politique ou partisane. Je considère que la centralisation des pouvoirs est une tendance qui s'est amorcée peu après la Seconde Guerre mondiale et qui s'accélère actuellement. L'évolution mondiale s'accélère, la mondialisation progresse et on exige de plus en plus de décisions; le gouvernement réagit en centralisant le pouvoir décisionnel. On prétend que cette évolution a eu pour catalyseur la télévision, qui a tendance à mettre en vedette l'opposant unique, etc., mais le véritable élément moteur de ce changement, c'est la nécessité d'une réaction.
Au lieu de s'en prendre, comme vous l'avez dit, à sa structure organisationnelle, comme cela s'est fait ailleurs, pour la réformer, pour réformer la prise de décisions et la gestion de l'information afin d'obtenir des réactions plus rapides, le gouvernement a eu tendance à résister au changement en accumulant les strates au sein de l'appareil administratif, comme l'a dit Paul, en permettant à chacun de tirer sa propre conclusion, au lieu de modifier le système de façon qu'il en vienne automatiquement à la bonne conclusion. Si on avait plus de transparence et si on connaissait mieux les activités quotidiennes du secteur public, on aurait moins besoin de chartes et de lois protégeant les dénonciateurs, puisqu'on pourrait mieux comprendre ce qui se passe.
Je vais poser ma deuxième question dans le même contexte. Au cours de notre démarche, nous nous sommes posés des questions élémentaires, pour savoir, par exemple, comment le gouvernement prend ses décisions, étape par étape. Un ministère qui veut exécuter un programme et qui a besoin d'une loi ou d'un changement législatif va devoir le négocier avec le ministère de la Justice, qui est en responsable, et devra obtenir l'approbation de principe du Bureau du Conseil privé, qui assure la coordination des politiques, et devra aussi se mettre en rapport avec le bureau du premier ministre. Si la nouvelle loi coûte quelque chose, il faudra obtenir l'approbation du ministère des Finances pour l'intégrer au budget. Si elle implique un recrutement quelconque, il faudra obtenir l'approbation de la Commission de la fonction publique. Si elle implique des dépenses, les services gouvernementaux devront intervenir, et le Conseil du Trésor devra contresigner toutes les dépenses. Au plan structurel, on accumule toutes ces mesures de contrôle et en réalité, on fige tout le bon travail que pourraient faire les fonctionnaires.
À votre avis, est-ce que mon analyse est juste? D'après vos travaux, existe-t-il d'autres modèles de coordination et de supervision du secteur public qui permettraient d'atténuer la matrice extrêmement complexe qui est imposée aux fonctionnaires?
M. Sheldon Ehrenworth: Je ne ferai pas l'erreur de sauter à pieds joints dans ce bateau, mais je suis tout à fait prêt à collaborer avec le comité pour établir des contacts avec des fonctions publiques étrangères. L'OCDE a beaucoup travaillé sur cette question. Don Johnson s'intéresse de très près à l'étude comparative des secteurs publics en tant qu'élément de la compétitivité économique et sociale.
Vous avez évoqué les contraintes extérieures aux ministères. Vous avez été fonctionnaire vous-même, monsieur le président, et vous comprenez donc les contraintes qui s'imposent à chaque ministère. Une note de service qui doit être signée par un sous-ministre ne sera pas nécessairement transmise à ce sous-ministre. Elle va devoir passer par une dizaine d'intermédiaires auparavant, puis elle va revenir par la même voie hiérarchique. Voilà le genre d'environnement et de culture dont il est question, et les modifications apportées à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique ou à la Loi sur la gestion des finances publiques n'y pourront rien changer. Il faudrait une remise en cause fondamentale et j'espère que votre comité parviendra à l'amorcer, grâce à l'aide qu'il recevra de l'extérieur. Il faudrait agir non pas auprès de ce gouvernement, mais auprès du prochain, avant qu'il ne devienne un gouvernement.
Le président: Sur ce, monsieur Ehrenworth, je tiens à vous remercier d'avoir été des nôtres ce matin. Je pense qu'on aura d'autres conversations avec vous au fur et à mesure que nos travaux avancent.
Pour la gouverne des membres du comité, demain nous recevrons Michelle d'Auray, qui est la dirigeante principale de l'Information du gouvernement du Canada. Elle va nous parler de certaines questions relevant des systèmes qui font partie de notre étude. Lundi, nous recevrons le commissaire à la Protection de la vie privée. Il vient nous parler de son rapport en particulier, comme vous l'avez sans doute constaté dans la motion que nous avons adoptée avec eux. Il faudrait le réinviter à une date ultérieure pour discuter des questions liées à la protection de la vie privée dans le cadre des changements structuraux.
Et le greffier du Conseil privé et le secrétaire du Conseil du Trésor vont comparaître devant nous. Le greffier a demandé qu'on repousse un peu la date, car il y a la petite question de la préparation du budget en ce moment, et il a quelque chose à y voir. Il a donc demandé de remettre à plus tard sa comparution. Il tient à venir nous rencontrer, et je pense qu'il aura des observations à nous faire au sujet de votre témoignage, M. Ehrenworth. Nous allons négocier une date avec lui et je tiendrai tout le monde au courant.
Finalement, il semble possible que le projet de loi sur la réforme de la fonction publique soit déposé à la Chambre le 6 février, soit jeudi de cette semaine. Nous allons voir si cela se concrétise, et ensuite nous allons parler à M. Cullen et au sous-comité pour savoir comment procéder.
La séance est levée. Demain nous nous réunissons dans la salle 362 de l'édifice de l'Est. Merci.