Passer au contenu
;

SDIR Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain







CANADA

Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international


NUMÉRO 019 
l
1re SESSION 
l
39e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 15 mai 2007

[Enregistrement électronique]

(1105)

[Traduction]

    Bonjour, mesdames et messieurs.
    Mesdames et messieurs, je déclare la séance ouverte.

[Français]

    Le Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international reçoit aujourd'hui plusieurs témoins afin de continuer son étude sur les droits de la personne à Cuba.
     Tout d'abord, j'aimerais remercier Son Excellence l'ambassadeur Pavel Vosalik, ambassadeur de la République tchèque, qui est ici avec son premier secrétaire, Karel Hejc.

[Traduction]

    Vos Excellences, merci beaucoup d’avoir pris le temps de vous joindre à nous pour nous donner un point de vue européen sur la question. Nous amorcerons la séance avec vous.
    M. Broadbent, un éminent membre du Parlement et ancien membre de ce comité, entre autres choses, ne sait que trop bien que nous amorçons le tout avec des déclarations. Nous demandons aux témoins de se limiter à dix minutes, dans la mesure du possible, suite à quoi les membres leur poseront des questions.
    Ambassadeur, je vous remercie encore une fois de votre présence, et vous invite à prendre la parole.
    Mesdames et messieurs, je vous remercie de cet extraordinaire privilège que vous m’accordez de prendre la parole devant vous sur cet important dossier que représentent la protection et la promotion des droits de la personne.
    J’aimerais vous rappeler que je viens d’un pays qui a souffert pendant plus de 40 ans sous le très dur régime totalitaire du Parti communiste de la Tchécoslovaquie. Les droits de la personne se posent en toile de fond de la politique étrangère de la République tchèque. Ils représentent le principe essentiel de cette politique et en colorent la toute nouvelle histoire de mon pays.
     Lorsqu’on m’interroge sur notre politique envers Cuba, je réponds que cette politique n’a rien à voir avec l’attention spéciale que la République tchèque accorde à ce pays. Cela a à voir avec le fait que la République tchèque accorde une attention très spéciale à la protection et à la promotion des droits de la personne et de la démocratie.
    Ce thème fait partie de nos priorités depuis le tout début de la nouvelle histoire de mon pays en 1990. À ce moment, le pays était en étroite relation avec l’ancien président de la Tchécoslovaquie et plus tard avec le président de la République tchèque, Václav Havel. Sa philosophie dans ce domaine était que la République tchèque de l’ex-Tchécoslovaquie avait l’obligation de partager son expérience en matière de régime totalitaire tchécoslovaque avec d’autres membres des collectivités internationales qui partagent les mêmes valeurs en matière de droits de la personne et de démocratie.
    Lorsque le gouvernement tchèque a décidé d’envoyer nos forces militaires en Afghanistan, cette décision reposait exactement sur les mêmes principes de protection et de promotion des droits de la personne. Les principes fondamentaux de notre politique étaient les mêmes que ceux appliqués à l’égard d’autres pays, et je songe notamment au Bélarus ou au Myanmar. L’expérience de la Tchécoslovaquie, dont la société s’est transformée pour passer d’un régime totalitaire à une démocratie, est une contribution que nous faisons valoir dans nos discussions internationales sur les droits de la personne.
    La République tchèque a participé aux travaux de divers organismes internationaux axés sur les droits de la personne à l’échelle mondiale, et elle continue de le faire. Sur le plan régional, nous jouons un rôle actif au sein du Conseil de l’Europe, notre organisme s’intéressant à la sécurité et à la coopération en Europe. Ajoutons que la République tchèque, au chapitre international, a participé très activement aux discussions de l’ONU sur la transformation de la Commission sur les droits de la personne, qui est devenue le Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
    Dans ses discussions avec Cuba, mon gouvernement s’est essentiellement intéressé, et ce dès le départ dans le cadre de notre politique, à un dialogue ouvert sur les droits de la personne, à la protection des droits de la personne ainsi qu’aux conflits découlant de la protection des droits de la personne sous un régime d’allégeance communiste ou à la compatibilité des efforts dans ce domaine.
    Notre position est qu’aucun pays dans le monde ne pourrait prétendre avec désinvolture ne pas avoir de problèmes avec les droits de la personne. Chaque pays a ce type de problèmes. Ce n’est pas le critère que nous devrions soulever pour juger si un pays est un bon élève ou non en ce qui concerne la protection des droits de la personne. Les critères qu’il faudrait utiliser devraient permettre d’évaluer la mesure dans laquelle le pays est ouvert au dialogue sur ce problème et aux engagements en vertu des ententes internationales.
    Si nous partageons tous les mêmes valeurs intégrées dans les divers documents des Nations Unies, et je parle particulièrement de la protection sur un plan mondial, alors nous devons nous assurer que nous parlons le même langage, que nous protégeons les mêmes valeurs et que nous défendons les mêmes opinions sur la protection des droits de la personne.
(1110)
    Pour ce qui est de Cuba, malheureusement, tous nos efforts pour parvenir à un certain dialogue — nous ne voulions pas régler le problème, nous voulions seulement parler du problème — ont tout bonnement été rejetés. Il n’y a pas de dialogue. En fait, Cuba a réagi en exerçant de la répression contre l’ambassade de la Tchécoslovaquie à La Havane.
    Cela dit, si nous sommes sérieux dans nos efforts pour promouvoir les droits de la personne, peu importe l’endroit où ces droits pourraient être bafoués ou l’ont été, qu’il s’agisse du territoire de la République tchèque, du Bélarus ou de l’Afghanistan, nous appliquerons alors les mêmes mesures pour tous les membres de la communauté internationale.
    Mesdames et messieurs, nous sommes aujourd’hui en train de discuter sérieusement du rôle du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Très souvent, nous entendons des plaintes selon lesquelles le rôle que joue cet organe n’est pas aussi important qu’il devrait l’être. Nous entendons des plaintes sur la faible efficacité de ce genre d’institution. Mais ces institutions nous représentent, nous, et personne d’autre. Nous en sommes les États membres. Et si les États membres de cette institution du Conseil des droits de l’homme — qui remplace le précédent Comité sur les droits de la personne — refusent d’appliquer les principes décrétés par cette organisation, et que ces organisations sont les mêmes qui les ont acceptés, alors il ne faut pas s’étonner du faible prestige de cette institution.
    Lorsque l’ancien Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies a décidé de créer le poste de rapporteure spéciale pour Cuba, ce dernier a refusé, à titre d’État membre, de s’adresser à cette rapporteure spéciale. En fait, il ne lui a même pas permis de traverser ses frontières. Donc, à quoi pouvons-nous nous attendre?
    La politique de mon pays vis-à-vis de Cuba — et aujourd’hui, la République tchèque est l’un des principaux pays de l’ONU intéressés à la situation à Cuba — n’en est pas une d’animosité. Elle n’est pas étayée sur un quelconque problème que poserait le régime de Cuba. Nous souhaitons avoir des entretiens. Nous voulons aborder la situation. Nous espérons voir se réaliser certains progrès. Nous ne nous attendons pas à résoudre la situation dans l’immédiat, mais nous avons besoin de sentir de la part des organes officiels de Cuba une bonne volonté de résoudre la situation.
    Je ne veux pas m’étendre trop longtemps sur le sujet, mais je tiens à vous rappeler qui sont les organes protégés par toutes ces ententes internationales sur les droits de la personne. Ce ne sont pas des gouvernements; ce sont les personnes vivant dans ces pays. Nous envoyons des gens de notre peuple pour qu’ils offrent le sacrifice le plus élevé afin de protéger et de promouvoir les droits de la personne en Afghanistan. Dans un tel contexte, mon gouvernement se sent dans l’obligation absolue de demander à d’autres gouvernements — et d’exiger de leur part — le respect des principes essentiels de la communauté internationale concernant les droits de la personne et la démocratie.
    Cuba n’a aucune excuse. Le gouvernement cubain est tenu par le même engagement que les autres pays envers la communauté internationale. En tant que pays ayant une sombre expérience et une histoire douloureuse, la République tchèque se sent non seulement obligée de promouvoir ces valeurs et ces principes, mais elle s’y engage à fond. Ce que nous offrons est notre expérience. Il s’agit de notre expérience de transformation de notre société, avec nos succès, nos échecs, nos fautes et nos faux pas. Comme je l’ai déjà dit, nous ne fermons pas la porte aux discussions sur la situation des droits de la personne en République tchèque.
(1115)
    Nous sommes au fait des faiblesses. Nous savons de quoi retournent les problèmes qu’il nous a fallu résoudre, et c’est la façon dont nous devrions travailler ensemble. Le rôle des organismes internationaux est de se concentrer sur les droits de la personne.
    À nos yeux, Cuba traverse la situation même que nous avons connue il y a 20 ans. Nous avons donc le sentiment d’être en position d’en parler, d’offrir notre expérience.
    Sous cet angle, bien sûr, la République tchèque coopère très étroitement avec l’opposition au sein de Cuba. Plus particulièrement, notre ambassade à La Havane travaille très étroitement lorsque divers groupes — il est difficile de se prononcer dans le cas des ONG — s’intéressent à la société civile. Nous entretenons des liens étroits avec des gens en exil aux États-Unis. C’est le rôle de notre ambassadeur à Washington. Nous sommes en contact avec divers groupes d’opposition en Amérique latine.
    Lorsque j’occupais le poste de sous-ministre des Affaires étrangères chargé du dossier des droits de la personne, je voyageais fréquemment en Amérique latine parce que notre souhait était de donner au problème un caractère régional plutôt que de le réduire à une affaire tchéco-cubaine. D’autres pays devraient voir la différence et en parler.
    Bien entendu, il y a opposition en Europe également, surtout en Espagne. Cela représente un autre groupe d’opposition.
    En dernier lieu, je devrais dire que notre ancien président, Václav Havel, s’intéresse très personnellement à divers mouvements et organismes non gouvernementaux qui travaillent à promouvoir et à protéger les droits de la personne, pas seulement à Cuba, mais très certainement à cet endroit.
    Je répéterai que notre politique à l’égard de Cuba n’est pas une politique particulière envers un pays. Ce n’est pas un problème bilatéral. Notre politique est fondée sur le respect des valeurs et principes mondiaux.
(1120)
    Merci beaucoup, ambassadeur. Merci beaucoup de votre participation. Je suis certain que nous examinerons plus en détail la politique cubaine par le biais des questions posées par nos membres.
    Je me tourne maintenant vers notre très distingué ex-parlementaire, qui est également fondateur et ancien président du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique, et ancien membre du présent comité auquel nous sommes tous très attachés.
    Merci, monsieur Broadbent, d’avoir pris le temps de venir nous voir pour parler de ce dossier envers lequel, si je me rappelle bien, vous possédez de l’intérêt et des connaissances. Merci beaucoup.
    Merci beaucoup, monsieur le président.
    Je commencerai en disant que c’est un plaisir de me retrouver parmi d’anciens collègues représentant tous les partis. Lors de ma récente visite en ces lieux, j’avais décelé un degré élevé de coopération entre les partis, surtout en ce qui concerne les droits de la personne, de sorte que je suis enchanté de me retrouver ici en pareille occasion.
    Je lirai une brève déclaration que j’ai écrite ce matin, et qui ne débordera pas de ma plage de temps, et sans doute que plus tard, les membres poseront quelques questions.
    Voilà près de 50 ans que Fidel Castro a pris le pouvoir. À l’époque, cela a constitué une réelle révolution, soutenue dirais-je par la plupart des démocrates du monde entier. Contrairement à ce qu’ont connu mes amis de la Tchécoslovaquie, ou la Pologne ou les pays Baltes, à qui on a imposé un présumé socialisme ou qui était maintenu par la présence de l’Armée rouge, la révolution à Cuba était à l’origine, dirais-je, une authentique révolution contre un régime très répressif. Si l’on regarde les choses qui se sont produites durant cette période sous l’angle du système de droits des Nations Unies — à savoir, les droits civils, politiques, économiques et sociaux — il faut admettre que les résultats ont été mitigés.
    D’une part, il s’est produit à Cuba des progrès réels, importants et continus dans certains droits sociaux — comme en santé et en alphabétisation. Pour tout dire, ces progrès sont remarquables en comparaison de la majorité des pays de l’Amérique latine. Selon de récentes données de l’ONU — si je me rappelle bien, et je crois que c’est le cas — le taux de mortalité infantile à Cuba était meilleur que celui des États-Unis.
    D’autre part, durant la plupart des décennies qui se sont déroulées depuis cette révolution, on a assisté à un déni flagrant des droits politiques et civils, particulièrement en ce qui touche la liberté d’expression, la liberté d’association et la liberté de réunion, pour ne nommer que celles-là. On ne trouve pas non plus de partis libres et indépendants, exception faite du parti communiste, et il n’existe pas de syndicats libres et indépendants.
    Selon les rapports d’Amnistie Internationale, de Reporters Sans Frontières et de la Commission interaméricaine des droits de l'homme, entre autres, les droits politiques et civils se sont plutôt détériorés à Cuba ces dernières années. Le gouvernement cubain détient avec celui de la Chine le douteux record des régimes les plus répressifs pour les journalistes et l’accès à Internet. Je les cite comme exemples modernes du genre.
    On a évoqué diverses raisons pour tenter de justifier cette répression. Plus particulièrement, certains estiment que l’embargo économique exercé par les États-Unis au cours des décennies équivaut à un déni des droits à Cuba. Bien que je considère que le Canada s’est opposé à juste titre à cette politique américaine, à l’instar dirais-je de pratiquement tous les membres de l’Union européenne, je ne peux justifier le constant déni des droits par le gouvernement cubain. Au contraire, je crois qu’un Cuba libre dans tous les sens que permet la mise en œuvre de la famille complète des droits de l’ONU offrirait un système de défense vigoureusement démocratique et populaire contre l’embargo des États-Unis en plus de défendre les intérêts de la nation cubaine.
    La réalité est que l’agression préjudiciable et non justifiée contre Cuba par une succession de gouvernements américains a procuré au président Castro une arme de propagande dont il se sert pour justifier ses exigences d’obéissance quasiment totale de la part du peuple cubain et une soumission complète à ses priorités politiques. Comme l’ont fait observer de nombreux observateurs, y compris les Américains, l’élimination de l’embargo américain et la mise en place d’une libre circulation des produits et des gens entre les États-Unis et Cuba seraient l’une des pressions les plus démocratiques et efficaces à exercer sur Fidel Castro pour l’amener à établir l’éventail complet de libertés dans son propre pays.
    À titre de social-démocrate, je loue le gouvernement cubain pour l’importance qu’il a accordée à certains droits sociaux et économiques, non seulement pour son propre peuple, mais aussi pour l’aide accordée à d’autres pays d’Amérique latine. Toutefois, également à titre de social-démocrate, je déplore le déni des droits civils et politiques.
    Peu après la Seconde Guerre mondiale, le distingué et courageux Albert Camus, gagnant du prix Nobel de la littérature, a pris la parole devant un groupe de travailleurs à l’extérieur de Paris. J’aimerais, monsieur le président, citer ce que Camus a dit ce jour-là. Il s’exprimait, permettez-moi de le souligner, au sujet d’une guerre où on luttait contre une forme de totalitarisme et où on était de plus en plus au fait de la nature totalitaire de l’Union soviétique.
(1125)
    Les propos d’Albert Camus à cette époque conservent toute leur pertinence dans le monde d’aujourd’hui, particulièrement en ce qui concerne le visage actuel de Cuba. Voici ce qu’il a dit, et j’insiste encore une fois sur le fait qu’il s’adressait à un groupe à l’extérieur de Paris:
Si quelqu’un vous retire votre pain, il supprime en même temps votre liberté. Mais si quelqu’un vous ravit votre liberté, soyez tranquille, votre pain est menacé, car il ne dépend plus de vous et de votre lutte, mais du bon plaisir du maître.
    Quelqu’un devrait expédier cette pensée par la poste, peut-être chaque jour... Je sais que quelqu’un a posté des livres au premier ministre. Quelqu’un devrait peut-être envoyer cette citation par la poste à Fidel Castro, une fois par semaine. Je ne veux pas faire dans la facétie, toutefois. Je continue.
     Je veux qu’il me reste un peu de temps plus tard pour répondre à vos questions ainsi qu’à celles des autres invités. Par conséquent, je conclurai par une brève anecdote.
    En qualité de président de Droits et Démocratie en 1991, j’ai rencontré Fidel Castro pour discuter de la question des droits et de la démocratie à Cuba. Je lui ai fait une proposition, soutenue à l’époque par bon nombre de leaders sociaux-démocrates des gouvernements, y compris Felipe González, de l’Espagne, Carlos Andrés Pérez, du Venezuela, Michael Manley, de la Jamaïque et plusieurs autres. En 1992, il devait se tenir une réunion à Madrid avec tous les chefs des gouvernements de l’Amérique latine en plus, bien sûr, du pays hôte, l’Espagne elle-même, son chef étant Felipe González.
     Puisque ce n’est pas un pays latinophone, les États-Unis n’ont pas été invités. Par conséquent, la proposition faite à M. Castro, dont j’avais discuté avec lui, consistait à lui poser un défi. En vertu de ce défi, il devait annoncer une ouverture du processus politique à Cuba, notamment un élargissement des droits politiques et civils, alors qu’il se trouvait à Madrid. S’il le faisait, un groupe complet de leaders et de chefs de gouvernement dans l’Europe occidentale à ce moment — et certains, comme je l’ai mentionné, provenaient des Amériques — étaient tout à fait prêts à prendre des mesures économiques et sociales qui allaient plus que compenser les répercussions négatives de l’embargo américain.
    Après trois heures et demie de discussions avec M. Castro, la conclusion qui se dégageait avec de plus en plus de certitude était que le président cubain n’allait répondre en aucune façon. Un exemple de sa propre attitude envers les droits politiques et civils, je regrette de le dire, est l’affaire Elizardo Sanchez, qui était membre du mouvement social-démocrate et exilé alors à Cuba, un homme que je connaissais bien. Voici la situation qui se déroulait à La Havane peu avant que j’y aille: parce que M. Sanchez avait soulevé une opposition politique — en passant, j’ajoute qu’il n’était pas critique envers tout ce que Castro avait fait dans les domaines sociaux et économiques — en réclamant des droits politiques et civils, l’un des comités de défense du quartier mis sur pied pour la prétendue défense de la révolution s’est mis à faire du tintamarre, jour après jour, 24 heures sur 24, à l’extérieur de la résidence de la mère âgée de M. Sanchez, qui était vraiment âgée, dans sa maison à La Havane. Une forme totale de harcèlement; de l’impardonnable et inacceptable harcèlement.
    Lorsque j’ai soulevé devant M. Castro le cas de M. Sanchez, un homme qui en fait était favorable à une grande partie des réalisations de M. Castro — je le répète, dans le domaine des droits sociaux et économiques, mais très critique à l’égard de l’échec obtenu jusque là en matière de droits politiques et sociaux — le président cubain a répondu, et je cite: « C’est un minable », fin de la citation. Cela démontre bien quelle était son attitude, ai-je à nouveau le regret de le dire, envers les droits politiques et civils.
    Cette anecdote était ma conclusion. Je serai très heureux de discuter avec des membres du comité de certaines des options politiques qu’il faudrait prendre avec les membres du comité pour encourager l’éclosion à un moment donné des droits politiques et civils à Cuba.
    Merci, monsieur le président.
(1130)
    Merci pour ce témoignage convaincant. Je crois que vous êtes la seule personne au sein de ce comité à avoir passé plusieurs heures en compagnie de M. Castro. Vous avez su apporter une perspective particulièrement éclairée, monsieur Broadbent. Merci.

[Français]

    Je vais donner la parole à M. Guillermo Sambra Ferrandiz, qui a une certaine expérience personnelle, je crois, du régime.
    Monsieur Ferrandiz.

[Traduction]

    Premièrement, merci beaucoup de me donner l’occasion d’être ici. Je suis Cubain, et ce qui s’est produit dans mon cas à Cuba était vraiment mauvais. Alors, je suis très heureux que nous parlions de Cuba, de la situation actuelle à Cuba.
    En 1990, j’étais âgé de seulement 20 ans, et compte tenu de la situation dans mon pays, je sentais qu’il était de mon devoir de protester. Mais je savais que le fait de protester ainsi contre le gouvernement équivalait à me jeter moi-même en prison, de sorte que j’ai décidé de commencer à distribuer du matériel de propagande contre le régime, contre la propagande du gouvernement, des documents et des choses que nous... Je dis « nous » parce que j’appartenais à un groupe, et nous avons décidé de nous battre pour la démocratie à Cuba, pour changer le système politique, pour tenter de changer le système économique.
     Le système économique de Cuba est brutal. C’est un blocus contre nous. Les Cubains subissent un blocus du gouvernement. Le gouvernement fait barrage dans tout le pays. Donc, personne ne peut faire des affaires. Personne ne peut rien faire. Castro dit que l’embargo tue le peuple cubain, mais non, c’est le gouvernement. C’est le gouvernement qui fait obstacle aux gens.
    Si vous voulez faire des affaires, vous ne le pouvez pas, pas du tout. C’est absolument hors de question. Vous pouvez vous retrouver en prison pour ça, même pour seulement avoir vendu des pizzas sur la rue.
    Donc, j’ai réfléchi et je suis passé à l’action. J’ai commencé à distribuer du matériel de propagande dans la ville contre Castro, des choses qui disaient: « Votez pour la démocratie », « Votez pour la liberté », « Ne votez pas pour Castro ».
    J’ai commencé en 1992, durant une période d’élections à Cuba. C’était des élections pour un seul parti. Imaginez un instant, un seul parti, un seul leader. Quel est ce genre d’élections? Quels choix vous donne-t-on? Vous n’avez pas le choix.
    J’ai dit: « D’accord, mon choix est la démocratie, la liberté. » Je me rappelle qu’il était écrit sur l’un des documents: « Non à Castro; oui à la démocratie ». C’était mon choix, la démocratie.
     Ils ont fini par m’attraper. Un jour, à 5 heures du matin, la police secrète est venue chez moi. Ma femme, Miriam, avait 17 ou 19 ans à l’époque. Ma fille était âgée de cinq mois. Ils ne m’ont même pas accusé de rien. Ils m’ont amené et mis en prison. J’ai subi interrogatoire par-dessus interrogatoire pendant près de trois mois. Il n’y avait aucune accusation, rien. Ensuite, ils me retournaient en prison, sans aucune inculpation.
    Après un mois de prison, j’ai reçu les documents des juges. Ils réclamaient une incarcération de huit ans. À brûle-pourpoint, une journée, ils ont dit: « Nous t’amenons au tribunal ». J’y suis allé. Ça a duré deux ou trois heures, et la sentence est tombée: huit ans. Je me disais pendant tout ce temps qu’il était de mon devoir d’agir ainsi parce que j’en connaissais un peu sur les droits de la personne. Il est difficile à Cuba d’avoir de l’information sur ces droits. Ce n’est pas le genre d’information qu’on trouve.
     Imaginez. Vous pouvez aller n’importe où et trouver quelque chose sur les droits de la personne — mais pas partout, pas à Cuba.
    Je savais quelque chose à ce propos, je savais que c’était mon droit. Ils m’ont condamné à huit ans de prison. En prison, j’ai reçu toutes sortes de menaces. Des menaces du genre: « Tu ne sortiras jamais d’ici vivant. Tu mourras ici. »
(1135)
    Chaque jour, ils tentaient de me faire changer d’idée, peut-être parce que j’étais jeune. Ils conditionnaient mon esprit en se servant des visites de ma famille. Par exemple, on me disait « Si tu ne penses pas de cette manière, tu ne verras plus ta famille. » Et je disais « D’accord. », mais je ne voulais pas négocier ces questions. J’ai foi en mes principes. C’est pourquoi j’ai fini par passer plus de deux années sans voir ma fille et ma femme. En fait, j’ai revu ma fille quand je suis venu au Canada, parce que ce merveilleux gouvernement s’est battu pour qu’on me libère. Ils sont venus un jour me voir dans ma cellule et m’ont dit « Vous êtes libre, vous vous en allez au Canada. »
     Donc, j’ai demandé si j’avais le choix, et ils m’ont répondu non, je n’avais aucun choix, je devais aller au Canada ou rester en prison. Alors, cette journée-là, j’ai dit que j’étais d’accord, et ce fut positif pour moi, parce que j’en ai appris davantage sur la démocratie, sur la façon dont les choses devraient fonctionner.
     Ce jour-là, j’ai revu ma fille à l’aéroport. Ensuite, je devais réclamer ma fille jour après jour. Ce n’est que l’un des traumatismes dont j’ai souffert. J’ai souffert en prison : torture, volées de coups. Ils me battaient parfois pour tenter de me faire changer d’idée, pour me faire penser comme eux. Chaque jour qui passait m’amenait à réaliser que j’avais raison, j’étais sur la bonne voie, je faisais la bonne chose. Et je crois que c’est ce qui m’a gardé en vie en prison et m’a empêché de virer fou.
     J’ai passé cinq ans et quatre mois en prison sur les huit années qui constituaient ma sentence. La plupart du temps, je ne pouvais pas voir ma femme ni ma fille. Je lisais des livres, je me renseignais sur la démocratie, sur la façon dont les choses devaient être faites, sur l’économie. Je ne suis pas économiste. Je n’ai jamais étudié cela, mais je connais certaines choses à propos du droit... Si vous faites un blocus dans votre propre pays, contre vos propres gens, pour les empêcher de faire des affaires, quel type d’économie peut se construire sur un tel régime?
    C’est pourquoi je crois que l’embargo a des répercussions. À titre d’exemple, si les pays font affaire avec Cuba, avec Castro, cet argent n’ira jamais au peuple. Jamais aucune infrastructure n’est construite. Cet argent ne sera jamais utilisé au profit des gens. Par exemple, si vous voulez vous lancer en affaires, le gouvernement vous donnera-t-il de l’argent? Non. L’argent disparaît à tout jamais. Des milliards de dollars se sont évaporés. Nous n’avons rien. Même pas des lits disponibles dans les hôpitaux… dans les hôpitaux construits avant le régime Castro. Un seul hôpital s’est construit sous la révolution pendant ces 48 années, presque 50 ans, et la population a doublé. Donc, où va l’argent? Il affirme que les gens font du commerce avec lui, mais cet argent n’est jamais entre nos mains. C’est là une chose que j’ai apprise plus tard.
    C’est mon expérience de Cuba. J’ai souffert pour défendre la liberté, je me suis battu pour la liberté, pour ce en quoi j’étais convaincu que c’était mon droit et mon devoir. C’était terrible. Ces années furent horribles. En fin de compte, je me retrouve ici, dans un pays merveilleux doté d’une démocratie. Je suis chanceux d’être ici et de parler librement. Parfois, j’ai le sentiment que je ne dois pas dire ceci ou cela. Puis je me dis, mets à profit ce que tu sais, parce qu’ici tu as le droit de parole. J’ai passé 28 années à penser seulement qu’il n’était pas bon de dire quoi que ce soit, jusqu’à mon séjour en prison. Une fois derrière les barreaux, je me suis dit, non, c’est terminé, maintenant je dirai ce que je pense. Lorsque je me suis retrouvé en prison, je disais ce que je pensais. J’ai appris en fin de compte que c’était la façon dont les choses devaient se faire.
(1140)
     Oui, nous devrions tous travailler à remettre Cuba sur la voie de la démocratie, sur la voie des droits civils. C’est très important. La question économique viendra plus tard. D’abord, la démocratie. Nous devrions nous battre pour la démocratie. Nous devrions nous battre pour ramener les droits civils à Cuba, peu importe ce qu’il faudra.
    Merci beaucoup, monsieur Ferrandiz. Je suis certain de m’exprimer au nom de tous les membres du comité lorsque je dis que nous applaudissons votre témoignage.
     Très bien. Passons maintenant à M. Alberto Aguilera qui, je crois, est ici avec un traducteur.
    Bonjour. Je m’appelle Alberto Aguilera.
     J’aimerais vous remercier de cette occasion qui m’est offerte de m’adresser à vous sur la violation claire et factuelle des droits de la personne à Cuba.
    J’étais à Cuba. Je n’ai tué personne, je n’ai rien volé à personne, je n’ai fait aucun dommage ni mal à personne. Toutefois, on m’a emprisonné avec ma petite amie et six amis parce que nous avons exprimé notre opinion. Je suis une preuve factuelle vivante de la violation des droits à Cuba. J’ai passé sept années en prison sans aucune raison. On m’avait condamné à dix ans. Moi et tous mes amis.
     Ce que je souhaite faire ici est de parler du vrai Cuba, du Cuba que les gens ne connaissent pas. Bien des gens voient Fidel Castro comme un ange, quelqu’un de bon, qui a fait beaucoup de bien à Cuba, mais ce n’est pas vrai. À Cuba, rien ne fonctionne. Rien n’est bon.
     Quand les gens parlent d’éducation, ils disent que Fidel a beaucoup fait à ce chapitre à Cuba. Dans ce pays, vous pouvez devenir médecin, mais une fois que vous l’êtes devenu, qu’arrive-t-il? Vous gagnez 9 $ par mois. Que voulez-vous faire avec ça?
     Vous allez voir un médecin. D’accord, c’est un bon médecin, mais la technologie est inexistante, il n’y a pas de machines. Il vous examine, puis il se met à suer, il est fatigué, il a vu tellement de gens en une seule journée. Il vous donne ensuite une ordonnance d’aspirine, suite à laquelle vous allez à la pharmacie, qui n’a pas d’aspirine. Certaines pharmacies sont sans aspirine depuis deux ans. Lorsqu’elles en obtiennent, vous n’avez droit qu’à deux — deux aspirines par personne.
     Je n’ai pas le temps ici de dire tout ce que j’aimerais dire et de tout vous révéler sur ce système. Je crois qu’il s’agit du système le plus cruel auquel Cuba n’ait jamais eu à faire face. C’est si cruel et inhumain.
(1145)
     Je pourrais parler de bien des choses. Tout est tellement horrible. Je pourrais parler par exemple de la torture. Mes cinq années d’incarcération se sont déroulées dans sept prisons différentes, y compris la prison de Camaguey, qui est la pire de toutes, uniquement parce que j’avais exprimé mon opinion. J’ai beaucoup souffert, et je me disais que cela pouvait arriver à d’autres, parce que personne ne pouvait exprimer son opinion.
     J’ignore si vous pouvez visualiser ce qu’on nous a fait. Il n’y a pas de justice là-bas. Nous étions jeunes. Huit jeunes. Nous ne faisions que parler, parler de ce dont nous rêvions pour Cuba. Nous étions d’avis qu’il nous fallait plus de liberté, qu’il nous fallait la démocratie. On nous a détenus, on nous a envoyés à la prison à haute sécurité de Santiago de Cuba, dans l’une des cellules là-bas. Nous y avons passé 75 jours, sans avocats, ni aucun conseiller juridique que ce soit, ni aucun droit de voir notre famille. On m’a torturé physiquement, biologiquement et psychologiquement.
     Par « biologiquement », je fais référence au fait que, vers la fin de l’après-midi, il y avait de nombreux moustiques, de nombreux insectes en raison de la présence d’une purge d’eau dans la partie arrière des cellules. Les insectes passent par là, et on devient la proie des moustiques. C’est une vraie torture. Les draps qu’on nous donnait étaient très minces, et nous cherchions à nous protéger avec nos mains, à couvrir notre visage et le reste de notre corps comme on le pouvait. Mais c’était terrible. C’était une vraie torture durant toute la nuit. Vous tentez de dormir, et une fois endormi, ils reviennent, puis vous ne pouvez plus retrouver le sommeil. Au matin, on nous réveillait pour nous amener à la douche.
(1150)
    Ensuite, on passait à ce qu’ils appellent la séance d’instruction. Vous savez ce que c’est? De la torture psychologique. On me disait, par exemple, que ma mère était tombée et s’était brisé une côte, et qu’elle ne recevrait pas de soins à moins que je ne change d’idée, à moins que je ne dise ce qu’ils voulaient m’entendre dire. On ajoutait que mes frères et sœurs allaient également souffrir en raison du fait que je ne changeais pas d’idée, en raison des opinions que j’exprimais.
    Il s’est produit tant de choses. Je pourrais passer des jours à vous raconter à quel point c’était horrible.
    Trop de choses sont arrivées, et je ne peux m’empêcher de penser au peuple cubain qui éprouve la même agonie que j’ai vécue là-bas au quotidien. Personne à Cuba n’aime Castro, pas même les gens qui le côtoient. C’est l’homme le plus cruel que Cuba ait connu. Il n’est désolé pour personne. Il ne regrette rien de ce qu’il fait, et il intimide constamment le peuple cubain.
    Il s’est même servi de moi dans ses manœuvres d’intimidation. Il a dit « Voyez ce qui est arrivé à Alberto Aguilera. Voyez comment il s’est retrouvé en prison. Pourquoi? Parce qu’il s’opposait à notre régime, à notre idéologie. »
    Ils ont mis en place à Cuba un mécanisme inspiré du KGB russe, et ils l’exportent dans d’autres pays dans le seul but de préserver le communisme, pas seulement dans des coins de l’Afrique, comme vous le savez, mais aussi en Amérique.
    C’est là où va l’argent, cet argent dont vous parliez. Vous vous demandiez pourquoi les Cubains n’en voyaient jamais la couleur. C’est la façon dont ils dépensent cet argent, qui sert à exporter la terreur. Voilà l’utilisation qu’ils en font. Ils possèdent maisons et autos, et nous n’avons rien.
(1155)
    Monsieur Aguilera, j’ai bien peur que nous devions nous arrêter ici, à moins que vous n’ayez une dernière brève déclaration à faire, car nous devons passer aux questions.
    Nous avons accordé à M. Aguilera plus de temps que nous le faisons habituellement à cause de la traduction, mais il faut conclure.
    Je dirai en dernier lieu que nous avions neuf prisons avant Castro; aujourd’hui, on en dénombre plus de 272. Le peuple cubain en a fait le recensement. Une seule route traverse l’île, et elle a été construite avant Castro. Depuis, il n’y a pas eu de nouvelle route, ni nouveaux hôpitaux. Ses seules constructions se limitent de nouvelles prisons de manière à pouvoir y jeter beaucoup de gens. Tout ce que vous faites, quel que soit le genre d’affaires auxquelles vous souhaitez participer, est considéré comme un crime. Même le fait de vendre du jus d’orange vous vaudra la prison. C’est interdit. Les gens ont peur. Ils redoutent tous de se retrouver derrière les barreaux.
    La prison Boniato a été construite pour y recevoir 2 000 personnes, mais ses murs en abritent 6 000. Les prisons sont surpeuplées, et les conditions dans lesquelles les gens y vivent sont terribles. Ils ont construit un hôpital à La Havane ainsi que quelques cliniques, et c’est tout. Tout le reste est consacré à l’emprisonnement des gens… et à leurs plaisirs personnels.
    Si on apprenait que je suis ici en train de vous faire des révélations, cela mettrait sûrement ma famille en danger à Cuba. Elle ferait l’objet de certaines mesures répressives.
(1200)
    Nous espérons bien que ce ne sera pas le cas, et nous apprécions à sa juste valeur le courage que vous avez démontré en venant ici.
     Merci à tous nos témoins.
     Monsieur Cotler.
    Merci, monsieur le président.
     J’ai des questions pour l’ambassadeur Vosalik et Ed Broadbent. Et au second tour, je m’adresserai aux deux autres personnes. Ce sera plus efficace ainsi.
    Ambassadeur Vosalik, je visiterai votre pays au début de juin dans le cadre d’un exposé que donnera l’ancien président Václav Havel sur la promotion des droits de la personne et de la démocratie. J’ai vraiment hâte d’y aller.
    Selon votre expérience et la description que vous en avez faite, le degré d’ouverture au dialogue manifesté par un pays est un critère pour mesurer les droits qu’il accorde à la personne, et ce critère vaut pour tous les pays. Vous avez dit que Cuba n’est pas ouvert au dialogue. Que pourrait faire un pays comme le Canada pour aider la Tchécoslovaquie, après ce qui lui est arrivé, et d’autres pays animés du même esprit, à promouvoir le dialogue? Ma question vaut également pour M. Broadbent. Que peut faire en particulier le Canada, quelles initiatives pouvons-nous prendre pour promouvoir les droits politiques et civils à Cuba?
    J’avais l’habitude de remarquer la réflexion d’Albert Camus à tous les jours au Centre international des droits de la personne et du développement démocratique lorsque vous le dirigiez. En nous inspirant de Camus, que pouvons-nous faire?
    Merci beaucoup, monsieur. Je suis très heureux d’apprendre que vous vous apprêtez à visiter le plus beau pays d’Europe. Vous y serez tout à fait le bienvenu.
    Permettez-moi de vous donner un petit exemple de l’époque précédant la Révolution de velours dans mon pays.
    L’ancien président de la France, alors qu’il visitait la Tchécoslovaquie à cette époque, a posé un geste très symbolique en animant un petit déjeuner tout à fait officieux dans l’ambassade de France, en compagnie de représentants du mouvement dissident en Tchécoslovaquie. Bien entendu, ce serait un énorme euphémisme que de dire que le Parti communiste et le gouvernement communiste n’étaient pas enchantés de la chose, car pour tout dire, ils étaient furieux. Mais l’appui, cet appui symbolique, était extrêmement important, il ouvrait la voie à une nouvelle ère, à un nouveau chapitre dans le mode de pensée de toute la population. C’était facile à faire, et c’était peut-être encore plus important pour la Tchécoslovaquie que pour les seuls dissidents, car soudain la visite du président français en Tchécoslovaquie n’était pas un triomphe du Parti communiste et du gouvernement communiste, mais un terrible désastre pour eux. Ils ne pouvaient s’en servir comme outil de propagande sur la façon dont le monde démocratique les traitait, ils n’étaient même pas traités comme des partenaires.
    C’est la façon de soutenir le peuple cubain, la population cubaine, la façon de leur parler, de s’adresser à la population. Cela ne signifie pas que nous devons nécessairement être d’accord avec tout ce qu’ils disent, mais ils doivent être nos partenaires.
    Quant au dialogue, il rejoint également la coopération économique. Je reconnais avec mon collègue que l’embargo économique n’est pas la façon de faire, et vraiment pas ce à quoi nous devrions recourir pour promouvoir la démocratie et les droits de la personne, simplement parce que les gens qui seront touchés par cet embargo ne représentent pas la classe politique du pays. L’embargo atteindra les gens de la rue.
    Par ailleurs, lorsque nous décidons de faire affaire avec Cuba, nous devrions répondre à la question « Avec qui traitons-nous? Et agissons-nous vraiment en faveur des gens, ou sommes-nous plutôt en train d’aider le Parti communiste à financer sa propagande dans le tiers monde? » Si nous faisons des affaires, nous devons montrer responsables. Nous ne pouvons simplement dire « Vous savez, nous faisons simplement des affaires ». Il nous faut voir où vont les finances, les sommes investies dans le pays. La même chose s’applique avec le tourisme, et ainsi de suite.
    Le dialogue ne se déroule pas uniquement entre la République tchèque et Cuba. C’est un dialogue entre Cuba et le monde démocratique.
    Le Canada pourrait vous aider à communiquer avec Cuba dans le cadre des relations très ouvertes et, selon nous, très amicales qui existent. Il devrait réellement faire pression sur la question des droits de la personne, non pas seulement avoir une conversation amicale, mais des discussions sur le dossier des droits de la personne, le tout en étroit rapport avec d’autres activités menées par le Canada à Cuba. Il faut rattacher vos activités commerciales à la promotion de ces principes essentiels — qui, en fait, sont sans doute des principes plus importants et plus essentiels pour le Canada parce que votre expérience en protection des droits de la personne et de la démocratie est plus grande que la nôtre. Voilà pour cette question.
    Le troisième point est le dialogue entre Cuba et les organisations internationales. Avec tout le respect dont le Canada jouit sur la scène mondiale, il devrait utiliser tous les mécanismes pour forcer le gouvernement cubain à accepter Mme Chanet comme représentante personnelle du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme et réellement amorcer un vrai dialogue entre Cuba et cette organisation.
(1205)
     Bien entendu, ce sera très difficile en raison des choses qui pourraient se dire. Ce dialogue ne concernera pas uniquement les répercussions de l’ONU sur les droits politiques, mais peut-être aussi l’entente internationale contre la torture des gens. Mais ce mécanisme a déjà été créé par un organe au sein duquel le Canada joue un rôle de premier plan, à savoir la Commission des droits de l'homme des Nations Unies, qui s’appelle aujourd’hui le Conseil des droits de l’homme de l’ONU.
    Désolé, je ne suis sans doute pas très diplomate, mais je ne crois pas que ce soit une tâche pour le Canada. Il s’agit d’un engagement du Canada, parce que celui-ci joue un rôle de premier plan dans la protection des droits de la personne à l’échelle internationale. Donc, selon moi, il ne s’agit pas de droit, mais d’engagement envers cet organe à le faire.
    J’aimerais même offrir la possibilité de coopérer avec le Canada pour ce qui est de partager avec vous notre expérience de transformation de la société tchécoslovaque, depuis un régime totalitaire vers la démocratie. Je peux comprendre, vraiment je le peux, l’amertume que le gouvernement cubain éprouve envers la République tchèque, car selon eux, nous avons tourné le dos au régime communiste, nous avons délaissé l’idéologie communiste, de sorte que nous avons trahi cet idéal. Pour le gouvernement cubain, nous serions des traîtres.
    Mais il y a quand même une façon d’utiliser l’influence canadienne à Cuba. Le Canada serait l’intermédiaire qui ferait profiter la société civile cubaine de notre expérience, qui lui en parlerait. Si le dialogue direct n’est pas possible entre la République tchèque et, disons, les pays postcommunistes et Cuba, peut-être que le Canada pourrait être l’intermédiaire par lequel partager nos expériences avec le peuple cubain.
     Donc, cela nous ramène à deux points. Le premier est d’améliorer le dialogue canado-cubain, mais le rôle le plus important, bien plus grand pour le Canada se situe auprès de la communauté internationale. La première chose que je vous suggérerais serait d’amener le gouvernement cubain à accepter Mme Chanet comme représentante du Haut Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme, et d’amorcer un dialogue vrai, substantiel et constructif entre Cuba et l’ONU.
    Merci.
(1210)
    Monsieur Cotler, nous sommes un peu pressés par le temps. Avez-vous quelque chose à dire — rapidement — à M. Broadbent?
    Oui, il s’agit essentiellement d’une question similaire, à savoir ce que peut faire le Canada à partir de l’expérience et de l’expertise de M. Broadbent.
    Pour commencer, j’aimerais dire que j’approuve la proposition de M. Vosalik, à savoir que l’on demande à nos diplomates en poste à La Havane d’encourager les rencontres avec des dissidents, c’est-à-dire les personnes désignées comme telles par le gouvernement cubain afin de montrer clairement à ces courageux militants qui se battent pour obtenir plus de liberté à Cuba qu’ils ont notre soutien.... C’est important pour eux, mais c’est aussi un moyen de faire comprendre au régime de Castro que nous nous soucions des droits universels.
    Je pense — corrigez-moi si je me trompe, mais je crois bien avoir raison — que nous avons eu une excellente occasion depuis que le gouvernement de M. Diefenbaker a refusé de faire ce qu’ont fait les Américains au moment de la révolution cubaine. Nous avons maintenu des liens diplomatiques avec Cuba, avec raison, et nous n’avons pas cessé depuis. Mais à mon avis, nous n’avons pas assorti ce geste raisonnable vis-à-vis du nouveau régime d’efforts suffisants pour inciter à la démocratisation du pays.
    Nous avons fait preuve d’une trop grande passivité. Nous avons pu faire du commerce avec Cuba, en partie en raison de l’embargo économique décrété par les États-Unis à l’égard de ce pays, et nous en avons réellement profité, mais je pense que nous n’avons pas su exercer la pression nécessaire sur le régime cubain pour améliorer la situation.
    Et permettez-moi de parler aussi des relations bilatérales directes. Comme les membres de ce comité le savent, c’est une initiative que nous avons prise récemment en Afrique. Nous l’avons fait en Afrique du Sud en rencontrant des dissidents et en affirmant clairement notre position au chapitre des droits de la personne. Il ne s’agit donc pas d’une politique exclusive à Cuba. Cette position a porté ses fruits par le passé avec plusieurs régimes africains et dans certaines situations en Afrique.
    En deuxième lieu, je voudrais parler de la percée décisive qui a eu lieu à la fin de la semaine dernière aux États-Unis et qui n’a pas, à ce que je sache, reçu énormément de publicité au Canada. En effet, la présidence Bush et le Congrès américain, sous domination des démocrates, ont décidé, pour la première fois, de lier les échanges commerciaux au respect des questions de droits de la personne. C’est un tournant décisif de la politique américaine.
    Pour tous ceux qui ont suivi cette question au cours des 15 à 20 dernières années — et j’ai moi-même été étroitement impliqué en qualité de président du Centre international des droits de la personne et du développement démocratique à Montréal —, c’est un événement très important.
    J’ai visionné une émission de PBS à la télé vendredi dernier au cours de laquelle étaient énumérées les conditions posées par les Américains pour la signature de contrats commerciaux, dont certaines sont en cours de discussion. Il est prévu que ces conditions soient inscrites dans les contrats: l’existence d’un droit vérifiable à un syndicat indépendant, l’absence de torture, le respect de certains protocoles des Nations Unies sur l’environnement, l’interdiction du travail des enfants, et l’exercice d’un autre droit dont je ne me souviens pas.
    J’encourage le gouvernement canadien et par la même occasion ce comité à considérer cette initiative comme un tournant potentiellement — je dis bien potentiellement — décisif. Les membres de ce comité le savent aussi bien que moi, les gouvernements occidentaux démocratiques ont toujours été réticents à soumettre le commerce au respect des droits de la personne. Je me suis moi-même systématiquement opposé à cette politique, mais je suis conscient de la difficulté de faire accepter cette politique sur une base bilatérale, surtout à un grand pays comme la Chine.
    Mais à mon avis, il serait possible de le faire sur une base multilatérale. Si celle-ci était inscrite dans les nouveaux règlements de l’OMC, par exemple, il existe des mécanismes permettant leur application et leur surveillance. Ce type de mesures serait donc applicable, comme l’a souligné notre ambassadeur en République tchèque. Je ne parle pas d’une politique exclusive à Cuba. Bien sûr, elle pourrait s’appliquer efficacement à Cuba, mais comme une condition pour exercer une pression et encourager l’ouverture, et utiliser les règles qui régissent les échanges commerciaux avec Cuba. Cela permettrait d’évoquer ces conditions comme faisant partie d’un « arrangement de libre-échange », si vous voulez.
(1215)
    Je ferais donc une proposition multilatérale, en plus des initiatives bilatérales proposées par notre ami l’ambassadeur.
    Merci beaucoup de votre intervention, monsieur Broadbent.
    Madame St-Hilaire.

[Français]

    Merci, monsieur le président.
    Merci messieurs, de votre comparution ce matin. Je tiens à vous remercier, monsieur Broadbent, pour votre citation. Le comité s'en servira certainement dans le cadre de ses travaux.
    On a proposé au sous-comité d'évaluer toute la question démocratique, à savoir si le Canada peut aider Cuba de sorte qu'il y ait là-bas davantage de partis politiques. Or, cela ne fait pas partie de vos recommandations, si j'ai bien compris. Pensez-vous que ce soit souhaitable? C'est ma première question.
    Ma deuxième question est un peu accompagnée d'un commentaire. Il nous est arrivé d'accueillir des témoins au sous-comité qui nous ont dit que les choses n'allaient pas si mal à Cuba, qu'il n'y avait pas vraiment de prisonniers politiques, que les droits de la personne n'étaient pas aussi entachés qu'on pouvait le croire.
    Ce matin, on a devant nous deux témoins intéressants. Je souhaiterais vous entendre à ce sujet. Votre expérience est une belle preuve que oui, il y a eu des prisonniers politiques, mais je souhaiterais vous entendre répliquer, en fait, aux propos de ceux qui disent que c'est faux, qu'il n'y a pas de prisonniers politiques, que ce sont probablement des prisonniers payés ou encouragés par d'autres pays. Je ne veux pas vous mettre mal à l'aise, mais c'est ce qu'on a entendu, et je souhaiterais sincèrement vous entendre à ce sujet.
    Ma troisième question concerne l'aide publique au développement. On nous a aussi suggéré de suspendre l'aide à Cuba tant et aussi longtemps qu'il y aurait des prisonniers politiques. Pensez-vous que c'est une avenue aussi intéressante?
    Et encore une fois, merci.

[Traduction]

    Je vais répondre à la question sur les partis politiques, si je l’ai bien comprise.
    Je pense qu’il faut suivre avec prudence la voie diplomatique souhaitable. D’un côté, il faut éviter de prendre, ce qu’on appellerait dans une société démocratique libre et évoluée, comme le Canada, une position partisane en faveur d’un parti politique. Mais cela ne doit pas servir d’excuse pour ne pas chercher à faire reconnaître la liberté d’association. En principe, je pense que nous devrions soutenir la création de partis politiques simplement parce que la liberté d’association est l’un des droits fondamentaux reconnus par les Nations Unies.
    Nous devons rejeter l’argument selon lequel il s’agit d’une position partisane ou même, selon l’affirmation du gouvernement cubain, qu’il s’agit d’une ingérence dans les affaires intérieures d’un pays étranger. Je ne pense pas que ce soit le cas. Pourquoi est-ce que je dis cela? Je crois que tout pays qui soutient ou qui encourage un droit qui fait partie du système international des droits de la personne, et non pas de la Charte canadienne des droits et libertés ou de la Charte américaine des droits et libertés, mais bien du système des Nations Unies, en particulier, la Déclaration universelle des droits de la personne, et le Pacte sur les droits civils et politiques... le régime cubain est signataire des deux premiers, mais je ne sais pas s’ils ont signé le Pacte. Est-ce que quelqu’un le sait? J’imagine que oui, mais je n’en suis pas sûr. ? Mais en tant que membre des Nations Unies, ils se sont engagés à respecter la Déclaration universelle des droits de l’homme, ce qui comprend la liberté d’association.
    C’est l’une des justifications avancées par les précédents gouvernements canadiens pour la création du Centre international. Nous avons reçu un mandat, non pas pour promouvoir la démocratie parlementaire canadienne ou américaine, mais le système de droits des Nations Unies. Et lorsque j’ai rencontré les chefs d’État, dont Fidel Castro... je lui ai bien dit que je n’étais pas là pour faire avancer les dossiers du Canada, des États-Unis ou de l’Europe, mais pour défendre le programme des Nations Unies en matière de droits de la personne, que son gouvernement s’est engagé à respecter en tant que pays membre des Nations Unies, conformément à la Déclaration universelle des droits adoptée par les Nations Unies.
    Je prends le temps de répondre à la question sur les partis politiques parce que c’est un sujet important, et je suis tout à fait disposé à apporter mon soutien aux initiatives qui viennent de l’intérieur, pour répondre aux préoccupations de gens courageux dont nous avons ici deux représentants. Mais pour ces gens, qui ont démontré leur courage, qui ont besoin de notre aide, qui désirent rencontrer notre ambassadeur, qui souhaitent même rencontrer des délégations parlementaires et des représentants de nos partis politiques pour savoir comment organiser des partis politiques, je pense que c’est conforme au cadre des Nations Unies et qu’il ne s’agit pas d’une ingérence dans les affaires intérieures, par respect pour les citoyens cubains de jouir du droit de la liberté d’association comme tout le monde.
    J’ai donc pris le temps de répondre à cette question, mais j’espère que le comité examinera ce problème. Je crois que c’est un cadre approprié pour agir en conformité avec les obligations auxquelles est tenu Cuba en vertu du système de droits des Nations Unies.
    Je devrais peut-être transmettre certaines questions à d’autres personnes.
(1220)
    Je voudrais ajouter quelque chose au sujet des prisonniers politiques à Cuba. D’après ce que je sais, n’importe qui peut se retrouver prisonnier politique. Toute personne qui tente un coup d’État contre un gouvernement se voit classé dans cette catégorie. Je ne crois pas qu’il y a beaucoup de prisonniers politiques à Cuba.
    En revanche, nous avons des prisonniers de conscience, ce qui est assez différent. Les gens sont envoyés en prison en raison de leurs convictions et non pas en raison des actes commis. Si nous vivions dans un système démocratique, rien de tout cela ne se produirait. Les gens ne seraient pas emprisonnés en raison de leurs convictions, pour leur conscience. Mais à l’évidence, nous ne vivons pas en démocratie. C’est pourquoi nous en sommes là aujourd’hui.
    Si j’ai bien compris ce qu’ont dit messieurs Vosalik et Broadbent, il faudrait accepter de transiger avec le régime de Castro pour faire du commerce avec Cuba. C’est ce que j’ai entendu. Mais cela fait combien d’années que nous essayons de faire cela avec Castro? Vous, pas moi, avez affaire à un type qui garde tout pour lui, pour arriver à ses propres fins — il détourne l’argent pour sa propagande à travers le monde. Vous êtes un pays démocratique, pas Cuba. Comment votre pays peut-il avoir des relations normales avec Cuba, alors que ce pays est un cancer? Le gouvernement de mon pays est un cancer; vous soutenez un cancer, parce qu’il se trouve loin de chez vous, et que vous faites affaire avec lui. Mais imaginez un instant que ce cancer arrive un jour chez vous, parce que vous le nourrissez et que vous l’aidez à se développer là-bas.
    Il ne suffit plus de parler, il faut agir. Il faut faire quelque chose, par exemple fixer des conditions à Castro: « Sans démocratie, nous ne ferons pas affaire avec vous. On ne parle plus avec vous. » Ce que je veux, c’est la démocratie, par l’entremise du parti politique en place. Peu importe que vous soyez communiste, anarchiste, ça m’est égal. Je veux que tout le monde puisse s’exprimer librement sans risquer d’aller en prison pour ses opinions.
    Ici au Canada, les Conservateurs sont au pouvoir. Imaginez que les Conservateurs essaient d’éliminer physiquement tous les Libéraux, ou qu’ils les mettent en prison.
    Une voix: Ce serait un peu radical.
    M. Guillermo Sambra Ferrandiz: Mais c’est ce qui pourrait se passer à Cuba.
    Moi-même, je suis né dans un pays communiste, J’ai respiré le communisme, j’ai été nourri au communisme. Mais je ne pense même pas que ce soit du communisme, je pense que c’est une dictature, une tyrannie. C’est plus que du communisme. Moi personnellement, qui que vous soyez, quelles que soient vos idées, je vous respecte. Si vous prenez le pouvoir, faites-le aussi pour moi, parce que nous sommes tous égaux. Pas seulement à Cuba, ou au Canada, mais dans le monde entier. Nous sommes tous des êtres humains, et nous devons nous battre pour la démocratie, partout dans le monde, pas seulement à Cuba.
(1225)
    Monsieur Broadbent, je sais que vous avez envie de répondre, mais nous avons largement dépassé le temps imparti, alors je vous prierais de reporter votre réponse à plus tard… vous êtes au fait de la procédure. Vous pourrez y revenir tous les deux en réponse à d’autres questions.
    Monsieur Sorenson.
    Voici ce que je vais faire. Je vais autoriser M. Broadbent à répondre tout de suite à même le temps qui m’est imparti. Je crois que l’ambassadeur voulait également intervenir.
    J’aurais quelques questions à poser, mais allez-y, monsieur Broadbent.
    Je profite donc de l’occasion pour vous faire part d’une proposition pratique.
    Quand j’étais au Centre à Montréal en 1990, on est venu bien près d’organiser une conférence publique mixte sur les droits politiques, civils, sociaux et économiques. La moitié des participants venaient de Cuba, et l’autre moitié du Canada.
    On est venu bien près, dites-vous, mais ca ne s’est pas fait.
    On est venu bien près, mais Cuba a annulé sa participation à la dernière minute. Il y avait pourtant des fonctionnaires du gouvernement cubain assez haut placés qui s’étaient déclarés en faveur de cette conférence, mais elle n’a pas eu lieu.
    Il me semble que c’est quelque chose que le gouvernement canadien pourrait encourager. Le principe derrière une telle initiative, si je peux m’exprimer ainsi, c’est qu’elle permettrait aux Cubains de s’exprimer ouvertement. Comme l’a dit monsieur l’ambassadeur, aucun pays, pas même le Canada, n’est exempt de préoccupations sur le plan des droits et des libertés — prenez par exemple les droits socio-économiques de nos Premières nations ou de certains citoyens défavorisés dans les centres-villes. Aucune société démocratique n’est parfaite, mais au moins, cela permettrait aux Cubains de progresser. Le problème, c’est qu’ils affirment avoir résolu tous les problèmes. Pour ce qui est des droits économiques et sociaux, je ne pense pas qu’ils ont résolu tous les problèmes, mais par rapport à la plupart des pays d’Amérique latine, ils ont accompli beaucoup de progrès.
    Une idée que j’ai proposée est que le gouvernement du Canada, dans le cadre de sa politique de dialogue, sollicite une telle conférence et demande aux Cubains d’y participer. La conférence serait échelonnée sur une période d’une semaine, soit trois jours à La Havane et trois jours à Ottawa. Elle pourrait commencer dans une de ces villes avec les participants et se poursuivre dans l’autre avec les mêmes participants, la population locale des deux pays étant invitée à y prendre part.
    Encore une fois, cela s’inscrirait dans le contexte du programme des droits de la personne des Nations Unies, ce qui en principe ne devrait pas soulever d’opposition auprès du gouvernement cubain.
    C’est une idée parmi d’autres, monsieur le président.
    Je crois, monsieur l’ambassadeur, que vous aviez quelque chose que vous vouliez nous dire rapidement, et puis j’ai quelques questions.
    J’ai encore le sentiment qu’on n’a pas totalement répondu à la question précédente, car il y a aussi la partie concernant la possibilité de mettre à profit l’aide au développement venant de l’extérieur comme outil de promotion des droits de la personne et de la démocratie.
    Oui, j’en conviens avec M. Broadbent que c’est très difficile, dans le cadre d’un dialogue bilatéral, de lier la coopération commerciale et économique aux droits de la personne et à la démocratie. Mais, l’aide publique au développement est le meilleur outil où non seulement nous pouvons lier ces deux domaines, mais aussi nous devons le faire. C’est peut-être exactement la manière de venir en aide aux pays comme Cuba dans des domaines où il s’avère réellement nécessaire d’apporter une aide financière ou un autre type d’aide directement à la population, plutôt qu’au régime.
    Je vous encourage donc à envisager vous aussi la possibilité d’offrir à Cuba une aide publique au développement qui serait toutefois conçue en fonction de vos critères de manière à protéger les droits de la personne et à répondre aux besoins des personnes démunies à Cuba.
    La question dont j’aimerais peut-être discuter avec vous, c’est de savoir si l’élimination de l’aide publique au développement ou l’imposition de certaines restrictions à cette aide est la manière appropriée de promouvoir les droits de la personne. Moi, je proposerais tout à fait le contraire, c’est-à-dire d’élargir la coopération avec le pays et de fournir l’aide directement à la population, aux localités et d’appuyer la société civile dans les domaines où elle réclame de l’appui.
(1230)
    Merci, monsieur l’ambassadeur.
    Je me réjouis de pouvoir compter sur votre présence, ici avec nous. J’ai certes aimé la rencontre que nous avons eue il y a quelques semaines.
    Je me félicite également du retour de M. Broadbent devant nous.
    J’ai trois ou quatre questions à poser, et je me rends compte maintenant qu’en raison des contraintes de temps qui sont les nôtres, je vais devoir les poser ensemble, quitte à ce que vous preniez le temps d’y réfléchir. J’aimerais ensuite revenir à quelque chose que M. Broadbent a dit.
    Cette question s’adresse à nos deux invités qui sont ici avec nous.
    Je vous remercie de votre présence. Pour être honnête, j’ai quelques souvenirs qui remontent jusqu’à mon enfance — même si je ne suis pas si vieux que cela. Une des choses qu’on m’a inculquées à la maison est la peur du communisme. Ils ont connu la guerre — je parle ici de mon père — et ils avaient toujours peur du communisme. Ils avaient très peur particulièrement lors de la crise des années soixante... dans laquelle Cuba a joué un rôle, et je me souviens qu’on avait très peur de cela à la maison. C’est quelque chose de très profond, qui reste gravé dans ma mémoire. C’est une chose que je n’ai pas oubliée.
    La question que je vous pose est la suivante. Y a-t-il des choses que le Canada fait à Cuba dont vous avez connaissance? Vous avez mentionné que c’est grâce au Canada que vous avez pu venir ici. Parmi les différents programmes en cours, y en a-t-il à votre connaissance qui sont canadiens ou dans lesquels le Canada joue un rôle? Oui, il s’agit d’une initiative des Nations Unies. Y a-t-il une initiative propre au Canada dont vous avez connaissance? Y a-t-il une initiative clé que le Canada pourrait entreprendre?
    M. Broadbent a proposé d’organiser une sorte de symposium ou conférence qui nous permettrait de réunir ces gens. Je pense que c’est peut-être une bonne chose, sans égard au fait que notre ami ici, M. Aguilera, s’est retrouvé soudainement en prison durant huit ans pour certaines de ses opinions. Devrions-nous prévoir le même type de réserves de la part des personnes intéressées à participer à un tel symposium ou une telle conférence? Si cela nous donnait le sentiment d’avoir réussi, cela n’aurait-il par contre que peu d’impact à Cuba? Quel impact cela aurait-il à votre avis?
    Une chose qui serait très importante — c’est pourquoi M. Broadbent l’a mentionné il y a à peine quelques instants —, c’est la nécessité d’essayer d’aider les Cubains, d’essayer notamment d’améliorer leur situation. Les gens qui luttent là-bas à la seule force de leurs idées — et non avec des armes — n’ont aucun appui.
    Sont-ils notoires? On vous a jeté en prison parce que vous avez exprimé vos opinions. S’agit-il de partis politiques? Y a-t-il des gens notoires auxquels nous pouvons consacrer des ressources?
    Notoires dans quel sens? Nous sommes là.
    Nous parlons de liberté d’association. Y a-t-il un réseau de personnes dont nous pouvons dire …
    Oui il y en a.
    Il y en a?
    Oui. La société civile de Cuba est de plus en plus en expansion, et c’est une chose qui me réjouit beaucoup. C’est quelque chose que ni Castro, ni la dictature ne peuvent contenir pour toujours. Nous avons maintenant des periodistas (journalistes) indépendants qui sont jetés en prison pour cela. Cet organisme existe donc.
    Le Canada ne fournit pas beaucoup d’aide financière à Cuba, près de 10 millions de dollars l’an, je crois.
    À Castro?
    Mais oui. À Cuba.
    À Castro.
    Ça ne semble pas une grosse somme, pourtant le Canada fait partie des pays qui donnent le plus à Cuba. Une des choses qu’ils essaient de faire, c’est de promouvoir des programmes qui favorisent la bonne gouvernance, donc peut-être qu’ils constituent déjà un réseau avec la société civile. Les autres choses qu’ils font sont des initiatives visant à faire connaître aux Cubains les valeurs canadiennes et encore une fois, c’est une très vaste.... Je ne sais pas exactement à qui ils envoient de l’argent pour communiquer nos valeurs canadiennes aux Cubains. Pourtant, on ne reconnaît pas cela réellement comme étant canadien. Peut-être que le Canada appuie déjà ce type de mouvement civil. Est-ce cela qu’appuie le Canada?
    Je ne pense pas.
    D’où vient l’appui?
    L’appui pour ce mouvement? De nulle part. Nous n’avons pas d’appui du tout.
    C’est donc juste quelque chose qui....
    Appui moral, nous avons de l’appui moral.
(1235)
    Quelle est la population de Cuba? Environ 10 millions, 11 millions?
    Onze millions.
    Nous pouvons compter sur un appui moral. Je sais que nous avons de l’appui moral, mais c’est tout ce que nous avons comme appui.
    Permettez-moi de vous poser cette question. Il y a peut-être des choses que nous pourrions faire maintenant, mais y a-t-il une chose que nous devrions faire alors que Fidel s’apprête à rendre les armes ?
    Qu’est-ce que vous voulez dire par « rendre les armes »?
    S’apprête à mourir...
    D’autres ont dit que la conjoncture est maintenant peu favorable, mais la conjoncture sera certainement favorable à la mort de Fidel Castro. Même Raoul...peut-être que nous devrions essayer de l’influencer. Seulement la semaine dernière qu’on a entendu quelqu’un dire qu’il a cinq ans de moins. Peut-être qu’il ne vivra pas longtemps après Fidel. Peut-être que nous devons attendre jusqu’à la fin du règne de Raoul. Mais à ce moment, y a-t-il une chose...?
    Il y a des choses que nous devrions être en train de faire maintenant — appuyer la société civile, appuyer certains ONG —mais y a-t-il une chose, lorsque nous saurons que la transition aura lieu, que l’Occident, les États-Unis et le Canada devraient faire?
    Quand la transition aura lieu, il nous faudra beaucoup d’argent. Cuba en aura besoin pour développer tout. Oui, tout type d’aide sera la bienvenue. Il n’y a pas de développement à Cuba, pas du tout, rien — pas d’autoroutes, pas de routes, rien. Nous aurons donc à rebâtir le pays.
    Y a-t-il quelqu’un là-bas qui pourrait...? En ce qui concerne la gouvernance, y a-t-il un groupe là-bas qui pourrait intervenir si jamais l’occasion...?
    En Haïti, pour être honnête, il y a beaucoup de parlementaires élus qui n’ont aucune idée du rôle d’un parlementaire.
    Y a-t-il des gens qui ont de bonnes pratiques de gouvernance?
    Oui. Vous demandez quelque chose d’impossible maintenant. Ce que nous faisons maintenant, c’est de combattre la dictature. À l’heure actuelle, nous n’avons pas un parti d’opposition prêt à faire ce que vous dites.
    Comprenez-vous cela?
    C’est bien. Merci.
    Maintenant, nous allons passer à monsieur Marston.
    C’est une discussion qui couvre une grande variété de sujets, et on a répondu à toutes mes questions de manière très constructive.
    Dans le cadre de nos discussions, et notamment au début, je me suis rappelé le dicton de Mark Twain, à savoir que les gens ont plusieurs visages, un pour leur famille, un pour leurs amis et un autre qu’ils ne montrent à personne. Dans une certaine mesure, cette conversation vient confirmer ce dernier point.
    Encore une fois, lorsque nous parlons de communisme... J’étais récemment en Chine, et sans entrer dans trop de détails, j’ai soulevé la question de Falun Gong lors d’une réunion. Une personne a dit soudainement : « Bien, ce n’est pas dans les médias ». Puisque ce n’est pas dans les médias, cela ne peut pas exister dans les médias contrôlés par l’État. Cela a donné lieu à une discussion très intéressante — quoique très brève.
     Nous avons le Rapport national sur la responsabilité sociale des entreprises, qui a été réalisé récemment. Nous venons de recevoir ce rapport. Je pense que c’est une des diverses façons d’influencer l’attitude des entreprises canadiennes à l’égard de Cuba, et ce groupe se propose d’examiner la question. Une autre observation maintenant... il y a une chose qui me gêne ici parce que nous parlons du système de droits et obligations de l’ONU, et le Canada n’a même pas signé le Protocole facultatif contre la torture. Donc, avant de pointer les choses du doigt, nous ferions mieux d’en finir avec cette question pour pouvoir passer à autre chose.
     La société civile à Cuba.... J’y ai été nombre de fois. J’ai marché librement à La Havane sans personne autour de moi. Mais vous pouvez le sentir, même quand vous parlez aux gens, ils regardent par-dessus leur épaule. Je suis donc très heureux d’entendre ce débat concernant les divers moyens d’appuyer la société civile.
    Encore une fois, j’allais parler de l’ACDI pour revenir à la question que vous avez soulevée il y a quelques minutes, mais il m’est soudainement venu à l’esprit que l’argent que donne le Canada par le biais de l’ACDI n’est pas suffisant pour avoir un sérieux impact. Mais, le dialogue ou la conférence suggérée par monsieur Broadbent est une importante démarche que pourrait entreprendre le Canada.
    À part cela, je n’ai vraiment aucune question à poser, car tout a été si bien communiqué, y compris la passion qui se dégageait des témoignages des anciens détenus. C’est tout ce que je dirai pour l’instant avant de passer à la deuxième ronde.
    Peut-on faire des commentaires?
(1240)
    Bien sûr. J’invite les gens à formuler leurs commentaires.
    Il y a un point que j’aimerais aborder. Il s’agit de l’aspect de cette conférence qui fait problème, soit qu’elle donnerait un certain avantage aux Cubains. Je pense que l’avantage d’une telle conférence, s’ils acceptaient d’y participer, est qu’elle permettrait non seulement au Canada de parler de ses problèmes internes au chapitre des droits — la nécessité des réformes à entreprendre à cet égard chez nous, etc. —, mais aussi évidemment d’aborder les problèmes auxquels font face les Cubains dans ce dossier, vus à travers notre perception et le filtre des témoignages entendus et des rapports d’Amnistie internationale ou des conclusions du Comité pour la protection des journalistes.
    Ce serait un forum où l’on tiendrait des débats publics. L’avantage, c’est qu’on pourrait faire fond sur l’accord qui était presque conclu. Bien entendu, la conférence aurait lieu à La Havane et à Ottawa, et vous auriez l’occasion de dire toutes ces choses à La Havane. Évidemment, dans quelle mesure l’événement serait relaté dans la presse ou les médias cubains, c’est toute une autre histoire. Mais, le fait même que cette conférence où l’on pourra tenir des discussions ouvertes aura lieu ici et là-bas est conforme au principe voulant que l’on assure le respect des droits par le dialogue avec les régimes et l’imposition de certaines contraintes.
    Oui, en effet, ils pourraient profiter de la conférence pour faire de la propagande, et je dirai que ce n’est pas si mal après tout, car nous pouvons également en profiter pour intensifier la pression de manière à travailler à la promotion accrue de ces droits. S’ils refusent de participer à l’événement, c’est alors que nous devrons faire pression par la voie diplomatique en faisant intervenir le ministre des Affaires étrangères ou nos ambassadeurs, et l’affaire sera exposée au grand jour. De toute manière, je pense que du point de vue des gens qui s’intéressent au respect des droits et de la liberté d’association, et des autres libertés fondamentales à Cuba... Je ne veux pas exagérer l’importance de l’événement, mais c’est un réel atout pour faire évoluer certains dossiers.
    Le même scénario s’était produit au début des années 90 où l’on assistait à l’émergence d’une société civile, puis ce fut la répression. L’événement, à mon avis, serait un atout pour encourager ces initiatives.
    Vous avez certes mon appui, monsieur Broadbent, pour cette conférence. Sans aucun doute et c’est très intéressant aussi. Cela dépendra du programme de la conférence et du fait que la proposition d’organiser quelque chose du genre vient du Canada. Cela pourrait s’avérer très intéressant de voir la réaction du gouvernement cubain, et dans quelle mesure ils accepteraient de discuter avec le Canada non seulement d’amitié et de coopération économique, mais aussi de sujets névralgiques. À mon avis, votre gouvernement ne recevra aucune réponse positive.
    Pour ce qui est de l’autre commentaire à propos de l’argent qui va à Cuba par le biais de l’ACDI... pour le moment, ce qui me paraît très important et peut-être peu coûteux comme aide, est le fait que le gouvernement cubain a l’avantage de contrôler l’information. Ce que mon ambassade essaie donc de faire est d’offrir aux citoyens cubains la possibilité d’accéder librement à Internet. Malheureusement, nous n’avons pas encore réussi à le faire à cause de la répression qu’exerce le gouvernement cubain.
     Le Canada a peut-être l’avantage d’ouvrir quelques centres d’information culturelle, ou peu importe comment on les appelle, non seulement à La Havane, mais peut-être ailleurs, comme source d’information venant du monde libre. C’est peut-être pour votre gouvernement la manière la plus facile et la plus rapide d’offrir aux Cubains l’occasion d’obtenir de l’information autre que l’information que présentent les quotidiens et les chaînes de télévision, etc., qui font de la propagande. Offrir le libre accès à l’information est la manière la plus facile d’appuyer actuellement une société civile qui peine encore à implanter les infrastructures de base. Cela pourrait aider.
    Soutenir les partis politiques nouveaux ou naissants et susciter des échanges avec leurs représentants est certes ce que nous devons faire pour soutenir ces structures. Les partis politiques représentent l’épine dorsale d’une société civile. Je ne dis pas que nous devons parler seulement aux partis politiques, mais ce serait sûrement l’erreur la plus grave d’exclure ces structures de notre dialogue avec la population cubaine.
    Merci beaucoup.
    Nous allons maintenant passer à monsieur Khan. Mais avant de le faire, j’aimerais répondre à la question de monsieur Broadbent qui se demandait plus tôt si Cuba faisait partie des pays signataires du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Notre attaché de recherche a pu confirmer que non seulement Cuba ne fait pas partie des pays signataires, mais qu’il n’a fait aucun effort pour signer le Pacte.
(1245)
    Qu’en est-il de l’autre pacte sur le développement économique et social?
    Ils ne l’ont pas signé non plus, selon l’information que j’ai reçue.
    Apparemment non. Dans son rapport au Haut Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Christine Chanet a parlé du fait qu’ils ne sont pas signataires.
    Monsieur Khan.
    Merci, monsieur le président.
    Monsieur Broadbent, je trouve votre suggestion excellente. J’y reviendrai dans un instant.
    Dans quelle mesure est-il possible d’avoir un dialogue de gouvernement à gouvernement entre le Canada et Cuba, et parallèlement entre les États-Unis et Cuba?
    Je pense que les États-Unis deviennent un peu plus pragmatiques à beaucoup d’égards. Ils ont tenté d’appuyer les dissidents en Iran et ont tristement échoué. Ils ont connu d’autres échecs dans ce genre d’effort. Mais ils parlent maintenant ouvertement de la situation iraquienne à l’Iran. Ils ne se mettent plus le doigt dans l’oeil. D’autre part, c’est parce qu’ils ont pris le temps de dialoguer qu’ils ont pu remporter quelques succès dernièrement, en ce qui concerne notamment Mullah Dadullah, etc. Les embargos, les restrictions et les sanctions n’ont pas non plus aidé contre l’Iran par le passé.
    J’aimerais entendre vos commentaires, Monsieur. Même contre la Corée, c’est une approche multilatérale qui a été adoptée. Pensez-vous que ce genre d’approche ou de rapprochement pourrait porter ses fruits dans le cas de Cuba?
    D’autre part, comment voyez-vous l’évolution de Cuba avec ou sans Castro?
    Revenons aux démocraties. La démocratie a un prix dans certains pays en voie de développement. Je suis sûr que la plupart des gens le savent. La communauté internationale n’aura pas de succès et ne pourra pas aider si les gens ne peuvent pas manifester massivement dans les rues, et faire ces genres de choses. Cela envoie le signal que des changements s’avèrent nécessaires. Si vous avez 75 ou 200 personnes qui se retrouvent en prison parce qu’elles disent ce qu’elles pensent, je ne crois pas que vous allez en trouver beaucoup qui vont s’intéresser. Nous pouvons dire tout ce que nous pouvons sur la question des droits de la personne, il faudra probablement à Cuba un autre siècle pour y parvenir.
    J’aimerais entendre votre commentaire, monsieur Broadbent.
    Pour ce qui est de l’approche multilatérale, je pense que sur le plan politique il ne serait pas sage de le faire conjointement avec les États-Unis. La manière la plus rapide d’amener Castro et les Cubains à dire non serait d’impliquer les Américains. Il s’agit ici d’une question purement tactique, car ils ont toujours utilisé la politique américaine envers Cuba — y compris une invasion de Cuba par le passé, évidemment — pour les frapper d’anathème.
    Je pense donc que cela risque d’être improductif. Tout effort que nous devrions entreprendre devrait être bilatéral, ou devrait impliquer nos amis démocrates qui font partie de l’Union européenne. J’éviterais tout simplement de m’associer avec les États-Unis pour ce genre de conférence dont nous parlons plus précisément.
     En ce qui concerne l’autre question, pour le moins que l’on puisse dire, si je vous ai bien compris — « Qu’en est-il d’un Cuba post-Castro? » — une partie de ce très long entretien que j’ai eu avec lui en 1990 ou 1991, lequel avait duré trois heures et demie, portait exactement sur cette question, à savoir ce qui s’est passé en Europe deux ans après que monsieur Gorbachev se fut retiré de l’Union soviétique d’alors où il exerçait un fort leadership.
    Mon point de vue était qu’à Cuba il y avait une certaine possibilité — mais je penserais qu’après toutes les années qui se sont écoulées depuis c’est moins probable — de préserver.... J’ai entendu ce que nos autres invités avaient à dire, mais compte tenu des progrès faits dans d’autres pays de l’Amérique latine, plus tôt les autorités cubaines, plus tôt le Parti Communiste cubain, s’ouvriront à la réforme, plus grande sera la possibilité, à mon avis, de préserver une partie des gains qu’ils ont faits à certains égards.
    Mais plus ils attendent, plus il est probable, à mon avis — et je ne crois pas qu’on a besoin d’être un surdoué de la politique pour s’en rendre compte — que les plus extrémistes des Cubains qui se sont « exilés à Miami », pour ainsi dire sous toutes réserves.... Je ne dis pas que tous les Cubains qui sont allés là-bas sont des extrémistes; je veux être clair là-dessus. Mais, il y a là-bas une aile droite, disons — et je pèse mes mots —, très forte. Et plus longtemps Castro reportera la nécessaire réforme, plus on risque de voir des extrémistes, voire des antidémocrates, de la Floride se joindre à ceux de Cuba, pour des raisons qu’on comprend très bien, pour faire place nette, sans égard aux conséquences.
     Il n’était pas du tout ouvert à ces arguments. Il ne voulait d’aucune liberté interne pour préparer la voie à une transition pacifique du genre de celle qu’on a eue en Tchécoslovaquie. Ce pays avait toutefois une tradition démocratique en quelque sorte, ce que Cuba n’a jamais eu.
     Pour le moins que l’on puisse dire, c’est très complexe et très incertain, mais plus le régime attend pour faire de la place aux droits politiques et civils, plus on risque de voir un gouvernement extrémiste d’un autre genre prendre le pouvoir là-bas.
(1250)
    Merci, monsieur Khan. Votre temps est écoulé.
    Monsieur Cotler.
    J’ai une brève question que j’aimerais poser. Je crois que nous avons appris dans le cadre de notre enquête sur la Chine et du dialogue bilatéral Canada-Chine sur les droits de la personne que les choses ne sont pas toujours comme elles se présentent. Nous avons des structures, mais elles servent parfois à escamoter les problèmes plus qu’à les démasquer.
    Cette question s’adresse à vous en particulier, Ed, en raison de votre expérience dans cet aspect particulier de notre travail.
    Nos interventions à Cuba se font en grande partie par le biais de l’ACDI, et cette participation se fait, comme on l’a mentionné, dans le cadre de programmes d’aide au développement. Je me suis penché sur certains de ces programmes. Nous appuyons des ONG cubaines en ce qui a trait aux initiatives de développement locales. Nous avions récemment une conférence, soit une table ronde sur l’économie cubaine. Nous avons un projet visant à améliorer la transparence, à offrir à 6 000 vérificateurs et spécialistes du commerce cubains une formation dans le domaine du libre-échange. Nous appuyons des initiatives visant la capacité d’innovation du gouvernement. Ce sont là beaucoup de mots à la mode qui me sont devenus familiers au fil des ans, « renforcement des capacités », « transparence », « gouvernance », etc.
    Est-ce là réellement l’approche que nous utilisons là-bas pour assurer la protection des droits civils et politiques, ou sommes-nous en train de nous leurrer en nous contentant de l’aspect plus réjouissant de ces droits, soit, pour reprendre vos mots, leur aspect socio-économique, sans réellement chercher à nous concentrer sur les centres nerveux, là où il fallait le faire?
    Mon impression, et je dis bien « mon impression », c’est qu’il s’agit bien du dernier cas, et nous pouvons toujours nous leurrer. C’était certes l’expérience que j’ai vécue au Centre à Montréal en considérant la plus grande part de ce que nous faisions en Chine aussi. Nous avons ces merveilleuses conférences où vont les gens, et nous risquons, je le répète, nous risquons, de nous faire une grossière illusion.
    De même, avec ces projets de toutes sortes à Cuba, que vous avez mentionnés, Irwin, nous pourrions tout bonnement nous concentrer sur les droits économiques et sociaux en oubliant les dimensions liées aux droits politiques et civils, et penser que nous faisons quelque chose d’utile. Je ne saurais répondre à votre question sans déterminer si ces projets permettent entre autres de faire avancer les choses au chapitre des droits politiques et civils.
    Je ne sais pas assez bien ce qui se passe là-bas, mais si nous pouvions y pénétrer... c’est tout un autre problème. Comme vous le savez, ayant siégé au conseil d’administration du Centre, quand celui-ci faisait des projets en Amérique latine, nous pouvions, même quand des régimes douteux étaient au pouvoir, voir, en tant qu’organisme des droits de la personne, ce qui se passait sur le terrain. Il y avait assez de latitude pour faire cela. Mais, nous ne pouvons pas faire cela à Cuba. C’est impossible. Nous ne pouvons pas envoyer des défenseurs des droits de la personne là-bas pour vérifier si certains des projets que nous réalisons font réellement avancer les choses.
    Ma réponse est donc que j’ai tendance à être un peu sceptique envers ces projets qui peuvent nous donner une excuse en nous persuadant de notre intérêt pour les droits économiques et sociaux, à la faveur des échanges commerciaux, alors qu’ils ne font rien pour faire avancer les choses au chapitre des droits politiques et civils.
    Si c’est vraiment ce qu’ils font, ce serait appréciable, mais comme je le dis, je trouve difficile de répondre à la question en faisant des généralisations: serais-je d’accord pour qu’on fasse ces choses? Oui en effet, mais seulement dans la mesure où ces initiatives permettront d’instituer d’autres droits. Comme je le dis, la seule façon de le savoir est de garder l’oeil sur l’ACDI et de veiller à obtenir de cette agence les meilleurs comptes rendus, etc.
    J’aimerais prendre quelques-unes des minutes qui nous restent pour poser quelques questions.
     Monsieur Aguilera, vous avez passé sept ans en prison. De quoi étiez-vous formellement accusé?
(1255)
    Propagande
    Vous avez dit que tout ce que vous avez fait, en réalité, était de partager des opinions avec des amis. Aviez-vous distribué de l’information?
M. Alberto Aguilera (Interprétation):
    Non, tout ce que nous avons fait était de parler entre nous, mais nous parlions fort. Je veux dire n’importe qui pouvait nous entendre.
    Vous étiez donc des amis qui se sont rencontrés à l’université, et vous échangiez simplement des idées sur la démocratie.
M. Alberto Aguilera (Interprétation):
    C'est bien cela.
    Quand avez-vous été emprisonné pour la première fois?
M. Alberto Aguilera (Interprétation):
    En 1991.
    Quand êtes-vous venu au Canada?
M. Alberto Aguilera (Interprétation):
    Le 4 avril 1998.
    Tous vos amis qui ont été mis en prison avec vous ont-ils été libérés?
M. Alberto Aguilera (Interprétation):
    Ils ont été relâchés peu à peu. Après avoir purgé leur peine d’emprisonnement, soit après plus ou moins six ans, ils ont été remis en liberté.
    Ma question s'adresse à vous et à M. Ferrandiz. Nous avons entendu nombre de témoins qui ont dit qu’il n’y a pas de prisonniers politiques ni de prisonniers d’opinion à Cuba, et que toutes les personnes qui prétendent l’être sont en fait des agents des Américains et de la CIA.
    Que répondez-vous à cela?
M. Alberto Aguilera (Interprétation):
    Des centaines de milliers de Cubains sont en prison pour cette raison, pour le simple fait d’avoir exprimé leur opinion.
    Avez-vous reçu de l’argent des Américains ou avez-vous eu des contacts avec des agents américains ou des agents de la CIA avant d’être emprisonné, ou depuis que vous l’avez été?
    Je n’ai jamais vu un Américain de ma vie.
    Des voix: Oh, oh!
    M. Guillermo Sambra Ferrandiz: Je ne plaisante pas. C'est vrai. Les Américains ne peuvent pas se rendre à Cuba. Je n’ai jamais vu un Américain de ma vie.
M. Alberto Aguilera (Interprétation):
    Si vous allez à Cuba, vous vous rendrez à l’évidence que les gens ne peuvent pas parler. Tous les Cubains savent que si nous disons ce que nous pensons, nous serons mis en prison. Tous les Cubains vont voir Fidel parler sur la place publique, car nous savons que si nous n’y allons pas, nous perdrons nos emplois.
    C’est le Parti communiste cubain qui vous embauche. Si vous n’allez pas écouter ce que Castro a à dire, vous perdrez votre emploi. Les gens d’autres pays voient à la télévision que beaucoup de gens vont entendre Castro. Ils pensent que les gens à Cuba aiment beaucoup Castro.
    J’aimerais vous poser une autre question. Il ne me reste qu’un petit peu de temps.
    Comme je l’ai indiqué, nous avons entendu nombre de témoins qui ont attesté qu’il n’y aucun prisonnier politique ni aucun prisonnier d’opinion à Cuba ou que les cas de violation des droits de la personne et des droits civils ou politiques sont très modestes. Essentiellement, ils ont dit que ces dissidents et opposants servent de paravents pour les États-Unis.
    Je me demande s’il y a quelqu’un parmi ces personnes qui vous a déjà contacté, étant donné que vous avez fait de la prison à Cuba. Avez-vous déjà entendu parler de la Table de concertation de solidarité Québec-Cuba ou de la Caravane d'amitié Québec-Cuba? Avez-vous déjà entendu parler d’une chercheuse à l’Université de Montréal qui s’appelle Dulce-Maria Cruz-Herrera? Y a-t-il quelqu’un parmi ces personnes ou les membres du Parti communiste du Canada qui vous a déjà contacté pour discuter de votre expérience du système carcéral cubain?
M. Alberto Aguilera (Interprétation):
    Non, jamais.
    Monsieur Ferrandiz?
(1300)
    D’accord. Je voulais simplement…
    Pardonnez-moi. C’est facile pour les gens d’aller à Cuba pour se rendre à l’évidence. Ils peuvent aller dans les prisons et chez les gens, mais beaucoup de familles n’exprimeront quoi que ce soit qui a rapport avec la politique. Il y a beaucoup de gens qui ont peut-être trop faim pour parler franchement. Et c’est tout le temps comme ça.
    Oui, donc ils libèrent des gens pour pouvoir en emprisonner davantage. Ils les envoient dans d’autres pays et en mettent plus en prison. Ils sont plus dangereux.
    Évidemment.
    J’aimerais remercier tous nos témoins et plus particulièrement M. Aguilera. Vous avez indiqué que cela risque d’avoir des répercussions sur vos amis et votre famille à Cuba. S’il devait arriver quelque chose du genre, j’espère que vous le ferez savoir à notre Comité et au gouvernement du Canada pour que nous puissions agir. Nous ne voudrions pas que quelqu’un se retrouve en danger à cause de son témoignage devant le parlement d’un pays libre et démocratique. Je suis certain que nous serions tous très inquiets si cela devait se produire. Je voudrais que cela soit très bien compris.
    Merci à tous nos témoins.
    Merci à un de nos anciens parlementaires qui jouit de notre plus haute considération, monsieur Broadbent.
     Merci, monsieur l’ambassadeur, d’avoir pris le temps... Avec votre emploi du temps chargé, c’est très généreux de votre part d’avoir bien voulu vous présenter devant nous.
    L’audition des témoins est terminée et nous allons prendre une pause.
    Nous n’avons rien d'autre à l'ordre du jour, mais je pense que nous allons devoir examiner la question de l'article publié dans le Globe and Mail le 10 mai, à notre prochaine réunion.
    Merci.
    Monsieur Marston, de quoi voulez-vous parler?
    Deux personnes m’ont fait savoir qu’elles aimeraient témoigner ici. Ce n'était pas prévu, autrement j'aurais fait le nécessaire jeudi dernier.
    L’une d’entre elles est Peter Boyle, le président du Kingston and District Labour Council. Sa collectivité est jumelée à une collectivité cubaine, et il a passé du temps là-bas. Il connaît bien l’actualité du monde du travail et certains problèmes qui existent là-bas. Il connaît un peu les programmes sociaux qui sont en place.
    L’autre est Harry Hynd. Si vous connaissez le nom, monsieur Hynd est un ancien directeur du District 6 du Syndicat des métallurgistes unis. Encore une fois, il a beaucoup voyagé à Cuba et connaît bien les secteurs de la santé et de l’éducation.
    Une des choses que j’ai trouvées très enrichissantes, c’est d’entendre parler les gens qui sont sur le terrain.
    J’aimerais bien que nous les entendions, si c’est possible. J’ai leurs coordonnées, si le comité décide de donner suite.
    Vous me prenez un peu au dépourvu, car nous n’avons pas prévu de travaux futurs à l’ordre du jour. Nous allons toutefois prendre ces noms en considération. Veuillez remettre les coordonnées au greffier.
    Monsieur le président, je me demande si c’est conforme au Règlement de parler de la fuite, de citer des noms et d'agir hors d'un huis clos.
    Les travaux du comité se font très rarement à huis clos de toute façon, mais…
    Comme nous avons dépassé le délai prévu et que la question n’était pas inscrite à l’ordre du jour, je propose de l’examiner dans deux semaines. Nous allons l’examiner à huis clos, comme vous l’avez suggéré, monsieur Sorenson.
    À moins que vous préfériez le faire maintenant.
    Le comité souhaite-t-il qu’on le fasse maintenant?
    Il n’y en a pas beaucoup qui manifestent de l’intérêt. M. Khan est déjà parti, alors pourquoi ne réservons-nous pas cela pour notre réunion qui aura lieu dans deux semaines?
    La séance est levée.