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Je voudrais, tout d'abord, vous remercier de nous avoir invitées à comparaître aujourd'hui.
Maître Lucie Joncas est malheureusement empêchée. Elle devait venir, mais en raison de problèmes de calendrier, elle n'a pas pu être des nôtres. Par contre, je suis ravie que Me Dominique Larochelle ait pu se joindre à nous.
En plus d'être présidente du conseil d'administration de la Société Elizabeth Fry du Québec, Me Larochelle est également avocate travaillant au service d'aide juridique qui connaît donc très bien ce domaine.
Nous avons également beaucoup de chance de pouvoir profiter de conseillers du calibre de Me Joncas et de Me Larochelle. Pour ceux et celles qui peuvent ne pas le savoir, ces dernières font des milliers d'heures de bénévolat pour la promotion des questions auxquelles nous nous intéressons tous.
En conséquence, je voudrais saisir l'occasion de remercier publiquement Mme Larochelle et tous les autres membres de notre conseil d'administration pour leurs conseils et leur dévouement à notre cause.
Pour ceux et celles d'entre vous qui peuvent ne pas le savoir, l'Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry a été conçue en 1969 et a officiellement obtenu le statut d'organisme national à but non lucratif en 1978. Nous sommes une fédération de 26 organismes communautaires qui assurent des services aux femmes et aux filles détenues qui sont marginalisées, criminalisées et victimisées. Nous avons à la fois du personnel rémunéré et des bénévoles, qui participent à la régie de nos organismes d'un bout à l'autre du Canada. Ils se chargent également des programmes et de la prestation des services à l'échelle de l'Association — c'est-à-dire, auprès de nos 26 membres — et les programmes que nous avons élaborés sont exécutés à la base et englobent des activités d'intervention précoce et de prévention, des interventions pré- et postcarcérales, et des interventions dans les établissements proprement dits, qu'elles soient de nature judiciaire ou liées à la santé mentale, à la détention des immigrants ou aux installations carcérales ou de détention.
Au cours de la dernière année, nos bénévoles, qui sont plus d'une trentaine, y compris les administrateurs, ont fait plus de 6 000 heures de bénévolat afin de favoriser l'exécution d'initiatives nationales, ce qui permet de compléter le travail que nous accomplissons, moi et ma collègue — puisque nous ne sommes que deux — au bureau national. Les membres du comité seront probablement intéressés à savoir qu'au sein de nos 26 sociétés membres, plus de 1 500 bénévoles font environ 110 000 heures de bénévolat par année, ce qui permet de compléter le travail exécuté par notre personnel à temps plein et à temps partiel d'un bout à l'autre du Canada.
Au niveau national — je travaille justement au bureau national — nous mettons l'accent sur les initiatives liées à la politique et à la réforme du droit, et à cet égard, nous prenons évidemment appui sur les initiatives prises par nos organismes membres. S'agissant du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture, depuis un certain temps, nous travaillons de pair avec Amnistie Internationale et l'Association pour la prévention de la torture à encourager le gouvernement canadien à mettre en oeuvre et à ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Comme vous l'aurez remarqué dans notre réponse aux quatrième et cinquième rapports soumis par le Canada, le manque important de conformité, par moments, aux protections très importantes et fortement appréciées que renferme notre charte et nos lois sur les droits de la personne suscite énormément de préoccupations, si bien que nous, aussi, nous avons des inquiétudes en ce qui concerne notre conformité aux conventions des Nations Unies.
L'un des éléments sur lesquels nous insistons, par rapport tout particulièrement aux programmes des femmes, est le travail accompli aux Nations Unies, et notamment par la Sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme. Mme Florizelle O'Connor a été recrutée pour faire des recherches, et elle a conclu que la situation des femmes détenues dans le monde entier permettait de conclure à la perpétration de violations flagrantes de presque tous les principes reconnus des droits de l'homme.
Le traitement des femmes dans les prisons canadiennes ne constitue certainement pas une exception et, en ce qui concerne les politiques et pratiques fédérales liées aux délinquantes sous responsabilité fédérales, depuis longtemps nous exprimons nos préoccupations au sujet des diverses façons dont ce traitement contrevient aux dispositions de la Convention contre la torture, ce que nous examinons dans notre mémoire.
Je crois savoir qu'il sera prêt bientôt. Étant donné le peu de préavis que nous avons reçu, nous n'avons pas pu le faire traduire en français en prévision de la réunion d'aujourd'hui, mais il va être distribué en français aussi.
L'Assemblée générale des Nations Unies exhorte les États membres à s'attaquer aux problèmes critiques auxquels sont confrontées les femmes détenues dans divers contextes. Certains éminents organismes canadiens ont également publié des rapports sur la situation des femmes détenues qui ont fait de nombreuses recommandations concrètes sur les moyens que le gouvernement fédéral peut prendre et devrait prendre afin d'améliorer le traitement des détenues.
À cet égard, on peut citer l'exemple du rapport de Louise Arbour. Louise Arbour est actuellement Haut-commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme. Dans le cadre de sa commission d'enquête sur certains événements survenus à la Prison des femmes de Kingston, elle a cité plusieurs exemples du type de protection qui est nécessaire et des violations qui pourraient plus facilement être repérées grâce à cette convention, ce qui permettrait également de protéger le gouvernement du Canada contre tout risque potentiel.
De plus, la Commission canadienne des droits de la personne, dans un rapport intitulé Protégeons leurs droits : Examen systémique des droits de la personne dans les services correctionnels destinés aux femmes purgeant une peine de ressort fédéral, rapport qui a été diffusé publiquement en janvier 2004, indique également que —
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À l'époque, comme les Nations Unies, nous reconnaissions la nécessité de s'assurer que les protections qui sont prévues dans la Déclaration universelle des droits de l'homme soient élargies et soient garanties grâce à la ratification du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture.
En fait, dans ses deux derniers rapports annuels, l'Enquêteur correctionnel a également enjoint le Canada de ratifier le Protocole facultatif et a fait remarquer que le Canada faisait partie du groupe qui a rédigé le texte et voté en faveur de son adoption à l'Assemblée générale des Nations Unies en décembre 2002. L'Enquêteur correctionnel signale également que l'un des avantage du Protocole est le système de visites régulières qu'il établit, ces visites devant être effectuées par des organes internationaux et nationaux indépendants à des endroits où les gens sont privés de leur liberté, et ce afin de prévenir la torture et d'autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.
Il a également précisé que la ratification du Protocole facultatif renforcerait la longue tradition qui existe au Canada en ce qui concerne la promotion et la défense des droits de la personne ici et à l'étranger. Elle permettrait également de réexaminer le rôle et le mandat des organismes de surveillance chargés de contrôler et d'inspecter les lieux de détention et de renforcer ces mécanismes de surveillance, si besoin est.
À notre avis, le besoin du Protocole facultatif au Canada est manifeste. De plus, le Canada ferait bien de jouer un rôle de chef de file à l'échelle internationale en ratifiant cette convention dès maintenant. Nous avons de nombreux exemples de ce besoin dans la lutte qui est menée pour éliminer la torture et les mauvais traitements, qui demeure l'un des plus importants défis auxquels est confronté le monde actuel et le Canada en ce qui concerne les droits de l'homme.
Dans cette lutte mondiale et dans l'ensemble de luttes mondiales qui sont significatives pour les Canadiens, nommons les cas récents de Zarha Kazemi en Iran, de William Sampson en Arabie saoudite, du professeur Kunlun Zhang en Chine, de Maher Arar, d'Abdullah Almalki et d'Ahmad El-Maati en Syrie; tous ces cas nous rappellent brutalement que les citoyens canadiens peuvent faire l'objet de torture à l'étranger également.
Comme je l'ai déjà mentionné, il y a eu aussi des difficultés au Canada, telles que les abus fort inquiétants perpétrés dans les années 1990 à la Prison des femmes de Kingston, et à l'Hôpital psychiatrique Robert-Giffard à Québec en 2003; parlons également du recours actuel à de longues périodes de ségrégation pour les femmes qui font l'objet de ce que le Service correctionnel du Canada qualifie d'un « protocole de gestion » dans les nouvelles prisons des femmes, ce qui souligne la réalité des traitements discriminatoires et de la torture, actes qui sont perpétrés en ce moment au Canada.
Le Protocole facultatif présente un cadre prévoyant des inspections régulières, à l'échelle tant nationale qu'internationale, des centres de détention en vue de repérer et de corriger les conditions qui favorisent et encouragent la torture et les mauvais traitements. L'appui de la communauté internationale vis-à-vis du Protocole facultatif continue à croître. Le 29 avril 2007, comme le sait certainement le comité, le Cambodge est devenu le 34e État à adopter et à ratifier la Convention contre la torture.
Le PFCCT est entré en vigueur le 22 juin 2006, et ce après que 20 pays sont devenus parties au Protocole. La première réunion du Sous-comité de la prévention de la torture s'est réunie à Genève en février.
Selon moi, et selon les membres de notre organisme, le fait que le Canada, qui a joué un rôle de premier plan dans l'introduction de ce protocole, n'ait pas été parmi les premiers États à mettre sur pied cet organe novateur et à définir ses méthodes de travail est une source d'embarras sur la scène internationale.
Mais il n'est pas trop tard pour agir. Le premier comité vient tout juste de se réunir. Je pense qu'il est très important que le Canada prenne sa place parmi ces autres États en décidant de ratifier le Protocole. En ce qui nous concerne, il est très important que le sous-comité, qui est le premier groupe d'experts ayant compétence pour effectuer des inspections des centres de détention à être établi par la communauté internationale, soit ratifié par le comité.
De plus, cela permettrait potentiellement au Canada de démontrer qu'il prend au sérieux ses propres rapports internes, comme ceux de Louise Arbour, de l'Association canadienne des droits de l'homme, et de l'enquête sur Maher Arar, ainsi que les enquêtes qui sont toujours en cours, y compris les multiples enquêtes qui sont effectuées au sujet de la GRC et de la possibilité de prévoir la surveillance par une autorité internationale des pratiques d'isolement cellulaire de la GRC et d'autres forces policières.
Donc, en prenant appui sur son rôle bien établi de chef de file international dans la protection des droits de la personne, le Canada devrait, à notre avis, déployer tous les efforts nécessaires dès maintenant pour participer aux travaux préliminaires du sous-comité et, à cette fin, nous estimons que le Canada doit de toute urgence ratifier le Protocole facultatif sans plus tarder.
Je vous remercie. Voilà qui termine notre exposé. Nous serons à votre disposition pour répondre aux questions des membres quand M. Tremblay aura terminé son exposé.
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Avec la permission du comité, je voudrais faire mon intervention en français, pour être sûr de m'exprimer clairement.
[Français]
L'Association pour la prévention de la torture voudrait d'abord remercier le sous-comité de lui donner la possibilité d'intervenir dans le cadre de cette consultation.
Je voudrais d'abord faire une brève présentation de notre organisation et de son travail en faveur du protocole, pour ensuite exposer l'état des lieux en ce qui a trait à la mise en oeuvre du Protocole facultatif sur le plan international et les raisons pour lesquelles nous considérons que la ratification du protocole par le Canada revêt une grande importance, non seulement pour les citoyens et les citoyennes du Canada, mais pour la réussite de ce système au-delà des frontières du pays.
L'association ou l'APT, comme nous l'appelons, est une organisation non gouvernementale basée à Genève, en Suisse, et qui oeuvre depuis maintenant 30 ans en faveur de la prévention de la torture. L'association a été intimement liée au long processus de négociation et d'adoption du protocole. La paternité de l'idée à la base du protocole, c'est-à-dire l'idée qu'on puisse prévenir la torture et les autres types de mauvais traitements par la mise en place d'un système de visites préventives effectuées sur une base régulière, a été exposée pour la première fois en 1973 par le fondateur de notre association.
Depuis décembre 2002, depuis l'adoption du protocole, l'APT mène, en coordination avec plusieurs organisations non gouvernementales internationales et régionales, une campagne internationale en faveur de ce protocole. Dans le cadre de cette campagne, nous avons entrepris des actions de sensibilisation dans divers forums auxquels participe activement le gouvernement canadien, forums qui ont adopté des résolutions ou des déclarations enjoignant à leurs membres d'adhérer à cet instrument. Je pense notamment au Conseil des droits de l'homme des Nations Unies et à la Commission interaméricaine des droits de l'homme.
Il est vrai que je suis maintenant responsable du programme régional de l'APT pour la zone Asie-Pacifique, mais auparavant, entre septembre 2004 et janvier 2007, j'ai assumé la fonction de coordonnateur de la campagne internationale en faveur de ce protocole. J'ai donc été associé d'assez près à ce genre de discussion dans plusieurs pays.
Je voudrais d'abord rappeler que, comme le disait Mme Pate, en date d'aujourd'hui, 34 États sont parties au protocole et 31 autres l'ont, à tout le moins, signé. Le Canada n'a fait ni l'un ni l'autre. Il n'a toujours pas signé et, évidemment, pas ratifié le protocole. Ces chiffres peuvent sembler modestes, mais il faut se rappeler que le protocole n'est ouvert à la ratification que depuis septembre 2003. Il s'agit en fait d'un rythme très rapide si on le compare à d'autres traités de même nature.
À la suite de l'entrée en vigueur du protocole en juin 2006, le Sous-comité de prévention de la torture des Nations Unies a été élu en décembre dernier par les 20 premiers États parties au protocole. Ce sous-comité est composé de 10 experts indépendants. Le sous-comité entend entreprendre ses premières visites avant la fin de cette année. Ses moyens d'action, pour le moment, sont assez limités, mais ils seront accrus dès lors que 50 États auront ratifié le protocole. À ce moment-là, le nombre d'experts au sein du sous-comité passera à 25. Celui-ci sera, par conséquent, en mesure de faire davantage de visites.
Bien que les membres du sous-comité n'aient pas encore mis la touche finale à leurs règles de procédure, on peut deviner que ce comité opérera de manière plus ou moins similaire au Comité européen pour la prévention de la torture, un organe régional qui effectue des visites périodiques de même nature dans les 47 États membres du Conseil de l'Europe depuis 1989.
La plupart des États qui ont ratifié le protocole à ce jour, et même plusieurs autres États qui l'ont signé et qui sont en voie de le ratifier, ont déjà engagé la procédure qui mènera à la mise en oeuvre du protocole sur le plan interne. Comme vous le savez, le protocole prévoit que les États parties s'engagent à désigner ou à mettre en place un ou plusieurs mécanismes de prévention. Même lorsque le sous-comité comptera 25 experts, il ne sera en mesure d'effectuer que quelques visites par année, ce qui laisse présager qu'il ne visitera les États parties qu'une fois tous les quatre ou cinq ans, dans le meilleur des cas, ce qui rend le travail effectué au plan national d'autant plus important.
Les États disposent d'un an à partir du moment de la ratification pour compléter cette démarche de notification du mécanisme national de prévention en vertu du protocole. Pour les 20 premiers États parties, ce délai arrivera à terme le 22 juin prochain.
Le protocole laisse aux États toute la latitude requise pour qu'ils déterminent eux-mêmes la forme que prendra dans leur pays le mécanisme national. Cependant, peu importe la configuration du mécanisme, il est évident que celui-ci doit respecter un certain nombre de garanties qui sont énoncées dans la quatrième partie du protocole.
Il est intéressant pour les États de regarder ce qui se fait ailleurs afin de puiser de l'inspiration, surtout dans les pays qui sont dotés de caractéristiques similaires, notamment sur le plan de la justice criminelle. Dans le cas du Canada, il serait intéressant de savoir ce que les autres pays, par exemple du Commonwealth, sont en train de mettre en place, mais il est évident qu'il n'y a aucun modèle qui pourrait être pris tel quel, parce que chaque État est différent.
Nous n'avons pas tellement le temps d'aborder les modèles proposés, mais l'APT est prête à mettre cette information à la disposition des membres du sous-comité, s'ils le désirent.
En ce qui concerne le Canada, j'aimerais simplement exposer les arguments qui militent en faveur de la ratification et j'espère ne pas répéter ce qui a été dit par Mme Pate, dont j'ai quand même écouté une partie de l'intervention.
Tout d'abord, quelque chose qui nous apparaît évident : le Canada a toujours donné un appui indéfectible aux instruments et aux mécanismes internationaux chargés de la lutte contre la torture, notamment au Protocole facultatif. Le Canada a envoyé des signes clairs à l'effet que cet engagement devait mener à l'adhésion au protocole.
La lutte contre la torture, on le sait, s'inscrit depuis plusieurs années parmi les priorités de la politique étrangère du gouvernement canadien en matière de droits de la personne. Le Canada a fréquemment parrainé les projets de résolution sur la torture, qui ont été soumis à la Commission des droits de l'homme. Le Canada est l'un des principaux contributeurs au Fonds des Nations Unis pour les victimes de torture. Le Canada fut un des premiers États à ratifier la Convention contre la torture. Le Canada a même fait partie du groupe de travail qui a oeuvré, entre 1992 et 2001, à l'élaboration du projet de protocole facultatif. Finalement, le Canada a voté en faveur du protocole à la Commission des droits de l'homme en avril 2002 et, subséquemment, à l'Assemblée générale, en décembre 2002.
On sait également que lorsqu'il a posé sa candidature pour l'obtention d'un siège au nouveau Conseil des droits de l'homme des Nations Unies, en mai 2006, le Canada s'est engagé à envisager la signature ou la ratification ultérieure d'autres instruments des droits de la personne, tel que le Protocole facultatif à la Convention contre la torture. Le Canada a finalement été élu et il siégera jusqu'en 2009. À notre sens, il doit, conséquemment, donner suite à ses promesses.
Par ailleurs, la ratification, nous semble-t-il, va redorer le blason du pays sur la scène internationale. On sait, pour être basés à Genève, que le Canada a toujours joui d'une réputation somme toute enviable en matière de respect et de promotion des droits humains dans le monde. Mais on sait également que récemment, des incidents regrettables, que ce soit l'affaire Maher Arar, les allégations de mauvais traitements à l'encontre de détenus capturés par les Forces canadiennes dans le sud de l'Afghanistan et remis aux autorités afghanes, ont entaché cette réputation en donnant l'impression aux observateurs internationaux que le Canada ne traite peut-être plus ces questions hautement sensibles avec tout le sérieux qu'elles méritent.
Par ailleurs, le Canada est quand même un acteur de poids au sein de plusieurs organismes multilatéraux. Évidemment, on pense à l'ONU, mais on pense également au Commonwealth, à l'Organisation internationale de la Francophonie, à l'Organisation des États américains, à l'APEC, à la Communauté économique de l'Asie-Pacifique. S'il ratifiait le protocole, le Canada pourrait user de l'autorité morale que cela lui conférerait pour promouvoir cet instrument dans de nombreux États membres de ces instances, notamment auprès de ceux qui sont véritablement aux prises avec un problème aigu de mauvais traitements. Pour le moment, le Canada, n'ayant pas ratifié ni même signé le protocole, n'est pas en mesure de faire ce travail.
Un autre argument important, à notre sens, est que la ratification et la mise en oeuvre du protocole aideront le Canada à respecter ses obligations internationales. En ratifiant la Convention contre la torture, le Canada s'est engagé à prendre les mesures nécessaires pour empêcher que des actes de torture ou d'autres traitements cruels, inhumains ou dégradants ne soient commis sur son territoire. Cette obligation est énoncée à l'article 2 de la convention.
Bien que l'établissement de systèmes de visites préventives ne saurait garantir que des sévices ne se reproduiront plus, il est clair que cette mesure en diminue clairement le risque. Les visites préventives, on le sait car cela a été rappelé par de nombreux experts internationaux, y compris les rapporteurs spéciaux des Nations Unies sur la torture, ont un effet dissuasif.
Les mécanismes de visite, s'ils agissent de manière préventive, pourront donc agir en amont et permettront d'effectuer des visites avant que des plaintes soient émises. Cela permettra donc aux autorités responsables de la gestion de ces établissements de savoir quels correctifs doivent être apportés.
Par ailleurs, comme le disait Mme Pate, le Comité contre la torture, en novembre 2005, recommandait explicitement au Canada d'adhérer au Protocole facultatif. Il nous semble que le Canada a la responsabilité de donner suite à cette recommandation.
J'en viens au quatrième point. Il existe un risque de torture ou d'autres mauvais traitements tant au Canada qu'ailleurs dans le monde. La mise en oeuvre du protocole contribuera à réduire ce risque. On le sait, et Mme Pate l'a dit, il est évident que le Canada ne figure pas en tête de liste des États où des mauvais traitements sont pratiqués, mais il y a quand même des événements qui devraient nous rappeler à la vigilance. On pense évidemment aux allégations de mauvais traitements à la prison des femmes de Kingston et à la commission d'enquête qui a été dirigée par Mme Arbour. Mme Pate faisait référence aux mauvais traitements au Centre hospitalier Robert-Giffard de Québec. On peut penser également aux mauvais traitements de prisonniers qui avaient été détenus par le contingent canadien déployé en Somalie en 1993. Le Canada n'est pas à l'abri de ce risque.
D'ailleurs, on n'a qu'à regarder ce qui se fait en Europe. En Europe, ce ne sont pas non plus des États reconnus pour pratiquer la torture de manière systématique. Ces États, dans leur vaste majorité, ont déjà des mécanismes agissant sur le plan national. Le Comité européen pour la prévention de la torture auquel je faisais référence fait des visites périodiques. Néanmoins, la majorité de ces États ont reconnu la pertinence de signer ou de ratifier le protocole pour envoyer un signal politique fort que la torture est inacceptable en toutes circonstances, que le risque existe et qu'il est toujours préférable d'avoir davantage de systèmes de visite.
On retrouve, au nombre des États qui ont signé et ratifié le protocole, pas moins de 20 États membres de l'Union européenne, dont les pays les plus influents. La Grande-Bretagne, la Pologne et l'Espagne l'ont ratifié, et la France, l'Italie et l'Allemagne ont signé le protocole et s'apprêtent à le ratifier.
Par ailleurs, en pratique, la mise en oeuvre du protocole au Canada ne devrait pas poser énormément de problèmes. Évidemment, il y a des questions qu'il faut analyser en profondeur, mais le concept de visites aux lieux de détention par des experts indépendants n'est pas inconnu au Canada. On le sait, il y a plusieurs mécanismes qui font déjà ce travail. On pense au Bureau de l'enquêteur correctionnel, qui visite les établissements correctionnels sous juridiction fédérale, et aux commissions des droits de la personne dans la plupart des provinces ou territoires, qui font également ce travail de surveillance.
Il y a également d'autres agences spécialisées, par exemple le Mental Health Patient Advocate for the Province of Alberta et l'Office of the Police Complaint Commissioner de la Colombie-Britannique. On pense à la Société canadienne de la Croix-Rouge, qui visite les personnes détenues en vertu de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, et à certaines organisations non gouvernementales, dont celle représentée par Mme Pate. C'est un concept qui est accepté, qui est reconnu. Le Canada n'a absolument rien à craindre, si je peux me permettre de dire cela. Cela va de soi au pays.
J'aimerais simplement compléter mon intervention en disant quelques mots sur les défis qui sont posés par la mise en oeuvre au Canada et sur lesquels on pourra revenir.
Il y a évidemment la nature fédérale du pays. Notre association reconnaît d'emblée que les États fédéraux et décentralisés font face à des défis particuliers lorsque vient le temps de mettre en oeuvre le protocole. Il faut s'y atteler. Par ailleurs, nous sommes persuadés que ces défis ne sont pas insurmontables. Il suffit de regarder, encore une fois, la liste des États parties. Le Royaume-Uni, l'Espagne, le Mexique et l'Argentine ont ratifié le protocole, de même que le Brésil, qui est également une fédération. On sait par ailleurs que l'Allemagne, l'Autriche, la Suisse, l'Afrique du Sud, d'autres fédérations, ont signé le protocole. C'est dire que si la volonté politique existe, on peut avancer.
Évidemment, il y a la question des ressources financières qui seront allouées à la mise en oeuvre du protocole. L'APT a constaté, au Canada et ailleurs, que les officiels gouvernementaux veulent avoir une idée des coûts qui seront engendrés par la mise en oeuvre du protocole, ce qui est légitime. Il faut voir, dans le cas du Canada, que celui-ci, comme je le disais plus tôt, n'est pas obligé de créer un nouveau mécanisme. Il peut très bien désigner en tant que mécanisme national de prévention un ou plusieurs organes préexistants, dans la mesure où ces organes se conforment aux garanties qui se trouvent dans le protocole.
Par ailleurs, il est probable que le nombre de visites effectuées doive être augmenté, dans la mesure où les visites qui sont effectuées au Canada par des organes indépendants, pour le moment, sont plutôt de nature réactive et non préventive. Il faudra également que les mécanismes permettent d'effectuer des visites inopinées, des visites surprises, si la situation l'exige.