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INAN Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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Emblème de la Chambre des communes

Comité permanent des affaires autochtones et du Nord


NUMÉRO 044 
l
2e SESSION 
l
43e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 22 juin 2021

[Enregistrement électronique]

(1115)

[Traduction]

     Je tiens d'abord à souligner qu'à Ottawa, nous nous réunissons sur le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin.
    Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le 29 avril 2021, le Comité se réunit dans le cadre de son étude sur la traite des Autochtones à des fins sexuelles.
    Pour assurer le bon déroulement de la réunion, je vais passer en revue quelques-unes de nos pratiques exemplaires.
    Je rappelle aux participants qu'ils peuvent s'exprimer et écouter les délibérations dans la langue officielle de leur choix. Au centre de la partie inférieure de votre écran, vous verrez un globe. En cliquant dessus, choisissez l'anglais ou le français comme langue de choix. Ensuite, si vous souhaitez parler dans l'autre langue, il n'est pas nécessaire de procéder à des ajustements techniques, mais vous devez sélectionner la langue de votre choix lorsque nous commencerons, alors soyez attentifs.
    Quand vous prenez la parole, assurez-vous de parler lentement et clairement. Lorsque vous n'avez pas la parole, votre micro doit être en sourdine.
    Nous recevons aujourd'hui, pendant le reste du temps qui nous est imparti, Trisha Baptie, coordonnatrice des services communautaires d'EVE, et Karen Pictou, directrice générale de la Nova Scotia Native Women's Association. Nos témoins feront des déclarations préliminaires, qui durent chacune habituellement environ six minutes. Toutefois, nous vous accorderons tout le temps dont vous avez besoin pour que vous puissiez nous faire part de vos sentiments.
    Sachez que, durant la période des questions, vous ne serez pas obligées de répondre à celles qui pourraient vous mettre mal à l'aise. Nous comprenons la nature délicate du sujet, alors ne vous sentez jamais tenues de répondre à une question ou à une observation qui vous mettrait mal à l'aise.
    Sur ce, j'invite Karen Pictou, directrice générale de la Nova Scotia Native Women's Association, à nous faire son exposé.
    Je vous remercie. La parole est à vous.
    Merci à tous de m'avoir invitée à prendre la parole aujourd'hui au cours de cette séance très importante. Je tiens à vous présenter mes excuses d'entrée de jeu. En effet, j'ai été convoquée tard la semaine dernière et je n'ai pas eu le temps de me préparer aussi complètement que j'aurais normalement aimé le faire. J'ai écrit quelques notes d'allocution, mais je vais également improviser un peu. Sentez-vous libres de me poser toutes les questions que vous voulez à la fin.
    Je m'appelle Karen Pictou, et je suis une Micmaque de la Première Nation de Millbrook, en Nouvelle-Écosse. Je suis mère de quatre filles et j'ai trois petits-fils. Je suis la fille de Bill Pictou et de Philippa Pictou. J'agis à titre de directrice générale de la Nova Scotia Native Women's Association, un rôle que j'ai assumé il y a trois ans en suivant mon cœur. J'ai quitté une carrière bien établie que je m'étais bâtie dans le secteur du développement de l'emploi et des partenariats chez les Premières Nations, mais, dans un acte de foi, j'ai endossé ce rôle, car je sentais qu'il correspondait à l'élan de mon cœur, à mon expérience de vie et à ce qui me fait me sentir bien dans le travail que je fais. J'ai le sentiment d'apporter beaucoup à ce poste grâce à ce que j'ai appris non seulement à l'école ou au cours de ma carrière, mais aussi au cours de ma vie. Je suis une Micmaque qui a passé son enfance en dehors des réserves, qui est ensuite allée vivre sur une réserve, qui a été mère à l'adolescence, qui a été victime de violence sexuelle et conjugale et qui a été, comme au moins une personne ici présente le sait, victime de traite de personnes.
    Je sens que mon expérience de vie me permet de boucler la boucle dans ce poste et que j'ai une incidence bénéfique, pas seulement au sein de ma communauté ou en Nouvelle-Écosse, mais également auprès de toutes les femmes, les filles et les personnes bispirituelles autochtones du pays.
    Je prends ce rôle avec grand sérieux et je m'y investis entièrement. Quand je l'ai assumé, il y a trois ans, je ne savais pas grand-chose de la Nova Scotia Native Women's Association. Je connaissais l'essentiel, soit qu'il s'agit d'une entité forte d'une longue histoire qui exprime les besoins de femmes autochtones de la province. Depuis mon entrée en poste, toutefois, j'en ai appris beaucoup plus.
    La Nova Scotia Native Women's Association est en fait la troisième organisation micmaque de la Nouvelle-Écosse au chapitre de l'ancienneté. La publication du Livre blanc de 1969 a donné lieu chez les Micmacs de la Nouvelle-Écosse à un important soulèvement politique qui a mené à la création de nos premières organisations micmaques en 1969 et 1970: le Micmac News à Membertou et l'Union of Nova Scotia Indians, qui s'appelle maintenant l'Union of Nova Scotia Mi'kmaq et qui est l'un des deux conseils tribaux en Nouvelle-Écosse.
    À l'époque, le Livre blanc indiquait clairement que le gouvernement du Canada voulait provoquer l'extinction des peuples autochtones du Canada au moyen de ses politiques. Les femmes autochtones du pays étaient toutefois déjà menacées d'extinction en raison des politiques gouvernementales et de la Loi sur les Indiens. La situation n'était pas nouvelle pour les femmes micmaques de la Nouvelle-Écosse, mais elle a fini par toucher tous les Micmacs de la province.
    Même après l'échec de la mise en œuvre de la politique du Livre blanc, le soulèvement politique s'est poursuivi et nous avons continué de prendre conscience de nos droits. Cependant, à l'époque, les femmes autochtones étaient toujours exclues de la sphère politique, que ce soit dans la province ou sur les réserves. Peu après, deux de nos femmes ont été élues cheffes pour la première fois en Nouvelle-Écosse. Une membre de la communauté de Membertou appelée Helen Martin s'est rendue dans chacune de nos communautés en 1970 pour réunir les femmes et parler des questions du jour. Toutes les femmes ont convenu qu'il fallait faire quelque chose pour résoudre les problèmes, contrer la menace à la survie des femmes autochtones et défendre leurs droits d'être des Micmaques et de faire partie des nos communautés et de tout ce qui en fait partie.
    Elles ont alors décidé à l'unanimité de fonder, en 1972, la Nova Scotia Native Women's Association, dont nous célébrerons le 50e anniversaire l'an prochain.
    Cependant, même si la Nova Scotia Native Women's Association est l'une des organisations micmaques les plus anciennes et les plus reconnues dans la province, nous continuons d'éprouver des difficultés et d'être en mode de survie.
    Il y a environ trois ans, nous avons enfin reçu du financement de base à long terme de la province et, peu après, un financement de base à court terme plus modeste du gouvernement fédéral. Je crois comprendre que le financement de base fédéral a maintenant été réduit, en dépit de l'augmentation de la capacité et du travail. Le gouvernement fédéral nous demande de travailler davantage pour participer à la lutte contre la traite de personnes, de contribuer au développement économique des femmes et des filles autochtones et de favoriser la guérison de nos communautés.
     Cette augmentation ne s'accompagne toutefois pas d'un financement de base nous permettant de sortir du mode de survie ou du financement fondé sur des propositions. Il faut fournir ce financement pour lutter contre la traite de personnes. La Nova Scotia Native Women's Association est la seule organisation autochtone de la Nouvelle-Écosse qui agit contre la traite de personnes en offrant du soutien et des services aux personnes touchées par la traite de personnes, aux victimes actuelles de ce fléau et à celles qui se sortent de ce milieu.
    Un certain nombre de défis nous rendent plus vulnérables, dont le colonialisme. C'est le premier problème, n'est‑ce pas? Le colonialisme a complètement chamboulé le mode de vie de notre peuple et la manière dont les gens voient les rôles associés à chaque sexe. Les Micmacs attribuaient à chaque sexe des rôles très stricts, ce qui ne signifie pas que les femmes étaient moins bien considérées, certainement pas. Elles étaient très bien considérées, comme l'étaient les personnes bispirituelles. Le colonialisme a toutefois changé la donne et tout bouleversé.
    Je suis désolée, j'ai l'impression de radoter un peu. Je vais revenir au sujet qui nous occupe.
    En 2014, la Nova Scotia Native Women's Association a ouvert le Jane Paul Indigenous Women's Resource Centre en regard du nombre élevé de femmes et de filles autochtones qui vendaient des services sexuels sur les rues de Sydney, en Nouvelle-Écosse. Dans une ville comptant quelque 25 000 habitants, il y avait au moins 80 femmes et filles autochtones qui travaillaient sur deux pâtés de maisons de Sydney, soit l'équivalent de plus de 800 femmes non autochtones sur deux pâtés de maisons.
    Le problème est criant. Nous le voyons. Nous voyons ces femmes tout le temps. Je ne sais pas, toutefois, si la plupart des habitants de Sydney les voient vraiment. Ils les considèrent comme un obstacle et veulent les repousser dans les zones industrielles, ce qui ne fera qu'empirer le problème.
    Le centre Jane Paul est unique en son genre. Je ne connais rien d'équivalent à proximité dans la région de l'Atlantique. Nous avons commencé dans un petit espace à bureau où je suis actuellement assise. Il mesure environ 500 pieds carrés. C'est ici que nous avons commencé. Ces dernières années, nous avons pu prendre de l'expansion en occupant le sous-sol de l'édifice, qui nous offrait de l'espace pour aménager un atelier et une pièce pour tenir des consultations privées. Cette année, nous organisons une grande ouverture. Nous occupons 95 % de l'édifice et nous pouvons offrir des services là où il y a encore des manques.
    Il reste encore certaines choses à accomplir. Par exemple, il faut que nos femmes aient accès à un avocat en droit de la famille. Un grand nombre de femmes qui fréquentent quotidiennement le centre ressentent les contrecoups de la pauvreté, du système de protection de l'enfance, de la peine et de la perte. Elles portent les séquelles des pensionnats autochtones ou descendent de survivants des pensionnats. Un grand nombre de nos femmes ont le micmac comme langue maternelle et préfèrent s'exprimer dans cette langue. Nombre d'entre elles sont victimes de violence et sont concernées par les cas de femmes et de filles autochtones disparues et assassinées en Nouvelle-Écosse.
    Elles arrivent ici avec d'énormes obstacles, mais aussi avec beaucoup d'espoir, et ici, au centre, nous misons sur cet espoir. Nous tentons de nourrir leur espoir et de leur conférer les outils dont elles ont besoin pour survivre, pour prospérer et pour avoir des options. Je pense que c'est ce qui est le plus important quand on veut les aider à fuir la traite de personnes. Nous pouvons sortir quelqu'un de cette vie, mais quelles seront ses options? Comment ces femmes pourront-elles assurer leur subsistance afin de ne pas retourner à leur ancienne vie, de pouvoir se loger à un endroit sécuritaire, de pouvoir lutter afin d'avoir de nouveau accès à leurs enfants et de pouvoir faire toutes ces choses? Si elles ne peuvent y parvenir, je peux vous garantir qu'elles retourneront à leur ancienne vie, tout atroce soit-elle.
(1120)
    Le centre Jane Paul compte parmi son effectif une conseillère à temps plein et des coordonnatrices de programme. Nous venons juste d'ouvrir un nouvel espace appelé Marketspace, où les femmes peuvent s'adonner à l'artisanat. Elles peuvent s'asseoir avec une aînée ou une personne de soutien culturel pour parler et acquérir de nouvelles compétences. Une fois leur œuvre terminée, nous la leur achetons et l'exposons dans notre Sisterness Trading Post, situé juste à côté du centre. Le grand lancement aura bientôt lieu en ligne, donc j'en reparlerai plus tard.
    Elles peuvent ainsi obtenir de l'argent immédiatement et aller chercher ce dont elles ont besoin. Elles peuvent descendre manger avec d'autres femmes, aller à notre banque alimentaire, suivre un atelier ou obtenir des aiguilles propres, des condoms ou tout ce dont elles ont besoin sur le moment.
    Le principal, c'est qu'elles participent à une activité culturelle. Elles bénéficient d'un milieu qui les soutient et quittent le centre le ventre plein et avec de l'argent en main. Elles ne devront peut-être pas retourner à la rue ce soir‑là.
    La traite de personnes adopte diverses formes. Oui, elle commence de manière classique avec un homme charmant qui accoste une jeune fille, la cajole, lui fait miroiter une vie de rêve dans une grande ville et l'emmène avec lui. Cela arrive, bien entendu. Cela se produit chaque jour ici, en Nouvelle-Écosse. Nous le voyons.
    Bien souvent, toutefois, cela arrive à nos femmes parce qu'elles sont vulnérables, en détresse ou peut-être victimes du système de protection de l'enfance. Leurs parents ont peut-être des problèmes de dépendance. Elles sont peut-être vulnérables en raison de la pauvreté ou d'un manque de logement ou d'instruction. Elles deviennent ainsi la proie de diverses choses et tombent dans l'univers de la drogue et dans ce genre de problèmes.
    La plupart du temps, elles ne se considèrent pas comme des victimes de la traite de personnes. Elles affirment « Non, c'est mon petit ami, il m'aime. » Ton copain t'aimerait‑il encore si tu lui disais « non », si tu n'allais pas travailler dans la rue ce soir? T'aimerait‑il encore si ton argent ne servait pas à satisfaire sa dépendance? La réponse risque d'être « non ».
    Pour un grand nombre de ces femmes, il est très difficile de se voir comme une victime de la traite de personnes. Elles ont l'impression d'avoir le choix. Une fois le choix fait, elles doivent composer avec ses aléas, et c'est le seul choix qui s'offre à celles. Ce n'est tout simplement pas vrai.
    Ce que nous espérons accomplir ici, c'est trouver l'espoir au milieu du désespoir, pas isoler les femmes et leur dire qu'elles doivent quitter leur copain parce qu'il leur fait du tort. Non. Il faut leur conférer les outils pour qu'elles fassent elles-mêmes le choix.
    Je pourrais parler encore et encore...
(1125)
    Nous devons passer à autre chose, car nous avons quatre autres...
    D'accord. Je suis désolée.
    Je terminerai en parlant de notre prochaine grande initiative, puis je laisserai le reste pour la période de questions.
    Dans tout le travail que nous faisons concernant la traite de personnes, la violence conjugale, les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et tous les problèmes auxquels nous nous attaquons, nous réfléchissons à ce dont nous avons besoin pour mener ce travail à bien. L'une des principales lacunes qui existent ici, en Nouvelle-Écosse, c'est l'absence de lieu sécuritaire pour guérir. Il n'en existe absolument aucun.
    Nous pourrions aller dans un hôtel, mais ce n'est pas sécuritaire, car il y a des gens qui y consomment de l'alcool. Nous ne pouvons pas y faire de purification par la fumée et y tenir de cérémonies. Nous pouvons aller dans un centre de villégiature, mais le problème reste le même. Il n'existe en Nouvelle-Écosse absolument aucun endroit sécuritaire où les Autochtones peuvent guérir les traumatismes complexes qui les hantent plus depuis des centaines d'années. Il faut que cela change.
    Je sais que Mme Zann a chanté les louanges de notre centre de résilience. Il faut que ce projet se concrétise. Nous avons présenté une demande au programme d'énergie verte inclusive et préparé un plan de faisabilité. Le projet est largement accepté par les organisations micmaques de la province et doit maintenant aller de l'avant.
    Je vous demande instamment de faire savoir à la ministre McKenna à quel point ce projet est important pour nous afin que nous puissions guérir. Il faut que ce centre soit dirigé par des femmes autochtones et établi dans un lieu sécuritaire appartenant à des femmes autochtones.
    Je vous remercie beaucoup.
(1130)
    Je vous remercie beaucoup de cet exposé.
    Nous allons accueillir nos deux autres témoins. Madame Baptie, vous serez la prochaine à prendre la parole.
    Comme vous venez de vous joindre à nous, je vous informe qu'il y a un globe situé au centre, en bas de votre écran. Quand vous sélectionnez ce globe, vous avez le choix entre « anglais » ou « français ». Choisissez la langue dans laquelle vous voulez entendre les délibérations. Quand vous parlez, vous pouvez passer d'une langue à l'autre, mais vous devriez toujours choisir « anglais » ou « français » sur cette icône.
    Cela étant dit, nous entendrons maintenant Mme Baptie.
    Je vous remercie de témoigner, madame Baptie. Vous avez la parole.
     Je vous remercie beaucoup de m'avoir invitée.
    Ce n'est qu'à la fin de la semaine dernière que j'ai appris que je devais témoigner. Comme le témoin précédent, donc, j'ai préparé mes notes un peu à la hâte. J'espère que vous ferez preuve de patience.
    Je n'ai pas assez de six minutes, mais j'espère avoir préparé quelque chose de vaguement cohérent.
    Je vous parle depuis Vancouver, sur les territoires non cédés des peuples Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh.
    Par tradition, depuis environ 20 ans, les activités commencent par une reconnaissance des terres traditionnelles sur lesquelles on se trouve, et je pense qu'il est bon de nous rappeler où nous sommes. Mais quand des non-Autochtones s'adressent à des personnes ayant mon apparence, cette reconnaissance doit nous inviter à examiner plus en profondeur l'histoire du lieu où nous nous tenons. La reconnaissance du territoire traditionnel est un code pas très subtil pour parler des terres volées et, particulièrement aujourd'hui, comme nous discutons des femmes et des filles autochtones, il est impératif que les colonisateurs comprennent que le vol des terres a complètement déstabilisé les peuples autochtones, et particulièrement les femmes et les filles. Nous devons réfléchir à ces mots, énoncer clairement les problèmes et déterminer comment ils cadrent avec le sujet dont nous discuterons aujourd'hui.
    Je tiens à souligner sans détour, aux fins du compte rendu, que je ne suis pas une Autochtone. Le père d'un de mes fils appartient à une bande de [Difficulté technique], mais je ne peux témoigner de l'expérience autochtone. Je peux toutefois parler de ce que j'ai vécu avec mes amies et leurs familles quand elles m'ont invitée dans leurs vies, ainsi que des personnes formidables que j'ai rencontrées aux quatre coins du pays dans le cadre de mon travail. Je peux parler des mauvais traitements infligés à mes amies par la police, des travailleurs sociaux, des hommes et la société en général.
    J'expliquerai brièvement qui je suis. Je suis une survivante du système gouvernemental de protection de l'enfance. J'ai été appréhendée juste avant mon 13e anniversaire, moment auquel j'ai également fait connaissance avec le monde de la traite et de la prostitution. J'en suis sortie à 28 ans, après 15 ans d'exploitation. Certaines de mes amies sont encore victimes d'exploitation sexuelle.
    Un grand nombre de mes amies et moi-même avons commencé à être exploitées sexuellement quand nous étions mineures. Je trouve exaspérant que certains souhaitent fixer une limite d'âge arbitraire — à 18 ans, par exemple — à partir de laquelle les filles et les femmes choisissent la prostitution. Je voudrais qu'ils m'indiquent à quoi nous aurions pu avoir accès et comment nous aurions pu nous sortir de cette vie. Étant caucasienne, j'ai eu une ou deux occasions de plus de fuir ce milieu, mais mes amies autochtones avaient peu ou pas d'options qui auraient pu les sauver de l'exploitation sexuelle violente continuelle.
    Nous avons perdu des amies chères qui ont été victimes d'un tueur en série et traversé des horreurs dont je vous ferai grâce. J'ai assisté au procès de Robert Pickton à titre de journaliste citoyenne et mon curriculum vitae est fort long.
    Nous avons devant nous une question, bien qu'elle soit formulée comme un énoncé. Pourquoi l'exploitation sexuelle est-elle aussi élevée parmi les Autochtones, alors qu'elles représentent un faible pourcentage de la population? Et si nous oubliions cette question, en fait? Nous savons pourquoi. Les femmes et les filles sont exploitées pour satisfaire la demande d'hommes qui paient pour recevoir des services sexuels. Elles sont plus vulnérables parce que sur leurs territoires ou dans le cas où de nombreux jeunes sont confiés à des familles d'accueil, la vie peut être horrible et elles [Difficulté technique].
    Et si nous laissions tomber toute la question et la conversation, et nous nous demandions pourquoi nous pensons que les hommes devraient pouvoir payer pour obtenir des services sexuels? Où est la politique juridique contraignante ou le droit de la personne qui stipule que l'obtention de services sexuels contre de l'argent est un acte protégé? En quoi le fait de laisser n'importe quel Canadien payer pour obtenir des services sexuels contribue‑t‑il à rendre la société plus sécuritaire pour les femmes et les filles autochtones, ou pour quiconque, à vrai dire?
(1135)
    Nous faisons en sorte que le sexe demeure consensuel en n'en faisant pas le commerce, et la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation nous aide à cet égard.
    Je suis très férue des principes juridiques et des menus détails. Je veux donc traiter de la contestation des lois canadiennes sur la prostitution qui a été entreprise en Ontario, car cela aurait des répercussions non seulement sur toutes les femmes, mais particulièrement sur les femmes et les filles autochtones. En Ontario, certains voudraient invalider l'article 213 sur l'interférence à la circulation; le paragraphe 213(1.1) sur la communication dans un lieu public; et les dispositions sur l'achat — c'est‑à‑dire l'achat de services sexuels —, les avantages matériels — ou le gain monétaire acquis grâce à la prostitution d'autrui — et le recrutement. Ils veulent décriminaliser le recrutement.
    Dans quel quartier se trouveraient les rues où on se livre à la prostitution? Je vis dans un quartier pauvre. C'est là que la prostitution se ferait: dans mon quartier. Dans quelles écoles ou dans quelles foires de l'emploi le recrutement s'effectuerait‑il? Où installerait‑on les affiches publicitaires? Presque toutes les dispositions relatives à la prostitution qu'on cherche à invalider ont un caractère prédateur, car c'est une tierce partie qui recrute, qui vend et qui fait de la publicité... une tierce partie. De plus, il s'agit seulement de jeunes femmes, n'est‑ce pas? On ne parle pas de femmes instruites de 40 ans à la carrière bien établie, mais de jeunes marginalisées et vulnérables. Nous devons sérieusement y réfléchir.
    On utilise des euphémismes comme « filles de joie » pour parler de la prostitution, mais fondamentalement, c'est la même chose: des hommes qui exploitent des femmes. Les proxénètes et les trafiquants deviendraient des hommes d'affaires. Si le Code criminel est modifié, l'exploitation et la maltraitance deviendront légitimes. Toutes ces lois empêchent les parasites ou les prédateurs de tirer profit de la maltraitance d'autrui. La Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation a été bénéfique pour les femmes et toute personne vendue, car elle a modifié la manière dont elles sont considérées. Ces femmes étaient censées obtenir de l'aide.
    Je sais que mon temps est écoulé et je ne veux pas le dépasser. Je sais qu'il y a beaucoup d'autres témoins. Je vais simplement formuler deux dernières remarques.
    Jamais, au cours de mes amitiés — que j'entretiens toujours avec mes amies autochtones —, je n'ai cessé d'être consciente que nous sommes traitées différemment en raison de notre apparence. C'est un sentiment vraiment désagréable, mais j'ai appris très tôt dans la vie à tenter de m'investir dans les situations, si je le peux, afin de tirer parti de mon apparence. Les femmes et les filles qui sont exploitées, qui risquent d'être victimes de la traite de personnes et qui vivent à proximité de camps où vivent des hommes et de sites d'extraction de ressources naturelles et qui composent quotidiennement avec cette menace bien réelle ont besoin d'interventions qui ont des bénéfices pour elles, pas pour quelqu'un d'autre. C'est le dernier point que je veux souligner.
    Je sais que mon temps est écoulé, mais il y a tant à dire. Je terminerai donc mon exposé en disant ce qui suit: les Autochtones — les femmes, les filles, mes amies et mes êtres chers — méritent une vie un million de fois meilleure que celle qu'elles vivent actuellement. Enfin, il n'y a pas d'eau potable! Comment pouvons-nous lutter contre la traite de personnes si nous nous battons pour avoir de l'eau?
(1140)
    Je veux vivre le reste de ma vie sans porter en terre une seule amie de plus. À l'heure actuelle, nous enterrons nos filles, malheureusement.
    Si les choses ne changent pas de façon drastique, si les Autochtones ne reçoivent pas ce dont ils ont besoin pour se remettre du traumatisme qui les hante quotidiennement et ce qui leur revient de droit, et si le Canada ne se plie pas aux usages de ses premiers habitants au lieu d'exiger l'adhérence aux pratiques coloniales, les choses ne changeront pas et je continuerai d'enterrer des amies. Cela me brise le cœur.
    Je vous remercie.
    Je vous remercie beaucoup, madame Baptie.
    Dans le cadre de notre séance d'aujourd'hui, nous devons, bien entendu, procéder à un tour de questions. C'est un volet très important de la séance, car nous devons voir comment nous sommes influencés par ce que nos témoins nous disent.
    Nous pourrons poser nos questions, mais pour l'heure, nous devons encore entendre deux témoins, soit Mme Perrier et Mme Gobert.
    Madame Perrier, vous disposez de six minutes ou du temps dont vous sentez avoir besoin.
    Je voudrais d'abord reconnaître que je suis ici sur le territoire traditionnel des Mississaugas de New Credit, qui sont visés par le Traité du wampum à deux rangs.
    Je représente Sextrade101 et les nombreuses femmes et filles anishinabées qui sont réduites à l'état d'esclaves en raison de la prostitution ou de la traite de personnes.
    Je m'appelle Wasayakwe. Mon nom anglais est Bridget Perrier. Je suis née à Thunder Bay, en Ontario, et j'ai été placée en adoption. J'ai été adoptée par une bonne famille qui a tenté de m'élever le mieux possible, mais en grandissant, les effets du colonialisme, du traumatisme intergénérationnel et de la violence sexuelle subie dans l'enfance ont fait de moi une candidate parfaite pour la prostitution.
    J'ai été séduite et attirée vers la prostitution à l'âge de 12 ans alors que je résidais dans une maison de groupe tenue par un organisme de protection de l'enfance. Je suis demeurée esclave de la prostitution pendant 10 ans. On m'a vendue à des hommes qui se sentaient privilégiés de me voler mon innocence et d'envahir mon corps. J'ai dû parader comme une vache de concours devant des hommes qui pouvaient m'acheter, et aucune petite fille ne devrait avoir à poser des gestes que j'ai dû poser au Canada, une terre de liberté.
    À cause des hommes, je ne peux pas avoir d'enfant normalement en raison d'un traumatisme à mon col de l'utérus. Aujourd'hui encore, je fais des cauchemars et je dors parfois avec la lumière allumée. Mon traumatisme est profond et j'ai parfois l'impression d'être gelée ou pire, endommagée et sans valeur.
    J'ai été vendue dans des établissements légaux, sur des coins de rue et dans des clubs de strip-teaseuse. À l'âge de 13 ans, j'ai même effectué quelques périples autour des Grands Lacs pour offrir mes services aux hommes d'équipage de navires. Ce qu'il m'est arrivé de plus effrayant, c'est d'avoir été, à l'âge de 14 ans, gardée en captivité pendant 43 heures et violée et torturée à répétition par un prédateur sexuel qui s'en prenait aux filles exploitées.
    Ceux qui m'exploitaient ont fait beaucoup d'argent et ont tenté de me briser, mais je me suis battue pour ma vie. Ma première proxénète était une femme qui tenait un bordel légal, où j'ai appris à prétendre que j'étais sa nièce ou l'amie de sa fille si la police m'interrogeait. Mon deuxième proxénète m'a été présenté quand j'étais à Toronto, où je me prostituais pour de l'argent. Il était censé être un garde du corps, mais cela s'est avéré être un gros mensonge. Ces deux proxénètes sont encore en activité, exploitant d'autres petites filles au Canada.
    Après de nombreuses années, j'ai pu fuir la prostitution et reconstruire ma vie, et mon éducation est alors devenue un outil. Je me suis fait connaître par la ténacité et ma force, et je peux maintenant être un atout pour ma communauté et mon peuple. Je suis une mère, une grand-mère, une activiste et une guerrière. Mes expériences entraînent peut-être parfois des sacrifices, mais je les faits pour les femmes et les filles anishinabées qui sont achetées et vendues, qui ont disparu ou qui ont été assassinées.
    Nous devons voir qui est derrière tout cela. Ce sont les hommes.
    J'ai une lettre. La mère biologique de ma fille aînée a été assassinée par Robert Pickton, et ma fille m'a demandé de vous lire ce qui suit.
Cher Sénat,
Je m'appelle Angel Wolfe. Ma mère biologique, qui s'appelait Brenda Wolfe, a été assassinée par Robert Pickton.
Son meurtre est le sixième pour lequel il a été accusé. J'avais 6 ans quand elle a été assassinée et 9 ans quand sa mâchoire a été trouvée dans une auge à cochon. Je fais partie des 98 enfants devenus orphelins à cause de ce monstre.
Je blâme le service de police de Vancouver et la GRC. Je pense que les mesures législatives comme la [Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation] sauveront les femmes vulnérables comme ma mère. Je suis indignée que la mort de ma mère ait été utilisée pour légitimer un tel outrage et une telle tristesse.
Je suis aussi indignée par le terme « projet de loi Pickton ». C'est une insulte et une gifle au visage des 98 orphelins, et les organisations et le mouvement de lobbyisme en faveur du travail du sexe devraient réellement avoir honte de parler au nom des familles qui ont perdu un être cher.
Je blâme la prostitution, la dépendance et la maladie mentale pour la mort de ma mère, et au nom des 98 orphelins, je clame que nous ne voulons pas que la mort de nos mères soit la raison de la légalisation de la prostitution.
Je ferai ma mission de vie de raconter son histoire et d'éduquer les gens à propos de la dépendance, de la prostitution et des femmes disparues ou assassinées.
Bien à vous. Angel Wolfe
(1145)
    La Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d'exploitation protégera mes filles, mes petites-filles et d'autres jeunes filles autochtones de prédateurs qui ont le culot d'acheter des services sexuels en public. La semaine dernière, j'étais à Thunder Bay où le service de police, le MAG ou d'autres organisations ne se préoccupent pas de l'achat de femmes vulnérables.
    Si la prostitution était une activité saine, pourquoi ceux qui achètent des services sexuels ne révèlent-ils pas à leur conjointe, à leurs filles et à leur famille qu'ils recourent ou ont recouru aux services sexuels de prostituées?
    Sextrade101 considère que la prostitution n'est pas un choix, mais une absence de choix qui réduit les femmes et les filles à l'esclavage. Nous pensons que tout le monde devrait se voir proposer un moyen d'abandonner le travail du sexe et ne pas être encouragé à y rester. Il faut aider les femmes à comprendre toutes les répercussions de la prostitution sur leur vie avant qu'elles ne s'y adonnent et les aider à en sortir en vie avec leur esprit, leur corps et leur âme intacts. Collectivement, nous avons toutes été effrayées, violées, battues, vendues et traitées comme des moins que rien. La plupart d'entre nous ont aussi été oubliées, négligées, maltraitées, utilisées, leurrées, abandonnées et non protégées pendant leur enfance.
    Les défenseures et les membres de Sextrade101 sont des prostituées ou d'anciennes prostituées. La criminalisation des femmes et des filles qui se prostituent nous préoccupe grandement. Nous avons constaté que les programmes de déjudiciarisation des femmes et des filles qui se prostituent ne constituent pas la seule solution pour tout le monde. Nous avons également vu que des fonds substantiels ont été accordés aux services de soutien, mais nous sommes encore dans une sorte de silo.
    Environ 85 % des défenseures et des membres de Sextrade101 ont été violentées par leur proxénète. C'est très éloigné du tableau brossé par la Cour suprême du Canada, qui dépeint les proxénètes comme de braves types. Ce sont les proxénètes et les clients, le problème. Ce sont eux qui maltraitent et tuent parfois des femmes.
    J'ai soutenu ma fille tout au long de l'enquête sur les femmes disparues, qui a mené au constat suivant: nos mères, nos sœurs et nos filles ne sont pas nées pour être utilisées et vendues afin de satisfaire les besoins sexuels des hommes. Nous ne sommes pas des marchandises.
    En outre, nous voulons parler de linguistique. Il n'y a rien dans la langue autochtone qui décrit la vente de services sexuels. Si cela ne fait pas partie de notre langue, ce n'est pas pour nos femmes.
    Je félicite l'ancien ministre MacKay de l'élaboration du projet de loi C‑36, car il a admis la maltraitance et les dangers inhérents auxquels les prostituées sont confrontées. Ce projet de loi était une victoire pour les survivantes et celles qui sont prisonnières d'un cercle vicieux d'indignité et de douleur.
    Nous devons examiner les chiffres, lesquels indiquent que 52 % des victimes de la traite de personnes sont autochtones et que l'âge moyen des filles autochtones exploitées est de 12 ans. Quatre-vingt-dix-neuf pour cent des femmes avec lesquelles Sextrade101 a travaillé ont affirmé avoir voulu abandonner la prostitution à un moment donné.
    À titre de survivante du travail du sexe, je vous remercie beaucoup de m'offrir l'honneur de parler au nom des survivantes membres de Sextrade101 et de toutes les survivantes anishinabées du Canada, qu'elles travaillent encore comme prostituées ou qu'elles aient quitté le milieu.
    Nous constatons qu'un nombre croissant de filles utilisent les médias sociaux comme outil pour leur exploitation à titre de filles de joie. Comme Mme Baptie l'a fait remarquer, il existe maintenant un créneau pour les filles autochtones. Quand j'étais dans le métier, nous ne révélions jamais nos origines autochtones, car nous savions que si nous le faisions, nous aurions des ennuis. Nous pouvions nous faire agresser ou être victimes d'autres formes de violence. Nous cachions donc notre identité.
    La semaine dernière, j'ai invité une jeune femme du Nord de l'Ontario à dormir sur mon divan parce que le personnel du centre de désintoxication auquel nous avions versé 20 000 $ pour un traitement privé de la toxicomanie et de l'alcoolisme lui a jeté un coup d'œil et a déclaré qu'elle n'était pas en état de suivre son programme. Nous n'avions nulle par où l'envoyer, et à ce moment‑là, après avoir passé 15 ans à s'injecter des drogues, elle voulait seulement... Elle était au bout du rouleau. Nous avons dû penser autrement et trouver une solution sans tarder.
(1150)
    On investit des sommes substantielles à cet égard, mais on agit peu. Il n'existe aucune maison sécuritaire pour les femmes autochtones au Ontario. Il y a un grand nombre de centres relevant d'autorités religieuses, mais — je suis désolée — ils ne conviennent pas à mes filles, aux filles autochtones. Chaque semaine, quelqu'un m'appelle pour m'annoncer qu'une survivante correspond à nos critères. Pourquoi? Parce qu'elle est autochtone et qu'elle a dit ce qu'elle considérait comme étant le mieux pour elle.
    Je ne sais pas où les caser. Je ne sais pas quoi en faire et je fais courir des risques à mes enfants en les accueillant chez moi, mais je ne peux les envoyer nulle part ailleurs. Nous accueillons donc cette jeune femme qui en a vu de toutes les couleurs sur la rue pendant 15 ans. Elle a survécu à une tentative de meurtre. Je peux raconter son histoire ici et déclarer qu'elle s'en sort bien. Nous l'avons envoyée dans un camp forestier et elle ne consomme plus de drogues, ce qui est un grand exploit. Je lui ai indiqué qu'en 35 jours, son cerveau allait se rétablir.
    Nous sommes en crise. J'ai été à Thunder Bay, et des hommes achetaient des femmes à droite et à gauche. La police de Thunder Bay ne veut pas s'occuper du problème d'exploitation ou simplement admettre qu'il y a de la traite de personnes, alors que de jolies filles autochtones sont emmenées dans le Sud de l'Ontario et sont vendues dans toute la région du Golden Horseshoe.
    À l'instar de Mme Baptie, je déplore que nous enterrions nos filles. J'ai vu des filles avec lesquelles j'ai travaillé et maintenant je vois leurs filles. Le problème est intergénérationnel. Si nous ne les aidons pas à découvrir leur potentiel, nous préparons le terrain pour la prochaine génération. C'est ce qui se passe actuellement. Je vois maintenant des grand-mères, des mères et des petites-filles. Avec la pandémie et la crise des opioïdes qui aggravent les choses, la situation est parfaite pour l'exploitation.
    Quand une prostituée autochtone est assassinée, nous voyons ce qui se passe, comme dans l'affaire Cindy Gladue et d'autres drames.
    Je suppose que je tente de dire que nous sommes en crise ici, particulièrement dans le Nord de l'Ontario. Je ne suis dans cette région qu'une semaine par mois. Je vais à Thunder Bay. Cela fait partie de mon travail. Personne ne sait où aller et les personnes qui offrent de l'aide en première ligne prennent des risques pour aider les femmes à abandonner la prostitution. Si seulement nous dispositions d'un endroit où les envoyer, comme un guichet unique, ce serait beaucoup plus facile.
    Les membres de Sextrade101 tentent d'agir à titre de mentors auprès de ces femmes. Nous ne disposons toutefois pas du financement de base nécessaire. Nous devons obtenir des fonds par l'entremise d'une autre organisation. À ce jour, toutefois, notre taux de retour à la prostitution n'est que de 4 %. À l'évidence, nous faisons quelque chose de correct.
    Sur ce, je vous dirai meegwetch. Je suis prête à répondre aux questions.
    Je vous remercie.
(1155)
    Merci beaucoup, madame Perrier, pour votre témoignage remarquable.
    Nous allons maintenant entendre Janet Gobert. Prenez tout le temps qu'il vous faudra. Allez‑y.
    Je m'appelle Janet Gobert; je suis de descendance ojibway. Je viens de la Première Nation de Peepeekisis, en Saskatchewan.
    J'agis actuellement à titre de coordonnatrice des initiatives communautaires pour le Bonnyville Canadian Native Friendship Centre, qui se situe à Bonnyville, en Alberta, un territoire visé par le Traité no 6 et lieu de réunion pour de nombreux Autochtones.
    Le Bonnyville Canadian Native Friendship Centre a pour objectif de combler l'écart entre les peuples autochtones et non autochtones sur le plan culturel, social, économique et récréatif en faisant la promotion de la communication et en offrant des programmes efficaces dans la communauté.
    En 2020, j'ai réalisé qu'il y avait une lacune en matière de prestation de services qui pouvait être comblée par l'entremise d'un projet nommé Iskwew Iskowtew ou « la guérison des femmes par le feu ». Il met en oeuvre des pratiques prometteuses en matière de prévention et d'intervention qui font progresser les connaissances et qui renforcent les mesures de soutien en matière d'émancipation pour les populations à risque et les survivants de la traite de personnes dans la région de Bonnyville et de Lakeland.
    L'objectif du programme est de réduire la violence contre les femmes et la traite des personnes par l'entremise de programmes fondés sur les données probantes, notamment en offrant un refuge sécuritaire où les clients ont accès à des programmes et des services de soutien appropriés. Par l'entremise de notre mentor, qui offre un soutien holistique en cas de crise, de notre intervenant en matière de soutien par les pairs, de notre intervenant en mieux-être autochtone et de notre coordonnateur en matière de gestion du stress en cas d'incident critique, nous offrons des programmes continus sur place en collaboration avec les gardiens des connaissances traditionnelles qui partagent leur savoir, en plus d'offrir un accès aux activités axées sur la terre et aux cérémonies culturelles.
    Dans le cadre de la mise sur pied du programme, j'ai compris que pour aider les femmes et les filles autochtones à se sortir de l'industrie du sexe, il fallait l'appui de nombreuses organisations communautaires en vue d'aborder certaines questions comme l'éducation, le logement, l'emploi, la santé mentale et les problèmes de toxicomanie. Nous avons donc fait des estimations à cet égard.
    Dans le cadre de nos réunions, nous avons déterminé qu'il y avait des éléments essentiels en vue d'apporter des changements sociaux et politiques associés au commerce du sexe. Il faut offrir des services sociaux, assurer l'application de la loi et éduquer la communauté. J'aimerais aborder ce dernier élément.
    Dans notre région, nous avons déterminé que le programme devait se centrer sur l'éducation communautaire. Dans notre communauté et dans les environs, la traite de personnes n'est pas reconnue; c'est un obstacle qu'il faut faire tomber. On a fait valoir, à juste titre, que pour ouvrir cette boîte de Pandore, il fallait des renseignements exacts, de même que des outils d'éducation et de promotion, en vue d'être efficaces. Ce volet de notre programme sera mis en oeuvre au plus tard en septembre 2021, et pourra être modifié au besoin.
    Le débat au sujet des lois et règlements associés aux infractions en matière de prostitution prend racine dans un cadre qui désigne la prostitution comme étant l'un ou l'autre entre le travail du sexe et la traite de personnes à des fins sexuelles. Le premier représente un choix en matière de prostitution, tandis que le deuxième représente une séquestration dans le cadre du commerce du sexe. Comme les interventions relatives aux activités en matière de prostitution varient selon les engagements sociaux, politiques et économiques des collectivités, la criminalisation des victimes de la traite de personnes rend leurs expériences en matière de violence et d'exploitation moins visibles, ce qui entraîne une tendance à minimiser les droits des femmes impliquées dans la traite de personnes à des fins sexuelles.
    Comme la traite de personnes à des fins sexuelles au Canada est nocive et dangereuse, surtout pour les femmes et les filles autochtones, il faut que des changements s'opèrent sur le plan des politiques publiques pour régler le problème. La question des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées représente un phénomène sociologique au Canada qui fait partie intégrante des politiques, lois et institutions canadiennes. Au Canada, les femmes et les filles autochtones ne représentent que 2 % de la population, mais elles représentent 16 % des femmes assassinées ou disparues.
    Les trafiquants choisissent des femmes vulnérables et exploitées parce qu'elles sont perçues comme étant irrécupérables, ce qui les réduit au statut d'objet sexuel plutôt que d'être humain. Nous blâmons souvent les victimes, les femmes assassinées, en raison de leur style de vie risqué, parce qu'elles travaillent dans l'industrie du sexe, par exemple, que ce soit par choix ou de manière forcée.
    En créant un programme dans la région de Lakeland pour aborder certains enjeux comme l'éducation, l'emploi, le logement, la santé mentale et les services de traitement, nous aidons les femmes de l'industrie du sexe à établir une stratégie de sortie. Les femmes et les filles autochtones du Canada sont aux prises avec des problèmes socioéconomiques. Ce projet pourrait permettre de réduire le nombre d'entre elles qui sont impliquées dans la traite de personnes à des fins sexuelles, qui disparaissent ou qui sont assassinées.
(1200)
    Enfin, le manque de connaissances relatives à la traite de personnes à des fins sexuelles et aux lois connexes fait en sorte qu'il est difficile de la détecter et difficile pour les personnes impliquées de s'en sortir. Il est essentiel de comprendre que ces femmes vivent leur vie dans la communauté en tant que grand-mères, mères, filles, soeurs et amies.
    Je vous remercie tous de m'avoir donné l'occasion de partager avec vous notre nouvelle initiative de programme.
    Merci.
    Merci beaucoup.
    Nous allons entreprendre nos séries de questions. Nous aurons moins de temps pour ce faire, puisque nous avons entendu de longs témoignages inspirants, mais c'était important pour nous de les entendre.
    Je tiens à souligner que les deux personnes que nous appelons les analystes ont une capacité remarquable d'extraire et d'organiser les renseignements qui vous ont été fournis aux fins de la préparation de notre rapport. Même si nous aimerions poursuivre longuement la période de questions, tout ce que vous avez dit est important et sera consigné dans le but de nous aider à préparer notre rapport.
    Cela étant dit, nous passons maintenant à notre première série de questions de six minutes.
    Monsieur Viersen, vous êtes notre premier intervenant. Allez‑y.
    Merci, monsieur le président.
    Je tiens à remercier les témoins de leur présence avec nous aujourd'hui.
    Je tiens aussi à reconnaître la douleur et la souffrance que vous avez vécues aux mains des trafiquants et des hommes qui achètent des services sexuels. Je vous remercie d'avoir choisi de témoigner devant le Comité malgré toute la douleur qui vous habite. J'espère que nous pourrons mieux comprendre la réalité de ces Canadiennes dans l'ensemble du pays afin d'éviter que d'autres ne soient victimes de la traite de personnes. Merci beaucoup.
    D'autres témoins ont abordé la problématique des foyers de groupe et des systèmes de protection de la jeunesse, où les jeunes sont leurrés. J'aimerais que vous nous donniez votre avis à ce sujet.
    Madame Baptie, voulez-vous répondre en premier?
    Le système de protection de l'enfance est une catastrophe totale. C'est horrible.
    J'étais chez ma mère. Une personne est venue et m'a dit de mettre mes affaires dans un sac à ordures; 45 minutes plus tard, je me suis retrouvée dans une maison où je ne connaissais personne. Il y avait un gars qui me touchait toujours les fesses et lorsque j'ai dit à ma travailleuse sociale que je voulais qu'il arrête, elle s'est mise à rire et m'a dit: « Les garçons sont ce qu'ils sont... Tasse-toi de son chemin, c'est tout. »
    Il faut travailler à garder les familles unies. Oui, c'est peut-être difficile, mais c'est la meilleure chose à faire. Mon foyer de groupe n'était pas du tout sécuritaire et comme personne ne voulait nous entendre lorsque nous en parlions, nous avons décidé de tenter notre chance dans la rue. J'avais 12 ans.
    Lorsque j'étais dans la rue, j'ai rencontré un gars qui s'appelait Telly. Telly m'a invitée chez lui. Il m'a donné de la drogue et de l'alcool. Je me pensais bien bonne, parce que ce Telly voulait passer du temps avec moi. Mais j'ai fini par comprendre que tout avait un prix... N'est‑ce pas? Et ce prix, c'était le sexe. J'avais 12 ans et il avait probablement 30 ou 40 ans.
    Je crois qu'il faut aussi élargir le sens du mot « famille ». Le colonialisme a donné lieu à une définition très étroite de ce terme.
    Je bégaie. Je m'en excuse. Je ne sais même pas par où commencer. La situation est atroce. Il faut tout jeter à terre et recommencer. C'est la seule façon de faire, à mon avis. Je suis parent d'accueil pour les enfants de mes amis, et j'ai fait des placements d'urgence pour toutes sortes de raison. Je sais que ce que les enfants veulent, ce sont leurs parents, coûte que coûte. Il faut aider les parents à se rétablir afin d'aider les enfants à se rétablir également, et mettre un terme à ce va‑et‑vient continu.
    C'est tout.
(1205)
    Merci, madame Baptie.
    Madame Perrier, voulez-vous dire quelque chose?
    Ce que je vois, avec le système de protection de l'enfance... J'ai été leurrée dans un foyer pour filles. La fille plus âgée qui m'a introduite au monde de la prostitution, c'était ma soeur aînée.
    Le personnel du foyer n'en avait aucune idée. Les employées n'avaient que cinq ans de plus que certaines d'entre nous. C'étaient de jeunes filles qui travaillaient dans un foyer de groupe pour des adolescentes hors de contrôle.
    J'étais vouée à l'échec dès le départ. Nous savons que 97 % des adoptions d'enfants autochtones par des parents non autochtones sont un échec. On l'a dit à mes parents. Heureusement, ils n'ont jamais abandonné et m'ont toujours cherchée.
    La semaine dernière, j'étais à Thunder Bay et je parlais à une survivante, qui ne savait même pas qui était la travailleuse sociale de son enfant, parce que c'était la 14e fois qu'elle changeait. Sa fille adopte des comportements très risqués, mais personne ne l'écoute. J'ai parlé à sa travailleuse sociale, mais elle ne savait même pas à quoi je faisais référence.
    Le système de protection de l'enfance n'a pas été conçu pour aider les Autochtones. Tout comme Mme Baptie... Je suis la première survivante de l'Ontario à avoir adopté un enfant. Je suis parent d'accueil pour une adolescente de 14 ans à haut risque dont la mère est dans la rue. Nous tentons d'obtenir un traitement parce qu'elle est plus susceptible d'être victime de la traite...
    Ma fille d'accueil revient du centre de traitement et me dit qu'un membre du personnel l'a amenée à l'hôtel. Elle a 14 ans. L'employé de 21 ans l'a amenée à l'hôtel. Il a été congédié, mais... Qu'est‑ce qui se passe? Je suis mère de quatre filles. J'ai dû me battre avec les services sociaux pour les garder avec moi. À ce jour, lorsqu'ils cognent à ma porte, j'ai peur d'avoir fait quelque chose de mal. C'est une menace bien réelle.
    Mes enfants sont plus âgés maintenant. Ma plus jeune a neuf ans. Il faudra me passer sur le corps pour me prendre mes enfants. J'ai un petit garçon qui a été gravement blessé. Sa mère, ma nièce, a elle aussi été exploitée. Mon fils a été blessé alors qu'il était sous la protection de l'aide à l'enfance. Il a subi une fracture du cou. S'il s'était blessé chez moi, on m'aurait retiré tous mes enfants, mais comme c'est arrivé dans un foyer d'accueil enregistré, on a balayé l'incident sous le tapis. C'est ce qu'on a fait pour tellement d'autres enfants.
    Je comprends. Il faut protéger les filles vulnérables, surtout si leur mère se prostitue ou est exploitée. Il faut protéger les jeunes enfants. Mais il faut songer à d'autres solutions, auprès d'autres membres de la famille, par exemple. Il faut trouver la meilleure solution pour chaque personne. Je n'ai pas grand-chose de positif à dire.
(1210)
    Merci.
    Monsieur Viersen, nous avons largement dépassé le temps prévu et, par souci d'équité... Quelqu'un d'autre reprendra peut-être votre question.
    La parole est maintenant à Mme Zann. Vous disposez de six minutes.
    Merci. Wela'lioq. Je vous parle aujourd'hui à partir du territoire non cédé des Micmacs, en Nouvelle-Écosse.
    Premièrement, je tiens à remercier tous les témoins de nous avoir raconté leur histoire très touchante et d'avoir partagé avec nous leurs expériences personnelles. Il faut beaucoup de courage pour prendre la parole sur ce sujet, et pour partager notre histoire avec d'autres. Vous avez raison lorsque vous dites qu'il faut que d'autres personnes se manifestent, qu'elles soient entendues et que nous agissions, pour mettre fin à ce cycle.
    En matière de traite de personnes, le Canada et le gouvernement misent sur la Convention des Nations unies contre la criminalité organisée transnationale et son protocole supplémentaire pour prévenir, éliminer et punir la traite de personnes, surtout celle des femmes et des enfants. Elle s'organise autour de quatre piliers: la prévention de la traite, la protection des victimes, la poursuite des auteurs de crimes et les partenariats. On a ajouté un nouveau pilier: l'habilitation.
    Ce nouveau pilier a été ajouté pour accroître le soutien et les services offerts aux victimes. Je dois dire qu'environ 75 millions de dollars seront investis au cours des six prochaines années à cette fin, dont 57,22 millions de dollars sur cinq ans et 10,28 millions de dollars en vue de la mise en œuvre d'une suite améliorée d'initiatives visant à accroître notre réponse et à combler les lacunes.
    Cela étant dit, dans quelle mesure cet enjeu est‑il associé au crime organisé, par opposition aux particuliers qui exploitent les femmes et les enfants?
    Qui veut prendre la parole? Karen Pictou, voulez-vous parler en premier? Nous pourrons ensuite entendre Mme Perrier, Mme Baptie et Mme... Je ne vois pas votre nom.
    Il ne vous reste que trois minutes et demie, environ.
    Allez‑y, madame Pictou.
    C'est entièrement rattaché au crime organisé.
    Je peux établir des liens. La dernière chose que j'allais dire, en fait, c'est que quand j'avais 13 ans, j'ai révélé avoir été victime de violence sexuelle et je suis devenue une adolescente en difficulté. J'ai été placée dans un foyer de groupe. Pendant mon séjour là‑bas, chaque jour, des proxénètes se présentaient à la porte pour nous offrir de nous emmener au centre commercial ou pour essayer par d'autres moyens de nous conditionner. Aussi, la police avait une unité de lutte contre le proxénétisme. Les agents venaient nous donner des séances d'information et nous parler de la bande North Preston's Finest et autres. À l'époque, au début des années 1990, il y avait énormément de prostitution juvénile de rue. Tous les jours de la semaine, peu importe l'heure, on pouvait trouver sur la rue Hollis des filles de 12, 13 et 14 ans vendant ouvertement des services sexuels. Toutes ces filles travaillaient pour des dirigeants du crime organisé. C'est encore le cas aujourd'hui.
    Ici en Nouvelle-Écosse, on le voit sans cesse. Divers groupes, y compris les Hells Angels, trafiquent des femmes en ligne et dans la rue et ils les transportent d'un bout à l'autre du pays afin de vendre leurs services. C'est entièrement rattaché, et je rirais de quiconque affirmerait le contraire, car je l'ai vu de mes propres yeux. Je connais les personnes impliquées, je comprends la structure et je sais que la majorité des femmes qui ont un proxénète ne savent même pas avec certitude de qui il s'agit. Le proxénète délègue les fonctions de proxénétisme à une autre femme plus haut placée dans les échelons, et l'on ne rencontre même pas nécessairement le dirigeant. La structure est faite ainsi, et c'est la façon dont cela fonctionne. Ma réponse est donc que c'est entièrement lié, madame Zann.
(1215)
    Je vous remercie.
    Je pense que mon temps de parole est écoulé, mais Mme Baptie...
    Allez‑y.
    C'est probablement un peu différent ici en Colombie-Britannique. Le crime organisé est présent, mais je ne dirais pas que c'est entièrement lié. Les petits amis galants sont bien plus nombreux, et l'on conditionne beaucoup les filles de 17 ans pour qu'elles intègrent le milieu à 18 ans. La dynamique ici est un peu différente.
    Je vous remercie.
    Madame Perrier, voulez-vous ajouter quelque chose?
    Le crime organisé est présent à Toronto et dans le Nord de l'Ontario. Les Galloway Boys sont très actifs à Thunder Bay, en Ontario. Le Nord de l'Ontario est envahi par les bandes de Toronto qui font venir des filles, mais il y a aussi les groupes asiatiques. Pratiquement tous les salons de massage appartiennent aux triades; la Ville de Toronto leur octroie des licences qui leur permettent de garder leurs portes ouvertes et de continuer à offrir des services aux hommes. La bande North Preston's Finest est aussi active ici, mais sa présence n'est pas très importante. Dans le Sud de l'Ontario, l'envergure de la prostitution de rue a diminué.
    Merci beaucoup. Mon temps de parole est écoulé.
    Peut-être que Mme Gobert pourrait répondre.
    D'accord, je vous remercie.
    Madame Gobert, êtes-vous là?
    Son micro est‑il en sourdine?
    Non, il ne l'est pas.
    Je ne vous entends pas, madame Gobert. Nous allons régler le problème dans un instant. Nous devons passer à la prochaine intervenante.

[Français]

     Madame Bérubé, vous disposez de six minutes.
    Je vous remercie, monsieur le président.
    Je suis dans la circonscription d'Abitibi—Baie‑James—Nunavik—Eeyou sur le territoire non cédé des Cris et des Anishinabe.
    Tout ce que vous avez dit aujourd'hui est très émouvant. Vous avez beaucoup de courage d'être ici aujourd'hui, devant le Comité. Vous avez vécu des choses terribles, du dénigrement et de la violence. Bravo, encore une fois, pour la force que vous avez d'être ici aujourd'hui!
    On parle de la traite de jeunes enfants.
    Comment savez-vous que ces enfants en ont subi? Y a-t-il un processus qui se fait? Comment avez-vous réussi en sortir?
    Vous pouvez tous répondre à mes questions.

[Traduction]

    Qui veut répondre en premier?
    Madame Picton, voulez-vous commencer?
    Personnellement, comment suis‑je sortie de la traite de personnes? Je me suis fait arrêter. On m'avait battue et poignardée à l'estomac. J'avais le visage et les dents fracassés. Un de mes voisins a appelé la police. Des policiers sont venus, ils m'ont emmenée à l'hôpital, puis ils m'ont passé les menottes. Ils m'ont dit que l'homme, mon proxénète, m'avait accusée de l'avoir poignardé à l'épaule. J'ai été arrêtée pour voies de fait ayant causé des lésions corporelles et pour agression armée.
    Je me suis retrouvée dans une prison de Toronto, où j'ai enfin pu téléphoner à ma mère. Ceux d'entre vous qui connaissent ma mère savent qu'elle n'a pas peur de se battre. Ma mère, Maurina Beadle, a affronté la Cour suprême du Canada et elle a remporté le principe de Jordan pour son fils Jeremy.
    Ma mère est aussi une travailleuse sociale. Elle voyait les signes de ce qui m'arrivait. Elle a tenté d'intervenir, mais j'étais perdue. J'étais amoureuse. Je croyais connaître le monde; je ne l'ai pas écoutée et je suis partie. Elle a travaillé avec un policier de Toronto nommé Tony Ryta. Il était membre de l'unité de lutte contre la prostitution du service de police de Toronto. Chaque fois qu'il me voyait dans la rue, il la mettait au courant. Il me parlait; il me disait que ma mère voulait que je rentre à la maison, mais je l'ignorais.
    Mon arrestation m'a sauvée parce que je ne suis pas retournée à cet endroit. On m'avait imposé des limites, je n'avais pas le droit de quitter Toronto, et ma maison était située dans un secteur où je n'avais pas le droit d'aller. Ma mère est venue et elle a travaillé avec les tribunaux en vue d'obtenir la permission que je rentre en Nouvelle-Écosse. À mon retour en Nouvelle-Écosse, j'ai pu avoir une place à Tawaak Housing, une association qui offre des logements subventionnés pour Autochtones à Halifax. Je me suis adressée au tribunal de la famille pour regagner la garde de mes deux filles cadettes, qui avaient été confiées temporairement à la sœur de mon proxénète. J'ai obtenu la garde, et à partir de ce moment, ma vie a changé.
    Il y a des signaux: par exemple, une fille ou une personne bispirituelle tombe soudainement amoureuse; elle garde des secrets; elle a beaucoup d'argent; elle sort sans dire à sa mère où elle va; elle parle de rêves dans d'autres villes; elle en dit peu sur la personne qu'elle fréquente et elle refuse de la présenter à ses parents.
    Les signaux d'alarme sont divers, mais au bout du compte, je dirais, d'après mon expérience et celle de ma mère, qu'il faut des mesures de soutien exhaustives pour les parents et les proches qui tentent de retirer leurs filles de ce milieu et de les ramener à la maison. Ma mère l'a fait toute seule; elle avait de la chance d'avoir cette relation avec Tony Ryta. Elle sentait qu'il y avait un lien; elle avait une façon de savoir que sa fille était vivante.
    Ce soutien est essentiel. Quand la police finit par trouver une personne dans une province, il faut peu de temps à cette personne pour se déplacer vers une autre province, et la recherche doit alors recommencer. Nos parents et nos proches ont besoin de soutien et d'amour pour pouvoir poursuivre le combat.
(1220)
    Quelqu'un d'autre? Madame Perrier ou madame Baptie, voulez-vous répondre?
    Ce que nous voyons, c'est le processus de conditionnement, qui est mené à bien par la supérieure, selon la hiérarchie des trafiquants.
    Le processus de conditionnement consiste à endetter la personne au moyen de drogues, à lui offrir des bourses ou autres. C'est ma propre sœur qui m'a conditionnée, et ce, très facilement. Je trouvais extraordinaire qu'une personne me ressemblant et parlant comme moi puisse être engagée à fond dans la prostitution. On lui avait fait découvrir ce milieu à l'âge de 11 ans. Elle y a fait entrer sa petite sœur. C'était très facile.
    Les trafiquants n'appâtent pas de jeunes filles autonomes. Je n'ai jamais rencontré une jeune fille autonome ayant été attirée par la prostitution. Habituellement, les proxénètes savent que la personne vient d'un foyer brisé, qu'elle a été victime de violence sexuelle ou qu'elle a subi un traumatisme sexuel. Toute jeune fille ou toute jeune personne LGBTQ ayant vécu un traumatisme quelconque est très vulnérable. Nous devons nous pencher sur cette vulnérabilité.
    Je connais très bien le détective Ryta. À l'époque, il était membre de l'unité de la moralité. Il essayait de nous convaincre de quitter le milieu en nous faisant peur, et nous ne faisions que le regarder. Ce qui m'est arrivé, c'est que je suis allée en prison. J'ai été libérée trois jours avant le décès de mon fils. J'ai dû subir la perte d'un enfant qui... Mon fils était atteint de leucémie; il était très fragile. J'aurais pu lui transmettre toutes sortes de maladies. J'ai dû lui promettre de ne jamais retourner travailler. J'ai gardé ma promesse, mais j'avais de bons parents. Malgré tout, je me souviens avoir été incapable d'allaiter mon aîné en raison des déchirures subies par mon corps.
    Je vais céder la parole à Mme Baptie.
(1225)
    Soyez très brève, madame Baptie. Nous devons passer à la prochaine intervenante.
    Est‑ce que ça va? Il m'arrive la même chose.
    Désolée.
    Le conditionnement aujourd'hui est complètement différent de ce qu'il était il y a 30 ans. Pour le voir, il faut aller sur Internet. Tout se passe en ligne, sur Snapchat, sur Twitter et ailleurs sur Internet. La meilleure ressource pour s'informer sur le conditionnement aujourd'hui est un site Web intitulé... C'est le site Web de Gail Dines; c'est... Je vais vous l'envoyer. C'est sans contredit le meilleur site Web pour s'attaquer à ce problème.
    Comment suis‑je sortie? Il n'y a pas vraiment d'histoire. J'ai rencontré des personnes formidables. Elles m'ont aidée. Je suis sortie.
    Je voudrais plutôt parler de mes amies, qui ont dû remuer ciel et terre pour sortir parce qu'elles sont autochtones. À Vancouver, les logements pour Autochtones sont situés juste à côté du quartier Downtown Eastside, c'est‑à‑dire juste à côté des narcotrafiquants, et les services pour les aider à sortir sont à deux pâtés de la promenade. À ce qu'il paraît, cet emplacement a été choisi pour qu'elles se sentent en sécurité et qu'elles aient accès à des ressources dans le quartier.
    À mon avis, cette situation les empêche de sortir. Mes amies qui résidaient... J'ai pu vivre avec mes enfants dans un quartier situé à l'extérieur de Vancouver. Personne ne m'a placée avec mes enfants. Pour les femmes qui résident dans des logements pour Autochtones et qui ont recours aux services pour Autochtones... Elles bénéficient de services et elles essaient de sortir, mais c'est aussi une façon de les garder sous surveillance. Elles n'ont jamais la possibilité de se libérer de ce contrôle, à moins que des gens prennent leur parti et travaillent avec elles.
    Je trouve cela très injuste. Je trouve injuste que je puisse quitter le secteur où j'ai été exploitée, mais qu'elles doivent y rester. Ces facteurs doivent être pris en considération.
    Merci beaucoup.
    Madame Blaney, vous avez la parole pour six minutes.
    Merci, monsieur le président, et merci à vous toutes pour vos témoignages. La traite des femmes autochtones fait partie de l'histoire du Canada depuis longtemps. Je pense à ma grand-mère, qui a fréquenté un pensionnat indien et qui a été mariée à l'âge de 16 ans à un charpentier de la communauté qui était beaucoup plus vieux qu'elle. Je me souviens avoir pensé, quand je l'ai appris, que cela expliquait certaines choses.
    Je tiens à vous remercier de raconter cette histoire et de comprendre qu'il s'agit d'un problème systémique.
    Ma première question s'adresse à Mme Pictou. Vous avez dit que le gouvernement réduisait son financement alors qu'on vous demande d'en faire plus. Tous les témoins ont affirmé que les ressources étaient insuffisantes et qu'on ne savait pas où placer les gens qui tentent de fuir la traite des personnes.
    Madame Pictou, je vous demanderais de répondre en premier. Je me tournerai ensuite vers vous, madame Gobert, car je ne vous ai pas encore entendue. J'aimerais beaucoup que vous répondiez à cette question. Je passerai ensuite à autre chose.
    Certainement.
    Peu après mon entrée en fonction il y a un peu plus de 3 ans, nous avons reçu un financement de base du gouvernement fédéral de 100 000 $ par année pour une période de 3 ans par l'intermédiaire de notre organisme national, l'AFAC. Toutefois, à l'approche de la fin de cette entente, aucune décision n'a encore été prise. Par conséquent, la réalité aujourd'hui, c'est que si nous ne recevons pas de financement de base de la part du gouvernement fédéral, la Nova Scotia Native Women's Association perdra une grande partie de ses ressources actuelles.
    Nous avons obtenu du financement de base à long terme de la part de la province. Toutefois, ces fonds ne couvrent que notre loyer et le salaire de notre personnel de base, soit trois personnes. C'est loin d'être suffisant pour [Difficultés techniques] ce travail.
    Je mentionnerais aussi que la seule autre chose qui nous maintient à flot en ce moment, c'est le financement à court terme que FEGC nous a octroyé pour quelques projets. Une partie du problème, c'est que le financement fondé sur des propositions de projets a beau assurer la survie, quand on est en mode de survie, on ne peut pas fixer d'objectifs à long terme. Comment peut‑on faire des plans pour les 5 à 10 prochaines années quand on ignore si l'on disposera des fonds nécessaires pour garder les portes ouvertes jusque‑là ou si les programmes et les services requis existeront toujours? Il faut du financement complet.
    Pour le centre Jane Paul, nous avons reçu du financement pour cinq ans de la part du ministère de la Justice; il nous reste donc trois ans. Le montant est de 150 000 $, ce qui ne couvre même pas les salaires. C'est littéralement juste assez pour payer le loyer, les services publics et les assurances nécessaires pour garder les portes ouvertes.
    Il nous faut un engagement de la part du Canada. Le Canada doit montrer que ces programmes, ces services et les organismes qui les offrent sont importants et qu'ils méritent un investissement durable, car nous savons que le problème ne se réglera pas du jour au lendemain. En termes simples...
    Je pense que je vais m'arrêter là. Je vous remercie.
(1230)
    Madame Gobert, pouvez-vous réessayer votre micro?
    Très bien, merci.
    Je n'ai pas vécu cela personnellement, mais en tant que coordinatrice des initiatives communautaires auprès de ce groupe de femmes, je peux vous dire que le logement était vraiment un problème.
    Il y a environ un an, nous avons ouvert un refuge pour hommes au centre d'amitié. Cependant, nous avons vu une transition se produire avec la clientèle qui le fréquentait. En ce moment, nous en sommes aux premières étapes de sa transformation en un refuge pour femmes victimes de la traite des personnes.
    Comme Karen l'a dit, le financement est assurément un problème en ce moment. Nous utilisons les fonds que nous avons reçus du bureau central pour le quatrième cycle de financement dans le contexte de la COVID. Oui, nous disposons également d'un financement à court terme de la part de FEGC — Femmes et Égalité des genres Canada —, mais j'estime que le problème, pour la transformation de ce centre en refuge pour femmes, c'est que nous nous retrouvons avec de petits blocs de financement. À cause de cela, à l'heure actuelle, nous ne pourrions fonctionner que pendant un an.
    Est‑il absolument nécessaire que nous ayons un financement à long terme? Oui. Nous ne pouvons pas offrir de service sans assurer la sécurité de ces femmes. Si nous ne disposons pas d'un refuge pour ces femmes, notre travail est inutile.
    Je vous remercie.
    Madame Perrier, vous avez parlé des gens qui doivent rester dans votre maison parce qu'il n'y a pas d'endroit où les envoyer. Je suis curieuse de savoir si vous pouvez parler de vos préoccupations concernant la limitation des ressources et l'absence d'un endroit où envoyer les personnes pour qu'elles soient en sécurité.
    Il y a beaucoup d'argent. Je vois des millions de dollars pour des initiatives, mais personne n'a ouvert un lieu sûr pour les femmes, sur le terrain, qui comporte les trois piliers. Je ne peux pas envoyer ces femmes dans les refuges pour femmes battues, car tout d'abord, elles mettent les autres femmes en danger. Il y aura des contaminations croisées, et je ne pense pas que ce soit là que la guérison commence. Nous devons avoir notre zone et nos centres de traitement individualisés.
    Pour être vraiment honnête — parce que je suis ici pour dire la vérité —, c'est une grosse vache à lait. La traite des personnes est la dernière nouveauté: les gens rédigent des propositions éloquentes, obtiennent des millions de dollars et ne font rien. Thunder Bay ainsi que Toronto en sont de bons exemples. En Ontario, nous n'avons nulle part où envoyer les femmes autochtones qui sortent du commerce du sexe, à moins de les confier au Manitoba, mais la capacité de cette province est également épuisée. Par conséquent, nous n'avons aucun endroit pour elles.
    Merci beaucoup.
    Mme Rachel Blaney: Mon temps est écoulé.
    Le président: Nous allons maintenant passer au tour suivant, et à en juger par l'horloge, je pense que nous aurons au moins une intervention de chacun des partis représentés au Comité.
    Gary Vidal, vous êtes le premier à intervenir. Vous avez cinq minutes.
    Je tiens moi aussi à remercier nos témoins d'aujourd'hui. Je ne vais pas prétendre être capable de reconnaître la douleur et la souffrance que vos divers parcours vous ont fait vivre. Je ne peux même pas l'imaginer. Cependant, je tiens à vous remercier d'être là et de nous faire part de vos expériences pour nous aider à comprendre la situation en tant que parlementaires, de sorte que nous puissions proposer des solutions pour l'avenir. Je vous en remercie.
    Plus de 50 % des personnes ayant survécu à la traite des personnes à des fins sexuelles au Canada sont des femmes et des filles autochtones, même si elles ne représentent que 4 % de la population. De toute évidence, c'est un énorme défi.
    Vous avez évoqué diverses choses au cours de vos interventions. Nous avons parlé du système de protection de l'enfance. Nous avons parlé de changements de politiques publiques. Nous avons parlé de stratégies de sortie. Nous avons parlé d'un certain nombre de choses différentes. Ce que j'attends de chacune d'entre vous, c'est une recommandation qui pourrait être très importante du point de vue de la prévention. Je comprends les défis liés à la sortie, mais comment empêcher cela en premier lieu? Quelles sont les mesures pratiques que le gouvernement du Canada pourrait prendre pour empêcher les jeunes femmes et les jeunes filles de se retrouver dans cette situation?
    Je pense que je vais commencer par Mme Gobert, car elle n'a pas eu beaucoup d'occasions de parler aujourd'hui, puis chacune des autres participantes pourra prendre une minute de mon temps pour répondre à cette question si elle le peut.
(1235)
    Bien sûr.
    Quand nous parlons d'autonomisation... Je ne sais plus quel témoin a dit que l'autonomisation des filles signifie qu'elles ne pourront pas être victimes de la traite. C'est un point qui a été discuté à maintes reprises au sein de notre conseil. Ce que nous avons envisagé à cet égard, c'est d'aller dans les écoles. Je sais que cela a été fait à maintes reprises, mais ce que nous allons essayer de faire, c'est d'y apporter un aspect culturel.
    Qui veut prendre la parole?
    Allez‑y, madame Pictou.
    Tout d'abord, en Nouvelle-Écosse, il y a un moyen simple de prévenir la traite des personnes à l'avenir, et c'est d'arrêter la construction de l'usine minière Goldboro LNG qui est prévue. Les Micmacs de la Nouvelle-Écosse posséderont un camp de travail regroupant 5 500 travailleurs temporaires qui sera situé juste à l'extérieur des limites du territoire de la Première Nation Paqtnkek. Je vous garantis qu'il n'existe pas de formation ou de politique qui nous permettraient d'assurer la sécurité de nos femmes, de nos filles et des personnes bispirituelles. Si des femmes, des jeunes filles ou des personnes bispirituelles autochtones sont victimisées à cause de ce projet, ce sont les Micmacs qui seront responsables, car ils sont propriétaires du camp de travail.
    Il faut que cela cesse. Nous n'avons pas besoin de cela. Les Micmacs ne tireront pas suffisamment de bénéfices de ce projet pour risquer nos vies et mettre en jeu le bien-être de nos communautés. Je vous garantis que l'arrêt de l'usine Goldboro empêchera la traite des personnes en Nouvelle-Écosse.
    Allez‑y, madame Perrier.
    Nous allons revenir à l'autonomisation. Je pense que nous devons apprendre à nos garçons à ne pas violer. Je pense que ça va juste... Ce n'est pas nos petites filles. Pourquoi est‑ce que ce sont toujours nos femmes qui doivent supporter le poids des mauvais comportements des hommes? Je pense que nous devons mettre en place des « avertissements à l'intention des acheteurs » dans tout le Canada. Vous êtes avertis: si vous vous trouvez dans cette ville, ce territoire, pour acheter du sexe, vous allez être déshonorés publiquement.
    Responsabiliser les hommes qui sont à l'origine du problème offre la possibilité de dégager des revenus, de multiplier les arrestations d'acheteurs de services sexuels et de les faire payer pour nous. Je pense vraiment qu'il faut leur dire: « si vous êtes pris en train d'acheter des services sexuels dans ce quartier, votre voiture sera mise à la fourrière, votre véhicule sera étiqueté et une lettre sera envoyée à votre femme » — ou à votre conjoint, à votre employeur ou autre...
    Je pense simplement que nous devons remettre la responsabilité sur les acheteurs de services sexuels. C'est ce que je pense. Ce sont les acheteurs. S'il n'y avait pas de demande, nous n'aurions pas ce problème.
    Madame Baptie, voulez-vous intervenir?
    Je suis allée en Suède pendant trois jours. J'ai été invitée par le gouvernement à étudier la loi sur la prostitution qu'il venait d'adopter. Je pense que nous devons mettre en place deux choses qu'ils ont faites.
    La première est l'éducation du public. Dans tous les transports en commun, dans les aéroports et partout, on voit des panneaux d'accueil qui disent qu'acheter des services sexuels est un crime. Ils y croient, et ils ont intégré ce principe dans les fibres de leur société. Je me suis rendue dans un lycée là‑bas parce que je voulais parler à des jeunes qui avaient grandi sous le régime des nouvelles lois sur la prostitution. Des filles de 17 ans m'ont dit qu'elles ne sortiraient pas avec des garçons qui ont regardé de la pornographie parce qu'elles savent ce qu'elles valent. Cette loi a changé la façon dont les jeunes se voient et dont ils interagissent.
    Si nous voulons changer un pays, il faut changer les lois. Nous voulons des lois qui disent que c'est ridicule et que vous pouvez aller en prison pour avoir traité nos femmes de cette façon.
(1240)
    Wow. Je vous remercie de ce témoignage.
    Monsieur Jaime Battiste, c'est à vous, je vous prie.
    Oui, je vous remercie. Ma question s'adresse à Mme Karen Pictou.
    Madame Pictou, j'aimerais que vous parliez un peu du centre Jane Paul et du centre de résilience que vous avez prévu. Qu'est‑ce qui fait que ces centres sont des exemples importants qui illustrent la façon dont nous pouvons utiliser une partie de l'argent destiné au dossier des femmes autochtones disparues ou assassinées pour la prévention de la violence contre les femmes, ainsi que du racisme également?
    J'ai effectivement parlé un peu du centre Jane Paul et du centre de résilience. Essentiellement, le travail de prévention porterait sur la guérison et l'autonomisation des familles, comme nous en avons parlé. Le centre ne serait pas seulement ouvert aux victimes ou aux survivantes, mais à tous les membres de notre communauté pour qu'ils puissent prendre part à des activités de guérison. Il s'agit de faire différentes choses qui sont fondées sur la culture, d'offrir des possibilités, de la formation, du soutien, une communauté et l'acceptation, et d'éliminer les stigmates. C'est tout cela à la fois. Chaque jour, le centre Jane Paul contribue à prévenir la mort et la violence.
    Je crois que le travail que nous faisons... Nous avons une dizaine de bénévoles — un peu moins en ce moment, à cause de la COVID — qui viennent travailler au centre Jane Paul. Ce sont d'anciennes clientes. Cela montre que ce que nous faisons fonctionne, et il faut que ce soit reconnu.
     Je crois qu'il faut entre autres miser sur la génération montante pour prévenir l'exploitation. Comme je l'ai dit, nous devons construire nos propres identités en tant que femmes micmaques et comprendre notre rôle clé au sein de la famille, de la communauté et de la société. Il faut que cela nous soit rendu.
    Une autre façon de le faire est d'avoir un espace et un lieu. En Nouvelle-Écosse, par exemple, la route 102 est le couloir de la traite des personnes vers le reste du pays. Le parcours de la majorité des femmes qui se sortent de la traite des personnes au Canada a commencé en Nouvelle-Écosse.
    Croyez-moi, nous ne parlons pas forcément beaucoup de ce sujet. Comme vous le savez, Jaime, nos femmes sont souvent stigmatisées lorsqu'elles se présentent et parlent du genre de choses qui leur sont arrivées. Souvent, elles se taisent. Cependant, ce bâtiment — notre centre de résilience — sera une lueur d'espoir. Vous verrez notre bâtiment depuis la route 102. Ce sera un phare qui donne l'espoir: si une femme peut simplement atteindre notre porte, elle s'en sortira. Je vous garantis que ça ira pour elle.
    Nous travaillons également en partenariat. Nous ne voulons aucun chevauchement avec les services des autres organisations. Nous travaillons en étroite collaboration avec le YWCA et le Mi'kmaw Native Friendship Centre. L'une des choses que je fais à Sydney aujourd'hui est d'aller voir des propriétés immobilières. Le Mi'kmaw Native Friendship Centre et la Nova Scotia Native Women's Association se sont associés pour ouvrir un foyer pour les femmes qui s'affranchissent de la traite des personnes, ainsi que pour les femmes qui ont besoin d'un lieu sûr. Ce foyer sera situé à Sydney. Il sera détenu et géré par des femmes autochtones. Bien qu'il s'agisse d'une réponse à la traite des personnes, je sais que cela permettra également de faire de la prévention, car nos communautés seront sensibilisées. Il y aura de l'éducation. Ces femmes survivront et seront en mesure de fonder des familles saines.
    Je suis désolée de cette réponse interminable. J'essaie de transmettre beaucoup de choses en peu de temps.
    Non, c'était une excellente réponse.
    J'ai toujours été intrigué par ceci: si une personne cherche à échapper à la traite des personnes et qu'elle est en crise ou qu'elle se sent vulnérable, à quelles mesures de soutien a‑t‑elle accès? Peut-elle simplement composer le 911? Est‑ce qu'il existe des services de soutien pertinents et adaptés à la culture de la personne, qui lui permettent de composer un numéro, d'envoyer un message ou de se connecter à un site Web? Pouvez-vous me dire ce qu'une personne peut faire, et si cela fonctionne?
(1245)
    Bien sûr, je suppose que vous pourriez appeler le 911. Je ne sais pas si c'est vraiment la façon dont cela se passe, cependant. Je ne suis pas au courant de cela.
    Je sais que le système policier de la Nouvelle-Écosse est très réactif, et nous avons de très bons contacts avec le caporal David Lane, qui dirige ce groupe. Ils font certainement beaucoup pour tenter de résoudre ce problème, mais cela ne fonctionne pas. Ce n'est pas suffisant, et le caporal David Lane serait le premier à vous dire qu'il a souvent le dos au mur. Dès qu'il commence à avoir une piste sur quelqu'un, celui‑ci se déplace dans une autre province. Il y a alors toute la question des compétences, pour essayer de mettre l'autre province au courant, et ainsi de suite.
    Pour résumer, toute femme qui communique avec la Nova Scotia Native Women's Association à n'importe quel moment de la journée, même en sonnant à la porte de notre centre Jane Paul, pourra parler à quelqu'un. Notre nouveau centre de résilience, une fois construit, aura la même capacité et sera munie d'une sonnette Ring. Nous les emmènerons en lieu sûr, même derrière une vitre pare-balles, et nous les y maintiendrons jusqu'à ce que nous puissions les mettre en sécurité. Comme l'a dit l'autre dame, si nécessaire, nous les emmènerons chez nous. Nous l'avons fait et nous continuerons de le faire, mais nous ne devrions pas avoir à le faire.
    En Nouvelle-Écosse, le seul refuge accessible aux femmes qui se sortent de la traite des personnes est rattaché à une église. Je n'ai pas besoin de vous expliquer à quel point cela est problématique pour les femmes et les filles autochtones de la Nouvelle-Écosse. Il doit y avoir des solutions de rechange, et c'est pourquoi Pam Glode et moi veillons à ce que... Il n'y a pas d'argent. Nous n'avons pas de fonds pour faire cela. Nous le faisons simplement en fonction de ce que nous pouvons recueillir comme dons pour acheter ce bâtiment et le préparer. Nous pensons que lorsque nous l'aurons construit, les possibilités se présenteront.
    Je vous remercie.
    Madame Bérubé, êtes-vous en mesure de poser votre question?

[Français]

    Oui, monsieur le président. Excusez-moi, j'ai dû m'absenter.
    Madame Gobert, vous disiez avoir des revendications à faire. Quelles sont-elles?

[Traduction]

    Je suis désolée. Pourriez-vous répéter la question, s'il vous plaît?

[Français]

    Dans votre discours, vous avez mentionné que certains programmes étaient offerts, notamment des programmes d'éducation, qu'il y avait une boîte de Pandore et qu'il y avait des changements politiques à apporter. Quelles sont vos recommandations sur le plan politique pour changer ces options?

[Traduction]

    Je comprends que tous les autres témoins viennent de grands centres, alors que notre communauté est plutôt petite. Ce que nous avons constaté, c'est qu'il y a un véritable blocage lorsqu'il s'agit pour la GRC d'assurer la sécurité de ces femmes.
    Je crois que c'est Mme Pictou qui a mentionné l'accès, et j'aime ce qu'elle a dit au sujet de ce phare et de la possibilité de venir sonner à la porte. C'est une autre chose avec laquelle nous avions rencontré des problèmes. Il n'y avait pas de financement. Nous avons donc résolu ce problème en utilisant un téléphone cellulaire qui reste allumé 24 heures sur 24 pour que je puisse aller aider ces femmes.
    En ce qui concerne les changements politiques, je suis désolée, mais je ne peux rien dire. Je ne sais pas ce que je pourrais recommander à ce stade. Tout ce que je sais, c'est que quelque chose doit changer pour assurer la sécurité de nos femmes.
    Je vous remercie infiniment. Merci, madame Bérubé.
    Rachel Blaney, allez‑y, je vous prie.
    Je vous remercie, monsieur le président. Je vais m'adresser à Mme Baptie.
    Vous n'avez pas eu la chance de répondre à ma question, et je vais la formuler expressément pour vous, à la lumière de votre témoignage précédent.
    Vous avez parlé du secteur où se trouvent les Autochtones victimes de traite de personnes et du fait que les logements pour les Autochtones sont justement au même endroit. Les services sont à quelques rues de là, de sorte que les Autochtones restent dans le secteur parce qu'ils n'ont pas d'autre choix.
     Lorsque nous avons parlé des ressources nécessaires pour aider les personnes qui tentent de s'en sortir, vous avez mentionné la possibilité de partir et la mesure dans laquelle les ressources vous sont utiles. Trouvez-vous qu'il y a une lacune dans ce cas précis?
(1250)
    Il y a de graves lacunes. Différentes pressions sont exercées, n'est‑ce pas? Certaines femmes ont peur de quitter la région puisqu'elles n'ont jamais vraiment été ailleurs. Comment se passent les choses hors du secteur? Certaines femmes se sentent plus à l'aise dans le quartier, mais ma copine a trois enfants et vit dans un logement pour les Autochtones, qui n'est même pas à 500 mètres de l'endroit où nous travaillions. Aujourd'hui, elle passe par là pour aller porter ses enfants, ce qui la provoque tous les jours. Comment rester sobre en luttant contre ses démons au quotidien?
    Je pense que vous venez de la Colombie-Britannique, n'est‑ce pas? À Vancouver, c'est ce qu'on appelle le proxénétisme attribuable à la pauvreté. Nous avons des organisations monolithiques qui essaient de prendre en charge tous les projets qui se présentent. Ce faisant, elles piègent tout le monde dans ce quartier de la ville de dix pâtés de maisons — et je suis généreuse. Elles regardent ensuite les Autochtones en se disant qu'ils ont toutes les ressources dont ils ont besoin, mais ce n'est pas vrai. Ces gens n'ont rien.
    Ici, à Vancouver, nous nous limitons à réduire les méfaits. Nous n'offrons pas de services de rétablissement, car c'est trop cher. Nous n'avons pas de lits pour la désintoxication puisqu'ils coûtent de l'argent. Distribuer des préservatifs et des seringues est le moyen le plus abordable de s'attaquer au problème.
    Il faut trouver la volonté politique d'investir dans des ressources qui montrent que nous accordons de l'importance à nos femmes — pas seulement à nos femmes autochtones, qui le méritent vraiment, mais aussi à toutes les femmes, un point c'est tout. Notre premier ministre clame haut et fort que nous avons un gouvernement ou un pays féministe; c'est de la foutaise. Je n'arrive toujours pas à obtenir un engagement à ne pas troubler l'ordre public pour une femme qui est couverte d'ecchymoses. Je n'arrive toujours pas à convaincre la police de prendre au sérieux la traite de personnes.
    Je déteste le mot « traite »; il s'agit de prostitution. La traite n'est qu'une nouvelle façon élégante de désigner une pratique qui existe depuis des millénaires, à savoir que les femmes sont abusées sexuellement par les hommes, n'est‑ce pas?
    Veuillez m'excuser. Je me suis lancée dans une diatribe.
    Selon moi, il serait bénéfique de créer des programmes en dehors des régions démographiques où les femmes sont abusées, puis de les intégrer lentement dans des milieux autres que ceux qu'elles connaissent. Je m'en suis sortie parce que je ne passe pas devant un vendeur de crack pour aller chercher du lait. Je ne marche pas dans une rue où une voiture sur trois me demande si je vends mes services.
    Nous devons changer les conditions de vie des femmes. Ce que je veux dire par là, c'est que nous devons élargir les critères de leurs lieux de vie, car nous les avons confinées à ces petits milieux qui les enferment dans un cycle interminable.
    J'ai terminé.
    Wow. C'était un témoignage percutant.
    Mesdames et messieurs les membres du Comité et les témoins, les analystes sont chargés de fournir à notre comité un résumé des témoignages. Le document nous servira de référence lorsque le Comité se réunira à nouveau, peu importe quand.
    Au nom du Comité, permettez-moi de vous dire que je suis très reconnaissant d'avoir eu l'occasion de vous voir et d'entendre ce que vous aviez à dire. Ce que je trouve formidable, c'est l'estime que vous avez pour vous-mêmes, malgré ce que vous avez vécu dans vos cheminements de vie. Il serait très facile pour n'importe laquelle d'entre vous de baisser les bras. Pourtant, vous êtes là à vous battre pour ce que vous croyez juste en raison de votre expérience. Je pense que nous devons tous en retenir que, quels que soient l'endroit où nous nous trouvons et les influences sur nos vies, il est toujours possible d'améliorer son sort si seulement nous y mettons les efforts nécessaires. C'est pourquoi vous êtes ici aujourd'hui.
    Nos analystes vont bien saisir vos propos. Nous n'avons pas fini cette étude, mais au nom de tous les membres de notre comité, je tiens à vous remercier chaleureusement. L'expérience a changé la vie de chacun d'entre nous, j'en suis persuadé.
    Sur ce, la séance est levée.
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