ENVI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON ENVIRONMENT AND SUSTAINABLE DEVELOPMENT
COMITÉ PERMANENT DE L'ENVIRONNEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 16 novembre 1999
Le président (l'hon. Charles Caccia (Davenport, Lib.)): Nous reprenons les délibérations de notre illustre comité, qui s'aventure à nouveau aujourd'hui dans l'exploration des produits de lutte antiparasitaire et aussi de l'Agence de réglementation de lutte antiparasitaire.
Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui les représentants de l'Association canadienne de santé publique, de l'Institut canadien de la santé infantile et de l'Association canadienne des troubles d'apprentissage. Je souhaite la bienvenue à Barbara McElgunn, qui représente l'Association canadienne des troubles d'apprentissage; à Sandra Schwartz, de l'Institut canadien de la santé infantile; et à la Dre Nicole Bruinsma, de l'Association canadienne de santé publique.
Je crois que vous avez demandé de prendre la parole dans l'ordre que je viens d'indiquer. Vous avez donc la parole.
Mme Barbara McElgunn (agente de liaison, Santé, Association canadienne des troubles d'apprentissage): Merci, monsieur le président. Je m'appelle Barbara McElgunn et je suis agent de la politique en matière de santé à l'Association canadienne des troubles d'apprentissage. Je fais également partie du Comité de recherche de l'Association des troubles d'apprentissage des États- Unis depuis 20 ans. Au sein des deux associations, j'exhorte les pouvoirs publics, l'Environmental Protection Agency des États-Unis et le ministère de la Santé du Canada à prendre des mesures afin de protéger la santé et le développement des enfants. J'ai participé à deux groupes de travail d'experts de l'OCDE chargés de préparer les lignes directrices préliminaires concernant l'évaluation de la neurotoxicité, et je suis membre du Conseil consultatif de la répression des ravageurs, qui s'est réuni pour la première fois en novembre 1998.
En général, et même si le conseil consultatif ne s'est réuni jusqu'à maintenant que trois fois, je dois dire que l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire me fait bonne impression. Je respecte les scientifiques et les autres personnes qui travaillent à l'agence et qui essaient de faire beaucoup avec trop peu de ressources, malgré les failles dans le pouvoir que leur accorde la loi et malgré un nombre excessif de missions partagées.
• 0910
Les nouvelles dispositions qui modifient la Loi sur les
produits antiparasitaires et qui contiennent un certain nombre de
changements et d'ajouts absolument nécessaires se font attendre
depuis longtemps et sont grandement désirées. Lors de notre
dernière réunion, le conseil a décidé à l'unanimité de souscrire
aux amendements. Par ailleurs, je crois que le Conseil consultatif
de la répression des ravageurs devrait influer dans le bon sens sur
la politique et le fonctionnement de l'agence de réglementation,
mais je reviendrai sur quelques-unes de ces observations un peu
plus tard.
Puisque nous sommes un organisme qui s'intéresse aux troubles d'apprentissage, nous sommes particulièrement préoccupés par les pesticides, puisqu'ils sont conçus pour être neurotoxiques chez les ravageurs. Pourtant, ce n'est que tout récemment—vers la fin des années 80—que notre association et d'autres organisations aux États-Unis ont réussi à convaincre l'Environmental Protection Agency d'exiger de la part des détenteurs d'homologations les résultats des tests de neurotoxicité, ce qui n'avait jamais encore été fait. Il y a quelques années à peine, l'EPA a commencé à agir sur ce front et sur le front des autres questions réglementaires, à cause des effets possibles que pouvaient avoir les pesticides sur les organes en développement des enfants. En août dernier, l'EPA publiait un appel de données, en vertu duquel les détenteurs d'homologations doivent fournir les résultats de tests de neurotoxicité développementale pour certaines catégories de pesticides censés être neurotoxiques.
J'ai lu avec intérêt la transcription des témoignages de personnes qui ont déjà comparu à votre comité, et particulièrement celui de la Dre Claire Franklin. En effet, celle-ci déclarait que tous les pesticides subissent une évaluation commerciale poussée avant d'être utilisés et même vendus au Canada. Une telle déclaration, souvent entendue des représentants de l'ARLA, peut bien calmer les inquiétudes du public, mais elle n'est pas entièrement exacte. Ainsi, la base de données sur la toxicité de nombreux pesticides souffre de graves failles, notamment l'absence de données issues de tests de neurotoxicité développementale.
Nous sommes préoccupés de constater que les tests de neurotoxicité développementale ne sont pas mentionnés dans l'avis de l'ARLA relatif à une réévaluation des pesticides organo- phosphatés qui agissent par action neurotoxique, ni dans le projet de document sur l'harmonisation des règles canadiennes avec celles de l'EPA, pour la protection de la santé des enfants. Pourtant, aux États-Unis, cette carence en matière de test est une question de première importance à laquelle on semble s'attaquer.
J'attire votre attention sur deux rapports scientifiques récents qui mettent ces préoccupations en évidence. D'abord, il y a une étude effectuée récemment au Mexique par la Dre Elizabeth Gillette portant sur des enfants de quatre et cinq ans. Une partie des enfants était exposée à de nombreux pesticides d'usage agricole et domestique, alors que les autres enfants, qui vivaient dans les contreforts de montagnes, n'étaient exposés à peu près à aucun pesticide. Or, il y avait une différence très marquée dans les aptitudes mentales et motrices des deux groupes d'enfants. Les enfants habitant dans les régions agricoles réussissaient beaucoup moins bien et avaient un comportement beaucoup plus agressif par rapport aux enfants du même âge vivant dans les contreforts de montagnes et non exposés aux pesticides. Les premiers jouaient beaucoup plus en solitaire et jouaient beaucoup moins à faire semblant, par exemple, que les autres. Ces résultats sont importants.
De plus, cette année, une équipe de scientifiques américains et canadiens ont décelé la présence de pesticides dans le liquide amniotique de bébés à naître, dans des concentrations susceptibles d'influer sur des hormones critiques pour le développement, l'appareil génital et la différenciation sexuelle. Voilà le genre de chose sur laquelle devra se pencher l'agence de réglementation.
Il nous semble que l'agence de réglementation prend des mesures en vue d'adopter un système réglementaire transparent, ce qui nous semble important. Toutefois, d'après ma propre expérience, donner suite aux demandes de commentaires et de consultations nécessite beaucoup de temps et d'expertise, denrées qui manquent souvent aux organismes sans but lucratif. Les ONG n'ont parfois dans leurs bureaux qu'une seule personne qui pourrait répondre à la demande, alors qu'il en faudrait beaucoup plus.
Si vous souhaitez vraiment que le dispositif soit transparent et que la population puisse réagir lorsque vous la consultez sur les propositions de règlement, les ONG auront besoin d'aide pour être en mesure d'affecter des employés à ce travail important. Faute de réaction des ONG, l'agence ne recevra que le point de vue de l'industrie, et elle aura l'impression que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, alors que ce n'est probablement pas le cas.
• 0915
Nous pensons également que l'ARLA devrait produire et publier
des lignes directrices pour l'évaluation des risques, tout comme le
fait l'Environmental Protection Agency aux États-Unis. Cela permet
à ceux qui gèrent les risques, à ceux qui les évaluent et à la
population de savoir que l'agence utilise des méthodes sérieuses
pour faire son évaluation des risques. L'ARLA pourrait même adopter
certaines des lignes directrices d'évaluation de l'EPA, voire les
modifier. Toutefois, il importe qu'elles soient établies clairement
pour que tous sachent à quoi s'en tenir en termes d'évaluation.
L'information sur les formulants nous semble aussi extrêmement importante. Vous savez sans doute que les formulants sont des substances chimiques qui peuvent représenter jusqu'à 90 p. 100 du produit antiparasitaire. On les utilise pour rendre le pesticide plus puissant ou plus facile à utiliser, et ils peuvent avoir un effet cumulatif ou synergique lorsqu'ils sont mélangés à l'ingrédient actif. Autrement dit, ils peuvent rendre l'ingrédient actif encore plus puissant ou encore plus toxique.
Aux États-Unis, plus de 26 p. 100 des formulants sont considérés comme dangereux pour la santé ou pour l'environnement. Il est donc obligatoire que les pesticides portent une étiquette disant ceci: «Ce produit contient l'ingrédient inerte toxique (nom du produit).» Au Canada, il n'y a pas d'obligation de ce genre. Si un enfant est empoisonné par un pesticide domestique, ou par un produit utilisé sur un animal familier, par exemple, le médecin pourrait avoir beaucoup de mal à établir quel en était le vecteur ou quel était le produit inerte.
Depuis que l'EPA a commencé à exiger des détenteurs d'homologations qu'ils inscrivent sur l'étiquette les produits inertes dangereux du point de vue toxicologique, l'emploi des produits inertes dont l'indication est obligatoire a diminué de 86 p. 100, passant de 57 produits en 1987 à 8 produits en 1997. Ce règlement a démontré qu'il pouvait inciter les fabricants industriels à retirer ces formulants de leurs produits, puisque les consommateurs peuvent désormais choisir entre les produits contenant des formulants toxiques et les autres au moment de l'achat.
Or, au Canada, les formulants sont protégés et considérés comme des informations commerciales confidentielles. Malheureusement, la disposition permettant d'invoquer l'information commerciale confidentielle ne disparaîtra pas avec la nouvelle loi sur les produits antiparasitaires. Nous croyons au contraire que les formulants ne devraient pas être considérés comme de l'information commerciale confidentielle et que la divulgation de leur composition devrait être obligatoire.
Nous sommes également préoccupés par l'évaluation des expositions et le manque d'information. Prenons, par exemple, l'eau potable. Une étude du Conseil de recherche national des États-Unis démontre que les bébés et les enfants consomment jusqu'à sept fois plus d'eau que les adultes, en milligramme par kilogramme de poids corporel. Cette étude fait un certain nombre de recommandations sur l'évaluation de l'exposition, afin que l'on tienne compte de ce facteur.
L'eau est une importante cause d'exposition aux pesticides pour de nombreux enfants. Pourtant, à en croire le témoignage de M. Shantora devant votre comité, aucun contrôle systémique de l'eau n'est effectué au Canada par un ministère ou un organisme de quelque ordre de gouvernement que ce soit. C'est inacceptable. Comment, en l'absence de ces données, la Dre Franklin peut-elle étudier l'exposition totale globale, comme l'exige la FQPA des États-Unis, qui a entraîné l'adoption d'un certain nombre de politiques visant à protéger les enfants?
Il a été prouvé qu'un certain nombre de pesticides sont présents dans l'eau de puits. La U.S. Pesticides in Groundwater Database examine les données relatives à 68 000 puits dans 45 États. Des pesticides ont été relevés dans l'eau de plus de 16 000 puits dans 42 États. Dans près de 10 000 de ces puits, les concentrations dépassaient les normes de l'EPA pour l'eau potable. Le seul relevé dont M. Shantora avait eu connaissance au Canada—l'analyse de l'eau de puits de 1988 en Ontario—avait constaté la présence d'atrazine à une concentration de 210 parties par milliard, soit 40 fois la norme canadienne, fixée pour ce produit à cinq parties par milliard. De plus, l'atrazine a été trouvée dans 30 p. 100 des échantillons d'eau de pluie prélevés en Europe.
Une étude de cinq ans de l'Université du Wisconsin sur les effets des concentrations de différents résidus de pesticides, dans les eaux souterraines naturelles, sur des souris forcées à en boire conclut à des effets néfastes sur le système immunitaire, le système endocrinien (hormonal) et le système nerveux. Des effets, répliqués à plusieurs reprises, ont été constatés sur la thyroïde, le système immunitaire et l'agressivité des souris. C'est une source de préoccupations, car vous vous souvenez sans doute qu'on avait constaté une augmentation de l'agressivité chez les enfants dans l'étude faite au Mexique.
• 0920
Je crois que votre comité s'est déjà penché sur la question
des mandats et responsabilités partagés qui nous préoccupent aussi.
Nous estimons que les mandats partagés retardent ou diluent la
prise de décisions au point de paralyser toute action; dans bien
des cas, une organisation ne peut prendre une décision de son
propre chef, ni ne peut être entièrement responsable, surtout quand
il s'agit de surveillance ou d'imposition de la loi. Par
conséquent, rien n'est fait.
La grave carence en matière de programmes de contrôle de l'eau de consommation au Canada met en évidence les constatations et les recommandations du commissaire à l'environnement et au développement durable. Les accords bilatéraux ou les protocoles d'entente doivent indiquer des responsabilités claires et comporter des dispositions sur la déclaration obligatoire de sujets comme ceux-là. Le public devrait avoir le droit d'être informé de la qualité de l'eau potable au Canada.
Je terminerai en abordant le budget et les programmes de l'ARLA et sa capacité en matière de R-D. Le commissaire note dans son rapport l'écart grandissant entre les demandes imposées aux ministères fédéraux en matière de production d'informations scientifiques sur les substances toxiques, et leur capacité de répondre aux obligations existantes et de faire face à de nouveaux enjeux. Les budgets des programmes scientifiques à Santé Canada et à Environnement Canada ont été sévèrement réduits au cours des 20 dernières années. Dans sa réponse aux recommandations de l'examen de l'homologation des pesticides, le gouvernement estime que les ressources de l'ARLA devraient être augmentées d'au moins 20 millions de dollars par année pour que soient réalisées toutes les recommandations du rapport. Cet afflux annoncé d'argent représenterait plus que le budget de l'ARLA à l'époque, qui s'établissait à 14 millions de dollars. Ces fonds ne se sont pas matérialisés.
Nous estimons que l'ARLA devrait recevoir les montants additionnels recommandés dans la réponse du gouvernement à l'examen de l'homologation des pesticides et qu'il faudrait créer une nouvelle division de la R-D habilitée à entreprendre des recherches indépendantes destinées à combler les lacunes en information, notamment en ce qui concerne les enfants, l'exposition globale et cumulative et les conséquences non cancéreuses sur la santé, notamment sur le système immunitaire, le système endocrinien et le développement neurologique.
J'aimerais ajouter une remarque sur les résidus de pesticides. On a récemment fait état dans le Globe and Mail d'un rapport qui avait été obtenu conformément à la Loi sur l'accès à l'information. Ce rapport indique que les résidus de pesticides sur les produits de culture ont plus que doublé depuis 1994. Un porte-parole de l'Agence canadienne d'inspection des aliments se serait dit incapable d'expliquer une hausse si marquée de la constatation de résidus de pesticides, dont le taux est passé de 10,3 p. 100 des inspections, de 1992 à 1994, à 24,1 p. 100 de 1994 à 1998.
Il faut savoir pourquoi les cultivateurs utilisent plus de pesticides; est-ce que les ravageurs sont plus résistants? Il faut connaître l'effet cumulatif des résidus de plusieurs pesticides ayant un mode d'action similaire sur les fruits et les légumes consommés en un même repas. Par exemple, les résidus de 12 pesticides ont été trouvés sur des pommes canadiennes; or, six de ces produits étaient des pesticides organophosphatés spécifiquement conçus pour agir sur le système nerveux. Voilà un bon exemple d'effet cumulatif. En soi, aucun de ces pesticides n'a été trouvé en quantité supérieure au niveau toléré. Ensemble, toutefois, quatre de ces pesticides pourraient faire en sorte qu'un enfant en consomme plus que ce qu'il ne devrait.
Environ la moitié des infractions, c'est-à-dire des résidus dépassant la limite maximale, mettaient en cause des pesticides comme le chlorpyrifos, pour lequel aucune utilisation n'est approuvée. En vertu d'accords d'harmonisation, certaines limites ont été augmentées, de sorte que des niveaux de chlorpyrifos sur des fruits et légumes pour lesquels l'utilisation est approuvée et qui auraient été excessifs lorsque la limite maximale de résidus était de 0,1 ppm sont légaux maintenant que la limite est fixée à 1,0 ppm. Cela est inquiétant.
À notre avis, le public devrait avoir le droit de savoir, par le truchement de rapports annuels de l'organisme responsable, les résultats des échantillonnages de résidus et de connaître les mesures qui sont prises pour réprimer les infractions. De plus, l'ARLA doit avoir les moyens de trouver pourquoi l'utilisation de pesticides est à la hausse.
• 0925
Pour conclure, monsieur le président, disons que les
pesticides peuvent avoir des effets nuisibles sur le développement
du cerveau, à des niveaux d'exposition inférieurs aux niveaux
auxquels d'autres effets sont constatés.
Voici ce que dit le Dr Bernard Weiss, de l'Université de Rochester:
-
Toutefois, malgré la masse considérable d'information sur la
toxicité des pesticides et l'inquiétude particulière du public au
sujet de l'exposition des enfants, nous en savons si peu sur la
manière dont ces puissants produits chimiques peuvent influer sur
le développement du cerveau que cela en est inquiétant.
Le Dr Warren Porter, qui étudie les effets des concentrations environnementales de pesticides dans l'eau potable sur le comportement des souris, a été cité dans le Los Angeles Times, cette année: «Les données portent à croire que nous sommes en train d'élever une génération d'enfants affligés de troubles d'apprentissage et ultra-agressifs.»
Il faut instaurer au Canada un solide dispositif de réglementation des ravageurs fondé sur le principe de la prudence et doté des ressources et de l'autorité voulues pour protéger l'environnement, la santé et le développement des Canadiens.
Merci.
Le président: Merci.
Mme Sandra Schwartz (directrice, Programmes environnementaux, Institut canadien de la santé infantile): Je m'appelle Sandra Schwartz et je représente l'Institut canadien de la santé infantile. J'y travaille comme directrice des Programmes environnementaux.
J'aimerais d'abord vous remercier de nous avoir invités à adresser la parole à cet important comité. Dans notre exposé d'aujourd'hui, nous aimerions vous entretenir de la sensibilité particulière des enfants aux effets des pesticides et des mesures préventives à la lumière de l'incertitude scientifique; nous voulons aussi vous recommander une approche pour l'établissement des normes et l'homologation en matière de pesticides, approche qui tient compte de la vulnérabilité particulière des enfants.
Nous examinerons attentivement les recommandations selon lesquelles il faut exiger des essais toxicologiques et des procédures d'évaluation du risque fondés sur la sensibilité des enfants et examiner davantage les effets sur la santé de l'exposition de faible intensité à de multiples pesticides.
À l'heure actuelle, le régime de réglementation des pesticides au Canada ne tient pas compte explicitement de la vulnérabilité spéciale des enfants. Nous mettrons donc l'accent sur des recommandations précises visant à faire reconnaître la sensibilité particulière des enfants aux pesticides.
J'aborderai d'abord la sensibilité particulière des enfants. Les enfants sont exposés à bien des pesticides chimiques provenant de toute une gamme de sources. Barbara a déjà mentionné certaines études, et, dans notre mémoire, nous décrivons le poids des preuves qui proviennent des nombreuses études qui ont déjà été effectuées sur ce sujet.
De la conception jusqu'à l'adolescence, les enfants sont plus sensibles et sont davantage exposés aux pesticides que l'adulte moyen. En moyenne, les enfants font l'objet d'une exposition accrue aux pesticides parce que, kilogramme pour kilogramme, ils mangent davantage, boivent davantage d'eau et respirent davantage d'air que les adultes, et parce que leur régime alimentaire diffère quelque peu de celui des adultes, surtout en bas âge.
De plus, selon leur âge, la capacité des enfants de métaboliser, détoxifier et excréter de nombreux produits toxiques est différente de celle des adultes. L'exposition au cours des périodes critiques du développement peut entraîner des dommages irréversibles au système nerveux en croissance et influer sur les comportements en formation, causer des troubles de fonctionnement du système immunitaire et causer de graves problèmes au niveau de l'appareil reproducteur.
Dans certains cas, il faut une exposition prolongée pour causer des effets néfastes. Dans d'autres cas, une seule exposition à un moment vulnérable peut suffire. Des milliers de pesticides et d'autres produits de lutte antiparasitaire sont autorisés au Canada. Une poignée d'anciens produits, par exemple le DDT, sont interdits au Canada, mais ils sont encore présents à cause de leur persistance dans l'atmosphère et parce qu'on continue de les utiliser ailleurs dans le monde.
Les enfants peuvent être exposés pendant la pulvérisation des pesticides ou bien après que ceux-ci ont été répandus dans l'environnement. Les pesticides pénètrent dans le corps de trois façons principales. En avalant, en respirant et à travers la peau. L'exposition d'un enfant donné aux pesticides dépend de nombreux facteurs, notamment le lieu de résidence, les activités, l'âge, la profession des parents ou des dispensateurs de soins, et les habitudes alimentaires.
Dans le mémoire, j'ai exposé un certain nombre de façons dont les enfants sont exposés à ces produits, par exemple dans les aliments, l'eau, l'air et le sol. Ils sont exposés à l'étape prénatale, pendant le développement du foetus, et aussi par le contact avec des produits de consommation comme les jouets. Le régime alimentaire des enfants est habituellement plus riche en certains aliments qui peuvent être porteurs de pesticides résiduels. Par exemple, une étude américaine indique que 20 millions d'enfants âgés de cinq ans et moins mangent en moyenne huit pesticides par jour, tous les jours, ce qui donne un total de 2 900 expositions à des pesticides par enfant, chaque année, uniquement par les aliments.
Barbara a aussi mentionné l'eau et la forte exposition à ces produits présents dans l'eau. Les pesticides peuvent aussi être en suspension dans l'air à la maison, à l'école, à la garderie, etc., à cause des bandes vaporisatrices, des pulvérisations, des pièges et de la fumigation, techniques que l'on utilise souvent pour lutter contre des parasites comme les coquerelles. Une étude de l'Institut national du cancer indique que les enfants ont jusqu'à six fois plus de chances de souffrir de la leucémie infantile lorsque des pesticides sont utilisés à la maison ou dans le jardin.
• 0930
Pour ce qui est du sol ou de la poussière, des pesticides
résiduels et de la poussière contaminée se déposent souvent sur la
surface de divers produits, comme les jouets avec lesquels les
enfants sont en contact. Les enfants transfèrent dans leur bouche
la poussière contaminée qui se trouve à la surface de leurs jouets,
parce qu'ils mettent fréquemment leurs doigts dans leur bouche.
J'ai aussi mentionné l'exposition prénatale. Les pesticides peuvent être transférés du corps de la mère à un foetus ou un embryon en développement. Par exemple, comme Barbara l'a dit, on a trouvé dans le liquide amniotique des concentrations de Lindane et de DDE. Une fois de plus, dans le cas des produits de consommation, non seulement nous devons nous inquiéter des accidents qui peuvent survenir quand des enfants ingèrent des pesticides mal entreposés, mais de plus les enfants manipulent souvent leurs animaux domestiques après que ceux-ci ont été traités contre les puces ou les tiques par l'application de poudre, shampoings ou colliers. De plus, les produits chasse-moustiques et les shampoings antipoux que l'on utilise fréquemment sont également appliqués directement sur les enfants, et ce sont aussi des pesticides.
Les pesticides peuvent causer divers effets aigus ou à long terme, selon le type de pesticide, la dose, le mode d'exposition, et la sensibilité de la personne exposée. L'exposition à de faibles niveaux de certains pesticides pendant des mois ou des années peut causer le cancer, des troubles du système nerveux, du système immunitaire, l'infertilité, et des problèmes de comportement et de développement. L'utilisation des pesticides dans les maisons a été identifiée comme un facteur de risque des problèmes de santé chroniques chez les enfants, principalement la leucémie et les tumeurs au cerveau. Barbara a aussi mentionné l'étude effectuée au Mexique, qui montre également la présence d'autres effets neurologiques.
On a récemment démontré que certains pesticides, même à des niveaux extrêmement faibles et parfois après une seule et unique exposition, peuvent déranger le système endocrinien. L'embryon en développement est particulièrement sensible aux effets de ces produits chimiques, tout comme le cerveau, les organes sexuels et d'autres éléments structurels du corps dépendent de signaux hormonaux extrêmement ténus pour leur développement.
Il est urgent de faire en sorte que les enfants deviennent prioritaires dans la politique relative aux pesticides. En dépit de la très grande vulnérabilité des enfants aux contaminants environnementaux, il n'y a actuellement aucune stratégie cohérente d'évaluation et de gestion du risque pour s'assurer que nos enfants grandissent sans crainte d'être exposés aux contaminants environnementaux, en particulier les pesticides. Au Canada, le régime de réglementation des pesticides, comme je l'ai dit, ne tient pas explicitement compte de la vulnérabilité particulière des enfants, pas plus que les exigences relatives aux tests toxicologiques ou aux procédures d'évaluation du risque ne tiennent compte de la sensibilité des enfants. La plupart des tests de toxicité des pesticides sont effectués sur des animaux adultes; par conséquent, ils ne fournissent que très peu de renseignements sur les répercussions sur les jeunes.
La plupart des échantillons d'aliments prélevés pour mesurer le taux de pesticide résiduel sont tirés du régime alimentaire des adultes. La plupart des règlements et politiques sont conçus pour protéger les adultes et sont fonction d'un homme en santé pesant 70 kilogrammes, et non pas d'un enfant de 7 kilogrammes. Il faut donc établir des normes conçues expressément pour protéger les enfants.
Nous avons un certain nombre de recommandations à faire, à la fois au comité et dans l'optique du rapport qui sera l'aboutissement de cet exercice. La première recommandation est que l'exposition de toutes les sources, pas seulement du régime alimentaire, doit être prise en compte pour évaluer le risque.
Deuxièmement, les modèles d'évaluation du risque doivent intégrer la fonction temporelle, permettant ainsi de tenir compte explicitement des expositions plus précoces à plus fortes doses. L'estimation du seuil de tolérance doit explicitement tenir compte de l'exposition plus élevée des enfants à certains pesticides et doit aussi tenir compte du fait que cette exposition a lieu à une étape où l'individu est plus vulnérable qu'un adulte.
Troisièmement, parce que les enfants peuvent être plus sensibles que les adultes aux produits chimiques, et parce que les enfants sont exposés différemment aux pesticides en comparaison des adultes, il faut prévoir une marge de sûreté dix fois plus grande dans l'établissement des tolérances aux pesticides pour protéger la santé des enfants. Il est essentiel de prévoir une marge de sûreté pour empêcher que les enfants ne soient exposés à des niveaux dangereux et inutilement élevés de pesticides résiduels. Le facteur de sûreté permet de se protéger contre les incertitudes qui subsistent actuellement quant au taux d'exposition et à la sensibilité des enfants à beaucoup de pesticides, sinon à la plupart d'entre eux.
Quatrièmement, la mise au point d'exigences relativement aux tests de toxicité des pesticides, surtout pour certains points de service de santé, et pour certains contaminants spécifiques et certains types de contaminants—et Barbara a mentionné les formules ou mélanges—y compris de nouveaux tests pour évaluer les effets toxiques potentiels des pesticides sur le système immunitaire, le système nerveux, la reproduction et le développement, et le système visuel des enfants.
• 0935
De plus, nous recommandons la création d'un processus
d'évaluation visant à prendre en compte l'exposition cumulative.
Les estimations d'exposition ne doivent pas se limiter à estimer
l'impact d'un seul pesticide. L'effet cumulatif des pesticides
ayant des effets toxiques communs doit être pris en compte dans
l'établissement des limites de tolérance.
À l'avenir, l'approche pour l'établissement des normes relativement à l'inscription des pesticides devra tenir compte des caractéristiques particulières des enfants: régime alimentaire, étapes du développement et comportement. En général, en établissant des normes visant intentionnellement à protéger les enfants, il faut inclure tous les renseignements disponibles provenant des études cliniques et épidémiologiques des effets sur la santé humaine, en particulier chez les enfants; effectuer une estimation exacte de l'exposition des enfants de toutes sources et par de multiples modes; évaluer les effets dans l'optique du développement de l'enfant; et inclure un plus vaste éventail d'effets sur la santé, y compris la perturbation endocrinienne.
Il est essentiel de faire des recherches plus poussées sur l'association entre les pesticides et la santé des enfants, surtout en ce qui a trait aux effets durables et à l'incidence sur le développement, car dans les deux cas les données ne sont pas suffisamment claires.
Il faut mettre en place et maintenir des systèmes permettant de contrôler les niveaux de contaminants clés qui sont dispersés dans l'environnement et les niveaux de ces contaminants à l'intérieur du corps, ainsi que leurs effets possibles sur la santé des enfants. Le fait de contrôler l'état de santé et les indicateurs de l'environnement aidera à mieux comprendre le lien entre l'exposition aux pesticides et la santé.
Étant donné l'actuelle pénurie de données, il faudrait, de façon prioritaire, recueillir des renseignements sur la santé environnementale et la santé des enfants afin de combler le déficit d'information entourant les contaminants et la santé des enfants. Ces données, conjuguées aux résultats des travaux de recherche, seront précieuses pour établir sur une base scientifique solide les initiatives en matière de politique en vue de protéger les enfants.
Les deux recommandations suivantes concernent ce système de surveillance et de contrôle.
La première recommandation porte sur l'institution d'une enquête nationale sur l'exposition des enfants aux pesticides contenus dans l'air, l'eau et la poussière, dans les maisons, les écoles, les garderies et autres endroits. Cette enquête permettrait de recueillir des données de première main sur l'exposition des enfants aux pesticides ainsi que sur les effets toxiques de ces produits par groupe d'âge, y compris le degré de réaction durant les stades critiques du développement des systèmes nerveux et immunitaire.
La deuxième recommandation porte sur la création d'une base de données nationale sur les résidus de pesticides et d'un programme de surveillance des aliments pour compiler les données sur les résidus de pesticides recueillis dans le cadre de la surveillance des aliments à l'échelle du Canada. Le programme comprendrait notamment la surveillance des aliments qui sont particulièrement importants dans le régime alimentaire des enfants, comme les poires, les pommes, les tomates, le riz et les pois.
En conclusion, on peut dire qu'à ce jour les lignes directrices et les objectifs concernant les pesticides sont axés sur la protection de la santé du Canadien moyen et ne prennent pas explicitement en compte les risques particuliers auxquels sont exposés les enfants. Les lignes directrices et les objectifs comportent des facteurs de sécurité pour tenir compte d'éléments incertains dans la recherche scientifique, dont les effets sur les enfants, mais la preuve est maintenant faite qu'en raison de leur physiologie et de leurs comportements les enfants sont exposés différemment, et, dans certains cas, davantage que les adultes aux risques que comportent les pesticides.
En conséquence, il conviendrait de revoir les lignes directrices et les objectifs actuels concernant les pesticides et de reconnaître la nécessité d'y inclure explicitement les risques auxquels sont exposés les enfants.
La loi américaine sur les pesticides, la Food Quality Protection Act, a été révisée en 1996 à la lumière de cette étude intitulée Pesticides in the Diets of Infants and Children, effectuée en 1993 par la National Academy of Sciences. Ces résultats ont démontré que le processus de réglementation ne tenait pas compte de la vulnérabilité particulière des enfants. On y recommandait que ce processus soit modifié afin de mieux protéger la santé des nouveaux-nés et des enfants. La loi a été adoptée à l'unanimité devant les preuves incontestables présentées dans le rapport.
Afin de protéger les enfants canadiens contre l'exposition aux pesticides, nous avons besoin de stratégies similaires dans nos propres structures de gouvernement. Une des stratégies consisterait à recommander à l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire de modifier le processus qu'elle utilise pour évaluer les risques, déterminer les tolérances aux pesticides et élaborer des politiques de réduction des risques, pour y inclure la santé infantile en rapport avec l'environnement.
Nous vous exhortons à tenir compte des recommandations formulées dans le présent document dans votre examen de l'utilisation et de la gestion des pesticides au Canada ainsi que dans l'élaboration de nouveaux règlements sur les pesticides, qui assureront la protection du groupe le plus vulnérable de notre population, les enfants.
J'aimerais simplement ajouter que la plupart de nos recommandations, de même que les données utilisées pour préparer notre mémoire, proviennent de Pesticides in the Diets of Infants and Children, de même que d'un rapport publié par l'Association canadienne du droit de l'environnement.
Merci.
Le président: Merci, madame Schwartz.
Mme Schwartz a aussi signalé à l'attention du comité cet article, intitulé «How Safe is our Produce?» tiré du numéro de mars 1999 de Consumer Reports. Le sous-titre est «Pesticide Report». Ceux qui voudraient en avoir un exemplaire peuvent s'adresser au greffier.
Mme Schwartz a aussi rédigé un articule intitulé «Children First: Environmental contaminant protection policy needs to be rewritten to reflect the needs of our most vulnerable citizens». Encore une fois, adressez-vous au greffier pour en avoir une copie.
Nous passons maintenant rapidement au dernier témoin. Vous avez la parole, madame Bruinsma.
Docteure Nicole Bruinsma (Association canadienne de santé publique): Je suis ravie de comparaître ici aujourd'hui au nom de l'Association canadienne de santé publique pour vous présenter le point de vue de la santé publique quant à l'utilisation des pesticides au Canada. Ce faisant, je préciserai également quelles sont les répercussions de l'utilisation des pesticides sur la santé publique.
Pour vous donner un peu le contexte, précisons que l'Association canadienne de santé publique, comme vous pouvez le lire dans le mémoire, est un organisme bénévole national, indépendant et sans but lucratif, qui représente la santé publique au Canada et qui entretient des rapports avec la communauté de la santé publique internationale.
Les membres de l'ACSP croient à l'accès universel et équitable aux conditions de base qui sont nécessaires pour permettre à tous les Canadiens et à toutes les Canadiennes de vivre en santé, c'est- à-dire de l'air et de l'eau propres et des aliments sans contamination.
La salubrité de l'environnement est au coeur de la santé publique. Comme on le dit dans un document intitulé «A Public Health Approach to Pesticide Use in Canada», l'ACSP participe à toute une gamme d'initiatives touchant la salubrité de l'environnement et de la santé en milieu de travail. L'expérience et les connaissances accumulées par l'ACSP en font un interlocuteur autorisé en matière de santé humaine et de santé de l'écosystème.
L'utilisation des pesticides est une question de santé publique. Par définition, les pesticides sont des substances toxiques et biocides. On s'en sert à des fins multiples pour toute une gamme d'applications.
Entre autres utilisations mentionnées dans le mémoire, citons les applications dans les secteurs de l'agriculture, ce qui représente environ 70 p. 100 de leur utilisation, pour l'entretien des immeubles, des écoles, des hôtels, des églises, des immeubles publics et privés et pour l'entretien des pelouses et des terrains de golf. Selon les sondages, de 30 à 70 p. 100 de tous les propriétaires de terrains ou de gazon, au Canada, ont recours à des pesticides.
Ils sont utilisés par les gouvernements dans les parcs, en bordure des chemins et sous les lignes électriques. Ils sont utilisés par les entreprises, dans les peintures, les colles, les tissus et comme agents de conservation ou comme fongicides.
Ils sont faciles à se procurer. Vous pouvez en acheter autant que vous voulez. Il y en a en aérosols, en pulvérisateurs, en vaporisateurs, en bandes insecticides—tout ce que vous pouvez imaginer.
Les recherches montrent que les Nord-Américains et les Européens ont dans le corps des résidus d'au moins une demi-douzaine de substances chimiques, toxiques et persistantes. On a trouvé des résidus de pesticide partout dans l'organisme: dans le sang, le plasma, le sperme, les larmes, la salive, les cheveux, les dents, le liquide amniotique, et même dans le liquide entourant le follicule des ovules. Cela signifie que les Canadiens, et les habitants du monde entier, sont exposés à ces produits chimiques destinés à supprimer la vie, même avant la conception.
Des études récentes publiées dans des revues scientifiques laissent penser qu'il y a des rapports entre l'utilisation des pesticides chimiques et de graves problèmes de santé, comme on nous en a déjà parlé ce matin, soit le cancer du cerveau, la leucémie infantile et le lymphome non hodgkinien.
Parlons de quelques-unes des caractéristiques des pesticides. On a déjà parlé de la persistance dans l'environnement de bon nombre d'entre eux. On a aussi parlé brièvement de l'effet de biomagnification, dans le cas des pesticides en milieu agricole, pour jusqu'à 99 p. 100 d'entre eux, qui peuvent manquer leur cible et se retrouver dans les cours d'eau. Ils sont concentrés par le plancton dans l'eau, le plancton est ensuite mangé par les zooplanctons, qui le sont eux-mêmes par de petits poissons, dont se nourrissent de gros poissons. Les humains, au sommet de la chaîne alimentaire, peuvent concentrer en eux ces produits chimiques à hauteur de 109, soit des milliards de fois.
• 0945
Quand on trouve dans les cours d'eau québécois des
concentrations de diazinon de 75 à 300 fois supérieures au maximum
admissible recommandé par Environnement Canada, le produit est déjà
dans l'eau, et sa concentration sera magnifiée un milliard de fois
avant d'atteindre le sommet de la chaîne alimentaire.
Les plus anciens pesticides, soit les organochlorés, se fixent dans les tissus adipeux du corps, et nous savons qu'ils causent de graves pathologies chroniques chez les humains comme chez les animaux, soit des cancers, l'affaiblissement du système immunitaire et des perturbations des fonctions hormonales.
Les effets aigus à court terme sont associés à la deuxième génération de pesticides plus qu'à la première. Il s'agit des organophosphorés, dont on vous a parlé ce matin. Bon nombre de ces effets secondaires ne sont pas persistants, mais sont en revanche extrêmement toxiques et peuvent avoir des effets à long terme. Ces effets peuvent aller de la simple désorientation aux spasmes, jusqu'au décès.
La Commission de la santé et de l'environnement de l'OMS estime à 220 000 le nombre de décès annuels que l'on peut directement attribuer aux pesticides. Bien que les données canadiennes relatives à l'utilisation de pesticides soient difficiles à trouver, les statistiques publiées par le ministère de l'Environnement et de la Faune du Québec et le Centre antipoison du Québec en 1997 recensent 1 650 cas connus d'empoisonnement par absorption de pesticide, pour cette année-là seulement.
Mais je peux vous dire que lorsqu'on travaille en salle d'urgence, comme je l'ai fait, et que quelqu'un arrive avec des symptômes indéfinis comme des vomissements et un mal de tête, dans bien des cas on posera un diagnostic de maladie virale, ou quelque chose de ce genre. Le patient ira probablement bien dans quelques jours, et il est probablement hors de danger, mais il ne fera pas partie des statistiques sur les empoisonnements par pesticide. Les statistiques sont donc probablement bien en deçà de la réalité.
Les pesticides ont aussi des effets indirects qui mettent en danger le rôle dans l'écologie des plantes indigènes, des oiseaux, des poissons, des insectes utiles et autres éléments de la faune. Ainsi, les abeilles pollinisent le tiers de tous les aliments que nous consommons.
Nous détruisons 23 milliards de tonnes de sol par année, à un rythme bien supérieur à celui de la production de sol sur notre planète, et cette destruction est due pour l'essentiel à de mauvaises pratiques agricoles et à l'empoisonnement du sol. Les pesticides ne sont pas spécifiques aux organismes qui sont censés détruire. Ils éliminent également les milliards de micro-organismes présents dans le sol, et qui sont essentiels à sa productivité, c'est-à-dire la fonction même qui permet d'obtenir tous les aliments nécessaires à la vie.
Je voudrais vous parler des effets chroniques à long terme des pesticides. Selon la Commission de la santé et de l'environnement de l'OMS, ils sont responsables des cancers, des anomalies congénitales, des perturbations hormonales et de la stérilité chez plus de 700 000 personnes chaque année. Au cours des 20 dernières années, la numération des spermatozoïdes dans le sperme humain a diminué de 50 p. 100. Les cancers de nature hormonale, comme le cancer du sein, des ovaires, de la prostate et des testicules, connaissent une augmentation inquiétante.
Autrefois, on pensait qu'un produit n'était toxique que s'il provoquait des anomalies foetales graves, comme la thalidomide ou le cancer, mais nous savons maintenant que de nombreux pesticides, comme on l'a dit ce matin, peuvent avoir un effet de perturbation hormonale.
Qu'est-ce que cela signifie? Les hormones sont des messagers qui acheminent des messages vitaux d'une partie de l'organisme à une autre. De la conception à la mort, les hormones réglementent chacune des fonctions physiologiques de notre organisme. Interrogez une femme ménopausée, elle pourra vous en parler.
Si l'on perturbe le processus des hormones qui agissent à un niveau de concentration de quelques parties par milliard—certaines études montrent même que des hormones présentes à raison de quelques parties par billion peuvent avoir un effet mesurable sur le développement—il faut s'interroger sur les effets cumulatifs de ces milliers de pesticides qui peuvent provoquer des perturbations hormonales.
Il existe de nombreuses populations à risque et vulnérables, comme l'a indiqué Sandra. Bien que la majorité des gens soient exposés aux pesticides et fort souvent à leur insu, les normes actuelles pour vérifier la présence des pesticides dans le corps sont généralement basées sur des tests administrés à des hommes d'âge adulte en bonne santé, comme on l'a dit, ce qui empêche de tenir compte de la synergie dont parlait le premier intervenant.
Je ne reparlerai pas des effets des pesticides sur les enfants, mais il est essentiel d'y réfléchir. Le lait maternel est devenu l'élément le plus contaminé de l'alimentation humaine, car c'est un aliment qui se trouve au sommet de la chaîne alimentaire. Il est plus concentré que tout autre aliment, car il est déjà concentré une fois de plus dans l'organisme, et c'est le premier aliment que consomment nos enfants dès qu'ils sortent de la matrice, au moment de la naissance, lorsqu'ils sont le plus vulnérables.
• 0950
L'organisme de l'enfant n'est pas encore développé à la
naissance. Il est incapable de se désintoxiquer de certains
produits chimiques. Les reins de l'enfant ne sont pas bien
développés. Ils ne peuvent extraire certains produits chimiques. Sa
peau n'est pas encore formée, et elle peut absorber tout ce qui
entre en contact avec elle. Les enfants sont, pour ainsi dire, de
petits concentrateurs environnementaux.
En santé publique, on peut encore affirmer que l'allaitement maternel est toujours supérieur au biberon, car le lait maternel contient toutes sortes de substances merveilleuses, comme les facteurs immunologiques, que l'on ne peut reproduire artificiellement et qui protègent l'enfant en bas âge contre les maladies infectieuses, mais il importe de mesurer le risque de maladies infectieuses à court terme par rapport au risque d'apparition ultérieure du cancer chez l'enfant ou chez l'adulte, même si une telle évaluation semble inconcevable. À l'heure actuelle, c'est toujours l'allaitement maternel qui l'emporte, mais je me demande si ce sera encore le cas lorsque mes filles auront des enfants.
Il existe aussi des personnes sensibles aux substances chimiques qui ne sont pas en parfaite santé, notamment celles souffrant d'asthme ou d'allergies, ainsi que celles qui sont réactives aux produits chimiques, qui sont plus gravement atteintes que les autres par les effets résultant de l'exposition aux pesticides. Du reste, il convient de s'interroger au départ sur l'origine de leur sensibilité. Est-ce l'exposition à un grand nombre de substances chimiques dès la vie intra-utérine? Pour ces personnes, chaque jour présente des risques, puisqu'elles ne peuvent pas échapper à l'utilisation généralisée et persistante de ces toxines.
Bien qu'il n'existe aucune étude scientifique prouvant le danger de ces substances, des séries d'indications de plus en plus nombreuses montrent qu'elles nuisent à la santé.
Prenons l'exemple du lymphome non hodgkinien. Si l'on regarde l'incidence du lymphome non hodgkinien dans le temps—cette maladie fait partie de celles pour lesquelles on ne dispose pas de bons tests de dépistage qui permettraient d'en préciser les causes—on voit que le lymphome non hodgkinien est en augmentation constante depuis 15 ans. Au deuxième niveau d'incidence, si l'on fait apparaître les cas de cette maladie sur une carte informatisée de l'Amérique du Nord—je vous demande de vous représenter mentalement cette carte—on voit que les cas de lymphome non hodgkinien sont plus nombreux dans le Midwest, et on trouve une grosse ligne rouge dans la partie du Midwest où l'utilisation des pesticides est la plus intensive.
La troisième série d'indications concerne les études vétérinaires du lymphome non hodgkinien chez le chien et le sarcome canin, qui ressemble beaucoup au lymphome non hodgkinien. Il est établi que les chiens dont les propriétaires utilisent des pesticides ont cinq fois plus de risques de mourir d'un sarcome. C'est ce qu'indiquent les dossiers des vétérinaires. Voilà donc pour la troisième série d'indications.
La quatrième nous amène à l'intérieur de notre propre organisme. Les personnes atteintes du lymphome non hodgkinien présentent une mutation génétique très particulière sur l'un des chromosomes. C'est un gène qui se détache de l'ADN et qui se retourne, selon ce qu'on appelle une mutation par inversion. C'est un phénomène très rare, que l'on rencontre dans le lymphome non hodgkinien. Où peut-on également le trouver? Chez les personnes les plus exposées aux pesticides. On le rencontre chez les travailleurs qui manipulent ces produits à doses concentrées à des fins techniques, chez les agriculteurs et les travailleurs du secteur agricole, chez les exterminateurs, chez les personnes qui appliquent des pesticides, chez les responsables de l'entretien des pelouses et des terrains de golf, ainsi que chez les anciens combattants de la guerre du Vietnam qui ont été exposés à des doses massives de 2,4-D, aussi appelé agent orange. Et le 2,4-D...
Le président: Puis-je vous demander de conclure, s'il vous plaît?
Dre Nicole Bruinsma: ...est présent dans l'un des herbicides les plus communs en Amérique du Nord, le Weed N' Feed.
Si l'on considère tous ces éléments indépendamment les uns des autres, ils ne sont pas très révélateurs, mais si l'on réunit les différentes séries d'indications, on a une explication convaincante.
Il existe des produits de remplacement. L'agriculture organique réussit de mieux en mieux, et elle figure désormais parmi les activités qui connaissent la plus forte croissance au Canada.
Il convient d'aborder la question du risque des pesticides pour la santé publique dans le contexte de la législation qui les régit actuellement. Un récent rapport publié en 1999 par le commissaire à l'environnement et au développement durable insiste sur l'absence de moyens adéquats de surveillance, de contrôle et de gestion des pesticides au gouvernement fédéral. Il a fallu cinq ans pour effectuer des évaluations de risque, et jusqu'à maintenant 31 substances ou groupes de substances ont fait l'objet d'évaluations concluantes de toxicité et de risque dans le cadre de la Loi canadienne sur la protection de l'environnement.
• 0955
L'ACSP recommande de recourir au principe de précaution lors
de l'homologation ou du renouvellement de l'homologation des
pesticides.
Je voudrais évoquer l'exemple de la fumée de cigarette. En 1964, le Surgeon General des États-Unis est intervenu pour établir un lien entre la fumée de cigarette et le cancer du poumon. Il avait des preuves partielles, mais convaincantes, qui lui permettaient d'établir ce lien. Il existe maintenant des preuves beaucoup plus détaillées. On peut attendre qu'il y en ait encore plus, mais il faut agir immédiatement, en appliquant le principe de précaution. Il n'y a pas de meilleur argument que celui de l'allaitement maternel en faveur du principe de précaution.
Deuxièmement, l'ACSP recommande au gouvernement fédéral de débloquer des fonds pour mettre sur pied un programme d'éducation publique visant à informer les Canadiens des risques posés par les pesticides et par d'autres toxines, ainsi que des avantages offerts par les options de remplacement. La nécessité de ce programme d'éducation et de sensibilisation du public s'explique par le fait que de plus en plus de Canadiens sont exposés journellement aux pesticides, que ce soit chez eux ou dans leur milieu de travail. L'éducation des consommateurs pourrait par exemple aider à démystifier l'idée voulant qu'un produit parfait est meilleur au goût et plus nourrissant, ou que la pelouse doit nécessairement être une monoculture de pâturin.
Troisièmement, l'ACSP recommande au gouvernement fédéral de financer la recherche sur les formules de remplacement des pesticides chimiques, ainsi que la promotion de l'utilisation des autres méthodes, comme la lutte antiparasitaire intégrée et la culture biologique.
Quatrièmement, l'ACSP recommande au gouvernement fédéral de faire montre du même leadership au plan national pour aider les Canadiens à évoluer vers un environnement sans produits chimiques, étant donné les succès remportés par les stratégies municipales et provinciales pour réglementer efficacement les pesticides chimiques et pour en réduire l'utilisation. Si les gens sont bien informés, ils feront les bons choix.
L'ACSP est d'avis que les recommandations ci-dessous relatives à la réglementation et à l'homologation des pesticides, ainsi qu'à l'examen et à la réévaluation des pesticides déjà enregistrés, permettraient d'améliorer l'efficacité et la responsabilisation de l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire en vue de protéger la santé de la population canadienne.
L'exposition aux pesticides en milieu de travail doit faire l'objet de directives fédérales. Il convient d'étendre aux pesticides chimiques le Système d'information sur les matières dangereuses utilisées au travail (SIMDUT).
La vente libre des pesticides chimiques doit diminuer et être placée sous le contrôle d'une procédure de réglementation plus stricte.
Les pesticides qui causent des perturbations du système hormonal doivent faire l'objet d'une réglementation visant leur élimination immédiate. Il existe environ deux douzaines de pesticides qui causent des perturbations du système endocrinien, dont la plupart sont enregistrés pour être utilisés sur les cultures vivrières. Ceux qui n'ont pas été testés pour cet usage devraient l'être immédiatement.
L'ACSP demande que l'on réévalue la limite maximale de résidus pour les produits alimentaires fixée par Santé Canada pour protéger la santé humaine, particulièrement celle des enfants. Aux États- Unis, la loi sur la protection de la qualité des produits alimentaires impose déjà un coefficient 10 de sécurité, et le Canada devrait sans retard adopter une mesure semblable. En effet, la plupart de nos aliments entrent en contact avec des pesticides, et il est impératif d'appliquer le principe de précaution.
En conclusion, les indications des différentes lignes de recherche sur la nocivité des pesticides sont de plus en plus précises. Compte tenu des connaissances actuelles, l'ACSP estime que le principe de précaution doit s'appliquer et que tous les efforts doivent être faits pour réduire et éliminer si possible l'utilisation des pesticides chimiques. L'ACSP conseille de recourir sans tarder aux formules de remplacement.
Il faut continuer à chercher de nouvelles formules de remplacement des pesticides et définir des programmes d'éducation du public. Grâce à la recherche, le public canadien peut être informé des risques de l'utilisation des pesticides ainsi que des formules de remplacement.
Au nom de l'Association canadienne de santé publique, je tiens à vous remercier de nous avoir permis de vous faire cet exposé.
Le président: Merci, madame Bruinsma.
Dans ce joyeux contexte, nous allons commencer par M. Jaffer, puis nous entendrons Mme Girard-Bujold, M. Lincoln et M. Reed. Soyez le bienvenu, monsieur Jaffer.
M. Rahim Jaffer (Edmonton—Strathcona, Réf.): Merci, monsieur le président.
J'ai une question que je voudrais poser à la première intervenante, Barbara McElgunn, mais les autres intervenantes pourront aussi y répondre.
• 1000
Je vous remercie toutes d'avoir pris le temps d'informer le
comité. Vos interventions nous sont très utiles, notamment en ce
qui concerne les effets des pesticides sur les jeunes.
Certains prétendent que j'ai subi l'effet des pesticides en bas âge, étant donné que j'étais très jeune quand je suis arrivé en politique. Peut-être n'y a-t-il aucun rapport entre les deux.
Barbara, vous avez proposé, comme tous les autres, un renforcement de l'ARLA et une intensification de la recherche sur les effets des pesticides.
J'ai remarqué que les sociétés qui fabriquent ces produits ont intérêt non seulement à les vendre, mais aussi à s'assurer, dans la mesure du possible, de leur innocuité. Je crains que si on s'attache uniquement à renforcer les ressources du gouvernement pour contrôler l'industrie, on n'obtienne souvent des effets négatifs.
Comme aucune d'entre vous n'a fait directement allusion aux formules axées sur la coopération, j'aimerais savoir ce que vous en pensez. Peut-être en existe-t-il déjà dont je n'aurais pas été informé. Au lieu d'envisager uniquement une augmentation des ressources et du budget de l'ARLA, on pourrait peut-être envisager des efforts coopératifs de cet organisme auprès des sociétés qui font déjà de la recherche sur les pesticides et qui s'efforcent de produire des substances moins nocives. Il pourrait être plus économique de procéder de cette façon. J'aimerais avoir votre avis à ce sujet. Il me semble que personne n'a parlé de la coopération avec l'industrie dans ce dossier.
Le président: Comme les demandes d'intervention sont nombreuses, je vous invite à condenser les questions aussi bien que les réponses.
M. Rahim Jaffer: C'est la seule question que je veux poser, monsieur le président.
Le président: Madame McElgunn.
Mme Barbara McElgunn: Les organismes de réglementation posent toujours des problèmes difficiles. Ils ont besoin de pouvoirs. Il me semble qu'on ne servirait pas l'intérêt public en essayant d'établir des relations de coopération ou de partenariat avec l'industrie.
En ce qui concerne l'ARLA, je crois que c'est plutôt le contraire. Si vous regardez les interventions de l'EPA et la formulation de ses règles, vous verrez que l'ARLA emploie beaucoup le mot «demande» et que la loi recourt fréquemment au mot «exige». Il est question de renouvellement d'homologation dans la loi, et l'ARLA s'occupe de réévaluation. Ces mots ont des significations différentes.
De notre point de vue, les relations entre l'ARLA et l'industrie ont été trop conviviales jusqu'à maintenant. J'estime qu'un organisme de réglementation doit avoir des pouvoirs et être en mesure d'entreprendre des recherches indépendantes. À moins d'y être obligée, l'industrie ne se préoccupe pas de santé. Elle n'a pas intérêt à le faire. Par exemple, si elle n'est pas obligée de signaler les effets nocifs de ces produits, elle n'en fera pas état. C'est là une obligation que nous voudrions voir ajouter à la loi.
Il existe aux États-Unis une société qui avait observé 1 000 effets négatifs de l'un de ses produits et qui ne les a pas signalés à l'agence de protection de l'environnement. Je crois qu'il s'agissait d'un collier anti-puces pour chiens. L'agence est intervenue et lui a imposé une amende d'un million de dollars, ce qui a été très profitable pour ses finances, mais a eu aussi pour effet d'imposer à l'industrie une punition plus grave qu'une simple petite tape sur le bout des doigts, alors que c'est tout ce que peut faire actuellement l'ARLA à l'égard des industriels récalcitrants.
Je ne prétends pas que les industries soient mauvaises à tous les égards, mais je pense qu'il faut leur imposer un chien de garde, vérifier ce qu'elles produisent et la façon dont les produits sont utilisés.
En ce qui concerne la coopération en matière de formules de remplacement, l'ARLA peut accélérer l'évaluation des formules moins nocives. C'est ce qu'a fait l'agence américaine, et je crois que c'est ce que l'ARLA envisage de faire. Autrement dit, si l'on trouve un pesticide moins toxique que les autres, il faudrait envisager de l'évaluer plus rapidement et de lui accorder plus facilement les autorisations nécessaires. À mon avis, c'est un cas où l'on peut recourir à la coopération dans l'intérêt de tous.
M. Rahim Jaffer: C'est ma seule question.
Le président: Vous pouvez revenir au deuxième tour.
M. Rahim Jaffer: D'accord.
[Français]
Le président: Madame Girard-Bujold, cinq minutes, s'il vous plaît.
Mme Jocelyne Girard-Bujold (Jonquière, BQ): Toutes trois, vous êtes venues nous dire ce matin dans vos exposés que, lors de l'homologation des pesticides au Canada, l'application des principes de prudence et de précaution n'est pas bien développée. Vous dites également qu'on n'a pas actuellement de statistiques sur tout ce qui touche la réglementation des pesticides au Canada, y compris la vulnérabilité particulière des enfants.
Madame Bruinsma, vous avez fait allusion à ce qui se passe au Québec. Vous dites qu'au Québec, il y a déjà des statistiques alors qu'il est très difficile d'en trouver au Canada.
À partir de tous ces constats que vous êtes venues nous livrer ce matin, que doit-on faire au Canada pour amorcer un virage, pour enfin prendre en considération le fait que ces pesticides ont un effet extraordinairement marquant sur les enfants et les femme? Vous nous dites que le gouvernement devrait prendre des mesures très précises à cet égard. Si le gouvernement décidait aujourd'hui de faire des recommandations très sévères, quel effet cela aurait-il sur la santé humaine? Sur quelle base ces études devraient-elles être faites et pourquoi devraient-elles être faites? Merci.
[Traduction]
Dre Nicole Bruinsma: Je crois que Sandra a parlé tout à l'heure de la nécessité d'établir des directives fondées sur de bonnes données scientifiques pour définir le volume de recherche à effectuer, mais nous en savons déjà suffisamment pour agir. Même si l'on fait d'autres études dans l'avenir, le public peut prendre connaissance de ce que l'on sait déjà, et il se rendra compte intuitivement du danger.
On doit vous parler la semaine prochaine de la municipalité de Chelsea. Après consultation sur l'utilisation des pesticides, les résidants de la municipalité ont demandé à leur conseil municipal d'adopter un arrêté interdisant l'utilisation des pesticides à des fins cosmétiques.
Un parent sain d'esprit qui est informé des données dont Sandra a parlé—on constate une incidence six fois plus élevée de leucémie chez les enfants exposés à des pesticides pour pelouse—n'utilisera pas de pesticides sur sa pelouse s'il a pris connaissance de cette information. Le problème, c'est que personne ne le sait. C'est pourquoi nous préconisons une campagne massive d'éducation sur les effets nocifs des pesticides. Une fois informés, les consommateurs ne trouveront plus ces règlements abusifs. Ils exigeront l'intervention du gouvernement. Ceux qui sont déjà informés demandent au gouvernement fédéral d'adopter des mesures législatives dans ce domaine.
Effectivement, il faut poursuivre les recherches, mais il ne faut pas que cela nous empêche de tenir compte de ce que l'on sait déjà. Je le répète, nous savons ce qu'il en coûte d'utiliser des pesticides à des fins cosmétiques à la maison ou au jardin. Nous savons que l'utilisation des pesticides est préjudiciable à la santé. Mais quels en sont les avantages? Ils sont d'ordre cosmétique. Peut-on équilibrer les avantages et les inconvénients? Pas dans le cas d'une utilisation cosmétique des pesticides. Un individu sain d'esprit ne les utilisera certainement pas s'il est informé de tout ce que l'on sait déjà.
Dans le domaine agricole, la situation est différente, car les coûts sont beaucoup plus élevés. On ne peut pas interdire immédiatement toute utilisation des pesticides, car on provoquerait une catastrophe, mais on peut recourir à des formules comme la lutte antiparasitaire intégrée, qui peuvent être le point de départ d'une élimination progressive des pesticides.
Mme Sandra Schwartz: Je voudrais vous donner quelques thèmes de réflexion à ce sujet; comme l'a dit Nicole sur l'utilisation cosmétique des pesticides, les pissenlits ne tuent pas. Quand on présente un exemple comme celui-là, on arrive à faire comprendre ce principe aux utilisateurs. L'idée fait son chemin dans tout le Canada, et Chelsea en est un exemple. J'étais à Thunder Bay vendredi dernier. Voilà un autre exemple de localité où la population demande des changements aux autorités locales, mais elle souhaite aussi faire intervenir le gouvernement pour interdire l'application des pesticides sur les terrains de jeu, dans les cours d'école, et cetera.
• 1010
Une fois que les consommateurs sont informés dans ce domaine,
ils sont résolus et prêts à agir pour obtenir des changements, non
seulement au niveau local, mais également au-delà, au niveau
fédéral.
Je suis d'accord avec Nicole. On ne peut pas interdire totalement les pesticides, ce serait désastreux, mais on peut découvrir des méthodes de remplacement, faire la promotion de la culture biologique au Canada et préconiser la lutte antiparasitaire intégrée. Nous savons bien que les aliments biologiques sont très chers actuellement, mais si l'on en achète davantage, c'est une question d'offre et de demande, et les prix vont baisser. Mais il faut aussi des mesures incitatives au niveau fédéral.
[Français]
Le président: Merci. Madame Girard-Bujold, vous reviendrez au deuxième tour si vous le voulez.
[Traduction]
M. Lincoln, M. Reed et M. Jordan, puis la présidence, à moins qu'il n'y ait d'autres demandes d'intervention.
M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.): Je voudrais poser quelques questions sur le risque.
Le vérificateur général a fait remarquer que la notion de «risque acceptable» n'était définie ni dans la loi, ni dans les règlements, ni dans un quelconque document officiel. Je regarde la proposition de l'ACSP en matière de refonte de la loi, mais on en revient toujours à la distinction entre ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas. Le produit doit être homologué «si les risques sont acceptables» en fonction de la valeur du produit, et la demande devra être rejetée dans le cas contraire. Tout cela est extrêmement subjectif.
Un organisme comme le vôtre peut-il reconnaître qu'il faut une formulation précise, une définition de ce qui est acceptable et de ce qui ne l'est pas en fonction du risque le plus élevé pour les enfants et les bébés? Pourriez-vous, à partir de votre expérience et de vos connaissances, proposer une définition que nous pourrions soumettre à l'ARLA, en précisant qu'elle provient d'un groupe indépendant plus expert que nous en la matière?
Je pense que c'est la clé du problème. Nombreux sont ceux qui affirment que le ministre devrait ordonner un examen spécial s'il est fondé de croire que les risques ou la valeur des produits sont inacceptables; on mentionne aussi l'autorité chargée de prendre cette décision. Il serait très utile que vous puissiez me faire des propositions précises dans ce domaine.
Ma deuxième question concerne les renseignements commerciaux confidentiels. D'après tout ce que j'ai lu, il est certain que si l'information est publiée sous une forme intelligible, les pesticides chimiques seront beaucoup moins utilisés à l'avenir qu'ils ne le sont actuellement, mais encore une fois, dans la dernière version de la loi que nous avons reçue, la situation n'est pas très rassurante, car on prévoit de nombreuses exceptions pour les renseignements commerciaux confidentiels. Il y est question:
-
De règlements précisant la définition des renseignements
commerciaux confidentiels;
-
[...] des méthodes de fabrication ou de contrôle de qualité
concernant les produits antiparasitaires;
-
[...] des méthodes de détermination de la formulation d'un produit
antiparasitaire, notamment l'identité ou la concentration de ses
ingrédients;
-
[...] de l'identité ou de la concentration des ingrédients autres
que les ingrédients actifs dans les produits antiparasitaires, à
moins que leur divulgation ne soit expressément exigée aux termes
de cette loi ou de toute autre loi.
Il me semble qu'on laisse toute latitude aux fabricants pour invoquer les renseignements commerciaux confidentiels à propos de la formulation du produit ou de n'importe quoi d'autre. Si l'on pense qu'il existe 6 000 produits et environ 600 ingrédients actifs, il me semble que... Pouvez-vous nous dire si votre comité consultatif espère convaincre l'ARLA que cela n'est pas suffisant? C'est tourner en ridicule les exigences de divulgation.
Mme Barbara McElgunn: Monsieur Lincoln, c'est précisément ce que j'ai dit à la réunion du CCLA lorsqu'il était question des propositions de modification de la loi concernant les renseignements commerciaux confidentiels. On m'a renvoyée à l'avocat chargé de leur rédaction. Il était dans la salle et m'a assuré que les renseignements commerciaux confidentiels n'empêcheraient nullement l'ARLA d'adopter des règlements obligeant le requérant de l'homologation à indiquer les produits toxiques. Cela me semble difficile à admettre, et j'aimerais revenir...
M. Clifford Lincoln: Moi aussi.
Mme Barbara McElgunn: ...sur cette question. L'avocat semblait considérer que les renseignements commerciaux confidentiels n'empêchaient nullement l'ARLA d'exiger l'étiquetage. J'aimerais en avoir la confirmation auprès d'un autre avocat spécialiste de l'environnement. Je pourrais peut-être consulter l'Association canadienne du droit de l'environnement à ce sujet. La question me semble extrêmement importante pour les consommateurs, puisqu'il s'agit précisément des pesticides à usage ménager.
M. Clifford Lincoln: Il serait bon que les décisions dans ce domaine soient prises davantage par les médecins que par les avocats.
Mme Barbara McElgunn: Oui.
Le président: Merci.
Monsieur Reed, suivi par M. Jordan.
M. Julian Reed (Halton, Lib.): Merci, monsieur le président.
Il y a quelques années, un de mes voisins, qui habite à 800 mètres de chez moi, a fait une récolte record de poires. Il a apporté ses poires au marché aux puces qui se tient chaque semaine dans le village voisin, et où l'on trouve des produits alimentaires. Chacun peut y aller, installer un étal et vendre des fruits et des légumes. Un inspecteur examine les produits à leur arrivée. Lorsqu'il a constaté que les poires en question n'avaient pas été arrosées aux pesticides, il a refusé qu'elles soient proposées à la vente. Je vous fais part de cette anecdote pour indiquer qu'il y aura toujours de l'éducation à faire auprès du public. L'information du public doit prévaloir sur ceux qui ont le pouvoir d'accepter ou de refuser dans une situation comme celle-là.
Le grand dilemme, c'est de savoir jusqu'où va la tolérance de la population pour ce qui est de la présence de parasites dans ses aliments. Êtes-vous prêt à acheter une pomme dans laquelle se trouve un ver ou deux? Êtes-vous prêt à acheter une douzaine d'épis de maïs si vous savez que vous pourriez y trouver des pyrales du maïs? Moi-même, je fais pousser du maïs chez moi, mais comme je n'utilise aucun pesticide, je trouve toujours des pyrales du maïs. Je suis obligé de partager avec ces petites bêtes mon épi de maïs. Mais lorsque nous cueillons les épis et que nous y trouvons des pyrales, nous les rejetons. Mais la population est-elle prête à accepter des aliments imparfaits, lorsqu'on pense que la ménagère s'attend à ce que tout ce qu'elle achète au supermarché soit parfait?
Une voix: Ou son mari...
M. Julian Reed: En effet, ou son mari, si c'est celui-ci qui fait l'épicerie.
Une voix: Sachez, Julian, que je ne fais pas l'épicerie bien souvent.
M. Julian Reed: Moi je la fais.
Ce n'est pas nouveau, cela fait des années que ça dure. Au fil des générations, la lutte antiparatisaire a changé. Lorsque j'étais petit, on épandait des métaux lourds sur les pommes, comme de l'arsenic ou du plomb. Lorsque j'ai commencé mes études au collège d'agriculture, nous avions trouvé une solution, et c'était le mercure. Aujourd'hui, nous épandons du chlore et des organophosphates, entre autres choses. Cela illustre le dilemme auquel nous faisons face.
Qu'avez-vous à nous dire sur les pesticides biodégradables ou les phytopesticides? Après tout, il existe des extraits de plantes—comme la pyréthrine—qui sont des dérivés de plantes et qui, semble-t-il, se décomposent après avoir agi. Qu'en pensez-vous?
Mme Barbara McElgunn: L'utilisation des pyréthrines n'est pas sans inquiéter. En effet, on a constaté qu'elles avaient pour effet de faire augmenter les crises chez les sujets animaux, ce qui laisse croire que ceux qui achèteraient des pyréthrines en étant convaincus de leur innocuité sont peut-être mal informés dans une certaine mesure. Elles sont peut-être plus sûres que d'autres produits, mais pas complètement sans défaut.
Il y a aussi les phéromones, des hormones qui leurrent les insectes et les poussent à copuler au mauvais moment, et qui pourraient peut-être être utilisées. Mais il faudrait augmenter massivement la recherche sur les produits de rechange. Cela ne se fait pas actuellement, mais il est urgent de le faire si l'on veut se débarrasser des produits nocifs.
Dre Nicole Bruinsma: Je suis d'accord. L'agriculture biologique est une agriculture à forte concentration de gestion et de savoir. Autrement dit, il faut de longues années pour apprendre le compagnonnage des plantes et la rotation des cultures, et pour comprendre ce que vous devriez planter la saison suivante pour éviter les infestations. Toutes ces connaissances exigent beaucoup d'apprentissage. Il est beaucoup plus facile d'appeler l'agent local de lutte antiparasitaire et de lui exposer votre problème, pour qu'il vienne vous aider dès le lendemain. Il faut informer non seulement informer la population, mais également les agriculteurs, et leur montrer qu'il existe des méthodes de rechange qui ne sont pas aussi destructrices.
M. Julian Reed: Je pense, pour ma part, que beaucoup d'agriculteurs sont déjà bien au courant de ces différentes options. Mais il faut aussi établir la corrélation entre cela et le coût de leurs intrants, et établir ce que la population est prête à payer pour obtenir son produit final, produit qui ne sera pas nécessairement parfait. Il faudra peut-être accepter d'acheter du brocoli dans lequel se trouve un petit ver. Après tout, j'en vois tous les jours chez moi. Et puis après? Nous nous y sommes habitués. Mais lorsque Mme ou M. Tout-le-monde va acheter du brocoli au supermarché, il ne veut pas y découvrir de vers.
Dre Nicole Bruinsma: Voilà pourquoi il faut informer la population.
M. Julian Reed: Merci, monsieur le président.
Le président: Monsieur Jordan.
M. Joe Jordan (Leeds—Grenville, Lib.): Je remercie mon collègue de nous avoir raconté comment il fait la guerre aux pyrales. On en apprend tous les jours.
M. Julian Reed: C'est que je suis plus vieux que vous.
M. Joe Jordan: Cela ne fera pas augmenter votre pension pour autant.
Docteure Bruinsma, je voudrais reprendre là où mon collègue s'est arrêté, à savoir qu'il ne faut pas oublier l'argument économique. Vous parlez du principe de précaution, mais j'attire votre attention sur le fait que la définition inclut le rapport coût-efficacité, qui est incontournable.
La situation que vous décrivez est très grave et exige que l'on agisse. Mais comment agir, étant donné que le marché économique exerce des pressions sur les agriculteurs? Vous parlez de mutation par inversion de l'ADN, et vous dites que la mutation de ce gène a été constatée dans certains métiers en particulier. Le test de l'inversion du gène pourrait-il être effectué sur les gens?
Dre Nicole Bruinsma: Oui, il coûte très cher. Il ne pourrait pas être utilisé à des fins de dépistage.
M. Joe Jordan: Qu'est-ce que cela implique comme coût? Faut-il extraire l'ADN, puis l'analyser?
Dre Nicole Bruinsma: Oui. C'est comme lorsque l'on cherche les mutations du gène BRCA1 et BRCA2, qui causent le cancer du sein. Il faut en moyenne de 8 à 12 mois de recherche du génome pour qu'un laboratoire puisse constater la mutation. Cela n'est donc fait que pour des fins de recherche.
M. Joe Jordan: Il existe donc suffisamment de données là- dessus pour pouvoir faire une extrapolation et pour pouvoir affirmer avec certitude que la mutation est présente en plus grande proportion chez les agriculteurs?
Dre Nicole Bruinsma: Oui, pour ce qui est de cette mutation particulière. Nos connaissances sur le cancer changent avec le temps. On croyait, naguère, que le cancer était dû à des mutations. Aujourd'hui, on sait qu'il ne suffit pas d'une seule mutation, mais qu'il en faut parfois jusqu'à huit avant que se produise l'emballement de la croissance cellulaire. Autrement dit, pour que le cancer se développe, il faut avoir d'abord une mutation, à laquelle viennent s'ajouter d'autres facteurs concourants, tels que la dérégulation endocrinienne. Par conséquent, la seule présence de cette mutation dans le gène ne signifie pas nécessairement que vous allez avoir la cancer. De même, si l'on constate chez vous la mutation des deux gènes BRCA1 et BRCA2, cela ne signifie pas automatiquement que vous allez développer le cancer du sein. Cela signifie tout simplement que vous aurez, tout au long de votre vie, 85 p. 100 de chances de développer le cancer du sein.
M. Joe Jordan: Mais cela prouve hors de tout doute que le produit agit sur votre ADN, n'est-ce pas?
Dre Nicole Bruinsma: Oui.
M. Joe Jordan: Dans ce cas, cela pourrait sans doute intéresser les agriculteurs.
Revenons au côté économique. Mon collègue parlait du coût des intrants. La culture biologique est évidemment une culture à base de savoir, mais elle est également à base de main-d'oeuvre. Par conséquent, elle pourrait sans doute servir à résoudre certains de nos problèmes de sous-emploi dans les régions rurales. Mais il faut néanmoins que l'on puisse assurer aux producteurs agricoles un certain revenu, pour qu'ils ne rejettent pas d'emblée la culture biologique pour des raisons économiques. Il faudrait peut-être envisager une solution en ce sens.
De plus, on entend souvent dire que les produits importés de l'étranger et répondant à des normes de culture plus basses ont meilleure allure et se vendent moins cher dans les supermarchés, ce qui exerce à son tour des pressions sur le milieu agricole canadien. La faisabilité de la culture biologique dépend donc des réalités économiques.
• 1025
Comme le disait mon collègue, si l'on assurait aux
agriculteurs un certain revenu, je pense qu'ils ne rejetteraient
pas d'emblée la culture biologique. Toutefois, comme on ne cesse de
parler d'une crise agricole, il ne faut pas sous-estimer les
pressions qui s'exercent sur ces gens.
Je m'adresse maintenant à Barbara McElgunn, puisqu'elle connaît assez bien le Canada et les États-Unis.
Les représentants du milieu industriel nous ont signalé que nos règlements prenaient trop de temps à être adoptés et qu'ils étaient trop lourds. Si nous pouvions nous fixer des normes élevées, y aurait-il lieu d'harmoniser nos règlements avec ceux de l'EPA? Y a-t-il actuellement chevauchement? Refusons-nous d'accepter les résultats de la recherche des Américains?
Si les délais sont vraiment trop longs, comme le prétendent les industriels, ne devrions-nous pas les prendre au mot, lorsqu'ils affirment ne pas vouloir nuire à la santé de la population, et ne devrait-on pas envisager une harmonisation des règlements à l'échelle nord-américaine, voire planétaire? Nous pourrions au moins espérer que nos partenaires commerciaux les plus importants nous offriront leur collaboration en ce sens.
Mme Barbara McElgunn: Il est sûr que l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire et l'EPA font conjointement des réévaluations et que notre agence de réglementation utilise pour ce faire les données de l'EPA. Néanmoins, cela prend quand même un peu de temps pour s'assurer que tout va pour le mieux. Et je crois même que l'EPA songe à utiliser certaines des évaluations de l'agence de réglementation et qu'elle essaie d'harmoniser les données sur la toxicité qu'elle utilisera.
Ce qui me préoccupe, c'est que l'EPA a publié ses règlements sur les données de base dans le titre 40 du Code des règlements fédéraux, dans la partie 158. Comme ni Santé Canada ni l'agence de réglementation n'ont publié leurs règlements sur les données de base, nous ne pouvons pas vraiment être convaincus que le choix n'a pas été fait de façon arbitraire. Autrement dit, on peut avoir oublié ceci ou cela pour l'un ou l'autre des pesticides. L'EPA peut bien exiger tel ensemble de critères pour chaque pesticide, mais nous pourrions demander, pour notre part, beaucoup plus. Voilà pourquoi nous pensons qu'il doit y avoir des critères de base fixés pour l'Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, et que ces critères doivent être couchés dans la nouvelle loi, ou du moins dans les règlements, pour que chacun sache à quoi s'en tenir et comprenne bien quels sont les critères s'appliquant aux données sur la toxicité.
Il faut dire tout de même que l'EPA et l'agence de réglementation collaborent énormément. Toutefois, leurs critères ne sont pas tout à fait les mêmes pour ce qui est des tolérances et de l'eau potable. On a changé les tolérances. L'agence de réglementation a changé le niveau du chlorpyrifos, comme je le disais; ce qui m'a inquiétée. On est passé de 0,1 partie par million à 1 partie par million, tout cela pour qu'il y ait harmonisation avec les États-Unis.
Pour avoir écouté certains des producteurs agricoles de l'Ouest, j'ai cru comprendre qu'ils ne pouvaient plus vendre leur canola parce qu'ils utilisaient le Lindane, qui est interdit aux États-Unis comme pesticide pour le canola. On voit donc qu'il y a quand même certaines différences entre les États-Unis et nous.
De toute façon, on ne devrait pas employer le Lindane sur quoi que ce soit, puisque c'est un pesticide chloré... et on devrait particulièrement le bannir du shampoing antiparasitaire pour enfants Quell.
Il y a beaucoup de coopération entre nos deux pays, et les agriculteurs canadiens ne devraient pas se sentir lésés ni mieux traités par rapport aux agriculteurs américains.
Le président: Merci, monsieur Jordan.
Permettez-moi de vous poser quelques petites questions avant que nous passions au deuxième tour de questions.
Madame McElgunn, vous parlez de mesure législative à la page 4 de votre mémoire. Quand vous dites qu'il faudrait inclure l'information sur les formulants dans la mesure législative proposée, de quelle loi parlez-vous exactement?
Mme Barbara McElgunn: Je parlais des amendements à la Loi sur les produits antiparasitaires, que l'on est en train de préparer actuellement. Nous espérons qu'ils seront déposés par M. Rock au cours de cette session-ci, ou bientôt, et que votre comité y joindra peut-être certaines recommandations. Nous espérons que l'on modifiera les critères sur l'information commerciale confidentielle en ce qui concerne les formulants et que l'on apportera également certains autres changements que l'on vous aura peut-être proposés.
J'ai déjà dit que le Comité consultatif sur la lutte antiparasitaire a déjà approuvé de façon générale la formulation actuelle. Ce qui existe actuellement est à des années-lumière de l'ancienne version de 1969, car elle donne au comité consultatif beaucoup plus de pouvoir pour agir là où il le faut, et pour exiger que la population soit informée, etc.
Le président: Avez-vous vu la mesure législative proposée?
Mme Barbara McElgunn: Non, tout ce que nous avons eu, c'est l'aperçu dont parlait M. Lincoln et qui donne seulement les grandes lignes.
Le président: Combien de pages compte cet aperçu et quelle en est la date de publication?
Mme Barbara McElgunn: Je l'ai ici sous la main. L'aperçu est daté de janvier 1999 et compte 27 pages.
Le président: Il vous a été envoyé en janvier dernier?
Mme Barbara McElgunn: Je crois l'avoir reçu cette année, en effet, mais sans doute pas en janvier. Je crois que c'était au printemps dernier. Nous n'avions qu'un aperçu très rudimentaire des amendements à la Loi sur les produits antiparasitaires, et nous avons demandé plus d'information. Nous avions expliqué qu'il nous était impossible de prendre quelque décision que ce soit ou de commenter des suggestions aussi vagues, et c'est pourquoi on nous a envoyé ceci, qui ne correspond toutefois pas au libellé de la mesure législative.
Le président: Je m'adresse maintenant à Mme Schwartz. À la page 8 de votre mémoire, vous dites que la plupart des règlements et politiques sont censés protéger les adultes et prennent pour référence un adulte masculin de 70 kilogrammes en santé, et non pas un enfant de sept kilos. C'est d'ailleurs ce qui vous incite à émettre des réserves pour la plupart des règlements.
Pourriez-vous vous expliquer: vous dites que la plupart des règlements ont pour point de référence l'adulte masculin de 70 kilos? Vous semblez dire, ce qui saute aux yeux, que la plupart des règlements sont conçus pour les adultes. Puisque vous dites que cela s'applique à la plupart des règlements, lesquels d'entre eux ne s'appliquent pas à l'adulte masculin, mais peuvent s'appliquer à l'enfant de sept kilos?
Mme Sandra Schwartz: Lorsque je parle de la plupart des règlements, il s'agit des règlements qui existent, comme ceux de la LCPE, par exemple, et comme ceux qui découlent de plusieurs autres lois, telles que la Loi sur les produits antiparasitaires. Il est évident que les lois les plus anciennes ne tiennent pas compte des enfants. De plus, les nouvelles lois, telles que la LCPE, n'établissent pas de façon explicite que les enfants sont la population la plus vulnérable. Autrement dit, aucun règlement ni aucune loi sur l'environnement ne tient compte de façon spécifique des enfants.
Les politiques et règlements se fondent sur les évaluations du risque effectuées. Or, ces évaluations du risque sont faites chez les adultes masculins en santé, de 25 ans et de 70 kilos. On ne fait pas nécessairement de recherche sur les jeunes. Bien sûr, on évalue les risques que peut poser pour le foetus l'exposition à certains produits, mais on n'évalue pas nécessairement la santé des rejetons des animaux qui ont fait l'objet de ces tests.
Le président: En va-t-il de même pour les États-Unis et l'EPA?
Mme Sandra Schwartz: Il en allait de même, mais je crois que cela a changé, particulièrement pour ce qui est de l'étude dont je vous ai parlé.
Le président: Merci.
Enfin, je m'adresse à quiconque souhaite répondre. Si nous devions proposer une politique qui soit une invitation à la population canadienne et aux utilisateurs de pesticides de réduire leur consommation de moitié, comme première étape en vue d'améliorer la situation actuelle, quel serait l'effet net de cette politique à votre avis? Je parle ici d'une politique qui s'appliquerait à tous les utilisateurs de pesticides, et pas seulement aux milieux agricoles. À votre avis, si l'on invitait la population canadienne à réduire de moitié l'utilisation qu'elle fait actuellement des pesticides, quel en serait l'effet net?
• 1035
Si je vous pose la question, c'est que nous enverrions ainsi
un message qui serait simple à comprendre par tous les Canadiens.
Ce que je ne sais pas, c'est si la population accepterait d'en
faire l'essai ou pas.
Dre Nicole Bruinsma: Je puis répondre.
Si cette mesure n'était pas accompagnée d'un programme de sensibilisation de la population, cela n'aurait aucun sens, car la proposition ne serait rattachée à rien de concret. La plupart des Canadiens ne sont aucunement préoccupés par les pesticides, et ils ne comprendraient pas pourquoi, du jour au lendemain, le gouvernement leur demanderait de réduire leur consommation de pesticides de moitié.
Il faut d'abord commencer par une campagne massive de sensibilisation de la population, tout comme nous l'avons fait lors de notre lutte au tabagisme. Nous savions que le tabac était nuisible, de même que le tabagisme passif. On a donc banni le tabac de tous les endroits publics, de tous les avions et des résidences, avant même que l'on puisse identifier la mutation P52 du chromosome B, qui lie catégoriquement la cigarette au cancer du poumon. Nous avons aujourd'hui toutes les preuves en main.
Nous n'avons pas ce même genre de preuves dans le cas des pesticides, mais comme je l'ai déjà dit, nous avons suffisamment de preuves pour convaincre la population qu'il faut changer du tout au tout notre façon de faire. Mais le gouvernement ne peut imposer sa façon de voir les choses à des gens non instruits de la situation. Il faut d'abord informer la population, à mon avis.
Le président: Merci.
Nous commençons la deuxième ronde par Mme Girard-Bujold.
[Français]
Mme Jocelyne Girard-Bujold: Dans votre exposé, madame Bruinsma, vous dites que 31 substances ou groupes de substances ont été évalués jusqu'à maintenant alors qu'il y a 500 pesticides sur le marché. C'est énorme. Il y en a plusieurs qui sont désuets et qui sont là depuis des années. Que doit faire le gouvernement fédéral pour que tous ces pesticides soient analysés le plus rapidement possible? Et pourquoi cela doit-il être fait rapidement? Que doit faire l'ARLA pour que le gouvernement fédéral donne de l'argent pour l'analyse de ces 500 pesticides?
Depuis votre arrivée ce matin, vous nous avec fait le tableau exact de ce qui se passe: santé et ainsi de suite, mais on constate qu'il n'y a pas de volonté d'agir. Dites au comité ce que le gouvernement doit faire pour agir immédiatement et ne pas remettre cela à plus tard. Doit-il affecter des fonds à cela? Doit-il se baser sur des études qui ont été faites dans d'autres pays? Que doit-il faire pour effectuer un virage à 180 degrés à l'égard de l'analyse des pesticides? Merci.
[Traduction]
Dre Nicole Bruinsma: Les coûts associés aux essais suggérés par l'Institut canadien de la santé infantile sont énormes. Or, il est bien connu que les gouvernements n'ont plus d'argent, ou si peu, mais que l'argent se trouve plutôt entre les mains du secteur privé.
Comme vous le disiez, il faudrait néanmoins une certaine collaboration et que le secteur privé assume une partie des coûts des essais. Toutefois, c'est au gouvernement de donner le cadre dans lequel s'inscrirait ces essais. En effet, on ne peut plus continuer à accepter les yeux fermés les essais du secteur privé qui disent que l'utilisation de tel ou tel produit n'entraîne aucune déformation du foetus et ne cause aucun cancer et que ce produit est donc sécuritaire.
Il faut obliger le secteur privé à utiliser certains modèles animaux pour ses essais. Il faut l'obliger à nous dire si tel produit entraîne la dérégulation du système endocrinien chez les grenouilles ou s'il nuit au développement du cerveau chez les rats. Voilà le genre de consignes qu'il faut donner au secteur privé. Autrement dit, c'est bien beau d'avoir fait des essais et de pouvoir conclure que l'utilisation de tel produit n'entraîne pas le cancer chez les rats adultes après une journée d'exposition et après six mois. Mais que fait-on des études à long terme? Il faut que le secteur privé fasse des études à long terme. Il faudrait que le secteur privé fasse une liste d'études avant même que l'on puisse envisager de mettre sur le marché les produits.
Après tout, c'est ce que l'on fait constamment dans l'industrie pharmaceutique pour pouvoir mettre sur le marché un médicament. Il revient aux fabricants pharmaceutiques de démontrer qu'ils ont fait suffisamment de tests. Quant au gouvernement, il ne doit pas nécessairement assumer tous les coûts des essais, mais il doit pouvoir exiger du secteur privé qu'il fasse les essais. Or, le secteur privé ne les fait pas à l'heure qu'il est.
Mme Sandra Schwartz: Je voudrais compléter ce qu'a dit la Dre Bruinsma. J'aimerais qu'il existe au Canada un système semblable à celui qui existe aux États-Unis par le truchement de l'Agency for Toxic Substances and Disease Registry, qui s'occupe des sites couverts par le fonds spécial pour l'environnement. Ce fonds spécial pour l'environnement—appelé superfonds—s'applique de façon spécifique à la dépollution des lieux toxiques. Ce superfonds a été créé avec l'argent du secteur privé, qui assume donc les coûts de la dépollution.
Je continue à croire que la recherche devrait être faite en grande partie par le gouvernement, mais que les frais de cette recherche devraient être assumés en partie par le secteur privé. Il faudrait donc créer un fonds de recherche en ce sens. Si le secteur privé est le seul à effectuer la recherche, elle ne sera certainement pas objective.
À la lumière du rapport du commissaire à l'environnement, il y a une chose qui me semble très importante, et c'est de se demander qui est le client. Est-ce le fabriquant de pesticides ou la population canadienne? Or, il faudrait pouvoir répondre que c'est la population canadienne.
Chaque fois qu'il faut homologuer un produit ou réévaluer le produit en vue d'une deuxième homologation, il faudrait qu'une partie de la recherche revienne au gouvernement. Toutefois, les coûts de cette recherche ne devraient pas nécessairement être assumés uniquement par la population canadienne. Le secteur privé doit lui aussi en assumer une part.
Mme Barbara McElgunn: Puis-je préciser qu'à l'heure actuelle le secteur privé paye les coûts des données toxicologiques? C'est le secteur privé qui doit fournir les résultats des essais toxicologiques et qui doit en assumer les coûts.
Pour ce qui est des deuxièmes évaluations faites aux États- Unis, les compagnies qui veulent obtenir une deuxième homologation doivent en assumer les frais au départ. Mais je ne sais pas ce qu'a décidé l'agence de réglementation pour les nouvelles homologations.
Vous avez dit vous-même que l'arriéré était énorme et qu'il y avait énormément de produits chimiques qui n'avaient pas été évalués convenablement. En augmentant le budget de l'agence de réglementation et en lui accordant plus d'évaluateurs et d'agents d'appréciation des risques, on pourrait faire beaucoup de chemin et fabriquer des pesticides plus sûrs.
Mme Sandra Schwartz: Du côté de la coopération, il est essentiel que l'on songe à la coopération avec la population canadienne. C'est bien beau d'exiger la coopération entre le gouvernement et le secteur privé, mais il faut également que la population ait un rôle à jouer. Autrement dit, la population a le droit de savoir ce qu'elle achète. La population doit jouer un rôle, qu'il s'agisse de pouvoir déchiffrer une étiquette ou qu'il s'agisse d'être informé.
Les fabricants de pesticides font énormément de pression auprès des agriculteurs canadiens pour que ces derniers utilisent leurs produits. Ils font également beaucoup de pression auprès du gouvernement canadien pour qu'il homologue ces produits. Le système doit changer. Nous devons redonner un meilleur équilibre à la structure du pouvoir si nous voulons que le système fonctionne vraiment bien. Je pense qu'il faudra que l'industrie en paie une partie, en plus de ce qu'elle paie déjà à l'heure actuelle. Il est peut-être nécessaire de créer un fonds.
Le président: Monsieur Lincoln.
M. Clifford Lincoln: J'aimerais revenir sur la question du risque et de l'homologation.
Vous mentionnez, madame McElgunn, que pourvu que la désignation des ICC soit révisée, cette proposition législative serait peut-être satisfaisante. Je vous ai peut-être mal comprise. Pour commencer, dans la proposition législative de 1999, la définition du principe de prudence est extrêmement inquiétante. Elle stipule:
-
Dans la réglementation en matière de lutte antiparasitaire, les
divers intérêts antagonistes doivent être équilibrés de façon à
respecter le bien-être de l'ensemble du public.
Je trouve cette définition assez faible.
Vous parlez ensuite de la valeur et des risques pour la santé et pour l'environnement et vous dites que cela serait défini dans la loi. Si je regarde les définitions où l'on parle de ce qui est acceptable et de ce qui ne l'est pas, on ne fait aucune mention de ce qui constitue un risque multiple ou un risque global, ce qui est un élément clé si on veut assurer une bonne homologation à l'avenir.
• 1045
Je crains vraiment que nous ne revenions à ce que nous
faisions auparavant, c'est-à-dire que nous dirons que nous allons
examiner et évaluer un produit en particulier sans tenir compte du
risque global, du risque multiple. Je me demande si nous revenons
à la même chose, particulièrement si on donne une définition plutôt
faible de ce qui devrait être un principe de prudence, tandis que
nous devrions renverser le fardeau de la preuve de façon à ce que
le producteur doive démontrer qu'il y a un risque global, un risque
multiple ou la possibilité de la présence de modulateurs
endocriniens dans les divers formulants. Je me demande si vous êtes
d'accord pour dire que cela semble être très faible.
Mme Barbara McElgunn: Je suis d'accord, et nous avons insisté pour que les enfants soient mentionnés dans le préambule. Je pense que cela faisait partie de notre mémoire que je n'ai pas eu le temps de lire aujourd'hui. Nous sommes réellement convaincus que toute mesure doit être prise en fonction du groupe le plus vulnérable de la population, c'est-à-dire habituellement les enfants. Nous sommes d'avis que cela devrait se trouver dans le préambule. Je pense que cela devrait bien nous permettre d'examiner toutes ces autres choses.
L'autre recommandation que nous faisons—et je n'ai pas lu le résumé à la dernière page de notre mémoire—c'est que l'ARLA devrait élaborer des lignes directrices pour l'évaluation du risque qui sont semblables à celles de l'EPA, l'agence de protection environnementale américaine. L'EPA est en train d'élaborer une directive en ce qui a trait aux risques cumulatifs. On réunit les scientifiques, qui décident comment ils vont s'y prendre. Tous les gestionnaires du risque et les évaluateurs du risque doivent respecter des directives. Il y aura une directive sur le risque cumulatif, le risque global, les essais de neurotoxicité, les points de virage pour les cancers, etc.
Ce sont des documents assez volumineux. Il n'est pas possible de tout inclure dans la loi, mais cela peut se retrouver sous forme de règlements et de directives. Je pense que cela serait très utile et que cela est même absolument nécessaire.
Je suis d'accord avec vous pour dire que la loi n'est absolument pas claire en matière de protection de la santé. Elle ne dit même pas que le ministre ou l'ARLA peut demander ou exiger de nouvelles données. Je pense que le libellé est très vague.
M. Clifford Lincoln: La loi dit qu'ils peuvent le faire.
Mme Barbara McElgunn: J'aimerais bien me rappeler exactement quel est le libellé. Je regardais cela justement l'autre jour.
M. Clifford Lincoln: La loi stipule: «pourrait exiger que le détenteur d'homologation présente des chiffres provinciaux/territoriaux».
Mme Barbara McElgunn: Eh bien, le terme «exiger» est là; donc c'est une bonne chose. C'est un changement dans la bonne direction.
Mais je pense que le ton et la culture consistent à faire en sorte que tout le monde soit satisfait, les détenteurs d'homologation et la population. Je pense que l'on veut trouver un juste équilibre entre le besoin d'utiliser ces pesticides et le besoin de protection de la santé. Je pense que dans le libellé de la loi la nécessité d'utiliser les pesticides a en quelque sorte la priorité par rapport à la nécessité de protéger la santé. La protection de la santé devrait avoir la priorité dans le préambule, et nous le disons également.
M. Clifford Lincoln: Si vous me le permettez, je voudrais dire qu'à mon avis ce n'est pas dans le préambule qu'on devrait parler des enfants, mais plutôt dans la définition. Si on en parle dans le préambule, cela ne fait pas partie de l'application du projet de loi. Je pense que cela devrait se trouver dans la principale définition.
Par ailleurs, je suis d'accord avec vous lorsque vous dites qu'on ne peut pas tout inclure dans la définition, mais si la définition parle des directives qui seront établies, alors au moins on y fait allusion.
Nous avons posé des questions à Mme Franklin, et elle nous a dit que l'impact cumulatif, l'impact global, et l'impact multiple étaient pris en compte, mais je ne vois rien ici.
Mme Barbara McElgunn: Non.
M. Clifford Lincoln: Alors où est-ce qu'elle va l'inclure? À moins qu'il ne soit question, dans les définitions, de...
Mme Barbara McElgunn: Il devrait y avoir des directives écrites—et c'est qu'il y a une lacune importante—concernant les évaluations du risque et du degré d'exposition qui décrivent et définissent vraiment le risque cumulatif et le risque global, de quelle façon ils vont l'évaluer et ce dont ils ont besoin pour l'évaluer.
• 1050
J'ai mentionné l'exemple du manque d'information au Canada sur
les pesticides dans les eaux de puits. Nous ne pouvons pas ne pas
tenir compte de l'eau comme source d'exposition, particulièrement
pour les bébés et les enfants, car comme Sandra, moi-même et
d'autres l'ont dit, ils consomment sept fois plus d'eau que les
adultes dans les formules et les jus.
Donc, je pense que l'on doit retrouver ce genre de choses dans les directives de l'ARLA.
M. Clifford Lincoln: Est-ce que cela ne devrait pas être plus que des directives? Cela ne devrait-il pas être des exigences plutôt que des directives? Car les directives, de par leur nature même, ne sont que des directives.
Mme Barbara McElgunn: Oui. Je dirais même que les points de virage en matière de santé devraient être mentionnés dans le cadre des données toxicologiques. Nous avons eu de la difficulté à obtenir que ces deux mots soient inclus dans la LCPE il y a de nombreuses années. On ne mentionnait nulle part les données toxicologiques. La nouvelle loi en parle maintenant.
Je pense que dans la nouvelle Loi sur les produits antiparasitaires on devrait peut-être mentionner les points de virage comme le cancer, l'impact sur le système immunitaire, l'impact sur le développement des enfants, les effets neurotoxiques sur le développement et les effets relatifs à la reproduction.
M. Clifford Lincoln: Puis-je faire une suggestion? Si toutes les ONG se mettaient ensemble, elles ont une idée très claire de ce qu'elles veulent dans ce projet de loi, et l'OMS a produit une excellente brochure. Voici ce qu'ont fait bon nombre d'ONG relativement aux espèces à risque: elles ont rédigé un avant-projet de loi de ce qu'elles aimeraient voir. Nous pourrions l'envoyer à l'ARLA, qui pourrait alors comparer la meilleure version à leur version. Je vous assure que la pression serait grande pour que l'ARLA examine votre version.
Mme Barbara McElgunn: Naturellement, nous n'avons pas vu leur version, mais nous pourrions peut-être la voir aujourd'hui.
M. Clifford Lincoln: Non, mais d'après ce que vous pouvez voir ici.
Mme Barbara McElgunn: Oui, c'est vrai. C'est une très bonne idée. Nous allons y songer, monsieur.
Le président: Merci, monsieur Lincoln.
Monsieur Julian Reed.
M. Julian Reed: Monsieur le président, j'ai deux brefs commentaires et une question.
Tout d'abord, pour ce qui est de supporter le coût de la recherche et des essais, je ne pense pas que nous puissions nous prononcer à ce sujet isolément, étant donné que nous vivons dans une économie mondiale et que nous exportons et importons ces produits.
Par exemple, si c'est le fabricant du pesticide qui doit en supporter tout le coût, ce dernier sera transmis aux agriculteurs. Cela est logique. Et pourtant, j'étais heureux d'entendre l'observation qui a été faite au sujet du gouvernement, qui devrait en avoir partiellement la responsabilité, car c'est la population en général qui devrait bénéficier de ces essais, et il me semble donc que, puisque le gouvernement représente les gens, il devrait supporter une partie importante du coût du type de recherche dont vous parlez.
Quelqu'un a dit qu'il faudrait réduire la quantité de pesticides qui est utilisée. Je dirais que les agriculteurs n'utilisent pas une once de plus de pesticides qu'ils n'ont besoin pour faire un travail particulier à un moment particulier. Après tout, il s'agit d'un coût des intrants direct et les agriculteurs ne veulent pas gaspiller leur argent. Nous croyons que dans d'autres pays, on utilise des quantités excessives de pesticides, pourtant nous importons toujours des raisins du Chili.
La question que je voudrais vous poser est la suivante: Que pensez-vous des aliments obtenus par les techniques du génie génétique qui eux n'ont pas besoin de pesticides?
Mme Barbara McElgunn: Certains aliments obtenus par les techniques du génie génétique, notamment le canola, ont besoin de pesticides et la technique employée leur permet de survivre à une pulvérisation de Roundup. Donc, je pense que certains de ces aliments obtenus par les techniques du génie génétique n'auraient pas besoin de pesticides. Peut-être qu'on n'en aurait pas besoin dans le cas du Basileus Thuringiensis, je ne sais pas. Je pense que l'on a convaincu les gens que les aliments obtenus par les techniques de génie génétique n'avaient pas besoin de pesticides alors que celui que nous connaissons le mieux au Canada pourrait sans doute survivre même si on le pulvérise avec des pesticides.
M. Julian Reed: Je vous dirai qu'il y existe une pomme de terre sur le marché à l'heure actuelle qui n'est pas sensible au doryphore. C'est surtout pour lutter contre le doryphore que l'on utilise des pesticides sur les pommes de terre. Croyez-moi, j'en sais quelque chose, pour avoir parcouru dans tous les sens les champs de pommes de terre pour essayer d'éliminer les larves de doryphore avant qu'elles ne commencent à produire d'autres oeufs. Je me suis aperçu qu'en fin de compte, j'ai été obligé d'utiliser de la roténone, car si on saute une journée, on perd complètement le contrôle. Le fait est qu'il existe à l'heure actuelle sur le marché une pomme de terre qui n'a pas besoin de ce genre de traitement. Appuyez-vous ce genre de travail?
Dre Nicole Bruinsma: Il s'agit là d'un tout autre guêpier, et je ne suis pas vraiment certaine de vouloir nous lancer dans tout un débat sur le génie génétique à ce moment-ci.
Je suis d'accord avec Barbara lorsqu'elle dit que dans bien des cas jusqu'à présent le génie génétique fait en sorte que les plantes résistent davantage aux pesticides de sorte que l'on peut maintenant utiliser davantage de pesticides sans que la plante meure. C'est en grande partie ce qu'on a fait jusqu'à présent dans le domaine du génie génétique.
Par ailleurs—et je serai très bref, car comme je l'ai dit, cela pourrait être un sujet de discussion pendant encore six jours—les organismes modifiés génétiquement constituent une grande zone grise. Nous n'avons absolument aucune idée des conséquences à long terme que les organismes génétiquement modifiés auront sur notre environnement et notre santé.
Si nous produisons une pomme de terre qui n'a pas besoin de pesticides, c'est en quelque sorte une super pomme de terre qui peut survivre dans toutes les circonstances et, essentiellement, nous compromettons la biodiversité même qui maintient la vie sur cette planète. Ce sont de grandes questions, et nous pourrons peut- être en discuter à un autre moment. Je ne sais pas si c'est la bonne tribune pour le faire.
J'hésiterais beaucoup à dire que nous n'appuierions pas une pomme de terre qui n'a pas besoin de pesticides, car nous ne savons pas pourquoi elle n'a pas besoin de pesticides, si elle a été mise au point pour avoir d'autres effets toxiques, pourquoi les insectes ne veulent pas la manger, et toutes sortes d'autres choses.
C'est un peu induire le public en erreur que de dire: «Ne vous inquiétez pas. La technologie nous sauvera en fin de compte. Nous fabriquerons des aliments génétiquement modifiés et tout ira très bien.» C'est induire la population en erreur, car nous n'en avons aucune idée.
Si vous posez la question aux scientifiques qui travaillent sur les organismes génétiquement modifiés, ils vous répondront qu'ils n'ont aucune idée des conséquences à long terme de ces organismes sur l'environnement et la santé humaine, aucune idée.
M. Julian Reed: Mais la modification s'opère depuis des millions et des millions d'années.
Dre Nicole Bruinsma: C'est tout à fait différent. Les gens ne s'y retrouvent plus.
M. Julian Reed: Il y a eu des mutations à notre époque.
Dre Nicole Bruinsma: Les gens ne s'y retrouvent plus quand nous parlons d'organismes modifiés génétiquement. «Est-ce que l'on ne le fait pas depuis des siècles?» nous disent-ils. Selon les lois de l'hérédité de Mendel, on prend les plantes les plus saines et on les reproduit. Mais il s'agit là de transmissions génétiques intergénérationnelles.
Or nous ne parlons pas ici de transmissions génétiques intergénérationnelles. Nous parlons de transmissions génétiques latérales, où l'on retire un gène d'un organisme pour l'introduire dans un autre. On nÂa pas fait de recherche sur la transmission génétique latérale entre les espèces, qui ne s'est jamais produite auparavant dans l'histoire de l'humanité.
M. Julian Reed: Ça se produit tout le temps. Ça se produit dans la nature même.
Dre Nicole Bruinsma: Pas que des gènes soient extraits d'un organisme—qu'un gène prélevé sur un poisson puisse être introduit dans le génome d'un rat. Cela ne s'est jamais fait depuis l'apparition de la vie sur terre, jamais.
M. Julian Reed: Vous verrez bien que c'est le cas, et cela se produit tout le temps.
Dre Nicole Bruinsma: Non, pas au sens où nous effectuons maintenant des modifications génétiques, au sens que les gens leur donnent.
Mais laissons cela de côté, puisque cela n'a même pas trait à ce dont nous parlons aujourd'hui. Je me ferai un plaisir d'en parler plus tard avec vous si vous le souhaitez.
Le président: Merci, monsieur Reed.
Très brièvement, j'aurais une question à vous poser avant que vous partiez. On entend très souvent parler de gestion des risques. Pouvez-vous nous dire ce que vous entendez par là et comment vous souhaiteriez que le gouvernement assure la gestion des risques—soit quant à la façon dont on l'assure maintenant ou en tant que solution de rechange à ce qui se fait maintenant?
Mme Barbara McElgunn: Je suis préoccupée depuis un certain temps par le fait que dans des documents provenant de l'ARLA ainsi que dans les modifications à la Loi sur les produits antiparasitaires, il est dit que l'Agence optera pour une approche de gestion des risques.
Je n'ai vu aucune définition de cette approche. Il serait bon que nous en ayons une. Si ce libellé doit faire partie de la loi, nous devons savoir ce que l'on entend par là.
Je pense que ce qu'on veut dire c'est qu'il y aura une pondération des valeurs, des efficacités qui font partie de ces valeurs ainsi que des risques que l'utilisation de ces pesticides posent pour la population. Mais je ne suis pas certaine ou je ne vois pas bien ce à quoi songe l'ARLA quand il est question d'une approche de gestion des risques.
Je crains vraiment que cela puisse signifier qu'on va tenir compte de l'aspect économique, du rapport coût-avantage pour décider s'il y a lieu d'utiliser ou de ne pas utiliser ces produits massivement. Je crains que la gestion des risques porte ombrage à l'évaluation des risques, dans la mesure où j'estime que l'évaluation des risques doit être une procédure purement scientifique où l'on nÂa pas constamment à s'inquiéter de savoir ce que cela va coûter en fin de compte aux producteurs ou aux détenteurs d'homologation.
La gestion des risques c'est ce qu'on fait quand on obtient ces données, ce qu'on en fait, comment on gère le risque. Mais c'est tout à fait distinct et ce doit être tout à fait distinct de l'évaluation des risques, à mon avis.
J'aimerais vraiment que la loi contienne une définition de l'approche de la gestion des risques par l'ARLA ou par quiconque s'occupe de la rédaction législative.
Le président: Seriez-vous disposée à fournir au comité votre propre définition?
Mme Barbara McElgunn: De la gestion des risques?
Le président: Oui.
Mme Barbara McElgunn: Certainement.
Dre Nicole Bruinsma: Ainsi que du risque acceptable et du risque inacceptable?
Le président: Oui. En outre, le greffier vous fournira 11 questions rédigées par nos attachés de recherche, questions que nous n'avons pas eu le temps de vous poser ce matin. Voudriez-vous bien y répondre, peut-être par courrier?
Mme Barbara McElgunn: Je ferai de mon mieux.
Dre Nicole Bruinsma: Certainement.
Le président: Très bien.
Au nom des membres du comité, merci beaucoup d'avoir comparu et merci pour vos exposés.
Mme Barbara McElgunn: Merci.
Dre Nicole Bruinsma: Merci beaucoup.
Le président: La séance est levée.