ENVI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON ENVIRONMENT AND SUSTAINABLE DEVELOPMENT
COMITÉ PERMANENT DE L'ENVIRONNEMENT ET DU DÉVELOPPEMENT DURABLE
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mardi 19 septembre 2000
Le président (M. Charles Caccia (Davenport, Lib.)): Bonjour, mesdames et messieurs. Soyez les bienvenus à cette séance du Comité de l'environnement et du développement durable. Nous reprenons notre travail conformément au paragraphe 108(2) du Règlement.
[Traduction]
Nous accueillons aujourd'hui comme témoin l'honorable ministre de l'Environnement, qui fera comme d'habitude une présentation, suivie de questions, chaque intervention étant limitée à cinq minutes afin de permettre, peut-être, une deuxième ronde de questions.
Monsieur le ministre, vous avez la parole. Nous vous souhaitons la bienvenue au comité.
L'hon. David Anderson (ministre de l'Environnement): Je vous remercie, monsieur le président. Je remercie les membres du comité d'entamer la session parlementaire sur l'étude de ce projet de loi qui est tellement important, pour protéger les espèces en péril.
Je me présente aujourd'hui devant vous pour vous mettre à jour sur la situation—comme vous le savez, j'ai déjà témoigné à ce sujet—et, si je le peux, j'aimerais seulement dire que vous, monsieur le président, qui avez dit que les médias et d'autres pourraient avoir une fausse perception selon laquelle aucun changement ne sera envisagé à ce projet de loi...
M. John Herron (Fundy—Royal, PC): J'aimerais faire un rappel au Règlement, monsieur le président. Je ne suis pas sûr que nous sommes autorisés à parler de la loi ou du projet de loi, étant donné que le projet de loi n'est pas encore devant le comité; il est toujours devant la Chambre. De fait, nous examinons en ce moment une motion pour voir si le projet de loi sera mis aux voix à l'étape de la deuxième lecture. Je ne suis pas sûr que nous ayons le droit de parler de la loi, du projet de loi, dans les déclarations présentées devant ce comité aujourd'hui.
Le président: Monsieur Herron, nous examinons la question aujourd'hui en général, conformément à l'article 108(2) du Règlement, qui autorise le présent comité à examiner la teneur du sujet sans avoir le projet de loi en main. La présente rencontre a été rendue possible par le vote que nous avons eu en juin, si vous vous rappelez bien. Par conséquent, nous agissons selon les règles de ce comité, conformément à l'article 108(2) du Règlement.
M. John Herron: Je crois que si vous vérifiez cet article, même alors il ne peut être question du projet de loi lui-même. Nous pouvons parler du sujet en général; cependant, nous ne pouvons faire, comme vous venez d'y faire allusion, la moindre référence à un alinéa ou à un aspect particulier du projet de loi.
Je demande, par votre entremise, monsieur le président, que l'on interroge le greffier pour savoir si j'ai raison ou non.
Le président: Oui. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous examinons ce projet de loi particulier en substance. C'est ainsi que nous comptons procéder. Je ne doute pas que le ministre soit conscient de cette restriction particulière que nous impose l'article 108(2) du Règlement. Je vous remercie.
Monsieur le ministre, voulez-vous poursuivre?
M. David Anderson: Merci, monsieur le président. J'essaierai donc d'éviter de désigner des articles spécifiques du projet de loi, ou en fait de parler de lui précisément, autrement que de façon générale.
Monsieur le président, mesdames et messieurs du comité, le rôle du comité est essentiel puisqu'il écoute les témoignages toutes les parties intéressées et examine les mesures législatives proposées. Il est clair que la protection des espèces et de leurs habitats revêt une grande importante pour tous les Canadiens et touche toutes les facettes de notre société. De plus, le comité représente la Chambre des communes, donc l'ensemble de la société canadienne lorsqu'il analyse les dispositions—dont, bien sûr, je ne peux pas parler—du projet de loi lui-même. Nous avons cependant mis de l'avant une stratégie et je crois qu'il est important d'entendre la diversité des points de vue.
• 1630
Vous entendrez certainement le témoignage d'un grand nombre de
témoins, dont des représentants de groupes de protection de la nature,
des Premières nations, de la foresterie, des pêches et des secteurs
des mines et de l'agriculture, et aussi des scientifiques, des
professeurs, des administrateurs municipaux, des propriétaires et des
représentants des organisations environnementales et du Nord du
Canada. Je sais l'ampleur de la tâche que vous devez accomplir au nom
du Parlement et de tous les Canadiens, en écoutant ces avis souvent
contradictoires et en proposant des changements dans le but de rendre
la loi plus efficace.
Je tiens à vous assurer que je me tiendrai au courant des délibérations de votre comité, généralement au moyen des textes de leur transcription, et je serai très intéressé à recevoir les propositions et suggestions du comité, parce que le travail que vous faites est un aspect important du processus démocratique. Tout de même, je ne peux pas, avant que les témoins aient été entendus et que les honorables membres de ce comité aient exprimé leurs opinions et entendu les témoins, dire si telle recommandation ou telle autre, d'un groupe quelconque, me semble particulièrement attrayante et que j'irais en ce sens. Ce serait tout simplement mal agir. Ce serait un outrage à ce comité et, très certainement, au Parlement.
J'aimerais me tourner maintenant vers la tâche sérieuse et complexe qui nous attend, soit l'examen d'une stratégie nationale, qui comprend des mesures législatives, en vue de protéger les espèces et leurs habitats à l'échelle du Canada. La protection des espèces présente des défis extraordinaires et exige des solutions novatrices et—-je le souligne—coopératives. Le débat n'a rien de théorique. Nous parlons ici de préserver la biodiversité des espèces sauvages, des oiseaux, des plantes et des poissons dans notre pays, ainsi que des habitats essentiels à leur survie. Ce n'est pas une mince affaire. La tâche s'est déjà avérée problématique et extrêmement difficile dans tous les coins du monde. Bien que l'Amérique du Nord ait peut-être les meilleurs moyens de protéger la biodiversité, ce n'en est pas moins extrêmement difficile, même ici.
Je vous dirais que nous ne devons pas oublier que le principe fondamental de l'écologie veut que tout soit interrelié. Il est impossible de séparer les espèces sauvages les unes des autres et de leurs habitats, pas plus que nous ne pouvons séparer les gens qui vivent dans ce pays et qui travaillent sur la terre, sur l'eau ou dans les forêts, de leur relation avec le ciel, la terre et l'eau où vivent justement ces espèces animales et végétales.
Le gouvernement a proposé une stratégie en vue d'empêcher les espèces de s'éteindre à cause de l'activité humaine. Nous avons élaboré un plan qui, à la fois, protégera les espèces et permettra à celles qui sont en danger de se repeupler, et qui fera en sorte d'empêcher que des espèces soient menacées à l'avenir. C'est pourquoi nous avons choisi une approche plus globale que de simples mesures législatives, et c'est pourquoi j'ai annoncé devant ce comité, en mai dernier, que nous avions une stratégie en trois volets pour protéger les espèces en péril. Le premier volet, la pierre angulaire de notre stratégie, est le projet de loi sur les espèces en péril. Le deuxième est un partenariat avec les provinces et les territoires qui assument la responsabilité constitutionnelle de la terre et des droits fonciers. Rien ne peut changer cela. Leur participation active et volontaire est indispensable, et nous avons formé des partenariats avec eux depuis la signature de l'Accord national pour la protection des espèces en péril, en 1996. Aucun gouvernement ne peut, à lui seul, protéger les espèces en péril et l'Accord engage tous les gouvernements à établir des programmes et des mesures législatives complémentaires pour protéger les espèces en péril dans tout le Canada.
Le troisième volet de notre stratégie consiste à conclure des partenariats avec des Canadiens pour promouvoir des programmes de bonne intendance des espèces et de leurs habitats. Vous vous rappellerez peut-être que le budget présenté en février 2000 comportait une disposition des plus inhabituelles, en allouant un financement avant même que la loi soit présentée devant la Chambre. Le budget prévoyait 180 millions de dollars, répartis sur cinq ans, pour la mise en place de la stratégie nationale de protection des espèces en péril. Bien que ce soit, c'est certain, une décision arbitraire pour le moment, nous avons choisi d'investir 45 millions dans les programmes d'intendance dans tout le pays.
Avant d'entrer dans le détail de la loi elle-même, permettez-moi de vous donner un aperçu de ce que nous avons fait cet été pour mettre en oeuvre une stratégie globale.
• 1635
Premièrement, les réévaluations des espèces sont en voie d'être
terminées, conformément au calendrier prévu. Le Comité sur le statut
des espèces en péril au Canada, qu'on appelle le COSEPAC, réévalue en
ce moment la liste courante des espèces à la lumière d'un nouvel
ensemble plus objectif de critères internationaux qui, je crois, vient
de l'Union mondiale pour la nature. À la réunion des ministres
fédéral, provinciaux et territoriaux responsables des espèces sauvages
tenue en août à Iqaluit, le rapport annuel du COSEPAC a été présenté
pour la première fois directement aux ministres.
Je tiens à faire l'éloge du COSEPAC. Il a été très productif, et lors de sa réunion en mai, il avait terminé 123 réévaluations, soit à peu près la moitié de la liste courante des espèces sauvages en danger et menacées de disparition. Le processus d'évaluation du COSEPAC est sur la bonne voie et une fois que nous aurons reçu le rapport de sa prochaine rencontre, qui doit avoir lieu en novembre, nous serons prêts à établir rapidement, dès la promulgation de la loi, une première liste exhaustive conformément à la loi.
Cette liste exhaustive est un élément clé parce que bon nombre d'espèces que le COSEPAC a évaluées ne sont pas actuellement bien protégées et elles ne le seront pas tant que la prochaine loi n'aura pas été promulguée. Nous pourrons en outre intégrer les connaissances traditionnelles autochtones dans l'évaluation et les mesures de rétablissement des espèces sauvages, ce qui me fait grand plaisir. Je crois que c'est un élément clé de la nouvelle loi, sur lequel tous les ministres se sont entendus à Iqaluit. La réunion d'Iqaluit, cet été, a aussi permis aux ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux de discuter pour la première fois de manière formelle des questions relatives aux espèces sauvages avec les chefs autochtones des quatre coins du pays.
[Français]
Je crois fermement que la participation des peuples autochtones aux processus d'identification des espèces en péril et d'élaboration des plans de rétablissement constitue une des grandes forces de ce projet de loi.
Le gouvernement du Canada a aussi fait des progrès notables dans le développement de partenariats solides et efficaces au sein de la population canadienne.
Nous avons au Canada une histoire particulièrement riche en programmes de bonne intendance. Nous avons reconnu qu'il nous fallait faire encore davantage. L'habitat est un facteur de survie pour 75 p. 100 des espèces en péril. J'ai passé toute ma vie, tant publique que privée, à travailler sur des questions touchant les espèces sauvages et les pêches. Je sais d'expérience que la conservation doit commencer quand l'espèce est en bonne santé, quand l'habitat est encore là pour être protégé. C'est pourquoi les mesures volontaires de bonne intendance sont si importantes et pourquoi la bonne intendance est un élément clé de notre stratégie.
Le Programme de bonne intendance des habitats appuie le projet de loi sur les espèces en péril en finançant les efforts des organismes non gouvernementaux, des propriétaires terriens privés, des peuples autochtones, des groupes de conservation, des gouvernements locaux et d'autres qui veulent participer activement à cette bonne intendance.
Au cours de cet été, le Programme de bonne intendance des habitats a investi environ 2,1 millions de dollars dans plus de 13 partenariats importants avec des collectivités et organismes locaux et régionaux protégeant les habitats.
Nous avons fourni 200 000 $ pour le rétablissement de la pie-grièche migratrice de l'Est, un oiseau jadis très répandu au Manitoba, en Ontario et au Québec.
Nous avons mis en place un financement de première année d'une valeur de 410 000 $ pour la protection de la prairie du Coteau dans le sud des prairies, surtout en Saskatchewan où vivent de multiples espèces en péril, dont le pluvier siffleur et la chouette des terriers.
Vendredi dernier, Pêches et Océans a annoncé le versement de 550 000 $ en vue de la réalisation de projets destinés à assurer la survie de la baleine noire boréale dans l'Atlantique Nord. Les projets de bonne intendance et de rétablissement de ce mammifère marin se feront avec la participation du Fonds mondial pour la nature, ainsi que des industries de la pêche, du transport maritime et des activités commerciales d'observation des baleines.
J'ai eu par ailleurs le grand plaisir d'annoncer un appui de 1 million de dollars pour la conservation des habitats et des espèces en péril dans la région du sud de l'Okanagan et de la vallée de la Similkameen en Colombie-Britannique. Tout comme la prairie herbeuse vallonnée et les forêts caroliniennes de l'Ontario, cette région recouvre un des écosystèmes les plus menacés du Canada.
• 1640
Ces fonds de
bonne intendance rassemblent
17 groupes qui travailleront avec les
gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique à
l'élaboration du programme de conservation de la région
du sud de l'Okanagan et de la vallée de la Similkameen.
Ces organismes comprennent le Service canadien de la
faune, Ducks Unlimited ou Canards illimités, la
Fédération des naturalistes de la Colombie-Britannique,
le Musée royal de la Colombie-Britannique, la Société
pour la protection des parcs et des sites naturels du
Canada, ainsi que la Osooyos Desert Society, pour n'en
nommer que quelques-uns. Dans le cadre de ce programme,
des projets exploreront le bon équilibre à atteindre
entre la protection des espèces sauvages et les besoins
humains. Il s'agit là d'un modèle de la façon dont
la protection des habitats et des espèces peut
fonctionner au Canada.
[Traduction]
Monsieur le président, mesdames et messieurs du comité, d'autres projets sont aussi en voie d'élaboration, qui portent sur l'intendance et le rétablissement, notamment, du saumon de l'Atlantique, de la grenouille maculée du nord, du caribou des forêts et du béluga.
Le Programme des dons écologiques, dans le cadre de la Loi fédérale de l'impôt sur le revenu, constitue un autre élément important du budget 2000. Ce programme prévoit des mesures d'incitation économiques pour rendre la protection des secteurs écosensibles plus attrayante pour les Canadiens, en diminuant de 50 p. 100 l'impôt à payer sur tout gain en capital associé aux dons. Aussi cet impôt est-il passé de 70 p. 100 à 33 1/3 p. 100. Je pense pouvoir vous en parler plus longuement cet automne, alors que de généreux Canadiens tireront parti de ce nouvel outil qui permettra de protéger l'habitat de façon permanente dans tout le pays.
Grâce à des partenariats et des mesures d'incitation, ces programmes étendront la protection de l'habitat jusque dans tous les coins du pays et feront appel à la bonne volonté, à l'expérience et aux efforts des Canadiens qui se passionnent pour la protection des espèces. Ces programmes fonctionnent en collaboration directe avec les groupes de conservation locaux et touchent des centaines de propriétaires, d'agriculteurs, de forestiers, d'éleveurs et de pêcheurs et protègent la riche biodiversité du Canada.
Comme, je l'espère, vous pouvez le voir, les efforts que nous déployons ne commencent ni ne finissent avec le projet de loi sur les espèces en péril. Le cadre qu'offre la loi...
M. John Herron: Monsieur le président, j'aimerais faire un rappel au règlement. Avons-nous le droit de parler du contenu de la loi, selon l'interprétation que vous avez donnée plus tôt?
Le président: Eh bien, il me semble que le ministre n'a pas encore parlé précisément du contenu de la loi. Il n'a fait que la mentionner de façon générale et, par conséquent, il n'a pas transgressé l'article 108(2) du Règlement en ce qui concerne la loi. Ce n'est certainement pas matière à perturber les membres du comité. Je suis sûr que le ministre est tout à fait conscient des limites qui nous sont imposées cet après-midi, et je l'invite à reprendre...
M. John Herron: La seule chose qui peut perturber quiconque est que nous avons des règles et des procédures à suivre à ce comité...
Le président: Oui.
M. John Herron: ... et selon la motion qui a été adoptée auparavant et votre interprétation, nous ne pouvions faire aucune référence spécifique au contenu de la loi proposée.
Le président: De l'avis du président, le ministre n'a pas transgressé la règle, et je l'invite donc à reprendre son exposé.
M. David Anderson: Merci.
Mme Marlene Catterall (Ottawa-Ouest—Nepean, Lib.): Peut-être ai-je une solution, monsieur le président, en faisant remarquer à M. Herron que le ministre parlait de la «la loi proposée». Cela fait un certain temps que la loi a été proposée. Cela ne veut pas dire qu'elle fait l'objet d'un examen du comité ou qu'elle le fera jamais, donc il n'y a pas manquement aux règles.
Le président: Monsieur Herron.
M. John Herron: Je suis d'accord avec ce que vient de dire Mme Catterall, à part le fait que dans la phrase suivante, il soit question du cadre de travail que la loi fournit. À ce moment-là, ce serait...
Le président: Le ministre n'en est pas encore là, monsieur Herron.
Mme Marlene Catterall: «La loi fournirait le cadre», monsieur le ministre.
Une voix: Vous pourriez dire «la loi proposée».
Le président: Il a terminé sur le mot «loi».
De toute façon, nous tenons compte de toutes les interventions, et nous demandons au ministre de bien vouloir poursuivre.
M. David Anderson: Merci, monsieur le président.
• 1645
Le projet de loi fournit un filet de sécurité pour veiller à
ce qu'aucune espèce ni l'habitat qui lui est vital ne soit oublié.
Il inscrit dans la loi les mécanismes d'évaluation et de
redressement, et il prévoit aussi des mesures d'interdiction
sévères auxquelles faire appel si d'autres mesures ne suffisent
pas.
[Français]
J'aimerais passer maintenant à une description plus détaillée de la façon dont la mesure législative proposée fonctionnera.
La première étape consiste à rassembler la bonne information. Dans le cadre de la proposition de loi, le Comité sur le statut des espèces en péril au Canada, le COSEPAC, aura la responsabilité de l'évaluation des espèces. Le COSEPAC reçoit un statut légal dans le cadre de ce projet de loi, mais continue de fonctionner de manière complètement indépendante des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Il est évident que des scientifiques effectueront des évaluations de toutes les espèces.
Quand le COSEPAC décide qu'une espèce est menacée ou en danger de disparition, l'évaluation du COSEPAC ainsi que les raisons de cette évaluation seront rendues publiques immédiatement. Ces listes sont offertes sur Internet et reçoivent chaque année une généreuse couverture médiatique.
Le gouvernement du Canada recevra l'information scientifique du COSEPAC et l'utilisera comme base de la liste légale des espèces en péril aux termes de la loi proposée. Nous prenons les conseils scientifiques très au sérieux et avons pris des mesures extraordinaires pour insérer le rôle de ces conseillers dans le texte de la loi proposée. Les décisions prises dans le cadre de la loi que nous proposons peuvent avoir des répercussions économiques, sociales et juridiques pour de nombreux Canadiens et Canadiennes. Les Canadiens et Canadiennes qui seront touchés ont le droit d'être entendus. Dans notre processus démocratique, il est crucial qu'il y ait une certaine imputabilité politique pour les décisions finales. C'est pourquoi cette loi donne au Cabinet la responsabilité légale d'établir et de modifier la liste légale des espèces en péril au Canada.
Permettez-moi d'illustrer par un exemple la façon dont la loi fonctionnerait une fois qu'une espèce serait répertoriée. La pie-grièche migratrice, un oiseau de taille moyenne dont la population se trouve dans des secteurs limités, est répertoriée comme une espèce en péril de disparition. Que se passe-t-il ensuite?
Premièrement, la Loi sur les espèces en péril que nous proposons interdira de tuer la pie-grièche migratrice ou de détruire son lieu de résidence. Bien sûr, ceux qui ne respectent pas la loi pourraient faire face à des amendes ou à d'autres pénalités.
Ensuite, un processus de rétablissement exhaustif est lancé. Il faut qu'une évaluation scientifique soit effectuée par une équipe de rétablissement pour étudier les raisons du déclin de la pie-grièche migratrice. Le rétablissement occupera un groupe varié d'intervenants. La province ou le territoire concerné a un rôle important à jouer à ce stade-ci puisqu'il peut détenir des connaissances et du soutien utiles à l'effort de rétablissement.
Le processus de planification du rétablissement identifiera ensuite les stratégies de rétablissement de la pie-grièche migratrice, notamment l'identification de son habitat crucial. La loi que nous proposons fournit au gouvernement du Canada l'autorité légale de s'assurer que son habitat crucial est protégé partout au Canada, qu'il se trouve sur une propriété fédérale, provinciale ou privée. Comme je vous l'ai mentionné, nous pensons pouvoir mieux protéger l'habitat en suivant une démarche fondée sur la coopération, qui offre suffisamment de flexibilité aux Canadiens pour qu'ils fassent le maximum, plutôt que de les forcer à faire le strict minimum.
Nous consulterons ensuite les peuples autochtones, les propriétaires de terrains privés, l'industrie et les collectivités locales pour élaborer une stratégie de redressement et des plans d'action.
• 1650
Notre expérience avec les propriétaires terriens à
l'échelle du Canada nous porte à croire que les
agriculteurs, les pêcheurs, les éleveurs, les trappeurs
et les gens qui travaillent dans les forêts répondront
positivement à un plan d'action bien perçu. Cela
pourrait signifier, par exemple, qu'un propriétaire
terrien réduise la surface de terre qu'il cultive ou
qu'il change de culture, ou encore qu'il réduise
l'étendue du terrain où le bétail peut aller librement.
Ou cela pourrait signifier simplement qu'un agriculteur
laisse son bétail se nourrir d'une espèce végétale qui
envahit et détruit un habitat.
Tel est le genre d'aide que nous obtenons d'ores
et déjà au Québec, en Ontario et au Manitoba pour
améliorer l'habitat de la pie-grièche migratrice de
l'Est.
J'espère que cet exemple a jeté quelque lumière sur la façon dont fonctionneront les mesures volontaires; elles forment notre première ligne de défense. Je veux aussi souligner que dans la plupart des cas, on s'attend à ce que les gouvernements provinciaux et territoriaux protègent les habitats dans leur zone de compétence. Aux termes de la Constitution, ils ont la responsabilité des terres et des droits fonciers. Mais si les mesures volontaires ne réussissent pas et qu'une province ou un territoire ne peut ou ne veut agir, le filet de sécurité fédéral pour les habitats se déploiera en se servant du pouvoir du droit criminel pour garantir que les habitats cruciaux à la survie des espèces soient bien protégés.
[Traduction]
Je vous ai exposé cela assez rapidement, monsieur le président. Vous aurez sûrement des questions là-dessus, auxquelles je répondrai avec plaisir tout à l'heure.
J'aimerais souligner toutefois que les Canadiens ont vraiment un rôle à jouer dans le fonctionnement du processus. Nous nous sommes efforcés d'atteindre un certain équilibre dans le projet de loi sur les espèces en péril. Nous reconnaissons que, pour protéger la biodiversité de nos plantes, de nos animaux, de nos insectes et de nos poissons, les lois ne sont pas suffisantes, et ne peuvent pas l'être. Il nous faut une stratégie plus vaste et plus élaborée, plus conforme à la Constitution et à nos attitudes.
En tant que décideurs, nous avons souvent à choisir entre trois options pour atteindre un objectif. Nous pouvons adopter une loi, établir des incitatifs ou des outils économiques pour favoriser le comportement souhaité, ou encore informer les gens pour accroître la sensibilisation du public. C'est exactement ce qui se fait ailleurs dans le monde dans le cas des espèces en péril. Or, au lieu de ne choisir qu'une formule, comme le font la plupart des pays, nous avons préféré combiner les trois dans la stratégie nationale pour la protection des espèces en péril. Nous avons conçu un système moderne, qui privilégie les incitatifs et l'information dans l'espoir de mieux protéger les espèces et leur habitat dans l'ensemble du Canada.
Nous savons, d'après ce qui se passe ailleurs dans le monde, que c'est la solution la plus pratique. Les États-Unis ont un système essentiellement légaliste, et ils se battent depuis 30 ans pour remplacer l'approche de confrontation, provoquée par la bataille engagée en forêt dans les années 1980 à propos de la chouette tachetée, par une formule qui favorise des solutions rapides et qui est efficace au niveau local. Il y a aussi eu une révolte, également dans les années 1980, au sujet de l'armoise dans les États de l'Ouest éleveurs de bétail qui ont combattu farouchement l'ingérence fédérale dans le domaine de la protection des espèces sauvages.
Nous avons conçu une formule adaptée aux besoins du Canada pour protéger les espèces en péril, de façon à maintenir et à consolider l'appui des Canadiens à ce sujet, parce qu'ils font partie de la solution. Il y a des contraintes, des «bâtons» dans le projet de loi, c'est vrai, et ils sont nécessaires pour l'application de la loi et la protection d'un bien public, mais les chances de succès sont beaucoup moins grandes si la coercition est considérée comme le fondement de l'approche fédérale.
Avant de terminer, si je peux me le permettre, j'aimerais attirer votre attention sur les sept années de travail consacrées à la rédaction du projet de loi sur les espèces en péril. Cette mesure proposée a fait l'objet de vastes consultations. Son prédécesseur, le projet de loi C-65, a été examiné par votre comité, et de très nombreux témoins sont venus vous exposer leurs points de vue sur le projet de loi et ses enjeux. Mon ministère a aussi organisé des consultations nationales, des dizaines d'ateliers régionaux et d'innombrables rencontres individuelles pour entendre tous les points de vue, et le projet de loi reflète les idées exprimées.
Nous n'avons évidemment pas pu tenir compte de toutes les suggestions, ce qui n'est bien sûr pas possible. Ce que nous avons fait, par contre, c'est concilier les complexités associées à la protection d'un bien public, pour s'assurer que les espèces ne disparaissent pas au Canada à cause des activités humaines, et l'aspect pratique de la tâche à accomplir. Nous proposons une mesure législative qui est responsable, efficace, juste et, surtout, qui fonctionne bien sur le terrain.
• 1655
Il y en a peut-être—en fait, je suis sûr qu'il y en a—qui
s'opposent au processus en deux étapes, selon lequel le COSEPAC
effectue l'évaluation scientifique et le Cabinet détermine les
espèces menacées qui seront inscrites dans la loi. Or, tout
ministre qui rejette les recommandations des scientifiques devra
bien sûr rendre compte de sa décision à la population, à ses
électeurs et au Parlement, sans parler de tous les groupes
d'intérêt spécial qui suivent ces dossiers. Les méthodes
inflexibles dont on n'a pas à rendre compte au public ont déjà été
essayées ailleurs et elles ne fonctionnent tout simplement pas.
Selon moi, monsieur le président, la responsabilité politique
donnera au Canada une loi plus solide.
D'autres, estimant que les mesures volontaires ne fonctionnent pas dans d'autres secteurs, se demandent pourquoi elles fonctionneraient dans ce cas. Je serai très clair. Si des mesures coercitives sont nécessaires, le droit criminel nous offre les outils nécessaires pour les appliquer. Nous préférons cependant la carotte au bâton. Ce n'est toutefois pas le seul moyen, puisque notre approche prévoit les bâtons nécessaires pour assurer la protection des espèces et de leur habitat.
C'est une question d'équilibre. Le projet de loi sur les espèces en péril délaisse le vieux style autoritaire de réglementation gouvernementale pour proposer un modèle plus coopératif. Je rappellerai aux membres du comité que le projet de loi C-65 a été vivement contesté à cause de son approche autoritaire.
Le nouveau projet de loi est, à bien des égards, meilleur que le précédent. Par exemple, il accorde un rôle beaucoup plus important au COSEPAC, qui a beaucoup à dire dans la conception des modalités d'évaluation des espèces en péril.
Le nouveau projet de loi tient également compte des connaissances traditionnelles autochtones, ce qui est une grande amélioration, à mon avis.
Le nouveau projet de loi contient des mesures qui assureront une protection efficace des habitats cruciaux pour la survie des espèces en péril sur tout le territoire du Canada. Vous savez, monsieur le président, mesdames et messieurs, que ce n'était pas le cas dans le projet de loi C-65, et que c'était en fait une des principales critiques formulées à son sujet. Maintenant, si une province ou un territoire ne protège pas des espèces en danger ou menacées, le gouvernement du Canada pourra prendre des mesures pour protéger l'habitat en question.
Chaque fois que le processus de planification du rétablissement d'une espèce indique qu'un habitat est mal protégé, et que le ministre décide que cet habitat n'est pas bien protégé, le ministre doit recommander des interdictions pour empêcher la destruction de cet habitat et faire rapport à la population canadienne des mesures prises pour le protéger.
Nous avons écouté le groupe de travail sur les espèces en péril qui a recommandé que les modalités de poursuite civile ne fassent pas partie de la loi. Le fait que des producteurs agricoles ou des éleveurs pourraient être visés personnellement par des groupes de citoyens—non pas pour des infractions importantes, mais simplement pour avoir laissé leur bétail paître au mauvais endroit—contredisait carrément le sens de l'équité des Canadiens. Nous avons toutefois gardé les éléments du projet de loi C-65 qui permettaient à un particulier d'exiger qu'une enquête formelle soit effectuée s'il avait des motifs de croire qu'une infraction avait été commise ou qu'on en préparait une.
Une autre amélioration importante est que le nouveau projet de loi permet à la société de reconnaître les vrais sacrifices déjà accomplis au nom de la conservation. La question de l'indemnisation est extrêmement complexe. Elle dépasse de loin la question des espèces en danger. J'ai demandé conseil à des experts pour être sûr d'obtenir l'effet escompté. Peter H. Pearse, spécialiste en gestion des ressources naturelles et professeur émérite à l'Université de la Colombie-Britannique, consulte actuellement les Canadiens et formulera des propositions sur l'indemnisation. Dès que je recevrai ses conclusions, je vous en ferai rapport à vous, monsieur le président ainsi qu'aux membres du comité.
Ne vous y trompez pas, le projet de loi traite du même sujet que le projet de loi C-65, mais il va encore plus loin, et il mise beaucoup sur des mesures d'intendance basées sur la coopération. Ce n'était pas le cas du projet de loi C-65. Le nouveau projet de loi offre des possibilités de nouvelles subventions, ce que ne faisait pas le projet de loi C-65. Il était clair qu'on ne pouvait pas seulement modifier le projet de loi C-65 en surface mais qu'il fallait le modifier en profondeur. C'est pourquoi le projet de loi sur les espèces en péril adopte une approche fondamentalement différente. Nous avons intégré ce solide projet de loi à la stratégie nationale qui sera, en fin de compte, plus efficace pour les espèces et leurs habitats.
En terminant, j'espère que vous reconnaîtrez qu'on attend depuis longtemps une loi fédérale sur la protection des espèces en péril et leur habitat. Les choses ont déjà progressé dans le cas de deux éléments de la stratégie, et maintenant la nouvelle loi peut venir compléter le tableau. Elle a fière allure sur papier, et je pense que ce sera encore mieux dans la réalité, quand elle permettra de protéger les espèces dans les champs, les forêts, les terres humides et les eaux libres du Canada. Je suis sûr que les membres du comité partagent cet objectif.
• 1700
Vos audiences sont très importantes dans le processus
parlementaire, et vos recommandations seront sûrement examinées
avec soin. Je compte travailler avec vous, monsieur le président,
ainsi qu'avec les membres du comité, à l'étude du projet de loi sur
les espèces en péril, jusqu'à ce qu'il ait force de loi.
Je vous remercie encore de m'avoir donné l'occasion de vous exposer mon point de vue et de vous mettre au courant de ce qui s'est produit au cours des derniers mois. Je suis prêt à répondre à vos questions.
Le président: Merci, monsieur le ministre.
La liste de ceux qui veulent poser des questions est déjà assez longue. Nous allons commencer par M. Jaffer qui a cinq minutes.
M. Rahim Jaffer (Edmonton—Strathcona, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président, et merci, monsieur le ministre, de vos explications d'aujourd'hui.
J'aimerais d'abord avoir des précisions sur certains des chiffres que vous avez cités dans votre exposé, plus particulièrement quand vous dites que vous avez attribué 180 millions de dollars sur cinq ans pour les programmes d'intendance et que d'autres sommes seront prévues par la loi. J'ai vu que 45 millions de dollars ont été investis plus particulièrement pour les programmes d'intendance. Quelle partie de ces 180 millions de dollars sera consacrée à l'indemnisation, ou y aura-t-il un fonds distinct pour l'indemnisation?
M. David Anderson: Actuellement, nous devrons nous servir du budget global de 180 millions de dollars pour l'indemnisation. Comme je l'ai dit, le montant de 45 millions de dollars est une évaluation provisoire. Il est très difficile de prévoir ce qui sera nécessaire pour l'indemnisation avant que j'aie pris connaissance du rapport de M. Pearse, qui indiquera ce à quoi s'attendre à ce sujet, et bien sûr avant que nous ayons acquis une certaine expérience de la question.
J'ai dit que l'indemnisation s'adressera en général aux propriétaires fonciers, et pas aux grandes entreprises—et, je le répète, j'attends de connaître l'opinion de M. Pearse—qui ont reçu beaucoup de terres publiques provinciales dont l'octroi ne prévoyait pas la destruction des espèces en danger. Ce n'est simplement pas un chèque en blanc de la part du gouvernement fédéral, et je sais que vous ne seriez pas d'accord avec cela. Tout ce que je peux dire, c'est qu'avec les meilleures intentions du monde, nous verrons au fur et à mesure.
Si vous me le permettez, j'aimerais faire une dernière remarque à ce sujet. C'est un problème très difficile pour les provinces, parce qu'elles sont bien sûr aux prises avec des demandes d'indemnisation quand elles modifient l'utilisation des terres sur leur territoire pour tenir compte d'autres éléments qui se sont présentés dans les 30 ou 50 ans suivant l'octroi original. Nous travaillons en étroite collaboration avec elles pour ne pas leur compliquer la vie ou leur rendre la vie impossible, et pour maintenir notre aide.
M. Rahim Japper: Je comprends.
Ce qui sera très important pour notre comité, surtout quand nous commencerons à entendre des témoins et à discuter de ce projet de loi, c'est le rapport de M. Pearse. Je me demande quand vous pensez qu'il pourra être mis à la disposition des membres de notre comité ou de la Chambre.
M. David Anderson: Nous sommes en septembre. Je m'attends à ce qu'il soit prêt au cours des deux premières semaines du mois prochain.
M. Rahim Jaffer: Et nous aurons accès à ce rapport, évidemment.
M. David Anderson: Tout à fait. Dès que je le recevrai—disons dans les 24 heures suivant sa réception—je veillerai à ce que vous en receviez copie. Je le rendrai public, et il sera d'un grand intérêt.
Comme je l'ai dit, c'est un principe très intéressant. Par exemple, une compagnie peut posséder des terres qui sont nécessaires pour une espèce en danger, alors qu'une autre compagnie n'en possède pas, et il faut comparer la situation créée par le simple fait d'enlever à une entreprise des terres jugées utiles à l'élevage ou à la forêt et de ne pas en enlever à l'autre. Il faudra peut-être aussi songer à des indemnisations de groupe. Voilà simplement un exemple des aspects complexes auquel je n'avais pas pensé quand j'ai d'abord envisagé l'indemnisation.
M. Rahim Jaffer: J'ai une dernière brève question à poser à ce sujet, et je vous remercie de votre franchise.
Au sujet de l'indemnisation—et je vois que vous trouvez aussi que c'est un problème important—je dirais qu'il est essentiel de rapprocher tous les intervenants au sujet de ce projet de loi. Cette question revient toujours sur le tapis quand je discute avec des écologistes, des dirigeants d'entreprise et des propriétaires fonciers, et la plupart des gens sont d'accord avec une indemnisation fondée sur la juste valeur marchande.
• 1705
Actuellement, le projet de loi ne prévoit pas d'indemnisation
fondée sur la juste valeur marchande pour les terres perdues.
Compte tenu de ce que vous avez dit à la période des questions
aujourd'hui et devant le comité—et indépendamment des conclusions
de M. Pearse—seriez-vous d'accord pour qu'on amende le projet de
loi afin de prévoir une indemnisation fondée sur la juste valeur
marchande?
M. David Anderson: Tout à fait. Je le dis sans même penser... Je suis sûr que vous avez tous une interprétation légèrement différente de ce qu'est l'indemnisation fondée sur la juste valeur marchande. C'est quelque chose qui sera très important.
Vous pourrez étudier le rapport de M. Pearse. Vous voudrez sans doute faire vos propres commentaires. Selon les idéologies politiques, les points de vue seront différents concernant le rôle du gouvernement et la responsabilité des personnes dans le système, mais je voudrai connaître vos opinions, et je tiens à le répéter, je pense que tout le monde s'apercevra que ce n'est pas un sujet facile quand on commencera à l'approfondir. L'indemnisation est un sujet compliqué.
Le président: Merci.
[Français]
Madame Girard-Bujold, s'il vous plaît.
Mme Jocelyne Girard-Bujold (Jonquière, BQ): Bonjour, monsieur le ministre. Je vous ai écouté avec attention et j'ai lu également avec attention le texte que vous nous avez fait parvenir. J'aimerais aborder un grand nombre de points, mais je n'aurai jamais le temps d'en discuter.
On voit, monsieur le ministre, d'après le contenu de votre exposé d'aujourd'hui, que vous visez à rassembler toutes les provinces sous une même bannière, même celles qui ont déjà adopté des lois. Leurs lois ne vont pas nécessairement aussi loin qu'elles le souhaiteraient, mais, au moins, elles ont déjà fait un geste.
Tout le contenu de ce que vous nous avez exposé, monsieur le ministre, indique que vous allez lier les mains des gouvernements, qui seront obligés d'agir dans le sens édicté.
Vous savez, dans tout cet exposé, vous n'avez aucunement fait mention de vos terres domaniales, des terres fédérales de la Couronne. Je n'y ai perçu aucune mention de vos champs à vous. Qu'est-ce que vous faites chez vous? Pourquoi les groupes environnementaux ont-ils attribué une note D- à ce projet de loi? Vous donnez des exemples et vous dites que vous n'utiliserez pas le bâton mais la carotte; vous appâtez les gens avec de l'argent. Mais selon moi, monsieur le ministre, votre présentation relève d'une vision dépassée de la Constitution canadienne.
Vous nous dites que les scientifiques, avec l'aide du COSEPAC, vont fournir une liste qui sera révisée en dernier lieu par le Conseil des ministres. Quelle compétence scientifique le Conseil des ministres a-t-il pour juger de l'importance de ce qui aura été mis sur la liste? C'est une des interrogations qui me viennent après votre intervention d'aujourd'hui.
Je ne vous parle pas du projet de loi, qui n'a pas encore passé l'étape de la deuxième lecture en Chambre et dont nous n'avons pas encore à discuter. C'est votre exposé d'aujourd'hui qui a ravivé mes inquiétudes, à cause de la façon cavalière dont le gouvernement canadien considère les choses faites par les provinces qui sont déjà passées à l'action chez elles alors que vous n'avez pas encore agi chez vous.
Vous dites aussi être prêt à accepter des modifications. Vous savez, on a de mauvais exemples de la façon dont se comportent certains députés libéraux dans les comités. Lors de l'adoption du dernier projet de loi sur l'environnement, c'était ridicule; nous, de l'opposition, voulions marcher la main dans la main avec le gouvernement, mais certaines personnes de l'autre côté avaient reçu l'ordre d'agir d'une certaine façon.
Monsieur le ministre, «chat échaudé craint l'eau froide». Je suis un chat échaudé, et votre exposé d'aujourd'hui n'est pas à la hauteur de ce que j'attendais de vous.
Merci, monsieur le ministre.
M. David Anderson: Je vous remercie. Oui, c'est vrai que plusieurs provinces et territoires ont fait un travail dont il faut les féliciter.
• 1710
Si le système provincial est un bon outil, s'il protège
toutes les espèces en péril, eh bien, la loi fédérale
pourra aider la province en lui fournissant une aide
technique, scientifique ou financière. Nous allons
laisser aux provinces la tâche de protéger les espèces
en péril.
Madame, il est curieux que plusieurs personnes critiquent dans mon dos ce projet de loi en disant qu'il n'est pas assez contraignant. On dit que le fédéral se montre trop craintif devant la position des provinces.
Je sais qu'il y a des inquiétudes. Pourtant, nous avons un accord avec les provinces, un accord signé par tous les premiers ministres, de même que les premiers ministres des territoires. J'espère bien que cette loi pourra être employée de façon à appuyer l'action des provinces dans le domaine et non pas à leur nuire ou à leur causer des problèmes.
Je vous assure qu'il est impossible d'envisager l'existence d'un système fédéral. J'ai deux fois dans mon discours indiqué que les provinces, non pas à cause de leur position constitutionnelle, disposent du niveau de gouvernement qui est essentiel. Nous pouvons, dans certains cas, arriver à protéger l'habitat d'une ou deux espèces protégées. Pourtant, nous ne pouvons pas soustraire ces espèces aux systèmes provinciaux de protection de la faune en général. Nous ne pouvons pas les isoler des autres espèces.
[Traduction]
Je pourrais peut-être poursuivre là-dessus un instant. C'est un sujet très important et je suis heureux d'en parler.
Il est impossible de concevoir un système uniquement fédéral à moins de vouloir fonctionner comme les zoos—qui protègent un ou deux individus ici ou là. Et je ne veux pas offenser les zoos ici. Nous avons des zoos superbes au Canada et des gens formidables y travaillent. Mais pour avoir des populations en activité, il faut avoir assez de place. Pour cela, je dirais d'abord—et je ne suis pas un spécialiste ni un scientifique—que tout est relié, selon le premier principe d'écologie. Il faut tenir compte de toutes les espèces et de toute la zone biogéographique. On ne peut isoler certains animaux considérés comme des propriétés fédérales sur un territoire restreint sans se préoccuper de ce que fait la province, parce que c'est s'avouer vaincu d'avance.
Nous allons essayer de travailler avec les provinces parce qu'elles régissent les espèces sauvages qui ne sont pas en danger, qu'elles s'occupent des permis de chasse et qu'elles décident de l'utilisation des terres qui ne sont pas de propriété fédérale. Quand on pense qu'on peut en quelque sorte s'occuper ici et là et un peu partout de chaque espèce menacée, c'est qu'on oublie qu'il n'y a qu'une seule façon de prévenir la disparition des espèces et c'est de s'occuper des populations quand elles sont encore en santé et en nombre suffisant. On ne peut plus attendre. On parle d'espèces en péril, en bout de course, ce dont nous devrions tous être gênés. Espérons que nous allons faire de plus en plus de prévention pour empêcher qu'il y ait des espèces en péril et, pour cela, il faut la collaboration des territoires et des provinces. Il est impossible de penser pouvoir le faire autrement.
[Français]
Le président: Merci, madame Girard-Bujold.
[Traduction]
Monsieur Gruending, c'est à vous.
M. Dennis Gruending (Saskatoon—Rosetown—Biggar, NPD): Merci, monsieur le ministre d'être venu nous rencontrer aujourd'hui.
Je suis un nouveau député, comme vous le savez. Je siège au Parlement depuis environ un an. Avant mon élection, les gens me disaient que les comités étaient une perte de temps. Je trouve que le travail accompli par le comité de l'environnement est loin d'être une perte de temps. À mon avis, nous faisons du très bon travail ici.
C'était dans le contexte du printemps dernier, quand régnait la consternation au comité—et pas seulement parmi les membres de l'opposition—lorsque le projet de loi vous a été attribué et que vous n'étiez pas le moindrement intéressé à rien y changer. Aujourd'hui cependant, une question vous est très amicalement posée à la Chambre par l'un de vos membres et vous voilà en train de dire, je crois, que vous êtes prêt à prendre au sérieux les conseils du comité. J'aimerais savoir qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis. Comment en êtes-vous arrivé là?
M. David Anderson: Vous avez dit être nouveau à la Chambre, alors permettez-moi de vous expliquer quelque chose que beaucoup savent déjà, mais pas tout le monde; c'est que lorsque l'ébauche d'un projet de loi est rédigé, c'est sur l'instruction du Cabinet. Le Cabinet discute d'un sujet en général. S'il considère qu'une loi est nécessaire, un comité du Cabinet est formé pour étudier la question, ou encore un comité existant en est chargé. Les divers ministères intéressés peuvent y mettre leur grain de sel. Des instructions sont ensuite données aux rédacteurs, qui rédigent le projet de loi.
• 1715
Ce que j'ai dit—et je maintiens chaque mot—c'est que je ne
peux pas permettre que ce projet de loi soit déstabilisé par des
amendements qui annihilent le but qu'il vise. La raison pour
laquelle je ne peux pas le permettre est que si le comité propose
des amendements qui débordent de la porté des instructions qui ont
été données pour la rédaction, de toute évidence c'est le Comité du
Cabinet, et non pas le ministre, qui en subira les conséquences.
Mais je comprends, c'est une question de nouveau député. C'est ainsi que les lois se font.
Je me fouille la mémoire, monsieur, au sujet de cette déclaration selon laquelle j'aurais été tout à fait opposé à des amendements. Mes collaborateurs ont épluché tous les articles des journaux et les transcriptions d'entrevues que j'ai données. Tout ce que j'ai dit, c'est qu'il est évident que je ne peux pas accepter des amendements qui déstabilisent le projet de loi. Je veux bien accepter tout autre type d'amendement.
Alors, avec tout le respect que je vous dois, je n'ai pas changé d'avis. Mais je crois cependant qu'il est important de comprendre que ce projet de loi est influencé par un nombre incalculable de facteurs, comme cela a été le cas du projet de loi C-65.
M. Dennis Gruending: Je crains d'avoir perdu mon assurance de cet après-midi à la Chambre, ou même d'il y a à peine une demi-heure. Je crois vous entendre dire que vous allez l'adopter à toute allure. Il me semble que c'est ce que vous dites...
M. David Anderson: Non, ce n'est pas cela. Je le conteste. Je ne suis pas d'accord, et c'est tout à fait injuste d'interpréter ainsi mes observations.
M. Dennis Gruending: Cela ne fait pas très longtemps que je suis député, mais je suis journaliste depuis 20 ans. Lorsque quelqu'un me dit, surtout les politiciens, qu'on le comprend mal ou qu'on l'a mal interprété, j'ai tendance à me méfier un peu.
J'aimerais maintenant passer...
M. David Anderson: Excusez-moi. Je crois, monsieur le président, avoir expliqué la position que j'ai défendue depuis le début. Nous avons fait des recherches pour voir s'il a quoi que ce soit pour étayer votre opinion. Si vous avez en main un article quelconque qui vous justifie, veuillez le présenter maintenant, afin que je puisse expliquer directement ce que je suis censé avoir dit.
M. Dennis Gruending: Eh bien, je ne peux qu'être sensible à l'impression de quasi-dégonflement et de dépression qui s'est abattu sur ce comité en juin dernier, lorsqu'on se demandait à quoi tout cela rimait et qu'est-ce qu'on changerait au bout du compte.
J'aimerais maintenant poser une autre question. Nous avons beaucoup entendu parler, ces derniers jours, de la manière dont cette loi proposée offrirait ou non un soutien ou de l'aide aux propriétaires—il en a un peu été question aujourd'hui—et à d'autres personnes. Les communautés et les gens qui utilisent le territoire ou y travaillent font aussi partie de cette équation. Je pense que ces gens-là subiraient des pertes économiques, du moins le risqueraient, et non pas seulement les grandes compagnies ou les sociétés forestières ou pétrolières.
Je veux savoir si vous êtes disposés à appuyer des amendements qui comprendraient un appui financier pour la seule transition des travailleurs qui sont déplacés pour tenter de sauver une espèce en péril.
M. David Anderson: Dans l'immédiat, je vous invite à vous reporter aux dispositions concernant l'indemnisation que m'enverra M. Pearse. Cependant, en ce qui a trait à l'approche, c'est tout à fait invraisemblable. Les dispositions relatives à l'indemnisation sont limitées. Le montant d'argent, comme l'a souligné M. Jaffer, est limité. Nous estimons que nous indemniserions, ou indemniserions plus vraisemblablement, les personnes qui subissent directement des pertes en raison d'une limitation délibérée imposée à leurs biens fonciers découlant des dispositions portant sur l'habitat.
M. Dennis Gruending: Mais il va sans dire qu'à un certain endroit et à un certain moment cela toucherait les gens qui ne possèdent pas... mais qui travaillent et qui sont touchés par les plans relatifs à l'habitat.
M. David Anderson: Je le répète, il s'agit du domaine fascinant de l'indemnisation auquel a fait allusion M. Jaffer. Le fait est qu'on pourrait parler encore et encore des personnes qui pourraient être touchés d'une manière ou d'une autre. La véritable question pour le gouvernement c'est de savoir où se situe la juste mesure.
J'attends ses conseils d'expert. Je puis vous assurer que la discussion sera vraiment des plus intéressante. Mais l'ouverture que vous proposez n'en est pas une que j'adopte pour l'instant.
M. Dennis Gruending: Monsieur le président, je prends plaisir à ceci. Je me demande si j'ai encore du temps.
Le président: Pour une très brève question, oui.
M. Dennis Gruending: Vous avez fait allusion à plusieurs reprises au projet de loi C-65 et vous avez parlé du temps qu'on y a consacré. Je voudrais dire... Lorsque nous avons lu très attentivement les deux projets de loi cet été, nous avons constaté que, très souvent où il y avait une obligation, il y a maintenant un pouvoir discrétionnaire. Je suis curieux de savoir pourquoi le gouvernement a apporté tant de changements par rapport au projet de loi C-65 dans des domaines qui ne semblaient pas litigieux et pourquoi il a remplacé par un pouvoir discrétionnaire les obligations qui se trouvaient dans le projet de loi C-65 à bien des endroits.
M. David Anderson: La façon la plus rapide de vous répondre c'est de vous dire que la principale critique dont a fait l'objet le projet de loi C-65 était qu'il ne s'appliquait qu'aux terres fédérales au sud du 60e parallèle, ce qui représente environ 5 p. 100 de la superficie du Canada. Cette loi va beaucoup plus loin. Vous êtes assis à côté d'une dame qui, j'en suis convaincu, serait prompte à signaler que les responsabilités et la compétence des provinces doivent être respectées. Il y aura bien des situations où si cela doit être relatif seulement aux terres fédérales, vous auriez alors une obligation. Lorsque cela a trait à toutes les terres au Canada, y compris les terres de particuliers, et où le genre de personnes auquel vous avez fait allusion et dont la vie peut être touchée par une décision, il est important d'avoir ce pouvoir discrétionnaire.
M. Dennis Gruending: Même au nord du 60e...
Le président: Merci, monsieur Gruending. Monsieur Herron, vous avez la parole.
M. John Herron: Avant de poser mes questions, je veux d'abord vous faire remarquer que, selon moi, le gouvernement a tenté de faire un effort très sincère pour déposer une mesure législative honnête. Je crois que les efforts sont plus grands que ceux qui avaient été déployés à l'égard du projet de loi C-65, peut-être pas encore en ce qui concerne le contenu, mais ils sont tout à fait appropriés.
J'étais un brin enclin à faire de l'obstruction en ce qui concerne cette mesure législative lorsqu'elle a été présentée plus tôt à la Chambre, non seulement au regard de ce que nous avons vu dans le projet de loi C-33 mais aussi des observations qui ont inquiété non seulement les parlementaires mais aussi un grand nombre d'ONG. Je veux parler de la crainte que vous avez exprimée au sujet de la déstabilisation possible du projet de loi. Vous avez dit que des amendements risqueraient de déstabiliser le projet de loi. Nous pourrions dire qu'ils amélioreraient peut-être le projet de loi.
Ce qui nous inquiète encore plus c'est ce qui s'est passé au sujet du projet de loi C-32. Le comité a passé des mois à apporter des amendements et à l'étape du rapport, le gouvernement a choisi de les rejeter. Cela dit, en raison de l'observation selon laquelle le gouvernement ne veut pas déstabiliser le projet de loi, vous pourriez comprendre pourquoi les parlementaires pourraient déployer juste un peu plus d'activité pour que notre travail à ce comité soit pris au sérieux étant donné que le gouvernement n'a eu que du mépris pour notre travail comme en témoigne l'épisode de l'étape du rapport du projet de loi C-32.
Vous n'êtes intervenu qu'à la neuvième manche de l'étude du projet de loi C-32, mais vous avez dit devant le Sénat que si des amendements importants étaient apportés au projet de loi C-32, vous le retireriez. En tant que parlementaires, nous ne voulons pas que la même chose se répète. Si une motion de renvoi relativement au projet de loi C-33 est devant la Chambre aujourd'hui c'est en raison de vos observations sur la déstabilisation et de ce qui s'est passé en ce qui concerne le projet de loi C-32.
Mme Redman a soufflé la question facile à Gar aujourd'hui afin de montrer que vous seriez un peu plus coopératif. Je vais vous prendre au mot et croire que vous laisserez le comité faire son travail, mais nous devons être en mesure de voir cela en pratique et ne pas nous en tenir à la question facile de Gar. Voilà donc la crainte que nous avons.
Il y a un peu de révisionnisme. Vous avez dit n'avoir rien dit pour contrarier les gens. Vous avez dit, et cela a été rapporté à de nombreuses occasions, que si cette mesure législative était déstabilisée, il serait probablement retiré.
Je vous ai fait la courtoisie de vous montrer mon exposé de position quelques semaines avant que vous déposiez le vôtre à Calgary. Le mien, je pourrais dire, a obtenu la cote A et le vôtre la cote D, mais nous reparlerons de cela plus tard. En ce qui a trait à vos observations concernant l'indemnisation, vous avez dit plus tôt qu'un comportement responsable est une chose à laquelle on devrait s'attendre, une chose qu'on ne devrait pas acheter. Je crois que le gouvernement fait des progrès en ce qui concerne les indemnisations. Il s'agit selon moi d'un pas dans la bonne direction et je l'en félicite.
• 1725
Voilà donc la raison pour laquelle nous avons une motion de
renvoi. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas mon air jovial
habituel depuis quelque temps en comité.
J'ai quelques questions précises. Pourquoi...
Le président: Monsieur Herron, vous avez tout au plus le temps de poser une seule question.
M. John Herron: Je vais essayer d'en poser deux vraiment rapidement.
Le président: Allez-y.
M. John Herron: Croyez-vous que le projet de loi serait déstabilisé si nous y incluions la protection obligatoire de l'habitat sur les terres fédérales? Qui est déstabilisé—les bureaucrates fédéraux?
J'ai une deuxième question.
Le président: Pourrions-nous avoir une brève réponse?
M. David Anderson: J'aimerais tout d'abord dire qu'il s'agit ici d'un comité de la Chambre des communes. La Chambre des communes a adopté des changements au rapport du comité, vous avez raison, mais c'est la Chambre des communes qui l'a fait. Et ce n'est pas faire outrage au Parlement que d'accepter que la Chambre des communes est au-dessus d'un comité de la Chambre. C'est la première chose que je voulais vous dire. Il en est ainsi.
En ce qui concerne le projet de loi C-32, le portefeuille m'a en fait été confié—vos observations sont exactes—après son adoption à la Chambre. Je crois que j'ai été nommé ministre en juin. Avec tout le respect que je dois au Sénat, le problème dans le cas qui nous intéressait, c'était qu'il était impossible de faire passer aller-retour le projet de loi du Sénat à la Chambre au fur et à mesure que des amendements étaient apportés.
J'avais eu assez de temps en ce qui a trait à la LCPE, en toute franchise. Après tout, c'était un examen qui devrait être effectué, d'après la loi, tous les cinq ans, et l'examen en avait pris six. C'était donc onze ans après l'adoption de la première mesure législative. J'ai donc dit qu'en raison du travail sérieux accompli par ce comité et en raison du fait que la Chambre s'était prononcée, je croyais qu'il n'était pas approprié que le Sénat apporte une série d'amendements à volonté et sur un coup de tête.
M. John Herron: Ils sont une composante du Parlement. Que vous le vouliez ou non, le Sénat fait partie du Parlement. C'est un fait.
M. David Anderson: Écoutez, j'ai exprimé mon point de vue à ce moment-là et j'ai été heureux d'en discuter également. Le Sénat n'avait aucune raison de l'adopter s'il décidait de ne pas le faire. Il a choisi de le faire sans y apporter d'amendements. C'est la décision du Sénat et je la respecte. Je pense que vous devriez faire de même.
Quant à savoir si je crois, je ne vais pas répondre à des questions hypothétiques sans une observation détaillée. Je dirai, comme je l'ai déjà dit, qu'en ce qui concerne les terres, si vous établissez une hiérarchie, monsieur Herron, et vous dites que les terres fédérales se situent au sommet et que les parcs spéciaux sont un peu au-dessus des domaines ferroviaires ou les terres de réserve, ou des terres du MDN, si vous établissez toute une hiérarchie jusqu'aux terres privées sous réglementation provinciale, vous donnez à un juge l'envie à la première contestation fondée sur la Constitution, de faire la distinction et de dire que cette mesure législative ne s'applique qu'aux terres fédérales. Si c'est ce que vous voulez, faites un amendement en ce sens, mais c'est le risque que vous courez. Et je vais devoir décider à ce moment-là si cela compromet la protection des 95 p. 100 du Canada au sud du 60e qui n'est pas régi ni réglementé par le gouvernement fédéral.
Le président: Monsieur Herron, en toute justice pour vos collègues, je dois passer au prochaine sur ma liste. Merci, monsieur Herron.
Mme Kraft Sloan, M. Lincoln et M. Reed.
Mme Karen Kraft Sloan (York-Nord, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur le ministre, je crois qu'il est important que vous songiez à comparaître de nouveau devant le comité lorsque nous examinerons la mesure législative parce que je suis convaincu que nous aimerions vous poser un grand nombre de questions de détail en ce qui a trait au projet de loi. Il pourrait être utile, en fait, que vous reveniez plus tard au cours du processus pour que nous puissions mieux comprendre ce que vous entendez vraiment par déstabilisation.
Je veux revenir à certaines des observations que vous avez faites dans l'exposé que vous avez préparé pour le comité. Vous avez parlé de la pie grièche migratrice, une espèce en péril. Vous avez probablement pris toutes les mesures qui s'imposaient pour protéger cet oiseau. Je pense qu'il y a des questions entourant tout ceci et qui laissent croire qu'il y a peut-être beaucoup d'aspects discrétionnaires dont il faut tenir compte.
• 1730
Par exemple, la pie grièche migratrice est une espèce en
péril, mais qu'arrive-t-il si elle n'est pas inscrite sur la liste?
Qu'arrive-t-il si l'habitat n'est pas protégé et si les provinces
ne peuvent pas ou ne refusent de s'occuper ou de protéger l'espèce
sur les terres provinciales? Le filet de sécurité fédéral en ce qui
concerne l'habitat est discrétionnaire. Nous parlons de choses qui
fonctionnent si en fait le gouverneur en conseil décide qu'il en
sera ainsi, mais que se passe-t-il dans le cas contraire?
M. David Anderson: Merci de vos observations concernant la pie grièche migratrice. J'ai vu pour la première fois une pie grièche migratrice cet été en Saskatchewan. Elle avait placé un serpent sur la fourche d'une branche de la bonne manière. J'ai vraiment trouvé très intéressant de voir un animal entreposé ainsi sa nourriture pour plus tard.
Qu'arrive-t-il si le pouvoir discrétionnaire n'est pas exercé? La réponse évidente est qu'il n'est pas exercé. Il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. Ce que nous devons reconnaître, selon moi, c'est que si nous avons un système où les gouvernements et les parlementaires qui les appuient, tant au niveau fédéral que provincial, veulent éviter qu'une chose se produise et qu'elle se produit malgré tout en raison de l'application automatique d'une mesure législative qui a été adoptée des années auparavant, la mesure législative disparaîtra alors assez vite.
En outre, vous aurez aussi des cas où la loi est tournée. Par exemple, nous avons l'ESA américaine, que je connais très bien. En raison de l'inefficacité de cette mesure législative qui ne protège pas le saumon tant de l'Atlantique que du Pacifique menacé d'extinction, le poisson migratoire, qui provient de rivières canadiennes ou de rivières américaines, selon le cas. Nous avons avec un peu de chance 100 paires, certainement 200 animaux adultes, de saumon de l'Atlantique qui retournent dans les rivières du Maine. Il est peu vraisemblable que ce soit 100 paires si vous avez 200 de ces poissons. Le gouverneur du Maine dit que s'il figure sur la liste, il recourra à un test d'empreintes génétiques pour s'assurer que les tribunaux annulent la loi parce que, après tout, l'ADN correspond à l'ADN du saumon de l'Atlantique dans la baie de Fundy.
Monsieur le président, c'est absurde. Nous sommes en présence d'un animal magnifique dont l'ADN peut être le même, mais toute l'affaire est devant les tribunaux. Au lieu de déployer tous les efforts possibles pour protéger l'animal, nous voilà au milieu d'une bataille juridique. C'est fort simple: le gouvernement fédéral des États-Unis n'a pas voulu prendre les mesures voulues pour protéger une espèce dont 200 représentants seulement retournent vers les rivières américaines.
Même lorsqu'il existe une loi, il arrive parfois qu'elle ne soit pas appliquée. Alors laisser entendre qu'il suffit d'avoir un système automatique et qu'une fois qu'il sera en place, tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes, c'est quelque peu exagéré. Nous devons accepter un système—et je sais qu'il est difficile pour les ONG en particulier d'accepter cela—qui permette de scruter tous les paliers de gouvernement. C'est bien beau d'avoir une mesure législative fédérale de nature générale, mais il faut aussi oeuvrer à l'échelle régionale et locale.
Pour qu'une mesure visant à protéger les espèces en péril donne de bons résultats, il faut pouvoir inculquer et appuyer le désir de protéger cette ressource sur le terrain partout au Canada. Cela ne peut se faire uniquement dans cet édifice. Il faut avoir prise dans la réalité.
Tout ce que je peux dire, c'est qu'à l'avenir, chaque fois qu'on emploie le verbe «peut» dans la mesure et qu'un gouvernement décide de ne pas agir, on se retrouvera avec la même situation. Cela dit, on peut imposer une obligation à ce stade-ci. Vous savez également qu'ultérieurement, la mesure sera abrogée. Nous savons cela en tant que parlementaires. Nous abrogeons constamment des mesures législatives—peut-être en nombre insuffisant, mais nous en abrogeons au moins autant que nous en adoptons.
Le président: Monsieur Lincoln, je vous prie.
M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.): Monsieur le ministre, il va de soi que nous allons être en accord ou en désaccord avec diverses dispositions. C'est ainsi. Cependant, si je me fie aux lettres que j'ai lues et que diverses associations ont envoyées au premier ministre, aux intervenants du secteur et des groupes environnementaux, je crois déceler un consensus—et nous sommes nombreux à le déceler—selon lequel certains aspects de la mesure ont besoin d'être étoffés. On peut être d'accord ou non, mais je signale simplement qu'il me semble exister un large consensus appuyé par des sondages, etc.
• 1735
J'aimerais dresser rapidement une liste de six points. Il y a
notamment la nature discrétionnaire de la protection des habitats
assujettie à la réglementation fédérale, l'exclusion des habitats
et des espèces migratoires et le rôle consultatif du Comité sur la
situation des espèces en péril (COSEPAC). Je sais que vous affirmez
avoir élargi le mandat du COSEPAC, mais parallèlement, il a perdu
son principal atout, c'est-à-dire son indépendance. Les autres
points sont la non-incorporation de la liste sous forme de liste de
départ, l'absence d'une disposition provisoire de protection de
l'habitat et l'absence de toute disposition prévoyant des
poursuites entreprises par des citoyens. Des solutions de rechange
proposées par des groupes environnementaux et des représentants du
secteur ne se retrouvent pas dans le projet de loi.
Comme le temps me manque, je n'aborderai qu'une seule question, soit celle de la liste légale. À l'heure actuelle, 353 espèces figurent maintenant sur la liste du COSEPAC qui avait été intégrée au projet de loi C-65. Or, il a été décidé de ne pas intégrer cette liste sous prétexte qu'elle n'est pas complète, qu'elle n'est pas suffisamment au point, le but visé étant de la réviser et d'y inclure les préoccupations des Autochtones, et ainsi de suite. Fort bien. Cependant, en n'incluant pas cette liste, nous sommes tenus d'attendre la proclamation de la loi; nous devons présenter une demande au gouverneur en conseil et il se pourrait que des élections soient déclenchées. Quand la liste sera-t-elle finalisée et à quel moment deviendra-t-elle légale? Dans trois mois, dans six mois? Je préférerais de beaucoup avoir une liste qui n'est peut-être pas optimale mais qui serait légale de par son inclusion à la loi et que l'on pourrait améliorer ultérieurement.
Dans votre discours, vous avez mentionné que le COSEPAC avait évalué 123 espèces. Pourquoi ne pas inclure dans une liste de départ ces 123 espèces? Il me semble qu'à l'heure actuelle, tout est assujetti à l'approbation du cabinet, approbation qui risque de ne pas venir et de plus, le cabinet pourrait être différent la semaine prochaine ou dans six mois. Pourquoi ne pas insister pour intégrer une liste de départ dans la mesure et si la liste s'en trouve plus courte et sujette à révision plus tard, pourquoi pas?
M. David Anderson: Je suis soumis à certaines restrictions, comme on l'a dit au début de la séance, pour ce qui est de traiter des dispositions précises du projet de loi. Je suis convaincu que M. Herron va se lever pour me conseiller de ne pas répondre à cette question.
Permettez-moi simplement de dire ceci. Vous affirmez que de l'avis général, tous les intervenants ont déjà été entendus. Non, ce n'est pas le cas. Et c'est le travail du comité d'entendre tous les intervenants et de rédiger des recommandations mûrement réfléchies. Le projet de loi n'ayant même pas franchi l'étape de la première lecture et le comité n'ayant même pas entendu son premier témoin, il serait inopportun pour un ministre d'affirmer que le gouvernement va apporter tel ou tel changement. À mon avis, ce serait un outrage au comité.
D'aucuns ont critiqué le fait que j'aie dit en toute franchise qu'un ministre ne peut déstabiliser une mesure parce qu'il lui faudra la représenter au Cabinet advenant que les changements dépassent le champ des instructions originales concernant sa rédaction. Je me suis borné à exprimer un principe constitutionnel reconnu et certains en ont pris ombrage. Mais si je disais que vous avez raison Clifford, qu'étant donné que vous et moi sommes de bons amis, j'accepterai vos amendements sans même avoir entendu les commentaires de qui que ce soit et sans bénéficier de la discussion que permettra votre comité, je serais encore plus critiqué que je ne le suis à l'heure actuelle.
M. Clifford Lincoln: Si les audiences que nous allons tenir—et nous entendrons près d'une centaine de groupes—confirment que ces six points sont des lacunes qu'il convient de régler, dois-je comprendre qu'une fois que cela aura été exprimé ici, une fois que le comité en aura convenu, on envisagera des changements?
M. David Anderson: Bien sûr, des changements seront considérés.
M. Clifford Lincoln: D'accord.
M. David Anderson: Une simple mise en garde: encore une fois, même lorsqu'il m'a cité, M. Herron a dû convenir que le terme utilisé était «déstabiliser». Le fait de déstabiliser une mesure signifie lui soutirer l'appui de divers groupes d'intérêt. Cela signifie lui retirer la possibilité d'aller chercher des appuis à la Chambre des communes, d'être mieux comprise à la suite des discussions et des décisions du comité. Comme vous le savez, on ne saurait demander à un ministre de déstabiliser une mesure législative. C'est tout simplement absurde. Excusez-moi, mais aucun ministre ne peut se retrouver dans une telle position.
• 1740
Je suis convaincu que tout changement judicieux que vous
proposerez, Clifford—et je suis sûr qu'ils ne manqueront pas de
l'être si vous en êtes l'auteur—, fera l'objet d'un examen
sérieux. Mais étant donné que j'ai laissé entendre que cette mesure
ne ferait pas l'objet d'une révision de fond en comble, peu importe
les principes en cause, d'une façon ou d'une autre, il serait
erroné d'assumer cette position... Je dis simplement que je ne suis
pas d'accord.
Je tiens à entendre des gens qui connaissent très bien le domaine, qui possèdent énormément d'expertise. Vous recevrez des mémoires et vous entendrez des témoins qui auront examiné la mesure en détail et qui signaleront certaines lacunes au niveau de sa formulation. Si c'est le cas, tant mieux. Mais j'ai le sentiment que l'on a fait beaucoup trop de cas de cette histoire de déstabilisation du projet de loi.
Le président: Sur ce, nous allons conclure la séance de cet après-midi. Je tiens à remercier M. Lincoln.
Si j'interviens maintenant, c'est que nous devons quitter la salle pour faire place au comité de la justice. Ce dernier a reçu de la Chambre un ordre de renvoi lui enjoignant de se réunir à 19 h 30 au sujet du projet de loi C-3. Cela s'est produit à la suite du vote cet après-midi, ce qui n'avait pas été prévu.
Je tiens à remercier M. Lincoln, Mme Kraft Sloan, M. Herron, M. Gruending, Mme Girard-Bujold et M. Jaffer de leurs interventions.
J'ai sur ma liste M. Reed, M. Benoit et moi-même pour un deuxième tour. Je vais essayer d'organiser une autre réunion. Nous siégeons demain pour entendre d'autres témoins. Dans l'intervalle, je remercie en votre nom le ministre et ses collaborateurs d'avoir comparu devant nous cet après-midi.
La séance est levée.