HERI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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STANDING COMMITTEE ON CANADIAN HERITAGE
COMITÉ PERMANENT DU PATRIMOINE CANADIEN
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 8 juin 2000
Le président (M. Clifford Lincoln (Lac-Saint-Louis, Lib.)): La séance est ouverte. Le Comité permanent du patrimoine canadien se réunit aujourd'hui conformément à l'ordre de renvoi de la Chambre des Communes daté du 30 novembre 1999.
[Français]
Cet ordre de renvoi de la Chambre a trait à une étude de l'objet du projet de loi C-224, qui porte sur une exposition au Musée canadien des civilisations pour reconnaître les crimes contre l'humanité,
[Traduction]
telle que l'expression est définie par les Nations Unies, qui ont été perpétrés au cours du XXe siècle.
Oui, monsieur Mark. Vous m'avez demandé l'autorisation de faire une brève intervention. Allez-y.
M. Inky Mark (Dauphin—Swan River, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.
Avant que nous parlions à nos témoins, monsieur le président, vous vous rappellerez peut-être que j'avais fait certains commentaires, au cours de nos audiences publiques avec les gens de Parcs Canada sur le projet de loi C-27, au sujet du fait que des représentants de Parcs Canada avaient modifié des procès-verbaux de réunions. Un collègue libéral, du côté du gouvernement, m'avait signalé à l'époque qu'il s'agissait d'allégations graves et que je devais les justifier.
Je tiens à dire pour le compte rendu, monsieur le président, que j'ai envoyé au greffier et à tous les membres du comité des documents à l'appui de ce que j'ai dit ce jour-là, ainsi que deux déclarations de M. Booth, du parc national du Mont-Riding, qui font écho à ces sentiments.
Merci, monsieur le président.
Le président: Merci beaucoup.
Avant que nous commencions, je veux mentionner aux membres du comité que j'ai reçu le 29 mai une lettre du député Wayne Easter au sujet de Radio-Canada; elle est en cours de traduction et vous sera envoyée à tous. Je suggère donc que nous examinions cette question quand nous nous pencherons sur la motion que Mme Lill a présentée hier, et dont nous devrions discuter mardi.
• 0910
Avant de laisser la parole à nos témoins, j'aimerais replacer
brièvement dans son contexte notre séance d'aujourd'hui.
Le projet de loi C-224 est un projet de loi d'initiative parlementaire qui porte sur l'installation, au Musée des civilisations, d'une exposition destinée à sensibiliser les Canadiens aux crimes contre l'humanité. Avec le consentement unanime de la Chambre, ce projet de loi a été renvoyé à notre comité pour que nous l'examinions et que nous présentions notre rapport. Notre mandat se rattache évidemment à ce projet de loi, qui porte sur une exposition au Musée des civilisations.
Nous avons entendu de nombreux témoins hier. Évidemment, les témoins sont libres de nous dire ce qu'ils pensent, mais beaucoup d'entre eux voulaient parler de questions qui débordent notre mandat, par exemple la création d'un musée en bonne et due forme sur les génocides. Notre tâche ici consiste à essayer d'en arriver à un consensus pour pouvoir présenter notre rapport à la Chambre. Ce n'est pas une tâche facile parce que, comme nous l'avons vu hier, les gens ont des points de vue différents sur la question en fonction de leur expérience personnelle, ainsi que de l'expérience et des sentiments de leur communauté. Donc, nous allons essayer de trouver un fil conducteur entre les témoignages des divers intervenants de manière à pouvoir présenter un rapport utile à la Chambre.
Pour que vous sachiez ce que nous pouvons faire et ce que nous ne pouvons pas faire—parce que certains témoins ont suggéré toutes sortes de choses au comité—je vous signale que les comités permanents de la Chambre n'ont pas de pouvoirs décisionnels. Nous ne pouvons pas décider s'il y aura ou non un musée, une exposition ou autre chose. Nous ne sommes qu'un intermédiaire chargé de vous écouter et de faire notre rapport à la Chambre des communes. La Chambre transmet ensuite ce rapport au gouvernement, qui fait ce qu'il veut à partir de là. Par ailleurs, le Président de la Chambre a aussi la prérogative de faire ce qu'il veut de notre rapport, une fois qu'il l'aura reçu. Voilà ce que je voulais vous préciser au sujet du contexte dans lequel nous fonctionnons.
Nous avons le grand plaisir d'accueillir aujourd'hui le président de la Fédération canado-arabe, M. John Asfour; le président du Congrès des Ukrainiens-Canadiens, M. Eugene Czolij, et le président du Sous-comité pour un musée du génocide au Congrès des Ukrainiens-Canadiens, M. Roman Serbyn. Nous entendrons aussi Mme Marsha Skrypuch, de la Ukrainian Canadian Civil Liberties Association; M. John Ruku-Rwabyoma, qui est président du conseil d'administration de la Rwandese Canadian Association of Greater Toronto; M. Ahmed Motiar, qui représente le Council of the Muslim Community of Canada; et Mme Thekla Lit, la coprésidente de l'Association on Learning and Preserving the History of World War II in Asia, ALPHA Canada.
Nous allons d'abord entendre une brève présentation de chacun de vous, de sept à dix minutes au maximum, de manière à laisser suffisamment de temps pour les questions des membres du comité; après tout, c'est ce dialogue qui forme l'essentiel de notre rencontre.
Nous allons commencer par M. Asfour. Est-ce qu'il est là? Sinon, nous allons passer aux représentants du Congrès des Ukrainiens-Canadiens. Monsieur Serbyn ou monsieur Czolij, lequel de vous deux veut commencer?
M. Eugene Czolij (président, Congrès des Ukrainiens-Canadiens): Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je m'appelle Eugene Czolij et je suis président du Congrès des Ukrainiens-Canadiens. Je suis accompagné ce matin de M. Roman Serbyn, qui préside notre sous-comité du génocide.
Le Congrès des Ukrainiens-Canadiens est l'organe national de coordination de la communauté ukrainienne du Canada. Il y a au Canada plus d'un million de personnes d'ascendance ukrainienne.
• 0915
Depuis sa constitution en 1940, le Congrès des Ukrainiens-Canadiens
joue un rôle actif dans l'élaboration des politiques et
des programmes nationaux qui touchent non seulement les Canadiens
d'origine ukrainienne, mais l'ensemble de la société canadienne.
Grâce à cette attitude proactive, nous avons pu faire entendre la
voix de notre communauté sur des sujets comme le multiculturalisme,
l'immigration, la justice, la Constitution et les affaires
étrangères.
Monsieur le président, les génocides ne sont vraiment pas un sujet de discussion très populaire parce qu'ils nous laissent entrevoir le côté le plus sombre et le plus vil de la nature humaine. Nous avons tous déjà vu, sous une forme ou sous une autre, la destruction que les êtres humains peuvent s'infliger les uns aux autres. Le peuple ukrainien a vécu au cours de son histoire des périodes de persécutions et de souffrances effroyables. En souvenir de ce passé, la communauté canado-ukrainienne recommande la mise en place des structures et des outils d'éducation nécessaires pour faire en sorte que les atrocités qu'ont subies les Ukrainiens ne se reproduisent jamais.
Monsieur le président, le Congrès américain a adopté il y a deux ans une résolution concomitante dans laquelle on peut lire notamment, et je cite:
-
Attendu que cette année marque le 65e anniversaire de la famine de
1932-1933 en Ukraine, qui a causé la mort d'au moins sept millions
d'Ukrainiens et dont le gouvernement de l'ancienne Union soviétique
a caché et nié officiellement l'existence;
-
Attendu que des millions d'Ukrainiens sont morts, non pas de causes
naturelles comme les épidémies, la sécheresse, les inondations ou
les mauvaises récoltes, mais par suite de l'application de
politiques visant à punir l'Ukraine;
-
Attendu que, pendant que l'Ukraine était en proie à la famine, le
gouvernement de l'ancienne Union soviétique a exporté 1 700 000
tonnes de grain vers l'Ouest et rejeté les offres des organisations
humanitaires internationales qui étaient prêtes à porter secours
aux populations affamées, alléguant qu'il n'y avait pas de famine
en Ukraine et que personne n'avait besoin d'aide;
-
Attendu que les frontières de l'Ukraine étaient étroitement
surveillées et que les Ukrainiens affamés n'étaient pas autorisés
à traverser en territoire russe pour s'y procurer du pain;
-
Attendu que, dans son livre intitulé The Harvest of Sorrow,
l'historien britannique Robert Conquest raconte que le quart des
habitants des régions rurales—hommes, femmes et enfants—étaient
morts ou mourants et que les autres étaient souvent tellement
faibles qu'ils n'avaient plus la force d'enterrer leurs proches ou
leurs voisins;
Il est par conséquent résolu par le Congrès des États-Unis:
-
Que le Congrès condamne ce mépris systématique de la vie humaine,
des droits de la personne et des libertés fondamentales, ainsi que
l'autoritarisme des politiques mises en oeuvre par le gouvernement
de l'ancienne Union soviétique pendant la famine qui a sévi en
Ukraine en 1932-1933.
Monsieur le président, à l'aube du XXIe siècle, il est permis de se poser les trois questions suivantes:
Premièrement, pourquoi devrions-nous nous préoccuper du génocide qui s'est produit il y a près de 70 ans pendant la famine en Ukraine?
Deuxièmement, le gouvernement ukrainien ne fera-t-il pas le nécessaire pour commémorer ce terrible événement?
Troisièmement, pourquoi le Canada devrait-il souligner ce génocide?
Le Congrès des Ukrainiens-Canadiens répond à ces questions de la façon suivante:
Oui, cette extermination préméditée d'innombrables vies humaines s'est produite il y a longtemps, mais la nourriture sert encore d'arme aux régimes autoritaires qui cherchent à faire adopter de force leur idéologie politique.
Oui, le gouvernement ukrainien a érigé un monument national commémorant cette famine, à Kiev, où le premier ministre Jean Chrétien a d'ailleurs participé à une cérémonie de dépôt de gerbes le 27 janvier 1999 dans le cadre de sa première visite officielle en Ukraine. Oui, le président ukrainien, Leonid Kuchma, a déclaré le 26 novembre 1998 que le quatrième samedi de novembre serait un jour de deuil national consacré au souvenir des innombrables victimes de cette atrocité.
Et, oui, le Canada devrait rappeler cette période sombre de l'histoire moderne parce que, pendant que les Ukrainiens mouraient de faim, le régime stalinien a quand même réussi à exporter 1 700 000 tonnes de grain à l'Ouest, ce qui n'a fait qu'aggraver le cauchemar. Le Canada doit aussi commémorer cette tragédie humaine parce qu'il a recueilli de nombreux survivants du génocide associé à la famine en Ukraine.
• 0920
Monsieur le président, on dit souvent que c'est la diversité
de notre population qui fait la force de la nation canadienne.
Comme vous l'aurez constaté tout au long des présentations faites
au comité permanent, beaucoup d'autres communautés ethnoculturelles
de notre pays ont aussi connu de terribles atrocités causées par la
barbarie de certains êtres humains.
Ces expériences, qui demeurent à jamais présentes à leur mémoire et qui sont gravées en permanence dans leur coeur, ont incité les survivants de ces actes horribles à devenir de remarquables Canadiens: des Canadiens qui ont sensibilisé leurs enfants et leurs petits-enfants à l'importance de la communauté et de la famille, des Canadiens qui comprennent que la liberté est nécessaire pour encourager et élever l'esprit humain, des Canadiens qui ont aidé à bâtir une nation reconnue dans la communauté mondiale comme un chef de file dans les opérations de maintien de la paix et la dénonciation des injustices. Ces remarquables Canadiens ont intégré dans notre tissu national des valeurs qui font que nous sommes toujours vigilants face à l'intolérance et tolérants face à la diversité.
Le Congrès des Ukrainiens-Canadiens juge donc qu'un musée universel consacré aux victimes de tous les génocides serait pour le Canada un moyen noble et digne de faire savoir à ses citoyens et à la communauté internationale qu'il est prêt à condamner tous les génocides. Il montrerait également que le Canada se préoccupe de reconnaître équitablement toutes les victimes de génocide, quels qu'aient été le théâtre et les cibles des atrocités commises.
En outre, ce musée sensibiliserait les générations à venir à la triste réalité que la haine et l'intolérance peuvent entraîner des destructions massives. Et nous espérons qu'il encouragerait fortement nos jeunes à vivre en harmonie dans un Canada multiculturel.
[Français]
Monsieur le président, différents monuments nous rappellent diverses tragédies particulières survenues dans l'histoire de l'humanité. En 1998, la Ville de Montréal a innové dans ce domaine en érigeant un monument construit pas l'artiste Francine Larrivée et intitulé: La réparation—Monument à la mémoire des victimes de génocides. Au centre de ce monument, l'artiste a inscrit qu'il était dédié: «À la mémoire de tous les peuples victimes de génocides au XXe siècle, toutes nations confondues, sans distinction de race».
Monsieur le président, le Congrès des Ukrainiens canadiens recommande au gouvernement fédéral de créer un musée canadien du génocide consacré à la mémoire de toutes les victimes de tous les génocides. De l'avis du congrès, pareil musée démontrera le souci constant du Canada de condamner toute forme de génocide et commémorera équitablement toutes les victimes de telles atrocités, peu importe où et à l'égard de qui elles ont été commises. Au surplus, un tel musée constituera un instrument important d'éducation pour les générations à venir.
[Traduction]
Le président: En avez-vous encore pour longtemps? En toute justice pour les autres...
M. Eugene Czolij: Trente secondes, monsieur le président.
Le président: D'accord, merci.
M. Eugene Czolij: Le Congrès des Ukrainiens-Canadiens est convaincu que les Canadiens seront prêts à appuyer ce projet de musée canadien commémorant tous les génocides. Ce serait une entreprise originale et proprement canadienne, qui permettrait en outre de laisser un héritage permanent pour honorer la mémoire des victimes de tous les génocides commis dans le monde et qui n'aurait pas son pareil comme outil de sensibilisation.
Monsieur le président, la question des génocides fait déjà l'objet de discussions dans divers cercles savants. Un musée canadien consacré à tous les génocides permettrait de porter le débat sur la place publique et d'informer tous les Canadiens de ces questions fondamentales. Cet élargissement de la base des discussions conforterait tous les membres de notre société dans leur résolution de veiller à ce que ces terribles événements ne soient jamais oubliés et ne se répètent jamais.
Merci beaucoup de votre attention.
Le président: Merci.
Je rappelle à nos témoins qu'ils sont nombreux et que nous aimerions avoir au moins une petite heure pour poser nos questions. Donc, je vous saurais gré de limiter vos remarques à dix minutes au maximum.
Je laisse maintenant la parole à M. John Asfour, qui représente la Fédération canado-arabe.
M. John Asfour (président, Fédération canado-arabe): Merci, monsieur le président, et merci de nous avoir invités à la séance d'aujourd'hui.
Je voudrais partager avec vous quelques réflexions à bâtons rompus sur ce que l'humanité a fait au XXe siècle et sur le souvenir que nous en aurons dans quelques siècles.
Le XXe siècle a été sans contredit le plus horrible de toute l'histoire de l'humanité. Nous avons mis au point des armes de destruction massive et nous en avons usé abondamment. Nous avons commis une longue suite d'atrocités, depuis le tout début du siècle jusqu'à la fin. Le dernier épisode en date, si vous me permettez de vous le rappeler, s'est déroulé au Rwanda. En cent jours, entre un million et un million et demi de personnes y ont été tuées.
Sur un plan plus personnel, je peux vous dire que je suis moi-même une des victimes dont nous parlons aujourd'hui. Je suis encore en vie, mais j'ai perdu la vue à la suite d'une blessure de guerre au Liban. Si j'étais mort, je voudrais probablement qu'on raconte mon histoire parmi celle des autres morts.
J'ai vu beaucoup de morts pendant la guerre civile au Liban, en 1958. J'ai vu souffrir beaucoup de familles. J'ai vécu l'horreur de la guerre. Et il y a une chose que je peux vous dire: quand tous ces morts ont fermé les yeux, ils n'avaient plus de religion, plus de race, plus d'identité. C'étaient des humains, comme vous et moi, mais ils avaient été tués.
La Fédération canado-arabe s'intéresse beaucoup à la fondation d'un musée canadien qui raconterait l'histoire de tous les êtres humains dont la vie s'est ainsi terminée tragiquement au XXe siècle à cause des atrocités d'un régime politique.
Pour que ce musée puisse faire oeuvre d'éducation, je voudrais que nos enfants y apprennent ce qui s'est passé, qu'ils entendent parler des histoires d'horreur et des crimes contre l'humanité qui ont marqué le XXe siècle. Nous aimerions beaucoup qu'y soient présentées les horreurs qui se sont produites au Moyen-Orient, en Afrique, en Asie et, bien sûr, en Europe.
Monsieur le président, nous avons eu beaucoup de chance en Amérique du Nord. Nous n'avons jamais connu—sauf peut-être nos Premières nations—la fureur destructrice de la guerre et des massacres qui ont marqué le XXe siècle.
• 0930
Un musée nous raconterait cette histoire et nous rappellerait
éternellement que notre pays a été bâti sur les principes de
l'égalité, de l'inclusion de tous les êtres humains, et de la
Charte des droits qui assure le respect de tous. Il pourrait nous
sensibiliser à l'histoire de tous les gens de notre pays.
Monsieur le président, si nous décidons de construire ce musée, toutes les communautés ethniques devraient avoir le droit d'y être représentées et d'y raconter leur histoire aux Canadiens, que ce soit dans une exposition, un livre, une brochure ou une autre publication, sous forme électronique, imprimée ou autrement. Il faut raconter ce passé tel qu'il est. Il faut s'en servir pour sensibiliser les Canadiens, et pour leur rappeler que notre pays est très pacifique et que tout le monde y a sa place.
Je voudrais que nous nous rappelions encore une chose. Nous devons espérer que, si nous les répétons sans cesse, les histoires d'horreur qui se sont déroulées dans le monde au XXe siècle ne se reproduiront pas. Merci beaucoup.
Le président: Merci beaucoup de ce témoignage très clair et très éloquent.
Nous passons maintenant à la représentante de la Ukrainian Canadian Civil Liberties Association, Mme Marsha Skrypuch.
Mme Marsha Skrypuch (porte-parole, Ukrainian Canadian Civil Liberties Association): Merci.
J'ai un exemplaire de notre mémoire. J'espère que tout le monde l'a aussi, mais autrement, je pourrai le faire circuler plus tard.
[Note de la rédaction: Inaudible]
M. Mauril Bélanger (Ottawa—Vanier, Lib.): ...
Mme Marsha Skrypuch: Oui.
Je vais vous parler d'un point de vue personnel. Je suis à moitié ukrainienne. La famille de ma mère vient d'Irlande et a souffert de la famine de la pomme de terre. Mon arrière-grand-mère a été tuée par les Soviétiques en Ukraine. Ma grand-tante a été tuée par les Nazis. Quant à mon grand-père, il est arrivé au Canada juste avant la Première Guerre mondiale et il y a été interné en tant que sujet d'un pays ennemi. Donc, ma famille a vécu à elle seule, dans bien des cadres ethniques différents, toutes sortes d'atrocités et de génocides.
De plus, j'écris des livres pour enfants. Mon tout premier roman a été publié à l'automne. J'avais déjà écrit des livres illustrés, mais c'était mon premier roman. Même si je suis Ukrainienne, l'histoire se passe pendant le génocide arménien. Dans ce livre, je cite Hitler. Il a dit: «Qui se souvient des Arméniens aujourd'hui?» C'était à la veille de l'invasion de la Pologne par les Nazis. Il est important de nous en souvenir.
Ce n'est pas parce que je suis Ukrainienne et à moitié Irlandaise que je m'intéresse seulement à ce qui est arrivé à ma famille. Je m'intéresse beaucoup à ce que John Asfour a dit, et aussi à ce que Thekla Lit va dire tout à l'heure. C'est un élément qu'il ne faut pas oublier: si nous voulons commémorer les génocides, il faut inclure tout le monde. Je suis plus intéressée à entendre parler des autres que de moi-même.
Ce qui distingue les Canadiens des autres, à mon avis, c'est que nous nous intéressons davantage à notre histoire collective et aux raisons pour lesquelles nous avons choisi de devenir Canadiens. Nous avons choisi le Canada par amour de la liberté. Ce qui veut dire que, si nous avons un musée ou un autre outil pour dénoncer les injustices de façon concrète, il faut que ce soit universel. On ne peut pas se limiter à un seul groupe ethnique. Il faut inclure tout le monde parce que tout le monde est égal devant la mort. Je n'insisterai jamais trop sur ce point.
J'aimerais bien que les enfants puissent en apprendre davantage sur les génocides. Ils doivent les connaître tous. Quand je me rends dans les écoles pour parler aux enfants—ce que je fais très souvent parce que j'écris des livres pour eux—je leur demande s'ils connaissent des génocides. Ils connaissent seulement l'holocauste. C'est tout. En fait, beaucoup d'entre eux ne savent même pas ce qu'est un génocide. Ils n'en connaissent pas la définition, et je trouve cela inquiétant.
• 0935
Le problème, c'est que si on ne se rend pas compte que ces
choses se sont répétées très souvent, on s'imagine que cela ne peut
pas nous toucher. On se dit que ce n'est pas grave si cela arrive
à quelqu'un d'autre, tant que cela ne peut pas nous arriver à nous.
Plus nous envoyons un message exclusif, plus les gens vont se dire
que cela ne les concerne pas.
Eh bien, je suis ici aujourd'hui pour vous dire que les génocides me touchent, moi, parce que ma famille en a souffert à bien des égards. Je veux que les enfants comprennent comment cela peut les toucher; je veux qu'ils se définissent comme Canadiens et qu'ils sachent que tous les êtres humains sont égaux, et non que certains sont plus égaux que d'autres.
Merci.
Le président: Merci beaucoup. Vous avez présenté votre point de vue de façon très claire et très efficace.
Je laisse maintenant la parole à M. Batshinduka, qui remplace M. Rwabyoma comme porte-parole de la Rwandese Canadian Association of Greater Toronto. Vous avez la parole.
[Français]
M. Richard Batshinduka (représentant, Rwandese Canadian Association of Greater Toronto): Je m'appelle Richard Batshinduka. Je suis Rwandais d'origine et je suis le seul survivant de toute ma famille.
Monsieur le président, mesdames et messieurs, la communauté canadienne-rwandaise a chaleureusement accueilli le projet de loi C-224 comme une étape très significative vers la mise en place d'un musée canadien du génocide soutenu par le gouvernement fédéral. La communauté canadienne-rwandaise voudrait donc exprimer ses profonds remerciements au gouvernement canadien pour avoir exprimé sa volonté de reconnaître la souffrance humaine partout dans le monde où elle a eu lieu, partout où la bête humaine a pris la folle décision de détruire l'humanité.
En effet, monsieur le président, nous sommes forcés de croire que peu importe qui nous sommes ou d'où nous venons, les racines du mal, celles de la destruction humaine sont partout identiques. Elles prennent toutes naissance dans ces puissantes et très négatives énergies que constituent l'exclusion et la haine de l'autre.
Monsieur le président, le génocide ne tombe pas brusquement sur ses victimes comme la foudre. C'est un point culminant qui est atteint après plusieurs étapes, qui constitue un continuum de destruction de l'autre, un processus à travers lequel les acteurs apprennent graduellement par l'action.
Dans le cas du Rwanda, la bouc-émissarisation des Tutsi ainsi que les premiers programmes ont commencé en 1959. Depuis lors, chaque fois que le pays a traversé des situations difficiles, les Tutsi en ont été tenus responsables et certains l'ont payé de leur vie ou ont été forcés de s'exiler. Ceci s'est régulièrement répété de 1959 à 1963, ainsi qu'en 1966 et en 1967.
Monsieur le président, depuis le début de la guerre d'octobre 1990, le gouvernement a investi tous ses efforts à préparer ce qu'un des officiers supérieurs de l'armée a appelé l'apocalypse. Les extrémistes hutu, surtout les intellectuels et les hommes d'affaires, ont mis ensemble tous les moyens et toutes les énergies possibles afin de préparer le plus méthodiquement possible l'extermination des Tutsi et ils ont tout fait pour maximiser le résultat.
Les dix commandements des Hutu furent rédigés et diffusés largement dans les médias extrémistes, notamment dans le journal Kangura. En même temps furent créées les milices Interhamwe et Impuzamugambi, ainsi qu'un nouveau parti hutu extrémiste appelé Coalition pour la défense de la République et de la démocratie.
Selon les dires d'un membre Interhamwe qui a fait défection, les miliciens ont été entraînés jusqu'à un degré de performance qui leur permettait de tuer facilement 1 000 Tutsis par heure. La fameuse radio RTLM—Radiotélévision libre des Mille Collines, a aussi vu le jour dans les mêmes circonstances. Sa mission était claire: diffuser les messages de haine contre les Tutsi et appeler tous les Hutu patriotes sans exception à massacrer sans pitié les Tutsi.
Au Rwanda, tout ce qui est dit par l'autorité, que ce soit à la radio, à la télévision ou par tout autre moyen médiatique, est accueilli par la population comme parole d'Évangile. Le peuple rwandais est culturellement reconnu pour son respect indéfectible et son obéissance aveugle envers l'autorité. Mais il faut insister sur le fait que la mise à exécution du plan d'extermination s'est également faite étape par étape.
• 0940
Ainsi, le lendemain du discours de M. Léon Mugesera, qu'il
a prononcé à Kabaya le 22 novembre 1992, discours qui
appelait les Hutu à tuer les Tutsi,
ceux-ci étaient tués dans la même commune et dans les
communes environnantes. Comme les coupables n'étaient
pas poursuivis et que personne ne dénonçait la
situation, ce fut le tour de 1 000 Tutsi de Bagogwe,
de Ruhengeri d'être massacrés sans suite, puis ce fut le tour des
Tutsi de Kibungo.
Le message envoyé par l'observateur tant national qu'étranger était le même: pas de réaction. C'était l'apathie totale. On observa la même attitude lorsque le général Roméo Dallaire demanda un mandat plus consistant auprès des Nations Unies, mandat qui lui aurait permis de désarmer les miliciens: pas de réaction.
Dans la soirée du 6 avril 1994, après l'attentat sur l'avion du président Habyarimana, des barrières sont érigées en moins d'une heure partout à Kigali. La garde présidentielle, les miliciens passent à l'action. Des Tutsi sont massacrés dans plusieurs quartiers de la ville. La communauté internationale décide de réduire à 250 le nombre de casques bleus, et tous les étrangers abandonnent les Tutsi à leurs bourreaux. Les miliciens comprennent le geste de la communauté internationale, qui signifie en fait: si notre présence vous gêne dans votre tâche, nous partons.
Ce qui est arrivé pendant le génocide des Tutsi au Rwanda montre à quel point la haine est un instrument puissant. Elle peut permettre à l'être humain qui veut détruire son semblable de se surpasser quant à la performance, sans nécessairement recourir à des moyens sophistiqués et pourtant atteindre des résultats incroyablement élevés.
Sur ce point, monsieur le président, on est forcés de croire que le cas du Rwanda est unique en son genre. Le génocide des Rwandais a emporté, selon différentes sources, entre 800 000 et 1 million et demi d'individus. Mais ce qu'on oublie souvent de mentionner, c'est que plus de 95 p. 100 des victimes ont été tuées avant la fin du même mois d'avril, donc en trois semaines pratiquement.
On reste encore plus stupéfait quand on sait que la majorité des victimes ont été tuées par les moyens les plus primitifs, les plus rudimentaires, qui rappellent ceux qui étaient utilisés par l'homme préhistorique: des gourdins, des objets effilés, des machettes, des lances, des houes, des pics et des marteaux.
Néanmoins, certains Tutsi qui le pouvaient parvenaient à se payer une mort plus humaine. Les tarifs étaient là: une balle dans le coeur ou dans la tête coûtait 50 francs rwandais, l'équivalent d'à peu près 250 $ canadiens. On pouvait négocier.
On a assisté à des scènes de déshumanisation qui défient l'imagination. Des mères étaient violées avec leurs filles par des individus séropositifs. Des bébés se faisaient fracasser la tête contre le mur ou étaient pilés vivants dans des mortiers. Des familles entières étaient enfermées dans une même maison, qui était ensuite incendiée. Des vieilles personnes incapables de se déplacer étaient laissées sauves au milieu des cadavres de leurs enfants et de leurs petits-enfants. Des hommes hutu ont tué leurs femmes tutsi; des enfants nés de mère tutsi et de père hutu ont demandé la mise à mort de leur propre maman.
En tant que Canadiens rwandais, nous admettons que les atrocités que notre peuple a connues se sont perpétrées sous d'autres cieux, contre d'autres êtres humains, dans d'autres génocides. Nous reconnaissons que chaque génocide est unique en son genre. Nous savons aussi que les motifs et les préconditions à la folie meurtrière sont par ailleurs très identiques et que chaque génocide renferme une leçon particulière très profonde à nous apprendre en tant que Canadiens.
C'est pour cela, monsieur le président, que la communauté canadienne-rwandaise tient à honorer toutes les victimes de tous les génocides car leur souffrance est nôtre, au même titre que notre souffrance est la leur. C'est en vertu de tout cela, monsieur le président, que la communauté canadienne-rwandaise voudrait exprimer son soutien total et inconditionnel à l'établissement d'un musée canadien du génocide équitable et inclusif, que ce soit dans son mandat ou dans sa gouvernance, un musée portant un nom unique, un musée dans lequel nous pourrons tous garder vivace la mémoire de nos chers disparus. Je vous remercie.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Batshinduka.
Je voudrais apporter une précision qui m'apparaît importante. Au début de votre présentation, ainsi que lors du témoignage d'autres personnes hier, on a fait allusion à l'engagement du gouvernement canadien au sujet d'un nouveau musée.
• 0945
Je voudrais préciser qu'il n'y a eu aucun engagement
de la part du gouvernement canadien. Les
musées sont des agences autonomes,
[Traduction]
des sociétés indépendantes.
[Français]
Le Musée canadien des civilisations avait proposé qu'on établisse une exposition sur l'holocauste en vue de commémorer les génocides. Le député Assadourian a depuis déposé un projet de loi d'initiative parlementaire. Comme je l'ai expliqué auparavant, nous devons faire rapport à la Chambre des communes et nous n'avons aucun pouvoir décisionnel. Le gouvernement canadien n'a jusqu'ici pris aucune décision à ce sujet. Je voulais préciser cela afin que nous comprenions tous qu'il s'agit d'une idée qu'avait lancée le musée.
[Traduction]
Je tiens à ce que ce soit très clair.
[Français]
Je voudrais maintenant donner la parole
[Traduction]
à M. Ahmed Motiar, qui représente le Council of the Muslim Community of Canada.
M. Ahmed Motiar (associé, Council of the Muslim Community of Canada): Merci, monsieur le président.
Je représente le Council of the Muslim Community of Canada, ou CMCC. Comme je viens d'Afrique du Sud, où j'ai participé toute ma vie à la lutte contre l'apartheid, il me semble que je peux apporter à votre comité un point de vue très particulier et très pertinent. Vous vous rendrez compte que mon expérience offre des parallèles intéressants et qu'elle vous permettra par conséquent—du moins, c'est ce que j'espère—d'éviter certaines des erreurs qui ont été commises en Afrique du Sud et qui ont contribué énormément à y attiser la haine plutôt qu'à y promouvoir la bonne volonté et l'harmonie.
Nous avons en Afrique du Sud le monument aux Voortrekkers, qui se compare à peu près au musée de l'holocauste. Il met l'accent exclusivement sur l'expérience, les souffrances et les drames qu'ont vécus les Afrikaners d'origine néerlandaise. Je ne veux surtout pas minimiser les difficultés qu'ont connues ces gens, mais à cause de son caractère exclusif, le monument aux Voortrekkers a créé un sentiment d'antagonisme qui a largement contribué à diviser la population et qui a exacerbé les tensions raciales en renforçant des attitudes impardonnables. Voilà la triste réalité de la tragédie sud-africaine.
C'est pourquoi le Council of the Muslim Community of Canada applaudit la mise en place d'une exposition au Musée canadien des civilisations pour faire prendre conscience des crimes contre l'humanité; nous espérons seulement que tous les groupes y seront représentés également et nous avons aussi d'autres réserves.
Du côté positif, cette exposition ou ce musée constituera un outil de sensibilisation. Il contribuera à montrer que ces atrocités ne sont pas des faits isolés en aidant les gens à se rendre compte qu'elles émanent plutôt de la haine, du sectarisme et du racisme, des maux qui, s'ils se propagent, peuvent amener les humains à commettre d'horribles injustices contre leurs semblables.
Étant donné le caractère multiculturel de la société canadienne, le projet de loi est un pas dans la bonne voie. Certains attributs de notre société ont aidé les membres des diverses communautés canadiennes à vivre dans la paix et l'harmonie. C'est une grande force. Il y a deux éléments à souligner à cet égard. Premièrement, nous avons une politique d'intégration qui offre à tous la même chance de jouer un rôle égal dans la société, peu importe leur race, leur couleur, leur religion ou leurs croyances. Deuxièmement, nous nous opposons très clairement à l'exclusion, qui favorise la division et la haine. Voilà les caractéristiques grâce auxquelles le Canada fait l'envie des autres pays du monde.
• 0950
Le CMCC est donc très heureux de constater que la Loi sur la
reconnaissance des crimes contre l'humanité, c'est-à-dire le projet
de loi C-224, assurera l'intégration de tous, en reconnaissant les
souffrances des victimes de tous les génocides. Il assurera
également l'équité, en évitant d'établir un ordre de gravité des
génocides. Il est certain que chaque groupe a l'impression que son
génocide est le plus important, mais l'équité et la justice
exigent, d'un point de vue moral, que nous évitions de placer la
tragédie d'un groupe au-dessus de celle d'un autre ou de
marginaliser les souffrances de certains groupes tout en soulignant
celles des autres. Ce projet de loi apportera en outre une
validation à tous les groupes, ce qui veut dire, en termes
pratiques, qu'ils devront tous avoir leur mot à dire sur
l'administration du musée, sur son mandat et sur son nom.
L'intégration de ces principes dans le projet de loi garantit le respect de l'esprit de la Charte canadienne des droits, qui—il est très important de le rappeler—interdit de faire des distinctions entre les groupes en fonction de leur race, de leur religion ou de leurs croyances pour l'attribution de subventions spéciales. Le projet de loi respecte également la tradition canadienne d'intégration, par opposition à l'exclusion qui favorise le racisme.
Nous constatons qu'il y a un consensus entre tous les groupes, sauf un, dans le sens d'une exposition ou d'un musée autonome sur les génocides qui, comme le propose le projet de loi, aurait une portée universelle et inclurait tous les groupes équitablement. C'est seulement ainsi que ce musée pourra répondre aux besoins de tous les Canadiens et valider l'expérience de tous les groupes en reconnaissant sans discrimination leurs drames et leurs souffrances.
Il s'agit d'un objectif important que seul un musée universel permettrait de réaliser, surtout parce qu'il présente le potentiel nécessaire pour entamer le processus de guérison et de réconciliation, qui est essentiel. En englobant tous les crimes contre l'humanité dans un même musée, on aiderait à faire comprendre que tous les groupes, à un moment ou à un autre de l'histoire, ont été les victimes ou les auteurs de génocides.
Un musée qui présenterait tous les crimes contre l'humanité permettrait d'accélérer la guérison parce qu'il montrerait très clairement que tous les groupes de la société portent en eux ce qu'il faut pour s'abaisser facilement à des comportements tout à fait dégradants et pour commettre de terribles crimes contre leur prochain.
Il ne fait aucun doute, à mon avis, qu'en reconnaissant tous les crimes contre l'humanité, ce projet de loi sera le meilleur moyen d'amener la société à amorcer la démarche cathartique qui permettra de commencer à panser les blessures et de mettre fin à la haine.
Il est évident que seul un apaisement peut permettre d'espérer la réconciliation, qui est l'unique moyen d'empêcher que les victimes de génocides passés deviennent elles-mêmes les auteurs de génocides futurs. Les atrocités commises en ce moment même en Afrique, en Russie, au Moyen-Orient et ailleurs le montrent d'ailleurs on ne peut plus clairement.
Le CMCC appuie donc le projet de loi, mais nous estimons qu'il est possible de faire encore mieux. Avec tout le respect que je dois au président, qui a dit que nous n'avions pas de place pour autre chose qu'une exposition, je demande aux membres du comité de faire valoir au Parlement, dans le rapport qu'ils doivent lui soumettre, que des crimes contre l'humanité continuent d'être commis au moment même où nous débattons de ce projet de loi et qu'une simple exposition au Musée canadien des civilisations ne suffirait par conséquent peut-être pas à remplir la fonction éducative que devrait avoir un tel musée, c'est-à-dire à prévenir les atrocités futures en instaurant les qualités de tolérance et de justice qui inspireront aux générations futures une totale aversion pour ce genre de fléau et qui permettront, j'espère, d'éviter de nouveaux génocides.
• 0955
En conclusion, si votre comité tient à agir dans un esprit de
justice, le choix qui s'offre à lui est très clair. Compte tenu du
fait que la Charte canadienne des droits ne permet pas d'accorder
des subventions spéciales à un groupe plutôt qu'à d'autres pour des
motifs fondés sur la religion, la race ou les croyances, et puisque
votre comité n'a que deux options—à savoir un musée exclusif, sur
le modèle de ce qui s'est fait en Afrique du Sud sous le régime de
l'apartheid, ou un musée universel autonome qui inclurait tout le
monde dans la grande tradition canadienne d'inclusion et
d'opposition à l'exclusion, principalement parce qu'elle favorise
le racisme, le mal suprême qui inspire les crimes contre l'humanité
et qu'un musée de ce genre est justement censé prévenir—toute
autre solution qu'un musée autonome consacré à tous les génocides
ne ferait que promouvoir l'animosité, la haine, l'intolérance et
l'aggravation du racisme.
Comme vous êtes des gens honorables, je suis convaincu que votre décision sera fondée sur l'équité et la justice, non seulement en réalité, mais également en apparence. Merci beaucoup.
Le président: Merci, monsieur Motiar.
Des voix: Bravo!
Le président: Les membres du comité ont accepté hier d'entendre M. Aris Babikian, du Comité national arménien du Canada. Je lui laisse la parole.
M. Aris Babikian (représentant, Comité national arménien du Canada): Bonjour à tous. Je vous prie d'excuser mon retard. Je suis parti tôt de Toronto pour arriver à temps, mais je n'avais malheureusement pas prévu que je serais pris dans la circulation à Ottawa.
Monsieur le président, mesdames et messieurs, je descends d'un survivant d'un génocide, en l'occurrence le génocide des Arméniens. Mon grand-père a vu mourir la majorité des membres de sa famille immédiate. Il a perdu sept frères et soeurs. Les histoires qu'il nous a racontées sont encore très présentes dans nos esprits, et c'est pourquoi je suis ici aujourd'hui pour vous présenter mon point de vue et vous demander instamment d'appuyer ce projet de loi.
Premièrement, je vous remercie de nous avoir invités à vous faire part du point de vue et de la position de la communauté arménienne du Canada sur l'idée, très importante et très noble, de créer grâce à des fonds fédéraux un monument à la mémoire des millions de victimes du racisme, de la haine, de l'intolérance et de la cruauté de l'homme envers ses semblables.
Pourquoi un musée? Parce que la création d'un musée canadien célébrant la tolérance sera le juste reflet de la réputation internationale du Canada en tant que modèle de coexistence pacifique entre les divers groupes ethniques qui le composent.
Les Arméniens ont vécu en 1915 le premier génocide du XXe siècle. Nous, les descendants des victimes, portons depuis 85 ans les cicatrices de ce crime odieux. Près d'un siècle après cet acte horrible qui visait à anéantir notre peuple, nous sommes témoins aujourd'hui d'un nouvel acte de génocide, qui consiste à nier et à réécrire l'histoire.
La création d'un musée canadien célébrant la tolérance dans notre capitale sera un symbole efficace pour combattre les révisionnistes. Ce sera aussi une étape vers la réconciliation, la guérison et l'apaisement pour les victimes et leurs descendants. Ce monument nous aidera à nous rappeler le passé et à en tirer des leçons. Nous pourrons ainsi empêcher que d'autres nations et d'autres races vivent des horreurs semblables.
Les Canadiens ont accru leur participation aux missions de maintien de la paix dans des régions déchirées du monde entier. Nos soldats aident à y maintenir la paix, et à y prévenir les violations des droits de la personne et le nettoyage ethnique. Mais ils ne sont pas toujours prêts, sur le plan émotif, pour les horreurs dont ils sont témoins quand un nationalisme débridé divise les nations. Nous devons les préparer à ce qu'ils sont susceptibles de voir à l'étranger. Le musée sera un important outil pour les y préparer psychologiquement.
Pour ce qui est de la mission de ce musée, un musée canadien célébrant la tolérance sera une institution nationale vouée à la description, à l'étude et à l'interprétation de l'histoire de la cruauté de l'homme envers son semblable. Il permettra à notre pays de célébrer la mémoire des millions de personnes qui ont été victimes de ces événements tragiques au cours du dernier siècle.
Ce musée aura pour mission première d'approfondir et de diffuser les connaissances sur ces tragédies sans précédent, de préserver la mémoire de ceux et celles qui ont souffert, et d'encourager les visiteurs à réfléchir aux questions morales et spirituelles soulevées par ces événements, ainsi qu'à leurs propres responsabilités, en tant que citoyens d'une démocratie, pour faire en sorte que l'histoire ne se répète pas.
• 1000
Le musée fera mieux comprendre au grand public comment
l'intolérance engendre la violence. Il remplira ce mandat grâce à
des programmes comportant de multiples facettes, par exemple des
expositions, des activités publiques, de la recherche et des
publications, des activités de collecte et de préservation de
preuves matérielles, d'oeuvres d'art et d'objets relatifs à ces
événements, des commémorations annuelles désignées sous le nom de
«jours du souvenir», la distribution de matériel éducatif et de
ressources pédagogiques, ainsi que divers programmes publics visant
à faire mieux comprendre ces événements et les questions qui s'y
rattachent, y compris celles qui ont des ramifications
contemporaines.
Il faut également se demander comment le musée sera créé et administré. Il devrait être indépendant du gouvernement et être administré de façon autonome, sans crainte d'ingérences politiques ou d'interventions dictées par des considérations géopolitiques ou économiques.
Le musée devrait avoir deux composantes. La première composante serait une exposition permanente sur tous les génocides répondant à la définition contenue dans la convention internationale des Nations Unies sur la prévention et la répression du crime de génocide. La deuxième porterait sur les cas de nettoyage ethnique et les massacres qui ne constituent pas des génocides au sens de la définition de l'ONU. Dans les cas de ce genre, il serait approprié de prévoir des expositions temporaires afin qu'il soit possible d'en tirer des leçons là aussi.
La décision relative aux génocides à inclure devrait être laissée à un groupe de spécialistes des génocides et de l'holocauste, avec la participation des groupes de victimes. Il faudrait créer un comité spécial qui travaillerait de concert avec le comité du patrimoine, le ministre, les groupes de victimes et les spécialistes pour établir un consensus entre les différentes idées et propositions. Pour assurer la promotion de ce concept original, le projet devrait être une coentreprise des secteurs public et privé.
Une fois le musée établi, un groupe consultatif composé de chercheurs, de spécialistes et de groupes de victimes devrait être chargé d'en assister le personnel en permanence. Les groupes de victimes devraient aussi s'occuper activement de trouver des volontaires, des contributions financières et d'autres formes d'aide.
Enfin, ce musée ne devrait pas remplacer les autres musées commémoratifs déjà établis.
Pour conclure, un musée canadien célébrant la tolérance sera un lieu de sobre réflexion, consacré à l'examen des répercussions des génocides et à la diffusion de l'histoire des diverses communautés qui s'insèrent dans le cadre multiculturel du Canada. L'histoire des crimes contre l'humanité est trop importante pour être confinée à la mémoire collective de chaque groupe ethnique. Il faut inclure les leçons de ces crimes dans les canons officiels qui façonnent l'identité des Canadiens.
Au nom des 1,5 million d'Arméniens qui ont péri en 1915, nous demandons instamment au comité de ne pas dévier de son engagement à veiller à la création d'un musée commémoratif canadien célébrant la tolérance. Merci.
Le président: Merci.
Je vais laisser à Thekla Lit le soin de conclure. Vous avez la parole.
Mme Thekla Lit (coprésidente, ALPHA Canada (Association on Learning and Preserving the History of World War II in Asia)): Bonjour monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité et chers amis des autres organisations ethniques. C'est un honneur pour moi d'être invitée à cette rencontre.
ALPHA Canada a des sections régionales à Toronto, Vancouver et Calgary. Notre but est la promotion de la paix, de la justice et de l'harmonie entre les races. Nous nous donnons pour mission de faire connaître à la population les crimes contre l'humanité commis par les forces impériales japonaises avant et pendant la Deuxième Guerre mondiale.
Les historiens évaluent à 35 millions le nombre des victimes de l'agression armée perpétrée par le Japon. Plusieurs de ces personnes ont été victimes de crimes contre l'humanité. Au nombre de ces crimes, on peut citer les brutalités subies par les soldats canadiens qui avaient été chargés de défendre Hong Kong en 1941, par les 200 000 femmes environ qui ont servi de «femmes de réconfort», par les 300 000 victimes environ du massacre de Nankin, celles de la marche forcée de Bataan, les victimes des expériences d'armes de guerre biologiques et chimiques, y compris les personnes qui ont été soumises vivantes à des expériences de dissection. Cette liste n'est pas exhaustive.
Nous estimons que l'humanité doit garder en mémoire les tragédies du passé, afin d'éviter de les reproduire. Plus d'un demi-siècle s'est écoulé, et pourtant cette blessure historique qui n'a pas été soignée, continue de venir hanter les relations entre les particuliers et les nations au cours de cette période de l'après-guerre. Nous voulons guérir définitivement cette blessure historique afin de permettre la réconciliation entre la population des pays agresseurs et celle des nations victimes.
• 1005
Depuis sa première intervention publique, ALPHA Canada
collabore avec les groupes communautaires coréens, hollandais,
philippins, juifs et japonais. Nous avons décidé de collaborer avec
les groupes japonais au Canada, aux États-Unis et au Japon parce
que nous croyons à une citoyenneté mondiale consciencieuse et à
notre mission ultime de justice, de réconciliation, de paix et
d'une meilleure humanité. Nous sommes convaincus que des efforts
concrets comme les nôtres peuvent contribuer à instaurer dans notre
société multiculturelle une harmonie raciale véritable et durable.
Pour vous donner un exemple de notre travail, l'exposition de photographies et la tribune présentées en 1998 sur les unités japonaises de guerre biologique et bactériologique pendant la Deuxième Guerre mondiale ont été organisées conjointement par notre section régionale de Colombie-Britannique et par le Comité des droits de la personne de la Greater Vancouver Japanese Canadian Citizens Association. Cette réalisation était un pas vers la réconciliation et avait également obtenu l'appui des organisations communautaires coréennes, hollandaises, philippines et juives. Cette manifestation a reçu en 1999 le prix interracial du ministère du Multiculturalisme et de l'Immigration de Colombie-Britannique. J'ai apporté une brochure sur laquelle vous voudrez peut-être jeter un coup d'oeil.
J'aimerais maintenant vous présenter le point de vue d'ALPHA Canada au sujet d'une exposition au Musée canadien des civilisations visant à reconnaître les crimes contre l'humanité perpétrés au XXe siècle.
Tout d'abord, le Canada est une nation multiculturelle. Tout comme les autres Canadiens, nous autres Canadiens d'origine asiatique avons un bagage de culture, de tradition et d'histoire que nous pouvons partager avec nos compatriotes. Naturellement, les Canadiens d'origine asiatique ont, comme les autres habitants du Canada, souffert de racisme et de crimes contre l'humanité. Au XXe siècle, les crimes contre l'humanité perpétrés par les forces impériales japonaises ont infligé d'horribles souffrances à d'innombrables victimes partout en Asie. ALPHA Canada estime que les Canadiens devraient prendre connaissance de ce douloureux chapitre de l'histoire et en tirer des leçons d'humanité.
M. Brzezinski, l'ancien conseiller à la sécurité nationale du président américain Jimmy Carter, écrit dans son ouvrage Out of Control que de 167 millions à 175 millions de personnes ont péri à la suite de carnages pour raisons politiques perpétrés au XXe siècle. Dans la seule Bosnie, on évalue que 200 000 personnes ont été tuées et que 750 000 sont portées disparues. Des millions d'entre elles sont désormais des réfugiés et 36 000 femmes musulmanes ont été violées. Tout cela nous rappelle qu'on continue d'être encouragé à la haine et au meurtre pour des raisons d'ordre primaire telles que des questions d'identité ethnique, religieuse, raciale, nationale et régionale.
L'exposition que l'on prévoit consacrer aux crimes contre l'humanité permettra de faire connaître à la population canadienne ainsi qu'aux visiteurs étrangers les terribles expériences des victimes de telles atrocités qui continuent de se perpétrer dans le monde actuel. Après tout, la guerre est un désastre humain et non pas naturel et les êtres humains peuvent prévenir les guerres en faisant connaître l'histoire et en gardant la mémoire de tels événements. L'exposition consacrée aux crimes contre l'humanité incitera les visiteurs à s'interroger sur la meilleure façon pour les êtres humains d'éviter les guerres et la destruction que notre monde ne peut plus tolérer en cette ère du nucléaire. Une telle exposition permettra de faire revivre le passé, de souligner ses liens avec le monde actuel et d'aider à préparer l'avenir.
Certains députés s'inquiètent du risque que certains désaccords relatifs à des questions historiques dégénèrent en controverses. Il y a là matière à réflexion, mais nous pensons qu'il sera possible de résoudre ou d'éviter de tels problèmes en adoptant de bons principes directeurs pour la planification de l'exposition. Toutefois, il ne faudrait pas que ce risque serve de prétexte au Canada pour ne pas monter l'exposition. Le Canada est une société multiculturelle, une nation reconnue pour encourager les droits de la personne et la paix et à ce titre, il est tout désigné pour présenter une exposition sur les crimes contre l'humanité au XXe siècle.
Il faudrait éviter que l'exposition ne présente les divers événements historiques sous l'angle de la fierté nationale ou ethnique. Il serait préférable qu'elle évoque les efforts du Canada pour promouvoir une compréhension historique transcendant les différences ethniques et nationales. Sur le plan pratique, il faudrait que l'exposition, en plus de décrire les événements, s'appuie sur une compréhension historique ancrée dans un idéal commun d'humanité mettant l'accent sur les conséquences morales et les aspects universels des événements vécus.
• 1010
Avec une telle approche, l'exposition serait en mesure de
jeter des ponts entre les différentes nations, permettant ainsi une
meilleure compréhension des cas historiques de crimes contre
l'humanité. De telles expositions encouragent la réconciliation et
l'instauration d'une confiance mutuelle entre les différents
groupes ethniques et les nations. Le travail d'ALPHA Canada auprès
de différentes communautés ethniques, notamment la communauté
nippo-canadienne et auprès des ressortissants japonais a prouvé
qu'une telle approche permet d'encourager la confiance mutuelle,
l'harmonie, la justice et une citoyenneté mondiale active.
Nous estimons par ailleurs qu'il ne faut pas craindre que le libellé du désormais défunt projet de loi C-224 ne nuise à la relation d'indépendance entre le Parlement et le Musée canadien des civilisations, car nous sommes convaincus que notre gouvernement peut trouver des façons de surmonter ces obstacles si nos parlementaires respectent véritablement l'esprit du projet de loi.
De toute façon, la mission institutionnelle du musée précise que:
-
Le Musée canadien des civilisations est le dépositaire de
l'histoire de l'humanité. Il s'engage à promouvoir chez tous les
Canadiens un sens de leur identité et de leur histoire communes et
vise à favoriser le dialogue interculturel au pays.
Par conséquent, le musée a pour mandat de présenter de telles expositions pour promouvoir chez les Canadiens et dans le monde une volonté d'améliorer l'humanité et de préserver la civilisation. Le fait que le même établissement présente une exposition sur les crimes contre l'humanité et des expositions sur d'autres thèmes sera l'occasion de sensibiliser les visiteurs aux valeurs de la civilisation, de la paix mondiale, de l'harmonie et de la citoyenneté mondiale.
Nous reconnaissons que le personnel du musée aura beaucoup à faire pour la production et l'entretien de l'exposition proposée. Toutefois, je suis convaincue que les groupes de pression tels que ALPHA Canada et d'autres organisations qui sont représentées ici aujourd'hui sont prêts à faire appel à leurs connaissances de certains événements historiques particuliers pour aider le musée à mettre en place une telle exposition en conformité de ses principes directeurs.
Nous estimons que tous les éléments consacrés aux différents événements historiques devraient recevoir un même traitement. Nous pensons que chaque élément devrait être présenté par roulement au musée afin de toucher l'ensemble de la population canadienne dans la communauté mondiale ou sous forme d'une exposition itinérante et qui pourrait également être présentée dans le cadre du volet virtuel du Musée canadien des civilisations.
Enfin, je pense qu'il ne faudrait pas se contenter d'une simple exposition au Musée canadien des civilisations et que la création d'un musée exclusivement consacré aux crimes contre l'humanité au XXe siècle serait tout à fait justifiée. Cependant, nous craignons que le gouvernement ne rejette l'idée de présenter une exposition sur les crimes contre l'humanité tout simplement parce qu'il ne dispose pas des fonds nécessaires pour créer un musée entièrement voué à cet aspect de notre histoire. C'est pourquoi, nous demandons aux députés qui sont à l'origine de cette proposition, qui ont eu l'idée bien intentionnée de proposer un musée indépendant, de prendre garde que cette intervention, louable au départ, ne soit préjudiciable au projet.
Merci.
Le président: Merci beaucoup.
Nous allons maintenant donner aux députés l'occasion de poser des questions. Si les membres du comité sont d'accord, nous allons procéder de la même façon qu'hier. Nous avons reçu énormément de demandes. De fait, tout le monde veut interroger les témoins ou commenter leurs déclarations. J'ai pensé que nous pourrions peut-être chacun à tour de rôle présenter une question ou un commentaire. Les témoins en prendraient note et pourraient par la suite répondre aux différents points qui souvent se recoupent de toute manière. Je pense que cette formule, si elle convient aux membres du comité, permettra d'accélérer le travail. Nous disposons de 45 minutes.
M. Dennis J. Mills (Broadview—Greenwood, Lib.): Je n'ai pas de question à poser aux témoins, mais j'aimerais faire une déclaration d'une minute. Je ne sais pas si les autres membres...
Le président: Si personne n'y voit d'inconvénient, nous allons donc procéder par roulement. Vous allez bien sûr disposer du temps nécessaire pour faire votre déclaration d'une minute. Est-ce que les autres membres sont d'accord?
Des voix: D'accord.
Le président: Très bien. Nous allons donc procéder par roulement. Les témoins pourront prendre des notes et répondre aux différents points soulevés. Nous allons commercer par M. Mark.
M. Inky Mark: Merci, monsieur le président.
J'aimerais remercier tous les témoins présents aujourd'hui.
Permettez-moi de féliciter encore notre collègue M. Assadourian qui est à l'origine de cette initiative qu'il poursuit avec une grande ferveur.
Il ne fait aucun doute que cet exercice est extrêmement positif et qu'il aura certainement des suites. Je sais que les Canadiens souhaitent faire connaître de nombreuses situations et y remédier.
• 1015
Je crois personnellement que les définitions contenues dans le
mandat sont la clé du succès de cette initiative. Hier et
aujourd'hui, de nombreux mots clés ont été mentionnés: génocide,
crimes contre l'humanité, atrocités, tragédies humaines. Il nous
faut entrer plus dans les détails et définir exactement ce que nous
voulons exprimer.
On peut se demander également si l'on doit se limiter au XXe siècle. Est-ce que nous souhaitons remonter plus loin que le XXe siècle? De fait, les témoins ont évoqué l'évolution historique... Est-ce que nous devons passer l'histoire en revue afin de tenir compte des situations actuelles qui se produisent au pays?
Ma question est la suivante: Avant de monter une exposition ou de créer un musée, ne pensez-vous pas que nous devrions peut-être créer un autre véhicule visant à réunir toutes les personnes concernées afin de pouvoir prendre des décisions tenant compte de tous les besoins, des décisions équitables et fondées sur une bonne recherche? Voilà ma question.
[Français]
Le président: Monsieur de Savoye.
M. Pierre de Savoye (Portneuf, BQ): Je remercie tous les témoins. Parmi ceux qui sont venus nous parler ce matin, certains ont vécu un génocide et d'autres nous rappellent ce que leurs familles ont vécu. Je crois et je ressens qu'il est extrêmement utile de savoir comment vous percevez ces événements, pourquoi vous les percevez ainsi et pourquoi vous croyez qu'il est important pour le Canada de disposer d'un moyen, qu'il s'agisse d'un musée, d'une exposition ou d'autre chose, pour s'assurer que la mémoire collective tire des leçons du passé et évite à l'avenir que de telles choses se reproduisent ou, tout au moins, qu'elle fasse en sorte que ceux qui en sont responsables puissent s'attendre à des conséquences.
Hier comme aujourd'hui, les témoins nous ont fait part de diverses façons de voir l'avènement d'un musée ou d'une exposition. La question que j'ai posée, je la repose aujourd'hui, parce que je voudrais connaître votre point de vue également. Si, d'une part, on s'entend sur la valeur éducative d'un musée ou d'une exposition et si on s'entend aussi sur le fait que l'objectif est de rendre l'information accessible au plus grand nombre de personnes, d'autre part, un musée qui serait situé dans une ville comme Ottawa ne permettrait pas à l'ensemble des Canadiennes et des Canadiens d'avoir accès à cette information.
Je crois avoir compris que certains témoins ont suggéré que l'on utilise les installations virtuelles, entre autres l'Internet, pour rendre un certain nombre d'informations accessibles, mais ma préoccupation demeure toujours la même. Si on doit investir des efforts, de l'énergie et de l'argent dans la mise en place d'un tel musée ou d'une exposition, ne conviendrait-il pas que cela soit accessible au plus grand nombre de personnes possible? Comment pourrait-on faire pour maximiser le résultat en fonction des efforts que l'on investira?
Le président: Merci beaucoup, monsieur de Savoye.
[Traduction]
Je vais maintenant laisser la parole aux personnes qui me l'ont demandé, en suivant l'ordre de réception de leur demande: M. Bonwick, M. Mills, M. Assadourian et M. Bélanger. Mme Bulte et M. Shepherd pourront par la suite présenter des commentaires ou poser des questions s'ils le veulent.
• 1020
Nous allons commencer par vous monsieur Bonwick.
M. Paul Bonwick (Simcoe—Grey, Lib.): Merci, monsieur le président.
Je parlais avec Dennis d'un point qu'il est très important de prendre en considération, un point présenté très clairement par M. Motiar et également par Mme Lit... Au moment même où nous présentons nos points de vue—aussi divers soient-ils—dans la sécurité de notre pays, des génocides se produisent actuellement dans différents points du globe.
Une meilleure connaissance nous paraît nécessaire, car je suis convaincu que dans des pays comme le Canada, l'ignorance permet une certaine tolérance du génocide. Je parle en connaissance de cause, puisque je suis moi-même Canadien, et qu'au cours de toute ma formation au Canada, mon attention a été très peu attirée sur les génocides perpétrés dans le monde au cours du siècle dernier ou même au cours des deux ou trois siècles précédents. Les programmes scolaires en parlaient très peu.
Par conséquent, mon point de vue se rapproche de celui de M. de Savoye, c'est-à-dire qu'en mettant l'accent sur la capitale du pays—compte tenu du fait que l'on y trouve de nombreux musées nationaux—pour implanter une exposition permanente, j'estime que cela causerait un préjudice aux autres régions du pays. Géographiquement, le Canada est un très grand pays et il serait très coûteux pour une famille de la classe moyenne vivant en Alberta de débourser le prix de cinq billets d'avion et des nuits d'hôtel pour venir visiter le musée à Ottawa. De ce fait même, nous les empêchons en quelque sorte d'effectuer cette visite extrêmement importante.
Comme l'a dit M. Mark, je pense qu'il est extrêmement important d'effectuer des recherches et de rassembler des informations précises sur les génocides qui se produisent actuellement. J'aimerais savoir si vous ne pensez pas que, plutôt que de construire un musée à Ottawa, il serait préférable d'approfondir le sujet, d'en faire une étude exhaustive, d'étudier les différents moyens de diffuser les informations pertinentes, par l'intermédiaire d'articles ou de déclarations, à toute la population canadienne, grâce à une exposition itinérante, une exposition virtuelle ou autre.
Le président: Merci, monsieur Bonwick.
Monsieur Mills.
M. Dennis Mills: Merci beaucoup, monsieur le président.
Tout d'abord, j'aimerais saluer mon collègue Sarkis Assadourian...
M. Paul Bonwick: Bravo!
M. Dennis Mills: ...pour ce magnifique projet de loi.
Monsieur le président, j'aimerais également saluer nos témoins. À les écouter, j'avais l'impression de voir huit disciples de Pierre Elliott Trudeau. Je me suis souvenu du discours présenté par le premier ministre Trudeau en avril 1971 à la Chambre des communes lorsqu'il a déposé une loi introduisant la politique du multiculturalisme. La première phrase de son discours était la suivante: «Nous allons devenir une nation où aucune culture ne sera ni inférieure, ni supérieure à une autre culture.»
Une voix: Bravo!
M. Dennis Mills: Il poursuivait: «Nous allons devenir une nation qui encouragera les différents membres de sa population à célébrer et préserver leur culture d'origine.»
Toutes les interventions que vous avez faites aujourd'hui s'inspirent de cet héritage vieux de 29 ans qui a fait du Canada la plus grande nation multiculturelle de la planète.
Sarkis, je déclare que je suis prêt à consacrer tout le temps qu'il vous faudra pour faire de votre vision une réalité.
Des voix: Bravo!
M. Dennis Mills: Monsieur le président, pour ce qui est de l'exposition et de son emplacement, je pense qu'il faudrait pour commencer reprendre la formule du Train de la découverte du Canada que nous avions mise en place il y a quelques années, afin de présenter une exposition mobile qui se déplacerait en train d'un océan à l'autre. Nous pouvons présenter cette exposition dans toutes les régions du pays et une fois que le train serait allé partout, nous pourrions à ce moment-là penser à trouver un emplacement définitif à l'exposition.
Depuis deux mois, le premier ministre met l'accent sur les valeurs. Je pense que cette exposition va tout à fait dans cette direction.
Merci.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Mills.
Monsieur Assadourian, puis monsieur Bélanger.
M. Sarkis Assadourian (Brampton-Centre, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
Je me joins moi aussi à mes collègues pour souhaiter la bienvenue aux témoins participant à cette deuxième séance.
• 1025
Hier, nous avons eu une très bonne séance, constructive et
tournée vers l'avenir. Je vous remercie pour le soutien que vous
m'avez accordé au cours des 18 derniers mois. Le chemin n'a pas été
facile. Nous avons connu certaines déceptions, mais je pense que
nous approchons du but. Nous avons pratiquement un consensus, à une
ou deux exceptions près—une exception et demie, en fait.
Ma question se rapporte à l'argument présenté par Aris Babikian. J'aimerais savoir s'il est en faveur du musée ou s'il appuie maintenant le projet de loi C-224 sans pour autant s'opposer au processus précédemment enclenché. J'ai du mal à saisir son point de vue. Peut-être qu'Aris Babikian pourrait prendre le temps de nous expliquer, à moi et aux autres membres du comité, quelle est la formule qu'il préfère. Est-il en faveur de la création de deux musées ou d'un seul musée pluraliste, comme tout le monde le demande? Pour le moment, je ne parviens pas à savoir. J'ai du mal à saisir la situation.
Par ailleurs, le témoignage de M. Ahmed Motiar, qui est originaire d'Afrique du Sud, nous est très précieux. Il nous a donné un exemple parfait de l'apartheid, il nous explique comment fonctionnait l'apartheid en Afrique du Sud et comment on s'en est débarrassé.
J'étais ici à la Chambre lorsque nous avons accueilli Nelson Mandela. C'était très émouvant pour nous tous, surtout pour moi. Quand je lui ai serré la main, je lui ai dit: «Vous êtes mon héros».
Vous nous avez dit que le musée créé en Afrique du Sud est consacré à un seul groupe, à l'exclusion de tous les autres. Ce n'est pas ce que nous voulons faire au Canada. En ce qui me concerne, cela ne correspond pas à la tradition canadienne. Ce n'est pas une formule qui me convient personnellement. Au Canada, nous sommes tous égaux ou nous ne sommes pas. Au Canada, personne n'est plus Canadien que ses concitoyens.
J'ai beaucoup apprécié les témoignages de tous. Je vous remercie de votre soutien et j'espère avoir l'occasion de communiquer encore avec vous. Merci beaucoup.
[Français]
Le président: Monsieur Bélanger.
M. Mauril Bélanger: Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Tout d'abord, je suis totalement en faveur d'une formule pluraliste, quelle que soit l'option que choisira le gouvernement du Canada. Si nous adoptons cette notion comme principe de base, les décisions que nous prendrons par la suite en seront peut-être influencées, car certains points de vue que nous avons entendus seraient exclus automatiquement, étant non conformes à ce principe.
Voilà pourquoi je souhaite féliciter Mme Skrypuch pour son document. J'insiste pour que mes collègues le lisent, parce qu'elle propose une solution qui me paraît fascinante et tout à fait réalisable. Elle l'intitule Le livre des morts du Canada. Si j'ai bien compris, elle propose d'établir une fondation indépendante dotée d'un budget de recherche et de publication qui aurait pour mandat de mettre en place ce dont nous avons parlé.
Vous vous souvenez qu'hier je réfléchissais à tout ceci et je me disais que si notre objectif ultime, si ce que vise notre collègue, consiste à favoriser la réconciliation et une plus grande prise de conscience et compréhension afin d'éliminer à jamais les atrocités, car des gens comme nous les dénonceraient dès les premiers signes, alors nous n'avons peut-être pas besoin d'un musée comme tel, mais plutôt de moyens d'information, de recherche et de diffusion des constatations qui seront faites. Je pense que la solution proposée par Mme Skrypuch est assez intéressante et j'invite mes collègues à la prendre sérieusement en considération.
J'aimerais par ailleurs formuler un autre commentaire. Je suis député de la région d'Ottawa et je ne suis absolument pas d'accord avec ceux qui affirment que la création dans la capitale d'établissements que les Canadiens peuvent venir visiter, constitue un préjudice pour les autres régions du pays. Il n'y a qu'une seule capitale dans notre pays. Je veux manifester mon désaccord et je tiens à le faire savoir.
Merci.
M. Sarkis Assadourian: Nous en prenons bonne note. Nous sommes d'accord avec vous.
Le président: Madame Bulte ou monsieur Shepherd, avez-vous des commentaires ou des questions?
Mme Sarmite Bulte (Parkdale—High Park, Lib.): Je tiens à remercier tous les témoins que se sont présentés aujourd'hui. Comme l'a dit Mme Skrypuch, il est important de connaître l'histoire de nos compatriotes. Je pense que nous avons commencé à nous mettre à l'écoute. M. Asfour nous a rapporté des faits dont nous pourrons parler à notre tour. Souvent, ce qui caractérise les Canadiens, c'est de trouver la façon de raconter à nos compatriotes ce qui nous distingue des ressortissants des autres pays.
• 1030
Le Canada possède une culture aussi variée que ses paysages et
j'estime qu'il est extraordinaire que l'on en parle enfin. Étant
moi-même originaire d'Europe de l'Est, je connais des épisodes
analogues. Ma famille et moi avons notre lot d'épisodes douloureux.
C'est merveilleux que vous soyez d'ici. Encore une fois, je tiens à remercier M. Assadourian pour son énorme travail. Je sais qu'il a fait un travail de lobbyisme très efficace—entre parenthèses, j'ai répondu à toutes les cartes qui m'ont été envoyées. Je connais beaucoup de communautés qui sont très favorables au projet et je vous remercie tous d'être venus.
Le président: Monsieur Shepherd, avez-vous quelque chose à dire?
M. Alex Shepherd (Durham, Lib.): Moi aussi, je suis très content que vous soyez venus et j'appuie résolument le projet de M. Assadourian.
Quoi qu'en dise mon ami M. Bélanger, je me demande si le but de l'exercice est une prise de conscience. L'objet de notre débat consiste à savoir si le meilleur moyen d'obtenir ces résultats est de créer une exposition permanente à Ottawa ou un autre type de tribune permettant de toucher un plus grand nombre de personnes au Canada. Je suis certain que Statistique Canada dispose de données indiquant combien de personnes ont la possibilité de venir à Ottawa. Je pense que nous devrions accroître la promotion de notre capitale auprès de nos compatriotes, mais la réalité est qu'ils ne peuvent pas tous se rendre ici. Par conséquent, il faudrait peut-être s'intéresser aux autres solutions qui ont été proposées pour toucher la population de toutes les localités du pays. Voilà mon point de vue.
Le président: Merci beaucoup.
J'espère que vous avez pris note des questions et des divers commentaires des membres du comité. Je vais maintenant vous demander de présenter vos propres commentaires en respectant l'ordre dans lequel vous êtes intervenus la première fois.
Nous allons commencer par M. Czolij.
M. Eugene Czolij: Pour les définitions et le mandat auxquels M. Mark a fait allusion, je pense qu'il existe un très important document sur lequel on pourrait s'appuyer. Il s'agit du projet de loi C-224, Loi sur la reconnaissance des crimes contre l'humanité dont le paragraphe 2.(2) contient la définition de crimes contre l'humanité que proposent les Nations Unies. Les universitaires, les historiens, les groupes de victimes et les particuliers canadiens pourront examiner les termes et les définitions et je suis convaincu que, tous ensemble, nous parviendrons à trouver une définition et un mandat qui nous conviendront.
Je profite de l'occasion pour remercier M. Assadourian pour l'excellent travail qu'il a réalisé et pour les conseils qu'il nous a donnés sur cette question extrêmement importante.
Sur le plan éducatif, je conviens qu'une exposition itinérante présentée dans toutes les régions du Canada est une idée intéressante, mais je crois également qu'un musée permanent établi dans la capitale serait une façon extrêmement importante pour le Canada de faire oeuvre de pionnier en matière de maintien de la paix en se prononçant sur tous les cas d'injustice dans le monde, afin de montrer à tous les Canadiens de la Saskatchewan, de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, mais également à l'ensemble de la communauté internationale, que le Canada ne tolère pas la haine, que le Canada condamne toutes les formes de génocide.
Merci.
Le président: Monsieur Asfour.
M. John Asfour: Le volet éducatif m'intéresse, car sans un tel volet, nous risquerions de donner l'impression de porter des oeillères et de ne pas nous intéresser à ce qui se passe ailleurs que chez nous, dans les autres parties du monde.
• 1035
Cependant, une exposition permanente pourrait proposer une
dimension éducative. Et d'ailleurs, je recommande une exposition
permanente à Ottawa qui proposerait une dimension éducative. Par
exemple, un tel musée pourrait très bien proposer une publication
qui serait diffusée dans les écoles. Ce serait pour Ottawa une
occasion rêvée d'intervenir dans les écoles, auprès des élèves,
afin de les tenir au courant de ce qui se passe dans le monde. Pour
le moment, il ne se fait rien de tel.
Nous pouvons intervenir dans les écoles, nous pouvons tirer parti d'Internet. Il ne serait pas très difficile de faire voyager ce musée dans toutes les régions du Canada afin que tout le monde voie l'exposition, puis de le ramener à son siège permanent à Ottawa où il serait à la disposition de tous les visiteurs.
Pour moi, ce serait le meilleur outil éducatif pour manifester notre tolérance, notre vigilance à l'égard de la haine, des crimes contre l'humanité, des génocides et notre intérêt pour la paix et la tranquillité dans le monde. Pour le moment, on ne le fait pas assez. Je ne dirai jamais assez combien il est important de sensibiliser les Canadiens et Canadiennes, de leur dire que l'histoire est pleine d'atrocités, en particulier le XXe siècle et que si nous ignorons ce qui se passe et ce qui s'est passé au XXe siècle, tous ces crimes se reproduiront, car nous n'aurons pas les moyens de nous opposer.
Le président: Merci.
Madame Skrypuch.
Mme Marsha Skrypuch: J'aimerais commenter l'idée d'une fondation et je vais me limiter à cette notion. Mais tout d'abord j'aimerais remercier Sarkis Assadourian pour tous ses efforts.
Merci beaucoup Sarkis.
J'ai eu l'occasion de rencontrer Sarkis Assadourian il y a deux ans environ, au cours d'un déjeuner merveilleux et mémorable.
Une fondation permettrait la mise en place d'un projet fini à moindre coût qui présenterait des recherches sérieuses et responsables auxquelles toutes les communautés pourraient contribuer. Il n'y aurait pas de personnel permanent et n'importe qui pourrait se servir de la fondation. C'est une option distincte d'un musée ou d'une salle de musée consacrée au génocide. Je reste convaincue qu'il est important d'encourager les Canadiens et Canadiennes à venir visiter Ottawa, la capitale du pays. En revanche, la visite d'un musée peut être très superficielle. Le visiteur peut regarder les images sans véritablement comprendre ce qu'il voit.
Il faudrait créer un livre des morts du Canada, une sorte de rapport réalisé par des universitaires agréés... N'importe qui peut publier lui-même des ouvrages présentant une version des faits et affirmant que c'est la seule vérité. Nous savons tous que cela s'appelle de la littérature haineuse. L'option que je propose consiste à réunir des universitaires de toutes sortes de races différentes qui pourraient produire des documents rapportant ce qui s'est passé dans leur pays ou dans d'autres pays étrangers. Ces documents seraient réunis dans un recueil que toute la population pourrait consulter. On pourrait également le publier simultanément sur Internet.
Lorsque j'ai effectué ma recherche sur le génocide arménien, j'ai eu énormément de difficultés à obtenir de l'information. Cet automne, je publierai un nouvel ouvrage consacré à la famine en Ukraine. Là aussi, j'ai eu de la difficulté à trouver de la documentation. Par conséquent, je pense qu'en plus de créer un musée ou une exposition consacrés au génocide, il faudrait mettre sur pied une fondation dotée d'un bon financement et réunissant des universitaires sérieux qui seraient chargés de publier, dans un temps limité, peut-être huit ans, un ouvrage sur la question.
J'ai prévu tous les détails à ce sujet et je me ferai un plaisir de les faire parvenir à tous ceux qui n'en ont pas encore pris connaissance.
Merci.
Le président: Merci beaucoup.
[Français]
Monsieur Batshinduka.
M. Richard Batshinduka: Je pense que l'idée d'avoir une institution où le Canada peut disposer de moyens pour éduquer nos enfants sur la tragédie humaine partout où elle se passe dans le monde est une idée fantastique. Je pense également que le Canada est capable d'investir des efforts à sa portée pour diffuser de l'information, soit sur l'Internet, soit par des publications de toutes sortes, afin que nos enfants sachent que même s'ils vivent dans un pays qui, dans ce monde troublé, est un vrai havre de la paix, ce n'est pas la même chose ailleurs, surtout que certains de ces enfants sont les descendants de parents qui sont venus de ces régions troublées.
• 1040
Même si le Canada est un havre de paix, qu'est-ce qui
peut garantir notre avenir si
nous n'investissons pas dès maintenant dans
l'éducation de nos enfants sur la
préservation de cette paix, en leur montrant les
horreurs que les autres ont vécues? C'est ma
position.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Batshinduka.
[Traduction]
Monsieur Motiar.
M. Ahmed Motiar: J'aimerais répondre au monsieur qui a dit que le génocide n'était pas inscrit au programme lorsqu'il était à l'école. Il ne l'est toujours pas aujourd'hui et je pense qu'on fait tout pour qu'il ne le soit pas.
Je m'en vais ce soir à la réunion d'un conseil d'administration qui a décrété une semaine de l'holocauste—c'est pourquoi je dois prendre l'avion. J'ai dit à ces gens que je n'étais pas favorable à l'idée, parce qu'elle soulignerait la tragédie d'un seul groupe; nous devrions plutôt avoir une semaine du génocide. Les gens étaient plutôt contrariés. Ils pensaient que je rabaissais l'holocauste, mais ce n'était pas le cas. Ils ne pouvaient pas comprendre le racisme de tout cela et j'ai dû donner un exemple tiré de mon expérience de l'Afrique du Sud que je vais vous décrire ici, si vous me le permettez, monsieur le président.
En Afrique du Sud, à l'époque de l'apartheid, lorsqu'un accident dans une mine a fait 56 morts, les grands titres des journaux disaient le lendemain «Six mineurs tués». Venait en deuxième page une description des mineurs et de leurs familles et on pouvait lire à la dernière ligne du dernier paragraphe: «Cinquante mineurs noirs ont aussi perdu la vie.» C'était manifestement raciste. Ils ont compris ce que je voulais dire.
Je leur ai demandé: «Quelle est la différence dans ce cas-ci...» J'ai pris le chiffre 56 délibérément, parce que le fait qu'ils aient été 72 ou 35 ne change rien à rien. Je leur ai demandé: «Quelle est la différence avec les 50 millions de personnes qui sont mortes durant la Seconde Guerre mondiale?» Nous les avons marginalisées. Elles n'ont pas de visage. Nous ne les reconnaissons pas; nous ne reconnaissons que ces six millions. Je leur ai dit: «Toute vie est importante. Nous devrions reconnaître les 56 mineurs.» Tout à coup, ils ont compris ce que je voulais dire.
Ils ont maintenant soumis la question à un comité des relations raciales qui décidera ce soir si nous devrions avoir une semaine du génocide ou une semaine de l'holocauste. Les représentants du Congrès juif s'y opposent farouchement et ça me fait de la peine, parce que nous ne marginalisons pas leur douleur. Tout ce que nous leur demandons, c'est de reconnaître la douleur d'autrui; autrement, on devient raciste.
Le comité a le devoir, parce qu'il en a le pouvoir, de veiller à ce que les écoles commencent à inscrire le génocide au programme d'études. Et elles pourraient le faire à un coût minime si nous avions des études documentaires sur tous les génocides, y compris l'holocauste, effectuées par des professionnels dont chaque école, conseil ou commission pourrait obtenir une copie et reproduire. Il faudrait donner sa chance à chacun. J'espère que les écoles réagiront et lorsque les enfants réagiront eux aussi, nous pourrons changer les attitudes.
Le président: Monsieur Babikian. M. Assadourian vous a posé une question.
M. Aris Babikian: Monsieur le président, je m'intéresse à cette question depuis trois ans. Je sais que les avis sont très partagés et c'est d'ailleurs ce qu'ont dit certains de nos conférenciers extérieurs. Il ne faudrait pas croire que nous devrions renoncer à l'idée pour la seule raison qu'elle sème la discorde.
Je pense que nous tous ici, hier et aujourd'hui, avons présenté des approches différentes, des idées différentes. C'est pourquoi j'ai dit dans notre présentation de tout à l'heure que ce ne devrait pas être la fin du chemin. Nous devrions mettre sur pied un comité spécial composé de différents experts qui étudieraient les questions de l'holocauste et du génocide. Au Canada, nous avons des universitaires de réputation internationale. Je pense entre autres à M. Serbyn et à William Schabas, Frank Chalk et Katherine Bischoping. Ils sont nombreux. Il y en a tellement qu'avec un peu de bonne volonté nous pourrions tous ensemble arriver à une institution quelconque qui ferait le bonheur de tout le monde. La question n'est pas de savoir quel projet ou quelle idée va l'emporter.
• 1045
Nous sommes des gens suffisamment mûrs qui ont connu le
génocide au XXe siècle, des violations des droits de la personne et
des massacres. Nous sommes assez mûrs. Pour nous, l'idée doit
l'emporter par-dessus tout. Au Canada, nous avons travaillé et
collaboré ensemble à de nombreux dossiers. Je pense que nous
pouvons trouver une solution raisonnable en faisant des compromis
et en collaborant ensemble comme les Canadiens l'ont toujours fait.
C'est la seule façon de trouver une solution à ce problème.
Nous ne devrions pas nous laisser décourager par le fait que des propositions et des idées contradictoires ont été présentées ici hier et aujourd'hui. Au contraire, nous devrions considérer cela comme un défi. Il faudrait nous rassembler. Nous devrions réunir tous ces groupes avec des experts et des universitaires, trouver un terrain d'entente et construire ce musée.
Je pense qu'Ottawa serait l'endroit idéal, pour des raisons que bien d'autres témoins ont déjà mentionnées et que je ne veux pas répéter. Je pense que M. Mark a mentionné les raisons que nous aurions de construire un musée du génocide, ou un musée canadien de la tolérance, comme nous l'appelons dans notre proposition. Je vais en mentionner quelques-unes.
Tout d'abord, la planète ne cesse de rapetisser. Nous ne vivons pas isolés du reste du monde en Amérique du Nord. Tout ce qui se passe ailleurs dans le monde nous touche ici au Canada. Nous avons pu constater que les violations des droits de la personne et le génocide sont les événements qui se sont produits le plus souvent à partir de 1915 jusqu'à la fin du XXe siècle.
Marsha a dit tout à l'heure qu'en 1939, lorsque Hitler se proposait d'envahir la Pologne, ses généraux, inquiets de son plan, lui ont demandé: «Que pensez-vous que l'opinion publique, la communauté internationale, va dire?» Il a prononcé ces paroles maintenant célèbres: «Qui se souvient aujourd'hui des Arméniens?» Nous ne devrions plus jamais accepter qu'un autre despote ou dictateur adopte une telle attitude, tienne un tel discours et commette un génocide contre une autre race ou nation.
Le président: Monsieur Babikian, êtes-vous en train de nous faire un autre exposé?
M. Aris Babikian: Non.
L'autre raison importante pour laquelle les Canadiens devraient avoir un musée du génocide est que j'ai parlé avec certaines personnes au Collège militaire royal qui m'ont dit que lorsque les casques bleus canadiens reviennent d'une mission à l'étranger, ils sont complètement démolis sur le plan émotif. Ils ne sont pas préparés à ce qu'ils voient là-bas.
Un tel musée serait un outil idéal non seulement pour préparer les soldats, mais pour montrer aux générations futures, aux gens d'affaires, aux diplomates et à la population en général ce qui se passe ailleurs dans le monde et ce qui est arrivé dans le passé afin de les préparer pour l'avenir.
Le président: Je pense que nous allons nous arrêter ici. Deux autres témoins veulent la parole. Pour être juste envers tout le monde, j'aimerais céder la parole à Mme Lit.
M. Aris Babikian: Merci beaucoup.
Mme Thekla Lit: Monsieur le président, en réponse à la question au sujet de la portée des expositions, je pense que M. Assadourian avait raison de dire qu'il devrait s'agir des crimes commis contre l'humanité au XXe siècle. Comme Mme Wendy Lill l'a signalé lors du débat parlementaire sur ce projet de loi, le XXe siècle aura été le plus barbare de notre histoire. Si nous disposions de ressources illimitées, bien sûr, ce serait bien de pouvoir remonter aussi loin que possible, mais je suis certaine que nos ressources sont limitées. Il serait donc préférable de s'en tenir aux crimes contre l'humanité commis au XXe siècle.
On se demandait aussi où le musée devrait être situé ou s'il faudrait construire un musée permanent par opposition à un musée itinérant et virtuel.
• 1050
Je dirais que le musée itinérant et virtuel devrait venir en
deuxième lieu seulement. Une exposition permanente dans un musée
est très importante parce qu'un musée ne sert pas seulement des
fins éducatives; c'est aussi un monument commémoratif qui peut
servir de centre pour la recherche et la documentation. Nous devons
avoir pour cela des locaux permanents.
Si on disait que le fait de l'avoir à Ottawa porterait préjudice à d'autres villes du Canada... À moins de ne pas avoir un endroit où... Autrement, on pourrait le construire à Toronto, Vancouver ou ailleurs. L'argument serait le même. J'espère que ce ne sera pas un obstacle pour nous. Je dirais que la présence du musée à Ottawa aurait une signification symbolique importante, parce qu'Ottawa est notre capitale.
M. Assadourian a proposé de tenir des expositions au Musée des civilisations. C'est une très bonne suggestion, parce qu'il existe déjà et que nous pouvons y tenir des expositions. Ce n'est pas un endroit qui accueille uniquement des Canadiens. Je dirais que la plupart des étrangers qui viennent à Ottawa visitent le Musée des civilisations.
Je proposerais que cette exposition permanente se tienne au Musée des civilisations. Ce serait un très bon choix. Merci.
Le président: Monsieur Serbyn, nous allons vous laisser le mot de la fin.
M. Roman Serbyn (président, Sous-comité du Congrès ukrainien canadien pour un musée du génocide): Merci, monsieur le président.
Je pense que nous avons à peu près tout couvert, mais j'aimerais ajouter quelque chose à cette discussion.
Premièrement, je voudrais rendre hommage aux deux communautés pionnières qui ont rendu ceci possible, y compris la présente réunion. La première est la communauté juive. Si ce n'avait été de la communauté juive... Tous les universitaires sont unanimes. Le professeur Malia, éminent expert, et Courtois reconnaissent qu'en insistant pour que le génocide dont elle a été victime soit reconnu par le monde entier, la communauté juive a ouvert la voie à d'autres. C'est très important.
Deuxièmement, dans le contexte canadien, nous devons nous rappeler que le Canada est un microcosme de l'univers. Toutes les communautés du monde entier y sont représentées et nous collaborons et vivons ensemble. C'est un exemple.
Dans ce contexte, il faut aussi reconnaître la communauté arménienne. M. Assadourian a présenté ce projet de loi. À Montréal, la communauté arménienne a érigé un monument à tous les génocides. C'est une pionnière, un modèle pour les autres; elle est unique, c'est la première fois qu'une telle chose se produit. Un musée canadien du génocide entrerait dans le même ordre d'idées.
Permettez-moi de terminer sur cette note. La communauté juive—qui tenait tant, et à juste titre, à ce que sa tragédie soit reconnue par le monde entier et à y faire face elle-même parce que ce fut une expérience traumatisante pour elle—est maintenant bien établie. Elle se sent en sécurité et peut progresser. Nous en avons la preuve.
Laissez-moi vous citer un récent... En Grande-Bretagne, le gouvernement a décidé que le 27 janvier 2001 serait le jour de l'holocauste au Royaume-Uni. Lors de l'assemblée générale annuelle qui a suivi, la Reform Synagogue of Great Britain a adopté une résolution. Écoutez bien ceci, s'il vous plaît:
-
Nous proposons que le 27 janvier soit l'occasion pour la communauté
juive non seulement de se souvenir de l'expérience des Juifs, mais
aussi de connaître et pleurer tous ceux qui ont été victimes des
génocides du XXe siècle et des persécutions des minorités.
Cela élargit le cadre.
Si vous regardez les quatre raisons d'avoir un musée canadien du génocide que je vous ai données, vous verrez que j'ai parlé de Teena Hendelman, qui est présidente du Monument canadien pour les droits de la personne. Elle dit aussi que même la Shoah pourrait faire partie d'un tel musée afin qu'il ne puisse jamais plus y avoir pareille élimination systématique de tout un peuple.
Je pense que c'est très important. Il ne faudrait pas y voir un conflit entre une communauté et les autres. Tôt ou tard, nous chercherons tous à atteindre le même but, c'est-à-dire un musée canadien du génocide.
Merci beaucoup.
Le président: Merci.
Je vous remercie d'être venus nous rencontrer et de nous avoir exposé vos vues aussi clairement. Nous avons beaucoup apprécié votre participation. Merci beaucoup.
Des voix: Bravo.
Le président: La séance est levée.