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HERI Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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STANDING COMMITTEE ON CANADIAN HERITAGE

COMITÉ PERMANENT DU PATRIMOINE CANADIEN

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le jeudi 30 mars 2000

• 1123

[Traduction]

Le vice-président (M. Dennis J. Mills (Broadview—Greenwood, Lib.)): Je tiens à souhaiter la bienvenue à nos invités. C'est toujours passionnant d'entendre le témoignage du Bureau de la concurrence. Votre service compte parmi ceux qui sont les plus passionnants dans tout l'appareil gouvernemental canadien.

Nous vous souhaitons la bienvenue. Monsieur Lafond, vous pourriez peut-être vous présenter. Vous aurez ensuite la parole, et ce sera parti. Nous entendrons votre exposé, après quoi nous passerons aux questions.

[Français]

M. André Lafond (sous-commissaire à la concurrence, Bureau de la concurrence): Merci, monsieur le président. Je m'appelle André Lafond.

[Traduction]

Je suis sous-commissaire de la concurrence, Direction des affaires civiles. Je suis accompagné de Chris Busuttil, sous- commissaire adjoint à la Direction des affaires civiles.

[Français]

Je suis heureux d'avoir l'occasion de comparaître aujourd'hui devant vous et les membres de votre comité, monsieur le président, afin de vous fournir des renseignements généraux au sujet de la Loi sur la concurrence et de la mission du Bureau de la concurrence.

[Traduction]

J'aimerais ici décrire brièvement l'objet de la Loi sur la concurrence ainsi que le rôle du commissaire de la concurrence et du Bureau de la concurrence. Je vous expliquerai ensuite en quelques mots notre position au sujet de l'analyse des marchés dans les cas où des allégations d'abus de position dominante ont été formulées. Enfin, je commenterai brièvement certaines questions pouvant se poser en ce qui a trait à la politique en matière de concurrence et à l'industrie canadienne de la vente de livres.

• 1125

[Français]

La Loi sur la concurrence est une loi-cadre visant à maintenir et à favoriser la concurrence au Canada en interdisant certaines pratiques commerciales anticoncurrentielles.

[Traduction]

Ces dispositions de la loi n'ont pas pour but de protéger les différents concurrents du marché, mais plutôt de promouvoir la concurrence afin de permettre aux consommatrices et aux consommateurs de bénéficier de meilleurs prix, d'un plus grand choix de produits et de produits de la plus grande qualité.

[Français]

La Loi sur la concurrence est une loi d'application générale qui couvre toutes les activités commerciales non réglementées. À titre de loi-cadre, la Loi sur la concurrence vise une cible claire et parfaitement définie, et ne porte pas sur l'examen d'autres questions d'ordre public comme la nationalité des propriétaires, les niveaux d'emploi ou les disparités économiques régionales.

La responsabilité relative à l'administration et à l'application de la Loi sur la concurrence est confiée au commissaire à la concurrence en vertu de ladite loi. Le Bureau de la concurrence, qui fait partie d'Industrie Canada, offre au commissaire les ressources et l'expertise dont il a besoin pour remplir sa mission. Le rôle dont le Bureau de la concurrence est investi en vertu de la loi est un rôle d'enquêteur. Lorsque nous avons des raisons de croire qu'une pratique donnée va à l'encontre de la loi, nous encourageons les entreprises à modifier leur comportement afin d'éliminer la source de préoccupation. Toutefois, le bureau n'est nullement autorisé, en vertu de la loi, à déterminer les règles de droit à appliquer, à contrôler les prix ou à contraindre directement les entreprises à modifier une politique ou un type de conduite donné.

[Traduction]

En qualité d'organisme d'application de la loi, le bureau a pour rôle de mener des enquêtes au sujet des agissements pouvant constituer une conduite anticoncurrentielle et, dans les cas opportuns, de porter ces cas à l'attention du tribunal compétent. En vertu des dispositions criminelles de la loi, le bureau doit demander au procureur général de prendre les mesures nécessaires pour que des poursuites soient engagées devant les tribunaux. En vertu des dispositions civiles de la loi, le bureau doit prouver au Tribunal de la concurrence qu'il y a eu contravention afin que le tribunal rende une ordonnance corrective.

Pour pouvoir prendre des mesures correctives contre les agissements anticoncurrentiels, il faut avoir en main la preuve que la conduite reprochée correspond aux critères et aux conditions définis dans les dispositions pertinentes de la loi. Il faut pouvoir prouver que la pratique a eu ou aura vraisemblablement pour effet de diminuer sensiblement la concurrence dans le marché en question.

[Français]

Les dispositions de la loi s'appliquent à un large éventail de pratiques commerciales, y compris l'abus de position dominante dans un marché, les fusionnements anticoncurrentiels, les complots visant à fixer ou à maintenir les prix, le télémarketing trompeur et d'autres activités définies dans la loi. L'article 79 de la loi vise à corriger les situations dans lesquelles une ou plusieurs entreprises se servent de leur position dominante pour empêcher ou diminuer sensiblement la concurrence. Il convient de souligner que le fait de dominer le marché par la suite d'une stratégie concurrentielle légitime ne va pas à l'encontre de la loi. Il y a matière à préoccupation lorsque cette forme de domination est utilisée de façon abusive au détriment de la concurrence.

[Traduction]

Pour obtenir du Tribunal de la concurrence une ordonnance corrective en vertu de cette disposition, il est nécessaire de prouver les trois éléments fondamentaux suivants: une ou plusieurs entreprises contrôlent sensiblement ou complètement un marché donné; l'entreprise ou les entreprises dominantes se sont livrées à des agissements anticoncurrentiels; la pratique a eu ou aura vraisemblablement pour effet d'empêcher ou de réduire sensiblement la concurrence dans un marché.

Lorsque le tribunal en arrive à la conclusion qu'une entreprise a utilisé sa position dominante de façon abusive, il peut interdire la pratique en question ou rendre toute autre ordonnance qu'il juge nécessaire dans les circonstances.

• 1130

[Français]

Le tribunal a décidé que le mot «contrôle» était synonyme de «puissance commerciale». L'exemple le plus simple de la puissance commerciale est le pouvoir d'augmenter les prix à des niveaux dépassant les niveaux concurrentiels pendant une période prolongée.

Il est parfois difficile d'évaluer directement la puissance commerciale. C'est pourquoi le bureau réunit des éléments de preuve et évalue un certain nombre de facteurs qualitatifs et quantitatifs. Toutefois, un des principaux facteurs auquel le bureau accorde beaucoup d'importance est la part du marché. Toutes choses étant égales, plus la part du marché que détient l'entreprise est élevée, plus il y a de chances qu'elle possède une puissance commerciale.

[Traduction]

Il n'existe aucune règle rigide concernant le lien entre la part du marché et l'existence d'une position dominante. Toutefois, la position générale du bureau en ce qui a trait à l'évaluation des allégations d'abus de position dominante est la suivante: une part du marché inférieure à 35 p. 100 ne fera généralement pas craindre la présence d'une position dominante ou d'une puissance commerciale; une part du marché de plus de 35 p. 100 donnera généralement lieu à un examen plus poussé; une part du marché supérieure à 50 p. 100 dans le cas d'une seule entreprise justifie une présomption de position dominante.

[Français]

J'aimerais maintenant consacrer quelques moments à l'examen de certaines questions pouvant se poser au sujet de la politique de la concurrence et de l'industrie canadienne de la vente du livre.

Le marché canadien de la vente du livre au Canada est à la fois diversifié et dynamique. De façon générale, au moment de définir le marché de la vente au détail du livre, le bureau examinerait les publications commerciales, c'est-à-dire les livres à grande diffusion et les livres reliés habituellement vendus dans les librairies traditionnelles, dans les grandes surfaces spécialisées dans les livres, ainsi que par l'entremise d'Internet. On ne considère pas les participants spécialisés qui offrent seulement un nombre limité de livres. Toutefois, on tiendrait compte de leur impact sur le marché si tel était le cas.

Est-ce que l'intégration verticale constitue une activité anticoncurrentielle au sens de la loi? La réponse est non. L'intégration verticale n'est pas anticoncurrentielle. De fait, elle peut représenter une stratégie qui favorise la concurrence et qui vise à rehausser l'efficience d'une entreprise. Toutefois, si des entreprises à intégration verticale se livrent à une pratique d'agissements anticoncurrentiels, le bureau n'hésite pas à intervenir.

[Traduction]

Le bureau sait que des fermetures de librairies indépendantes ont été signalées. À cet égard, il convient de souligner que de telles fermetures, quel que soit le secteur d'activité, ne donneront lieu à une intervention sous le régime de la Loi sur la concurrence que si elles découlent d'activités anticoncurrentielles sur le marché et non uniquement des pressions constantes inhérentes à un marché concurrentiel et dynamique.

La loi vise à faire en sorte que toutes les entreprises aient une possibilité des chances égales de se tailler une part du marché. Elle n'offre aucune protection spéciale à celles qui ne peuvent résister aux pressions d'un marché concurrentiel.

Au cours des entretiens que nous avons eus avec certains membres de l'industrie canadienne de la vente de livres, la question de savoir si l'analyse du bureau en application de la Loi sur la concurrence tiendrait compte des préoccupations d'ordre culturel a été soulevée. Comme je l'ai mentionné plus tôt, la loi est une loi d'application générale qui concerne d'abord et avant tout la concurrence. Par conséquent, elle ne porte pas sur l'examen d'autres questions d'ordre public comme la nationalité des propriétaires ou la nécessité de promouvoir et de maintenir des objectifs de nature culturelle. Cette position est compatible avec celle qu'appliquent les grands partenaires commerciaux du Canada en matière antitrust.

Lorsque les gouvernements décident que l'industrie doit faire l'objet d'un traitement spécial préférentiel, ils adoptent des programmes ou des textes de loi précis à l'égard de l'industrie en question. Ces activités de l'industrie qui relèvent d'une réglementation directe résultant de législations précises seraient exemptées d'un examen en vertu de la Loi sur la concurrence.

• 1135

[Français]

Comme les membres du comité le savent, le bureau a mené une enquête au sujet de la création de Pegasus par Chapters Inc. À cet égard, il importe de souligner que le bureau procède à ces examens en privé et que ses fonctionnaires sont liés par les dispositions de la loi qui concernent la confidentialité. Par conséquent, je puis fournir sur ce dossier uniquement des renseignements qui font partie du domaine public.

[Traduction]

Le bureau en est arrivé à la conclusion que la simple création de Pegasus par Chapters ne va pas à l'encontre de la Loi sur la concurrence. Les installations qui ont servi à la création de Pegasus appartenaient à Chapters avant d'être utilisées pour la mise sur pied de l'entreprise spécialisée dans la vente en gros. Leur transfert à Pegasus, qui appartient en majorité à Chapters, était d'abord et avant tout une réorganisation d'éléments d'actif plutôt qu'un changement de propriété.

Même si la création de Pegasus ne donne lieu à aucune préoccupation pouvant être visée par la Loi sur la concurrence, toute activité commerciale que Chapters ou Pegasus poursuit est assujettie à cette loi. Compte tenu de la présence importante de Chapters sur le marché ainsi que de l'évolution des activités commerciales de Pegasus, le bureau poursuit son enquête et surveille l'évolution du marché.

[Français]

En conclusion, monsieur le président, j'aimerais rappeler à tous les membres du comité que la Loi sur la concurrence vise à promouvoir et à réglementer la concurrence sur le marché. Lorsque certaines données indiquent l'existence d'activités anticoncurrentielles allant à l'encontre de la loi, le bureau n'hésite pas à porter ces questions à l'attention du tribunal compétent afin que les mesures correctives nécessaires soient prises.

Si vous avez des questions, nous nous ferons un plaisir d'y répondre, mon collègue et moi-même. Je vous remercie.

[Traduction]

Le vice-président (M. Dennis Mills): Merci beaucoup, monsieur Lafond.

Avant que je vous donne la parole pour débuter la période des questions, monsieur Mark, je voudrais poser à M. Lafond une question toute simple: À quand remonte le dernier examen de la Loi sur la concurrence par le Parlement?

M. André Lafond: Vous voulez parler du dernier examen complet?

Le vice-président (M. Dennis Mills): Oui.

M. André Lafond: Je crois qu'il remonte à 1986.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Très bien. Allez-y, monsieur Mark.

M. Inky Mark (Dauphin—Swan River, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.

Je tiens à remercier les témoins pour leur présence ici aujourd'hui. Il est très important que vous soyez là aujourd'hui parce que votre service est au coeur de toute cette question de la concurrence dans le secteur de l'édition du livre.

J'aimerais que vous nous expliquiez ce qu'il faut pour que le Bureau de la concurrence entreprenne une enquête. Dans le cas qui nous occupe, Chapters et Pegasus sont montrés du doigt. J'aimerais savoir combien de plaintes ou d'allégations le Bureau de la concurrence a reçues concernant le sujet dont nous discutons ici. À quand remonte cette affaire?

M. André Lafond: Que faut-il pour que le bureau entreprenne une enquête? C'est très simple. Nous faisons enquête après réception d'une seule ou de plusieurs plaintes. Dès que nous recevons une plainte, nous faisons un examen préliminaire. Si nous sommes d'avis que le problème qui nous est signalé tombe sous le coup de la loi, nous procédons à un examen. Si cet examen préliminaire révèle des activités anticoncurrentielles, nous passons à l'étape suivante, soit une enquête en bonne et due forme.

Quand nous faisons une enquête officielle, nous avons des pouvoirs d'enquête particuliers. Nous pouvons citer des témoins à comparaître, exiger la production de documents et exiger aussi des témoins des déclarations sous serment. Une fois l'enquête officielle terminée, nous pouvons décider de clore le dossier ou, si nous jugeons que la plainte est fondée, nous nous adressons au Tribunal de la concurrence. Nous lui demandons d'émettre une ordonnance exigeant de l'entreprise en cause qu'elle cesse la pratique en question ou qu'elle prenne les mesures que le tribunal juge indiquées pour corriger la situation.

• 1140

Il n'est donc pas nécessaire que nous recevions une multitude de plaintes. Il suffit généralement que nous en recevions une seule. Toutes les plaintes que nous recevons sont soumises à un examen, du moins à un examen préliminaire, pour déterminer si elles pourraient être fondées.

M. Inky Mark: En d'autres termes, vous dites qu'il n'est pas nécessaire que la plainte soit accompagnée de preuve. Il suffit que le plaignant croie qu'il y a violation de la Loi sur la concurrence.

Je reviens à ma question initiale: Combien de plaintes avez- vous reçues relativement à Chapters et à Pegasus, et à quand remonte la première plainte?

M. André Lafond: Je ne peux pas vous parler des détails de l'enquête sur Chapters-Pegasus qui se poursuit au bureau, à cause des dispositions de la Loi sur la confidentialité, mais je peux vous dire ce qui est du domaine public. L'enquête a débuté au printemps dernier quand la Canadian Booksellers Association a déposé une plainte auprès du bureau, et elle se poursuit toujours.

M. Inky Mark: Au cours du processus, avez-vous consulté la cible de l'enquête, Chapters-Pegasus?

M. André Lafond: Quand nous faisons une enquête, nous consultons diverses sources. Nous nous entretenons, bien entendu, avec le plaignant; nous nous entretenons avec des gens du milieu; et nous nous entretenons avec les entreprises visées par la plainte. Nous nous servons aussi de tous les éléments d'information dont nous disposons sur le secteur en cause et qui nous viennent de plaintes antérieures ou d'examens de questions semblables que nous avons faits par le passé.

Ainsi, nous consultons effectivement le secteur. Nous consultons effectivement aussi les associations et les entreprises du secteur. Nous avons accès à toutes les sources dont nous avons besoin pour nous acquitter de notre rôle quand nous enquêtons sur une plainte.

Ai-je répondu à votre question?

M. Inky Mark: Les progrès technologiques sont aussi en cause dans cette affaire. Êtes-vous en mesure de surveiller ou de vérifier les activités appartenant au domaine du cybercommerce pour confirmer vos données?

Le vice-président (M. Dennis Mills): Si j'ai bien compris votre témoignage, vous avez accès à tous les états financiers des entreprises. N'est-ce pas?

M. André Lafond: Si nous avons besoin de ces états financiers, nous y avons effectivement accès.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Comme c'est intéressant.

[Français]

Monsieur de Savoye.

M. Pierre de Savoye (Portneuf, BQ): Monsieur Lafond, ce que vous nous expliquez est très intéressant et je comprends bien les balises qui limitent l'objet de vos interventions. Je comprends aussi que vous laissez sous-entendre que ce n'est peut-être pas seulement une question de concurrence qui est en jeu ici. Il y a peut-être d'autres éléments auxquels le comité devra faire attention s'il veut s'assurer, sur le plan de la culture, qu'un certain nombre d'impératifs soient respectés, parce qu'ils ne relèvent pas purement et simplement des questions de la concurrence.

Ce que je comprends de ce que vous nous expliquez, c'est que vous avez entrepris une enquête et que cette enquête vous a permis de constater un certain nombre de faits qui ne sont pas nécessairement des accrocs à la Loi sur la concurrence, mais qui vous intriguent quand même suffisamment pour que vous ayez le désir de poursuivre cette enquête, ce que vous faites.

Nous avons eu l'occasion d'accueillir ici un certain nombre de témoins. Tout le monde sait qu'obtenir des informations précises n'est pas chose facile. Il y a une certaine réticence de la part de certains témoins à fournir des faits. Est-ce que vous avez le même problème? Est-ce que vous avez de la difficulté à obtenir de l'information factuelle de la part des plaignants? Est-ce que, comme nous, vous avez le pressentiment qu'ils craignent de s'avancer? Je vous demande de répondre sans révéler de faits précis.

M. André Lafond: C'est une très bonne question. C'est une question qui est certainement à l'esprit des personnes qui portent plainte au Bureau de la concurrence. Pour répondre directement à votre question, il y a, dans la Loi sur la concurrence, un article sur la confidentialité. Lorsqu'on a une plainte, à moins que le plaignant ne rende sa plainte publique, la compagnie contre qui la plainte a été déposée ne connaît même pas son nom. Toute l'information qui nous est donnée lorsque nous faisons enquête et lorsque nous travaillons sur un dossier est absolument confidentielle. Elle n'est pas transmise à qui que ce soit. Elle reste au bureau. Si on doit aller dans le marché en général pour obtenir de l'information, on utilise l'information qui nous a été donnée, mais de façon générique, afin qu'aucun plaignant ne soit identifié spécifiquement.

• 1145

Bien entendu, il peut y avoir certains cas où les gens ne voudront pas, de façon normale ou de façon volontaire, nous fournir les renseignements dont on a besoin. Cela s'applique autant aux plaignants qu'aux compagnies contre lesquelles les plaintes sont déposées. À ce moment-là, lorsque nous faisons une enquête formelle, nous pouvons obtenir une ordonnance de la cour enjoignant l'industrie ou la personne concernée de nous fournir les documents dont on a besoin ou de nous fournir une déposition écrite sous serment pour répondre à nos questions. Donc, s'ils ne veulent pas nous fournir ce dont on a besoin, on peut l'obtenir indirectement par une ordonnance de la cour. Mais toute l'information qui nous est fournie est de nature confidentielle et n'est pas divulguée sur le marché.

M. Pierre de Savoye: Je n'avais pas d'interrogation quant à la confidentialité des informations qui vous sont fournies, mais j'en avais quant au climat, en particulier dans ce cas-ci. Sentez-vous qu'il y a un malaise chez les plaignants qui portent plainte et qui doivent divulguer de l'information? Quel est le climat? Il est important que nous sachions comment l'industrie se sent face aux petits par rapport aux grands. Sentez-vous que les plaignants éprouvent un malaise à divulguer les problèmes par crainte de représailles? Au fond, c'est cela, ma question.

M. André Lafond: Encore une fois, je ne peux pas parler d'un cas précis. De manière générale, publiquement, les gens éprouvent peut-être une certaine crainte à parler ou à fournir des renseignements, mais ils ne devraient pas avoir ce problème par rapport à l'enquête qui se poursuit au Bureau de la concurrence.

M. Pierre de Savoye: Vous dites que les gens peuvent ressentir cela, mais en réalité, ils ne devraient pas s'inquiéter parce que vous assurez une confidentialité très étanche.

J'ai une dernière question, monsieur le président. Vous poursuivez votre enquête et vous êtes attentifs. Est-ce que vous établissez un échéancier pour déposer ou pour conclure cette enquête, ou faites-vous un suivi, peut-être pas perpétuel, mais que vous maintenez pendant un certain temps?

M. André Lafond: On n'a pas d'échéancier spécifique. Nous devons obtenir des preuves, s'il y en a, pour établir s'il y a une pratique anticoncurrentielle et lorsqu'on a des preuves, nous poursuivons notre examen. S'il n'y a pas de preuves, nous arrêtons notre examen.

À l'heure actuelle, nous faisons un examen; nous ne faisons pas encore enquête. La prochaine étape pourrait consister à mettre un terme à notre examen. À ce moment-là, les résultats de notre examen seront rendus publics, puisque la question est du domaine public, et nous allons indiquer clairement les raisons pour lesquelles nous avons décidé de mettre un terme à notre examen. Si nous poursuivons notre examen, l'industrie sera mise au courant du fait que nous le poursuivons.

Il est bien évident que dans tous les cas, nous essayons d'agir dans les délais les plus courts possibles.

M. Pierre de Savoye: Merci, monsieur Lafond.

M. André Lafond: Ça m'a fait plaisir.

[Traduction]

Le vice-président (M. Dennis Mills): Merci beaucoup.

Avant que je ne cède la parole à M. Bélanger, combien d'employés compte le Bureau de la concurrence?

M. André Lafond: Le Bureau de la concurrence compte 325 employés.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Combien d'entre eux sont des enquêteurs?

M. André Lafond: Il y en a 150 dans les bureaux régionaux. Le bureau est chargé d'appliquer quatre lois; il ne s'agit pas seulement de la Loi sur la concurrence. Il y a les lois sur l'étiquetage; il y a trois autres lois, les marques de commerce...

• 1150

Les enquêteurs en tant que tels sont peut-être au nombre de 150, mais je n'ai pas le nombre exact.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Que faut-il comme expérience ou comme formation pour être enquêteur?

M. André Lafond: La loi comporte deux volets. Le premier volet est juridique, puisque nous sommes chargés d'appliquer la loi; et la loi se fonde aussi sur les principes économiques qui régissent le marché, ou le fonctionnement des entreprises. Par conséquent, quand nous recrutons, nous cherchons des candidats qui ont une formation en sciences économiques, dans les affaires ou en droit. Nos enquêteurs proviennent donc essentiellement de ces trois filières.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Merci.

Monsieur Bélanger.

[Français]

M. Mauril Bélanger (Ottawa—Vanier, Lib.): Monsieur le président, je vais essayer d'y aller rapidement parce que j'ai plusieurs questions.

Premièrement, est-ce que la loi à laquelle vous êtes assujettis donne au bureau la responsabilité ou le droit d'intervenir auprès d'autres agences gouvernementales ou quasi judiciaires pour présenter un point de vue quelconque?

M. André Lafond: La réponse est oui.

M. Mauril Bélanger: Est-ce qu'il serait possible de connaître le nombre de fois où le bureau a demandé à intervenir auprès de telles agences, que ce soit le CRTC, la Commission du droit d'auteur ou d'autres agences, au cours des quelques dernières années? Est-ce qu'on pourrait savoir cela?

M. André Lafond: On pourrait vous donner cela, oui.

M. Mauril Bélanger: Est-ce fréquent?

M. André Lafond: Je dirais que, grosso modo, nous faisons une dizaine d'interventions par année.

M. Mauril Bélanger: D'accord.

M. André Lafond: Mais cela varie d'une année à l'autre.

M. Mauril Bélanger: Ce renseignement est-il disponible?

M. André Lafond: Oui, il est disponible et ça s'applique non seulement à des organismes fédéraux, mais aussi à des organismes provinciaux.

M. Mauril Bélanger: Deuxièmement, dans votre enquête préliminaire sur le sujet qui nous préoccupe, est-ce que vous êtes arrivés à une conclusion quant au pourcentage du marché détenu par Chapters présentement?

M. André Lafond: Non, pas spécifiquement, mais on sait que Chapters a une part importante du marché. Cela fait partie de notre analyse actuelle, qui se poursuit.

M. Mauril Bélanger: Vous n'êtes pas arrivés à une conclusion à cet effet.

M. André Lafond: Non.

M. Mauril Bélanger: D'accord. Si j'ai bien compris, l'analyse a débuté au printemps dernier. Au mois de novembre, quelqu'un de chez vous, M. Taylor, a envoyé une lettre à la Canadian Booksellers Association—j'ai déjà cité cette lettre au comité, d'ailleurs, et on l'a devant nous ce matin—disant que vous aviez toujours des préoccupations et que vous alliez continuer d'enquêter avant de décider de fermer le dossier ou de faire une enquête. Est-ce bien cela?

M. André Lafond: Oui.

M. Mauril Bélanger: Si j'ai bien suivi tout à l'heure, vous disiez que lorsque vous recevez une plainte, vous faites une analyse préliminaire. S'il y a lieu, vous faites une enquête préliminaire et s'il y a matière à enquête, vous faites ensuite une enquête formelle. Après l'enquête formelle, vous fermez le dossier et vous passez au recours judiciaire. Est-ce bien cela?

M. André Lafond: C'est ça.

M. Mauril Bélanger: On en est à l'enquête préliminaire. Combien de temps une enquête préliminaire peut-elle durer?

M. André Lafond: Il n'y a pas de temps spécifique pour cela.

M. Mauril Bélanger: D'habitude, y a-t-il une norme ou une moyenne?

M. André Lafond: Non, il n'y a pas de norme parce que chaque cas peut être différent. Parfois, cela peut prendre dix jours, deux semaines, deux mois. Cela dépend de la complexité du dossier.

M. Mauril Bélanger: Est-ce que ça peut prendre un an?

M. André Lafond: Non, pas normalement.

M. Mauril Bélanger: Mais cela fait un an qu'on travaille à cette enquête préliminaire.

M. André Lafond: Une plainte a été déposée au printemps dernier.

M. Mauril Bélanger: D'accord, mais vous ne savez pas combien de temps encore cela pourrait durer?

M. André Lafond: En ce moment, nous ne le savons pas.

M. Mauril Bélanger: Est-ce qu'il y a moyen de savoir quel genre de mesures proactives vous prenez pour aller au-devant des faits et inciter les gens à venir vous voir au lieu d'attendre que les gens viennent à vous? Est-ce que le bureau prend des mesures pour aller chercher l'information nécessaire? Par exemple, avez-vous fait quelque chose ou comptez-vous faire quelque chose pour aller au-devant des éditeurs de livres afin de connaître leur situation présente dans l'industrie? Est-ce que vous faites cela?

M. André Lafond: Nous faisons exactement deux choses. Dans un premier temps, bien entendu, nous encourageons tous ceux qui ont des renseignements spécifiques à nous donner à venir nous voir.

M. Mauril Bélanger: Comment le faites-vous?

• 1155

M. André Lafond: Les entreprises savent que nous faisons une enquête préliminaire. Elles savent que nous examinons un dossier particulier. Si elles ont quelque chose à nous donner, elles le font. Mais également, du côté du Bureau de la concurrence, on identifie certains joueurs dans le marché et on va les rencontrer ou leur parler. On le fait au téléphone ou elles viennent nous voir. On agit de façon proactive. On n'attend pas seulement que les gens viennent nous voir.

M. Mauril Bélanger: Est-ce qu'un organisme tel que ce comité-ci pourrait vous donner une liste de noms d'éditeurs et d'autres personnes à rencontrer? Est-ce que ce se serait une procédure acceptable?

M. André Lafond: Le comité peut nous fournir des noms. On pourra déterminer, à ce moment-là, si on doit tous les rencontrer ou en rencontrer certains. Il est entendu qu'on pourrait le faire. Il nous ferait plaisir de recevoir une telle liste.

M. Mauril Bélanger: On a eu vent...

M. André Lafond: Cela nous permettrait aussi de comparer.

M. Mauril Bélanger: Par exemple, il a été question dans les médias—ce n'est pas à huis clos—d'une compagnie à laquelle on aurait renvoyé tous les livres après qu'elle ait refusé d'accroître ses rabais tel qu'on l'avait incitée à le faire. Je me demande si, une fois que c'est dans les médias, on peut s'attendre à ce que le bureau aille voir cette compagnie pour enquêter.

M. André Lafond: Sur un dossier particulier, on tient compte de toute l'information qui est portée à notre attention, que ce soit de façon privée, de façon publique ou par l'entremise des médias. Si on croit qu'il y a lieu de rencontrer telle ou telle compagnie parce que cela va nous aider dans notre enquête, on le fait. On est proactifs de ce côté-là également.

M. Mauril Bélanger: J'y reviendrai plus tard. Selon ce que M. de Savoye et d'autres collègues ont entendu—ce n'est pas nous qui l'inventons—, certains éditeurs aimeraient faire part de leurs expériences avec Chapters-Pegasus. Cela a été dit par des témoins, comme vous pourrez le vérifier aux procès-verbaux du comité. D'ailleurs, je vous encourage à lire les procès-verbaux du comité, qui pourraient être révélateurs. Certaines compagnies hésitent à rendre publics leurs échanges ou leurs transactions avec Chapters-Pegasus par peur de représailles.

Je cherche à savoir de quelle façon nous pourrions vous aider à aller au fond des choses parce que pour moi, ce n'est pas acceptable que des gens aient peur de parler. Je trouve cela aberrant dans notre pays. Deuxièmement, si on veut en avoir le coeur net, il faut que ces gens-là fournissent ces renseignements, car s'ils ne le font pas, ça ne servira à rien. Ce ne seront que des insinuations, des allégations. Ça aussi, c'est aberrant.

Je comprends la nécessité de la confidentialité, mais si nous vous fournissons une liste spécifique, il faut que vous nous disiez si nous pouvons nous attendre à ce que vous fassiez enquête et que ces gens-là puissent être protégés par la clause de la confidentialité à laquelle vous êtes assujettis.

M. André Lafond: On va certainement leur parler.

M. Mauril Bélanger: Merci.

[Traduction]

Le vice-président (M. Dennis Mills): Excellent point, monsieur Bélanger.

Monsieur McTeague.

M. Dan McTeague (Pickering—Ajax—Uxbridge, Lib.): Merci, monsieur le président.

Monsieur Lafond et monsieur Busuttil, j'ai une certaine connaissance de ce dossier en rapport avec d'autres secteurs du marché, notamment ceux du pétrole et de l'alimentation. Les questions que je vous poserai visent donc essentiellement l'efficacité de votre loi telle qu'elle est formulée à l'heure actuelle.

Aux termes des dispositions relatives aux affaires civiles, le bureau doit prouver au Tribunal de la concurrence qu'il y a eu contravention, comme vous nous l'avez signalé. Premièrement, il ne s'agit pas vraiment ici de questions civiles, mais de questions pouvant faire l'objet d'un examen au civil. Est-ce exact?

M. André Lafond: C'est exact.

M. Dan McTeague: La distinction étant que chaque cas est examiné selon le fond du litige.

Je m'intéresse aux mots parce que les mots ont manifestement une signification importante pour l'application de cette loi. Quand on dit que, pour déterminer la taille du marché ou décider s'il y a eu abus, on se fonde sur le marché pertinent, pourriez-vous expliquer au comité quels sont les cas...? Dans l'affaire Clarke and Nova Scotia Pharmaceutical Society, il était question de collusion, plus particulièrement d'abus de position dominante. Qu'entend-on par marché pertinent dans le cas, par exemple, de NutraSweet?

Peut-être pourriez-vous expliquer les difficultés qu'a votre bureau à tenter de convaincre le tribunal d'un abus potentiel de situation dominante dansa le cas de Superior Propane.

• 1200

Ce serait ma première question, mais avant de vous demander d'y répondre, j'aimerais savoir si vous pouvez dire au comité si oui ou non, quand vous avez approuvé la fusion en 1995, vous avez tenu compte non pas de l'oligopole—soit le pouvoir qu'on a sur le marché de la vente au détail—mais l'oligopsone, soit le pouvoir de dire aux manufacturiers, ou en l'occurrence aux libraires, aux maisons d'édition et à d'autres encore, qu'ils risquent de se trouver dans une situation d'abus potentiel de position dominante. Avez-vous examiné cette équation avant d'approuver la fusion en 1995?

M. Chris Busuttil (sous-commissaire adjoint intérimaire de la concurrence, Bureau de la concurrence): Sommairement, je dirais que oui. Un article de documentation a paru au moment de l'examen de la fusion; j'en ai ici un exemplaire. Nous étions bien au courant du fait que tant Smith que Coles détenaient alors une importante part du marché. Je crois que nous avons mentionné qu'elle dépassait les 50 p. 100 du marché de la vente au détail. Par conséquent, nous avions reconnu qu'il y aurait un important pouvoir d'achat sur le marché. Alors ce genre d'oligopsone ou de monopsone...

M. Dan McTeague: On dépassait donc les seuils que vous venez de nous expliquer?

M. Chris Busuttil: Il est bien certain que cette fusion a été examinée avec beaucoup d'attention. Elle respectait certainement les lignes directrices pour l'application de la loi en matière de fusionnement, eu égard à la définition des marchés des produits, à ce qu'étaient les parts du marché, et aux principaux critères d'application de la loi. Oui, les seuils relatifs à la part du marché étaient certainement alors suffisants pour susciter un examen plus approfondi.

Au moment où on a fait connaître la décision d'autoriser la fusion, nous avons rédigé un document assez détaillé sur tous les aspects de l'affaire.

M. Dan McTeague: Si je pose la question, c'est que je constate maintenant que si vous avez approuvé une fusion en sachant qu'elle pouvait mener à cela et que vous l'avez néanmoins fait, cela aurait quelque chose à voir avec votre objectif énoncé à la page 4, à savoir que pour obtenir une ordonnance remédiatrice, il est nécessaire de prouver trois éléments, notamment qu'une ou plusieurs entreprises contrôlent sensiblement ou complètement un marché pertinent.

Si j'ai bien compris ce que vous avez dit, soit que le marché du livre au Canada est actuellement diversifié et dynamique, et si l'on tient compte des autres points que vous avez soulevés, soit qu'il semble y avoir beaucoup de concurrence provenant d'Internet, des grandes surfaces, et des librairies elles-mêmes... Si vous avez accepté—je ne veux pas me montrer désobligeant—l'excuse du marché pertinent pour vous permettre de dépasser impunément les seuils au point d'avoir le problème que vous avez aujourd'hui...

Est-ce le cas? A-t-on invoqué l'argument du marché pertinent? Parce que je veux parler du marché pertinent, s'il est effectivement vrai qu'il a permis l'implantation de ce quasi- monopole, tant pour la vente en gros que pour la vente au détail.

M. André Lafond: Au moment de la fusion?

M. Dan McTeague: Au moment de la fusion.

M. Chris Busuttil: Il faut faire la part des choses. Au moment de la fusion, on envisageait la fusion de Smith et Coles. Chapters et les magasins-entrepôts n'existaient pas. L'analyse du marché qu'on a effectuée à cette époque portait essentiellement sur la question de savoir si la fusion de Smith et Coles en 1995 créerait une puissance commerciale assez importante pour entraîner une baisse substantielle de la concurrence au sens des dispositions sur les fusions.

L'analyse effectuée à cette époque, qui a été publiée dans le communiqué d'alors, concluait essentiellement que les éléments probants disponibles ne donnaient pas à penser qu'on détenait ce marché en 1995.

M. Dan McTeague: Parce qu'on tenait compte du marché pertinent? Je voudrais bien comprendre. Vous avez examiné le marché pertinent et vous avez estimé que sa taille ne justifiait pas l'interdiction de la fusion.

M. Chris Busuttil: C'était certainement un élément important de l'analyse, c'est vrai.

M. Dan McTeague: Voici donc comment je vois la chose. D'après moi, la Loi sur la concurrence dit que le marché pertinent pourrait être, comme dans le cas de la Nova Scotia Pharmaceutical Society ou de NutraSweet—où vous avez réussi, et je vous en félicite—ou dans le cas de Clarke Transport en 1995, où le fret était arrangé, les prix truqués, et où plusieurs exploitants ont décidé qu'ils allaient, dans l'intention délibérée de fixer le prix du fret entre l'Ontario et l'ouest du Canada... Tant et si bien qu'à la Cour suprême du Canada à l'époque, si je me souviens bien, parce que le fret par camion n'était pas le marché pertinent et que le transport intermodal était aussi pris en compte, on a jugé qu'en fait on n'abusait pas du marché pertinent.

Ce qui m'inquiète ici, c'est que le seuil que vous établissez semble très bien en théorie, mais quand on le rapproche du problème du marché pertinent, on finit par automatiquement approuver toute fusion qui pourrait survenir au Canada. Même dans les cas où l'on peut légitimement établir que le marché pertinent est touché, comme on le constate dans le cas de Superior Propane, le tribunal va invoquer à n'en plus finir ces seuils assez élevés qui sont impossibles à atteindre selon les dispositions.

Existe-t-il actuellement à l'article 79 ou dans d'autres dispositions de la loi un mécanisme relatif à une ordonnance de cesser et de s'abstenir?

M. André Lafond: Pas pour l'instant.

M. Dan McTeague: Donc même si vous étiez persuadés que quelque chose ne va pas, vous n'auriez toujours pas la possibilité de faire appliquer la loi et de dire: «Écoutez, pour une période de 30 jours, de 50 jours, de 80 jours, ou peu importe la période, nous voulons que vous y mettiez la pédale douce jusqu'à ce que nous puissions effectivement voir ce qui s'est passé»? Autrement dit, vous ne pouvez empêcher le tort qui pourrait être commis, ce qu'invoquent ceux qui soutiennent qu'on les accule à la faillite?

• 1205

M. André Lafond: Le bureau n'a pas ce pouvoir. Nous devons nous adresser au Tribunal de la concurrence pour obtenir une ordonnance interlocutoire, et nous avons alors un délai précis pour présenter une demande au tribunal.

M. Dan McTeague: Si j'étais malade et voulais obtenir l'avis d'un médecin, je voudrais me trouver en mesure de m'adresser à ce tribunal. À moins que je puisse vous convaincre et que vous puissiez à votre tour convaincre le tribunal, ai-je le droit à titre privé d'avoir recours à ce tribunal? Autrement dit, supposons que je sois un libraire ou un éditeur, peu importe, et que mon entreprise ne pourra survivre plus de trois mois. Je ne peux pas vendre mon produit, parce que Pegasus, qui est la propriété de Chapters, exerce un tel contrôle sur l'industrie qu'à moins de me soumettre à leurs règles, d'accepter leurs remises, et d'offrir mon produit, je risque de ne pas pouvoir rester en affaires. Ne puis-je pas m'adresser au tribunal et demander une injonction?

M. André Lafond: Selon la loi, seul le commissaire peut s'adresser au tribunal pour faire valoir une demande à l'encontre de...

M. Dan McTeague: Contrairement à ce qui se passe aux États- Unis. Je vois que dans la lettre du bureau, il y a quelque temps, on comparait Barnes & Noble et Ingram aux États-Unis. Selon la loi dite Plaintiff Act aux États-Unis, je peux en tant que particulier dire: «J'ai été lésé; je suis touché», et m'adresser à tout tribunal compétent, mais je ne peux pas le faire au Canada. Très bien.

C'est ma dernière question, monsieur le président, avec votre permission.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Accordée. Vous vous en tirez bien.

M. Dan McTeague: Il y en aura probablement plusieurs autres.

Messieurs, je n'arrive pas vraiment à comprendre pourquoi votre bureau n'a pas eu recours à une ordonnance de cesser et de s'abstenir. S'il constate que les choses ne vont pas comme elles devraient, pourquoi ne pourrait-il pas recommander des mesures qui lui permettraient...?

Votre loi dit bien des choses, mais il semble pratiquement impossible de la mettre en application, et c'est en réalité un document plutôt obtus, parce que même s'il nous donne la chance de croire qu'il existe toutes sortes de mécanismes qui protègent le particulier et qui assurent la concurrence lorsque c'est possible, ce n'est pas... Nous avons une expression en français: C'est un peu boiteux. C'est le cas. Cette loi ne vous permet pas en fait de vous attaquer immédiatement à un problème. Il faut beaucoup de temps avant que vous puissiez agir.

Dans le cas qui nous occupe, si vous réussissez et que vous saisissez le tribunal de la question, pourrez-vous vous assurer que des entreprises comme Chapters ou d'autres compagnies qui se livrent à des activités semblables...? Si vous et le tribunal décidez qu'il y a en fait un problème, votre décision s'appliquera-t-elle également à d'autres industries? Cette décision aura-t-elle l'effet d'une injonction?

M. André Lafond: Lorsque nous présentons une demande au Tribunal de la concurrence, la décision rendue par ce dernier vaut seulement pour le dossier particulier dont il a été saisi, et non pas pour l'ensemble de l'industrie.

M. Dan McTeague: Monsieur Lafond, est-ce que ça ne rend pas votre travail plus difficile si vous devez procéder un dossier à la fois?

M. André Lafond: Eh bien, c'est le libellé de la loi, mais une fois que...

Le vice-président (M. Dennis Mills): Si vous permettez. Il ne faut pas oublier—et la question a été soulevée l'autre jour lorsque nous avons rencontré des représentants d'Investissement Canada—que s'il y a des lacunes dans la loi, c'est à nous qu'il appartient, à titre de législateur, de demander qu'on procède à un examen détaillé de la loi. Les fonctionnaires ne peuvent mettre en oeuvre que le texte qu'on leur a donné.

M. Dan McTeague: J'aimerais poser une dernière question, monsieur le président.

Le vice-président (M. Dennis Mills): D'accord.

M. Dan McTeague: Vous a-t-on signalé ou savez-vous après avoir procédé à cette enquête, si Chapters ou Pegasus prélève des coûts d'étalage, des droits de stockage et des droits d'entrepôt?

Le vice-président (M. Dennis Mills): Si vous permettez. Nombre de ceux qui suivent nos délibérations ne sauront peut-être pas ce que vous entendez par coûts d'étalage. Pourriez-vous nous expliquer de quoi il s'agit?

M. Dan McTeague: C'est la capacité d'un gros détaillant, peut- être par l'entremise de son service d'entrepôt, d'imposer des droits à une maison d'édition quelconque simplement pour placer ses livres sur les tablettes de ses grands magasins, puisque ces gros détaillants représentent une part importante du marché.

Savez-vous si c'est ce qui se produit avec Pegasus-Chapters?

M. André Lafond: Je ne peux pas répondre à cette question particulière, puisque cette situation fait l'objet d'une enquête, mais nous sommes au courant de l'existence de coûts d'étalage.

M. Dan McTeague: Ceux qui s'en sont plaints ont-ils soulevé ce problème dans des lettres qui ont été rendues publiques? Le savez-vous?

M. André Lafond: Pas à ma connaissance.

M. Dan McTeague: Très bien.

Monsieur Lafond, monsieur Busuttil, dans vos réponses, vous avez dit à certains députés ce qu'il faut faire, et je vous remercie de votre franchise.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Nous n'avons pas terminé.

M. Dan McTeague: J'ai terminé. Je ne peux pas poser d'autres questions.

Une voix: On cherche à obtenir le quorum à la Chambre.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Cela ne nous touchera pas.

Madame Lill.

• 1210

Mme Wendy Lill (Dartmouth, NPD): Merci beaucoup d'être venus nous rencontrer. J'ai trouvé particulièrement intéressants vos commentaires selon lesquels la Loi sur la concurrence n'accorde guère d'importance à la nationalité des propriétaires.

J'aimerais cependant poser une question à ce propos, car à mon avis, il y a lieu de s'inquiéter de la viabilité du secteur, et la propriété peut y être pour quelque chose. J'aimerais aborder une de mes grandes préoccupations. Lors de nos premières réunions au cours desquelles nous avons discuté de l'industrie de l'édition, j'ai demandé au libraire dominant du secteur s'il avait discuté de la possibilité d'une prise de contrôle avec une grande chaîne étrangère. On m'a répondu non, mais je m'inquiète toujours de cette possibilité.

Voici ce que je crains. Le secteur de l'édition est sous- capitalisé, c'est chronique. J'ai un communiqué provenant du ministre du Patrimoine canadien qui en parle justement, c'est en date du 20 janvier, après que l'on ait approuvé l'acquisition par Bertelsmann. Ce secteur souffre d'une sous-capitalisation chronique et ne résistera pas aux coups financiers. Je crois que vous le savez. Le joueur dominant continue de fermer ou, comme il le dit, «rationaliser» certains des magasins dont il est devenu propriétaire à la suite des fusions. Un nombre toujours croissant de libraires indépendants ferment leurs portes. Je dirais que c'est monnaie courante. Au moins 50 d'entre eux ont fermé leurs portes au cours des quelques dernières années. En fait, la chaîne Lichtmans a fermé ses portes le mois dernier; dix librairies ont donc fermé leurs portes.

Ainsi, si le joueur dominant prend la forme de la division du commerce électronique et que les grossistes perdent de l'argent et que le cours de l'action continue à baisser, ce qui est le cas, si j'ai bien compris... Cela pourrait s'expliquer de bien des façons: il pourrait s'agir d'une augmentation du coût par pied carré, ou des difficultés inhérentes de l'achat en ligne, peu importe, d'un acte de Dieu, ou du simple fait que les institutions financières commencent à liquider leurs actifs. Il me semble qu'il n'y a que deux possibilités qui demeurent, et je crois que cela est très important aux yeux du Bureau de la concurrence.

Cet important joueur pourrait commencer à renvoyer les stocks aux maisons d'édition, entraînant des mouvements négatifs de trésorerie dans ce secteur pendant tout un trimestre, ce qui forcerait nombre d'entre eux à fermer leurs portes. Cela doit à votre avis avoir un impact considérable sur la pertinence même du secteur. Ils pourraient même demander au gouvernement de modifier les règlements régissant l'investissement pour qu'une entreprise étrangère qui détient déjà des actions puisse augmenter son investissement... permettant ainsi de protéger les investissements historiques très importants que les Canadiens ont faits au fil des ans, des investissements qui, comme nous le savons, se chiffrent à plus d'un milliard de dollars pour les 30 dernières années dans cette industrie. Cela donnerait donc à une compagnie étrangère un vrai contrôle sur le secteur du détail et de la distribution des livres au Canada, simplement parce qu'on aurait cherché à sauver un secteur canadien.

Ce tableau que je viens de vous brosser n'est pas aussi invraisemblable que certains veulent le croire. Je suis tout particulièrement intéressée par le fait que vous dites que vous n'en êtes toujours qu'à l'étape de l'enquête. Les choses évoluent très rapidement. J'aimerais savoir quelles garanties vous pouvez donner à notre comité que vous pourriez empêcher ce genre de choses de se produire, que vous avez l'autorité d'empêcher ce genre de choses. Il est évident que nous avons là une industrie qui bat de l'aile. Elle ne saura résister aux coups durs. Des soubresauts critiques pourraient la détruire. En fait, à mon avis, c'est justement le genre de choses dont devrait s'inquiéter le Bureau de la concurrence.

Voici ma question: Quelles garanties pouvez-vous donner à notre comité que vous interviendrez pour empêcher ce genre de choses de se produire?

M. André Lafond: Vous soulevez plusieurs questions de politique gouvernementale dans cette intervention.

La garantie que je peux vous donner à l'égard de l'administration de la Loi sur la concurrence est que si, lors de notre enquête, nous pouvons démontrer qu'il y a des agissements anticoncurrentiels et que ces agissements ont un impact marqué sur la concurrence, nous saisirons, comme nous le ferions normalement, le Tribunal de la concurrence de cette affaire, lui demandant de prendre des mesures correctrices.

Mme Wendy Lill: Une situation comme celle-là est quand même unique. Il s'agit d'un secteur qui a été largement subventionné par le gouvernement canadien. Nous avons une industrie culturelle ici qui est bien différente—mais nous n'avons pas besoin d'en parler maintenant. Le fait demeure, cependant, que le Bureau de la concurrence a permis la présence d'un nouvel élément dans l'industrie, c'est-à-dire l'introduction d'un joueur dominant puis l'intégration verticale d'un grossiste, au moment même où l'argent des contribuables a été utilisé en grande quantités pour protéger, encourager et cultiver un secteur de l'édition au Canada.

• 1215

Ces choses pourraient en fait être—et semblent être aux yeux de tous ceux à qui nous avons parlé—sur une trajectoire de collision. Et que fait le Bureau de la concurrence dans cette affaire? Il semble avoir fait quelque chose qui en fait pourrait détruire cette industrie que les Canadiens et le gouvernement canadien épaulent depuis 30 ans. Je n'arrive simplement pas à comprendre comment nous pouvons laisser les choses dans cet état, sur cette trajectoire de collision.

M. André Lafond: Nous ne voudrions certainement pas que cette industrie disparaisse. C'est clair. Comme je l'ai dit dans les commentaires liminaires, nous sommes conscients d'une présence importante de certains des principaux intervenants de l'industrie et nous prendrons certainement les mesures que nous jugeons appropriées si des agissements anticoncurrentiels ont lieu, et si nous pouvons le prouver, nous saisirons le tribunal du dossier.

Mme Wendy Lill: J'aimerais poser une dernière petite question.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Certainement.

Mme Wendy Lill: En janvier dernier, le ministre M. Manley a en fait autorisé l'offre publique d'achat de Bertelsmann. À l'époque, la ministre Mme Copps a dit qu'elle était consciente des questions que soulevaient les éditeurs canadiens. J'ai ce communiqué en main. Pour cette raison, les deux ministres, M. Manley et Mme Copps, avaient

    convenu d'entreprendre une grande étude sur les défis qu'ils doivent relever face à la concurrence, y compris la sous- capitalisation chronique des entreprises nationales, en vue d'élaborer de nouvelles politiques et de nouveaux programmes qui renforceront le secteur canadien de l'édition du livre.

Je n'essaie pas de faire la drôle, mais je me demande si c'est ce que nous faisons actuellement ou si l'enquête en cours n'a rien à voir. Je ne le sais simplement pas. Qu'en est-il de cette étude que Mme Copps a annoncée il y a neuf mois? Il est clair que cela doit jouer un rôle dans ce que nous faisons tous actuellement, cet examen critique.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Cela concerne Patrimoine canadien.

M. Mauril Bélanger: Suis-je un témoin?

Des voix: Oh, oh!

M. Mauril Bélanger: Je prendrai note de la question et j'obtiendrai une réponse pour Mme Lill.

Mme Wendy Lill: Très bien.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Monsieur Bélanger.

[Français]

M. Mauril Bélanger: Monsieur Lafond, je vous ai demandé tout à l'heure si lors de votre enquête préliminaire, vous aviez déterminé quel pourcentage du marché Chapters et ses compagnies affiliées contrôlaient. Vous m'avez répondu que vous ne l'aviez pas fait. Est-ce vrai?

M. André Lafond: Nous ne sommes pas arrivés à dire...

M. Mauril Bélanger: Vous n'en étiez pas venus à une conclusion.

M. André Lafond: Nous n'avions pas conclu que c'était x p. 100.

M. Mauril Bélanger: À la suite des questions de mon collègue McTeague, je vais revenir là-dessus. Si le bureau avait conclu en 1995 que la fusion de Coles et Smith représentait plus de 50 p. 100 du marché, est-ce que vous seriez d'accord avec moi pour dire qu'aujourd'hui, Smith, Coles et toutes les grosses boîtes de Chapters, dont la croissance est fulgurante, ne représentent certainement pas un pourcentage moindre que celui de 1995?

M. André Lafond: Effectivement.

M. Mauril Bélanger: Est-ce qu'on peut alors affirmer—je vais reprendre les mots que vous avez prononcés—qu'il y a un cas prima facie de dominance? Une part du marché supérieure à 50 p. 100 dans le cas d'une seule entreprise constitue une preuve prima facie du fait que l'entreprise occupe une position dominante. Est-ce qu'on peut affirmer ça d'ores et déjà?

M. André Lafond: Oui.

[Traduction]

M. Chris Busuttil: Il est clair qu'au moment de la fusion on a conclu que Smith et Coles représentaient plus de 50 p. 100 des ventes de livres. À ce moment-là, à la suite de la fusion, Smith et Coles ont fermé certains magasins dans des centres commerciaux et ont redessiné ces services dans le format Chapters; il est clair que ce groupe détient toujours une part importante du marché.

En ce qui concerne la présomption de position dominante, on peut dire d'après la définition qu'une telle situation existe, mais celle-ci exige manifestement un examen plus poussé. Il ne suffit pas d'évaluer simplement la part du marché pour conclure qu'il y a position dominante. Il faut étudier tout cela en fonction d'autres facteurs, comme les obstacles à l'entrée dans le marché, la force réelle des autres concurrents sur le marché et la présence d'un pouvoir compensateur sur le marché par—en l'occurrence les maisons d'édition.

• 1220

M. Mauril Bélanger: Ce n'est pas ce dont je parle. Je parle de votre exposé, monsieur, sauf le respect que je vous dois.

Vous dites: «Il n'existe aucune règle rigide concernant le lien entre la part du marché et l'existence d'une position dominante.» Très bien. Puis vous ajoutez: «Toutefois, la position générale du bureau en ce qui a trait à l'évaluation des allégations d'abus de position dominante est la suivante». Au troisième point, on peut lire: «Une part du marché supérieure à 50 p. 100 dans le cas d'une seule entreprise justifie une présomption de position dominante.»

D'après ce qui est dit là, pouvons-nous conclure aujourd'hui, à partir de vos constatations de 1995 et de la croissance qu'a connue depuis l'entreprise, que cette entreprise a plus de 50 p. 100 du marché et qu'elle est donc dominante? Pouvons-nous conclure cela? Dans la négative, veuillez m'expliquer pourquoi.

M. André Lafond: Si cette entreprise détient une part du marché supérieure à 50 p. 100, elle est donc dominante.

M. Mauril Bélanger: Vous avez déterminé en 1995 que c'était le cas, n'est-ce-pas?

M. Chris Busuttil: Nous avons conclu en 1995 que Smith et Coles représentaient 50 p. 100 du marché.

M. Mauril Bélanger: Très bien. Êtes-vous au courant de faits qui pourraient nous pousser à conclure que la part du marché a diminué depuis?

M. Chris Busuttil: Nous savons que l'activité sur Internet a bondi. Il n'y a pas seulement Chapters qui offre des services sur Internet, mais également Amazon et Indigo. Nous savons qu'il a eu une grande transformation de la vente au détail depuis Smith et Coles d'autrefois.

Il y a toute une série de facteurs qui entrent en ligne de compte, et nous ne disons pas qu'ils ne détiennent pas une part importante du marché. Je suppose que ce que M. Lafond dit c'est que nous ne pouvons pas vous donner un chiffre exact aujourd'hui.

M. Mauril Bélanger: Je ne cherche pas à obtenir un chiffre exact. Il me semble simplement que c'est plus de 50 p. 100.

M. Chris Busuttil: Si l'on voulait appliquer les lignes directrices générales, à mon avis, la situation répondrait à la définition de présomption de position dominante.

M. Mauril Bélanger: Très bien.

Est-ce que cela suffirait normalement, si vous avez reçu des plaintes, pour déclencher ce que vous appelez dans votre texte une «enquête officielle»?

M. Chris Busuttil: Pas nécessairement. La dominance en soi n'est pas illégale. Acquérir une position dominante sur le marché n'est pas illégal.

M. Mauril Bélanger: Non, la dominance n'est pas illégale, mais des plaintes des gens qui croient que cette entreprise utilise cette position dominante pour...

M. Chris Busuttil: Mais il nous faudrait établir qu'il y a des motifs raisonnables de croire que l'entreprise dominante abuse de sa position sur le marché. C'est le seuil...

M. Mauril Bélanger: Nous n'avons pas le temps d'étudier cela en détail, mais j'aimerais vraiment bien comprendre.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Monsieur Bélanger, nous prendrons tout le temps que cette question mérite, et si c'est nécessaire nous reprendrons la question à notre prochaine réunion. Cela revêt une importance critique.

M. Mauril Bélanger: Je veux laisser mes collègues intervenir.

Une voix: Non, allez-y.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Qu'est-ce qui pousserait le bureau à lancer une enquête officielle?

M. Chris Busuttil: Si nous avons des motifs raisonnables de croire qu'il y a abus de la position dominante ou qu'il y a eu abus, nous pourrions faire enquête. Ce n'est pas...

M. Mauril Bélanger: Qu'entendez-vous s'il vous plaît par «motifs raisonnables de croire»?

M. Chris Busuttil: Vous passez aux détails.

M. André Lafond: Si nous avons des motifs raisonnables de croire, cela veut dire qu'on a des preuves.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Mais quelles sortes de preuves recherchez-vous?

M. Mauril Bélanger: Est-ce qu'un exemple suffit?

M. André Lafond: Certainement.

M. Mauril Bélanger: Avez-vous un exemple, monsieur, dans les médias? Firefly de Toronto a dit qu'elle ne se plierait pas aux demandes. Je rapporte les allégations que j'ai entendues. Je n'accuse personne. Publiquement, Firefly a dit qu'elle n'accepterait pas la demande de fixer une remise plus élevée, et pour cette raison, on a retourné à Firefly pour 1,1 million de dollars de livres, y compris des best-sellers.

Est-ce que ce n'est pas une preuve suffisante?

M. Chris Busuttil: Cela suffirait certainement pour nous pousser à étudier la situation pour vérifier si cette pratique était en fait un abus et non pas simplement une partie des pratiques générales du marché, des pratiques quotidiennes dans ce secteur.

M. Mauril Bélanger: Sauf le respect que je vous dois, monsieur, je crois que... Je peux vous fournir les coupures de journaux et des transcriptions d'émissions radio, où l'on fait rapport de cette situation. Je vous encourage à étudier ces plaintes de près. Il y en a d'autres.

Peut-être, puisque nous n'avons pas l'autorité nécessaire pour procéder à l'enquête—et en fait, j'aimerais le rappeler, ce n'est pas notre responsabilité—mais la vôtre, vous devriez le faire. Puis on pourrait tirer tout cela au clair.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Merci, monsieur Bélanger.

Avant de céder la parole à M. Mark, j'aimerais vous poser une question sur le personnel au Bureau de la concurrence.

La dernière fois que le Parlement a procédé à un examen détaillé de la loi, c'était en 1986. Nous savons tous qu'au cours des 15 dernières années, la fonction publique du Canada a connu des réductions marquées au niveau des ressources et du personnel. Est-ce que cela s'est produit également au Bureau de la concurrence? Est-ce que vos années-personnes au cours des 15 dernières années ont augmenté à cause des grandes pressions exercées sur vous à la suite des fusions et de la concentration du pouvoir dans tous les secteurs de l'économie? Quelle est la courbe au niveau des années-personnes de votre bureau? Est-ce que la courbe se dirige vers le bas ou vers le haut depuis les 15 dernières années?

• 1225

Pour vous donner un exemple bien précis, je suis un député du centre-ville de Toronto, et un des plus gros problèmes auxquels sont confrontés les députés de Toronto est le fait que pratiquement 70 p. 100 de notre temps est consacré aux questions touchant l'immigration. Le ministère de l'Immigration a réduit son personnel qui normalement s'occuperait des problèmes et des défis liés à l'immigration. Est-ce que le Bureau de la concurrence a vécu la même situation? Diriez-vous que vous avez tout le personnel qu'il vous faut, pas de doute?

M. André Lafond: Là, il faut que je plaide l'ignorance.

Des voix: Oh, oh!

Le vice-président (M. Dennis Mills): Très bien. N'en dites pas plus.

M. André Lafond: Je travaille au Bureau de la concurrence depuis trois ans, et je ne sais donc pas quel était le niveau des effectifs par le passé. Mais si vous le désirez, je peux vérifier et vous fournir les données sur les effectifs du bureau au cours des 10 ou 15 dernières années.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Ça nous serait très utile, tout particulièrement en ce qui a trait aux responsables des enquêtes.

M. André Lafond: Le nombre d'enquêteurs au bureau depuis les dix dernières années?

Le vice-président (M. Dennis Mills): À partir de l'examen de 1986 jusqu'à aujourd'hui, pour voir si les années-personnes ont augmenté ou diminué.

M. André Lafond: Nous serons heureux de vous fournir ces renseignements.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Merci.

Monsieur Mark.

M. Inky Mark: Merci, monsieur le président.

Je tiens à dire d'abord que selon moi, nous vivons toujours dans un pays où nous croyons que les gens peuvent réussir; si vous êtes le propriétaire d'une petite entreprise, vous pouvez prendre de l'expansion et vous tailler une plus grande part du marché. Cela se produit d'un océan à l'autre au Canada. Il n'y a rien de mal à réussir.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Qui a dit le contraire?

M. Inky Mark: C'est une observation que je tenais à faire.

M. Rick Limoges (Windsor—St. Clair, Lib.): Le profit n'est pas une chose vulgaire.

M. Inky Mark: De toute façon, je crois que la question fondamentale qui se pose c'est qu'il faut établir, comme M. McTeague l'a signalé dans sa question, quels sont les marchés pertinents. Je crois que c'est très difficile aujourd'hui en raison de l'évolution de la situation et des technologies.

Comme on nous l'a déjà dit, même dans le commerce électronique, le papier n'existera peut-être plus dans 20 ans. En fait, dans trois ans, il se pourrait qu'on ait des petites boîtes pour lire.

Ma première question se situe donc dans ce contexte. Je crois que vous avez besoin de bons renseignements pour prendre de bonnes décisions. Nous avons essayé de faire la même chose ici, en convoquant des témoins représentant tous les secteurs. Avez-vous parlé à des gens comme le Conseil canadien du commerce de détail afin de mieux comprendre l'état du marché, les échanges et la situation?

M. André Lafond: Nous avons accès et nous pouvons nous adresser à quiconque, selon nous...

M. Inky Mark: L'avez-vous fait?

M. André Lafond: ... détient des renseignements que nous recherchons pour mieux étudier une situation particulière dans le secteur. Je ne peux pas répondre précisément à votre question pour ce qui est de l'examen en cours du dossier de Chapters et Pegasus. Je m'excuse, mais cela est visé par les dispositions sur la confidentialité de la loi.

M. Inky Mark: J'aimerais également signaler que Mme Lill a mentionné que nous subventionnions de façon marquée le secteur de l'édition au Canada. En fait, 81 p. 100 des intervenants de ce secteur ne sont pas viables s'ils ne reçoivent pas de subventions. Est-ce là un facteur de l'équation lorsqu'on essaie d'analyser la concurrence, surtout quand nous parlons d'entreprises qui ne sont pas subventionnées? Est-ce que les subventions sont un facteur?

M. André Lafond: Comme je l'ai indiqué dans mes commentaires liminaires, la Loi sur la concurrence est une loi d'application générale et porte sur la concurrence sur le marché. Cette loi ne porte donc pas sur d'autres questions de politique gouvernementale comme la propriété ou les subventions d'un secteur particulier. Nous étudions la situation dans le secteur en question, les intervenants du secteur, la façon dont ils fonctionnent, et nous nous prononçons en fonction de ce que nous avons observé.

M. Chris Busuttil: Dans l'ensemble, dans la mesure où dans un certain secteur certains intervenants reçoivent des subventions, je crois que les subventions entreraient en ligne de compte lorsque vous procédez à une analyse visant à déterminer s'il y a des obstacles à l'accès au marché. Si vous examinez le cas d'une entreprise qui songe à participer à un marché où les concurrents déjà en place reçoivent des subventions importantes, évidemment ce facteur entrera en ligne de compte, et nous en tiendrons compte dans le cadre de notre analyse du marché.

• 1230

M. Inky Mark: Mais comment réagissez-vous face au fait que 81 p. 100 de l'industrie a reçu des subventions?

M. André Lafond: Je ne crois pas avoir bien saisi votre question.

M. Inky Mark: Lorsque 81 p. 100 des entreprises du secteur reçoivent des subventions sous une forme ou une autre pour être viables, il faut en tenir compte lorsque vous examinez la situation d'une ou deux entreprises qui ne reçoivent aucune subvention du gouvernement.

M. Chris Busuttil: Dans un sens général, cela entrerait en ligne de compte.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Monsieur de Savoye, voulez-vous poser une brève question?

[Français]

M. Pierre de Savoye: Oui.

[Traduction]

Le vice-président (M. Dennis Mills): Très bien. Puis nous passerons à M. McTeague.

[Français]

M. Pierre de Savoye: Lorsque M. Bélanger vous a demandé combien de cas il vous faudrait pour intervenir énergiquement, vous avez dit qu'il en faudrait un seul. M. Bélanger vous en a cité un et vous avez répondu: «Eh bien, il faudrait s'assurer que...».

Je pense que vous comprenez qu'on est très soucieux autour de cette table de la situation qu'on est en train de percevoir. On a entendu des témoins faire des allégations. Il est difficile pour nous en ce moment de cerner des cas précis qui permettraient d'enclencher des processus correctifs énergiques. J'ai senti que chez vous, dans vos propres enquêtes, vous vous trouviez aussi dans des situations semblables. C'est pourquoi vous faites un monitoring.

Si ce comité réussissait à obtenir de la part de certains témoins des cas précis, combien de temps vous faudrait-il pour intervenir d'une façon décisive?

[Traduction]

Le vice-président (M. Dennis Mills): C'est une bonne question.

M. André Lafond: C'est une excellente question.

[Français]

Dès que les faits sont devant nous, nous pouvons monter un dossier et le soumettre au Tribunal de la concurrence.

[Traduction]

Le vice-président (M. Dennis Mills): Monsieur McTeague.

Monsieur Busuttil, vouliez-vous ajouter quelque chose?

M. André Lafond: Oui. Mon collègue Chris m'a parlé du suivi de la conformité,

[Français]

ce qu'on appelle un continuum d'observation de la loi. Lorsque nous constatons qu'une entreprise a une pratique anticoncurrentielle qui a un impact majeur et substantiel sur la concurrence, nous pouvons régler le dossier de deux façons. Nous pouvons monter un cas complet et le présenter au Tribunal de la concurrence. Nous pouvons aussi nous rendre directement à la compagnie concernée et lui dire que nous avons identifié telles pratiques anticoncurrentielles et que si elle veut empêcher le Bureau de la concurrence d'aller au tribunal, elle doit volontairement cesser ces pratiques. Cette dernière solution peut s'avérer plus rapide jusqu'à un certain point, pourvu que la compagnie concernée soit prête à nous assurer sa collaboration.

Si vous consultez notre site Internet, vous constaterez qu'on y publie tous les cas qui ont été réglés par ce qu'on appelle une solution de rechange à un dossier. On publie sur ce site le nom des compagnies qui ont décidé volontairement de cesser une pratique que nous avons jugée anticoncurrentielle.

Alors, il y a deux façons de régler de tels problèmes. Il n'y a pas uniquement le tribunal. Si la compagnie en question est intéressée, comme cela arrive régulièrement, la situation peut être réglée de façon beaucoup plus rapide.

M. Pierre de Savoye: C'est publié sur une page Internet.

[Traduction]

Le vice-président (M. Dennis Mills): Merci.

Monsieur McTeague.

M. Dan McTeague: J'aimerais signaler que l'expérience que j'ai vécue dans le secteur de l'essence et des épiceries, ayant récemment remis au Bureau de la concurrence et au Comité de l'industrie...

Le vice-président (M. Dennis Mills): Qu'en est-il de la transformation des aliments?

M. Dan McTeague: La transformation des aliments aussi, la fabrication, en fait jusqu'à l'agriculteur, si cela vous rendra heureux, monsieur le président.

Il est devenu évident que même aux États-Unis, bien des gens craignent de fournir ce genre de renseignements de peur d'être la victime de représailles, ce qui démontre bien qu'il y a un but ou qu'il y a dominance d'un des intervenants sur le marché dans ces deux secteurs. Je crois que le bureau était parfaitement conscient du fait.

• 1235

Pourriez-vous nous expliquer brièvement—parce que j'ai trois autres questions que j'aimerais aborder—comment quelqu'un pourrait renseigner le bureau sur un problème sans divulguer son identité ou sans être certain de subir immédiatement des représailles? Comment pouvez-vous empêcher que des mesures de représailles soient prises contre quelqu'un qui fournit des renseignements qui pourraient nuire au fonctionnement ou en fait à l'existence de l'autre intervenant du secteur? Pouvez-vous protéger ces gens?

M. André Lafond: La seule protection et la principale protection que le bureau accorde à quiconque s'adresse à lui est la garantie e l'absolue confidentialité de son intervention. Nous ne divulguons pas qui a communiqué avec le bureau à moins que cette personne décide de rendre ce renseignement public.

M. Dan McTeague: Quand cela a-t-il changé? À l'origine...

M. André Lafond: Cela a toujours fait partie de la loi. L'article 29 de la loi porte sur la confidentialité.

M. Dan McTeague: Si je suis un transformateur de denrées alimentaires et que j'ai été la victime des agissements d'une importante chaîne d'épicerie, ou dans le cas qui nous occupe, d'une chaîne de librairies, et que je m'adresse au bureau, je suis certain que les renseignements que je vous donne ne seront jamais divulgués, qu'il n'y aura aucune question, et que si le tribunal est saisi du dossier, on ne me demandera pas de témoigner?

M. André Lafond: C'est là la différence. Lorsque nous présentons une demande au tribunal, nous devons expliquer clairement...

M. Dan McTeague: Je crois que vous comprenez pourquoi j'ai posé la question.

M. André Lafond: ... toutes les activités du dossier, et le tribunal voudra évidemment des témoins.

M. Dan McTeague: Dites-moi une chose. Pouvez-vous obtenir une ordonnance d'un membre du tribunal pour faire appliquer ce qui constitue à mon avis une interdiction, que vous n'avez pas obtenue pour le moment, ou faut-il s'adresser à l'ensemble du tribunal? Il y a là un groupe de personnes, des filles et des gars, je suppose...

M. André Lafond: Il n'est pas nécessaire de saisir tout le tribunal pour obtenir, par exemple...

M. Dan McTeague: Une seule personne suffit.

M. André Lafond: Une seule.

M. Dan McTeague: Je sais que certains de mes collègues ont des questions à poser, mais j'aimerais vous en poser une, monsieur Busuttil.

Il est peut-être déjà un peu tard pour réagir quand on pense à la taille de l'industrie et à ceux qui la contrôlent. Qu'est-ce qui constitue une pratique, selon vous? Cela semble plutôt flou. À mon avis, il existe une importante jurisprudence portant sur toute la question de la pratique. En fait, lorsque je commets une infraction aux termes de l'article 79, une éventuelle pratique anticoncurrentielle qui procède de l'abus de position dominante, ce n'est pas simplement que je pourrais réduire considérablement la concurrence en tant que telle, ce qui fait partie de vos lignes directrices d'exécution, mais je suis désormais confronté à la possibilité d'un intervenant dominant très puissant. Est-il vraiment difficile de déterminer ce qu'est une pratique?

M. Chris Busuttil: Je pense...

M. Dan McTeague: Pourquoi ce terme se trouve-t-il là, d'ailleurs? On dirait que vous avez ajouté toutes sortes de réserves qui vous empêchent de faire votre travail.

M. Chris Busuttil: La distinction n'est pas tant liée à la définition de pratique qu'au cas où celle-ci constitue une infraction à la loi. C'est pourquoi on parle de questions pouvant faire l'objet d'un examen, d'après mon interprétation. Je suis économiste et non avocat. Je m'en excuse mais...

M. Dan McTeague: Inutile, car ma question suivante s'adresse à vous.

M. Chris Busuttil: D'accord. Bon nombre des activités commerciales qui se déroulent ne visent pas à être anticoncurrentielles, et en fait, elles sont même souvent favorables à la concurrence ou sans incidence sur celle-ci.

Le tribunal a été très clair dans ses décisions passées quant à ce qui constitue une activité anticoncurrentielle, et il s'agit d'une activité visant à exclure, évincer ou discipliner d'autres concurrents sur le marché. Le seuil est donc la mesure dans laquelle cette activité a pour effet de réduire considérablement la concurrence, ce qui...

M. Dan McTeague: Cela mis à part, toutefois, s'il s'agit de pratique d'éviction, cela relève du Code criminel, ce qui prévoit un fardeau de la preuve différent, au-delà de tout doute raisonnable. Il n'est plus question de présomption.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Veuillez m'excuser, collègues. Nous sommes en retard aujourd'hui à cause du vote. Cette question est très importante et comme nous n'avons rien à l'ordre du jour de mardi, puis-je obtenir l'accord du comité pour demander à nos témoins de revenir? Certains membres du comité ont dit qu'ils avaient d'autres questions à poser. C'est en fait au...

M. Dan McTeague: J'ai une dernière question à poser.

Je regrette, je ne vous ai pas permis de conclure. Vous voulez peut-être terminer votre réponse à cette question, monsieur Busuttil.

M. Chris Busuttil: Si je vous ai bien compris, vous avez demandé ce qui constitue une pratique susceptible de nous inquiéter. En fait, j'ai dit que le tribunal a rendu des décisions très claires selon lesquelles les pratiques doivent donner lieu à des activités qui excluent, évincent ou disciplinent les concurrents, et je parle uniquement aux termes des dispositions de l'article 79.

• 1240

M. Dan McTeague: Vous comprenez ce qui me préoccupe. Vous agissez en chevaliers sans peur et sans reproche dans le dossier de Superior Propane, mais ici, nous sommes à la veille de la création d'un énorme monopole, selon certains, et le tribunal se contente de dire: «Aux termes des directives relatives aux fusions, cela ne pose pas nécessairement de problème. Nous n'avons pas encore pris de décision définitive», même si votre bureau dit: «Mince! Nous sommes confrontés à un véritable problème, étant donné ce qui s'est passé pour les agriculteurs il y a quatre ans dans tout le pays, lorsqu'ils ont connu des augmentations généralisées.»

Ce qui m'inquiète, c'est de savoir qui prend la décision et comment elle est appliquée. Si le tribunal attend de constater une pratique, mais qu'il avalise tout ce qui se passe dans le cas du dossier Superior Propane ou de Chapters, comment pouvez-vous agir? Comment pouvez-vous faire votre travail de manière efficace?

M. André Lafond: Pour ce qui est du dossier Propane, l'affaire est encore devant le tribunal. Ce dernier n'a pas encore rendu sa décision à ce sujet.

M. Dan McTeague: Très bien.

M. André Lafond: Quant au tribunal, c'est à nous qu'il incombe, lorsque nous le saisissons d'une demande, de le convaincre, preuves à l'appui, qu'il s'agit d'un agissement anticoncurrentiel qui nuit considérablement à la concurrence. Une fois le tribunal convaincu que c'est bien le cas, il émet une ordonnance.

M. Dan McTeague: Ma dernière question porte sur les directives d'exécution relatives aux fusions. Lorsqu'il a été décidé en 1995 de fixer le seuil à 50 p. 100, quelles autres considérations a-t-on pris en ligne de compte relativement à cet intervenant dominant qui était créé pratiquement par votre faute à l'époque?

J'ai entendu d'autres députés parler du courrier et du commerce électroniques. En 1995, je suis sûr que c'était un facteur, mais comment auriez-vous pu remplacer cet intervenant dominant par une autre entreprise? Et surtout, y a-t-il d'autres nouveaux venus sur le marché pour défier cette position dominante occupée par Chapters-Pegasus?

M. André Lafond: Chris et moi avons été engagés par la Direction des affaires civiles. La question que vous soulevée est en rapport avec les fusions et nous n'avons pas participé à cette analyse.

M. Dan McTeague: Auriez-vous l'obligeance de faire savoir plus tard au comité si ce facteur a été pris en ligne de compte et si la décision portait sur la question de substitution, conformément à la loi, en 1995? Je sais que l'exécution de cette fusion a été à une époque considérée comme un acte criminel, mais les choses ont changé depuis et je pense qu'en 1995, cela était considérée sous la rubrique des questions pouvant faire l'objet d'un examen au civil.

M. André Lafond: Nous le ferons volontiers.

M. Dan McTeague: Merci.

Merci, monsieur le président.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Madame Lill.

Mme Wendy Lill: Merci.

Je sais que vous avez dit que l'intégration verticale n'est pas anticoncurrentielle en tant que telle, mais nous avons entendu dire à maintes reprises que le fait que Pegasus serve de grossiste pour des libraires indépendants a mis ces derniers dans une situation désavantageuse du point de vue de la concurrence, pour des raisons de confidentialité. Les liens étroits qui existent entre Pegasus et Chapters permettent à ce dernier d'obtenir des renseignements sur les achats, les ventes et la santé financière des indépendants, dont le grossiste est Pegasus. J'aimerais donc savoir ce que compte faire le Bureau de la concurrence pour établir si l'intégration verticale est en fait anticoncurrentielle. C'est ma première question.

En outre, je reviens continuellement à cette question de la santé financière de l'entreprise dominante, car dans cette industrie, nous avons entendu dire que Chapters a peut-être connu un expansion trop rapide, ou que certains de ses secteurs ne sont pas vraiment très stables. On dit des choses comme: «Eh bien, nous pouvons toujours renvoyer les stocks», et nous savons ce que cela signifie pour une industrie très fragile de l'édition dont la marge bénéficiaire est minime.

Évaluez-vous la santé financière de l'entreprise dominante avant de lui laisser littéralement la bride sur le cou et lui permettre d'agir à sa guise sur le marché? Si vous ne surveillez pas ce genre de chose, je pense que cela risque en fait... Cela nous ramène à la responsabilité du Bureau de la concurrence de faire en sorte de prévenir les crises au sein d'une industrie fragile comme celle de l'édition canadienne.

J'ai donc deux questions: quand l'intégration verticale pose- t-elle problème, à votre avis, et quelle est la santé financière de ces intervenants dominants?

M. Chris Busuttil: Pour répondre à votre première question, si à première vue on ne considère pas l'intégration verticale comme néfaste, c'est parce qu'il y a de nombreuses raisons proconcurrentielles qui poussent une entreprise à souhaiter cette intégration: pour réaliser des économies d'échelle ou des économies sur le plan de la commercialisation ou de la distribution.

• 1245

Il y aurait lieu de nous inquiéter si l'intégration verticale était utilisée comme moyen d'abuser du pouvoir de marché dont l'entreprise jouissait auparavant, ou dans le cas où l'intégration verticale découle d'une fusion ou d'une alliance stratégique ayant pour d'effet d'accroître le pouvoir de marché.

Je vous prie de m'excuser de ces précisions un peu techniques, mais c'est l'explication.

M. André Lafond: En un mot, si à cause de l'intégration verticale, une activité qui se déroule est anticoncurrentielle et fait du tort au secteur et diminue considérablement la concurrence, alors nous prenons des mesures.

Mme Wendy Lill: Selon vous, la confidentialité des dossiers n'est-elle pas considérée comme la norme? Si, en vertu de l'intégration verticale, la confidentialité des dossiers de nombreuses entreprises n'est plus garantie, est-ce que ce n'est pas à première vue un agissement anticoncurrentiel?

M. Chris Busuttil: Si vous le permettez, j'aimerais présenter un modèle générique, de façon à éviter d'aborder des questions trop délicates.

Si une personne détient un énorme pouvoir d'achat sur un marché parce qu'elle achète des quantités énormes d'un produit donné, on peut soutenir qu'elle détient en même une énorme influence sur les vendeurs et les volumes d'achats. Si cette entreprise se réorganise de façon à séparer sa fonction vente de sa fonction achat, la réorganisation proprement dite est ce que l'on appelle une intégration verticale, un mouvement en amont. L'organisation proprement dite ne constitue pas nécessairement un agissement anticoncurrentiel.

Ce qui vous inquiète, c'est le pouvoir que détenait cette entité au départ d'obtenir certains renseignements. On peut dire qu'elle détenait ce pouvoir avant de prendre des mesures pour se réorganiser. Le simple fait d'être un acheteur important sur le marché lui a peut-être permis d'avoir accès à cette information, en raison du volume des achats effectués.

Il faut donc agir avec prudence et se demander si c'est l'activité de réorganisation, laquelle est au coeur de notre discussion, qui est anticoncurrentielle, ou si c'est l'activité qui découle du pouvoir de marché détenu par l'entité au départ qui constitue un agissement anticoncurrentiel.

Mme Wendy Lill: Mais c'est une chose que les éditeurs ont soumis à maintes reprises à notre attention, et je suppose que vous allez maintenant faire enquête à ce sujet pour établir si cette allégation est fondée en vertu de vos critères.

M. Chris Busuttil: Il vaut mieux en traiter de façon générale, étant donné que l'examen est en cours.

Pour répondre à votre deuxième question, au sujet de la santé financière, j'en reviens à ce qu'a dit M. Lafond. Notre mandat, d'après notre interprétation, consiste à promouvoir et à accroître la concurrence. Nous ne sommes pas des juri-comptables qui détiennent des pouvoirs législatifs pour vérifier la santé financière des entreprises.

Le seul cas où nous le ferons, c'est lorsqu'il y a une fusion à la suite d'une faillite d'entreprise. Nous tenons compte de la santé financière de cette entreprise lorsque nous évaluons l'incidence de la fusion par rapport à la faillite de cette entreprise. Toutefois, il ne nous appartient pas de commencer à faire des évaluations de la santé financière des entreprises et de nous prononcer sur cet aspect.

Mme Wendy Lill: Il me paraît intéressant que vous ayez surveillé la fusion de la création de Chapters pendant une période de trois ans, n'est-ce pas?

M. Chris Busuttil: Oui.

Mme Wendy Lill: Et à la fin de la période, je suppose que l'entreprise a réussi avec une bonne note. Après cela, il y a eu la création d'un tout nouveau département de vente en gros. On peut donc dire que vous surveillez la santé financière de l'entreprise dominante sur le marché.

M. Chris Busuttil: Nous suivons les activités. Nous continuons d'appliquer les dispositions au civil.

M. André Lafond: Nous parlons ici des dispositions relatives aux fusions. Lorsqu'une fusion est approuvée, il y a un certain délai au cours duquel le bureau continue de surveiller la situation, et ce délai est de trois ans.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Merci beaucoup.

Nous sommes un peu pressés par le temps. Certains députés ont d'autres engagements.

Voulez-vous poser une brève question, monsieur Bélanger? Ensuite il nous faudra voter rapidement pour éliminer la nécessité d'avoir le consentement unanime pour les 48 heures d'avis des motions.

M. Mauril Bélanger: Très rapidement.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Allez-y.

M. Mauril Bélanger: Je vous remercie monsieur le président et chers collègues, de votre indulgence. Nous avons eu là une réunion très importante et très productive. J'en suis très satisfait.

[Français]

Si le bureau décide de déclencher une enquête en bonne et due forme, est-ce que cette décision est rendue publique?

[Traduction]

M. Chris Busuttil: Non, normalement ce n'est pas annoncé publiquement. Cela ne veut pas dire que quelqu'un qui fait l'objet d'une enquête et qui l'apprend ne peut pas le rendre public mais ce n'est pas nous qui rendons cela public.

• 1250

M. André Lafond: Toutefois, lorsqu'il y a une enquête officielle, cela donne au bureau la possibilité d'user de certains pouvoirs spéciaux, dont l'un est de demander la production de documents, et pour cela, il nous faut faire une demande au tribunal, si bien que cela devient public.

M. Mauril Bélanger: Donc, si vous ne l'annoncez pas, comment les personnes concernées peuvent-elles savoir que vous le faites?

M. André Lafond: Lorsque nous avons affaire à certaines personnes dans ce secteur, nous leur disons ce qui se passe.

M. Chris Busuttil: D'autre part, il n'est pas nécessaire qu'il y ait une enquête officielle pour que quelqu'un qui s'inquiète vienne nous parler. Aussi, le simple fait d'entreprendre une enquête ne devrait pas...

M. Mauril Bélanger: Je n'ai pas le temps, mais j'aimerais...

Le vice-président (M. Dennis Mills): Excusez-moi, monsieur Bélanger.

Pendant que tout le monde est encore ici, pensez-vous qu'il serait utile d'avoir une autre séance mardi avec le Bureau de la concurrence? C'est très important et je pense que nous devrions tous avoir l'impression d'avoir épuisé le sujet...

M. Mauril Bélanger: Comme vous, je m'en remets au comité.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Madame Lill et monsieur de Savoye, pensez-vous qu'il serait utile d'avoir une autre réunion?

[Français]

M. Pierre de Savoye: Je pense qu'on a compris le message. Il va falloir des cas précis. Le reste est peut-être bien instructif, mais ça ne provoquera pas l'action. Si nous voulons de l'action, nous devons faire autre chose maintenant. Il faudra peut-être que certains témoins viennent nous voir.

[Traduction]

Le vice-président (M. Dennis Mills): Nous suivrons votre conseil.

Je tiens à remercier nos témoins de l'excellente séance qu'ils nous ont permis d'avoir. Comme vous le comprenez, les députés examinent toute cette question du Bureau de la concurrence et je suis sûr qu'au cours des prochains mois nous aurons des rencontres plus régulières sur tout un éventail de questions et pas simplement sur les libraires. Merci beaucoup d'être venus.

M. Mauril Bélanger: Peut-être pourrions-nous aussi distribuer la décision de 1995.

Le vice-président (M. Dennis Mills): D'accord, très bien.

Monsieur Lafond, pourriez-vous demander à votre responsable de l'étiquetage...? Vous avez un service de l'étiquetage.

M. André Lafond: Oui, la direction des pratiques loyales des affaires. Joanne d'Auray.

Le vice-président (M. Dennis Mills): D'accord. Pourriez-vous lui demander de m'appeler à mon bureau?

M. André Lafond: Certainement.

Le vice-président (M. Dennis Mills): Très bien. Merci beaucoup.

Maintenant, chers collègues, nous allons siéger à huis clos et prendre trois ou quatre minutes pour régler ces différentes questions.

[La séance se poursuit à huis clos]