SNUD Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le jeudi 13 juin 2002
¹ | 1540 |
La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)) |
M. Jean-Sébastien Fallu (Groupe de recherche et d'intervention psychosociale de Montréal) |
¹ | 1545 |
La présidente |
Dr Vamos (directeur, Centre de réadaptation Le Portage) |
La présidente |
Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne) |
La présidente |
M. Jean-Sébastien Fallu |
La présidente |
M. Jean-Sébastien Fallu |
M. Kevin Sorenson |
La présidente |
M. Jean-Sébastien Fallu |
La présidente |
Dr Peter Vamos |
¹ | 1550 |
¹ | 1555 |
º | 1600 |
La présidente |
Mme Carole Morissette (témoignage à titre personnel) |
º | 1605 |
º | 1610 |
º | 1615 |
La présidente |
Dr Mark Zoccolillo (professeur agrégé de psychiatrie et professeur adjoint de pédiatrie, Université McGill) |
º | 1620 |
º | 1625 |
º | 1630 |
La présidente |
Dr Mark Zoccolillo |
La présidente |
Dr Mark Zoccolillo |
La présidente |
Dr Mark Zoccolillo |
La présidente |
M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ) |
La présidente |
M. Mac Harb (Ottawa-Centre, Lib.) |
M. Réal Ménard |
La présidente |
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.) |
La présidente |
M. Réal Ménard |
Mme Carole Morissette |
º | 1635 |
M. Réal Ménard |
Dr Mark Zoccolillo |
M. Réal Ménard |
Dr Mark Zoccolillo |
M. Jean-Sébastien Fallu |
º | 1640 |
M. Réal Ménard |
Dr Mark Zoccolillo |
M. Réal Ménard |
Dr Mark Zoccolillo |
M. Réal Ménard |
La présidente |
M. Mac Harb |
Dr Mark Zoccolillo |
M. Mac Harb |
Dr Mark Zoccolillo |
M. Mac Harb |
º | 1645 |
Dr Mark Zoccolillo |
M. Mac Harb |
Dr Mark Zoccolillo |
M. Mac Harb |
Mme Carole Morissette |
M. Mac Harb |
M. Jean-Sébastien Fallu |
La présidente |
Dr Peter Vamos |
º | 1650 |
La présidente |
Mme Carole Morissette |
La présidente |
M. Dominic LeBlanc (Beauséjour—Petitcodiac, Lib.) |
º | 1655 |
Mme Carole Morissette |
M. Dominic LeBlanc |
Mme Carole Morissette |
» | 1700 |
M. Dominic LeBlanc |
La présidente |
Dr Mark Zoccolillo |
La présidente |
Dr Mark Zoccolillo |
La présidente |
Dr Peter Vamos |
La présidente |
» | 1705 |
Dr Peter Vamos |
La présidente |
Dr Peter Vamos |
» | 1710 |
La présidente |
Dr Mark Zoccolillo |
La présidente |
Dr Mark Zoccolillo |
La présidente |
Dr Mark Zoccolillo |
La présidente |
Dr Mark Zoccolillo |
» | 1715 |
La présidente |
Dr Mark Zoccolillo |
La présidente |
Dr Mark Zoccolillo |
La présidente |
Dr Mark Zoccolillo |
La présidente |
Dr Mark Zoccolillo |
La présidente |
M. Jean-Sébastien Fallu |
M. Derek Lee |
Dr Mark Zoccolillo |
» | 1720 |
M. Derek Lee |
Dr Mark Zoccolillo |
M. Derek Lee |
Dr Mark Zoccolillo |
M. Derek Lee |
Dr Mark Zoccolillo |
M. Derek Lee |
Dr Mark Zoccolillo |
M. Derek Lee |
Dr Mark Zoccolillo |
M. Derek Lee |
Dr Mark Zoccolillo |
M. Derek Lee |
La présidente |
M. Jean-Sébastien Fallu |
La présidente |
Mme Carole Morissette |
» | 1725 |
La présidente |
Dr Peter Vamos |
La présidente |
Mme Carole Morissette |
» | 1730 |
La présidente |
Mme Carole Morissette |
La présidente |
Mme Carole Morissette |
La présidente |
M. Réal Ménard |
» | 1735 |
Dr Mark Zoccolillo |
La présidente |
M. Jean-Sébastien Fallu |
» | 1740 |
M. Réal Ménard |
M. Jean-Sébastien Fallu |
M. Réal Ménard |
Mme Carole Morissette |
La présidente |
Dr Mark Zoccolillo |
Une voix |
M. Jean-Sébastien Fallu |
La présidente |
CANADA
Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le jeudi 13 juin 2002
[Enregistrement électronique]
¹ (1540)
[Traduction]
La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)): La séance est ouverte. Nous sommes le Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments. Notre comité a été institué en mai 2001, en vertu d'un ordre de la Chambre des communes, pour examiner les facteurs sous-jacents ou relatifs à la consommation non médicale de drogues ou médicaments. En avril 2002, on nous a également renvoyé le sujet du projet de loi C-344, Loi modifiant la Loi sur les contraventions et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (marihuana), qui est un projet de loi d'initiative parlementaire.
Nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui Mme Carole Morissette, spécialiste en santé communautaire, à titre personnel, M. Mark Zoccolillo, professeur agrégé de psychiatrie et professeur adjoint de pédiatrie de l'Université McGill, M. Peter Vamos, directeur du Centre d'accueil le Programme Portage et M. Jean-Sébastien Fallu, du Groupe de recherche d'intérêt public au Québec.
[Français]
Bienvenue tout le monde. Nous débuterons avec M. Fallu ou M. Vamos.
M. Jean-Sébastien Fallu (Groupe de recherche et d'intervention psychosociale de Montréal): Bonjour.
Premièrement, nous sommes le Groupe de recherche et d'intervention psychosociale.
Si j'ai bien compris, on nous a demandé de parler aujourd'hui des raisons pour lesquelles les gens consomment des drogues prévues à des fins médicales à des fins non médicales et de ce qu'il faut faire face à ce phénomène.
J'aimerais d'abord rappeler quelques faits. L'usage de drogues est universel. Même certains animaux utilisent des drogues de façon non médicale. Le wapiti, avant de traverser la toundra, consomme et mâche la feuille de coca de façon vraiment utilitaire, non médicale. On se rend compte au Québec que jusqu'à 60 p. 100 des jeunes de moins de 18 ans ont déjà consommé de la marijuana, ce qui est assez inquiétant et bizarre face à la situation légale. On se rend compte aussi que beaucoup de jeunes qui n'auront pas de problèmes d'adaptation psychosociale vont consommer des drogues de façon expérimentale. Il y a même des études qui démontrent que les jeunes qui font l'expérience de drogues avaient une meilleure santé mentale au début de l'enfance et la garderont à la fin de l'adolescence et au début de l'âge adulte que ceux qui en abusent ou qui n'en ont jamais consommé. C'est quand même assez intéressant.
Il faut se rappeler aussi que la classification des drogues dans notre société repose beaucoup plus sur des critères politiques, culturels et économiques que pharmacologiques, ce qui fait que plusieurs substances légales sont plus toxiques que des substances non légales. C'est une chose, entre autres, qui peut pousser certains individus, dans leur objectivité, à choisir de consommer des drogues illégales moins toxiques que des drogues légales.
On se rend compte aussi que la prévention de l'usage ne fonctionne pas tellement. Auprès des gens qui consomment déjà, la prévention ne fonctionne carrément pas. C'est pour cela qu'on pense de plus en plus à aller vers des politiques de réduction des méfaits qui complémenteraient aussi d'autres approches et d'autres objectifs visant à retarder l'usage, à retarder l'abus, à empêcher, dans la mesure du possible, qu'il y ait aussi une variété de drogues.
Mais le premier objectif d'une politique sociale quelconque est vraiment de réduire les méfaits et d'empêcher qu'il y ait des conséquences négatives. Il ne faut pas oublier aussi que dans toute la situation de la consommation de drogues, la législation laisse au milieu criminel beaucoup de marge de manoeuvre pour faire de gros profits. Or, cet argent, il faut se le rappeler, est utilisé pour corrompe des individus. Je ne veux pointer personne du doigt, mais il y aura toujours des individus qui vont succomber à un ou deux ans de salaire pour fermer les yeux sur une petite chose.
On se rend compte aussi qu'au niveau des jeunes, le « pot » et les substances illégales douces sont plus accessibles que le tabac, sur lequel on a légiféré. On peut difficilement en acheter au dépanneur, alors que les vendeurs de drogue circulent dans la rue tout près. Il faut aussi se rappeler que les lois qui interdisent l'usage avant l'âge de 18 ans sont à double tranchant. On envoie un double message. On dit aux jeunes que s'ils consomment, ils sont, symboliquement, des adultes. Donc, cela incite parfois les jeunes à consommer.
On parle souvent des conséquences de l'usage, mais il faut faire attention. Quand on tient compte des caractéristiques personnelles des individus, on se rend compte que souvent les conséquences qu'on peut voir associées à la drogue sont finalement des conséquences des caractéristiques personnelles concomitantes et qui ont l'air d'être reliées entre elles, mais que cela n'est souvent qu'une coïncidence.
On le voit dans les études, la loi réduit souvent l'usage, effectivement, donc elle limite l'abus. Mais cela n'élimine pas le problème, et la loi seule ne peut pas régler les problèmes de la consommation de drogues non médicales.
Pour nous, au GRIP, c'est sûr que l'éducation est très importante pour contrer les risques et pour le développement des habiletés sociales chez les jeunes comme chez les adolescents. Cela est important aussi pour nos projets comme celui d'offrir un service de testing à la population; le testing étant d'offrir aux gens de vérifier la qualité des substances qu'ils se sont procurées sur le marché noir. Il faut être réaliste: malgré le caractère illégal de la consommation de drogues non médicales, il y a toujours eu et il y aura toujours des gens qui vont en consommer.
¹ (1545)
Il faut se pencher sur ce problème sérieusement. Pour nous, la vérification de la qualité des substances psychotropes est un moyen de le faire, mais ce n'est pas le seul. J'ai parlé d'éducation; il y a aussi l'information sur les moyens de réduire les risques. Il est certain que si on regarde des interventions comme l'Opération Nez rouge et qu'on veut enrayer la consommation avec un programme comme celui-là, ça ne fonctionnera pas. Mais si on a un objectif de réduire les méfaits, de faire en sorte que les gens ne conduisent pas en état d'ébriété, l'Opération Nez rouge fonctionne. Je dis cela parce qu'on évalue souvent les programmes de prévention et les politiques sociales en termes d'abstinence. Mais si on changeait un peu nos façons d'évaluer le fonctionnement, l'efficacité de l'intervention, on pourrait voir qu'on arrive à réduire les méfaits. Certaines études démontrent qu'on peut réduire les méfaits, et c'est efficace, contrairement à des objectifs utopistes d'abstinence.
Parmi les facteurs qui poussent à consommer, l'aliénation sociale en est un. Il y en a plusieurs. Il y a des facteurs individuels, environnementaux. On pourrait en nommer plusieurs. Je sais que vous êtes intéressés à entendre les facteurs. Je pense que l'aliénation ressentie par les jeunes face à la société capitaliste, productiviste en est un. Je pense--c'est une opinion--qu'il y a là une corrélation avec l'augmentation de la consommation de drogue.
Je ne sais pas si cela répond un peu à vos attentes. Je n'avais pas eu énormément de consignes à ce sujet. C'est ce que j'avais préparé.
[Traduction]
La présidente: Thank you very much.
Monsieur Vamos.
M. Peter Vamos (directeur, Centre de réadaptation Le Portage): Merci.
Je m'appelle Peter Vamos. Je suis directeur général du Programme Portage.
La présidente: Un instant, je vous prie!
Avez-vous une question à poser, monsieur Sorenson?
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne): Oui, je me demandais où...
[Français]
La présidente: Monsieur Fallu, pourriez-vous répéter le nom de votre groupe?
M. Jean-Sébastien Fallu: Oui, c'est le GRIP de Montréal.
[Traduction]
Ce n'est pas l'autre GRIP.
[Français]
La présidente: Le GRIP de Montréal.
M. Jean-Sébastien Fallu: C'est le Groupe de recherche et d'intervention psychosociale.
[Traduction]
M. Kevin Sorenson: Je me demandais s'il n'y a pas une appellation anglaise pour le groupe d'intervention et de recherches psychosociales.
La présidente: Lorsqu'il s'agit du nom exact d'un organisme, on emploie le français et c'est la même chose en anglais.
Est-ce «public intervention in Quebec» or «in Montreal?»
[Français]
M. Jean-Sébastien Fallu: Nous sommes le Groupe de recherche et d'intervention psychosociale de Montréal.
[Traduction]
La présidente: Thank you very much.
I am sorry, monsieur Vamos.
M. Peter Vamos: Bonjour, mesdames et messieurs.
Je m'appelle Peter Vamos. Je suis directeur général du Programme Portage. Il s'agit d'un plus vieux et plus grand programme canadien de traitement des divers types de toxicomanie. Portage a été créé à Montréal en 1970 par un groupe de leaders communautaires, de professionnels et de bénévoles représentant les communautés francophone et anglophone qui étaient préoccupées au sujet du problème de la drogue dans leur ville.
Portage a ouvert son premier centre de traitement dans les Laurentides, au nord de Montréal, en 1973. Au fil des années, Portage a étendu ses services au Québec à la ville de Québec et à l'est de la province; il a en outre ouvert des centres de traitement en Ontario et au Nouveau-Brunswick.
En janvier 2001, Portage a inauguré un nouveau centre de traitement dans l'ouest de l'île de Montréal pour fournir des services à des adolescents anglophones. Portage a actuellement dix centres de traitement au Canada et a également aidé à en établir en Europe, en Asie et dans d'autres régions d'Amérique du Nord. Portage offre des services de traitement ambulatoire et en établissement à des adultes des deux sexes, à des adolescents, à des femmes toxicomanes ayant des enfants en bas âge, à des consommateurs de substances psychoactives atteints de maladie mentale ainsi qu'à des délinquants ayant des difficultés liées à la drogue.
Portage fournit en outre des services de formation et de consultation sur la toxicomanie dans les secteurs de la santé, de l'éducation et de la justice. Portage est un organisme sans but lucratif financé grâce à l'appui de la population et d'entreprises privées. Un conseil d'administration composé de 25 membres supervise les activités de l'organisation et les intérêts de la collectivité sont représentés au sein de son conseil des gouverneurs national composé de 150 membres. L'administration courante des programmes relève d'un directeur général—c'est moi-même—et d'une équipe de gestion responsable des finances, de l'administration, des communications et du développement.
Portage est considéré comme une option de traitement rentable parce que le programme met beaucoup l'accent sur l'autonomie et que les pensionnaires participent au fonctionnement journalier des centres de traitement dans le cadre de leur thérapie. L'approche de Portage en matière de traitement est fondée sur les principes de la communauté thérapeutique: l'entraide et l'effort personnel. Portage emploie plusieurs techniques thérapeutiques, notamment le jeu de rôles, la consultation de groupe ou personnelle et la planification commune du traitement pour aider les pensionnaires à modifier leur comportement. Nos pensionnaires apprennent à raisonner, à gérer de fortes émotions et à s'entendre avec les autres personnes.
L'éducation et les sports jouent également un rôle important dans notre programme de traitement. Dans tous ses centres, Portage a en place un programme éducatif spécialisé pour les adolescents et les adultes. L'académie de Portage—c'est ainsi que nous appelons nous programmes scolaires—est fondée sur le modèle éducatif de l'autoamélioration. À l'académie de Portage, les clients travaillent à leur propre rythme dans de petites classes où l'on suit un programme modulaire. Le programme d'éducation fait partie intégrante de notre processus de traitement et est conçu pour que les clients qui doivent terminer leur certification d'études secondaires aient l'occasion de le faire pendant leur séjour. Dans toutes les provinces, nous avons eu la grande chance d'obtenir une excellente collaboration de la part des ministères de l'Éducation pour atteindre cet objectif.
Portage offre un continuum en matière de soins, apportant un appui constant aux pensionnaires et à leur famille avant même l'admission jusqu'à un an après la fin du traitement. Portage est convaincu que le traitement est efficace et que la toxicomanie peut être vaincue. Portage reconnaît le pouvoir d'autoguérison des patients et cette guérison est possible grâce au pouvoir thérapeutique de la communauté. Portage considère la toxicomanie comme un problème de santé et comme un symptôme d'une mauvaise adaptation psychosociale, qui rend les relations enrichissantes difficiles et pousse les individus à chercher à échapper au stress de la vie par les drogues ou les médicaments.
La communauté thérapeutique de Portage met l'accent sur l'apprentissage social. Portage pense qu'en prenant la responsabilité de ses problèmes personnels et comportements, on devient responsable et autonome et qu'on peut devenir un modèle plausible pour les autres. Un objectif important du traitement est d'aider à modifier les comportements et attitudes négatifs susceptibles d'inciter à consommer de la drogue ou à adopter d'autres comportements mésadaptés et d'aider à devenir des personnes responsables ayant un mode de vie approprié.
¹ (1550)
Le principal thérapeute dans la communauté thérapeutique est la communauté elle-même, qui se compose du milieu social, des autres pensionnaires et des membres du personnel qui, à titre de modèles, servent de guides dans le processus de guérison. De nombreuses activités de la communauté thérapeutique sont programmées de façon à être collectives et sont conçues pour provoquer un changement thérapeutique chez les participants. L'apprentissage se fait en participant à diverses activités et en assumant divers rôles et responsabilités. Les clients qui font montre du comportement attendu reflétant les valeurs de la communauté deviennent des modèles de comportement. L'apprentissage social est la conséquence des modèles positifs donnés par des pairs, de l'utilisation des commentaires des pairs et des pressions exercées par le groupe.
La communauté thérapeutique a des normes, des règles et des règlements explicites en matière de comportement qui assurent la sécurité physique et psychologique de la communauté. Dans ce milieu enrichi, le client a l'occasion de générer des systèmes de valeurs et des attitudes personnels positifs qui sont une condition sine qua non à l'autoguérison.
Au fil des années, les communautés thérapeutiques ont produit de remarquables résultats, quelquefois avec des groupes très difficiles à aider. Elles ont eu un impact profond sur les individus en augmentant considérablement leur capacité de faire face aux difficultés de la vie courante.
Portage porte une attention toute particulière aux différences et aux besoins individuels. La pierre angulaire du modèle de communauté thérapeutique de Portage est la gestion des cas.
La gestion des cas dans la communauté thérapeutique fait en sorte que les individus sont toujours conscients de la nature et du but des efforts qu'ils font et savent comment évaluer leurs progrès. On attribue à chaque client un responsable du cas et chaque pensionnaire, avec l'aide du personnel affecté à son cas, établit un plan personnel de traitement bihebdomadaire. Chaque client fait l'objet d'une conférence de cas multidisciplinaire une fois par mois.
Le système de gestion des cas aide en outre à porter l'expérience de la communauté thérapeutique à un niveau objectif, où les progrès et la croissance sont observables et mesurables.
Les attentes de Portage en ce qui concerne les résultats que peut atteindre un client grâce à son expérience communautaire thérapeutique ont permis d'identifier plusieurs compétences en matière de comportement et d'attitudes qui permettent à une personne de faire face aux difficultés de la vie courante tout en respectant ses besoins et valeurs.
C'est l'acquisition de ces compétences qui est l'objectif ultime de l'expérience thérapeutique. Quelques-unes de ces compétences sont la capacité de demander de l'aide, l'aptitude à prendre des initiatives, l'aptitude à participer activement au traitement, l'aptitude à bien s'exprimer, l'aptitude à faire preuve de cohérence, à être organisé et ordonné, l'aptitude à bien gérer ses émotions. Il y a actuellement 22 compétences importantes que nous tentons de faire acquérir à nos pensionnaires.
Les progrès et la place que l'on occupe dans la progression du traitement sont réalisés en maîtrisant les compétences requises. Un pensionnaire réalise des progrès dans son traitement grâce à des examens objectifs et aux observations des pairs et du personnel. Une seule journée de traitement se solde par un certain apprentissage. Lorsqu'on maîtrise toute la gamme des compétences, le processus de traitement est terminé.
Au début du traitement, chaque pensionnaire débute à un point différent de la filière des compétences, La durée du traitement dépend du point de départ et de la volonté des pensionnaires de progresser. Ils savent ce qu'ils peuvent apprendre au cours de la phase d'induction de notre traitement. Ce sont les pensionnaires qui déterminent ce qui est approprié et important pour eux. Même si le processus est entièrement individualisé, la durée moyenne du séjour au centre est d'environ six mois.
Le traitement axé sur les compétences requiert une approche centrée sur le client. Le châtiment, l'humiliation et la honte n'ont pas droit de cité dans un milieu d'apprentissage constructif. L'objectif est de créer une communauté où l'on se sent en sécurité, tant sur le plan psychologique que sur le plan physique, propice à l'autoguérison.
Le processus de Portage intègre les conditions maîtresses universellement reconnues qui sont indispensables au progrès thérapeutique, à savoir l'authenticité, le respect, la concrétude et l'estime inconditionnelle; ce sont les principes directeurs de la communauté thérapeutique. Portage estime pouvoir faire beaucoup plus de bien en aidant ses clients à avoir davantage d'estime de soi qu'en détruisant les images négatives.
Le programme de traitement de Portage est adapté aux sexes, et il met l'accent sur des activités spéciales pour les membres de chaque sexe.
¹ (1555)
Portage se considère comme un élément de la filière du traitement et établit des relations professionnelles étroites avec d'autres fournisseurs de services complémentaires. Grâce à cette synergie, il compte mobiliser toutes les ressources de la communauté élargie pour faciliter la guérison de ses clients.
Portage collabore avec ses clients avant et après leur séjour dans un centre. Une phase complète d'admission et d'évaluation précède le traitement intensif alors que des services de réintégration et d'assistance sont offerts après le traitement. Le processus dure en tout deux ans.
Dans le cadre de son programme de suivi après le traitement, Portage offre à ses clients des services réguliers de counselling individuel et de groupe, de prévention des rechutes, de thérapie familiale, de formation à l'aptitude à l'emploi et de placement. Les buts de Portage sont la réconciliation de ses clients avec les autres personnes importantes dans leur vie et avec leur collectivité et leur réintégration réussie à cette collectivité.
Des organismes comme Portage sont la preuve que les traitements sont efficaces. En 29 années, j'ai appris qu'on ne peut pas mettre un terme à la consommation abusive de drogues ou de médicaments par le biais de lois ou de règlements, qu'on ne peut pas réadapter un toxicomane ou le réintégrer à sa famille par des sanctions.
Nous avons tendance à nous considérer comme une société particulièrement bienveillante. Nos principes directeurs sont la diminution du mal et la justice réparatrice. Nous devons faire en sorte que nos pratiques en matière de lutte contre la toxicomanie soient aussi éclairées que nos idéaux élevés.
Je vous remercie pour votre attention.
º (1600)
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Vamos.
Voici maintenant M. Mark Zoccolillo, de l'Université McGill.
[Français]
Nous entendrons plutôt docteure Carole Morissette d'abord.
Mme Carole Morissette (témoignage à titre personnel): Bonjour, mesdames et messieurs. Je remercie d'abord le comité de cette invitation qui m'a été transmise.
Je suis docteure Carole Morissette et je suis médecin spécialiste en santé communautaire. Je pratique dans le domaine de la prévention des maladies transmissibles par le sang et sexuellement auprès des usagers de drogues par injection depuis maintenant 10 ans. C'est à ce titre que je suis ici pour vous parler de mes préoccupations à cet égard. J'espère aussi pouvoir répondre à un certain nombre de vos questions.
Je ne suis pas en mesure de faire une analyse exhaustive de la Stratégie nationale antidrogue ni même de parler de l'impact de cette stratégie sur Montréal. Cependant, je peux vous parler des personnes toxicomanes, de leur état de santé, de leurs conditions de vie, mais aussi de l'état des programmes et des services actuels. Je suis aussi en mesure de vous faire part de ce que sont les conditions et les obstacles à l'implantation de tels programmes.
D'abord, pour une région comme Montréal, on peut dire que l'intervention menée par les acteurs sociaux et de santé est déterminée par un certain nombre d'éléments d'abord sur l'état des connaissances sur les populations et les groupes vulnérables. Ici, on pense aux jeunes qui sont à risque de consommer. On pense aussi aux jeunes de la rue et surtout aux personnes qui consomment, particulièrement par injection, ainsi qu'à la recherche de solutions préventives et d'interventions efficaces et aux stratégies de déploiement de mesures connues pour être efficaces. Bien sûr, le niveau d'utilisation de ces interventions dépend des conditions d'implantation telles qu'elles sont vécues sur le terrain.
Les programmes seront donc influencés par la perception de la population face au problème et à la réponse qui est proposée, ainsi que par la volonté des décideurs locaux et de ceux qui détiennent les leviers d'offrir leur appui.
De plus, l'action des multiples acteurs de divers secteurs, que ce soit en santé, en sécurité publique, en éducation, dans le domaine du logement, etc. dépend des orientations des stratégies des différents paliers gouvernementaux, et ce, en fonction des contraintes de chacun et de leur organisation. En disant cela, je ne vous apprends rien de nouveau, mais ceci situe tous les éléments à considérer quand il est question d'examiner concrètement la pertinence et l'effet d'une stratégie canadienne antidrogue dans une région comme Montréal.
Parlons d'abord de l'état des connaissances sur la santé des groupes vulnérables. Le caractère illégal de la consommation des drogues de rue et l'exclusion sociale des consommateurs rendent plus complexes les activités de surveillance de leur état de santé. On peut dire sans trop se tromper que depuis les 10 dernières années, ce sont les programmes de recherche en sida qui ont permis de mieux connaître cette population difficile à rejoindre que sont les usagers de drogues par injection et de mieux la connaître. Ces efforts de recherche doivent être maintenus et renforcés. En effet, il existe encore plusieurs inconnues en ce qui concerne la situation sociosanitaire des personnes toxicomanes et des questions de santé en relation avec l'usage des drogues au Canada et ailleurs.
En ce qui concerne les caractéristiques des drogues, par exemple, les données existantes en provenance de laboratoires canadiens le sont pour répondre à des impératifs d'enquêtes policières, mais pas tellement pour des questions de santé des populations. Nous ne connaissons pas suffisamment bien les trajectoires des jeunes qui mènent à un mode de vie de rue ni les déterminants du passage à l'injection. Il n'y a pas de système de surveillance des intoxications sévères ou des décès reliés à l'usage des drogues. Un système d'information et de surveillance sanitaire souple, flexible, capable de détecter des tendances devra donc être mis en place afin de rendre compte de la disponibilité, du type, de la qualité des drogues de rue, du profil de consommation en termes de transition dans les produits, mais aussi dans les modes de consommation, et des différents aspects sociaux et de santé, incluant les maladies transmissibles, mais aussi les autres problèmes.
Ce ne sont là que quelques exemples de gaps à combler en matière de connaissances et de surveillance. Il s'agit donc de développer des indicateurs qui couvrent un ensemble de problèmes sociaux et de santé.
Quant à la recherche de solutions préventives et d'interventions efficaces, l'identification et le choix des interventions reposent non seulement sur la recension des écrits, mais aussi sur la consultation d'experts et des milieux.
º (1605)
Dans le domaine des interventions auprès des usagers de drogues de rue, il existe bien sûr une littérature, mais il existe une large part d'incertitude. D'abord, plusieurs voies de solution sont peu ou pas explorées. Parfois, il est difficile, aux plans éthique et méthodologique, d'évaluer certains projets hors de tout doute.
Des efforts doivent être investis afin de développer des devis de recherche capables de porter un jugement solide sur la pertinence et l'efficacité de solutions novatrices dans le contexte canadien.
Plusieurs initiatives ont été implantées ailleurs, mais leur expérimentation et leur évaluation sont essentielles avant de porter un jugement dans un sens ou dans l'autre. Le projet de prescription d'héroïne à des fins médicales est un très bon exemple de ce type de projet-pilote, tout comme les lieux d'injection sous supervision médicale, tel que recommandé dans le rapport du comité FPT sur l'usage des drogues par injection au Canada.
Dans le domaine de la consommation des opiacés, il existe plusieurs projets ou traitements qui ont fait leurs preuves. Par contre, en ce qui concerne la consommation de cocaïne, pourtant très répandue à Montréal comme dans d'autres centres urbains canadiens, nous n'avons pas de lignes directrices claires quant à des traitements reconnus efficaces. C'est donc une voie de recherche très importante au Canada.
Pour ce qui est de l'implantation de stratégies et le déploiement des mesures reconnues efficaces, les besoins en recherche et en développement sont très importants. Par ailleurs, même pour des mesures déjà reconnues pertinentes et efficaces, à l'heure actuelle, il n'est pas possible de procéder à leur déploiement. On se rend compte qu'il y a un écart, au moment de l'évaluation, entre l'adéquation des services en place et les besoins des populations.
Je vais vous donner brièvement un exemple, celui de Montréal. À Montréal, il y a environ 12 000 usagers de drogues par injection et plusieurs milliers de jeunes de la rue, âgés de 13 à 25 ans, dont environ la moitié se seraient déjà injecté des drogues. L'initiation à l'injection chez ces jeunes est estimée à 8 p. 100 personnes-année, ce qui veut dire que chaque année, 8 p. 100 de ces jeunes commencent à s'injecter.
Chez les usagers de drogues par injection, l'incidence de l'infection au VIH se maintient élevée à environ 6 p. 100 personnes-année. L'infection par le virus de l'hépatite C atteint 80 p. 100 de ces personnes. Le défi de prévention se situe donc chez les jeunes qui sont à risque de s'injecter, mais aussi et surtout chez les jeunes injecteurs.
Il y a également des décès prématurés surtout par surdoses, volontaires ou non, des suicides et des accidents. Dans la cohorte des jeunes de la rue de Montréal, on observe une mortalité qui est 10 fois plus élevée que chez les jeunes Québécois du même âge.
La toxicomanie est souvent une solution pour soulager divers problèmes dont la dépression. Les surdoses involontaires sont aussi liées aux mélanges et à l'inexpérience, mais aussi au manque de stabilité dans la qualité et la pureté des produits.
Face à tous ces problèmes, les services sont nettement insuffisants. Par exemple, en matière de prévention des maladies transmissibles, il y a à Montréal cinq programmes d'échange de seringues communautaires et environ 25 autres partenaires communautaires et institutionnels qui offrent le service. Il y a aussi sept CLSC et 150 pharmacies qui vendent des seringues sans prescription.
Malgré tout, actuellement, il se distribue ou se vend environ un million de seringues par an à Montréal. Bien que cette distribution ait augmenté depuis 1995, elle reste très sous-optimale et ne représente que 10 p. 100 des besoins estimés.
Il manque aussi d'accès à la méthadone. Moins de 1 500 personnes sont actuellement sous traitement à la méthadone, alors que le nombre de places nécessaires pour atteindre 50 p. 100 de ceux qui pourraient bénéficier du traitement est de 2 500. Plusieurs centaines de personnes sont actuellement en attente. Il manque aussi d'accès aux services médicaux et à l'hébergement. Il manque également de services en milieu carcéral et de logements sociaux ainsi que de programmes de réinsertion sociale.
Alors, quelles sont les conditions qui influencent l'implantation et le déploiement de ces mesures efficaces? Les principales sont le financement et le cadre légal ainsi que les politiques publiques et la coordination des efforts.
Le financement doit être suffisant, soutenu et récurrent. Actuellement, c'est le statu quo dans le développement. Les financements des programmes sont stables depuis plusieurs années, alors que les besoins, en termes du déploiement d'un minimum de services, ne sont pas comblés.
º (1610)
La toxicomanie n'est toujours pas la première priorité, ce qui fait que très souvent ce sont les initiatives de prévention du sida qui permettent de combler partiellement le manque.
D'autre part, il n'est pas rare que des orientations soient développées sans que ne soient prévus les mécanismes de soutien à leur mise en oeuvre ou encore les financements nécessaires à celle-ci. C'est souvent ce qui fait la différence en termes d'efficacité. En effet, il est difficile de juger de l'efficacité de mesures qui ne sont que partiellement mises en application.
Il y a aussi le facteur temps. Dans la plupart des cas, on ne peut s'attendre à des résultats mesurables que si l'intervention est soutenue et intensive. C'est pourquoi les projets-pilotes, même s'ils sont nécessaires et intéressants, sont insuffisants si les financements pour leur continuité ne sont pas prévus.
Il y a le cadre légal. Je suis sûre que vous avez eu l'occasion d'entendre ou de lire certains des documents qui ont été produits, soit dans le cadre des travaux du comité FPT sur l'usage des drogues par injection au Canada ou encore dans des documents qui ont été produits par le Réseau juridique canadien. Ces rapports sont très pertinents. Ils doivent être sérieusement considérés par le comité. C'est une condition incontournable pour ce qui est d'examiner la pertinence et l'efficacité de la Stratégie nationale antidrogue.
Je ne suis pas juriste, je suis médecin, mais je peux vous dire que depuis 10 ans, j'ai vu plusieurs situations sur le terrain qui ont permis de corroborer cette idée que la répression peut nuire aux actions en matière de santé et de prévention. L'approche judiciaire n'est pas toujours la plus appropriée.
On incarcère des jeunes de la rue parce qu'ils sont incapables de payer des amendes reçues pour incivilité, comme dormir sur un banc de parc ou traverser un feu rouge. Souvent ces jeunes sont dépressifs et souffrent de sérieux problèmes de santé mentale qui restent ainsi non dépistés et non traités. D'ailleurs, il faut offrir plus de services en milieu carcéral pour éviter les problèmes de porte tournante.
On connaît également les difficultés qu'on a sur le terrain depuis plus de 10 ans à s'entendre sur la notion de zone de tolérance en matière d'actions sanitaires, que ce soit à l'égard de l'intervention des travailleurs de rue, de la surveillance policière et des arrestations reliées à des programmes d'échange de seringues ou de la confiscation de seringues neuves ou usagées, etc.
Cela représente un défi. Combien de fois, sur le terrain, les discussions se sont conclues sur le constat de l'existence de lois canadiennes en matière de drogues dont découlent les mandats de la sécurité publique? En l'absence d'une révision de la loi, il n'est pas possible d'espérer des changements dans les pratiques.
Les travaux récents concernant les lieux d'injection sous supervision médicale soulèvent d'ailleurs une série de questions qui sont restées plus ou moins en suspens jusqu'à maintenant. On peut dire que les programmes d'échange de seringues ont été tolérés, mais le cadre légal fait en sorte que ces organismes ont des difficultés à trouver des assureurs pour leurs locaux, par exemple. Bien que l'action sanitaire soit reconnue, ils se retrouvent à tort dans un climat de clandestinité.
Enfin, les politiques publiques et la coordination des efforts. Le caractère illégal est aussi corollaire du peu de reconnaissance du caractère sanitaire du problème, ce qui se reflète dans les politiques publiques et dans les régulations institutionnelles. Pourtant, ces politiques ont un effet sur les conséquences de la toxicomanie autant que sur les causes. La réduction des méfaits n'est pas seulement un modèle qui sied aux maladies transmissibles. En effet, comme on peut le voir ici, la réduction des méfaits englobe le continuum des actions sanitaires, de la promotion de la santé jusqu'à la prévention tertiaire. Ceci inclut l'accès aux services tout autant que l'environnement social, les regroupements d'usagers pour la défense des droits et l'accès équitable à un logement, à l'éducation et à l'emploi.
Quand je parle de l'accès aux services, cela inclut évidemment les services qui prônent l'abstinence et le traitement. Les conditions d'admission dans les institutions du réseau pour les personnes marginalisées, le caractère restrictif du traitement à la méthadone et la difficulté pour une personne toxicomane de sortir de la rue et de se réinsérer sont autant d'exemples où les politiques publiques peuvent avoir une influence.
Des efforts importants ont été faits ces dernières années afin d'améliorer la coordination et l'harmonisation des approches entre les différents secteurs. Plusieurs recommandations ont été faites par des comités multisectoriels, dont celui-ci. Ces recommandations sont sérieuses et doivent être prises en considération. Elles soulignent l'importance d'un leadership en matière de santé, de l'harmonisation des actions entre les différents ministères et de certaines actions concrètes qui peuvent soutenir le déploiement de l'intervention localement.
º (1615)
En conclusion, j'espère que j'ai convaincu le comité de la pertinence d'une stratégie en matière de consommation de drogues afin qu'un leadership soit assumé en termes de santé, c'est-à-dire au niveau de la connaissance et de la surveillance de l'état de santé des Canadiens, de la recherche et du développement d'interventions efficaces. Cela irait donc en faveur du développement de la recherche en toxicomanie tout en favorisant le développement d'une approche multidisciplinaire. Cela irait également en faveur du développement d'une infrastructure de surveillance continue des toxicomanies et de leurs conséquences sociosanitaires et, finalement, de l'optimisation des conditions d'implantation des stratégies, soit au niveau de la coordination des actions intersectorielles au plan canadien, particulièrement en ce qui concerne les politiques publiques et le cadre légal.
Je vous remercie de votre attention.
[Traduction]
La présidente: Merci beaucoup, madame Morissette.
Monsieur Zoccolillo.
Pendant que M. Zoccolillo se prépare, je signale que certains d'entre nous ont eu l'occasion de visiter Portage, du moins le programme d'Elora, en Ontario, qui concerne les jeunes. Je me souviens du processus que vous faites suivre aux jeunes pour qu'ils répondent de leurs actes. Étant donné que vous avez siégé à la Chambre pendant un certain temps, vous voudriez peut-être collaborer avec certains de nos collègues pour qu'ils répondent de leurs actes et s'amendent.
Dr Mark Zoccolillo (professeur agrégé de psychiatrie et professeur adjoint de pédiatrie, Université McGill): Merci. L'exposé que je ferai aujourd'hui s'intitule «La consommation de marijuana et d'hallucinogènes chez les adolescents: pourquoi nous en inquiéter? Quels en sont les effets sur les politiques publiques?»
L'étude que nous avons faite porte le sous-titre suivant: «La consommation de drogues chez les adolescents québécois». Les collègues avec lesquels j'ai fait cette étude sont Frank Vitaro et Richard Tremblay de l'Université de Montréal et l'autre GRIP, financé par divers organismes subventionnaires.
Je vous ferai d'abord une description de l'étude et vous parlerai de diverses incidences. L'échantillon est représentatif. Il est composé de 879 garçons et 929 filles représentant les adolescents québécois de commissions scolaires francophones du Québec. L'enquête a été menée de 1995 à 1997. Entre autres choses, on leur a remis un questionnaire à remplir soi-même sur l'usage de drogues et d'alcool et de nombreuses entrevues et évaluations ont été faites.
Voici l'âge des membres du groupe. Je signale qu'il s'agit de jeunes âgés pour la plupart de 15 et 16 ans. Deux tiers d'entre eux étaient âgés de 15 ans. C'est important. Il ne s'agit pas d'étudiants de niveau collégial. Il s'agit d'étudiants de niveau secondaire. La plupart d'entre eux étaient en neuvième ou dixième année. L'autre groupe important est constitué de jeunes qui étaient en septième ou huitième année. La plupart des jeunes étaient donc des élèves de neuvième ou dixième année.
Nous leur avons demandé dans ce questionnaire, qu'ils ont rempli en toute confidentialité, s'ils avaient déjà consommé des drogues illicites et s'ils avaient déjà consommé des drogues illicites plus de cinq fois. Nous avons choisi cinq fois comme point de repère pour poser d'autres questions.
Nous avons fait deux constatations. La première, c'est qu'environ un tiers des adolescents avaient déjà consommé des drogues illicites plus de 15 fois à cet âge, sans distinction de sexe et cela se confirmera tout au long de cet exposé.
Parmi les drogues consommées, tous les adolescents qui en avaient consommé avaient consommé de la marijuana. L'autre groupe le plus important est celui de ceux qui avaient consommé des hallucinogènes, soit environ 20 p. 100 des adolescents; comme vous pouvez le constater, en ce qui concerne les autres groupes de drogues, le pourcentage d'adolescents en ayant consommé est de 6 p. 100 et de 1 p. 100.
Nous avons toutefois demandé aux adolescents qui avaient déjà consommé des drogues illicites plus de cinq fois, c'est-à-dire à un tiers des adolescents, où et dans quelles circonstances ils en avaient consommé. C'est, à ma connaissance, une des premières études de ce type qui porte sur un échantillon aussi important.
Nous avons constaté que parmi les adolescents qui avaient répondu qu'ils avaient consommé des drogues plus de cinq fois, 79 p. 100 des garçons et 69 p. 100 des filles ont déclaré avoir été drogués ou «partis». Le pourcentage des adolescents et adolescentes qui ont signalé avoir été sous l'influence de drogues en pratiquant le vélo, le patin ou un sport est à peu près semblable. Le pourcentage des adolescents qui ont déclaré avoir consommé des drogues dans la matinée est également analogue.
Un pourcentage moins élevé mais malgré tout important des garçons ont signalé qu'ils avaient conduit un véhicule alors qu'ils étaient «partis» et c'est très étonnant parce que la plupart de ces jeunes sont âgés de 16 ans ou moins. Les motoneiges, les VTT et autres types de véhicules sont donc inclus. Un adolescent sur quatre a signalé avoir eu des disputes avec les parents au sujet de la drogue. En ce qui concerne les filles, près d'une sur quatre a signalé avoir eu des disputes avec des amis au sujet de la drogue. Enfin, 10 p. 100 des adolescents ont cherché de l'aide pour réduire leur consommation de drogue.
Nous avons établi un tableau succinct concernant le nombre de problèmes, pour vous donner un aperçu général. Il s'agit des groupes antérieurs de comportements problématiques. Comme vous pouvez le constater, la majorité des garçons et des filles ont signalé qu'ils avaient eu au moins trois de ces comportements et presque la moitié des garçons ont déclaré en avoir eu quatre ou plus. Un très faible pourcentage de ceux qui ont signalé avoir consommé des drogues illicites plus de cinq fois ont déclaré n'avoir jamais eu ces types de comportements, ou une seule fois.
Nous leur avons ensuite demandé à quelle fréquence ils avaient consommé de la drogue pendant la période où ils en consommaient le plus. Nous avons constaté que la majorité des garçons et des filles ont signalé qu'ils consommaient de la drogue de deux à trois fois par semaine ou plus et que près de 40 p. 100 en consommaient sept fois par semaine ou plus.
En résumé, le comportement normatif de consommation de drogues qui caractérise environ un quart des adolescents du Québec est la consommation de drogue deux fois par semaine ou plus, suivre les cours «high», passer le plus clair de la journée «high» et faire du vélo ou des sports après avoir consommé de la drogue, ce qui rend ces activités dangereuses. La drogue consommée le plus couramment est la marijuana. Il n'est pas vrai que la consommation de drogues chez les adolescents est expérimentale et limitée à des occasions spéciales comme les soirées.
Pourquoi convient-il de s'en préoccuper? Je vous recommande un excellent ouvrage intitulé The Science of Marijuana, qui est un ouvrage très spécialisé fait par un pharmacologue. Il ne s'agit pas d'un expert en consommation abusive de substances psychoactives. Il n'a pas de préjugés, mais il a écrit quelque chose de très bien au sujet des effets de la marijuana sur la mémoire:
L'effet le plus constant et le plus marqué de la marijuana est, de loin, de perturber la mémoire à court terme. On dit que c'est la mémoire de travail. Il s'agit de la fonction cérébrale qui permet de se souvenir à court terme des renseignements nécessaires pour effectuer des tâches complexes exigeant planification, compréhension et raison. |
º (1620)
Il donne en outre davantage de précisions sur les troubles de la mémoire. Si j'aborde ce sujet, c'est parce qu'il s'agit d'adolescents qui vont à l'école sous l'effet de la drogue ou qui conduisent des véhicules, font du patin ou pratiquent d'autres sports sous l'influence de la drogue.
L'autre aspect que cet auteur aborde est celui de la marijuana et de l'accoutumance:
Il est de plus en plus clair que le cannabis est une drogue qui crée une accoutumance à l'usage et qui a des effets nocifs sur bien des gens. L'accoutumance vis-à-vis du cannabis est peu reconnue, car l'on croit généralement que ce n'est pas une drogue engendrant une dépendance. Il est indispensable de sensibiliser les consommateurs de cannabis, de leur faire comprendre qu'ils risquent d'être dominés par la drogue. |
Nous avons quelques points d'interrogation. Si l'on suit ses cours en étant «high», quels effets cela aura-t-il sur les résultats scolaires? On l'ignore. La consommation de drogues pourra-t-elle mener à des blessures dans certaines situations? On l'ignore aussi. La progression rapide entre une première consommation à titre d'expérience et la consommation fréquente représente-t-elle une accoutumance? N'oubliez pas qu'il s'agit de jeunes de 15 à 16 ans qui consomment du cannabis depuis peu. Nous avons reçu une bourse financée par IRSC qui finance aussi une étude de suivi sur les points ci-dessus, mais nous aurons les résultats dans environ trois ans.
Abordons maintenant la question du développement et la consommation de drogues. L'adolescence est une période critique pour le développement. Si l'on est la plupart du temps sous l'effet de la drogue, l'apprentissage, les relations avec les pairs et l'indépendance en souffrent.
Pourquoi les adolescents consomment-ils tant de marijuana? Je cite quelques autres données. Elles sont tirées d'un sondage sur la consommation de drogues chez les élèves de l'Ontario. Je signale que la fréquence de la consommation de cannabis et d'hallucinogènes a augmenté au cours des dix dernières années. La consommation n'est pas statique.
Ce sont des chiffres quelques peu différents de ceux que j'ai cités précédemment, mais il s'agit de chiffres comparatifs étant donné que l'on a utilisé le même mode d'évaluation des données à deux périodes différentes. Comme vous pouvez le constater, la consommation de cannabis et d'hallucinogènes a en gros doublé ou triplé.
Par ailleurs, la marijuana est plus forte et plus facilement disponible. Selon la GRC, la moitié de la marijuana consommée au Québec est cultivée dans la province, souvent à l'intérieur. Il y a 20 ans, la mari était le plus souvent importée. Elle est devenue plus forte—et c'est encore une information tirée de l'ouvrage mentionné précédemment. Je pense que des témoins l'ont déjà mentionné ici. La teneur en THC a augmenté considérablement au cours des dernières années. La marijuana est donc beaucoup plus forte qu'auparavant.
La perception des risques et de la disponibilité a changé. Cette information vient également des résultats du sondage sur la consommation de drogues parmi les élèves de l'Ontario dans le cadre duquel on a fait une comparaison entre 1991 et 1999. Le pourcentage d'élèves qui pensent que la consommation régulière de marijuana pose de grands risques a diminué, celui des élèves qui pensent qu'il est mauvais d'en consommer régulièrement a diminué également et le pourcentage de ceux qui pensent qu'il est facile ou très facile de se procurer du cannabis a augmenté.
La marijuana est perçue par les adolescents comme étant déjà décriminalisée. Ils pensent que les policiers sont plus tolérants vis-à-vis du cannabis que de l'alcool. La marijuana est fumée ou vendue ouvertement en public. Voici un extrait intéressant d'un numéro de la Gazette de Montréal de décembre 2001:
Les policiers du poste 21 du centre-ville se sont inquiétés lorsque des touristes ont commencé à leur demander si le Canada avait dépénalisé les drogues comme la marijuana et le hachisch. |
Les adolescents estiment que les poursuites et les conséquences judiciaires sont rares actuellement.
La dépénalisation est perçue comme un signe que la marijuana ne présente aucun risque. Les adolescents considèrent que ce qu'ils lisent dans les journaux et les déclarations de l'Association médicale canadienne, de l'agence sur la consommation de drogues du gouvernement québécois et celle du gouvernement fédéral sur la dépénalisation comme un aval sur le plan de la santé. De même, le débat sur l'utilisation de la marijuana à des fins médicales donne à penser que la marijuana est une drogue bénéfique. Le raisonnement est à peu près le suivant: le gouvernement fait pousser du cannabis, donc ça doit être bon pour la santé et le cannabis aide les malades à se sentir mieux, donc cela me fera du bien.
Aucun message n'indique que la marijuana pose des risques. La plupart des informations sur la marijuana diffusées dans les médias sont positives. Santé Canada, le gouvernement du Québec et l'AMC ne font pratiquement aucune déclaration sur les éventuels risques de la consommation de marijuana pour les adolescents.
En résumé, aucun contrôle efficace de la consommation du cannabis n'est effectué par le système judiciaire pénal, la marijuana que l'on peut se procurer est de plus en plus forte et toujours meilleur marché, une campagne efficace pour encourager la consommation de marijuana, voulue ou non, est en cours et il y a absence totale de mécanismes de contrôle, autres que policiers, de la consommation chez les mineurs. Santé Canada, le gouvernement provincial et d'autres organismes mènent des campagnes de sensibilisation dans le but d'inciter les jeunes à ne pas commencer à fumer ou de les encourager à boire de l'alcool avec modération. Je crois qu'il n'y a aucune raison pour que la marijuana devienne la seule drogue légale et socialement acceptable pour les adolescents.
º (1625)
Je voudrais faire deux commentaires au sujet des hallucinogènes qui sont la deuxième drogue la plus consommée par les adolescents. Ils sont souvent passés sous silence dans le débat sur la consommation de drogues et ne sont pas souvent une cause importante de traitement pour accoutumance. Les hallucinogènes sont dangereux. L'hallucinogène le plus couramment utilisé actuellement est la phencyclidine. C'est la principale cause de psychose et de violence chez les adolescents. Le traitement est difficile et sa consommation peut mener à des maladies psychotiques à long terme. Elle peut également être mortelle. L'ecstasy (MDMA) mène aussi aux urgences du département de psychiatrie et peut également être mortel. D'excellentes initiatives sont en cours à ce sujet à Toronto.
En conclusion, je pense qu'il faut tenir compte des besoins très particuliers des adolescents au moment de décider d'une politique sur la drogue. La politique doit être différente selon qu'elle s'adresse à des adultes ou à des adolescents, c'est-à-dire à des adultes par rapport à des mineurs. Les problèmes et les usages sont différents. Étant donné ces conclusions et d'autres données récentes, il faut mûrement réfléchir avant de dépénaliser la marijuana. Il ne faut pas chercher à établir si la marijuana doit être dépénalisée mais se demander comment, en tant que gouvernement responsable, nous pouvons limiter les risques liés à la consommation de marijuana et d'autres drogues.
J'ai une seule recommandation à faire. La politique sur la drogue est trop complexe pour être fondée uniquement sur la répression. Il faut envisager de créer un organisme gouvernemental dont le mandat serait de réduire les risques liés à la consommation de drogues. Ce ne devrait pas être un organe d'application de la loi. Il faut élaborer, mettre à l'essai et appliquer des pratiques exemplaires pour réduire les risques liés à la consommation et même à la première consommation de drogues. Il faut non seulement réduire les risques liés à la consommation mais aussi décourager celle-ci. Enfin, il faut suivre la consommation de drogues sur une longue période et fournir un tableau exact de la consommation et de l'accoutumance au Canada.
Je vous remercie pour votre attention.
º (1630)
La présidente: Merci, monsieur Zoccolillo.
Vous avez dit que les hallucinogènes sont dangereux et que l'hallucinogène le plus courant est la phencyclidine. Que pensez-vous des champignons et du LSD?
Dr Mark Zoccolillo: Dans les études sur la consommation de pilules, ou même de champignons, il s'agit généralement de phencyclidine ou d'amphétamines, parce que ce sont les plus faciles à fabriquer. Le LSD est difficile à produire, comme de nombreux autres hallucinogènes.
La présidente: Quelle est l'appellation commerciale?
Dr Mark Zoccolillo: La phencyclidine se vend sous l'appellation de «poudre d'ange», «wack» et diverses autres appellations.
La présidente: Ce n'est pas là la marque de commerce mais l'appellation usuelle.
Vous avez mentionné les déclarations du gouvernement fédéral. À quelles déclarations faites-vous plus particulièrement allusion?
Dr Mark Zoccolillo: Je fais allusion aux déclarations que les adolescents m'ont faites au sujet de leurs perceptions sur la consommation de drogues. Ils disent notamment: «Le gouvernement cultive la marijuana, il paie pour la cultiver, donc, ça doit être bon».
[Français]
La présidente: Nous disposons maintenant d'un peu de temps pour poser quelques questions. Si M. Ménard pose une question à quelqu'un en particulier mais que d'autres personnes veulent y répondre, faites-le-moi savoir. Si les questions et les réponses sont courtes, nous pourrons en poser plusieurs.
M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Est-ce que l'on siège jusqu'à 17 heures ou jusqu'à 17 h 30?
La présidente: Ça devait être jusqu'à 17 heures. Pouvons-nous siéger jusqu'à 17 h 15?
[Traduction]
M. Mac Harb (Ottawa-Centre, Lib.): Je dois m'en aller à 17 heures. Continuez cependant.
[Français]
M. Réal Ménard: Approximativement combien de temps vouliez-vous accorder à chaque député?
[Traduction]
La présidente: Devez-vous vous en aller à 17 heures?
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Je ne peux pas m'engager à rester plus tard.
La présidente: Nous sommes donc ici jusqu'à 17 heures. Je n'ai même pas posé la question aux témoins.
[Français]
M. Réal Ménard: Environ 10 minutes par député?
La présidente: Oui.
M. Réal Ménard: D'accord.
D'abord, quand j'ai été élu en 1993, une des premières personnes que j'ai rencontrée pour qu'elle me parle de la stratégie de réduction des méfaits-- je ne dis pas cela pour la faire vieillir puisqu'elle a l'air tout aussi jeune qu'en 1993--, c'est Mme Morissette. Il y avait à ce moment-là dans mon quartier un débat très important qui divisait la communauté et qui portait sur l'idée d'établir un site d'échange de seringues. Les membres de ce comité ont visité un de ces sites. Je le dis pour que vous le sachiez, Carole. On est allés visiter les gens de la Dopamine.
Je vous pose une première question; j'en poserai à d'autres personnes par la suite.
Aux dires des témoins, Montréal est une ville qui n'est probablement pas différente des autres villes. Il y a effectivement beaucoup de gens qui s'injectent. Ce qui est assez troublant, c'est que malgré le fait que cette réalité existe depuis plusieurs années, vous dites que les pouvoirs publics n'ont jamais réussi à financer d'études qui nous permettraient de comprendre les rites ou les passages ou les coutumes--je ne sais pas quel vocable serait le plus approprié--qui font que les gens en viennent à s'injecter.
Ai-je bien compris le sens de votre témoignage de cet après-midi?
Mme Carole Morissette: En fait, ce que je dis aujourd'hui, c'est qu'on a effectivement une population d'usagers de drogues par injection à Montréal, comme dans d'autres villes canadiennes, et qu'il y a, chez les jeunes de la rue, un phénomène de passage à l'injection qui a été bien documenté par cette cohorte des jeunes de la rue menée par ma collègue la Dre Élise Roy. C'est une des seules cohortes qui permet de mesurer vraiment très bien le passage d'une consommation d'autres produits à une consommation par injection. Donc, il faut voir que c'est dans un contexte de polytoxicomanie: ces jeunes utilisent plusieurs drogues. Donc, on est en mesure de mesurer, d'observer le passage à l'injection. Les données sont assez comparables à ce qu'on peut retrouver dans certaines autres villes américaines où on mène ce type d'étude.
Donc, ce que je suis en train de dire, c'est que c'est une situation inquiétante, puisque cela veut dire qu'il y a de plus en plus de personnes qui s'injectent, bien qu'on n'en aient pas une très bonne idée, compte tenu du fait que nos études sur la démonstration de la population qui s'injecte datent de 1996. Ce sont vraiment des études qu'on doit reprendre pour bien évaluer la situation. On n'est pas tout à fait à jour par rapport à l'état de situation. C'est ce que j'ai dit aussi.
Par rapport aux solutions, je peux vous dire qu'il y a, dans la littérature internationale, très peu de choses sur la façon de prévenir le passage à l'injection dans les sociétés et chez les jeunes qui sont amenés à passer à ce mode de consommation. C'est une ère de développement qui n'est pas seulement le fait de Montréal; c'est international. C'est une question qui se pose pour les acteurs de la santé et les gouvernements qui veulent savoir comment répondre à cette situation qui pourrait prendre de l'ampleur et qui est certainement très inquiétante. Il y a des travaux, à l'heure actuelle, qui sont aussi menés par l'équipe de Dre Élise Roy, qui tentent de mieux connaître les déterminants du passage à l'injection. Ce sont des études à la fois quantitatives et qualitatives, donc par entrevues en profondeur. On espère obtenir certaines pistes de solution, mais on est aussi conscients que ce sont des travaux de longue haleine qui vont nous permettre d'avoir une meilleure idée et qui nous permettront probablement de dessiner un projet-pilote qui devra être évalué, effectivement, pour savoir si oui ou non on peut réduire ce problème dans nos villes canadiennes.
º (1635)
M. Réal Ménard: D'accord.
Alors, il ne serait peut-être pas mauvais qu'on invite Dre Élise Roy. Je sais qu'on a beaucoup de témoins et qu'il faudra se voir en août. Merci.
J'enchaîne avec votre collègue. La conclusion de votre document de Dre Erickson est finalement assez contraire à ce que la plupart des témoins nous ont dit. Même le comité du Sénat, dans son document de consultation, donne trois références scientifiques qui soutiennent le contraire.
Vous, comme médecin, comme professionnel, est-ce que, dans un premier temps, vous partagez l'idée que le cannabis crée une accoutumance? En fait, pour être plus clair, on faisait la distinction suivante. On disait que le cannabis ne crée pas de dépendance physiologique en ce sens qu'on ne peut pas, par exemple, faire une overdose de cannabis. On ne peut pas être à ce point dysfonctionnel. Notre organisme ne peut pas à ce point en réclamer, contrairement à d'autres types de drogues. Par ailleurs, ça peut créer une dépendance psychologique. Il y a des gens, par exemple, qui peuvent anticiper toute la journée le moment de se retrouver le soir devant la télévision à fumer un joint. On nous a beaucoup fait cette distinction entre la dépendance physiologique et la dépendance psychologique. Dans la conclusion du Dr Everson, on ne semble pas faire cette distinction.
Qu'est-ce que vous pensez de cette distinction? J'imagine que si vous l'avez mise dans votre document, c'est que vous êtes d'accord sur cette conclusion-là.
[Traduction]
Dr Mark Zoccolillo: Le critère d'accoutumance de l'American Psychiatric Association—qui est le critère standard—est le diagnostic de l'accoutumance. Il comprend, mais ne se limite toutefois pas nécessairement à, l'accoutumance physique. Donc, cela dépend. Si l'on veut adopter un critère de diagnostic standard utilisé par les médecins pour diagnostiquer l'accoutumance à la drogue, les taux d'accoutumance au cannabis ne sont pas très différents des taux d'accoutumance aux autres drogues.
Par contre, s'il s'agit d'accoutumance menant à des symptômes physiques de sevrage, ils ne sont pas très marqués en ce qui concerne la cocaïne. Pendant le sevrage, les patients ont une forte appétence et, par conséquent, il s'agit d'une accoutumance psychologique.
Le cas est le même en ce qui concerne la nicotine que contiennent les cigarettes. Les symptômes de sevrage sont minimes. Par contre, l'envie de consommer est très forte. Je trouve que la différence que l'on fait entre les symptômes psychologiques et les symptômes physiques n'est pas particulièrement intéressante.
[Français]
M. Réal Ménard: Qu'est-ce qu'on doit comprendre, comme comité? Est-ce qu'on doit comprendre que le cannabis entraîne un phénomène d'accoutumance au même titre que les autres drogues et qu'il ne faut pas faire la distinction entre le psychologique et le physique?
[Traduction]
Dr Mark Zoccolillo: Ce n'est pas une différence pertinente en ce qui concerne les psychiatres et les personnes qui soignent les toxicomanes. Cette différence n'est nullement pertinente.
L'American Psychiatric Association a défini l'accoutumance d'une façon précise et il est clair que les personnes qui fument de la marijuana développent une forte accoutumance et que celles qui s'efforcent d'arrêter présentent des symptômes psychologiques de mélancolie et de malaise; elles veulent par conséquent se remettre à fumer. Elles ont de la difficulté à cesser. Elles continuent d'en consommer, même si elles veulent arrêter et malgré les problèmes.
Je signale que des données beaucoup plus récentes contredisent maintenant les conclusions du rapport du Sénat. Par exemple, on connaît maintenant au moins un modèle animal d'autoadministration de cannabis.
[Français]
M. Jean-Sébastien Fallu: Dans la définition de l'APA, on peut développer une dépendance à toute substance. Je trouve la distinction entre la dépendance physique et la dépendance psychologique intéressante, mais il est vrai qu'au même titre que l'alcool, le tabac, les drogues légales et illégales, toutes les substances peuvent entraîner une dépendance selon les critères du DSM.
º (1640)
M. Réal Ménard: Cette distinction m'apparaît pertinente aussi. Elle est reprise par à peu près tous les témoins qui ont fait des études là-dessus.
Vous ne vous êtes pas prononcé beaucoup sur le cadre légal concernant votre étude. Si vous aviez à nous dire quelques mots sur le cadre légal... Par exemple, chez la Dre Morissette, je pense que c'est assez clair que les stratégies prohibitionnistes ne permettent pas d'intervenir adéquatement auprès des gens qui sont dans la rue. Partagez-vous un point de vue comme celui-là?
[Traduction]
Dr Mark Zoccolillo: Je pense que le problème, en ce qui concerne les adolescents, est qu'en envisageant de dépénaliser la marijuana, on lui accorde un statut qu'on n'accorde pas à l'alcool ou au tabac.
En ce qui concerne le débat sur la décriminalisation ou sur la légalisation, comme je l'ai déjà mentionné, les adolescents du Québec considèrent qu'elle a déjà été dépénalisée. C'est donc un débat inutile en ce qui les concerne. En outre, ils auraient de la difficulté à admettre que toutes les autres drogues demeurent illégales alors que la marijuana est devenue légale.
J'estime donc qu'il faut considérer les adolescents comme un groupe distinct, quelles que soient vos recommandations en matière de décriminalisation.
[Français]
M. Réal Ménard: En ce qui a trait à votre échantillonnage, j'ai compris dans le début de la description de l'échantillon qu'il y avait 879 garçons et 929 filles. Donc, c'est une cohorte intéressante des étudiants de niveau secondaire. Y a-t-il des distinctions à faire, par exemple, en vertu de considérations socio-économiques, ou si ce sont des gens issus de milieux assez homogènes?
[Traduction]
Dr Mark Zoccolillo: C'est un échantillon représentatif des élèves des commissions scolaires francophones que nous avons suivi de la maternelle jusqu'à l'âge de 15 ans. Il s'agit donc d'un échantillon très représentatif de la population du Québec. Ces élèves avaient à peu près le même statut socioéconomique et il s'agissait d'élèves de régions rurales et de régions urbaines. C'était donc un échantillon très représentatif. Les différences entre ceux qui consommaient des drogues (25 p. 100), et ceux qui n'en consommaient pas, n'étaient pas très marquées, que ce soit en ce qui concerne le statut socioéconomique ou les problèmes de comportement, ou encore les autres indices courants.
[Français]
M. Réal Ménard: Ai-je le temps de poser une dernière question?
La présidente: Non. J'ai essayé de vous interrompre plus tôt.
[Traduction]
M. Mac Harb: Monsieur Zoccolillo, le passage de votre exposé concernant les effets de la marijuana sur les jeunes m'a fort intéressé. Qu'on le veuille ou non, c'est exact. N'est-il toutefois pas exact, à votre avis, que le tabac et l'alcool ont également à la longue des répercussions très néfastes sur la santé des jeunes? Dans le cas précis de l'alcool, il y a aussi un effet immédiat. Si l'on consomme de l'alcool avec exagération, je présume que le degré de mémoire en souffre. Est-ce exact?
Dr Mark Zoccolillo: Oui, mais un des faits que je n'ai pas signalé, parce que je n'en avais pas le temps, est que les adolescents qui consomment du cannabis ont également mentionné qu'ils consommaient de l'alcool mais n'allaient pas à l'école en état d'ébriété. Ils consomment de l'alcool une fois par semaine en moyenne mais ne boivent pas dans la matinée et ne font pas de la bicyclette ou ne pratiquent pas une autre activité lorsqu'ils sont sous l'influence de l'alcool. Il s'agit donc d'un comportement propre à la consommation du cannabis, même en ce qui concerne ceux qui consomment uniquement de l'alcool et du cannabis.
M. Mac Harb: La corrélation que je tente d'établir concerne les effets dommageables—chez les jeunes en l'occurrence. Je tente de déterminer si l'alcool et la drogue sont aussi dommageables l'un que l'autre.
Dr Mark Zoccolillo: Je pense que oui. Il est dommageable d'être «parti» quand on est à l'école; on constatera que cet état a des conséquences dommageables.
M. Mac Harb: Ou en état d'ébriété.
M. Mark Zoccolillo: Certainement.
M. Mac Harb: Ce que nous tentons de déterminer, étant donné qu'un de nos collègues a renvoyé un projet de loi d'initiative parlementaire à notre comité à la suite d'une décision du Parlement du Canada, est s'il convient vraiment, somme toute, d'examiner la question de la décriminalisation.
Dans les circonstances actuelles, si les policiers faisaient respecter la loi, beaucoup plus de jeunes seraient probablement en prison. Les policiers tiennent donc le raisonnement suivant: on ne va pas faire incarcérer quelqu'un qui est en possession d'un demi-gramme de marijuana; ce serait ridicule. On en ferait un criminel pour un délit que commettent de toute façon environ 30 p. 100 ou 40 p. 100 des jeunes.
Estimez-vous qu'il conviendrait peut-être d'apporter quelques modifications à la loi pour que les agents chargés de l'appliquer ne se trouvent pas dans une situation où ils doivent prendre des décisions que la loi ne leur donne peut-être pas actuellement le droit de prendre?
º (1645)
Dr Mark Zoccolillo: Oui. Je pense toutefois que la situation serait la même qu'en ce qui concerne le tabac il y a 30 ou 40 ans. La marijuana serait très accessible. Elle serait probablement vendue par les fabricants de cigarettes. Les taux de consommation devraient être très élevés, puis, après une dizaine d'années, on se rendrait compte qu'il faut mettre en place des mesures de contrôle social à cause des diverses conséquences néfastes.
C'est là que nous en sommes. Nous évitons d'imposer des sanctions pénales mais nous n'avons pas mis en place de système social efficace pour limiter la consommation de cannabis. Nous devons remplacer l'immobilisme actuel par un système plus efficace. Actuellement, le cannabis est en quelque sorte en vente libre.
M. Mac Harb: Je suppose que vous feriez en même temps quelque campagne nationale de sensibilisation aux conséquences néfastes. Le feriez-vous en même temps ou isolément?
Dr Mark Zoccolillo: J'envisagerais certainement une campagne nationale. Je suggérerais toutefois de créer une institution ou un organisme gouvernemental qui puisse examiner toutes les données disponibles pour déterminer quelle est la meilleure approche pour tenter d'atténuer les effets néfastes et ensuite la mettre à l'essai. On pense généralement qu'on sait ce qu'on fait, mais ce n'est pas le cas. Il est préférable de faire des essais pour éventuellement modifier notre tactique.
[Français]
M. Mac Harb: Madame Morissette, auriez-vous des commentaires à faire sur ce que M. Zoccolillo a indiqué?
Mme Carole Morissette: Je dois dire que mes réflexions sur le cannabis sont assez limitées. Je n'ai pas beaucoup étudié la question des effets de l'usage du cannabis sur la santé ni celle des effets sur la société, mais j'en suis très consciente et je trouve intéressant de voir les données qui concernent l'état de la situation de la consommation des drogues chez les jeunes.
Premièrement, il faut vraiment suivre l'évolution de la consommation des drogues dans la population. Il faut vraiment avoir des travaux qui nous permettent d'avoir une idée très claire de ce qui se passe. Que ce soit chez les jeunes en milieu scolaire ou chez les jeunes de la rue, on voit bien qu'il y a une augmentation de l'usage des drogues, et de toutes sortes de drogues, pas seulement du cannabis.
Je peux vous dire qu'on a récemment identifié une augmentation très récente de l'usage du crack chez les jeunes de la rue, et on n'a aucune idée pourquoi.
Cela étant dit, je pense qu'on doit savoir et comprendre mieux pourquoi les jeunes de notre société ont besoin de consommer plus de drogues et plus souvent. Je pense qu'il faut répondre à un certain nombre de questions et enfin établir un certain nombre de solutions et les suivre.
Je ne crois pas que la répression soit une solution, certainement pas chez les jeunes d'âge scolaire, mais je suis d'accord qu'il est très important que la population soit informée des effets des drogues. Je crois que c'est quelque chose qu'on a oublié malgré tout. Il y a vraiment eu très peu d'investissements dans les programmes d'éducation aux jeunes et dans l'information concernant les drogues et autres choses, car on sait très bien que l'adolescent est tenté d'expérimenter bien des situations. Je pense qu'on devrait mettre un peu plus l'accent sur les notions d'éducation. Encore là, on pourrait avoir un débat sur la façon de faire l'éducation des jeunes.
Je ne vais pas me lancer là-dessus, mais je crois vraiment que c'est un point très important que de savoir comment encadrer les programmes d'éducation en ce qui concerne ces points si litigieux.
M. Mac Harb: Merci beaucoup. Monsieur Fallu.
M. Jean-Sébastien Fallu: En ce qui a trait à l'éducation sur les drogues, il faut faire bien attention. Oui, il faut informer les gens des risques reliés à la consommation, parce qu'il y en a, mais il faut faire attention. Les études sur les programmes de prévention démontrent que quand on essaie de faire peur ou de créer de l'anxiété, non seulement ce n'est pas efficace, mais au contraire, cela aggrave la situation, parce que cela discrédite tout ce qu'on dit aux jeunes, surtout quand ça va à l'encontre de leurs propres expériences.
De plus, ce n'est pas la majorité des jeunes qui vivent des problèmes. Donc, si on commence à faire peur et à créer de l'anxiété, ça ne fonctionne pas.
La présidente: Est-ce que quelqu'un d'autre veut ajouter quelque chose?
[Traduction]
Dr Peter Vamos: Je pense que les préoccupations sont plutôt du genre de celles que Mme Morissette a mentionnées. Pourquoi est-ce qu'un nombre croissant de jeunes se mettent à consommer de la drogue? Quels besoins comble la drogue et peut-on tenter de combler ces besoins d'une autre façon?
Pour ma part, j'estime qu'on fait fausse route en concentrant son attention sur le statut juridique des drogues. Je crois que c'est plutôt une question de normes sociales. Je pense que ce qui est plus important, ce sont les problèmes des toxicomanes ou des consommateurs fréquents de drogue et qu'il faut déterminer comment on pourrait répondre à leurs besoins par des méthodes mieux adaptées.
º (1650)
La présidente: Madame Morissette.
[Français]
Mme Carole Morissette: Il y a une autre préoccupation dont on doit tenir compte dans les réflexions. C'est délicat parce que ce n'est pas un domaine que je connais très bien, mais il reste qu'il y a actuellement beaucoup de drogues sur le marché, que beaucoup de drogues de rue sont disponibles. Il y a régulièrement de nouvelles drogues offertes à des prix de plus en plus réduits. Je crois qu'en dessinant une stratégie antidrogue, on doit quand même admettre qu'on fait face à une situation où il y a un marketing social très fort de fait afin d'offrir à la population, particulièrement aux jeunes, une multitude de drogues à prix réduits.
Dans ce cadre-là, je pense qu'on doit réfléchir à la façon d'informer, d'éduquer la population, mais aussi à la façon d'agir sur la qualité, sur la disponibilité de ces drogues. Je pense que toute la question du cadre légal et de la décriminalisation doit être envisagée dans ce sens-là.
En guise d'anecdote, je dirai qu'il est clair que l'héroïne n'était pas aussi facilement disponible à Montréal au cours des dernières années, mais je peux vous dire qu'au tout début, il y a 10 ans, l'héroïne était beaucoup plus chère qu'elle ne l'est actuellement. Il n'est pas rare que les jeunes de la rue disent que c'est plus facile économiquement d'avoir de l'héroïne sur la rue que d'aller acheter de la bière dans un dépanneur. Donc, je pense que cela suscite certains questionnements par rapport à cet élément de la facilité et de la disponibilité.
La présidente: Oui, bien sûr.
Monsieur LeBlanc.
[Traduction]
M. Dominic LeBlanc (Beauséjour—Petitcodiac, Lib.): Merci, madame la présidente. Je remercie les témoins pour leur exposé. C'est intéressant d'entendre des points de vue différents et de profiter de l'expérience que vous avez accumulée.
[Français]
Mon collègue Réal l'a bien dit: on a passé une soirée très agréable et très intéressante dans son quartier, à la Dopamine. Pour moi, c'était la première fois. Je pense que c'était une de nos premières visites. Alors, cela m'a marqué. J'ai beaucoup apprécié la candeur des gens qui étaient là. Cela m'a beaucoup instruit. Si vous me le permettez, j'aimerais poser quelques questions à Dre Morissette.
Il y a beaucoup de discussions, surtout à Vancouver et, je le suppose, dans d'autres grandes villes, quant au besoin d'avoir des sites sécuritaires pour les injections, ce qu'on appelle en anglais des safe injection sites. À Vancouver surtout, on nous parle souvent de cela. Selon votre expérience et selon votre témoignage, j'ai l'impression qu'il y a peut-être un besoin et un désir d'explorer la situation, que ce soit dans le cadre d'un projet de recherche ou pour mieux comprendre la dynamique dans certains contextes.
Comment voyez-vous toute la question d'avoir des sites sécuritaires pour les injections? Je dois vous dire que ce n'est pas évident pour moi de vendre cela dans tout le pays, surtout dans une région rurale comme la mienne. Ce n'est pas facile d'expliquer à quelqu'un sur un quai de pêcheurs au Nouveau-Brunswick that there is something safe about injecting drugs. Alors, il faut souvent trouver le bon mot. Je n'ai pas d'idée fixe là-dessus, mais j'aimerais vous entendre, compte tenu de votre l'expérience, car je pense qu'il faut aborder une telle question.
Docteure Morissette, je pense que vous avez eu raison de parler du besoin de réviser des lois ou de se pencher sur le contexte légal. Je me demandais si vous aviez des suggestions précises quant au contexte ou à certains exemples que vous auriez pu avoir en tête quand vous avez parlé de réviser des lois.
Il y a une autre chose sur laquelle je suis encore d'accord. Vous avez parlé du besoin d'un leadership communautaire ou d'un leadership en matière de santé. Toute cette question m'a beaucoup fait comprendre que les questions de santé ne sont souvent pas suffisamment prises en compte.
Comment voyez-vous le rôle du gouvernement fédéral? Surtout au Québec et peut-être en Alberta, quand le gouvernement national décide de s'impliquer pour assumer un leadership en matière de santé, surtout dans le domaine communautaire, dont vous êtes une spécialiste, c'est compliqué en termes de compétences fédérales-provinciales. Alors, comme gouvernement national, comment, selon vous, pourrait-on appuyer vos efforts et ceux de vos collègues sans avoir des démêlés avec des gouvernements provinciaux? Le vôtre et celui de l'Alberta sont ceux qui sautent le plus vite, mais il y en a d'autres. Alors, comment voyez-vous le rôle du gouvernement national dans ce contexte-là?
º (1655)
Mme Carole Morissette: Je vais commencer par répondre à la dernière question et ensuite, si j'oublie les autres, vous me les répéterez, s'il vous plaît.
Je pense que j'ai été claire pour dire que les politiques publiques ont un impact sur la santé. En venant vous voir, j'ai réfléchi au fait de ce que pouvait avoir comme impact un gouvernement fédéral sur des grandes villes comme Montréal. Je crois que l'impact est important.
Je ne suis pas experte dans les financements, mais je pense que le comité a dû regarder quel était l'état des finances publiques en termes de la répression par opposition à la santé en matière de drogues. Je pense que ce sont des données parentes qu'il faudrait examiner et qui pourraient apporter une réponse claire.
D'autre part, j'ai parlé des politiques publiques en matière d'emploi, d'éducation et de logement. Il y a vraiment du travail très important à faire. Il y a une discrimination systématique à l'endroit des personnes qui sont défavorisées socialement et qui sont celles qui ont les principaux problèmes reliés à l'usage des drogues, mais aussi à l'égard des personnes toxicomanes. C'est très difficile de se réinsérer socialement pour une personne qui a un passé de toxicomane. Les politiques actuelles ne favorisent pas la réinsertion sociale et il y a lieu, selon moi, que le gouvernement se penche sur ces politiques.
Quand je parlais de santé communautaire, c'était dans un sens large. Je pense donc aux politiques publiques et au cadre légal. Il y a, à mon avis, des efforts à faire à l'échelle du pays. Je n'ai pas de solution toute faite, évidemment, et n'étant pas juriste, je n'ai pas non plus examiné la question de comment on pourrait modifier les lois. Je ne peux que constater les conséquences sur la santé et sur les programmes.
Il y a lieu, je crois, de faire en sorte, justement, que les personnes compétentes puissent travailler ensemble à définir quels sont les moyens de revoir le cadre légal et réglementaire. Il y a lieu également de faire en sorte que les différents paliers gouvernementaux, incluant probablement le niveau municipal, voient comment élaborer et mettre en oeuvre des programmes de prévention permettant effectivement aux usagers d'en bénéficier et permettant d'en mesurer les effets sur la santé.
Je pense avoir répondu à votre dernière question.
À propos des autres questions, je suis d'accord avec vous en ce qui concerne le libellé de lieux sécuritaires pour l'injection au Canada. Il y a un document bilingue du Réseau juridique canadien qui est très bien fait. Je vous invite à le lire. Il est très instructif.
Je pense que le mot « sécuritaire » peut porter à confusion, parce que, effectivement, aucune injection de drogues ne peut être qualifiée de sécuritaire. Quand on travaille en prévention du VIH et de l'hépatite C, on tend à parler « d'injections à risques réduits ». C'est la notion de la réduction des risques, justement pour qu'il n'y ait pas de confusion.
L'objectif consiste à assurer une meilleure sécurité aux personnes toxicomanes qui ont à s'injecter, dans le sens d'une supervision médicale. Donc, il faut bien comprendre qu'on parle ici de lieux où il y a une supervision et non pas d'une piquerie assistée. Il s'agit vraiment d'un service à l'intention des personnes toxicomanes, lequel fait partie d'un ensemble de services. Parmi les gens qui font la promotion de ces projets et programmes, il n'y a personne pour penser que ce pourrait être un service en dehors d'un continuum de services. De l'avis général, il doit nécessairement y avoir un ensemble de services de santé et de services sociaux pour aider les personnes toxicomanes à s'en sortir, mais aussi pour leur permettre d'améliorer leurs conditions de vie et de santé à court terme.
Donc, quand je pense à un ensemble de services, cela inclut l'échange de seringues, bien sûr, mais cela inclut aussi les services médicaux et l'accès à des services de désintoxication ainsi qu'à des services de réadaptation. Cela inclut aussi parfois des services d'hébergement et de dépannage ainsi que l'aide de psychiatres, afin de réduire le risque suicidaire chez les gens qui ont des problèmes de santé mentale, etc.
M. Dominic LeBlanc: Merci beaucoup.
On nous a beaucoup parlé aussi des Heroin Maintenance Programs où il y aura un médecin, si j'ai bien compris les gens qui nous ont parlé de cela, qui donnera une prescription pour de l'héroïne. Je ne parle pas de la méthadone, mais de l'héroïne comme telle. Voyez-vous un avantage à cela? Est-ce que ce serait quelque chose à considérer?
Mme Carole Morissette: Il faut le considérer, selon moi. Il y a un comité de pairs, je crois, qui a jugé que c'était pertinent au Canada de faire un essai clinique, puisque cet essai clinique a été accepté aux Instituts de recherche en santé du Canada. Il est clair que des essais cliniques de ce type-là ont aussi été faits en Suisse et qu'il y en a à l'heure actuelle en Australie. Les essais cliniques en Suisse ont fait leurs preuves. La population suisse s'est également prononcé sur ce sujet par référendum et a accepté que ce type de programme soit inclus dans leur programme de santé.
Actuellement, on peut dire qu'il y a un devis de recherche exemplaire qui est fait en Australie et qui sera fait au Canada pour nous permettre d'avoir une bonne idée si oui ou non ce serait pertinent dans le contexte canadien.
» (1700)
M. Dominic LeBlanc: Merci beaucoup.
[Traduction]
La présidente: Thank you very much Mr. LeBlanc.
Monsieur Zoccolillo, vous avez interrogé les élèves sur diverses répercussions sociales de la consommation d'alcool ou de drogues. J'ai remarqué qu'il n'y avait pas de questions sur le comportement sexuel dans le questionnaire.
Quand Mme Christiane Poulin a témoigné, elle a mentionné le groupe d'adolescents à haut risque qui s'adonnait à des activités comportant pas mal de risques, dont des activités sexuelles. Certes, ce groupe est davantage enclin à avoir des relations sexuelles en omettant de prendre les précautions élémentaires, donc à contracter éventuellement d'autres maladies. Est-ce la raison pour laquelle le questionnaire ne contenait pas ce genre de questions ou est-ce parce qu'il y a déjà assez de problèmes de comportements antisociaux à traiter?
Dr Mark Zoccolillo: D'autres personnes nous ont posé cette question également. Le nombre de questions que nous pouvions poser était limité. Nous avions prévu dans notre questionnaire une section distincte portant sur le comportement sexuel. Dans notre suivi sur les adultes, nous examinerons le comportement sexuel et nous poserons des questions à ce sujet. Le problème est que le nombre de questions que nous pouvions poser dans ce questionnaire-là était limité.
Par ailleurs, nous ne savions pas exactement comment intégrer ce type de questions à un questionnaire à remplir soi-même de façon à en tirer l'information pertinente.
La présidente: Deux ou trois écarts entre les chiffres que vous avez cités m'ont particulièrement intéressée, notamment l'écart entre les filles et les garçons en ce qui concerne... Les disputes avec des amis à cause de la drogue sont plus fréquentes chez les filles et les garçons ont davantage tendance à conduire un véhicule lorsqu'ils sont «high». Avez-vous déterminé les raisons pour lesquelles ces...
Dr Mark Zoccolillo: En ce qui concerne les véhicules, la raison est toute simple: un plus grand nombre de garçons conduisent un VTT, une motoneige ou une voiture, même lorsqu'ils n'ont pas de permis. Ils conduisent, donc ils ont plus souvent l'occasion de conduire en étant «partis».
En ce qui concerne les disputes avec des amis, je présume que la raison en est que les amis des filles sont davantage préoccupés que ceux des garçons par la consommation de drogues, mais ce n'est que pure hypothèse.
La présidente: Monsieur Vamos, au cours des contacts que nous avons eus avec plusieurs personnes dans diverses régions du pays, nous avons constaté que ces personnes étaient extrêmement préoccupées par le nombre insuffisant de places dans les installations de traitement. À Vancouver, on a mentionné qu'il y avait seulement six lits de traitement pour adolescents alors qu'il y a dans cette ville un gros problème avec le crystal meth, ou speed, et aussi avec l'héroïne. Même en Saskatchewan, où le nombre d'habitants est beaucoup moins élevé, on est préoccupé par le fait que 12 lits seulement sont disponibles, ce qui est déjà beaucoup mieux qu'en ce qui concerne Vancouver.
Y a-t-il des installations de traitement en suffisance ou bien cette lacune est-elle responsable en partie de la perpétuation du problème pour bien des personnes qui voudraient obtenir de l'aide?
Dr Peter Vamos: Les installations de traitement sont probablement insuffisantes partout au pays, en tout cas sur la côte ouest. Nous sommes en contact très étroit avec la municipalité de Vancouver qui s'efforce précisément de régler le problème.
La situation s'est encore aggravée lorsque le gouvernement fédéral a adopté la loi autorisant les tribunaux à prononcer des sentences conditionnelles. Cette loi était censée permettre aux tribunaux d'envoyer plus facilement des toxicomanes suivre un traitement. Même si la loi est en place, les juges causent de nombreux problèmes aux fournisseurs de traitements parce que le nombre de places est insuffisant pour s'occuper de toutes ces personnes. Le nombre de places est très limité dans les régions du pays que vous mentionnez.
On prend des initiatives très innovatrices sur le plan idéologique mais, malheureusement, on est en retard sur le plan pratique.
La présidente: Une des mesures dont nous souhaiterions la mise en place serait de conditionner l'octroi de paiements de transfert aux provinces à la création de lits dans des centres de traitement. Et pas seulement des lits. En Saskatchewan, on recommande de ne pas se limiter à augmenter le nombre de lits; on mentionne également qu'il y a moyen d'améliorer beaucoup la situation en matière de traitement ambulatoire. Quel type d'initiatives serait efficace? Pensez-vous que ce serait utile pour d'autres provinces qui se sont déjà occupées du problème et qui ne seraient pas intéressées?
Il paraît qu'aux États-Unis, on est convaincu que les régimes d'assurance privés permettraient de couvrir les dépenses liées à ce genre de traitement. Est-ce qu'au Canada des régimes d'assurance privés permettent de couvrir les dépenses des personnes qui n'ont pas les moyens de payer pour ces installations, ou bien est-ce que cette couche de la population n'est généralement pas couverte par une assurance-maladie privée parce qu'il s'agit de chômeurs?
» (1705)
Dr Peter Vamos: Madame la présidente, je pense que les États-Unis sont le dernier endroit où chercher des solutions à ce type de problème. Depuis la création des HMO, il est pratiquement impossible de suivre un traitement adéquat aux États-Unis. Le gouvernement a réduit dans des proportions absurdes le montant des fonds accordés aux organismes de traitement et la plupart des personnes qui dépendent des HMO pour un traitement, pour elles-mêmes ou un membre de leur famille, n'obtiennent pas le type de traitements qui répondent à leurs besoins.
Je pense pourtant que certaines données sont très éloquentes. Les études Calteh qui ont été faites en Californie et qui sont très connues indiquent que chaque dollar dépensé pour le traitement rapporte 7 $ à la société.
Je pense qu'il s'agit de réorienter nos priorités.
Nous avons longtemps cru qu'il était possible de régler le problème de l'accoutumance à la drogue ou de la consommation abusive d'intoxicants.
Je pense que nous sommes de plus en plus conscients que la seule approche efficace consistera à supprimer la demande, ou du moins à la réduire considérablement, notamment en soignant les personnes qui ont le plus besoin de traitement au lieu de les incarcérer.
En outre, vous n'ignorez certainement pas que c'est aux États-Unis que le taux d'incarcération est le plus élevé. Le nombre de personnes incarcérées y est même plus élevé qu'en Chine. D'après les chiffres les plus récents, 2 millions de personnes sont derrière les barreaux et plus de la moitié d'entre elles y sont pour des délits liés à la drogue.
Je ne tiens donc pas à ce qu'on choisisse les États-Unis comme modèle.
La présidente: Est-ce que le réseau de services offerts par les fournisseurs de traitements est suffisant? Ce qui me préoccupe notamment, c'est qu'il s'agit d'une maladie qui dure à vie pour la plupart des personnes concernées. Elles n'ont pas toutes besoin de participer à un programme de 28 jours ou de deux mois en permanence. Dans certains cas, un court séjour de traitement intensif suffit pour renforcer les messages ou les aider à reprendre le dessus. Je suppose que ce n'est pas un très bon exemple en ce qui concerne les personnes qui ont des problèmes de consommation abusive d'intoxicants.
Le principe qu'il serait nécessaire de prévoir divers types de traitement fournis par les pouvoirs publics, pour ne pas laisser tomber une personne qui s'en est très bien tirée mais qui fait une brève rechute... pour pouvoir lui venir en aide rapidement.
Est-ce qu'un réseau suffisant est en place? Certains services sont-ils inexistants? Est-ce que le réseau actuel permettrait de déterminer comment on pourrait élaborer un programme répondant aux besoins des Canadiens? Il semble que les services offerts varient beaucoup d'une région à l'autre.
Dr Peter Vamos: En 1974, lorsque j'ai débuté dans ce domaine, je pense qu'il y avait au Canada neuf commissions provinciales sur la consommation abusive d'intoxicants chargées notamment de veiller à ce que des politiques et des possibilités de réseautage soient en place.
Au Québec, il y avait l'OPTAT. Presque toutes les provinces avaient leur organisme responsable dans ce domaine.
Sauf en Alberta et au Manitoba—et j'ignore si un tel organisme subsiste en Saskatchewan—, ils ont tous disparu.
La Fondation canadienne de recherche sur la toxicomanie, qui recevait de l'aide financière du gouvernement fédéral et avait la responsabilité de réunir les fournisseurs de services de traitement et les chercheurs des diverses régions du pays dans le cadre de conférences et de séances d'étude, a cessé d'être financée à un moment ou l'autre. Au cours des 30 dernières années, de nombreuses mesures ont provoqué un recul dans le domaine de la toxicomanie.
Je suis très heureux que vous ayez posé la question. parce que le besoin est criant. Il faudra que quelqu'un fasse preuve de leadership. Je crois que ce leadership devra venir du gouvernement fédéral.
» (1710)
La présidente: Depuis que je vous ai vu pour la première fois au comité de la justice, j'ai été membre du comité de l'environnement. Il semble que ce soit toujours le même problème. À un certain moment, il faut fermer le robinet; on ne peut pas nettoyer sans cesse les cours d'eau. Il faut en outre faire en sorte d'offrir aux gens des possibilités de vivre de façon plus saine, sinon le problème ne sera jamais résolu.
Monsieur Zoccolillo, les messages que les gens ne reçoivent pas, contrairement à ceux qu'ils reçoivent, sont certes une source de problèmes. Vous efforcez-vous d'élaborer des messages efficaces destinés aux jeunes? S'ils pensent que la marijuana ne présente aucun risque parce que les pouvoirs publics en recommandent ou en autorisent l'usage dans certains cas... Je n'aurais pas tendance à recommander de consommer de la morphine ou de l'aspirine à tout bout de champ, bien que ce soient des substances approuvées par le ministère de la Santé.
Les gens comprennent que dans d'autres cas, certains médicaments ou certaines substances peuvent les aider à se guérir.
Je ne me mettrais pas à consommer de l'insuline, qui est également une drogue... Cependant, les personnes qui en ont besoin doivent pouvoir en obtenir et avoir l'autorisation du gouvernement.
En ce qui concerne les messages au sujet de la marijuana, on dirait que les jeunes n'en perçoivent pas les nuances. Faites-vous des efforts dans le domaine de la communication? Avez-vous des suggestions à nous faire qui puissent aider le gouvernement à communiquer avec les jeunes?
Dr Mark Zoccolillo: Je pense qu'il faut avant tout faire davantage de recherche dans ce domaine pour déterminer ce qui influence la perception qu'ont les adolescents de la consommation de drogues. Nous n'obtenons en quelque sorte que des données anecdotiques des adolescents avec lesquels nous communiquons pour tenter de comprendre les facteurs responsables de cette recrudescence de la consommation. Je me dois toutefois de signaler que le gouvernement n'a déclaré, pour aucune autre drogue dont l'usage médical est approuvé, que si vous demandez à votre médecin de vous en prescrire parce que vous en avez besoin, vous pouvez l'obtenir pour autant que vous ayez une ordonnance; c'est pourtant bien le cas en vertu des dispositions législatives proposées ou en place qui traitent le cannabis comme un semi-médicament. Le cannabis bénéficie donc d'un statut spécial, différent de celui de certaines drogues vendues sur ordonnance médicale, comme la morphine, ou divers autres médicaments.
La présidente: Comment voyez-vous cela? Si je veux obtenir une ordonnance pour acheter du Dilaudid pour atténuer mes douleurs, je m'adresse à mon médecin et...
Dr Mark Zoccolillo: Non, vous vous adressez à votre médecin et vous lui expliquez que vous avez de fortes douleurs. Le médecin vous explique les diverses options et prescrit un médicament. Dans le contexte actuel, en ce qui concerne le cannabis, il suffit de dire qu'on en a besoin et c'est le médecin qui doit le prescrire. La situation est différente. Il ne fait aucun doute que l'on a accordé un statut tout à fait spécial au cannabis.
La présidente: Sauf votre respect, je ne suis pas du tout d'accord. Certaines personnes pourraient, bien sûr, entrer dans le cabinet de leur médecin et lui dire qu'elles voudraient tel ou tel produit. De nombreuses personnes voient des annonces dans les revues américaines et demandent au médecin de leur prescrire du Viagra, par exemple, mais celui-ci n'est pas automatiquement forcé de leur prescrire ce médicament. Quand un patient se présente, le médecin pourrait examiner avec lui les autres options que la marijuana et vérifier, avant de faire une ordonnance, s'il a des douleurs et s'il n'y a pas d'autres solutions.
Dr Mark Zoccolillo: Le fait est qu'en ce qui concerne la consommation de cannabis, on ne peut se baser sur aucune indication spécifique et reconnue.
La présidente: Dans la région de l'Atlantique, on a mentionné la consommation de Dilaudid. On a probablement des indications mais il semblerait que de nombreux médecins prescrivent ce médicament malgré la manque d'information, alors qu'il s'agit d'un narcotique assez puissant dont la consommation est très réglementée. Quelle est pour vous la différence entre le Dilaudid et la marijuana?
Dr Mark Zoccolillo: De nombreuses études confirment l'efficacité du Dilaudid comme analgésique. Ce n'est pas le cas en ce qui concerne le cannabis.
» (1715)
La présidente: Très bien.
Dr Mark Zoccolillo: L'ingrédient actif THC est disponible sur ordonnance depuis des années et pourtant, il n'est pas prescrit parce qu'on a accès à des médicaments plus efficaces pour traiter divers symptômes.
Le point sur lequel je voudrais insister en ce qui concerne l'aspect médical de la question, c'est qu'à part les personnes qui sont déjà fermement convaincues que le cannabis peut être utilisé à des fins médicales légitimes—il est tout à fait justifié de faire de la recherche à ce sujet et s'il s'avère qu'il peut être utile à des fins médicales, il devrait faire partie de l'arsenal thérapeutique des médecins. Il est toutefois bon de mentionner que si l'on exerce des pressions pour légaliser son usage à des fins médicales, c'est en partie dans le but de le légaliser.
Je pense que c'est notamment le message que reçoivent les adolescents. C'est une des façons de légaliser une substance comme la marijuana que de nombreuses personnes voudraient pouvoir consommer. Je pense que c'est en partie le message que reçoivent les adolescents.
La présidente: Dans le cadre de quel programme cette légalisation s'inscrit-elle? Vous affirmez que la légalisation de la marijuana s'inscrit dans le cadre d'un programme, mais de quel programme s'agit-il?
Dr Mark Zoccolillo: Plusieurs groupes voudraient que la marijuana soit légalisée ou décriminalisée. Je pense que des représentants du Parti Marijuana ont témoigné devant votre comité.
La présidente: Oui, mais je suis convaincue que ce n'est pas le principal motif de la légalisation de l'usage de la marijuana à des fins médicales. Diverses données anecdotiques...
Dr Mark Zoccolillo: Je pense qu'un des facteurs qui motive la légalisation de la marijuana à des fins médicales est le désir de la légaliser et cela fait partie du message que les adolescents reçoivent: la consommation à des fins médicales veut dire que c'est bon.
La présidente: Je reconnais qu'il est possible que les jeunes reçoivent ce message et qu'il puisse être ambigu pour eux. C'est toutefois surprenant. Je suis surprise également que bien des jeunes ne se rendent pas compte que la tabagie ou l'inhalation de la fumée comporte des risques de cancer du poumon. Je doute que l'initiative du gouvernement fédéral en ce qui concerne l'usage de la marijuana à des fins médicales ait pour but de la légaliser.
Dr Mark Zoccolillo: C'est ce qu'il faudrait examiner. Je pense qu'il faudrait examiner la question pour déterminer si cette initiative ne contribue pas à la recrudescence de consommation de cannabis chez les adolescents. Je reconnais qu'il faudrait faire des études à ce sujet et les résultats démentiraient peut-être mes opinions...
La présidente: Je pense qu'il faut faire des évaluations parce que je suis convaincue qu'il ne faudrait pas prescrire la marijuana pour quelque motif que ce soit si elle n'est pas efficace comme traitement. Par conséquent, je suis d'accord sur ce point.
Je vois le nom de M. Lee sur la liste.
Monsieur Fallu, avez-vous des commentaires à faire?
[Français]
M. Jean-Sébastien Fallu: Non.
[Traduction]
M. Derek Lee: Je voulais entamer une petite discussion avec M. Zoccolillo sur la question de savoir si la médicalisation de la marijuana—ou l'usage de la marijuana à des fins médicales—encourageait en quelque sorte certaines personnes à en consommer. Je peux me tromper et il faudrait peut-être vérifier, mais je doute beaucoup que l'autorisation de la vente de la marijuana à des fins médicales entraîne une forte recrudescence de la consommation.
Les données sur la consommation de la marijuana chez les jeunes indiquent déjà qu'elle est en forte recrudescence et qu'elle a augmenté de 25 à 30 p. 100, voire davantage. De nombreux jeunes tentent l'expérience et fument de la marijuana pour faire un essai, et ce, malgré que ce soit illégal. Par conséquent, le pourcentage des jeunes et des membres des autres couches de la population qui consomment de la marijuana est élevé malgré que ce soit totalement illégal.
J'apprécie votre raisonnement, à savoir que divers facteurs puissent contribuer à cette recrudescence, mais je vous prie de dire ce que vous pensez de mon commentaire au sujet de votre insinuation que la décision du gouvernement, à la suite d'un jugement du tribunal permettant l'usage de la marijuana à des fins médicales, est un facteur qui contribue beaucoup à la recrudescence de la consommation.
Dr Mark Zoccolillo: Je ne prétends pas que ce soit le seul facteur, mais j'affirme qu'il faut tenir compte du fait qu'il y a une dizaine d'années, la consommation de la marijuana était beaucoup moins répandue chez les adolescents. C'est un fait certain. De nombreuses données le prouvent. La consommation a plus que doublé au cours des dix dernières années, et même au cours des six ou sept dernières années.
On est donc en droit de se demander pourquoi elle augmente encore. Lorsque nous avons posé la question aux adolescents qui en consomment, ils nous ont notamment répondu qu'ils avaient lu dans le journal qu'elle était utilisée à des fins médicales et que, par conséquent, cela devait être bon pour eux. Je peux toutefois mentionner des données tirées d'une étude faite en Ontario, dans le cadre de laquelle on a interrogé des adultes—un échantillon aléatoire comprenant un grand nombre d'adultes ontariens—et on leur a posé des questions sur leur consommation de marijuana. On a constaté que les jeunes adultes qui fument de la marijuana avaient tendance à être des jeunes de sexe masculin ayant un niveau d'instruction peu élevé et davantage susceptibles de déclarer qu'ils consommaient également de la cocaïne.
Ce groupe comprend un sous-groupe de jeunes adultes qui ont répondu qu'ils consommaient de la marijuana à des fins médicales. Ce sous-groupe était composé davantage de jeunes adultes de sexe masculin, susceptibles de consommer de la cocaïne et de niveau d'instruction peu élevé. Il ne s'agit donc pas du type de personnes qui, d'après ce que j'ai entendu dire, ont besoin de marijuana à des fins médicales. Par conséquent, les données tendent à indiquer que l'on a beau examiner la question sous n'importe quel angle dans le cadre de cette discussion ou du débat sur l'utilisation de la marijuana à des fins médicales, celle-ci contribue à son acceptation dans la société, surtout chez les jeunes.
Aucun message négatif ne circule au sujet de la marijuana. Je ne pense pas qu'il s'agisse de prohibition comme telle; ce n'en est pas. En fait, on affiche actuellement une certaine tolérance, même si les dispositions législatives sont toujours en vigueur. C'est un fait certain. Les tribunaux l'ont signalé. Nous savons qu'en ce qui concerne la consommation simple, les tribunaux ne condamnent généralement pas les contrevenants, du moins au Québec.
» (1720)
M. Derek Lee: Je m'excuse, mais qu'avez-vous entendu dire au juste au sujet des déclarations des tribunaux sur la possession ou la distribution de marijuana?
Dr Mark Zoccolillo: La police n'intente pas de poursuites et les tribunaux n'imposent généralement pas des sentences très lourdes pour consommation simple au Québec.
M. Derek Lee: Non, vous laissez entendre que les tribunaux estimaient que cela renforçait en quelque sorte des attitudes sociales.
Dr Mark Zoccolillo: Non, je disais que les tribunaux...
M. Derek Lee: J'aimerais beaucoup savoir ce que les tribunaux disaient au sujet...
Dr Mark Zoccolillo: Je disais que la prohibition n'existe plus en ce sens que les adolescents ne voient plus leurs compagnons de classe aller en prison ou faire l'objet de sanctions pour avoir fumé de la marijuana. Les jeunes disent que les policiers les voient mais qu'ils font semblant de ne pas les remarquer ou qu'ils se contentent de leur confisquer leur marijuana. Ils savent qu'ils risquent d'avoir beaucoup plus d'ennuis si on les prend à consommer de l'alcool.
M. Derek Lee: C'est peut-être une preuve du degré d'acceptation dont jouit la marijuana dans la société.
Dr Mark Zoccolillo: Et d'acceptation par la police et par les tribunaux.
M. Derek Lee: Et par la société.
Dr Mark Zoccolillo: Peut-être bien. En tout cas, on ne peut pas affirmer que c'est une drogue prohibée. Ce n'est pas le cas. Elle est interdite en théorie, mais sans plus. Je parle du Québec. J'ignore quelle est la situation dans les autres provinces.
M. Derek Lee: Il n'y a que deux possibilités : ou bien une drogue est prohibée ou bien elle ne l'est pas. Quant à savoir si l'on observe la loi, c'est une autre question. Cependant, quand je parle de prohibition, je parle uniquement de prohibition dans la loi et quand je dis que le vol armé est prohibé, il l'est.
Dr Mark Zoccolillo: Il l'est mais si vous êtes appréhendé et reconnu coupable, vous irez en prison.
M. Derek Lee: Ce n'est pas parce qu'il est prohibé que le vol armé a disparu. Il est prohibé et la possession et la distribution de marijuana sont prohibées également. C'est inscrit dans la loi. Cependant, le degré de respect de la loi est une autre question et c'est un des sujets de vos études.
Merci.
[Français]
La présidente: Vous pouvez répondre.
M. Jean-Sébastien Fallu: Je suis d'accord avec monsieur Zoccolillo: il y a aussi ce facteur. On interdit, mais la loi n'est pas appliquée. La police elle-même admet qu'elle s'intéresse de moins en moins aux consommateurs. Mais il faut aussi se rappeler que nous vivons une période critique en ce moment. On parle d'aspects positifs pour faire changer la loi mais, malheureusement, la majorité des gens ont de la difficulté à nuancer les choses: c'est soit mauvais, soit bon. On est maintenant dans une période critique qui peut effectivement encourager, d'une certaine façon, la consommation.
En soi l'usage médical d'une drogue n'est pas fondamentalement un facteur très important d'incitation à la consommation. La morphine qui, comme tout le monde le sait, est utilisée en médecine, ne sera pas nécessairement, tout comme l'héroïne, perçue par les jeunes comme une substance inoffensive. Je ne crois pas que l'usage médical de ces drogues les encouragera à en consommer. Il s'agit donc d'une période critique qui fait qu'il y a des jeunes qui peuvent penser que ce ne sont pas des substances dangereuses, et cela peut les pousser à en consommer. Mais, il faut être prudent et ne pas éliminer tout ce qui est usage médical sous prétexte que cela ne fera qu'encourager les gens à consommer.
[Traduction]
La présidente: Madame Morissette.
[Français]
Mme Carole Morissette: En fait, je pense qu'il faut se rappeler que l'usage des drogues est multifactoriel et qu'il ne faut négliger aucun des facteurs. Je pense vraiment qu'il y aurait lieu de faire une étude sur l'évolution des normes sociales relativement à l'usage du cannabis et de voir l'impact des politiques gouvernementales sur ces normes. Je crois qu'il faudrait aussi étendre la recherche aux autres phénomènes qui ont pu influencer les adultes qui sont actuellement les parents de ces adolescents. Ce serait une question vraiment intéressante à poser en termes de recherche. À l'heure actuelle, je connais quelques situations anecdotiques où, d'un côté, des jeunes se font expulser de leur milieu scolaire pour possession de drogues, mais où d'un autre côté, les parents de ces jeunes consomment eux-mêmes du cannabis à la maison, et sont même ceux qui ont initié leurs jeunes à la consommation de cannabis. C'est anecdotique, mais seulement dans le but d'enrichir la conversation d'exemples qui permettent de voir que, finalement, il y a vraiment lieu de bien documenter la situation avant d'émettre une conclusion.
Mais il est clair qu'il semble actuellement y avoir une certaine tolérance sociale à l'égard de la consommation de cannabis, et ce, malgré la loi. Je ne pense pas que nous serions d'accord pour mettre en prison des jeunes de 18 ans pour possession ou consommation de cannabis, mais il faut quand même essayer de voir pourquoi les normes sociales évoluent d'une façon telle qu'il y a présentement une proportion importante de jeunes qui consomment du cannabis.
Plus tôt, j'ai bien aimé l'idée de l'autotraitement. J'ai entendu parler d'éducateurs en milieux scolaire qui disaient que certains jeunes ayant pris du Ritalin pendant une grande partie de leur enfance trouvaient qu'ils soulageaient leurs symptômes et qu'ils étaient beaucoup plus tranquilles en classe depuis qu'ils fumaient du cannabis et que pour eux, c'était une façon de s'autotraiter, dans le but d'être plus calmes en classe. Il s'agit ici aussi d'éléments anecdotiques qui ne constituent absolument pas un avis scientifique, mais qui soulignent la complexité des facteurs qui influent actuellement sur l'usage du cannabis chez les jeunes. Voilà.
» (1725)
[Traduction]
La présidente: Je vous remercie.
Puis-je poser une autre question? Monsieur Vamos, j'aimerais que vous nous parliez du type de personne qui donne des informations.
Je m'adresse également à Mme Morissette. Vous avez mentionné que la consommation de cocaïne est très courante. Pourtant, la cocaïne n'a pas été aussi souvent le point de mire de nos investigations qu'aux États-Unis, par exemple. Pensez-vous qu'il y ait une différence entre la consommation de cocaïne au Canada—ou à Montréal ou dans une autre région—par rapport à la consommation dans une ville américaine analogue? Le problème est-il le même?
Dr Peter Vamos: Notre clientèle est principalement composée, surtout en ce qui concerne les adultes, de consommateurs de cocaïne et c'est une drogue dont la consommation est très répandue, du moins...
La présidente: À Montréal.
Dr Peter Vamos: ... chez le genre de personnes qui composent notre clientèle, tant en ce qui concerne les adultes que les adolescents. D'après ce que nous avons pu constater, la consommation de cocaïne par injection est très répandue.
J'espère qu'on trouvera une possibilité de faire la différence entre le statut légal des drogues et la réaction du pays ou de la province concernés, parce qu'on les confond souvent, au détriment des deux. Je pense que nous avons maintenant la certitude—comme l'a montré l'expérience de divers pays d'Europe occidentale—que la légalisation des drogues, la tolérance à leur égard ou l'adoption de sanctions moins strictes n'entraînent pas une recrudescence de la consommation et n'engendrent pas d'autres problèmes sociaux. Les expériences n'entraînent pas une augmentation du nombre de toxicomanes. Les expériences de réduction des effets nocifs n'endommagent en aucune façon la fibre sociale de la société concernée.
Je pense que la cause en est une insuffisance flagrante dans le domaine du traitement et que la raison pour laquelle nous avons cette discussion—cela fait maintenant 32 ans que la Commission Le Dain a terminé ses travaux—et pour laquelle les chiffres de M. Zoccolillo indiquent une forte recrudescence constante de la consommation abusive d'intoxicants est que nous ne nous sommes pas attaqués au noyau du problème qui est le suivant: comment faut-il répondre aux besoins des personnes qui adoptent la consommation de drogues comme mode de vie ou pour échapper aux réalités de la vie courante? Je crois que c'est un problème qu'il faut régler.
Le gouvernement fédéral a été, à ma grande déception, empêché de diverses façons de jouer un rôle prépondérant dans ce domaine. La stratégie canadienne en matière de drogue est administrée par de très petits bureaux situés à Ottawa. Dans ma province, c'est-à-dire au Québec, je ne sais pas du tout qui est responsable de ce dossier. On ne connaît aucun groupe de personnes qui assure un leadership dans ce domaine. Je pense que la situation est la même dans toutes les régions du pays.
Les premiers ministres qui ont tenté autrefois de jouer un rôle prépondérant dans ce domaine ont été vilipendés par les médias. Je pense donc qu'il y a un manque flagrant de leadership qui se traduit par une forte carence au niveau financier et nous oblige à chercher des solutions. J'insiste toutefois sur la nécessité de faire une distinction entre la réaction au problème de la drogue et le statut légal des drogues, qui est en fait une question qui relève des normes de la société ou de la collectivité.
La présidente: Thank you.
Madame Morissette, pouvez-vous répondre à ma question sur la cocaïne?
[Français]
Mme Carole Morissette: Pouvez-vous répéter la question?
» (1730)
La présidente: Quand on compare la situation au Canada et aux États-Unis, on constate qu'on parle toujours de la cocaïne aux États-Unis, mais qu'on n'en parle pas souvent au Canada. Montréal est un peu différente des autres villes, mais est-ce que la cocaïne est un grave problème au Canada?
Mme Carole Morissette: Je pense que la cocaïne est un grand problème, particulièrement dans l'est du pays. Depuis quelques années, on peut dire que dans l'est du pays, particulièrement à Montréal, la cocaïne est un très grand problème. Depuis longtemps, 80 p. 100 des personnes qui s'injectent de la drogue s'injectent de la cocaïne. Ces dernière années, l'héroïne est devenue de plus en plus disponible.
Les gens consomment la drogue qui est disponible, tantôt la cocaïne, tantôt l'héroïne, tantôt les deux. Mais je pense que le profil est en train de changer au Canada. Mes collègues de l'ouest du pays vous ont peut-être dit que le profil de consommation dans l'Ouest a aussi changé. La cocaïne est de plus en plus présente, alors qu'autrefois, il y avait très peu de cocaïne dans l'ouest du pays. C'était plutôt les amphétamines et l'héroïne. Ce profil tend à changer, ce qui est également le cas en Europe. Je pense que vous aurez l'occasion de constater que dans certains pays qui ont commencé à mettre en place des programmes de réduction des méfaits, l'héroïne était la drogue la plus souvent consommée.
Les évaluations de ces pays quant à la réduction des méfaits portent sur des situations où il y a une majorité de consommateurs d'héroïne. Actuellement, les profils sont en train de changer, et il y a de plus en plus de consommateurs de cocaïne dans ces pays, ce qui fait qu'ils ont de nouveaux défis par rapport à leurs programmes, des défis que nous avons depuis plus d'une décennie. Nous devons essayer de tenter de régler ce problème.
Je pense qu'on devrait travailler sur la question des traitements, car c'est vraiment un problème, comme je l'ai dit dans ma présentation. On a beaucoup d'expérience avec les opiacés. On a tenté des choses avec les opiacés et on a des produits de substitution. Donc, on a une offre à faire. Cependant, pour ce qui est de la consommation de cocaïne, on a vraiment des efforts à faire. Dans une région comme Montréal, où 80 p. 100 des usagers consomment de la cocaïne, on a très peu à offrir à la majorité des personnes. Il faut vraiment faire un effort.
La présidente: Dans les plus petites villes du pays, on constate un problème de prescription drug misuse. Est-ce qu'on a aussi ce problème à Montréal?
Mme Carole Morissette: Je ne suis pas tout à fait au courant des dernières données, mais dans la liste des produits consommés par les jeunes de la rue et les usagers de drogues par injection, on trouve certains médicaments d'ordonnance qui sont vendus sur la rue, mais c'est vraiment en bas de la liste. Ce ne sont pas ces produits qui sont le plus souvent consommés. Les produits le plus souvent consommés sont le cannabis, la cocaïne et l'héroïne, qui sont tout en haut de la liste.
La présidente: Il est très intéressant de voir que partout au pays, il y a des petites choses ici et là, mais qu'il n'y a pas d'autres choses.
[Traduction]
Il y a une question de convergence qui entre en ligne de compte également et la situation évolue plus rapidement que ne progressent nos audiences.
Avez-vous
[Français]
une petite question?
M. Réal Ménard: Ce comité-ci a entendu beaucoup de témoins. Il s'est promené un peu partout au Canada et s'apprête à aller en Europe. Une de nos grandes frustrations, c'est que peu de témoins nous ont présenté des études sur les motivations personnelles. Je suis d'accord qu'il faut étudier toute la question des normes sociales, mais je pense qu'il faut avoir beaucoup d'indications sur la question des motivations personnelles.
Dans le document qu'il nous a présenté, le Dr Zoccolillo pose la question de savoir pourquoi les gens consomment des drogues, mais je trouve qu'il n'y répond pas beaucoup. Je ne peux pas m'imaginer que les gens consomment de la drogue parce qu'il pensent que cette drogue est dépénalisée. Il faut qu'il y ait des motivations personnelles que nous devons comprendre en tant législateurs. Peu importe le cadre réglementaire ou le type d'agence qu'on aura, il faut qu'on comprenne pourquoi, dans cette génération-ci, il y a une cohorte d'adolescents et d'autres personnes qui consomment plus de drogues. J'essaie toujours de voir s'il y a des liens entre la drogue et le suicide. On dit qu'on vit dans une société où le taux de suicide chez les jeunes est plus élevé qu'il ne l'a jamais été. On est aussi dans une société beaucoup plus matérialiste qu'on ne l'a jamais été, dans une société où il y a des moyens de production qui n'existaient pas pour nos grands-parents et nos arrière-grands-parents.
Madame la présidente, vous avez posé trois questions. J'en pose deux. Est-ce que vous avez des idées sur les motivations individuelles des gens qui les amènent à consommer? Pourquoi voulez-vous une agence et quel type d'agence voulez-vous? Je pense que Jean-Sébastien a sûrement des idées là-dessus aussi.
» (1735)
[Traduction]
Dr Mark Zoccolillo: Je tiens à mentionner tout d'abord que cette étude se situe au niveau de la population, ce qui est différent d'une étude située au niveau du traitement; par conséquent, on obtient des réponses différentes.
Nous avons indiqué aux adolescents diverses raisons pour lesquelles ils auraient pu consommer des drogues: parce qu'ils ne se sentaient pas bien dans leur peau, à cause de la pression des pairs et diverses autres raisons. D'après eux, la principale raison pour laquelle ils avaient consommé des drogues est que cela faisait du bien et que c'était agréable.
J'ignore tous les motifs qui peuvent amener quelqu'un à consommer de la drogue, mais il faut prévoir un large éventail de motifs. Par exemple, nous recueillons depuis des années des données sur la consommation du tabac. La consommation de tabac était très courante il y a 30 ou 40 ans parce que les fabricants de cigarettes faisaient beaucoup de publicité et que la société trouvait cela agréable. Les médecins eux-mêmes faisaient de la publicité pour la cigarette. La situation a changé. Le nombre de consommateurs et la consommation ont considérablement diminué. Cependant, la mentalité n'a pas tellement changé.
Plusieurs facteurs ont une influence sur les motifs pour lesquels on consomme de la drogue. Il peut s'agir de motifs personnels susceptibles de contribuer à l'interdépendance mais aussi de facteurs liés aux attitudes sociales. De nombreux facteurs entrent en ligne de compte. J'hésiterais beaucoup à affirmer qu'il n'y a qu'un seul motif. En outre, les motifs évoluent avec le temps.
En ce qui concerne l'organisme, M. Vamos a également mentionné que la situation avait considérablement régressé au cours des 30 dernières années. Il est nécessaire de créer un organisme gouvernemental dont la tâche soit de promouvoir la réduction des risques liés à la consommation de drogues. C'est pratiquement aussi simple que cela. Quoiqu'on dise, il ne faut pas s'intéresser uniquement à la question de l'accoutumance. Il suffit d'observer la situation en ce qui concerne le tabac. Les risques liés à la consommation du tabac n'ont pas diminué, parce qu'il n'y a pas de niveau de consommation ne présentant aucun risque. Il s'agit donc de faire de la prévention.
Il faudrait qu'un tel organisme examine ces diverses questions, qu'il détermine quelle est la recherche la plus utile, subventionne des programmes visant à réduire les effets nocifs, mette ces programmes à l'essai et établisse un modèle que les provinces pourraient suivre. Je ne suis pas expert en matière de création d'organismes gouvernementaux mais c'est ce que je suggérerais en gros.
[Français]
La présidente: Merci beaucoup.
Monsieur Fallu.
M. Jean-Sébastien Fallu: En ce qui a trait aux facteurs personnels, je suis d'accord qu'on ne peut pas décontextualiser la consommation. C'est l'interaction de tous ces facteurs qui mène à la consommation. Comme je le disais plus tôt, il y a des facteurs comme la recherche de sensations et l'agressivité des garçons, mais cela peut venir d'autres choses. Je pense que le sentiment d'aliénation chez l'individu a beaucoup à voir avec cela, mais ce facteur est en interaction avec son environnement et avec la façon dont il se perçoit et se sent. Il y a peut-être l'incohérence de l'éducation qu'il a reçue. Il y a peut-être aussi l'incohérence entre la loi qui interdit et le fait que ses parents consomment. Pour un jeune en pleine formation d'identité et en période d'introjection de normes et de valeurs sociales, il est difficile d'y comprendre quelque chose, j'en suis certain.
Pour ce qui est de l'idée d'une agence, je pense que c'est une excellente idée. Si l'intervention publique, en termes de consommation de drogue, relève du ministère de la Justice, je pense que c'est voué à l'échec pour la simple et bonne raison que l'argent qu'on pourra consacrer au law enforcement n'égalera jamais l'argent du crime organisé. C'est une farce. On ne va jamais s'en sortir. La consommation de drogue existe, qu'elle soit légale ou illégale, ou qu'il s'agisse d'un usage thérapeutique ou non médical. Elle existe depuis des siècles et des siècles, et elle va toujours exister. Je pense qu'il n'y a aucune autre voie possible que celle d'aller vers une instance axée sur la santé.
Actuellement, juste dans les raves à Montréal, on constate que ça s'en va comme ça. Il n'y a pas que des raves; il y a des after hours qui sont ouverts les jeudis, vendredis, samedis et dimanches. La consommation de speed, d'amphétamines est énorme à ces endroits. C'est en banlieue, dans les environs, à Montréal, et cela va en s'accroissant. Selon ce que j'ai vu, la police ne fait qu'arrêter ceux qui ne sont pas reliés d'une quelconque façon au crime organisé. La police ne peut pas arriver à arrêter ça. Dans des événements rave, j'ai vu de mes propres yeux la police fouiller tous les gens à l'entrée et arrêter 75 personnes, dont deux vendeurs qui n'avaient pas compris qu'on ne se présente pas dans un rave pour vendre de la drogue à moins d'être protégé. Pourtant, il y a 200 vendeurs à l'intérieur.
Donc, la corruption existe et elle va toujours exister. Je ne parle pas de l'ensemble du corps pénal, mais il y aura toujours des individus corrompus qui vont permettre à des gens de vendre de la drogue. Donc, je pense qu'il est évident qu'il faut aller vers une approche santé.
» (1740)
M. Réal Ménard: [Note de la rédaction: Inaudible] ...Êtes-vous d'accord avec moi?
M. Jean-Sébastien Fallu: Sur quelle base? Sur la base de la corruption?
M. Réal Ménard: Sur la base du fait que la corruption est un phénomène marginal parmi ceux qui détiennent l'autorité.
On a fini, madame la présidente. Vous êtes fatiguée.
La présidente: Non, non.
M. Réal Ménard: Ah, c'est toujours avec plaisir que j'écoute Mme Morissette.
Mme Carole Morissette: Je voulais simplement appuyer l'idée d'une agence. Je ne sais pas si on devrait l'appeler une agence, mais il est clair que depuis plusieurs années, dans les rapports des comités intersectoriels qui ont examiné la question de l'usage de drogues, on réclame la concertation entre les ministères et la création d'une instance qui va enfin régler les problèmes que nous vivons sur le terrain, quand il est question de mettre en place les programmes. Je pense qu'il faut aussi s'appuyer sur l'expertise qui est déjà là. Je suis sûre que vous y pensez déjà, mais je pense à certaines structures de recherche qui sont en place et à certains groupes de gens qui travaillent depuis des années dans le domaine et qui ont vraiment besoin d'être appuyés pour en faire davantage. Je pense qu'il faut s'appuyer sur l'expertise déjà existante pour continuer le travail et peut-être créer un instance plus particulière qui pourra examiner certains points bien précis, notamment le point juridique.
Voilà. Merci beaucoup.
La présidente: Merci beaucoup à tous.
Je voudrais poser une question pour les gens qui prennent des notes. Que veut dire GRIP, monsieur Zoccolillo?
Dr Mark Zoccolillo: Groupe de recherche sur l'inadaptation psychosociale chez l'enfant.
[Traduction]
Une voix: S'agit-il du même GRIP que celui que M. Fallu a mentionné?
La présidente: Non.
M. Jean-Sébastien Fallu: On les confond souvent. Il s'agit d'un GRIP différent.
La présidente: C'est maintenant consigné au compte rendu, donc nous le savons.
Thank you very much tous d'être venus. Merci beaucoup de nous avoir fait part de vos connaissances. Au nom de mes collègues, ceux qui sont présents et ceux qui sont absents, je tiens à vous dire que nous apprécions beaucoup l'information que vous nous avez donnée et que nous vous souhaitons beaucoup de chance dans les efforts que vous faites dans vos domaines respectifs. Cela fait une grosse différence. Merci beaucoup.
La séance est levée.