SNUD Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 16 avril 2002
¾ | 0840 |
La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)) |
¾ | 0845 |
M. Robert Adamec (Faculté de psychologie, Université Memorial de Terre-Neuve) |
¾ | 0850 |
¾ | 0855 |
¿ | 0900 |
La présidente |
M. William McKim (Faculté de psychologie, Université Mémorial de Terre-Neuve) |
¿ | 0905 |
¿ | 0910 |
¿ | 0915 |
La présidente |
M. Mike Patriquen (membre, Parti marijuana du Canada) |
¿ | 0920 |
¿ | 0925 |
La présidente |
M. Randy White |
M. Mike Patriquen |
M. Randy White |
¿ | 0930 |
M. William McKim |
La présidente |
M. Randy White |
M. William McKim |
M. Randy White |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. Mike Patriquen |
¿ | 0935 |
¿ | 0940 |
M. Randy White |
M. Mike Patriquen |
M. Robert Adamec |
M. William McKim |
La présidente |
M. Réal Ménard (Hochelaga--Maisonneuve, BQ) |
M. Robert Adamec |
¿ | 0945 |
M. Ménard |
M. Robert Adamec |
M. Réal Ménard |
La présidente |
M. Réal Ménard |
M. William McKim |
¿ | 0950 |
M. Ménard |
M. William McKim |
M. Réal Ménard |
M. William McKim |
M. Réal Ménard |
La présidente |
M. Robert Adamec |
¿ | 0955 |
M. Ménard |
M. Mike Patriquen |
M. Réal Ménard |
La présidente |
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD) |
À | 1000 |
M. William McKim |
La présidente |
M. Robert Adamec |
À | 1005 |
M. Mike Patriquen |
Mme Libby Davies |
M. William McKim |
À | 1010 |
La présidente |
Mme Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.) |
La présidente |
M. Robert Adamec |
À | 1015 |
M. William McKim |
À | 1020 |
Mme Libby Davies |
M. William McKim |
Mme Hedy Fry |
La présidente |
Mme Hedy Fry |
La présidente |
M. William McKim |
Mme Libby Davies |
M. William McKim |
La présidente |
M. Derek Lee (Scarborough--Rouge River, Lib.) |
À | 1025 |
M. William McKim |
À | 1030 |
M. Derek Lee |
M. William McKim |
M. Derek Lee |
M. William McKim |
M. Derek Lee |
M. William McKim |
M. Derek Lee |
M. William McKim |
Mme Libby Davies |
M. William McKim |
À | 1035 |
À | 1040 |
M. Derek Lee |
La présidente |
À | 1045 |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. Robert Adamec |
M. William McKim |
La présidente |
Mme Carole-Marie Allard (Laval-Est, Lib.) |
Mme Allard |
M. William McKim |
La présidente |
M. Robert Adamec |
Mme Carole-Marie Allard |
M. Mike Patriquen |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. Randy White |
M. Réal Ménard |
M. Randy White |
La présidente |
M. Robert Adamec |
M. Randy White |
M. Robert Adamec |
M. William McKim |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. Mike Patriquen |
La présidente |
M. Mike Patriquen |
La présidente |
M. Réal Ménard |
La présidente |
M. Robert Adamec |
M. Réal Ménard |
La présidente |
M. Mike Patriquen |
M. Réal Ménard |
M. Mike Patriquen |
M. Réal Ménard |
La présidente |
M. Mike Patriquen |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. William McKim |
La présidente |
Mme Libby Davies |
La présidente |
M. William McKim |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. William McKim |
La présidente |
M. William McKim |
La présidente |
M. William McKim |
La présidente |
M. William McKim |
La présidente |
M. William McKim |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. Derek Lee |
M. Mike Patriquen |
La présidente |
M. Derek Lee |
La présidente |
M. Mike Patriquen |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. Robert Adamec |
La présidente |
M. William McKim |
La présidente |
CANADA
Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments |
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l |
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 16 avril 2002
[Enregistrement électronique]
¾ (0840)
[Traduction]
La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)): Je déclare la séance ouverte.
Bonjour. Nous sommes le Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments et nous nous réjouissons d'être ici, à Halifax, ce matin.
Notre table ronde sur la recherche et la politique sur les drogues se compose de Robert Adamec, professeur de psychologie, et William McKim, également professeur de psychologie à l'Université Mémorial, ainsi que Mike Patriquen du Parti marijuana du Canada.
Pour que vous sachiez qui nous sommes, je suis Paddy Torsney. Je suis la députée de Burlington en Ontario, pas très loin de Toronto. Les représentants de quatre des cinq partis politiques sont réunis autour de cette table et les autres membres du comité qui ne sont présents aujourd'hui recevront la transcription de nos délibérations.
Le vice-président du comité, Randy White, vient de Langley—Abottsford et est un député de l'Alliance canadienne. Kevin Sorenson représente la circonscription de Crowfoot en Alberta, pas très loin d'Edmonton. Réal Ménard, du Bloc québécois, vient de la partie sud de Montréal, la circonscription d'Hochelaga—Maisonneuve. Libby Davies, la députée de Vancouver-Est, est la représentante du Nouveau démocratique. Le Dr Hedy Fry vient également de Vancouver et Derek Lee est le député de Scarborough—Rouge River. Il y a aussi notre attachée de recherche, Chantal Collin, et notre greffière, Carol Chafe.
Je crois que chacun de vous va nous faire un exposé d'un peu moins de 10 minutes.
Monsieur Patriquen, je ne sais pas exactement quelle sera la durée de votre présentation. Une dizaine de minutes, d'accord.
Je vous ferai signe quand il vous restera environ une minute après quoi les députés poseront des questions aux témoins.
Monsieur Adamec, vous avez la parole.
¾ (0845)
M. Robert Adamec (Faculté de psychologie, Université Memorial de Terre-Neuve): Je vais faire une courte présentation sur Power Point.
Je voudrais vous expliquer pourquoi je suis ici. Je suis psychologue, mais je suis également un spécialiste des neurosciences du comportement. C'est un peu par hasard que j'ai commencé à m'intéresser aux dépendances. Je voudrais vous décrire les circonstances, car je crois que ce dont je vais vous parler pourrait représenter un modèle à suivre.
Comme je l'ai dit, je fais de la recherche fondamentale. Je suis financé par les IRSC. En 1996, je suis allé à une réunion parrainée par le Conseil de recherches médicales qui visait à réunir des chercheurs universitaires et des professionnels de la santé pour voir si un foisonnement des idées ou des connaissances permettrait de résoudre certains problèmes de santé. À cette réunion, j'ai rencontré Minnie Wasmeir, qui était alors la directrice de la région sanitaire de l'ouest de Terre-Neuve. La province est divisée en six régions. Je lui ai demandé pourquoi elle était là et elle a répondu qu'on avait constaté l'augmentation de la consommation de certaines substances chez les jeunes Terres-Neuviens. Je dois mentionner qu'une étude épidémioligique a été effectuée dans la région de l'Atlantique, sur l'initiative de Christine Poulin, qui a surveillé la consommation de diverses substances chez les jeunes de Terre-Neuve sur une période de deux ans.
Minnie Wasmeir a dit que ces chiffres étaient très intéressants parce qu'ils montraient l'existence d'un problème, mais elle a ajouté qu'ils ne lui permettaient d'en connaître les causes. Elle m'a demandé si je pouvais l'aider sur ce plan et je lui ai répondu qu'il existait peut-être une technique permettant au moins de dégager certaines influences importantes. Je voudrais vous parler brièvement de certaines des conclusions auxquelles nous sommes arrivés en nous servant de cette méthodologie. C'est ce qu'on appelle «l'analyse des pistes causales».
Comme son nom l'indique, l'analyse des pistes causales est une méthode mathématique qui permet—du moins dans cette application—d'identifier les facteurs susceptibles d'influencer la consommation de drogues. Mais surtout, on peut s'en servir pour mesurer l'importance des diverses influences. Comme j'espère vous le démontrer, cela peut avoir des répercussions sur la mise au point de méthodes d'intervention.
La découverte de ces influences est utile pour diriger l'attention vers les sources du problème—et vous comprendrez pourquoi c'est important dans un instant—de même que pour cibler les interventions vers les principales sources d'influence.
Une autre chose que nous espérions faire, mais pour laquelle nous n'avons pas obtenu de financement, était l'utilisation de cette méthodologie après une intervention pour procéder à une évaluation quantitative de l'efficacité de l'intervention. Je vais essayer de vous en donner quelques brefs exemples.
Nous avons étudié la consommation de diverses substances à Terre-Neuve à partir d'un échantillon de 3 293 étudiants de huitième et onzième année choisis au hasard. Je n'entrerai pas dans les...
M. Randy White (Langley—Abbotsford, Alliance canadienne): C'est toute une étude.
M. Robert Adamec: Je n'entrerai pas dans tous les détails. Je vais simplement vous souligner quelques faits saillants.
Voici un modèle de pistes causales. Qu'est-ce qu'un modèle de pistes causales? Ce sont des mesures quantitatives. Ce modèle a été établi à partir d'un questionnaire auquel ces jeunes ont répondu et reflète donc leurs opinions. C'est ce qu'ils croyaient.
Dans un modèle de pistes causales, vous indiquez les variables qui sont mesurées—celles-ci sont quantitatives—et dans ce genre de modèle, une influence qui peut influencer une autre variable est la source d'une flèche. La cible de cette influence se trouve au bout de la flèche. Les chiffres qui apparaissent à l'intérieur de la flèche sont appelés «coefficients de piste normalisés». Ces coefficients vont de moins un à plus un et ils indiquent la direction de l'effet qui peut être négatif s'il y a réduction ou positif, s'il y a augmentation. Plus le coefficient de piste est important, plus l'influence est forte.
Nous nous sommes basés, au départ, sur un modèle utilisant ces variables et ceci est un modèle qui a été mis au point par des chercheurs américains, notamment Webster, et qui a été appliqué à plusieurs populations dans le monde. C'était donc un bon point de départ. Nous avons ajouté des variables telles que la disponibilité ainsi que diverses activités étant donné qu'il semblait que l'augmentation de la consommation était attribuable à l'incapacité de se livrer à des activités. Autrement dit, les jeunes s'ennuyaient.
Dans ce modèle, la flèche verte indique une influence sur la consommation d'alcool; c'est une mesure composée de la fréquence et de la quantité. Les flèches rouges représentent les influences négatives ou inhibitrices. Je n'entrerai pas dans tous les détails. J'apporte seulement quelques précisions. Les flèches épaisses représentent les fortes influences et l'analyse des pistes causales peut donc révéler à la fois la complexité des facteurs qui déterminent la consommation d'une substance, mais aussi les causes présumées du problème. Si vous examinez ce diagramme, il est assez évident que la consommation de la substance par les pairs a énormément d'influence.
On peut se demander dans quelle mesure cette prédiction est fiable et à quel point l'influence est forte. Comme l'indique ce modèle, cette source d'influence pourrait déterminer 90 p. 100 de la consommation d'alcool. Autrement dit, ce modèle est exact à 90 p. 100 pour prédire la consommation d'alcool. Néanmoins, la consommation d'alcool par les pairs représente 88,4 p. 100. C'est donc une source d'influence extrêmement puissante. Tous les autres facteurs ne font que l'accentuer un peu plus.
Maintenant, la décomposition des effets est une façon de déterminer le degré d'influence des prédicteurs sur les variables prédites et cette prédiction ou exactitude de 88,4 p. 100 est le résultat de l'influence directe de même que des propres normes du jeune au sujet de la consommation d'alcool et ses propres préférences.
Vous pouvez ensuite diviser cela en effets directs, qui correspondent à un taux d'exactitude de 65,6 p. 100 pour la prédiction, et en effets indirects, qui correspondent à ces autres pistes, ce qui vous donne une exactitude de prédiction ou, si vous préférez, un degré d'influence d'environ 24,4 p. 100.
Ce genre de données...et je dois vous dire que nous avons procédé à des analyses de pistes causales pour la consommation d'alcool, de marijuana, de haschisch, de médicaments délivrés sous ordonnance à des fins non médicales et de solvants de même que pour la consommation de cigarettes et de caféine. Quoi qu'il en soit, en examinant ces pistes causales et en décomposant les effets, on peut obtenir un modèle mathématique qui orientera les interventions.
¾ (0850)
Nous avons suggéré aux régions sanitaires plusieurs interventions possibles. Dans le cas de l'alcool, il s'agit de s'attaquer directement à l'influence des pairs. Nous ne pouvons pas préciser comment y parvenir—et c'est une partie du problème—, mais nous dirigeons leur attention sur cette dimension. Si le lien peut-être rompu, le modèle prédit que la disparition complète de cette source d'influence entraînera une diminution de 66 p. 100 de la consommation d'alcool. Ce chiffre découle du pourcentage de variance que prédit cette variable.
Une autre possibilité consiste à intervenir au niveau des prédicteurs de la consommation par les pairs. En fait, il s'agit d'une stratégie moins efficace et très difficile à mettre en oeuvre étant donné que ces prédicteurs découlent probablement du comportement parental et des normes parentales vis-à-vis de la consommation d'alcool. Autrement dit, il faudrait modifier le comportement des parents. Cela ne serait peut-être pas non plus une bonne stratégie pour une partie des adolescents étant donné que, selon nos propres modèles, l'influence des parents diminue chez les adolescents plus âgés, ce qui n'est guère étonnant, alors qu'elle est forte chez les adolescents plus jeunes.
De toute façon, le modèle prédit que ce genre d'intervention n'entraînerait qu'une diminution de 30 p. 100 de la consommation d'alcool. Encore une fois, vous pouvez faire des choix en fonction de l'effet prévu des diverses variables et diriger vos interventions en conséquence.
Nous espérions que si nous pouvions appliquer ces interventions—nous n'avons pu obtenir le financement voulu—, nous assisterions à une diminution de la consommation de la substances en question. Nous pourrions également déterminer si notre intervention avait eu effectivement un effet sur les variables ciblées. Ces coefficients de piste devraient tomber à zéro si les liens visés pouvaient être effectivement rompus.
Cette idée a ceci de particulier qu'à ma connaissance il n'existe pas de mesures quantitatives de l'efficacité des programmes d'intervention. Cela pourrait être un moyen d'évaluer leur efficacité.
J'ai presque terminé. Je voudrais seulement vous donner une idée de certaines autres choses que nous avons examinées.
Nous avons étudié la consommation de médicaments. J'ajouterais simplement que la consommation de médicaments délivrés sur ordonnance pose un certain problème. Pour les autres substances, nous avons constaté une différence entre les groupes d'âge; la fréquence augmentait au fur et à mesure que les jeunes avançaient en âge. Mais dans le cas des solvants et des pilules, la consommation était la même quel que soit l'âge de l'adolescent.
Ce modèle des pistes causales montre également que la consommation d'autres substances comme l'alcool et les solvants fait partie de l'équation en ce qui concerne la consommation de pilules. Ce qui laisse entendre que les deux sont consommés en même temps. Lorsqu'on tente d'évaluer les méfaits des toxicomanies, ces données révèlent peut-être la consommation de diverses substances, du moins chez les adolescents terre-neuviens, ce qui pourrait augmenter les risques pour leur santé. Nous constatons le même problème, même s'il n'est pas aussi prononcé, en ce qui concerne les solvants. Les pilules prédisent également l'utilisation de solvants.
Pour revenir là-dessus, nous avons également effectué cette analyse pour la consommation de marijuana et de haschisch et, dans ce cas, les résultats changent: la consommation par les pairs est un prédicteur très important de la propre consommation de l'adolescent, mais la disponibilité de la substance, qui n'était pas vraiment un prédicteur puissant pour les autres substances, devient un facteur plus influent. Ce qu'il y a d'intéressant aussi c'est qu'un puissant prédicteur de la disponibilité est la consommation parentale qui influence ensuite la consommation de l'adolescent en influençant les normes des pairs et leur consommation. Il y a plusieurs façons d'interpréter ces données, mais dans un certain sens, cela veut dire qu'en raison du comportement des parents, ces adolescents peuvent se procurer plus facilement de la marijuana et du haschisch.
J'ajouterais seulement que si vous trouvez que tout cela présente un certain intérêt...j'ai ici nos rapports si vous voulez les lire en détail. Je crois que le foisonnement des idées des divers experts conduira peut-être à une nouvelle façon d'aborder ces problèmes.
¾ (0855)
Je crois qu'il faudrait favoriser davantage ce genre de chose. Ce genre d'initiative a été lancé par le Conseil de recherches médicales. En fait, la réunion dont je vous ai parlé au début de mon exposé a eu lieu en 1996. Depuis, on n'a pas cherché très souvent à provoquer ce foisonnement des idées. La poursuite de ces programmes permettrait pourtant de trouver de nouvelles façons de résoudre ces problèmes.
Une question a été soulevée quant à savoir s'il faudrait ou non créer un institut de recherche en santé. Je suis convaincu que oui. Mais si vous accordez à cette question une plus grande priorité, il faudrait également augmenter le financement. J'ajoute toutefois en tant que chercheur que si vous le faites, il faut que vous débloquiez des fonds supplémentaires au lieu de le faire aux dépens du budget déjà limité des instituts de recherche en santé.
Enfin, vous avez également demandé s'il serait souhaitable d'avoir une stratégie nationale pour la collecte de renseignements. Je serais tout à fait pour, en formulant toutefois les réserves ci-après.
Je suis pour à cause de cette enquête sur la consommation de drogue que Christine Poulin a lancée dans les provinces de l'Atlantique à trois reprises, tous les deux ans. C'est une épidémiologiste qui essaie d'appliquer une bonne méthodologie épidémiologique pour évaluer la consommation des diverses substances. C'est à la suite de cette initiative que le Dr Wasmeir m'a parlé de ce problème parce que les autorités sanitaires s'inquiétaient des changements qu'on avait pu repérer dans la consommation. Je crois que Christine Poulin voudrait étendre son enquête au niveau national et toute aide qu'elle pourrait obtenir serait précieuse.
J'ajouterais toutefois que si vous vous dotez d'une stratégie nationale pour la collecte de données, il faut que vous sachiez parfaitement ce que vous espérez en retirer. Les renseignements qu'une étude épidémiologique permet de recueillir vous donnent les pourcentages de consommation au sein de la population. Ce genre de données ne peuvent pas servir à une analyse quantitative, comme celle-ci, par exemple, qui exige que vous posiez d'autres genres de questions. Si cette stratégie était adoptée, vous auriez besoin de l'avis des experts quant aux résultats que l'on veut obtenir et le genre de renseignements qu'il faut recueillir. Il faudra ensuite accorder un financement suffisant pour répéter cette enquête suivant un cycle régulier, avec un échantillonnage national adéquat, en utilisant des instruments de mesure normalisés.
Je crois que je vais m'arrêter là.
¿ (0900)
La présidente: Merci, monsieur Adamec.
Écoutons maintenant M. McKim.
M. William McKim (Faculté de psychologie, Université Mémorial de Terre-Neuve): Bonjour mesdames et messieurs. Je remercie le comité de m'avoir invité à comparaître.
Je voudrais tout d'abord vous parler brièvement de mes antécédents. Lorsque j'ai commencé mes études supérieures, il y a plus de 30 ans, je m'intéressais à la question des drogues et j'ai fait une thèse de doctorat en utilisant des rats de laboratoire et des substances peu connues comme la scopolamine. Pendant toute ma carrière, j'ai continué à m'intéresser aux drogues et j'ai fait des recherches sur des animaux de laboratoire, des rats, des singes et des pigeons, mais aussi sur des êtres humains. J'ai donc acquis des connaissances sur diverses espèces.
Ce qui influe le plus sur ma façon de penser, c'est peut-être le fait que, dès 1972, soit il y a déjà 30 ans, j'ai commencé à enseigner, à l'Université Memorial, un cours sur les drogues intitulé «Drugs and Behaviour» (les drogues et le comportement). J'ai enseigné ce cours pendant une trentaine d'année. Cela m'a permis de me familiariser avec le domaine plus général—car les scientifiques sont généralement spécialisés dans des domaines très restreints—de la toxicomanie et de la politique gouvernementale, ainsi que du statut juridique des drogues, car c'est ce qui intéressait mes étudiants. Le cours porte sur toutes sortes de drogues.
J'ai donc eu 30 ans pour apporter une attention toute particulière au domaine des dépendances et de la recherche sur celles-ci ainsi que sur les effets des drogues, y compris le statut juridique de celles-ci et divers autres aspects de politique gouvernementale en matière de drogues.
Ce qu'il y a d'intéressant à enseigner un cours sur les drogues... Eh bien, je suppose que c'est un principe général de l'enseignement, c'est qu'une bonne façon de déterminer si l'on comprend vraiment une chose, c'est d'essayer de l'enseigner à d'autres personnes. Les étudiants du premier cycle sont particulièrement doués pour vérifier si vous savez vraiment de quoi vous parlez. C'est pourquoi je peux vous dire que le fait d'enseigner un cours sur les drogues m'a en réalité donné un aperçu tout à fait particulier de tout ce domaine.
Vers le milieu des années 80, j'ai commencé à être de plus en plus exaspéré parce qu'il n'existait aucun manuel utile dans mon domaine d'enseignement. J'avais essayé toutes sortes d'ouvrages. Pendant deux ans, nous avions utilisé le rapport de la commission Le Dain comme manuel pour le cours. En fait, j'ai fini par rédiger moi-même un manuel. Il a été publié par Prentice-Hall et je viens à peine de terminer la cinquième édition, ce qui a contribué également à susciter mon intérêt pour tout ce domaine. J'ai remis au comité deux exemplaires de la quatrième édition. La cinquième est actuellement sous presse. Vous pourrez trouver dans ce manuel une bonne partie des observations que je vais faire.
Ce qui m'a paru intéressant, c'est qu'au cours des 30 dernières années, on en a appris beaucoup au sujet des drogues, de leurs effets et des raisons qui poussent les gens à en prendre. En fait, lorsque j'ai commencé à enseigner le cours en 1972, je me souviens avoir dit à mes étudiants que nous étions presque certains que les opiacés—c'est-à-dire l'héroïne et la morphine—agissaient comme récepteurs à l'intérieur du cerveau, mais que nous n'avions aucune idée de ce qu'étaient ces récepteurs ou de leur raison d'être. C'était un secret total pour nous. En fait, je me souviens de leur avoir dit également que, si nous avions des récepteurs d'opiacés dans le cerveau, c'était peut-être parce que Dieu voulait que nous appréciions la morphine et l'héroïne, ce qui n'a pas impressionné beaucoup de monde, je dois bien l'avouer. Toutefois, j'ai suscité leur attention.
Deux ans après avoir dit cela, bien entendu, nous avons découvert les récepteurs d'opiacés et nous savons maintenant pourquoi ils sont là et à quoi ils servent. Nous avons également découvert les opiacés endogènes, que nous appelons endorphines et enképhalines. Nous en savons aujourd'hui beaucoup plus au sujet du cerveau et de la façon dont il réagit aux drogues.
Une autre chose que j'ai évidemment constatée, c'est qu'au cours des 30 dernières années, la politique gouvernementale relative aux drogues n'a pratiquement pas changé. Nos connaissances sur l'effet de ces drogues sont énormes aujourd'hui, nous comprenons beaucoup mieux qu'avant la question, et pourtant la politique gouvernementale ou le statut juridique de ces drogues n'a pas suivi cette évolution. Le statut juridique des drogues n'est en fait pas du tout fonction de ce que nous savons à leurs sujets sur le plan de la pharmacologie, mais plutôt des précédents historiques. Ce sont l'histoire et la politique qui déterminent la politique gouvernementale en matière de drogues, et absolument pas les découvertes des chercheurs.
Je peux vous en donner un exemple. Revenons-en aux opiacés: il y a en fait trois drogues qui nous intéressent: la codéine et la morphine qui, bien entendu, sont les ingrédients actifs de l'opium et que l'on peut séparer et utiliser distinctement; et il y a l'héroïne, un produit semi-synthétique. Pour produire de l'héroïne, en fait, on prend une molécule de morphine à laquelle on ajoute des groupes d'acétyles, et cela devient du chlorhydrate de diacétylmorphine. Cela se fait dans divers laboratoires clandestins dans le monde entier.
Fait intéressant à noter, ces trois substances—codéine, morphine et héroïne—ont le même effet à l'intérieur du cerveau. Elles agissent toutes sur le même site récepteur. En fait, la première chose que fait le corps lorsqu'on lui injecte de l'héroïne, c'est de supprimer ces deux acétyles et de les retransformer en morphine. La codéine est également métabolisée en mono-acétylmorphine, ou mono-morphine, et elle agit pratiquement sur le même récepteur. Il y a donc trois drogues: la codéine, la morphine et l'héroïne.
Considérez un peu leur statut juridique. On peut rentrer dans une pharmacie et acheter de la codéine en vente libre. Si l'on veut de la morphine, c'est possible: le médecin vous donne une ordonnance de morphine si vous souffrez. Toutefois, vous ne pouvez pas prendre d'héroïne même si vous êtes en train de mourir dans des douleurs atroces à cause du cancer. Cette substance est considérée comme une drogue terrible, qui n'est même pas utilisée à des fins médicales.
Je dis à mes étudiants que c'est là un exemple du manque de logique de la politique gouvernementale en matière de drogues. À bien y réfléchir, si nous traitons différemment ces substances, c'est en grande partie pour des raisons historiques et en grande partie politiques. Si l'on remonte un peu le temps, on constatera que, si l'héroïne suscite de telles craintes et est traitée de façon aussi sévère, c'est dû en grande partie à la politique américaine.
¿ (0905)
Il y a de nombreuses années, lorsque les États-Unis ont adopté la loi Harrison sur les narcotiques, l'héroïne a été assujettie à des dispositions très sévères parce qu'à l'époque, les États-Unis essayaient de négocier un accord commercial avec la Chine. Celle-ci était très irritée du fait que des produits d'opium soient importés sur son territoire, elle ne voulait pas que ses citoyens les consomment. Pour impressionner la Chine, les États-Unis ont donc déclaré: «Nous allons instaurer des règles internationales très strictes sur le commerce de ces substances»; et pour prouver leur sincérité, ils ont jugé bon d'adopter à l'interne une législation très sévère. D'où l'adoption de la Harrison Narcotic Act.
C'est pourquoi, par exemple, l'héroïne est entièrement illégale aux États-Unis et considérée comme d'aucune utilité à des fins médicales. Il n'en est pas allé de même en Angleterre. Dans ce pays, l'héroïne n'est pas traitée de la même façon qu'aux États-Unis. Nous, au Canada, appliquons en général une politique en matière de drogue qui s'aligne de près sur celle des États-Unis. C'est pourquoi, indirectement, nous traitons aujourd'hui l'héroïne comme l'ont fait en premier les États-Unis. Nous nous sommes contentés d'adopter leur politique, pour autant que je sache.
Ce que j'essaie de vous faire comprendre, c'est que notre politique gouvernementale, et notamment le statut juridique des drogues, est déterminé par des facteurs historiques et politiques, en fait, et non par les conclusions de la recherche fondamentale ou même appliquée qui est disponible, ce qui est honteux. Il y a une trentaine d'années, nous avions peut-être des raisons d'agir ainsi, mais elles n'ont plus lieu aujourd'hui. Nous en savons beaucoup sur les drogues et leur effet, ainsi que sur les raisons de cet effet. Il reste encore beaucoup de recherche à faire, mais c'est ce qui devrait orienter la politique gouvernementale beaucoup plus que ce n'est le cas aujourd'hui.
Ce qui a changé dans notre politique gouvernementale, et ce que j'approuve, c'est la question de la réduction des méfaits, introduite au cours des 30 dernières années. Je pense que c'est utile. C'est à mon avis une façon très positive de régler le problème des substances. Cela suscite des inquiétudes chez bien des gens, car en vertu de ce principe, on facilite apparemment la consommation de drogues en réduisant leurs méfaits. Je peux comprendre que cela préoccupe un grand nombre de personnes, parce qu'on pourrait donner l'impression de favoriser la toxicomanie en facilitant l'accès aux drogues.
Des recherches intéressantes ont été effectuées dans le domaine de l'économie des comportements. C'est un domaine relativement nouveau qui regroupe nos connaissances en psychologie et en économie. À bien y réfléchir, c'est deux domaines sont assez semblables. Tous deux portent sur le comportement des consommateurs. Acheter des céréales ou de l'héroïne se fait en respectant les mêmes règles. Les économistes ont étudié en détail l'influence qu'ont sur la consommation le changement de prix des cornflakes et la facilité ou la difficulté à s'en procurer.
Une bonne partie de ces renseignements peuvent s'appliquer aux raisons pour lesquelles les gens consomment de la drogue. Quelles répercussions cela a-t-il sur la consommation de drogues selon que celles-ci sont plus faciles ou plus difficiles à obtenir? Dans une grande mesure, notre politique gouvernementale relative au statut juridique des drogues et l'application de la législation dans ce domaine visent à rendre plus difficile l'accès aux drogues, à supprimer l'offre et à accroître le prix. Si l'on prend un produit comme le tabac, le gouvernement a pour politique d'en augmenter le prix pour faire diminuer la consommation.
Il existe des méthodes mathématiques très poussées pour prédire ce qui se produira lorsqu'on augmente ou diminue le coût d'une drogue. La réduction des méfaits est une simple méthode qui vise à diminuer le coût d'une drogue, pas seulement sur le plan financier, mais également pour une personne. À partir de ces techniques économiques, on peut prédire de façon assez exacte ce qui vas se produire si les drogues coûtent moins cher et sont plus faciles à obtenir. Cela permet de comprendre comment appliquer parallèlement ces deux techniques, pour réduire l'offre et accroître le coût, tout en essayant d'aborder de façon plus humaine le problème de la toxicomanie.
¿ (0910)
Je vois que la présidente me fait signe et je vais donc conclure là-dessus. Ce que je veux bien vous faire comprendre, c'est qu'il existe une foule de renseignements vraiment utiles que l'on pourrait utiliser pour adopter une politique gouvernementale éclairée et solide afin d'atteindre les objectifs que nous poursuivons. Je demande instamment au comité de prêter une attention toute particulière à ces nouvelles sources d'information et à tous ces faits intéressants qui ont été découverts au cours des trente dernières années.
¿ (0915)
La présidente: Merci, monsieur McKim. Je suis sûre que mes collègues auront de nombreuses questions à vous poser.
Nous passons maintenant à M. Patriquen.
M. Mike Patriquen (membre, Parti marijuana du Canada): : Bonjour. Je m'appelle Mike Patriquen et je suis membre du Parti marijuana fédéral. Je vais faire un exposé ce matin sur la réduction des méfaits, en me fondant sur les modèles européens et nord-américains de politique antidrogue.
À la fin des années 60 et au début des années 70, les gouvernements aux Pays-Bas, de l'Angleterre, des États-Unis et du Canada ont tous mis sur pied des commissions spéciales chargées d'examiner le phénomène croissant de l'usage répandu des drogues illicites. Ces commissions avaient toutes essentiellement la même tâche que le comité, et si vous n'avez pas encore examiné leurs conclusions, je vous le suggère de le faire.
Toutes ces commissions ont fait rapport à leur gouvernement respectif et leur ont indiqué, plus ou moins fermement, qu'une politique sur le cannabis fondée sur la prohibition était inefficace, intrinsèquement vouée à l'échec, et probablement improductive. Toutes ont conclu que le cannabis n'était pas suffisamment dommageable pour les personnes qui le consommaient pour que sa consommation soit punie par des sanctions pénales.
Trente ans plus tard, les réactions des quatre gouvernements à ces rapports ont démontré que ces conclusions étaient justes.
Les Pays-Bas ont été le seul pays qui, en fait, a suivi les conseils des spécialistes consultés par la commission et, en 1976, les autorités néerlandaises ont autorisé l'ouverture d'établissements publics maintenant appelés «cafés cannabis». Ce faisant, elles ont détruit la grande majorité du marché noir de la drogue dans ce pays et éliminé presque tous les problèmes associés à cette vaste et puissante entreprise criminelle. Le point le plus important pour le gouvernement néerlandais était que cette mesure éliminerait la facilité d'accès, pour les adolescents, à l'héroïne et autres drogues dures, ce qui était un prolongement tout naturel du cannabis.
Les cafés cannabis néerlandais offraient du cannabis en vente aux adultes dans des lieux publics où la police pouvait surveiller l'accès des adolescents et les tentatives des vendeurs au noir d'accéder aux consommateurs de cannabis. Aux Pays-Bas, la réduction des méfaits signifiait l'élimination du cannabis sur le marché noir de la drogue. Pour ce qui est du volume des transactions, les ventes de cannabis représentaient plus de 99 p. 100 de toutes les ventes de drogues illicites sur le marché noir de la drogue qui existait alors dans les quatre pays.
Dans les trois pays qui n'ont pas tenu compte de l'avis de leurs spécialistes, on constate que le marché noir des drogues illicites est devenu du jour au lendemain de 100 à 1 000 fois plus important qu'aux Pays-Bas. Or, trente ans plus tard, la politique en matière de drogue adoptée par les Pays-Bas sert maintenant de modèle à la plupart des autres pays d'Europe.
Selon un article paru le 7 mai 2001 dans le journal espagnol El Pais, seulement quatre pays de l'Union européenne interdisent encore la consommation de cannabis.
L'Europe suit la tendance vers la décriminalisation des drogues illicites. Sur les 15 pays de l'Union européenne, sept ne punissent pas la consommation personnelle de drogue ou imposent seulement des amendes administratives. En ce qui a trait au cannabis, la tolérance est quasi totale: Seules la Suède, la France, la Finlande et la Grèce imposent encore des peines.
La Suisse est le pays le plus avancé pour ce qui est d'amener le modèle néerlandais à sa conclusion finale, et le gouvernement suisse est sur le point d'adopter une loi en vue de mettre fin à l'interdiction visant le cannabis. Tous les partis de ce gouvernement se sont entendus. Le gouvernement suisse a expressément déclaré que la légalisation du cannabis constitue un élément essentiel de la réduction des méfaits. Au cours des débats, les législateurs suisses ont souligné à de nombreuses reprises le succès de la politique néerlandaise en matière de drogue, notamment pour ce qui est de garder les citoyens à l'abri des drogues dures.
On pourrait faire valoir l'argument que la Suisse n'est pas signataire de la Convention unique de l'ONU sur les stupéfiants, ce qui lui a permis de prendre cette décision audacieuse. Nous, en tant que signataires de cette Convention, sommes également en mesure de mettre fin à l'interdiction visant le cannabis. Une des clauses du traité nous permet de nous retirer de ce dernier s'il viole notre Constitution. Nous pouvons insister sur le fait que l'interdiction visant le cannabis va à l'encontre de l'article de la Charte relative aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne.
On remarquera qu'en Grande-Bretagne, l'entrée en vigueur d'un système d'avertissement en cas de possession de cannabis, qui comporte essentiellement une amende, remonte aux années 90 et a placé la Grande-Bretagne sur la liste du journal El Pais parmi les pays qui ont dépénalisé la consommation de cannabis. Les demi-mesures de ce genre ne règlent pas le problème de l'influence corrosive qu'exerce un important marché noir du cannabis. C'est pourquoi la Grande-Bretagne est en passe d'adopter une loi qui inscrirait le cannabis parmi les drogues de catégorie C, qui empêcherait la police de procéder à des arrestations ou même d'imposer des amendes pour simple possession. Par ailleurs, on a assisté le mois dernier à l'ouverture de deux cafés de type hollandais au Royaume-Uni, sans que la police intervienne. Une douzaine de cafés semblables sont prévus.
Comme tout le monde peut se procurer du cannabis dans ces conditions, l'accès des jeunes aux drogues dures devrait diminuer. Cette évolution récente au Royaume-Uni peut paraître radicale pour un pays de langue anglaise qui, depuis trois quarts de siècle, est dénoncé par la presse à scandale américaine, qui l'assimile au contenu du film Reefer Madness. Pourtant, si l'on compare les statistiques anglaises de la consommation de drogues et de la criminalité en 1999 avec les statistiques hollandaises, on comprend pourquoi ces pays prennent de telles mesures, au grang déplaisir des ultra conservateurs de l'administration américaine.
N'oublions pas qu'un certain nombre d'experts américains de la politique en matière de drogues en viennent à la conclusion qu'aux États-Unis et vraisemblablement au Canada et au Royaume-Uni, on sous-estime largement la consommation de drogues à cause des sanctions pénales et administratives imposées à ceux qui consomment de la drogue. L'attitude réaliste des autorités hollandaises en matière de consommation de drogues se traduit vraisemblablement par des statistiques plus exactes.
Les adolescents dont il est question au tableau suivant sont des jeunes de 15 et 16 ans du Royaume-Uni et de Hollande. J'y ai ajouté une statistique provenant de l'étude américaine Monitoring the Future de l'an 2000, pour inclure de jeunes Américains de 10e année qui ont à peu près le même âge. Ce tableau figure à la page 6 du document que j'ai distribué, si vous voulez y jeter un coup d'oeil.
Vous remarquerez qu'au Royaume-Uni et aux États-Unis, les adolescents de ce groupe d'âge qui ont essayé le cannabis sont deux fois plus nombreux qu'aux Pays-Bas, notamment parce que les titulaires hollandais d'un permis de vente de cannabis perdent leur permis s'ils en vendent à des adolescents. Par ailleurs, l'éducation réaliste au problème de toxicomanie en Hollande, par opposition aux messages diffusés en Amérique du Nord, constitue sans doute une autre explication. On mise sur la connaissance plutôt que sur l'interdiction.
Vous remarquerez également qu'il y a 200 fois plus de jeunes Britanniques de 15 et 16 ans que de jeunes Hollandais du même groupe qui ont essayé l'héroïne et qu'en proportion de la population, la Grande-Bretagne compte deux fois et demie plus d'héroïnomanes à problèmes que les Pays-Bas.
D'après le rapport publié récemment par un éminent groupe de réflexion constitué par le premier ministre britannique, il y aurait actuellement 500 fois plus de toxicomanes consommateurs de drogues dures en Grande-Bretagne qu'il n'y en avait dans les années 60. Ce rapport signale également que la Grande-Bretagne figure parmi les cinq pays du monde où la consommation d'héroïne est la plus forte, les États-Unis arrivant en tête. Depuis les années 80, le nombre de toxicomanes a doublé tous les quatre ans. En 1998, il y a eu près de 3 500 décès imputables à la drogue en Grande-Bretagne, dont aucun n'était imputable à la consommation de cannabis.
Le Bureau des statistiques nationales a signalé une augmentation de 110 p. 100 des décès liés à l'héroïne ou à la morphine entre 1995 et 2000, où on en a dénombré 754. Les décès imputables à la cocaïne, qui sont actuellement de 87 par an, ont quadruplé. En comparaison, la consommation d'héroïne aux Pays-Bas est négligeable. On compte environ 25 000 héroïnomanes depuis 20 ans; ils prennent de l'âge et sont de moins en moins remplacés par des jeunes.
L'exemple américain a prouvé qu'indépendamment des budgets consacrés à l'interdiction de la drogue, les taux de consommation chez les adolescents et les adultes ne baissent pas. Depuis 30 ans, la Hollande a prouvé que ses adolescents n'ont pas accès au marché illégal des drogues dures. Moins d'un jeune Hollandais de 15 à 16 ans sur 1 000 a déjà essayé l'héroïne. Actuellement, la consommation d'héroïne chez les adolescents nord-américains est comparable au chiffre relevé au Royaume-Uni, et elle augmente à un rythme alarmant.
Bien qu'elle date quelque peu, la comparaison des taux de toxicomanie et de criminalité aux États-Unis et en Hollande, qui apparaît aux parties A et B de l'annexe 2, prouve que malgré un montant de 40 à 120 milliards de dollars affectés chaque année à l'interdiction de la drogue, les Américains en consomment beaucoup plus que les Hollandais, particulièrement pour ce qui est des drogues dures.
¿ (0920)
Le Centre canadien de lutte contre les toxicomanies nous apprend que nos taux de consommation de drogues sont à peu près le double des taux hollandais pour le cannabis. Pour les drogues dures, l'écart est considérablement plus élevé. Les taux du Canada sont à peu près équivalents à ceux des États-Unis, du Royaume-Uni et de l'Australie, dont les politiques d'interdiction pavent la voie à un énorme marché noir du cannabis.
On aurait tort de nier que le trafic de drogue à l'échelle mondiale pose un problème colossal puisqu'on estimait récemment que le chiffre d'affaires annuel des trafiquants du monde entier atteint environ 150 milliards de dollars américains. C'est près de la moitié des dépenses mondiales annuelles en médicaments. À l'échelle mondiale, on dépense chaque année 204 milliards de dollars en tabac et 240 milliards de dollars en alcool.
La réponse hollandaise aux problèmes de drogues illicites qui occupe actuellement le comité a consisté à éliminer le marché noir en légalisant le cannabis, c'est-à-dire en se conformant aux conseils donnés par les commissions spécialisées il y a 30 ans.
Le Britanniques ont compris que sans approvisionnement légal ou quasi légal des adultes en cannabis, on ne parvient pas à réduire véritablement les méfaits. La réduction des méfaits commence par l'élimination du marché noir du cannabis grâce à sa légitimisation. C'est précisément pour cela que la Grande-Bretagne et la Suisse sont en train de modifier leur législation. La plupart des pays d'Europe semblent évoluer dans la même direction. Il est un fait que le problème des drogues dures résulte directement de l'existence d'un marché noir du cannabis.
Tant que le marché noir de la drogue reste de 100 à 1 000 fois supérieur à ce qu'il serait sans le cannabis, on le trouvera présent dans tous les collèges et dans tous les quartiers. C'est la situation actuelle au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni; nos citoyens sont de 100 à 1 000 fois plus nombreux à entrer en contact avec les drogues dures que dans une situation où il serait possible d'acheter légalement du cannabis, sous le contrôle des autorités. L'état actuel des choses ne changera pas tant que le pays n'aura pas modifié sa politique en matière de drogues en mettant un terme à l'interdiction du cannabis. Nous pourrons alors profiter d'une véritable réduction des méfaits.
Voilà pour mon exposé. J'ai fait un certain nombre de recommandations au comité. Elles figurent dans mon document.
Merci beaucoup.
¿ (0925)
La présidente: Merci.
Je signale aux membres du comité que les recommandations figurent à la page 11.
Merci à tous nos témoins.
Nous allons maintenant passer aux questions des députés. Chacun d'entre eux dispose d'environ 10 minutes. Si une question est posée directement à l'un des témoins, il est invité à y répondre. Si un témoin veut apporter un complément de réponse, il n'a qu'à me faire signe et je prendrai note des personnes qui veulent intervenir.
La première question sera posée par M. White.
M. Randy White: Merci, madame la présidente.
Bonjour, et merci de vos interventions.
Je voudrais poser trois questions. La première est relativement brève.
Mike, avez-vous dit que la légalisation de la marijuana entraînerait une réduction de la consommation d'héroïne et de cocaïne?
M. Mike Patriquen: C'est exactement ce que je dis, monsieur White. Le cannabis représente actuellement 99 p. 100 du marché des drogues illicites au Canada. Lorsqu'ils achètent du cannabis, substance que la plupart des gens ainsi que plusieurs juges de la Cour suprême considèrent comme étant plutôt inoffensive, les jeunes ont accès à des drogues dures.
Malheureusement, les trafiquants de cannabis ne vendent plus comme autrefois seulement du cannabis. Le crime organisé semble s'être accaparé de ce marché. Il semblerait également qu'il importe peu à ces gens s'ils vendent du cannabis, des disques compacts volés, de l'héroïne ou de la cocaïne. Lorsque les jeunes vont acheter du cannabis, ils sont ainsi exposés à des drogues dures.
Si le cannabis était légalisé, il serait alors possible aux jeunes d'acheter cette substance sans qu'on leur offre en même temps d'acheter des drogues dures. C'est exactement ce qui s'est produit aux Pays-Bas.
M. Randy White: Je vous remercie.
J'aimerais vous poser à chacun deux questions. Premièrement, pourriez-vous définir, dans vos propres mots, dans une ou deux phrases, ce qu'est la réduction des méfaits.
Deuxièmement, étant donné que ce comité parlementaire est le premier depuis la commission Le Dain à examiner la question des drogues--nous devons présenter des recommandations à la Chambre des communes aux environs de novembre--, j'aimerais que vous nous disiez quelles devraient être les deux priorités que le comité devrait se fixer. Il pourrait s'agir de changements législatifs ou de la tenue d'un débat de la Chambre des communes, par exemple. À votre avis, quelles devraient être les deux recommandations prioritaires que le comité devrait formuler?
J'aimerais revenir à ma première question. M. McKim, comment définiriez-vous la réduction des méfaits?
¿ (0930)
M. William McKim: La notion de réduction des méfaits existe depuis assez longtemps. On parlait autrefois du traitement tertiaire. Ce concept partait du principe qu'il y avait trois façons d'aborder un problème. On peut d'abord essayer de le prévenir. Si une personne consomme des drogues, on peut d'abord essayer de prévenir qu'elle commence à le faire, essayer de l'amener à cesser de consommer des drogues et, si on n'y parvient pas, essayer de réduire le tort que cette personne se fait directement et indirectement à la société en général. Le traitement d'un toxicomane est assez coûteux. Il est cependant sans doute encore plus coûteux de ne pas traiter le toxicomane.
La réduction des méfaits repose sur le concept voulant qu'il soit avantageux non seulement pour le toxicomane mais aussi pour la société d'essayer de réduire les méfaits que causent la dépendance, la maladie ou le trouble dont on peut souffrir. C'est un concept qui ne s'applique pas seulement au domaine des drogues. L'objectif visé est de réduire le tort que la personne se fait à elle-même et, par conséquent, le tort qu'elle cause au reste de la société. Il est assez évident que la société tout entière subit les méfaits de la toxicomanie. Il ne s'agit pas simplement de faire en sorte qu'il soit plus facile aux gens de consommer des drogues. Il s'agit de réduire les méfaits que cause la toxicomanie à l'ensemble de la société. Il a été question récemment dans la presse de la création de sites d'injection sûre.
M. Randy White: Peut-on dans ce cas parler de réduction des méfaits?
M. William McKim: Oui. Si l'on peut réduire la propagation de l'hépatite et du sida en mettant en contact des toxicomanes endurcis avec des médecins et des spécialistes des soins de santé, on peut réduire le tort que ces personnes se causent à elles-mêmes ainsi que la propagation du sida, ce qui est dans notre intérêt à tous.
La présidente: Allez-vous lui demander de répondre également à votre seconde question?
M. Randy White: Oui, quelles devraient être les deux recommandations prioritaires du comité.
M. William McKim: Compte tenu du fait que vous devez présenter votre rapport d'ici novembre et compte tenu de la complexité des questions à l'étude, j'aimerais vraiment qu'on cherche à rationaliser et à examiner la politique publique sur la consommation des drogues d'un point de vue général. Nous devons prendre du recul et examiner tout ce que nous faisons dans le domaine des drogues, à savoir nos stratégies de lutte contre les drogues, les mécanismes de répression, les traitements disponibles et le financement de la recherche, comme M. Adamec le soulignait.
Je ne pense pas que le comité sera en mesure de le faire lui-même. J'aimerais cependant que le comité recommande la création d'un comité permanent ou d'une institution parlementaire qui serait chargé de faire le point sur toutes les recherches qui sont menées relativement à la consommation de drogues. Il faudrait que cette institution dispose des fonds voulus pour réexaminer la politique publique générale et pour essayer d'établir une distinction entre l'histoire et la politique.
Je recommanderais aussi d'augmenter les fonds réservés à la recherche parce que je crois que la recherche est absolument essentielle. Nous devons établir les conséquences des mesures que nous mettons en oeuvre. Comme M. Adamec l'a fait remarquer, il faut être en mesure de prévoir quelles seront les conséquences de nos diverses interventions puisqu'il s'agit d'un domaine extrêmement complexe.
M. Randy White: Pour résumer, vous recommandez la création d'un comité permanent qui serait chargé de faire le point sur l'ensemble de la politique en matière de drogues et de réexaminer cette politique et deuxièmement, d'accroître les fonds réservés à la recherche.
M. William McKim: Oui.
M. Randy White: Je vous remercie.
M. Robert Adamec: Je suis d'accord avec bon nombre des observations de M. McKim.
Pour ce qui est de la définition de la réduction des méfaits, je crois qu'il faut insister sur le tort qu'une personne se cause à elle-même--et c'est aussi une question de santé--ainsi que le tort qu'elle cause à la société tant indirectement que directement puisque la consommation et l'abus des drogues peut nuire directement à la société dans son ensemble. On peut donner en exemple les décès qui peuvent être causés par les personnes qui conduisent en état d'ébriété. La réduction des méfaits vise à réduire les méfaits de la consommation des drogues tant pour le toxicomane lui-même que pour la société. Ce n'est pas seulement une question d'argent puisque certains comportements peuvent aussi causer un tort direct à d'autres membres de la société.
Les gens désapprouvent de l'idée de permettre à certains de consommer des drogues ou de l'idée de légaliser les drogues parce que c'est pour eux comme si on baissait les bras. Il faudrait cependant se souvenir de l'expérience de la prohibition aux États-Unis dans les années 20 et les années 30. La création d'un marché noir pour l'alcool a permis à la mafia de devenir toute puissante. Il faut donc établir si la légalisation d'une substance ne causera pas moins de torts à la société que sa criminalisation.
Notre société permet que ses membres consomment une substance très dangereuse qui s'appelle l'alcool. Cette substance cause des morts et détruit des familles. Nous nous attendons cependant à ce que notre société et à ce que chacun de ses membres consomment de l'alcool de façon responsable. Il faudrait s'en souvenir lorsque vous discutez des stratégies de réduction des méfaits et de la consommation des drogues.
Quant à ce que devraient être vos priorités, je me place encore une fois du point de vue des chercheurs. Je partage le point de vue de M. McKim à ce sujet. On ne peut pas résoudre un problème sans d'abord le définir. Je crois que vous devez donc vous fixer comme priorité de bien définir le problème, ce qui exigera la coordination des efforts de collecte de données à l'échelle nationale. Il faut donc établir une stratégie nationale et coordonner les efforts de collecte des données. Vous devez aussi vous fixer des objectifs très clairs en ce qui touche le type et la qualité de données à recueillir.
Je pense que ce serait une bonne idée de créer un ICRS dont le mandat serait précisément d'examiner la question de la consommation et de l'abus des drogues et de recueillir de l'information sur laquelle se fonderait une politique nationale. La création d'un tel institut permettrait de servir de point de convergence. Ce genre d'institut sert aussi à stimuler la recherche. Comme c'est le gouvernement qui financerait cet institut, il serait en droit de participer à l'établissement de ses priorités. Je pense qu'il serait donc bon que vous recommandiez la création de ce genre d'institut.
J'aimerais cependant faire la mise en garde suivante: il faut accorder le financement nécessaire à cet institut et non pas essayer de le financer à partir des maigres fonds dont disposent les autres instituts de recherche.
M. Randy White: Je vous remercie.
La présidente: Monsieur Patriquen.
M. Mike Patriquen: Pour ce qui est de la réduction des méfaits, j'aborde cette question sous trois angles. Il y a d'abord les méfaits que la consommation de drogues cause aux toxicomanes. Comment réduire le tort que leur cause cette consommation de drogues? La vie est déjà assez difficile pour ces personnes. Je pense que la meilleure façon de les aider serait de créer de nombreuses piqueries contrôlées puisque ce serait une façon de réduire la propagation des maladies au sein du milieu des toxicomanes.
On pourrait aussi élargir les programmes de maintenance à la méthadone qui existent actuellement et envisager aussi des programmes de prescription de l'héroïne comme on le fait actuellement en Europe. Ces programmes permettraient aux toxicomanes d'avoir accès à peu de frais à des drogues sûres dont le contenu serait uniforme, ce qui permettrait aussi de réduire les problèmes de santé auxquels font face les toxicomanes et aux décès qui sont attribuables aux overdoses. Cette mesure permettrait également de réduire la petite criminalité qu'on voit surtout dans l'Ouest et dans les grands centres urbains.
Je pense qu'il faut venir en aide à ceux qui pourraient finir par devenir des toxicomanes. C'est auprès de ces personnes que la réduction des méfaits prend toute son importance.
¿ (0935)
Je fais valoir dans mon exposé qu'en décriminalisant le cannabis, on peut empêcher que les jeunes soient exposés aux drogues dures. J'exhorte le comité à étudier sérieusement cette possibilité.
Enfin, on pourrait aussi réduire les méfaits du cannabis. Le plus grand méfait que cause le cannabis découle du fait qu'il s'agisse d'une substance interdite. Bien des gens dans notre société pensent en fait qu'il s'agit d'une substance légale. À titre de membre du Parti Marijuana, je rencontre des gens tous les jours qui pensent que consommer de la marijuana est légal. Ces personnes ne savent pas qu'on peut se voir imposer une amende et même être emprisonné parce qu'on consomme de la marijuana. Or, 66 000 personnes au Canada l'an dernier ont été accusées d'infractions liées à la consommation du cannabis et en subissent les conséquences. Des milliers de personnes sont emprisonnées actuellement pour des crimes liés à la consommation du cannabis et plusieurs milliers de familles souffrent par conséquent pour rien. C'est un grand tort qu'on cause à notre société. Je crois qu'on devrait décriminaliser le cannabis pour réduire les méfaits qu'il cause.
Quant aux deux principales recommandations que j'aimerais que le comité formule, la première est évidemment que le gouvernement décriminalise la consommation de cannabis, et ce, pour plusieurs raisons. Cette mesure permettra de réduire l'accès au marché des drogues dures et de réduire aussi les méfaits des drogues. La seconde recommandation que je formulerais est que le Parlement examine sérieusement l'usage qui est fait des 500 millions de dollars affectés à la sensibilisation aux drogues ou à la lutte contre les drogues, selon l'expression qu'on utilise aujourd'hui. Quatre-vingt-quinze pour cent de cette somme est affectée aux activités de répression. Le vérificateur général a fait remarquer qu'il s'agissait d'un véritable gaspillage. Nous ne savons absolument pas où va cet argent.
Quatre-vingt-quinze pour cent va donc à la GRC qui en utilise 90 p. 100 pour livrer une guerre aux consommateurs de marijuana. Je pense qu'il s'agit d'un véritable gaspillage. À mon avis, la majeure partie de cette somme devrait servir à accroître et à améliorer les programmes de traitement volontaire destinés aux consommateurs de drogues dures et à mettre sur pied des programmes efficaces de sensibilisation aux drogues comme ceux qui existent en Europe.
Voilà quelles seraient donc mes deux recommandations.
¿ (0940)
M. Randy White: J'aimerais une précision. Ai-je entendu deux d'entre vous dire que la légalisation des drogues était une forme de réduction des méfaits? J'ai cru comprendre que Robert et Mike...
M. Mike Patriquen: J'ai parlé du fait de légaliser le cannabis, de mettre un frein à l'interdiction, en effet. Ce serait une très bonne façon de réduire les méfaits.
M. Robert Adamec: J'ai laissé entendre, en effet, que dans certaines circonstances, il s'agit du résultat attendu.
M. William McKim: J'aurais tendance à le croire. Je ne pense pas que nous sachions vraiment, à ce stade, dans bien des cas, quel sera l'effet de la légalisation d'une drogue. Il existe des exemples à étudier à l'échelle internationale. J'estime que nous pourrions y consacrer un peu plus d'attention. Jusqu'à maintenant, je ne crois pas que l'on ait étudié la question sérieusement, ne serait-ce que sur le plan des possibilités. Le fait de modifier le statut juridique de certaines drogues, sans même qu'elle ne soit légalisée, pourrait peut-être en effet entraîner des avantages considérables.
La présidente: Merci, M. McKim, et merci également à tous les témoins.
Nous passerons maintenant aux questions en français.
[Français]
Monsieur Ménard.
M. Réal Ménard (Hochelaga--Maisonneuve, BQ): Merci, madame la présidente. J'ai une question pour chacun des témoins et je vais commencer par M. Adamec.
Dans l'étude que vous avez faite auprès de jeunes de Terre-Neuve, il semble y avoir une corrélation entre le fait que les jeunes s'ennuient, sont un peu laissés à eux-mêmes et à la consommation de drogue. Est-ce que ce constat traverse l'ensemble de la société, ou s'il y a des tendances plus lourdes dans des quartiers défavorisés où il y moins d'équipements récréosportifs? La raison pour laquelle je vous pose cette question, c'est que les voyages que nous avons entrepris, comme comité, nous ont conduits dans différents milieux, des milieux plus favorisés et des milieux moins favorisés. Il semblerait que la consommation de drogue ne tienne pas compte de ces réalités-là.
Alors, dans votre étude chez les jeunes, est-ce qu'il y a des réalités de classe sociale qui ont imprimé des tendances particulières? C'est ma première question.
[Traduction]
M. Robert Adamec: Je ne puis dire si cela s'appliquerait partout au pays. Nous souhaitions déterminer si les modèles de cheminement pouvaient être généralisés et nous avons sollicité du financement à cet égard. Nous n'avons cependant pas été en mesure de le faire.
Cependant, j'aimerais préciser que les groupes de réflexion à Terre-Neuve avaient fait valoir ce que vous dites justement--à savoir que les adolescents, lorsqu'ils s'ennuient parce qu'ils n'ont pas suffisamment d'activités, se tournent vers l'alcool et d'autres substances pour se distraire. Or, nos modèles de cheminement ne viennent pas confirmer cela. Ce phénomène exerce une certaine influence mais, concrètement, la principale source d'influence tient vraisemblablement bien davantage au réseau des pairs et à l'homogénéisation du comportement. On peut supposer que les ados agissent de la sorte pour bien s'intégrer à leurs pairs.
Nos modèles comportent certaines lacunes. Je pense ici notamment à une caractéristique culturelle--le fait que, par exemple, à Terre-Neuve, comme on me l'a signalé, les gens partent en excursion et se réunissent dans des cabanes. Il s'agit d'un phénomène récréatif d'une importance considérable. Les gens se reçoivent dans des cabanes. On peut ajouter aussi que l'alcool occupe une place importante dans la culture. Donc, il faut considérer tous ces facteurs.
Si je vous ai bien compris, vous avez dit que l'ennui n'était pas un facteur important ailleurs. Je dois dire que cela ne me surprend pas tellement, compte tenu des résultats de notre modélisation. Comme je l'ai dit, nous avons été étonnés, du fait que les groupes de réflexion réunis à Terre-Neuve avant l'étude avaient mis le doigt sur cette raison, à savoir que les adolescents disaient «ne rien avoir à faire.» J'aurais tendance à supposer que nos modèles sont valables et que l'on aurait donc vraisemblablement tort de construire un grand nombre de centres récréatifs pour réduire l'utilisation des drogues. Par contre, l'idée n'est peut-être pas mauvaise pour d'autres raisons.
¿ (0945)
[Français]
M. Réal Ménard: Ce que j'essaie de comprendre, ce n'est pas si votre modèle est exportable à travers tout le Canada. Je comprends qu'il peut y avoir une réalité spécifique à Terre-Neuve, mais est-ce que vous avez noté, par exemple dans cet ennui, dans le caractère oisif de certains jeunes, des différences entre les quartiers huppés et les quartiers qui le sont moins?
Est-ce que, par exemple, vous avez le sentiment que s'il y avait une politique du loisir ou une politique du sport à Terre-Neuve, avec des ressources considérables, que les jeunes, s'il y avait plus d'équipements sportifs, plus de loisirs, auraient moins tendance à consommer de la drogue, ou si, au contraire, ils vivraient à l'intérieur même du groupe ce modèle d'acceptation-là?
Nous sommes allés à Burlington et à Hochelaga--Maisonneuve, et dans les deux quartiers, il y avait des gens qui étaient aux prises avec des problèmes de consommation de drogue.
[Traduction]
M. Robert Adamec: J'aurais tendance à être d'accord avec vous...pour d'autres raisons, peut-être. Je ne suis pas certain qu'il s'agisse tant de contrer l'ennui que de fournir aux jeunes des exemples de jeunes qui feront en sorte que l'utilisation d'alcool ne sera pas réifiée. Par exemple, si les jeunes font du sport et se tiennent en forme, ils vont certainement vouloir se tenir à l'écart des drogues, qui risqueraient de réduire leurs capacités. Ce serait peut-être donc là une bonne façon de briser le lien entre la consommation de substances par des pairs et la consommation par une personne, du fait de faire évoluer cette personne dans un autre groupe de pairs. Voilà qui serait avantageux, me semble-t-il.
Pour ce qui est des divers paliers socio-économiques, nous n'avons pas vraiment ventilé notre analyse de cette façon. Nous avons fait une analyse par secteur, selon les diverses régions de Terre-Neuve sur le plan des soins de santé, de sorte que, effectivement, certaines régions sont plus pauvres que d'autres. Nos modèles, à peu de choses près, s'appliquaient à l'ensemble de ces régions, mais nous n'avons pas visé précisément à établir une distinction entre riches et pauvres. Comme vous le savez toutefois, Terre-Neuve est une province relativement pauvre, de sorte que la population que vous pourriez qualifier de riche est passablement minoritaire. Ainsi, la population dans son ensemble est plutôt pauvre.
[Français]
M. Réal Ménard: Je vais poser une question à votre collègue, si vous me le permettez, madame la présidente.
La présidente: Le Dr McKim veut répondre aussi.
M. Réal Ménard: Alors, on ne peut pas l'en empêcher.
[Traduction]
M. William McKim: J'ai participé à l'étape de conception de cette étude et c'est à ma demande qu'on a intégré les activités à l'analyse. Comme l'a signalé M. Adamec, il ressort que l'idée de fournir des activités de rechange n'a pas semblé influer statistiquement sur la consommation de drogues.
J'en ai été surpris et quelque peu déçu, étant donné que tout me portait à croire qu'il y aurait effectivement un lien.
Si cela n'est pas ressorti, je suppose que c'est entre autres parce qu'il s'est agi d'une enquête par questionnaire et que nous avons recueilli les perceptions des étudiants. Ces derniers ne comprenaient peut-être pas le rapport entre les activités de rechange et la consommation de drogues, de sorte que cela n'est pas ressorti dans le questionnaire.
J'estime que vous avez tout à fait raison de dire ce que vous dites, compte tenu de certaines de ces percées dont j'ai parlé en matière de compréhension de la consommation de drogues. Nous disons souvent à nos étudiants de dire non à la drogue, tout simplement. Pourtant, ce n'est pas si simple. Nous savons bien qu'il est beaucoup plus facile de dire non à la drogue tout en disant oui à quelque chose d'autre.
L'analyse économique nous montre également que l'une des meilleures façons de convaincre des gens de cesser de consommer un produit consiste à en proposer un autre, et ici je parle de «consommation» dans un sens très large. Nous savons bien, par exemple, que c'est souvent dans des endroits comme le centre-ville, les prisons et les collectivités isolées autochtones comme Davis Inlet, où il n'y a vraiment rien à faire, que le problème de la drogue se pose véritablement.
Autre résultat intéressant de l'enquête, que je signale en terminant: à St. John's et dans les zones urbaines, on ne constate pratiquement aucune utilisation de solvants, c'est-à-dire que pratiquement personne ne renifle de colle ou d'essence. Il s'agit là d'une activité essentiellement rurale. J'ajoute même, ayant participé à l'étape de l'élaboration de certaines questions, que des groupes de réflexion d'adolescents qui examinaient nos questions n'en avaient jamais entendu parler. À St. John's, en effet, nous avons même dû expliquer à certains d'entre eux qu'il y avait effectivement des gens qui reniflaient de l'essence. Ils ont été fort étonnés de l'apprendre.
¿ (0950)
[Français]
M. Réal Ménard: Si vous me le permettez, je vais enchaîner avec une deuxième question afin de respecter le temps qui m'est imparti et pour que tout le monde puisse parler. Je m'adresse à vous.
Vous avez suggéré, vous avez même affirmé que lorsqu'on injecte des substances comme la codéine, la morphine et l'héroïne, qui appartiennent à la famille des opiacées, le corps réagit à peu près de la même manière et que--je ne sais pas si j'ai bien compris--c'est comme si on transformait ces substances-là en héroïne dans notre corps. Alors, reprécisez-moi exactement ce que vous avez dit concernant ces trois substances. La codéine est en vente libre, la morphine s'obtient sur ordonnance, l'héroïne est illégale, mais les trois auraient à peu près le même métabolisme de transformation à l'intérieur de notre corps. Je voudrais mieux comprendre.
[Traduction]
M. William McKim: C'est exactement ce que j'ai dit. Techniquement, ce n'est pas tout à fait exact. Nous savons que ces trois substances ciblent le même site récepteur du cerveau, qu'on appelle le «récepteur mu», qui semble être principalement responsable des effets euphoriques, des effets de renforcement, des effets qui poussent une personne à vouloir répéter l'expérience, soit à consommer la drogue à nouveau.
La distinction entre disons la morphine et l'héroïne, comme je l'ai expliqué, est que l'héroïne est tout compte fait la molécule de la morphine à laquelle on a ajouté deux composés acétyles. La raison pour laquelle il existe une différence, et pour laquelle les gens préfèrent l'héroïne à la morphine, est que cette modification chimique permet à la drogue d'avoir un effet plus intense et plus rapide. Cet effet est cependant exactement le même que toutes les autres drogues qui ont un impact sur ces récepteurs. L'effet se fait sentir de façon beaucoup plus marquée et plus rapide. La rapidité avec laquelle l'effet d'une drogue se fait sentir joue un rôle important sur le contrôle que cette drogue peut exercer sur un particulier et est un facteur important lorsque l'on cherche à contrôler son comportement.
[Français]
M. Réal Ménard: Donc, dans votre logique, si on s'en tient seulement à la chimie des drogues et qu'on occulte toute réalité morale, on devrait mettre l'héroïne sur le même pied, socialement, que la morphine et la codéine. Au-delà de toute considération morale, sur le plan de la chimie des drogues et de l'accueil par les récepteurs, vous ne voyez pas de différence.
[Traduction]
M. William McKim: Si vous procédiez aux ajustements appropriés pour assurer une puissance équivalente, si je vous injectais chacune de ces drogues, vous ne pourriez faire la différence. Elles ont des antécédents différents, et elles ne sont pas toutes trois disponibles dans la même mesure. Je ne vous dis pas qu'elles sont exactement la même chose, je dis simplement que les différences qui existent entre ces substances ne sauraient justifier le traitement très différent qu'on leur accorde.
[Français]
M. Réal Ménard: Puis-je poser une dernière question?
[Traduction]
La présidente: M. Adamec veut également répondre, puis nous passerons rapidement à votre dernière question, monsieur Ménard.
M. Robert Adamec: J'aimerais revenir à un commentaire qu'a fait M. McKim. Je crois qu'il ne se souvient pas très bien des conclusions qu'on avait tirées en ce qui a trait aux solvants. Nous avons en fait noté un taux d'utilisation de solvant d'environ 40 p. 100; ce taux était le même dans toutes les régions, et non pas exclusif au nord du Labrador. En fait, c'est très inquiétant: nous parlons d'un taux de 40 p. 100. Une seule différence a été enregistrée à St. John's; par exemple, nous avons constaté que les femmes utilisaient moins les solvants que les hommes.
Je pense que si vous étudiez la consommation de solvants et de pilules, vous constateriez qu'il n'y a pas de différence selon le groupe d'âge. Je crois que c'est attribuable au fait que ces produits sont plus facilement accessibles. Les solvants sont des produits comme la colle et l'essence, et les pilules peuvent facilement être trouvées dans l'armoire à pharmacie.
¿ (0955)
[Français]
M. Réal Ménard: J'ai une dernière question pour votre collègue du Marijuana Party of Canada. Vous dites, dans la version française de votre mémoire, qu'il y a onze pays sur quinze, membres de l'Union européenne, qui ont décriminalisé la consommation de cannabis ou d'autres formes illégales de drogues.
Pouvez-vous nous dire quels sont les pays pour lesquels c'est encore criminel et nous donner les raisons pour lesquelles, selon vous, ces quatre pays...? Je sais qu'il ne s'agit pas d'entrer dans les détails, mais j'aimerais qu'on comprenne bien la différence. Quels sont les quatre pays restants et pourquoi ne l'ont-il pas fait, selon vous?
[Traduction]
M. Mike Patriquen: Ces pays sont, si je ne me tompe, la Suède, la Finlande, la Grèce et la Hongrie. La Suède et la Finlande sont les seuls pays pour lesquels je dispose de données. Aucune donnée ne semble être produite par ces autres pays, ou tout au moins nous ne les avons pas dans nos banques de données. La Suède a adopté des mesures très prohibitives à l'égard de toutes les drogues, si prohibitives en fait que la police a le droit dans ce pays d'arrêter tout citoyen dans la rue n'importe quand, si elle pense qu'il utilise des drogues, et le forcer à fournir sur-le-champ un échantillon d'urine ou de sang.
Cette façon de faire les choses fonctionnait assez bien dans les années 80, et le taux de consommation de drogues avait chuté dans ce pays. Les groupes américains et les autres groupes proposant l'interdiction emploient des chiffres tirés de ces études, mais dans les années 90, les chiffres ont monté. Les chiffres les plus récents remontent au milieu des années 90, même si le rapport a été rendu public le 30 novembre 2000 par Lief Lenke, professeur de criminologie à l'Université de Stockholm et qui a fait office de conseiller auprès du Conseil de l'Europe en matière de politique sur les drogues. Il signale:
Dans les années 90, vous constatez que la très bonne situation qui avait été notée auparavant a commencé à se détériorer. Je crois également que la situation est revenue à ce qu'elle était dans les années 70, avant que la Suède n'adopte sa politique restrictive. Comme vous pouvez maintenant le constater, il y a eu une augmentation très marquée dans les années 90 du nombre de jeunes qui essayaient les drogues. Nous avons procédé à des études auprès de volontaires. Chaque année, les volontaires participent à une entrevue sur leur usage des drogues, et nous pouvons constater qu'il y a eu une augmentation de l'usage qui est passé de 7 p. 100 dans les années 80 à 16-17 p. 100 aujourd'hui. |
Ainsi, la Suède connaît un taux d'usage des drogues plus élevé que le Canada.
M. Réal Ménard: Je vous remercie.
La présidente: Madame Davies.
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Je vous remercie.
J'ai trouvé très intéressantes les interventions de chacun d'entre vous aujourd'hui. Je me suis demandée pendant les questions s'il serait possible de faire une étude aujourd'hui qui indiquerait quelles seraient les conséquences économiques et sociales aujourd'hui si l'alcool était interdit et de tâcher de déterminer le genre de situation que nous constaterions. Il pourrait y avoir des gens qui réclament des lieux sûrs pour la consommation d'alcool parce que le marché noir était devenu dangereux...ou réclamant des règlements pour établir qui aurait la permission de boire...ce genre de règles. Cela soulève une possibilité intéressante, et je suis certainement d'accord avec chacun d'entre vous lorsque vous dites que les politiques actuelles semblent extrêmement irrationnelles et fondées sur le racisme dans certains cas. Les premières lois canadiennes sur l'opium à Vancouver étaient fondées sur le racisme.
L'une des questions avec lesquelles nous nous débattons, c'est la façon de présenter le commencement d'arguments ou de recommandations rationnels en matière de politique? Il est important de tenir compte des obstacles à une telle entreprise. Je me demande si vous aimeriez en parler.
Il me semble qu'il existe aujourd'hui de très nombreuses indications des énormes coûts sociaux et économiques de nos politiques actuelles et de l'échec de ces politiques. Cette opinion est appuyée par toute une gamme d'opinions provenant de scientifiques, de responsables de la santé publique, de groupes communautaires et de consommateurs de drogues. Cette semaine, à Vancouver, on est en train d'établir des sites de démonstration de piqueries contrôlées. J'espère qu'à un certain moment ils seront approuvés. Donc, nous avons toute cette gamme d'opinions et pourtant nous nous heurtons à des obstacles.
Il ne fait aucun doute que les organismes d'application de la loi représentent l'un de ces obstacles, compte tenu de leur influence. Mais pour ce qui est de présenter le commencement d'une politique rationnelle, à votre avis les intérêts en place sont-ils davantage politiques ou judiciaires? Selon vous, les attitudes du public représentent-elles un obstacle? Comment définiriez-vous ces obstacles?
À (1000)
M. William McKim: Il existe de nombreux obstacles importants. Vous en avez mentionné plusieurs. Comme vous êtes politiciens vous savez sans doute mieux que moi quels sont les obstacles politiques. Un grand nombre de ces obstacles découlent en fait de l'opinion publique, et je suis sûr que la plupart des représentants élus hésiteraient à adopter une position que beaucoup qualifieraient de laxiste à l'égard des drogues en exprimant un point de vue plus radical. Je doute que la sensibilisation du public puisse apporter un changement à cet égard.
Il existe des obstacles très réels. Vous avez aussi désigné ceux qui ont extrêmement intérêt à maintenir le statu quo, c'est-à-dire les organismes d'application de la loi. Il existe aussi des restrictions internationales. Il est très difficile pour un pays de changer unilatéralement sa politique actuelle. Cela peut se faire, comme nous l'avons constaté; mais à bien des égards le Canada et les États-Unis se suivent tellement de près et depuis le 11 septembre il semble que nos politiques deviennent de plus en plus imbriquées dans toutes sortes de domaines, surtout ceux qui concernent la frontière.
Il faudrait peut-être que vous consultiez des politologues pour obtenir une réponse plus satisfaisante à votre question. Mais il existe de nombreux obstacles importants. Je n'arrive pas à imaginer un monde idéal, que j'ai d'ailleurs proposé, où nous pourrions établir une politique complètement rationnelle en matière de drogues. Je n'arrive pas à imaginer que cela soit possible un jour, mais nous devons garder cette idée en tête et y travailler, en déterminant quels sont ces obstacles afin d'être mieux en mesure de nous en occuper.
La présidente: Monsieur Adamec.
M. Robert Adamec: Je ne suis pas un spécialiste, par conséquent je vous donnerai mon opinion en tant que simple citoyen.
Il ne fait aucun doute que l'opinion publique est l'un des plus grands obstacles, comme vous l'avez indiqué. Vous pouvez le constater d'après les débats qui entourent la peine de mort aux États-Unis. Les gens peuvent produire toutes sortes de statistiques pour expliquer pourquoi cela peut ou ne peut pas être une mesure rationnelle; cela revient souvent à une opinion personnelle de ce que l'on considère être juste. On conteste souvent la validité factuelle des arguments avancés. Cela peut donner lieu à des débats sans fin alors qu'il s'agit en fait essentiellement d'une question qui fait appel à l'émotion.
Pour le public, l'idée de légaliser l'utilisation de diverses drogues fait peur parce que les gens craignent que cela ouvre la porte à la promotion de la consommation de drogues chez les jeunes. Par exemple, on peut imaginer des gens qui conduisent de façon dangereuse sous l'influence de diverses substances.
Certains des exemples donnés par Mike sont des bons exemples en ce sens qu'ils soulignent que lorsque des sociétés ont eu l'audace de tenter ces expériences, les résultats concrets ont été beaucoup plus positifs que certains l'auraient cru. Si le gouvernement essaie de s'aventurer dans cette voie, il doit s'assurer de la participation des membres de ces sociétés qui ont vécu ces expériences et qui pourraient alors témoigner des avantages réels de telles expériences.
Quant aux arguments théoriques qui se fondent sur des données et ainsi de suite, il vous suffit de regarder l'émission counterSpin n'importe quel soir pour avoir une idée du genre de débats qui peuvent avoir lieu, où essentiellement tout le monde au bout du compte s'entend pour ne pas être d'accord, même si un grand nombre des participants sont des gens intelligents et informés.
Je suis certainement partisan d'une politique rationnelle. Je me considère comme un être humain rationnel, et je considère que les justifications résident vraiment dans les résultats. Mais pour ce qui est de l'opinion publique, il faut aborder les questions de moralité et de crainte lorsque l'on débat de cette question. Il faut trouver un moyen de convaincre les gens--en partant du principe que vous êtes... [Note de la rédaction: Difficultés techniques].
À (1005)
M. Mike Patriquen: Il appartient carrément aux politiciens de mettre fin à l'interdiction visant le cannabis. Comme nous l'avons très bien démontré, cela contribuerait nettement à réduire les méfaits causés par toutes les drogues illicites.
J'ai parlé à un certain nombre de policiers et je leur ai demandé pourquoi ils perdent leur temps et notre argent à poursuivre des gens qui font pousser de la marijuana. Ils répondent que c'est la loi et que c'est leur travail d'appliquer la loi. J'ai demandé à des juges comment ils peuvent envoyer une personne dans un pénitencier fédéral pour y côtoyer des criminels parce qu'ils ont commis une infraction ayant trait au cannabis--«C'est la loi. Je pourrais l'avoir condamné à l'emprisonnement à vie. Il a de la chance de n'avoir été condamné qu'à cinq années d'emprisonnement. Lorsque la loi changera, nous ne condamnerons plus des gens comme lui».
J'ai lu toutes les causes importantes portant sur la validité constitutionnelle des lois sur le cannabis qui ont été portées devant les cours suprêmes des provinces jusqu'à présent. Les juges à ce niveau hésitent à invalider ces lois parce qu'ils disent que cela relève du Parlement.
Trois études ont été faites à l'échelle nationale l'année dernière afin de connaître l'opinion des citoyens sur l'interdiction du cannabis. Ces études étaient toutes valables sur le plan statistique. Entre 48 et 49 p. 100 des Canadiens veulent que l'on élimine complètement cette interdiction--c'est-à-dire il ne s'agit pas de non-décriminalisation, de non-légalisation, de non-quasi-légalisation, mais tout simplement que l'on mette fin à l'interdiction; la consommation du cannabis par les Canadiens comme bon leur semble à l'intérieur de nos frontières devrait être légale. C'est donc l'opinion de 16 millions de Canadiens.
Il n'y a que 300 personnes au pays qui peuvent donner suite au souhait exprimé par ces 16 millions de gens, et il s'agit de vous et de vos collègues. Les traités internationaux ne représentent pas vraiment un obstacle important; les autres pays s'en remettront, mais je sais qu'il y a beaucoup de problèmes avec les États-Unis. Ce sont les États-Unis et la frontière qui posent vraiment problème. Mais il s'agit de problèmes politiques et c'est à vous d'y voir.
Mme Libby Davies: J'aimerais revenir sur ce qui motive l'opinion publique. Vous avez parlé de peur. Bien des gens croient que si nous modifions nos lois sur les stupéfiants, tout le monde va devenir consommateur de drogues et toxicomane. En quoi consiste cette peur véritablement, est-ce la peur qu'il y ait un accroissement de la toxicomanie? Si c'est le cas, c'est l'un des problèmes.
Avons-nous suffisamment de preuves démontrant que nous arriverions même à mieux gérer les problèmes de toxicomanie grâce à une politique rationnelle? L'exemple que vous avez donné à propos de la codéine est utile à cet égard. Si nous craignons que nos enfants deviennent tous des toxicomanes, considérez-vous avec suffisamment de preuves permettant d'établir qu'en passant de l'interdiction à la réduction des méfaits ou même à la légalisation, nous pourrions en fait parvenir à mieux gérer le problème de l'abus de drogues et de la toxicomanie? On pourrait peut-être utiliser aussi l'exemple de l'alcool.
M. William McKim: Les tableaux présentés par M. Adamec ne font que suggérer à quel point les questions sociales sont complexes. Tout est lié; il est pratiquement impossible de déterminer la cause. Les techniques que vous a présentées M. Adamec représentent à certains égards les meilleurs moyens dont nous disposons pour tâcher de le faire sans effectuer d'études particulières à long terme.
Il est réellement difficile de savoir ce qui se produira en bout de ligne si on modifie une variable sociale et de prédire l'influence que cela aura sur un autre aspect. Peu importe votre efficacité en tant que sociologue, c'est une entreprise très risquée. La seule façon pour nous de pouvoir déterminer dans une certaine mesure si cela fonctionnera, c'est d'examiner ce qui s'est fait ailleurs--et même dans ce cas-là, il s'agit d'une société différente. Il y a de nombreux impondérables et de nombreuses inconnues.
Je ne crois pas qu'il soit possible de garantir à la population de façon absolue que si nous apportons tel ou tel changement à cette loi, cela permettra d'améliorer complètement la situation ici à cet endroit en particulier, parce qu'il y a toutes sortes de facteurs qui interviennent. Il faut pratiquement que cela devienne une profession de foi.
Comment cela peut-il vous aider à convaincre le public que nous savons de quoi nous parlons? Ce n'est pas chose facile. Et je ne veux pas vous donner l'impression que la communauté scientifique vous fournira toutes les réponses, mais je crois qu'il y a beaucoup de réponses qu'il faut y trouver. La recherche scientifique, y compris la recherche sociale, neurophysiologique et comportementale peut offrir une orientation importante à cet égard, mais au bout du compte, la seule façon de le savoir, c'est de le faire.
Mme Libby Davies: Je vous remercie.
À (1010)
La présidente: Merci, madame Davies.
Madame Fry.
Mme Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.): Je tiens à vous remercier de vos exposés. Je crois que mes collègues d'en face ont posé beaucoup des questions que j'avais, donc j'ai obtenu beaucoup de réponses.
J'aurais simplement quelques questions dont une en particulier qui s'adresse à M. Adamec. Vous avez laissé entendre que dans le cas de la marijuana, les facteurs qui permettent d'en prédire la consommation sont la disponibilité et l'influence parentale. Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par «influence parentale» et par «disponibilité»? Il est intéressant de constater que dans des pays comme l'Australie et ailleurs où la disponibilité... je veux dire que même en Hollande, où il est facile de se procurer de la marijuana, la consommation en fait n'a pas augmenté. Donc je ne comprends pas vraiment ce que vous voulez dire par disponibilité.
En ce qui concerne l'influence parentale, voulez-vous dire si les parents consomment ou ne consomment pas de la marijuana, ou si les parents vous le demandent? Je n'ai pas vraiment compris la réponse à cette question.
Ma prochaine question s'adresse à M. McKim. Vous avez fait certaines observations très intéressantes. Je crois que la notion selon laquelle l'histoire et la politique déterminent la politique publique est tout à fait exacte. En tant que médecin, je peux vous dire que dans mon cas, cela ne définit pas la façon dont j'agis. J'agis en fonction des résultats de la recherche.
Je sais que c'est plus difficile... et Libby vous a posé une question en ce qui concerne la politique publique. Il n'est pas aussi facile pour un politicien de définir les choses en fonction des résultats, des preuves concluantes, etc. Nous devons prendre en compte toute une série d'autres facteurs.
Cela dit, croyez-vous que des résultats positifs peuvent permettre d'influencer la perception publique, et pas forcément la voie de la physiologie et la pharmacologie de la recherche, etc.? Autrement dit, si on constate une amélioration ou une aggravation des résultats, en fonction de certains comportements ou de certaines stratégies, pouvons-nous alors nous en servir pour influer sur la politique publique?
Par ailleurs, vous avez parlé du comportement d'achat en ce qui concerne les drogues. Pourriez-vous fournir un peu plus de précisions là-dessus?
Je vous remercie.
La présidente: Monsieur Adamec.
M. Robert Adamec: Je n'ai pas eu le temps de vous indiquer les paramètres que nous avons utilisés pour tâcher d'établir une définition. Comme je vous l'ai déjà dit, il s'agit d'un questionnaire, donc nous avons essayé de déterminer les facteurs qui influent sur les adolescents. Nous n'avons pas évalué individuellement chacune de ces influences.
Par exemple, on a mesuré la question de la disponibilité. Il y avait une série type de questions que je modifierai pour chaque substance. On a posé trois questions. La première était la suivante, «Si l'argent n'était pas un problème, à quel point serait-il difficile pour vous d'acheter du haschich ou de la marijuana?» Ils ont cinq choix depuis pas du tout difficile en passant par plus ou moins difficile jusqu'à impossible.
Nous avons utilisé une échelle numérique ordinale, de sorte que «pas du tout difficile» correspondait à un chiffre maximal, et «impossible» correspondait à un chiffre minimal. Donc l'échelle était de zéro à cinq. Par exemple, un total de cinq équivaudrait à «très facile à obtenir».
La question posée était la suivante, «Avec l'argent dont vous disposez habituellement, à quel point vous est-il difficile d'obtenir du haschich ou de la marijuana?» Nous avons utilisé la même échelle. Puis, «À quel point est-il difficile pour vous d'obtenir gratuitement du haschich ou de la marijuana?» Nous avons combiné les deux. Cela pose un problème car nous combinons à la fois la capacité d'acheter et la capacité d'obtenir gratuitement.
En ce qui concerne l'utilisation parentale, nous avons posé des questions concernant leur perception de... et il s'agissait d'une combinaison du père et de la mère. Nous avons posé des questions séparées, mais nous avons combiné le père et la mère, en partie parce que certains adolescents n'avaient ni père ni mère. Nous avons établi une moyenne pondérée.
Donc nous avons posé la question suivante, «Votre mère consomme-t-elle du haschich ou de la marijuana?», les choix variant de jamais à pratiquement tous les jours. Nous avons ici encore utilisé une échelle numérique de zéro à sept. Nous avons posé la même question dans le cas du père. Donc «l'utilisation parentale» traduit leur perception de la fréquence avec laquelle leurs parents consomment la substance.
En ce qui concerne les normes parentales, une norme correspond à la façon dont le parent perçoit comme bien ou mal la consommation de cette substance, à nouveau en fonction d'une échelle numérique.
J'ai l'intention de remettre aussi ces rapports au comité. Donc, si vous le voulez, vous pourrez lire le rapport de façon détaillée. Les normes traduisent l'attitude de vos parents à propos de votre consommation de haschich ou de marijuana: ils sont fermement pour; ils sont moyennement pour, cela leur est égal d'une façon ou de l'autre; ils sont moyennement contre ou ils sont fermement contre. Cela s'apparente donc à un impératif moral qui établit si ce comportement est acceptable ou non. Il en va de même pour la norme des pairs--par exemple, je crois que mes pairs considèrent que c'est une bonne idée de consommer cette substance.
Donc, ces modèles indiquent que l'influence véritable provient des normes parentales qui guident leur jeune, et leur jeune est un très important facteur de prédiction de la disponibilité de la marijuana pour les adolescents, ou de leur perception de cette disponibilité.
Nous ne pouvons pas affirmer avec certitude ce que cela signifie réellement, bien que cela laisse entendre que le comportement parental semble indiquer qu'ils en ont en réserve à la maison et en fait qu'ils la mettent à la disposition de leurs enfants, ou que les enfants se procurent de la drogue auprès de leurs parents. Ce serait donc une façon d'interpréter l'une ou l'autre des échelles quantitatives.
Il faut comprendre que cela se fait dans un environnement où une telle conduite est interdite, où il n'est pas très facile de se procurer cette substance, à moins de faire appel au marché noir ou à des amis, des pairs ou une source parentale. Donc il n'est pas étonnant que si un jeune veut en faire l'expérience, la disponibilité peut être un prédicteur. Si cette drogue était facilement accessible, ce ne serait plus le cas car il n'aurait pas de problèmes à se procurer de la drogue et on ne s'attendrait pas à ce qu'il existe un lien.
À (1015)
M. William McKim: Si j'ai bien compris votre question, vous voulez savoir s'il est possible d'influencer l'opinion publique et s'il est possible de la convaincre avec des arguments positifs.
Selon moi, faire changer d'avis l'opinion publique est tout à la fois difficile et facile. Essayer de vendre au public de la poudre de savon ou quelque chose du genre, fait de vous un spécialiste du changement d'opinion publique. C'est ce que la publicité fait tous les jours. Il y a eu beaucoup de campagnes fondées sur ce modèle qui visaient à convaincre le public de ne pas consommer de drogues, dont certaines ont connu un énorme succès, d'autres un succès modéré et d'autres encore, très de peu de succès. Je ne suis pas complètement convaincu du succès de ces campagnes de sensibilisation si ce n'est qu'elles font comprendre la position du gouvernement sur certains sujets. Quant à savoir si le comportement de la population s'en trouve terriblement influencée...
Étudier les courbes de consommation d'alcool et de tabac d'une année sur l'autre est très instructif. Nous savons que la consommateur d'alcool et de tabac diminue en Amérique du Nord et dans les démocraties occidentales depuis déjà pas mal de temps. Les raisons de cette diminution sont nombreuses, et dans une mesure nous ne savons pas exactement pourquoi, bien que certains prétendent que c'est la multiplication des campagnes de sensibilisation qui en est responsable.
Selon moi, c'est plutôt lié à une énorme prise de conscience des questions de santé. D'une manière générale, la population ne fume plus et ne boit plus autant qu'autrefois. C'est largement pour des raisons de santé. On fait plus souvent du jogging qu'autrefois et on se livre à toutes sortes d'activités bonnes pour la santé. Savoir si cela va continuer ainsi est difficile à dire.
Les courbes de consommation d'alcool des 100 à 150 dernières années montrent que tous les 60 ou 70 ans il y a une pointe suivie d'une chute. Il y a une pointe de consommation tous les 60 ou 70 ans. Vous trouverez cette courbe dans le livre dont je vous ai donné des exemplaires.
La prédiction est que la consommation d'alcool continuera à diminuer, mais qu'elle remontera de nouveau. Chaque diminution a été associée à quelque chose. Les diminutions précédentes ont été associées avec le mouvement anti-alcoolique, ou des mouvements religieux...
À (1020)
Mme Libby Davies: Chaque fois qu'il y a eu diminution...?
M. William McKim: Chaque diminution semble toujours être liée à un mouvement religieux, à des mouvements anti-alcooliques... Cela remonte à 70 ou 80 ans et même avant cela.
Donc, quant à savoir si nous pouvons délibérément changer des perceptions du public et les politiques par des campagnes et des arguments rationnels est, d'après moi, une question que nous ne pouvons...dans certains cas il est probable que nous le pouvons, mais dans de nombreux autres c'est tout à fait fortuit et c'est lié à des circonstances totalement différentes sur lesquelles nous n'exerçons pas particulièrement de contrôle.
Pour répondre à votre question: Je ne sais pas.
Mme Hedy Fry: Très bien, merci.
Est-ce que je peux encore poser une question?
La présidente: Une question.
Mme Hedy Fry: Très bien.
À mon avis, c'est essentiel. Quand il aura terminé ses travaux, notre comité devra faire une série de recommandations reposant sur les témoignages que auront entendus. Bien que ce soit l'histoire et la politique qui déterminent la politique publique, je crois que l'information et le leadership peuvent également déterminer ce que ce comité fera et déterminer également si nous possédons ou non le leadership et le courage nécessaires pour prendre certaines des initiatives que nous ont proposées nos témoins.
Cependant, quand on parle d'influence, dans les pays qui ont autorisé la marijuana ou le cannabis, il y a eu chute de consommation—ce n'est pas moi qui le dis, c'est l'Association canadienne de santé publique. Si la consommation a diminué c'est parce qu'on a montré aux jeunes les conséquences négatives pour la santé de ce produit. D'ailleurs, il existe énormément d'informations sur ces effets négatifs pour la santé, que ce soit le simple fait de fumer—la quantité de goudron et la présence de substances nocives qui, je crois, sont plus importantes que pour le tabac—et les incapacités cognitives à plus long terme—perte de mémoire, incapacité de se servir de certaines machines, de conduire, etc., dues à l'absorption de ces substances. Ils ont commencé à comprendre que cela pouvait être mauvais pour eux à long terme.
Je crois donc qu'avec la bonne recherche, de bonnes informations sur les conséquences potentielles de la consommation, et nos connaissances accrues sur le métabolisme humain, nous pouvons influer sur les comportements.
J'aimerais, en attendant, vous poser une question importante: comment peut-on mettre la main sur votre livre? J'aimerais beaucoup lire tout ce que vous avez sur les comportements d'achat et la relation avec toute cette question. Nous savons que les adolescents consomment deux substances en particulier: l'alcool et le tabac. La consommation de ces deux substances est largement supérieure à la consommation de cannabis. J'aimerais en savoir plus sur les comportements d'achat, même lorsque ce sont des substances réglementées et disponibles.
Merci
La présidente: Nous verrons ce que nous pourrons faire à propos de ce livre une fois que j'en aurai déterminé le prix. Nous en aurons au moins un exemplaire pour notre attaché de recherche et il pourra vous le prêter.
M. William McKim: J'en ai deux exemplaires avec moi. C'est tout ce que je pouvais mettre dans mon bagage cabine. Comme il va y avoir une cinquième édition, j'ai un certain nombre d'exemplaires supplémentaires. Ce n'est peut-être pas suffisant pour tous les membres du comité, mais je peux m'arranger pour vous en envoyer trois ou quatre de plus.
Mme Libby Davies: Quand la nouvelle édition doit-elle sortir?
M. William McKim: À l'automne.
La présidente: Pas avant l'automne. Très bien, nous en reparlerons.
Derek, vous aviez des questions?
M. Derek Lee (Scarborough--Rouge River, Lib.): Oui, j'ai beaucoup de questions. Il y a une que j'aimerais poser à M. McKim.
Vous avez parlé de la nécessité de comprendre les conséquences techniques, médicales de la consommation non médicale de certaines drogues et vous nous avez parlé de la codéine, de la morphine et de l'héroïne. Y a-t-il une source, comme votre livre, faisant la synthèse de l'utilisation et des conséquences d'utilisation de toutes ces drogues différentes afin que nous sachions de quoi nous parlons? Quand nous parlons aliments, nous savons que nous parlons protéines, graisses et glucides et nous savons de quoi il retourne et comment le corps utilise ces substances. Y a-t-il une source qui permettrait de traduire toutes ces choses en une sorte de plus petit commun dénominateur comme vous l'avez fait pour la codéine, la morphine et l'héroïne pour que nous puissions vraiment nous sensibiliser à la question?
Chacun aborde cette question de politique publique à partir de ses petites données en utilisant les paradigmes existants, le gabarit de la moralité, le gabarit historique et le gabarit politique et nous sommes frappés d'immobilisme par nos propres structures.
À (1025)
M. William McKim: Je peux vous recommander de jeter un coup d'oeil au chapitre cinq du manuel. En fait, il y a un dénominateur commun que nous commençons à comprendre. Pratiquement toutes les drogues ont une sorte de voie d'accès finale neurologiquement commune. Il y a loin de la neuroscience à la politique publique, mais je vous accorde que c'est un bon endroit pour commencer.
Pour cette voie d'accès finale commune, il se trouve que les mécanismes de notre cerveau qui contrôlent notre comportement et nos motivations--on parle de plaisir mais on pourrait aussi parler de renforcement positif--sont supervisés par un mécanisme cérébral assez compliqué mais qu'on peut résumer par système de dopamine mésolimbique.
Il se trouve que pratiquement chaque drogue dont on abuse et qui est autoadministrée stimule le système de dopamine mésolimbique. Des drogues comme les amphétamines, la cocaïne et les opiacés le font directement par le récepteur mu dont j'ai parlé tout à l'heure. D'autres, comme le tabac et l'alcool, le font indirectement. Mais c'est une voie d'accès finale commune, et ce mécanisme cérébral particulier a évolué de manière à ce que nous refassions les choses bénéfiques pour les espèces.
Pendant notre évolution, les drogues n'étaient pas d'une manière générale disponibles si bien que nous avons créé un mécanisme de protection pour nous en protéger. Quand vous prenez une drogue, votre cerveau croit que c'était bien et qu'il faut recommencer. C'est la même chose quand vous mangez. Nous aimons manger et nous nous souvenons de ce que nous avons fait pour avoir le besoin de recommencer. Ça marche aussi pour le sexe et diverses autres motivations de base. Ce sont les mêmes mécanismes cérébraux qui semblent être responsables pour la drogue.
Il y a donc un dénominateur commun et un mécanisme neurologique commun que toutes ces drogues partagent, et il contrôle les drogues plus ou moins de la même manière. Les différences constatées au niveau des drogues, ce sont les différences au niveau des conséquences.
Mis à part ce mécanisme particulier que toutes ces drogues ont en commun, il y a toutes sortes d'autres choses que les drogues font au cerveau. L'alcool, par exemple, démolit votre coordination, ruine votre jugement, etc., qui sont essentiellement des mécanismes qui sont indépendants de la raison pour laquelle nous prenons la drogue.
Avec des drogues comme le tabac, la nicotine n'est pas une drogue terriblement dangereuse; c'est la fumée du tabac qui crée le problème. Donc les conséquences néfastes que les drogues ont dans de nombreux cas ne sont pas liées au renforcement des mécanismes cérébraux du système de dopamine mésolimbique.
Ceci posé, que faire? Je crois que si nous comprenons que toutes les drogues possèdent ce mécanisme commun, et qu'il est analogue au mécanisme qui contrôle les autres formes de comportements du consommateur comme manger, je crois qu'alors nous avons à notre disposition tout un éventail de connaissances dérivées de l'étude de ces autres formes de comportements. Maintenant nous pouvons l'appliquer à la consommation de drogues.
Mme Fry voudrait mieux comprendre les comportements d'achat et les facteurs économiques de la consommation de drogues. Une des choses que nous savons, par exemple--arrêtez-moi si je suis trop long, car c'est une de mes mauvaises habitudes, je vais faire attention--est que le système de dopamine mésolimbique semble avoir besoin d'être activé un certain nombre de fois tous les jours. Nous le faisons en mangeant, en ayant des relations sexuelles et en rencontrant des gens, en étant sociaux. Ce sont des activités qui toutes stimulent le système de dopamine mésolimbique et nous sommes arrivés à un stade où il nous faut constamment répéter ces activités. Elles sont toutes en concurrence. Quand vous faites une chose vous n'en faites pas une autre et la manière dont le comportement est généralement organisé est que nous avons tendance à partager notre comportement entre toutes ces sources d'activités qui peuvent le faire pour nous. Consommer de la drogue en est simplement une.
Si vous avez beaucoup d'autres activités que la drogue, vous pouvez toujours en consommer mais aussi faire beaucoup d'autres choses. Si vous n'avez pas d'autres activités, vous avez tendance à consacrer la majorité de votre temps à la consommation de drogues. Il y a des règles mathématiques qui déterminent la proportion de votre temps que vous consacrez à faire diverses choses relativement au degré de nocivité et ou de renforcement et de plaisir que vous dérivez de ces activités.
À (1030)
M. Derek Lee: Est-ce que la nourriture est une de ces activités qui utilise la même fonction biologique?
M. William McKim: Oui.
M. Derek Lee: Il y a une autre échelle--je l'appelle l'échelle de «nocivité»--dans laquelle la consommation non médicale de drogues est soi-disant impliquée, et c'est la propension à induire une dépendance biologique, une accoutumance.
Donc dans votre livre ou dans la littérature, y a-t-il de bons indices sur cette propension à induire la dépense, biologique ou psychologique? Si je vous pose cette question, c'est parce que j'étais supris de voir que l'héroïne, une de ces nombreuses variétés de drogues, a une propension à la dépendance--et je peux me tromper--d'environ 18 p. 100 ou 20 p. 100. Donc 18 ou 20 p. 100 de ceux qui prennent de l'héroïne deviennent physiquement dépendants; les 80 autres p. 100, non. Sauf erreur, c'est un chiffre qui a été dans un article de l'Economist d'il y a environ un an sur la drogue.
Ce que je viens de dire, de votre point de vue, vous semble raisonnable? Je ne me trompe pas en disant que cette drogue terrible, l'héroïne, ne rend physiquement dépendant qu'environ 20 p. 100 de ceux qui la consomment, alors que la nicotine rend dépendants 70 à 80 p. 100 de ceux qui en consomment?
M. William McKim: Pour commencer, permettez-moi de dire qu'un des progrès que j'ai remarqués au cours des 30 dernières années est la découverte, peut-être contre-intuitive, que la dépendance pysique est définie par les symptômes de seuvrage quand vous arrêtez de prendre de la drogue. La dépendance physique n'est pas un facteur terriblement important pour déterminer si les gens consomment ou non de la drogue. En fait, cela varie en fonction de la drogue consommée. Ce n'est pas un facteur terriblement important pour l'alcool. C'est un peu plus important pour l'héroïnomanie et l'opiomanie, mais en fait ce n'est pas la caractéristique décisive d'une dépendance.
Avec la réserve suivante: Je ne sais pas vraiment comment définir la dépendance. Mais la dépendance physique, en fait, n'est pas aussi importante pour déterminer si une personne consomme ou ne consomme pas de la drogue.
Cela peut sembler un peu surprenant, mais...
M. Derek Lee: Vous voulez dire la première fois?...
M. William McKim: N'importe quand.
M. Derek Lee: Ou la centième fois?
M. William McKim: Cela pourrait être la centième fois. Que quelqu'un soit ou ne soit pas physiquement dépendant n'est pas une question terriblement importante au niveau de la décision de consommer de la drogue.
Nous utilisons le terme dépendance--voulant dire dépendance physique--presque de manière interchangeable avec accoutumance et ce n'est pas la même chose. En fait c'est très différent. La dépendance physique n'a pas grand-chose à voir avec le fait de prendre ou de ne pas prendre de la drogue. L'important c'est qu'une drogue plutôt qu'une autre stimule le système de dopamine mésolimbique.
Nous savons grâce à toutes sortes d'études que c'est relativement important. En fait, aux États-Unis il y a toutes sortes de laboratoires qui ne font rien d'autre que de déterminer la responsabilité de dépendance de diverses substances. Ils ont des procédures très spécifiques qui impliquent des animaux de laboratoire--des rats et des singes--et le degré que doit atteindre un organisme pour s'autolibérer d'une substance, pour se donner une inffusion de cette substance. Cela a beaucoup à voir avec la rapidité de l'effet et l'intensité de l'effet sur le système de dopamine mésolimbique et pratiquement rien, en fait, à voir avec la formation d'une dépendance physique.
Il est possible de définir ou de donner un rang aux drogues selon leur responsabilité de dépendance, mais pour l'essentiel cela n'a pas grand-chose à voir avec le fait que la drogue entraîne ou non une dépendance physique.
M. Derek Lee: Mais la dépendance n'est-elle pas un facteur qui détermine à nos yeux s'il y a ou non consommation, abus?
M. William McKim: Certainement, mais à mon avis, c'est une erreur.
M. Derek Lee: Ah, une erreur?
M. William McKim: Oui.
M. Derek Lee: Si une drogue comme l'héroïne n'entraînait pas la dépendance, ou même l'assuétude, et qu'elle ne causait pas non plus d'autres méfaits, vous savez, ce n'est pas comme de la fumée toxique, l'héroïne n'endommage pas autrement le corps—ne pourrait-on pas la considérer uniquement comme du sucre, par exemple?
M. William McKim: Non, on ne pourrait pas dire cela.
M. Derek Lee: On ne la consommerait que parce qu'elle agit sur un système du cerveau. Si elle n'entraînait pas la dépendance ni l'assuétude, on la consommerait uniquement parce qu'on aime son effet; on la consommerait parce qu'elle garde le cerveau actif et qu'elle n'a pas d'autres effets néfastes sur le corps. Est-ce une bonne façon d'envisager la question?
M. William McKim: Il y a quelques exemples intéressants que l'on peut tirer de l'histoire récente. Prenez le cas de William Stewart Halstead, un des fondateurs de la faculté de médecine John Hopkins et un pionnier dans les techniques d'asepsie appliquées à la chirurgie. Lorsqu'il est mort, on s'est rendu compte, en consultant son journal personnel, qu'il s'était injecté de la morphine pendant presque toute sa carrière. Il était en fait toxicomane, il dépendait physiquement de la morphine. Il expliquait que ce n'est que lorsqu'il avait tenté d'enrayer cette habitude et de se sevrer qu'il avait éprouvé des difficultés avec ses capacités physiques et sa pratique de la chirurgie.
Pour lui, le fait de dépendre physiquement de la morphine ne posait pas problème, tant qu'il pouvait s'approvisionner.
M. Derek Lee: Les législateurs que nous sommes devraient donc inclure la propension à la toxicomanie, si je puis utiliser cette expression...
M. William McKim: Certainement...
M. Derek Lee: ...comme indicateur de quelque préjudice à la société.
M. William McKim: ...mais il vous faudra distinguer la notion de dépendance physique et celle d'assuétude.
Mme Libby Davies: Mais quelle est la différence? J'aimerais vous l'entendre expliquer à nouveau.
Pardon d'avoir interrompu.
M. Derek Lee: C'est une bonne question que pose Mme Davies.
Allez-y, je vous prie.
Mme Libby Davies: Pardon, encore une fois, de vous interrompre, mais pourriez-vous expliquer la différence entre la dépendance physique, d'une part, et l'assuétude, d'autre part?
M. William McKim: Consommer une substance peut vous faire perdre la maîtrise de votre comportement. La consommation d'une substance active la partie de votre cerveau qui vous enjoint d'en consommer à nouveau.
Comme vous vous rappelez ce que vous avez fait et comment vous y êtes parvenu, vous aurez tendance à répéter ce comportement. Il s'agit là d'un mécanisme qui se produit à l'intérieur de notre cerveau. Ce phénomène est parfaitement adaptatif et donne de bons résultats. Il a même préservé notre espèce et d'autres encore pendant longtemps.
La difficulté vient de ce que les drogues court-circuitent ce phénomène de sorte que, chaque fois que vous consommez de la drogue, celle-ci fait croire à votre cerveau que vous venez de faire quelque chose de bien et d'adaptatif, ce qui vous fait désirer recommencer. C'est cette capacité-là qui pose problème et non la dépendance physique.
La dépendance physique survient avec certaines drogues et pas avec d'autres. Nous divisons souvent les drogues en drogues dures et en drogues douces, et pendant longtemps on a cru que c'était ce qui définissait l'assuétude. Je n'en crois rien. Lorsque l'on fait des études approfondies, on constate que la tendance à consommer une drogue n'a souvent rien à voir avec la dépendance physique ou non des organismes, y compris ceux des humains.
À (1035)
En fait, il y a eu des études intéressantes effectuées dans les cliniques d'entretien à la méthadone. Pour pouvoir recevoir le traitement d'entretien à la méthadone, il faut généralement... En fait, il ne sert à rien de donner ce traitement à celui qui n'éprouve pas de dépendance physique étant donné que, semble-t-il, la méthadone retarde les symptômes de sevrage. Pour pouvoir déterminer si les gens éprouvent une dépendance physique à la drogue, on peut, par exemple, leur donner une injection de Naloxone. La Naloxone bloque immédiatement les nouveaux récepteurs de sorte que s'il persiste dans le corps de la morphine ou de l'héroïne, par exemple, celle-ci cesse d'agir immédiatement et la personne éprouvera des symptômes physiques de sevrage. Or, on a constaté qu'un nombre surprenant de clients à l'entretien à la méthadone croyant légitimement souffrir de dépendance physique n'en souffraient pas en fait. Mais ils le pensaient, et ils croyaient fermement qu'ils étaient complètement accros. Mais en fait, ils ne souffraient pas de dépendance physique.
À (1040)
M. Derek Lee: C'est fascinant, tout cela, mais je ne sais pas quoi en penser.
Je vais m'arrêter ici, madame la présidente.
La présidente: Ne pourrions-nous pas tous arrêter quelques minutes? Certains d'entre nous ont des besoins physiques.
À (1045)
La présidente: Monsieur Lee, avez-vous terminé? Nous aurons une deuxième ronde de questions.
Monsieur Adamec, vous vouliez réagir.
M. Robert Adamec: J'aimerais revenir à ce qui s'est dit avant la pause, pour que le comité ne prenne pas la mauvaise direction. J'en discutais justement avec mon collègue, M. McKim.
Il faut comprendre que, d'après la recherche effectuée sur des animaux, il pourrait y avoir une autre façon de définir l'«assuétude». Je ne conteste pas ce que vous a dit Bill McKim sur l'activation de la voie mésolimbique dopaminergique, mais il est clair que les drogues toxicomagènes pourraient fort bien sensibiliser le système et que cette sensibilisation ait recours à des mécanismes qu'utilise le cerveau pour entreposer les souvenirs, pour apprendre et pour mémoriser, et je songe particulièrement aux récepteurs du glutamate. La sensibilisation peut donc être à long terme; autrement dit, le système devient hyperréceptif à ces substances, de sorte que le message envoyé au cerveau est très puissant et sans doute anormalement exagéré.
Tout cela devient très compliqué, car une activation très puissante entraîne aussi le développement d'une tolérance. Le système développe donc une tolérance à l'égard de ses propres messages chimiques, ce qui l'entraîne à rechercher des doses accrues de ces mêmes substances. On en arrive donc à un cycle de besoin de cette substance toujours accru en vue d'atteindre les mêmes effets physiques.
Tout cela a un prix, comme l'illustre à merveille l'exemple de la cocaïne, une drogue illicite très coûteuse dont les premiers effets sont merveilleux. Personnellement, je n'en ai jamais tâté, mais je connais des gens qui en ont consommé. Je n'ai jamais inhalé quelque substance que ce soit.
Des voix: Oh, oh!
M. Robert Adamec: À ce qu'on m'a dit, les sensations sont merveilleuses: vous avez l'impression d'être tout à fait efficace. Mais après un certain temps, il vous en faut plus pour pouvoir atteindre les mêmes sensations, ce qui finit par vous donner des effets secondaires terribles, comme des dépressions profondes, notamment.
Il ne s'agit donc pas uniquement d'une simple activation de la pulsion. C'est complexe, notamment à cause de l'activation excessive qui entraîne des oscillations très anormales. Il en résulte des changements dans le cerveau qui produisent des modes d'utilisation qui ne sont pas aussi bénins que des états de stimulation, ou que l'effet de manger ou d'entreprendre des activités plaisantes.
La présidente: Mais cela dépend-il en partie de la substance?
M. Robert Adamec: Oui.
La présidente: J'aurais pensé, par exemple, que celui qui boit plus d'alcool régulièrement ne montre pas les signes d'un alcoolique, tandis que celui qui ne boit pas de l'alcool très souvent peut se mettre à tituber après un verre.
M. Robert Adamec: Votre exemple illustre le développement d'une tolérance à l'intoxication.
La présidente: D'accord, mais ces gens-là ne ressentent pas constamment le besoin d'en consommer toujours plus. Certaines gens sont des toxicomanes et d'autres pas.
M. Robert Adamec: Non, j'en conviens. Toutefois, si vous entrez dans un cycle qui vous pousse à essayer de retrouver les effets que vous avez découverts lors de votre première initiation à la drogue, la tolérance que vous aurez développée ne vous poussera pas à en vouloir toujours plus.
La présidente: Mais M. McKim a également mentionné d'autres phénomènes qui pourraient conduire aux mêmes réactions, comme par exemple l'exercice physique, les relations sexuelles, notamment. Bien des gens peuvent rechercher les mêmes sensations en courant cinq kilomètres par jour.
M. Robert Adamec: Oui, c'est en effet possible avec l'exercice physique. Je suis moi-même un coureur passionné, et je me sens très mal lorsque je n'ai pas couru cinq milles par jour. Mais j'imagine que cette accoutumance est moins dangereuse, et plus bénigne.
La présidente: Mais il ne vous faudrait pas nécessairement toujours courir plus, comme c'est le cas de la cocaïne. Vous n'auriez pas à courir cinq milles aujourd'hui et...
M. Robert Adamec: Mais il y a une limite. J'admets pour ma part que je me suis laissé prendre dans un cycle et j'ai fini par courir 10 milles par jour. C'était trop pour mon corps. J'ai dû réduire mon effort car mes jointures étaient devenues douloureuses.
La présidente: Mais votre cerveau n'en a pas souffert quand vous vous êtes mis à courir cinq milles plutôt que 10.
M. Robert Adamec: Non. Quoi qu'il en soit, il y a des exemples comme celui-là, mais les cas sont moins graves. Est-ce réellement terrible de ne pas pouvoir se passer de courir? Pas vraiment, mais c'est peut-être terrible d'être cocaïnomane.
La présidente: Peut-être, pour celui qui est censé être au travail.
M. Robert Adamec: Voilà pourquoi je me lève à 5 h 30 pour pouvoir courir.
La présidente: Vous voyez? Et vous vous privez de sommeil.
Monsieur McKim.
M. William McKim: Oui, j'aimerais remercier Bob de l'avoir souligné. D'ailleurs, je ne voulais pas vous donner l'impression que consommer une drogue était comparable au fait de manger, de prendre plaisir aux relations sexuelles ou à l'activité physique. Il y a des différences importantes. L'une d'elles, comme Bob l'a mentionné, s'appelle la «sensibilisation». Plus vous consommez d'une drogue, plus le système y devient sensible et plus la drogue exerce de contrôle sur votre comportement.
Ainsi, l'usage répété d'une drogue a un effet significatif. La différence ne tient pas à la dépendance physique, mais bien à la sensibilisation à l'effet de la drogue.
Il se produit aussi d'autres changements qui sont peut-être même plus insidieux. C'est manifeste, par exemple, avec une drogue comme l'alcool. J'ai dit que le comportement reflète l'équilibre entre toute une foule d'activités dont l'une peut être la consommation de drogues, et s'il y a énormément de compétition, alors les drogues tendent à ne pas exercer un contrôle aussi important sur le comportement.
L'alcool, à titre d'exemple, estompe le plaisir, ou l'effet positif que l'on ressent, ou empêche de ressentir les effets positifs d'autres facettes de sa vie, comme le mariage, la famille, l'emploi, et quoi encore. Quand on est ivre, on ne tire pas le même genre de plaisir social de sa famille ou d'une vie familiale agréable. On risque de perdre son emploi et de ne plus avoir ça pour occuper son attention.
L'ivresse peut étouffer d'autres sources concurrentes de renforcement et l'on plonge dans une sorte de spirale où la seule source de plaisir ou de renforcement positif vient de l'alcool. Ce dernier supprime toute concurrence, pour ainsi dire.
Alors, non, ce n'est pas comme n'importe quelle autre source de renforcement. Il y a aussi le fait qu'on n'atteint pas la satiété aux effets positifs des drogues. Par exemple, il y a une limite à ce que vous pouvez manger, et pour un homme, une limite à l'activité sexuelle. Il y a des mécanismes qui vous contraignent à arrêter au-delà d'une certaine limite d'endurance physique, mais ce n'est pas le cas pour les drogues. Il n'existe aucune contrainte physique qui vous empêcherait de continuer de vous injecter de l'héroïne tant que vous le souhaitez, tant que l'héroïne est disponible.
Ainsi, les drogues font appel aux mêmes mécanismes du cerveau, mais elles sont beaucoup plus dangereuses et beaucoup plus insidieuses.
La présidente: Étrange comme le mot «sexe» réveille tout le monde.
Nous ferons un autre tour de table et puis j'aimerais poser quelques questions complémentaires.
Monsieur White ou madame Allard.
[Français]
Mme Carole-Marie Allard (Laval-Est, Lib.): Je pense que c'est vrai qu'on a expérimenté le fait que plus on fait l'amour, plus on veut le faire. Il doit y avoir de la dopamine là-dedans.
Monsieur McKim, ce qui me frappe ce matin, c'est l'étendue des connaissances pharmacologiques sur les drogues et, à l'inverse, l'étendue de mon ignorance.
Vous nous ramenez à une discussion qui, en fait, est élargie. Notre mandat est, bien sûr, d'étudier l'utilisation de drogues à des fins non médicales, mais je pense que ce qui est très intéressant dans votre constatation, c'est que vous dites:
[Traduction]
Étant donné que bien des gens ont la même possibilité de consommation d'une drogue et que seulement quelques-unes d'entre elles subissent son contrôle, les mécanismes responsables de l'accoutumance semblent être inhérents à la personne plutôt qu'à la drogue. |
[Français]
C'est intéressant parce que si on arrivait, par exemple, à administrer aux enfants un test qui pourrait vérifier la propension à la dépendance aux drogues, est-ce qu'on peut penser qu'on pourrait découvrir chez un enfant qu'il pourrait devenir dépendant plus tard? J'imagine que les parents seraient sûrement très contents de faire subir le test aux enfants. Ce serait un peu comme le test de la glande thyroïde.
Aujourd'hui, la génétique nous permet de déceler les maladies avant même qu'on les découvre chez la personne. Alors, est-ce possible d'envisager l'existence d'un tel test?
Moi, j'ai vécu une expérience personnelle, l'été dernier. J'ai un jeune qui est très prometteur et qui m'expliquait qu'il avait été déprimé durant toute son enfance. À un moment donné, il a même fait une tentative de suicide. Cela a duré jusqu'à ce qu'il consulte un psychiatre qui lui a administré un test pour mesurer les substances dans son cerveau et qu'il découvre qu'il y avait effectivement un manque d'une substance; je pense que c'était la sérotonine. Il a pris des médicaments et ça l'a beaucoup aidé à augmenter son enthousiasme face à la vie.
Alors, est-ce qu'on pourrait penser qu'il existe quelque chose qui nous permettrait de déceler les dépendants potentiels chez les jeunes? Je pose la question.
[Traduction]
M. William McKim: C'est une question intéressante. J'ai effectivement dit qu'il y a de nombreux facteurs personnels qui déterminent qui subira le contrôle d'une drogue et qui y résistera. Manifestement, ces facteurs tiennent peut-être à la neurophysiologie de chacun; cette différence peut s'expliquer par de nombreux autres facteurs. Toutefois, le milieu de vie d'une personne est sans doute un facteur important à prendre en compte. Chacun a un milieu de vie différent.
Il serait probablement plus utile de tenter de cerner ces importants aspects du milieu de vie que de tenter d'expliquer les réactions neurochimiques de chaque personne. M. Adamec vient de nous énumérer de nombreuses variables environnementales et d'expliquer comment elles peuvent influencer le choix d'une personne de consommer ou non des drogues. C'est une piste de recherche fructueuse.
De nombreuses études ont été réalisées sur les déterminants génétiques de l'alcoolisme en particulier. Certains résultats de cette recherche sont encourageants, mais il est bien clair qu'il n'existe pas de gène de l'alcoolisme. On ne peut examiner les gènes et dire: «Oh la la, ce gène est manquant, voilà quelle sera la conséquence». Il n'existe pas de gène de l'alcoolisme.
Ce qui existe c'est une influence génétique, même si certains soutiendraient le contraire. Si vous lisez les comptes rendus de recherches, vous verrez qu'il semble exister une influence génétique qui tient peut-être à l'interaction de certaines substances chimiques dans le cerveau comme la dopamine ou la sérotonine. L'environnement joue aussi un rôle. Prenons le cas de vrais jumeaux. Si l'un devient alcoolique--j'oublie les statistiques exactes, il y a entre 60 et 70 p. 100 de chances que l'autre le devienne aussi. Mais cela signifie du même coup qu'il y a 30 p. 100 de chances que l'autre ne le devienne pas.
La génétique y est manifestement pour quelque chose, mais c'est surtout une question d'une interaction subtile entre les éléments chimiques du cerveau et le milieu qui a l'effet déterminant. Et j'estime pour ma part que l'environnement a probablement une plus grande influence que la chimie du cerveau.
La présidente: Monsieur Adamec, souhaitez-vous répondre?
M. Robert Adamec: Nous représentons différents côtés du spectre, mais je suis d'accord avec Bill, dans un certain sens, lorsqu'il défend la thèse épigénique en vertu de laquelle les gènes produisent des phénotypes qui sont l'expression du gène. Cette expression du phénotype toutefois est très étroitement liée aux influences génétiques.
L'argument que vous avancez est très valable puisqu'il fait entrer la vulnérabilité dans l'équation. Dans toutes les spécialités médicales, mais surtout en psychiatrie, on est ouvert à la possibilité que certaines personnes soient vulnérables à certains troubles. Cela s'applique certainement aux toxicomanies.
Certains chercheurs se consacrent à la recherche des marqueurs de gènes pour ces troubles-là. Et Bill a raison. Pour autant que je sache, ils n'ont toujours pas trouvé de gène pour l'alcoolisme, mais il y a des pistes de recherche intrigantes. Je crois que le mieux que l'on puisse espérer c'est que quelqu'un mette au point un test qui permettrait de déceler les sujets à risque et, idéalement--bien que je ne suis pas convaincu que cela soit possible--mesurer le degré de risque. Par risque, j'entends qu'une personne pourrait être prédisposée, qu'un problème de toxicomanie pourrait se révéler si cette personne était exposée à certains événements environnementaux précipitants.
La réponse à votre question, c'est qu'il y a certainement de l'espoir. C'est peut-être possible. Nous n'y sommes pas encore mais de nombreux chercheurs se consacrent au problème. Je crois que Bill a raison de dire que l'expression d'un phénotype à partir d'un génotype est tout à fait déterminée par des facteurs environnementaux. Nous ne savons toutefois pas lequel exerce l'influence déterminante. C'est une question empirique.
Mme Carole-Marie Allard: Merci.
J'ai une autre question à poser à M. Patriquen.
[Français]
Est-ce que vous pensez que la décriminalisation de la marijuana pour des fins médicales a contribué à la confusion du message sur la légalité de la marijuana parmi les jeunes?
[Traduction]
M. Mike Patriquen: Je pense qu'il y a beaucoup de confusion entourant les lois sur le cannabis. Jusqu'au milieu de 1998, on considérait presque toujours le cannabis comme étant quelque chose de mauvais et d'illicite. Au milieu de 1998, on a tout doucement changé les lois sur la culture du chanvre, le chanvre étant du cannabis ayant une teneur en THC peu élevée.
Les gens considéraient donc que le cannabis était poison, ce qu'on leur disait depuis trois quarts de siècle. Or, on dit maintenant que ce n'est plus poison et on transforme même le chanvre en supplément thérapeutique. Quelque chose qui jusqu'au milieu de 1998 était considéré comme poison pour notre système se vend maintenant très bien comme additif nutritionnel. On nous dit que le chanvre--qui est du cannabis à faible teneur en THC--est bon pour nous. Si la quantité de THC atteint certains niveaux, le produit redevient mauvais pour nous. Or, depuis 1999, ce produit n'est mauvais pour nous que s'il est utilisé à des fins non médicales. Donc ce doit être bon.
Donc, oui, les lois sont toutes différentes et il faudrait les uniformiser. Si c'est une bonne chose, c'est bon; légalisons ce produit. S'il est mauvais, interdisons-le. Mais je ne pense pas que cela se produira.
La présidente: Les docteurs voudraient-ils faire des commentaires? Cela aurait certainement une incidence sur l'usage, n'est-ce pas?
Monsieur Adamec.
M. Robert Adamec: Je ne crois pas qu'il y ait de preuves que l'usage de la marijuana crée une habitude.
La présidente: Oui, mais s'il y avait dépénalisation, est-ce que cela accroîtrait la disponibilité, par exemple?
M. Robert Adamec: En fait, nous en avons parlé, et je suppose que cela dépend du groupe en question.
Par exemple, si un adulte interdit quelque chose à un adolescent, c'est suffisant pour le motiver à aller l'essayer. Donc, je pense que ce ne serait peut-être pas une mauvaise idée de faire en sorte qu'ils y aient accès et qu'ils puissent en faire l'expérience de façon responsable.
L'exemple que j'ai donné à mon collègue, c'est que j'ai été élevé dans une famille italienne et que j'ai commencé à boire du vin dès l'âge de huit ans. Ça fait partie de la culture. Cela se faisait cependant dans un contexte très responsable. Je n'ai jamais fait usage d'alcool de façon irresponsable de toute ma vie, et je n'ai jamais senti le besoin de le faire. Lorsque je suis allé à l'université, je n'étais pas comme mes collègues qui s'enivraient dans le dortoir, car je n'avais aucune raison d'abuser d'un produit parce qu'on m'avait interdit d'en faire usage lorsque j'étais plus jeune.
Cela dépend donc du groupe d'âge, mais je pense que pour les jeunes, comme quelqu'un l'a dit--je pense que c'était Mme Fry--on a besoin également d'information.
Donc si les gens sont informés, particulièrement les jeunes, au sujet des substances qu'ils expérimentent et s'ils peuvent apprendre les limites, alors il est possible de promouvoir un usage responsable.
En le rendant accessible, on le démystifie. On peut l'essayer, et découvrir qu'on ne l'aime pas. Par contre, lorsqu'il y a tout un tabou qui entoure une substance, c'est réellement motivant pour un adolescent. On est iconoclaste et on veut faire ce que les parents disent de ne pas faire. Par ailleurs, on introduit tout un autre élément lorsqu'on criminalise un produit, c'est-à-dire le marché noir et tout ce que cela comporte.
Donc, à mon avis cela n'encouragerait pas l'usage. Cela pourrait encourager un usage responsable, et pour certaines personnes cela n'encouragerait pas du tout l'usage, car elles l'auraient essayé et n'auraient pas trouvé cela intéressant.
La présidente: Monsieur White.
M. Randy White: Je trouve ce débat intéressant, troublant et en quelque sorte inquiétant. C'est peut-être que j'ai été élevé tout simplement en Nouvelle-Écosse où on ne parlait jamais de ces choses--du moins certainement pas de drogues--car ce n'était pas un problème lorsque j'étais jeune. Dans ma famille il y avait prohibition. L'alcool et les cigarettes étaient interdits.
Cela me fascine aujourd'hui lorsque je vois que les gens font un lien entre ce qu'on appelle une «accoutumance à la course» et ce dont on parle aujourd'hui. Je ne suis tout simplement pas ce genre de raisonnement.
Je viens d'une...
M. Réal Ménard: Et au sexe.
M. Randy White: Et au sexe.
Je ne sais pas, il y a peut-être quelque chose que je n'ai pas compris. Je dois faire un pas de géant, et voici en quoi il consiste. Je représente une circonscription relativement conservatrice en Colombie-Britannique aujourd'hui. Je viens d'une famille assez conservatrice de la région de l'Atlantique. Je dois faire un pas de géant pour tenter de comprendre tout le concept de la réduction des méfaits.
Vous m'avez convaincu aujourd'hui que le but ultime de la réduction des méfaits est essentiellement la légalisation des drogues. Je vous ai posé la question et vous l'avez confirmé.
J'ai entendu des gens de partout au pays dire que la réduction des méfaits signifiait la légalisation des drogues, des piqueries contrôlées, des échanges de seringues, le traitement d'entretien à la méthadone et à l'héroïne. Même en ce qui concerne les échanges de seringues, à la question: «Combien de seringues distribuez-vous?», une personne a répondu: «J'en distribue une centaine à une personne.»
Pourquoi donner une centaine de seringues à une personne? Parce que cette personne peut alors les redistribuer à d'autres.
Il n'y a aucune norme dans cette idéologie de la réduction des méfaits. Il semble tout simplement que dans une certaine mesure ce soit une solution facile à un problème difficile. Je peux vous assurer que lorsque le rapport sera publié, je ne serai pas du tout d'accord avec la réduction des méfaits, car je ne pense pas que les gens que je représente soient d'accord avec cela.
Je suis très honnête avec vous et je peux vous assurer que je ne suis pas le seul à la Chambre des communes qui soit de cet avis. Je ne suis certainement pas le seul de mon parti ou d'un autre parti à penser de cette façon.
À la lumière de ce que je viens de dire et de ce que vous avez dit, comment vous attendez-vous à ce que les politiciens changent les choses?
La présidente: Je constate que M. Adamec et M. McKim aimeraient répondre.
Nous allons commencer par vous, monsieur Adamec.
M. Robert Adamec: J'aurais quelques observations à faire.
Tout d'abord, je voudrais répondre à ce que vous dites au sujet de la course qui est considérée comme une accoutumance. En fait, il y a un neuromécanisme qui pourrait s'appliquer, car l'une des choses qui arrivent lorsqu'on court, c'est que le stress physique entraîne la libération de composés endogènes opiacés qu'on appelle les endorphines et ils se fixent aux mêmes récepteurs que l'héroïne.
Il y a donc peut-être un lien physique entre les deux, bien que le type d'activation puisse être qualitativement différent. Ce n'est donc pas si exagéré.
M. Randy White: Eh bien, parlez pour vous-même. Je fais de l'exercice tous les jours, j'ai déjà bu pas mal à l'époque, et je ne bois plus. Donc je ne suis absolument pas d'accord lorsqu'on dit qu'il y a un lien entre l'accoutumance à ce genre d'activité et l'accoutumance aux drogues. Je ne suis tout simplement pas d'accord.
M. Robert Adamec: Très bien. Écoutez, je n'appellerais pas ça une accoutumance. C'est le terme qui a été utilisé dans certaines citations car ce n'est certainement pas le genre de compulsion. Je voulais tout simplement dire qu'il y a un lien neurochimique entre les deux activités.
Quoi qu'il en soit, en ce qui a trait à votre autre question, je ne sais pas comment y répondre. Je crois que vous devez décider quels sont vos objectifs. Nous avons entendu Mike nous donner beaucoup d'information au sujet des autres pays qui révèle que les méthodologies de réduction des méfaits permettent en fait de réduire l'usage, et que la criminalisation n'est pas aussi efficace. Si vous voulez être tout à fait pragmatique, c'est le genre d'information que vous devez examiner.
En tant que politiciens, vous prenez des décisions qui sont, je le suppose, dans l'intérêt de la société. Si vous adoptez une approche pragmatique, il y a une méthode et une démarche à suivre suggérées. Si vous venez d'un milieu culturel où la prohibition était en fait en vigueur, alors je comprends que vous avez l'impression qu'il s'agit là d'une méthode efficace.
Le problème, c'est que si on applique cela au niveau de la société, cela ne semble pas très bien fonctionner, et je peux vous donner deux exemples. Mike a laissé entendre que la criminalisation créait davantage de problèmes qu'elle n'en réglait, tout au moins en ce qui a trait à la marijuana.
En ce qui concerne l'autre question, soit l'interdiction dans la famille, je voudrais porter à l'attention mes modèles de cheminement. Les enfants prennent exemple sur ce que font leurs parents. Ils ont un excellent détecteur d'hypocrisie. Il n'est donc pas suffisant pour les parents de dire à leurs enfants de ne pas faire usage des substances X et Y s'ils en font eux-mêmes usage.
Si en tant que politiciens vous voulez adopter le modèle de l'interdiction familiale, vous devez alors convaincre les parents de changer leur comportement, ce qui n'est pas facile à faire. Vous vous retrouvez donc avec un problème très difficile. Vous devez décider ce que vous voulez faire, les résultats que vous voulez obtenir et comment y arriver.
Dans les exposés que j'ai entendus, on propose des modèles, mais comme vous l'avez souligné, ces modèles sont chargés de problèmes du point de vue personnel des gens.
Je ne peux vous donner une réponse. Je suis pragmatique. Je dis que vous devez y arriver comme vous le pouvez, pour le bien de la société qui est plus important.
La présidente: Monsieur McKim.
M. William McKim: Je suis d'accord avec ce que Bob a dit. Il s'agit essentiellement de régler un problème. Vous devez déterminer quel est votre objectif et la meilleure façon de l'atteindre. Si la meilleure façon de l'atteindre semble être en conflit avec vos valeurs ou avec celles des gens qui vous ont élu, c'est un problème que vous devez résoudre. Vous êtes les politiciens, et je ne peux vous venir en aide à cet égard.
Je dirais cependant une chose. Je n'ai pas dit que la réduction des méfaits était la même chose que la légalisation. J'ai dit que nous devrions peut-être envisager de changer le statut légal d'un certain nombre de drogues et que nous devrions le faire en tenant compte des conséquences ultimes que cela aura. Nous ne pouvons pas supposer qu'en rendant les drogues plus accessibles, il y aura davantage de problèmes de toxicomanie. Les choses ne fonctionnent pas nécessairement toujours de cette façon.
Je voudrais faire une autre petite observation concernant votre problème en ce qui a trait au lien entre la course et la toxicomanie. Vous devez reconnaître, je suppose, que le cerveau contrôle essentiellement le comportement. Nous avons encore beaucoup de progrès à faire, mais les progrès accomplis dans le domaine de la neuroscience sont tout à fait stupéfiants, particulièrement en ce qui a trait au lien entre les mécanismes du cerveau et les comportements.
Nous comprenons assez bien ce qui contrôle le comportement--quelles parties du cerveau le contrôlent et le lien entre la neurochimie et le comportement. J'admets que nous avons encore beaucoup de chemin à faire, mais je suis tout à fait époustouflé par les progrès réalisés jusqu'à présent.
Le problème cependant, c'est que cela ne laisse aucune place pour les bonnes vieilles notions de contrôle volontaire.
Nous devons admettre que, dans une large mesure, nous ne contrôlons pas volontairement notre comportement; il est contrôlé par nos systèmes de dopamine mésolimbique, si vous voulez. Ce que nous percevons de notre comportement est peut-être tout simplement une rationalisation. Nous pensons peut-être que nous faisons quelque chose parce que nous sommes des personnes religieuses, parce que nous croyons que c'est là une bonne chose à faire, alors qu'en fait il y a peut-être une explication post hoc à ce que notre cerveau nous dit de faire. Je sais qu'il s'agit là d'une position philosophique assez troublante. C'est parce qu'on tente d'appliquer la science à une étude du comportement et de ce que nous considérons comme le contrôle volontaire.
Quoi qu'il en soit, je devrais souligner également, en passant, que lorsque j'étais jeune mon père était ministre de l'Église unie. J'ai été élevé dans une famille où il n'y avait aucun alcool. Je sais précisément de quoi vous voulez parler, pour ce qui est de changer le comportement des gens, et de la force des croyances liées à ces comportements, et je sais qu'il est très difficile de convaincre les gens qu'il est peut-être préférable pour les individus ou même pour la société de libéraliser ou de dépénaliser les drogues ou de les rendre plus accessibles. Ce n'est pas une idée facile à faire accepter.
La présidente: Merci.
M. Robert Adamec: Je tiens à assurer M. White que je ne parlais pas de la légalisation de toutes les drogues non plus. Je songe certainement à la légalisation de certaines drogues, mais je suis d'accord avec Bill lorsqu'il dit que c'est quelque chose qu'il faudrait changer de façon rationnelle--même si je serais sans doute d'accord pour dire que la légalisation de la marijuana ne serait pas quelque chose de déraisonnable.
D'un autre côté, la légalisation de l'usage de l'héroïne n'est sans doute pas une bonne idée. Cependant, une stratégie pour éviter certains méfaits serait sans doute très utile, car là où on a adopté une telle stratégie dans d'autres pays, elle s'est avérée très efficace.
Donc je pense qu'il est trop simple de répondre: «Pour éviter les méfaits, il faut légaliser toutes les drogues». Je pense que la légalisation doit se faire au cas par cas.
M. Randy White: C'est votre réponse, pas la mienne.
M. Robert Adamec: Eh bien, je songeais à la marijuana lorsque j'ai dit cela, et je voulais tout simplement préciser que je ne voulais pas parler de toutes les drogues. Je serais certainement contre la légalisation de l'usage de l'héroïne, par exemple, à des fins récréatives.
La présidente: Permettez-moi de poser une question à ce sujet.
M. McKim a souligné que la codéine, l'héroïne et la morphine avaient la même substance de base et pourtant, ces produits sont traités très différemment. On obtient donc différents résultats, différents modèles d'abus. Certaines personnes ne pourraient-elles pas faire valoir que le contrôle des substances, comme on le fait pour la morphine et la codéine--faire en sorte que tous les produits soient accessibles dans une certaine mesure, tout en les contrôlant par rapport à leur facteur de danger ou à certains autres facteurs--serait une meilleure façon de réglementer le système par rapport au système actuel où un produit est licite ou illicite?
M. Robert Adamec: Non, non, je suis d'accord. Comme je l'ai dit, la légalisation pour l'usage récréatif. Par exemple, on peut avoir accès à de la morphine, mais ce n'est pas possible sans ordonnance d'un médecin, et on doit avoir une bonne raison médicale pour avoir une ordonnance. Donc, oui, il y a réglementation, et il s'agit d'un usage ciblé.
La présidente: Monsieur Patriquen, dans votre exposé, je pense que vous avez dit que vous ne recommanderiez pas que la marijuana soit accessible aux enfants, mais qu'elle le soit aux adultes. Vous avez donné l'exemple de la Hollande où les enfants n'y ont pas accès.
M. Mike Patriquen: Oui, c'est exact.
La présidente: Il y aurait donc une certaine réglementation, même dans le cadre d'une légalisation.
M. Mike Patriquen: Oui, de la même façon qu'il n'existe pas de sanctions criminelles pour la bière, mais la vente est réglementée à l'échelle provinciale et aussi,dans une certaine mesure, à l'échelle fédérale, en ce sens qu'on permet l'accès sans que des sanctions criminelles ou des pénalités soient prévues dans la loi.
La présidente: Et la situation a évolué, bien entendu. Dans notre province, du moins, il fallait avoir une carte pour acheter des boissons alcoolisées dans les années 60, et les époux pouvaient demander que la carte du conjoint lui soit retirée. Il y avait un mécanisme de reddition de comptes. Et au moment d'acheter les bouteilles, on n'avait même pas le droit d'y toucher; on écrivait ce que l'on voulait sur un bout de papier que l'on tendait à un préposé. On se disait sans doute, à l'époque, que le fait de voir les bouteilles serait trop tentant.
Les choses ont donc changé pour le meilleur ou pour le pire, selon votre point de vue.
Monsieur Ménard.
[Français]
M. Réal Ménard: Merci, madame la présidente.
Évidemment, ce n'est pas facile de départager toute cette information, mais c'est certainement un des panels les plus intéressants qu'on ait eus.
J'aurais deux ou trois petites questions à vous poser. Il y a, je crois, deux ou trois ans, on a adopté un projet de loi qui a créé 13 instituts de recherche en santé, et au nombre des instituts qui ont été créés, il y en a un en toxicologie. Ce n'est pas un institut spécialisé en matière de drogues, mais je serais curieux de savoir jusqu'à quel point vous êtes en contact avec les groupes de chercheurs qui étudient ces questions. Évidemment, il est trop tard pour «redesigner» les différents instituts de recherche, mais je serais curieux de savoir jusqu'à quel point tous ces chercheurs se parlent.
Je comprends bien que fondamentalement, le message que vous nous avez livré aujourd'hui est qu'il faut qu'il y ait une meilleure équation entre la connaissance qu'on a des drogues et leur statut légal. Mais personne parmi vous a dit qu'il n'y avait pas de distinction à faire entre la marijuana et l'héroïne. On comprend que qualitativement, il y a toujours une distinction à faire. Est-ce qu'on a le meilleur encadrement législatif par rapport à cette réalité? Probablement pas, mais on doit faire la distinction, comme législateurs. Si un jour on s'avançait sur le terrain de la décriminalisation, vous n'accepteriez pas que l'on traite indistinctement la marijuana, l'héroïne et la cocaïne.
Est-ce que je me fais un fidèle porte-parole de vos propos quand j'affirme une chose comme celle-là?
[Traduction]
La présidente: Monsieur Adamec.
M. Robert Adamec: D'abord, comme j'essayais de le préciser plus tôt, je ne mettrais pas sur un pied d'égalité l'héroïne, la marijuana et d'autres drogues. Il faut, je crois, les distinguer en fonction des méfaits qu'elles peuvent causer.
En revanche, ces drogues peuvent être utilisées dans certains contextes. C'est une tout autre question. L'usage de l'héroïne pour soulager la douleur chez les patients mourant du cancer, par exemple; dans un cas comme celui-là, on voit que les attitudes de la société vis-à-vis d'une drogue considérée comme entraînant une forte dépendance et comme une substance très dangereuse, ont restreint son utilisation dans un contexte thérapeutique.
Il faut prendre des décisions au cas par cas. Ainsi, les politiques publiques, les lois doivent être élaborées au cas par cas. Je n'énoncerais pas des principes généraux à propos de toutes les drogues.
[Français]
M. Réal Ménard: Je reformule ma question de manière très, très précise. Si demain matin, au terme de nos travaux... Est-ce que c'est exact de dire, en l'état actuel des connaissances, que la légalisation de la marijuana n'aurait pas de conséquences négatives sur le plan de la santé et de l'intégrité physique? Est-ce que, par exemple, sur le plan de nos connaissances, au-delà de toute connaissance scientifique, de toutes les études qui ont été faites, de l'ensemble de ce dont on dispose comme information, cela nous permettrait, comme législateurs, de déposer un projet de loi à la Chambre des communes demain matin et de décriminaliser la marijuana, sans devoir craindre des conséquences négatives, physiologiques pour nos concitoyens?
Les valeurs morales, je pense que je les occulte complètement, parce que cela dépend du milieu d'où on vient, cela dépend de plein de données qui sont subjectives. Mais sur le plan des connaissances scientifiques, est-ce qu'on pourrait avoir un projet de loi déposé par un ministre de la Couronne qui permettrait de légaliser la consommation de la marijuana, sans qu'on ait à craindre les conséquences physiques, physiologiques et négatives pour nos concitoyens? Allons-y étape par étape. Parlons de la marijuana.
[Traduction]
La présidente: Monsieur Patriquen et monsieur Adamec.
M. Mike Patriquen: D'abord, vous employez indifféremment les termes «décriminalisation» et «légalisation». Or, ces termes ne sont même pas proches parents.
M. Réal Ménard: Je le sais.
M. Mike Patriquen: Vous parlez donc de «légalisation», c'est-à-dire de mettre fin à l'interdiction. Oui, je crois que l'on pourrait très bien affirmer que, hormis les effets nocifs de l'inhalation de la fumée du cannabis... parce qu'il y a très certainement un effet négatif sur la santé lorsqu'on abuse de cette pratique. Les usagers pourraient peut-être envisager une autre méthode d'ingestion pour réduire les méfaits. Mais en effet, je crois qu'il vous serait possible de recommander au Premier ministre et aux membres de votre parti, ainsi qu'aux autres députés de la Chambre, que les Canadiens sont prêts à lever l'interdiction qui pèse contre le cannabis. Je suis 100 p. 100 d'accord.
[Français]
M. Réal Ménard: Un de vos collègues, le Dr Evans, dont on dit qu'il est un des spécialistes de la psychologie de la douleur et de la dépendance, est venu nous rencontrer à Toronto, si je me rappelle bien. Il disait qu'il ne souhaiterait pas vivre dans une société où le pilote de l'avion dans lequel il s'apprête à monter aurait consommé de la marijuana avant le décollage.
Vous nous dites--et il serait peut-être intéressant d'avoir aussi le point de vue de vos collègues--que sur le plan des facultés des individus, de leur intégrité physique, de leur capacité de prendre des décisions dans différentes sphères de la société, si demain matin on vivait dans une société où il n'y a plus aucun obstacle à la consommation, il n'y aurait pas de conséquences sur le plan de la consommation et la prise de décisions utiles à la société.
[Traduction]
M. Mike Patriquen: Je crois que je n'aurais pas envie de monter en avion demain matin si je savais que le pilote venait de boire deux bouteilles de whisky, bien que les pilotes de ligne n'agissent pas généralement de la sorte.
Une voix: [Note de la rédaction: Inaudible]
M. Mike Patriquen: Tout le monde sait que le cannabis peut avoir de tels effets, et je ne crois pas que les personnes responsables--ou qui que ce soit, en fait--oseraient consommer une substance comme celle-là dans une situation risquée. Il faudrait bien sûr que cela s'accompagne de sensibilisation pour ceux qui auraient raté les 20 dernières années.
[Français]
M. Réal Ménard: Oui, mais si on prétend qu'il n'y a pas de conséquences négatives, si on prétend qu'il n'y a aucune incidence... Si un député prend un verre de vin avant d'aller voter à la Chambre des communes, on ne pense pas que sa capacité de prendre de bonnes décisions est réduite. N'est-ce pas, madame la présidente? Peut-être le faites vous à l'occasion. Parfois, je le fais.
La présidente: Parfois, les députés boivent beaucoup.
M. Réal Ménard: Est-ce qu'on peut faire la même équation entre prendre de la marijuana et prendre un verre de vin, avant de s'engager dans un processus décisionnel? On essaie de voir jusqu'où on peut aller, comme législateurs. Depuis tout à l'heure, chacun d'entre vous nous invite à donner un nouveau statut aux drogues, selon leurs conséquences. Vous dites que le cadre législatif n'est pas approprié. On fait une différence entre la marijuana et l'héroïne sur le plan de l'incidence qu'elles ont sur les individus. Ce que j'essaie de comprendre, c'est ceci: strictement sur le plan de la marijuana, est-ce que l'état des connaissances est à ce point concluant et avancé pour que nous puissions dire qu'il ne devrait y avoir aucun obstacle à la consommation?
Vous dites qu'un individu raisonnable, dans l'exercice de ses fonctions, ne devrait pas... Donc, la marijuana a des incidences.
[Traduction]
La présidente: Dans l'ordre, M. Patriquen, M. Adamec et M. McKim.
M. Mike Patriquen: Oui, comme je l'ai dit, il faudra se pencher sur certains aspects de la réglementation et sur la sensibilisation. Il faudra informer le public des conséquences possibles de l'utilisation de ce produit, comme c'est le cas pour les aliments naturels, sur lesquels on peut souvent lire un avis renseignant le consommateur sur les effets secondaires possibles dont le consommateur devrait être conscient.
Mais aucun de ces effets possibles n'est dangereux en soi. C'est là-dessus que nous devons porter notre attention. Cette substance est-elle à ce point dangereuse que son utilisation et sa vente devraient constituer des infractions criminelles? Est-ce qu'il faut empêcher le public de s'en approcher? Je répondrais non, mais il faut renseigner le public à propos de certaines choses, bien que cela ne soit que mineur, d'après moi.
La présidente: Monsieur Adamec.
M. Robert Adamec: Si vous l'exprimez en des termes si catégoriques, je suis obligé de dire non, cela ne devrait pas être interdit. Mais c'est exactement comme l'alcool et, si je vous ai bien suivi, d'après votre raisonnement, il nous faudrait criminaliser la consommation d'alcool, ce que notre société n'a pas fait. Nous connaissons les conséquences de l'alcool dans l'exercice de nombreuses activités; dans le cas du pilote de ligne, par exemple, il y a des lois régissant la consommation raisonnable de ce produit avant d'exercer une responsabilité publique.
Nous en savons assez sur la marijuana pour conclure que des doses importantes peuvent affaiblir la faculté de jugement et modifier la perception du temps et des distances. Je n'aimerais pas que le pilote de l'avion qui m'amène d'Ottawa à St. John's soit intoxiqué à la marijuana. Je n'aimerais pas cela du tout. Mais je n'aimerais pas non plus qu'il ait pris plusieurs verres, ou même un seul, avant le décollage.
En d'autres mots, nous permettons toujours la consommation responsable de certaines substances, tout particulièrement les euphorisants, même si nous savons qu'elles peuvent affaiblir nos facultés. Il nous faut des règlements régissant leur utilisation en fonction des limites de nos connaissances sur leurs effets. Franchement, les données scientifiques semblent établir que la marijuana est moins nocive que l'alcool, sauf pour les conséquences de l'inhalation de la fumée.
La présidente: Monsieur McKim.
M. William McKim: En réponse à cette question hypothétique fort intéressante, si nous faisions ce que vous proposez et légalisions tout à fait la marijuana dès demain matin, je crois qu'il est tout à fait possible que cela entraînerait des effets négatifs pour certains individus. Le mieux que nous puissions faire, c'est d'étudier les statistiques. En fait, c'est là-dessus que nous nous sommes penchés ici, les statistiques.
Pour certaines personnes, cela pourrait s'avérer un désastre. Mais du point de vue statistique, la société s'en porterait-elle mieux? Il s'agit d'un choix, je crois. Si nous allions de l'avant, je ne crois pas que nous ouvririons les yeux demain matin sur le meilleur des mondes. Il y a des conséquences négatives et des conséquences positives. C'est un choix que l'on fait.
Et je crois que votre comité se doit d'écouter les arguments pour et contre et de décider si les avantages dépassent les inconvénients. Et il y aura des inconvénients, je vous l'accorde.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Ménard.
Madame Davies.
Mme Libby Davies: Merci beaucoup, Paddy.
Les discussions ce matin ont été fort utiles et enrichissantes.
Je désire revenir au commentaire que vous avez fait sur les facteurs qui poussent quelqu'un à devenir toxicomane; vous avez dit qu'à l'occasion des facteurs sociaux ou environnementaux même peuvent entrer en jeu. Je désire également faire la distinction entre ceux qui font un usage récréatif des drogues et ceux qui en consomment pour d'autres raisons, par exemple pour composer avec un traumatisme ou avec la douleur. La collectivité que je représente est très différente de celle que représente Randy. La majorité des usagers de drogues de ma collectivité sont des gens qui ont été désinstitutionnalisés, qui sont pauvres, ou souvent des gens qui ont connu beaucoup de traumatismes.
Vous avez dit que nous recherchons tous un certain bien-être; si vous avez une vie équilibrée, votre bien-être provient peut-être de vos relations sexuelles, de votre nourriture, de votre travail ou d'autre chose; alors tout va bien si vous avez cet équilibre. Si ce n'est pas le cas, si ces facteurs n'existent pas dans votre vie, je crois que ce désir de soulagement devient de plus en plus important.
À mon avis, les dispositions sur l'application de la loi sont en fait hypocrites. Je ne sais pas si je saisis bien, mais je crois que nous nous attaquons en fait à la partie du problème qui est visible; nous nous attaquons donc aux personnes pauvres, qui sont les victimes les plus visibles.
Quant à l'usage récréatif des drogues, le courtier en valeurs mobilières qui gère bien son usage des drogues et qui a un approvisionnement sûr, risque probablement moins d'être arrêté que quelqu'un qui vit dans la rue, au coin de Main et Hastings, car à intervalles réguliers la police descend dans le quartier et arrête tous les usagers sans s'inquiéter de leur sort. À mon avis, un autre facteur entre alors en jeu, soit l'appartenance à un groupe social ou socio-économique et je crois que nous nous leurrons en n'y voyant qu'un problème «moral» ou lorsque nous pensons que nous avons adopté ces lois pour des raisons de moralité. Il existe un problème d'application de la loi car elle cible des groupes particuliers au sein de nos collectivités.
Qu'en pensez-vous? Je crois que si on reconnaissait ces faits on pourrait justement vraiment commencer à réduire les méfaits. Des milliers de personnes meurent à la suite de surdoses. Nous pourrions mettre fin à cette situation dès demain en créant des piqueries contrôlées, pourtant nous ne le faisons pas.
La présidente: Monsieur McKim.
M. William McKim: Je me contenterai de faire un commentaire qui est en fait une illustration de la situation que vous venez de décrire. Si vous étudiez l'histoire du statut légal des opiacés, vous noterez que l'opium était beaucoup utilisé en Angleterre. Sherlock Holmes était un personnage imaginaire, mais il représentait bien les membres de la classe supérieure de l'époque. Il se piquait à la cocaïne et prenait de la morphine. Les membres de la classe supérieure consommaient des opiacés. Nombre d'auteurs et d'écrivains du XIXe siècle prenaient du laudanum.
La lecture d'études historiques approfondies révèle que le gouvernement britannique a imposé des sanctions ou a essayé de contrôler l'usage de l'opium et de la morphine simplement parce qu'on croyait que les personnes pauvres commençaient à utiliser ces produits. Le fait que la classe supérieure se piquait ou buvait du laudanum était jugé parfaitement acceptable. On craignait cependant que les femmes de la classe ouvrière ne donnent des drogues à leurs bébés pour pouvoir aller travailler dans les usines. C'est pour empêcher ce genre d'activités qu'on a adopté les premières lois contre l'usage de l'opium et de la morphine.
Vous avez raison, c'est une question de classe sociale. Très souvent l'adoption de lois sur le contrôle des drogues découle de notre perception des activités d'autres membres de la société. Je voulais simplement par cet exemple appuyer votre interprétation.
La présidente: Merci.
Monsieur Adamec.
M. Robert Adamec: Vous avez soulevé une question fort importante, mais je ne peux malheureusement pas y répondre. Il y a certainement d'autres raisons pour lesquelles on consomme des drogues ou de l'alcool, comme des facteurs socio-économiques. Si vous marginalisez un groupe de gens qui finissent par se retrouver en prison simplement du fait de cette marginalisation, vous ne faites qu'ajouter à leur désespoir. C'est un problème.
Vous avez parlé des traumatismes. Je m'intéresse beaucoup au syndrome de stress post-traumatique; l'appartenance au secteur socio-économiquement faible rend certainement les gens plus vulnérables aux traumatismes.
C'est un grave problème psychiatrique qui existe depuis longtemps. En fait, d'aucuns sont d'avis qu'il s'agit du trouble mental le plus commun en Amérique du Nord. Il en résulte à l'occasion une accoutumance comorbide car d'aucuns croient que certains se tournent vers les drogues à des fins d'auto-médication. Nous n'avons pas vraiment de méthodes de traitement efficaces dans ces circonstances.
Il s'agit d'un domaine qui fait actuellement l'objet de recherches. Ça c'est une autre paire de manches; il s'agit sûrement là d'une question qui a un impact sur la capacité du système de soins de santé à traiter de ce genre de problème, un problème connexe, soit l'usage et l'abus des drogues et de l'alcool.
Vous avez identifié ce qui, à mon avis, est un grave problème, un problème qu'on ne pourra régler facilement. Ceux qui ont ce genre de troubles et qui ont recours à ces produits pour cette raison ne devraient pas être en prison. Ils devraient plutôt recevoir les soins d'un psychiatre compétent.
La présidente: Merci.
J'aimerais poser quelques questions.
J'aimerais apporter une précision, monsieur Adamec, en ce qui a trait aux IRSC; je crois que c'est l'institut de la santé mentale et non pas le service de toxicologie qui se penche sur ce dossier.
M. Robert Adamec: Je dois avouer que je ne suis pas vraiment en contact avec les toxicologues, parce que leur domaine a très peu à voir avec les questions que nous étudions.
La présidente: Avez-vous des contacts avec l'institut de la santé mentale?
M. Robert Adamec: Oui, je reçois en fait un financement de cet institut.
La présidente: Vous préféreriez cependant qu'il existe un nouvel institut distinct, pour lequel on débloquerait de nouveaux fonds, et qui serait responsable de...
M. Robert Adamec: Et je dois insister sur «nouveaux fonds». C'est vrai, je voudrais qu'on crée un nouvel institut qui accorderait la priorité à cette question; permettez-moi de vous dire pourquoi. Il est arrivé quelque chose de bien particulier lorsque nous avons procédé à cette étude de cheminement que j'ai déjà décrite. Nous avons présenté une demande à l'Alliance canadienne pour la recherche en santé, pour un projet qu'appuyait la province, ainsi que tous...
La présidente: Vous n'entendez pas par là l'Alliance canadienne...
M. Robert Adamec: Non, pas le parti politique.
La présidente: Merci.
M. Robert Adamec: Il s'agit des ACRS, les Alliances communautaires pour la recherche en santé, une initiative des IRSC. Cette initiative permet aux chercheurs dans le domaine de la santé de se réunir pour discuter de questions d'intérêt commun.
Cette initiative ne disposait pas d'un budget important. Il s'agissait d'une initiative unique. Toute la province de Terre-Neuve, y compris la GRC, appuyait notre proposition visant à lancer des interventions; en fait on prévoyait exporter ces modèles dans les autres provinces. Nous n'avons pas pu obtenir de financement. La lettre de préavis a reçu une bonne note, mais les évaluateurs ont jugé que la proposition n'était pas fondée sur une recherche suffisante.
Si un institut avait pour mission d'étudier la question, elle recevrait automatiquement la priorité; on pourrait établir des lignes directrices bien claires quant aux types de travaux de recherche que cet institut pourrait financer; on pourrait ainsi mieux orienter les travaux.
Je crois que si vous reteniez ce qui a été dit ici, on pourrait s'en servir comme élément du mandat de ce nouvel institut si l'on veut vraiment qu'il joue un rôle dans l'élaboration et dans l'évolution des politiques dans ce secteur.
Cet institut pourrait également servir à élaborer des initiatives sensées fondées sur la recherche et visant à traiter les problèmes que représentent l'abus et l'usage de l'alcool et des drogues. Malheureusement, cela ne représente qu'une priorité parmi tant d'autres pour l'institut actuel. En fait, cet institut s'occupe des neurosciences et de la santé mentale. Il s'agit là quand même de responsabilités énormes. C'est pourquoi j'ai proposé la création d'un institut distinct auquel seraient affectées des ressources financières distinctes reflétant cette priorité, si c'est en fait ce que désire la Chambre des communes. Si l'on juge qu'il s'agit là d'une priorité, qu'on le démontre.
La présidente: Très bien. Vous indiquez clairement dans votre document que vous avez déjà effectué de la recherche sur la marijuana, le haschisch, l'alcool et les solvants.
M. Robert Adamec: Et également sur la consommation de médicaments délivrés sur ordonnance par des personnes qui n'ont pas eu d'ordonnance. Nous avons étudié par exemple le tabagisme et l'usage de la caféine.
La présidente: La caféine, pensons à la Chambre des communes!
Mais pas l'héroïne?
M. Robert Adamec: C'est exact.
La présidente: Est-ce parce que c'est plus rare?
M. Robert Adamec: Non, en fait, certains étudiants nous ont demandé pourquoi nous n'avions pas procédé à cette étude. Nous ne l'avons pas fait tout simplement. Il se consomme de l'héroïne, mais nous ne savons pas à quelle échelle.
La présidente: Ces études visent à déterminer qui sera plus porté à utiliser ces produits ou encore les facteurs qui entrent en ligne de compte.
M. Robert Adamec: C'est cela.
La présidente: Ces études n'identifient pas qui consomme quel produit. En d'autres termes, je ne peux pas déduire à la lecture de ces travaux combien d'adolescents à Terre-Neuve consomment du haschisch ou de la marijuana.
M. Robert Adamec: En fait, dans le rapport de la première étape de notre étude, nous avons présenté une analyse statistique—pas simplement une analyse de parcours, mais des chiffres—qui donne ces statistiques selon la région, le sexe et l'âge.
La présidente: Très bien. Cela nous intéressera sans aucun doute.
M. Robert Adamec: J'ai le rapport ici avec moi.
La présidente: Un des problèmes qui a été identifié, c'est qu'il n'existe pas de chiffres vraiment fiables sur les usagers et sur les produits. D'aucuns disent... par exemple, je crois qu'en Colombie-Britannique, il y a quelqu'un qui a dit: «Écoutez, cessez de financer les analyses visant à établir le nombre de toxicomanes; vous devriez plutôt financer les centres de traitement pour toxicomanie parce qu'à nos yeux c'est une priorité». Les besoins sont très importants et il y a beaucoup de demandes pour des montants fort limités. Si vous avez des données dans ce dossier, j'espère que vous nous les fournirez parce que cela nous serait fort utile.
Monsieur McKim, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. William McKim: Oui. J'aimerais signaler que lorsque nous avons procédé à cette étude, nous l'avons fait de concert avec l'étude qui était effectuée par Mme Christiane Poulin ici à Halifax.
La présidente: Nous la rencontrons demain, mercredi.
M. William McKim: C'est une bonne chose, parce que nous avons étudié les étudiants de 8e et de 11e années et elle a étudié les étudiants de 7e, 9e, 10e et 12e années. Il s'agissait en fait de deux voies parallèles de la même étude. Elle s'occupait plutôt d'établir les chiffres. Le même format a été utilisé à plusieurs reprises et il est donc possible de déceler des tendances. Si vous voulez connaître l'ampleur du problème, et j'entends par là les chiffres, son étude sera probablement plus utile que la nôtre. Nous nous intéressions plutôt aux causes du problème, et elle étudiait plutôt son ampleur.
La présidente: J'aimerais vous poser une autre question. S'il existait un autre régime au Canada et que les choses étaient contrôlées d'une autre façon—en fait c'est vraiment ce dont il s'agit. D'après vos études, les prix changeraient certainement, et d'après ce qu'on nous a dit sur le nombre de contrôles pour possession de drogues, la restriction de l'accès à l'héroïne et à la cocaïne ferait certainement grimper les prix—c'est ce que révèlent aussi les données sur l'offre et la demande. Si nous avions un système différent, si nous renseignions vraiment les Canadiens sur les risques et les défis entourant cette question, et si les gens comprenaient mieux les risques personnels que l'usage des drogues...
Monsieur McKim, vous avez donné l'exemple de l'alcoolique qui doit contrebalancer le désir de boire et les risques et les torts que cela présente pour sa famille. Cette équation changera peut-être pendant la vie de cet alcoolique. Un jeune dira peut-être: «ce n'est peut-être pas la bonne chose pour moi maintenant»; cette attitude changera peut-être dans d'autres circonstances.
Un type qui participait au programme de maintien à la dopamine à Montréal nous a dit qu'il ne pouvait pas se dire qu'il ne prendrait plus jamais d'héroïne. Il devait se dire: «Si sept conditions sont respectées, je me permettrai à nouveau d'en prendre». Comme les conditions étaient plutôt strictes, il ne pensait pas arriver à toutes les respecter avant un bon moment. Notre société ne gagnerait-elle pas si la population en connaissait plus long sur les risques, les avantages, les comportements appropriés pour certains groupes, en fonction de l'âge, du métier ou d'autre chose? Les choix ne seraient-ils pas alors mieux éclairés? Serait-ce possible ou croyez-vous que les récepteurs domineraient ce choix?
M. William McKim: J'aimerais d'abord signaler que l'usage des drogues n'est pas un phénomène rationnel. Je crois que vous pouvez comprendre cela. Pourquoi un alcoolique continuerait-il à boire alors qu'il sait l'impact que cette consommation a sur lui, sur sa famille et sur sa santé? Pourquoi les gens continuent-ils à fumer? Il y a même un meilleur exemple. Nous connaissons tous des gens qui fument et si vous leur demandez s'ils ont peur du cancer du poumon, ils disent qu'ils augmentent leurs risques, mais qu'ils n'arrêteront pas de fumer pour autant. Il ne faut pas oublier qu'il ne s'agit pas d'un comportement vraiment rationnel.
La présidente: Les comportements associés à l'usage des drogues peuvent cependant être rationnels.
M. William McKim: Oui, mais même dans ces circonstances, si vous étudiez les résultats de l'étude, vous constaterez que l'influence des camarades est déterminante. Si tous vos camarades prennent de la drogue, peu importe si vous êtes très rationnel, ce facteur vous influencera, si vous êtes le seul à ne pas en prendre. Nous connaissons tous l'importance des camarades quand vient le temps pour les adolescents de prendre des décisions, dans ce cas tout particulièrement.
Des études très intéressantes ont été faites sur cet aspect particulier du problème, soit sur la façon dont les individus évaluent la valeur d'une activité donnée. Il s'agit encore une fois d'une étude de type économique. Quand vient le temps de décider si l'on doit faire une chose ou pas, la majorité des gens ne pensent qu'à court terme. Ils pensent aux avantages et aux inconvénients et mettent ces deux facteurs dans la balance. Très souvent, ils ne pensent qu'à court terme. Alors, si vous vous demandez si vous allez prendre un verre ce soir, le plaisir que vous tirerez de la consommation d'alcool influencera beaucoup plus votre choix que la gueule de bois que vous aurez le lendemain parce que justement vous ne pensez qu'à très court terme.
Il faut essayer de convaincre les gens de penser à plus long terme. Lorsque vous décidez d'allumer une cigarette, il faut comparer le plaisir de courte durée et le risque de vous retrouver avec le cancer dans 20 ans. Vous devez pouvoir communiquer avec les gens pour les convaincre de penser à plus long terme. C'est peut-être parfaitement rationnel, mais les gens ne tiennent pas nécessairement compte de ces aspects rationnels.
La présidente: Est-il possible de développer cela?
M. William McKim: Vous savez, les gens font toute une histoire, et quelquefois à la blague, de toutes ces images de dents avariées, de poumons cancéreux et autres qu'on met sur les paquets de cigarettes. C'est un des moyens d'y parvenir. Techniquement, c'est un moyen. On a raconté l'histoire d'un type qui voulait arrêter de fumer. Pour se dissuader de fumer, il mettait une photo de sa petite fille à l'intérieur de l'emballage de cellophane de son paquet de cigarettes pour que cela lui rappelle les conséquences du tabac à chaque fois qu'il sortait son paquet de cigarettes. Dans son cas, cela a marché.
C'est le genre de chose qu'on peut faire, mais ce n'est pas facile. Je crois aussi qu'il faut s'orienter vers la recherche. Comment peut-on convaincre les gens d'avoir une comptabilité, une routine à long terme pour pouvoir prendre une décision rationnelle? Dans bien des cas, les décisions, surtout lorsqu'il s'agit de drogues, n'ont rien de rationnel.
La présidente: Bon.
Dr Adamec.
M. Robert Adamec: Je ne suis pas contre ce que dit Bill. J'ai même eu une expérience personnelle de ce problème puisque j'ai fumé pendant 20 ans avant d'arrêter. Je participais à un camp de karaté et j'ai décidé de devenir ceinture noire. Je savais que je ne pouvais pas le faire si je continuais à fumer et j'ai donc arrêté. J'avais une bonne raison de le faire, mais je me réjouis de l'avoir fait, évidemment.
Ce que je voulais dire, c'est que si on doit se servir... Il a parlé de mettre des photos de poumons, de dents pourries, etc., sur les paquets de cigarettes. Il y a une vieille étude de psychologie industrielle qui montre qu'il faut être prudent. Si c'est cette voie qu'on choisit, il va falloir tester chaque tentative sur le marché parce que la dramatisation excessive des conséquences incite souvent les gens à nier purement et simplement la réalité. En fait, au lieu de freiner leur comportement, elle risque même de l'encourager. Il faut donc être très prudent.
J'ai vu une publicité assez intéressante et je me demande ce qu'elle est devenue. Je ne sais pas si elle venait du gouvernement. C'était une publicité antitabac destinée aux adolescents, où l'on voyait une jeune fille dans une salle de bain avec un ami. Ils étaient tout excités et ils allumaient une cigarette, et il y avait une annonce qui disait simplement: «Avec le tabac, votre vie va partir en fumée». On avait son âge sous les yeux.
Je m'en souviens bien, et j'ai trouvé que c'était une publicité très efficace, mais je me demande quel impact elle a vraiment eu sur les adolescents.
En dernier lieu, je voudrais dire que si l'on souhaite modifier le comportement, il faut envisager deux grandes catégories de population. Les jeunes sont une de ces catégories extrêmement importantes. C'est là qu'il faut agir, parce que ce sont eux qui vont faire des expériences et choisir de fumer ou de ne pas fumer. S'ils commencent très tôt, les dégâts sont énormes. Il faudrait se concentrer sur ce groupe.
Il faut aussi s'occuper des adultes, surtout les parents. Encore une fois, notre modèle montre--comme de nombreuses études psychologiques--que jusqu'à l'âge de 16 ou 17 ans, les enfants calquent beaucoup leur comportement sur celui de leurs parents. Si, en tant que parents, vous dites à vos enfants de faire ce que vous dites mais de ne pas faire ce que vous faites, la bonne vieille accusation d'hypocrisie va ressortir et vos enfants ne vont pas beaucoup vous suivre. Donc, l'éducation des parents est aussi très importante.
Si l'on affirme que ces facteurs sont importants... Il y a des campagnes de sensibilisation où l'on dit aux parents de parler des drogues à leurs enfants. Je pense qu'il faudrait aussi les sensibiliser à la notion de modèle, parce que les enfants imitent ce que les parents font. Nous constatons que non seulement ils imitent le comportement de leurs parents, mais qu'ils peuvent même choisir leurs amis en fonction de ce que font leurs parents.
La présidente: Parlant d'annonces, l'une des églises des États-Unis diffuse une annonce dans laquelle on voit des parents crier après leurs enfants et ensuite les enfants crier après leurs poupées. Il faut prendre le temps d'examiner notre propre comportement; nos enfants reproduisent ce que nous faisons.
M. Robert Adamec: C'est exact. C'est clairement prouvé dans les cas de violence familiale. Ceux qui commettent ces actes de violence viennent eux-mêmes de foyers où ils ont soit été témoins de tels actes, soit victimes eux-mêmes de telles violences.
La présidente: Plusieurs de mes collègues ont dit que votre groupe avait été l'un des plus intéressants que nous ayons entendus. Il est tout à fait possible que nous ayons d'autres questions à vous poser.
Monsieur Lee.
M. Derek Lee: J'aimerais profiter de l'occasion pour vous poser une petite question, si vous me le permettez. Il s'agit du rapport de l'Association médicale canadienne qui a été présenté au comité sénatorial qui examinait le même sujet.
Dans le résumé, ils prenaient soin de préciser que le cannabis crée une dépendance et que la dépendance est une maladie.
Puis-je demander à M. Patriquen de répondre à la première partie...? J'aimerais que les réponses soient brèves, car nous manquons de temps.
M. Mike Patriquen: Je ne crois pas... peut-être il y a 150 ans, mais à quand cela remonte-t-il?
La présidente: Le rapport date de l'an dernier.
M. Derek Lee: Il date du 11 mars 2002.
Je sais bien que l'Association médicale canadienne est également soumise à toutes sortes de pressions politiques en coulisses. Cette association regroupe des médecins de petites villes et de grandes villes, et de tout ce qui peut se trouver entre les deux.
Pourriez-vous répondre brièvement à l'une ou l'autre de ces deux déclarations--premièrement, que le cannabis crée une dépendance et, deuxièmement, que la dépendance est une maladie. J'aimerais particulièrement connaître l'opinion des deux psychologues.
La présidente: Monsieur Patriquen, je pense que vous n'êtes pas d'accord.
M. Mike Patriquen: Oui. Le cannabis ne crée pas de dépendance. Je laisserai les psychologues répondre à l'autre question.
La présidente: D'accord.
Monsieur Adamec et monsieur McKim.
M. Robert Adamec: D'après ce que je sais, il n'existe aucune preuve que le cannabis crée une dépendance. Pour ce qui est de savoir si la dépendance est une maladie, eh bien cela dépend comment on définit la maladie. La dépendance est probablement due à un fonctionnement anormal du cerveau et, sous cet angle, on pourrait parler de maladie.
Mais je m'en remets à Mme Fry, qui est médecin. Qu'est-ce que les médecins définissent comme...?
La présidente: Nous lui demanderons son avis plus tard. Ce que nous voulons, c'est votre avis à vous.
M. Robert Adamec: Si on estime que la maladie, c'est un fonctionnement physiologique perturbé ou anormal, alors je répondrai que oui.
La présidente: Monsieur McKim.
M. William McKim: En bref, la dépendance est bien ce qu'elle est, et que ce soit une maladie ou non, cela dépend de votre définition de la maladie. C'est également ce que disait M. Adamec. Si on définit la dépendance comme étant due à une hypersensibilité du système de production de dopamine mésolimbique qui oblige les gens à se comporter d'une certaine façon, c'est bien cela. Si vous dites qu'une anomalie du système de production de dopamine mésolimbique constitue une maladie, alors c'est une maladie. Sinon, ce n'en est pas une.
Il est intéressant de noter qu'un certain Leshner, qui dirigeait auparavant le NIDA aux États-Unis, a fait beaucoup de battage sur cette question de la dépendance en tant que maladie cérébrale. C'est ce qu'il a dit chaque fois qu'il avait l'occasion d'en parler.
Il faisait cela pour des raisons politiques, je crois. En fait, il lui était facile de faire valoir que l'hypersensibilité du système de production de la dopamine mésolimbique représente un fonctionnement anormal du mécanisme cérébral, et donc une maladie d'après un certain nombre de définitions médicales. C'est peut-être politiquement faisable pour lui et votre comité pourrait adopter la même position. Si vous voulez convaincre les gens de voter pour vous, vous pouvez toujours dire que le meilleur moyen d'aider les gens qui souffrent de cette maladie de la dépendance est de modifier nos lois. Vous n'auriez pas tort. Je ne m'y opposerais pas vraiment. Pour ma part, je ne crois pas que ce soit une maladie, mais cela tient davantage à ma définition de la maladie qu'à ma compréhension de ce qu'est la dépendance.
La présidente: Merci.
Encore une fois, mes collègues seront d'accord avec moi pour dire que votre groupe est l'un des plus intéressants que nous ayons entendus. Nous avons eu un échange d'idées très intéressant. Vous nous avez donné grandement matière à réflexion et cela nous est très utile.
Le comité continuera d'entendre des témoins et de recevoir des témoignages ou des renseignements probablement jusqu'à la fin du mois de juin, ou même après, si quelque chose d'exceptionnel se présentait. Nous devons présenter notre rapport en novembre. Si vous avez des renseignements ou si vous avez des collègues que nous devrions entendre, si vous avez des idées ou si vous savez que certaines études ont été réalisées, veuillez en informer notre greffière. Elle s'assurera que les documents sont distribués à tous les membres du comité.
Merci d'avoir pris le temps de préparer vos témoignages et de venir nous rencontrer aujourd'hui. Nous apprécions également le travail que vous faites chacun dans votre domaine et le dévouement dont vous faites preuve. Nous avons eu une excellente discussion, et nous vous souhaitons bonne chance.
Des voix: Bravo!
La présidente: Ils n'ont pas coutume d'applaudir.
Vous pouvez partir, même si je sais qu'une ou deux personnes vous intercepteront à la sortie.
Chers collègues, nous avons quelque chose à régler pour la Chambre des communes avant de partir. Lorsque nous avons adopté deux motions, mercredi, il semble que nous n'avions pas un quorum suffisant pour cela. Je vais donc lire les motions et je vous demande de les approuver ou de les rejeter.
Premièrement, qu'un groupe composé de quatre députés et d'un attaché de recherche se rende à Vancouver pour participer à la conférence IDEAS, du 1er mai au 3 mai inclusivement.
Des voix: Adopté.
La présidente: Deuxièmement, que le Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments demande l'autorisation à la Chambre des communes de se rendre en Suisse, en Allemagne et aux Pays-Bas du 14 au 22 juin 2002 dans le cadre de son mandat, et que le personnel nécessaire accompagne le comité.
Des voix: Adopté.
La présidente: Troisièmement, que le Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments demande l'autorisation à la Chambre de se rendre à New York et à Washington du 2 au 6 juin 2002, et que le personnel nécessaire accompagne le comité.
Des voix: Adopté.
La présidente: Et quatrièmement, que la greffière, en consultation avec la présidente, soit chargée d'organiser notre voyage en Europe en utilisant les trajets les moins coûteux.
Des voix: Adopté.
La présidente: Merci.
Je vais continuer de travailler à ce projet. Nous essayons de faire adopter ces mesures par la Chambre.
La séance est levée.