Passer au contenu

SNUD Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain

SPECIAL COMMITTEE ON NON-MEDICAL USE OF DRUGS

COMITÉ SPÉCIAL SUR LA CONSOMMATION NON MÉDICALE DE DROGUES OU MÉDICAMENTS

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 5 décembre 2001

• 0923

[Traduction]

La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)): La séance est ouverte.

Nous sommes le Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments. Nous sommes chargés ici d'examiner les facteurs sous-jacents ou parallèles à la consommation non médicale de drogues ou de médicaments et d'entendre ce que vous avez à nous dire au sujet de la possibilité d'améliorer la politique antidrogue au Canada.

Je vais vous présenter tous ceux qui sont ici de ce côté de la table. Il y a Marilyn, notre attachée de recherche, et Carol, notre greffière. Randy White est le député de l'Alliance canadienne qui représente la circonscription d'Abbotsford. Libby Davies est la députée NPD au sein de notre comité; il représente la circonscription de Vancouver-Est. Dominic LeBlanc est le député libéral de Moncton, Nouveau-Brunswick. Je suis Paddy Torsney, je préside le comité et je suis députée libérale représentant Burlington, en Ontario, pas très loin de Toronto.

Nos témoins aujourd'hui sont Earl Crow, le président de la Vancouver Area Network of Drug Users, qui est accompagné de Dean Wilson; John Turvey, directeur exécutif, Street Services, Downtown Eastside Youth Activities Society; Naomi Brunemeyer, directrice des communications à la B.C. Persons with AIDS Society; enfin, Warren O'Briain, directeur du développement communautaire, ainsi que Thomas Kerr, qui représentent SIDA Vancouver.

Je vais vous demander de faire chacun un exposé de cinq à dix minutes. Plus nous aurons de temps pour poser des questions et écouter vos réponses, mieux ce sera, et je vous invite à essayer de prendre un peu moins de dix minutes. Nous allons écouter tous les témoins et nous passerons ensuite aux questions.

Earl, c'est à vous.

M. Earl Crow (président, Vancouver Area Network of Drug Users): C'est Dean Wilson qui va parler au nom des usagers.

La présidente: Ah, très bien. Dean, vous avez la parole.

M. Dean Wilson (porte-parole, Vancouver Area Network of Drug Users): Bonjour. J'ai vécu un véritable cauchemar ce matin. Mon lecteur de disque est tombé en panne, et je n'ai pas pu copier mon discours. J'en ai une partie ici, mais nous devons nous accommoder de ce genre de choses.

La présidente: Ne vous inquiétez pas.

• 0925

M. Dean Wilson: Bonjour, mesdames et messieurs. J'ai le plaisir de vous parler ce matin de la consommation non médicale de drogues ou de médicaments.

Je suis toxicomane depuis que j'ai 12 ans et, comme j'entre dans ma 46e année, j'ai le sentiment de savoir de quoi je parle lorsque je fais état des problèmes que pose la drogue aux personnes et à la collectivité.

Je vis à l'épicentre du problème de la drogue au Canada. Le centre-ville de l'est de Vancouver a été diabolisé et on en a fait un quartier en proie à la corruption et au désespoir alors qu'en réalité c'est une communauté de gens conscients de leur situation, qui se préoccupent les uns des autres. Il faut que l'on nous permette de réagir face à cette crise d'une façon qui tienne compte des réalités de notre quartier sans se contenter des discours moraux et des belles paroles que j'ai entendus en ces lieux.

Je rends hommage à Libby Davies, car je sais qu'elle a versé beaucoup de larmes sur les trottoirs du centre-ville de l'est de notre cité. Elle s'est faite à maintes reprises l'avocate de la fourniture d'héroïne aux personnes dépendantes de la mise en place de centres permettant de procéder en toute sécurité à des injections intraveineuses, et des traitements de substitution à la méthadone. Il est temps que vous nous écoutiez. Elle ne peut pas faire tout toute seule.

Le VIH-sida et l'hépatite sont les deux maladies pour lesquelles un état d'urgence en matière de santé a été déclaré dans le centre-ville de l'est de Vancouver, et pourtant vous n'avez rien fait. Votre inaction a littéralement condamné mes frères et mes soeurs à la mort. Les taux de séropositivité et de sida s'apparentent à ceux de l'Afrique subsaharienne et nous sommes touchés à 100 p. 100 par l'hépatite C, je dis bien, à 100 p. 100. Il n'y a personne là qui ne soit pas touché par cette maladie. Ces maladies et d'autres comme la tuberculose vont finalement coûter au réseau de la santé des millions et des millions de dollars.

Le plus rageant, c'est que tout cela peut être évité. On ne voit nulle part ailleurs dans le monde libre des pourcentages de surdoses plus élevés. Nous avons perdu 147 personnes l'année dernière. En plein jour, samedi dernier, nous avons perdu un jeune adolescent autochtone de 16 ans qui avait toute la vie devant lui. Ça devient insoutenable. Nous avons besoin ici d'action. Le maire a raison; nous avons un cadre d'action. Il a été élaboré et il s'appuie sur quatre grands piliers—répression, prévention, traitement et stratégies limitant les dommages—mais il est temps d'agir.

Le ministre de la Santé, Allan Rock, est venu dans notre quartier il y a trois semaines pour nous dire que si nous réussissons à progresser sur les quatre fronts, nous pourrons ouvrir des centres d'injection en toute sécurité. Nous avons l'accord des services policiers, le maire et la municipalité sont évidemment à nos côtés et le gouvernement fédéral est d'accord. À l'heure actuelle, Lorne Mayencourt, qui représente la province, nous a dit qu'il était d'accord, et pourtant le ministre de la Santé déclare qu'il veut attendre encore un peu. Eh bien, chaque jour que nous passons à attendre, nous perdons une personne de plus. Chaque jour, un 757 s'écrase dans Main et Hastings, et pourtant le gouvernement canadien ne met pas tout son poids dans la balance pour aider notre quartier.

Nous allons dépenser 1 milliard de dollars pour envoyer des gens en Afghanistan, et pourtant nous perdons autant de gens... depuis 1993, nous avons perdu l'équivalent de la population qui est morte dans les tours du World Trade Centre. C'est inacceptable. Si vous perdiez trois amis par semaine, je pense que vous seriez bouleversés et inquiets et que vous chercheriez à faire quelque chose. Ce sont des citoyens canadiens. Ils ont peut-être en commun d'être très pauvres, mais il faut bien voir que ce n'est pas nous qui causons les maux de la société dans le centre-ville de la partie est; nous faisons usage de la drogue pour pouvoir supporter les maux de la société.

On m'a dit que vous aviez entendu le témoignage de Paul Kennedy, le représentant canadien de la CICAD, qui vous a exposé en long et en large des mécanismes comme celui du projet North Star. J'estime qu'il n'appartient pas à la DEA et à la CIA de décider de l'orientation de notre réseau de santé avec toutes leurs idées farfelues «d'échange de drogues contre des armes et de l'argent», et que le Canada doit prendre indépendamment ses décisions.

Je sais qu'en dernière analyse il vous faudra tenir compte de votre clientèle, comme je dois tenir compte de la mienne. Il n'en reste pas moins que chaque collectivité doit pouvoir décider chez elle de quelle façon elle va régler le problème de la drogue. Il faut que soit autorisée, dans le centre-ville Est, la fourniture d'héroïne aux personnes dépendantes, la mise en place de centres permettant de procéder en toute sécurité à des injections intraveineuses, et les traitements de substitution à la méthadone. En retournant à Ottawa, il vous faut décriminaliser la consommation de petites quantités de drogue, non seulement de marijuana, mais de toutes les autres. Vous criminalisez un demi-million de Canadiens en vous fondant sur des valeurs morales et éthiques qui n'ont pas plus cours dans mon quartier que les miennes ont cours dans les vôtres.

Vous ne pourriez pas être élu dans mon quartier et je ne pourrais pas me faire élire dans le vôtre. Si je déménageais chez vous pour me faire élire, je perdrais l'élection. Étant donné la diversité et le caractère multiculturel des différentes localités du Canada, il nous faut laisser à chacune le soin de décider ce qu'elle veut faire.

Il est temps d'agir. On ne peut plus continuer à se cacher derrière des rapports et des recherches. Nous avons perdu 3 000 personnes depuis 1993. Cela signifie aussi 3 000 mères et 3 000 pères et probablement des milliers de frères et soeurs qui, tous les matins, n'auront plus qu'une photo pour se consoler.

• 0930

Je vais arrêter ici mon discours parce que je sens maintenant monter en moi la rage du centre-ville de l'est de notre cité. Toutefois, il est temps d'agir en ce qui a trait à la fourniture d'héroïne aux personnes dépendantes de la mise en place de centres permettant de procéder en toute sécurité à des injections intraveineuses et des traitements de substitution à la méthadone. Ce sont des méthodes qui donnent des résultats. L'année dernière, il n'y a pas une seule mort par surdose en Suisse. À Francfort, alors qu'on en enregistrait jusqu'à 400 par an, on est tombé à 22. Je vous le dis, ce sujet est peut-être controversé à l'heure actuelle, mais c'était la même chose pour les échanges de seringues et la méthadone—formule controversée une année et passée dans les usages l'année suivante.

Vous serez considéré comme des héros si vous agissez. Appliquez le cadre d'action du maire et vous serez tous considérés comme des héros. Libby Davies fait elle aussi figure de héros dans notre quartier.

Je vous remercie.

La présidente: Merci, monsieur Wilson.

Monsieur Turvey.

M. John Turvey (directeur exécutif, Street Services, Downtown Eastside Youth Activities Society): Disons que mon exposé va nettement se démarquer d'un certain nombre de choses que vous avez entendues jusqu'à présent.

Je suis essentiellement une personne qui est favorable à la décriminalisation de la drogue. Je ne sais pas si ça figure dans mon mémoire. Je vous ai remis un mémoire et je vais en commenter certains passages. Ce sont différents éléments que j'ai essayé de rassembler tout en travaillant, de sorte que tout est un peu mélangé. J'ai essayé de m'en tenir aux différents points que vous vouliez que nous abordions.

J'ai créé le premier service d'échange de seringues au Canada en 1988 et je me souviens du moment où l'on a décriminalisé le passage aux frontières et dérèglement en adoptant le libre-échange. Soudainement, nous avons vu arriver une quantité incroyable de drogues dures parce que nous ne pouvions plus bénéficier de la protection limitée que nous offraient nos frontières. J'ai été particulièrement abasourdi en voyant que l'on ne procédait à aucune étude de ces effets. J'ai pu constater que la déréglementation aux frontières a marqué le début des véritables difficultés dans le centre-ville Est. Tout ce que ces projets nous ont apporté... à l'heure actuelle, il n'y a pas plus d'un conteneur sur 100 qui est vraiment contrôlé dans le port de Vancouver.

Toutes ces mesures de protection ont disparu. Notre collectivité a été inondée d'héroïne très pure, et je me souviens de l'époque où l'on enregistrait cinq morts par surdose tous les jours. Je suis assez scandalisé par le gouvernement fédéral. Il prend ici toutes sortes d'initiatives qui ont des implications assez évidentes et qui plaisent au public pour diverses raisons, mais est-ce qu'il les examine de près ou est-ce qu'il contrôle les effets ou les répercussions de la suppression de la réglementation aux frontières, du désengagement de notre police portuaire ou d'autres mesures de ce genre? Non, il n'en fait rien.

Le gouvernement fédéral est en réalité l'un des responsables de tous nos maux dans le centre-ville Est pour ces raisons. Je ne cherche pas à tout interdire. Tout simplement, il ne me paraît pas raisonnable qu'il ne contrôle pas ou qu'il ne cherche pas à contrôler ce genre de répercussions. Je me demande bien pourquoi le gouvernement fédéral ne fait pas des études dans ces domaines.

Ce qui me préoccupe terriblement, par ailleurs, au sujet du gouvernement fédéral... dans nos quartiers, il y a certains pâtés de maisons. Ils sont tout simplement marqués à la craie. Tel pâté de maisons appartient à telle organisation. Il y en aura un ou deux qui appartiennent à une organisation donnée et les trafiquants de drogue, qui revendent avant tout de la cocaïne épurée au sein de notre collectivité, viennent de pays étrangers—un pays en particulier.

Presque tous ont présenté des demandes de réfugié. Lorsque nous en avons parlé à la police... et la raison pour laquelle notre organisme en a parlé à la police—il y avait peut-être une cinquantaine ou une soixantaine de jeunes hommes adultes qui trafiquaient tous de la cocaïne épurée—c'est parce que nous perdions toutes nos jeunes filles, qui se retrouvaient dans la rue et entraient en relation avec ces trafiquants de drogue étrangers bénéficiant en fait de la situation qui est faite aux demandeurs de statut de réfugié.

Les agents du ministère canadien de l'immigration nous ont dit que même les trafiquants de drogue condamnés présentaient des demandes de statut de réfugié, ces condamnations pour trafic de drogue n'étant pas considérées comme étant suffisamment graves pour remettre en cause leur statut.

Nous constatons qu'en réalité le gouvernement fédéral n'exerce aucun contrôle sur ses services d'immigration ici à Vancouver, et voilà la situation à laquelle nous sommes confrontés.

• 0935

Cette semaine, justement, on l'a entendu dire par certains agents de police de la ville de Vancouver, et on peut voir effectivement qu'il y a une nouvelle vague d'arrivants et encore plus de jeunes trafiquants de drogue en provenance de ce pays qui se retrouvent dans les rues de Vancouver en ayant demandé le statut de réfugié. Je pense que c'est une véritable gabegie au niveau fédéral. Si vous pouviez régler ou essayer de régler certaines de ces situations, nous vous en serions reconnaissants.

Vous êtes-vous demandé dans votre étude si la police avait un rôle à jouer? Je pense qu'elle a un rôle à jouer, mais ce n'est certainement pas en faisant des rafles et en s'attaquant au simple toxicomane. J'ai tendance, comme Dean, à penser que la décriminalisation des petites quantités de drogues destinées à un usage personnel va de soi. On constate cependant un phénomène au sein de notre collectivité, les études démontrant que 25 p. 100 des toxicomanes du centre-ville de la partie Est souffrant, sous une forme ou sous une autre, d'une maladie mentale confirmée par un diagnostic clinique alors qu'en extrapolant, on peut penser qu'il y en a 25 p. 100 de plus, c'est qu'elle constitue un terrain de choix pour les profiteurs. Des profiteurs de toutes sortes s'installent au sein de notre collectivité et profitent des drogués.

Il y a donc dans la rue des profiteurs qui abusent des drogués, mais il y a aussi des chevaliers d'entreprise: des hommes d'affaires qui vous donnent 50c sur un dollar de chèque de loyer versé par l'assistance sociale; des hommes d'affaires qui vous donnent 50c sur un dollar de bons d'alimentation; des pharmacies qui achètent littéralement des caisses d'Ensure aux séropositifs et aux sidatiques, qui ont besoin de ce supplément alimentaire pour rétablir leurs forces, mais qui en fait les revendent aux pharmacies à une fraction de leur prix. Il en est de même des seringues. Nous retrouvons même les préservatifs que nous distribuons aux prostituées chez les dépanneurs, qui les revendent ensuite.

Il y a toutes sortes de rôles et des rôles nouveaux. Vous nous demandez dans votre étude quel doit être le rôle des services policiers. Je pense qu'ils ont certains rôles à jouer. Je considère qu'au sein d'une population si concentrée, il y a beaucoup d'argent à gagner pour des profiteurs entreprenants qui exploitent les circonstances et la situation de ces personnes droguées, et je n'ai pas l'impression que la police de la ville de Vancouver ait adopté une démarche uniforme et utile pour régler ce genre de problèmes.

Vous nous demandez aussi à maintes reprises quels doivent être la nature et le type de la recherche que doit mener le gouvernement fédéral. Eh bien, je vais vous dire ce que vous ne faites pas. L'étude effectuée par le passé au sujet des drogués par voie intraveineuse à Vancouver a été financée par les É.-U.; ce n'est pas vous qui l'aviez fait. On obtient très peu de crédits fédéraux et, lorsqu'on se penche sur la population des drogués qui parcourent les rues le soir, on constate finalement qu'on n'a pas fait une véritable enquête pour savoir qui ils sont et quels sont leurs besoins. Par conséquent, lorsqu'on se met à planifier un programme dans la pratique, on met sur pied des projets stupides parce qu'on cherche à remédier à des choses qu'on croit connaître sans voir véritablement ce qui se passe dans la réalité. Il y a donc en fait de nombreux projets s'appuyant sur une information déficiente qui sont mis en place au sein de notre collectivité.

Je vous ai par ailleurs envoyé, ou télécopié, des documents qui vous montrent que nous avons actuellement en C.-B. 7 200 personnes qui suivent un traitement à la méthadone. C'est le médicament le plus prescrit en Colombie-Britannique. Il fait aussi partie des trois principaux médicaments prescrits en Ontario. Je pense, toutefois, qu'on en est à quelque 800 000 prescriptions en C.-B. alors qu'en Ontario ça se monte à quelque 900 000 prescriptions avec une population bien plus grande. Cela vous donne là encore une idée de la situation que nous vivons en C.-B. Nous sommes en tête de toutes les provinces pour ce qui est des programmes de substitution à la méthadone. Les disparités quant aux possibilités d'accès à ces programmes peuvent souvent donner lieu à des migrations, certaines personnes parcourant le Canada pour accéder à des services et à des programmes.

• 0940

Cette dynamique existe. Là encore, cela vient du fait qu'on ne vérifie pas qui se trouve dans les rues de Vancouver, d'où viennent ces personnes et quels sont leurs besoins. On ne l'a jamais fait.

J'espère qu'il me reste quelques minutes pour vous parler d'un problème qui nous dérange, moi et tous les gens de mon organisme. J'entends parler de centres d'injection en toute sécurité. Je n'ai pas été en Europe, mais je ferai certainement toutes sortes de réserves au sujet de ces centres. C'est en 1988 que nous avons lancé notre programme d'échange de seringues, le premier au Canada. Nous étions, comme l'ont dit, en ligne de mire. Nous nous sommes rapidement aperçus que nous ne pouvions pas arrêter l'épidémie de sida et qu'aucun programme d'échange de seringues au monde ne peut à lui seul jouer ce rôle.

On ne peut s'attaquer efficacement au problème que si l'on fournit tout un ensemble de soins coordonnés, ce qui est le cas à Francfort et dans bien des pays européens, qui viennent compléter les centres d'injection: le traitement à la demande, une désintoxication à la demande, l'apprentissage d'une autonomie fonctionnelle, des logements adaptés, etc.

Je fais toutes sortes de réserves au sujet des centres d'injection dont on nous rebat les oreilles, mais est-ce que je m'y oppose carrément? Non. Je les placerais là où se produisent les morts par surdose dans les garnis du centre-ville Est. J'installerais des locaux sanitaires dans presque tous les garnis et les hôtels du centre-ville Est.

Il faut voir aussi, et cela nous amène vraiment à nous poser des questions, que d'après une étude que j'ai pu consulter, nous avons enregistré 30 décès par surdose en une seule année dans la partie ouest de Vancouver. C'est ce que nous dit ici l'étude épidémiologique effectuée pour l'an 2000.

Je crains donc pour commencer que les centres d'injection fassent venir davantage de gens au sein de notre collectivité. Vancouver a 1 000 agents de police; Francfort en a 3 300. Ce pays a une loi qui réprime la consommation publique de drogue. Je vois dans le document du maire qu'il veut entamer des discussions concernant l'adoption d'une loi de cette nature. Dans la pratique, toutefois, avons-nous au sein de notre collectivité les ressources policières nous permettant de procéder de cette manière?

Ce qui m'inquiète particulièrement par ailleurs au sujet des sites d'injection en toute sécurité, c'est que nous en aurons certainement besoin de plus d'un. Trente pour cent au moins de notre population continue à s'injecter de la cocaïne en poudre, parfois quotidiennement. Souvent, ces personnes ne cherchent même pas à traverser la rue pour trouver une seringue. Elles dominent donc très peu leurs impulsions.

Ces centres d'injection sont considérés comme la panacée en matière de lutte contre les surdoses, la transmission des maladies et les activités liées à la drogue dans la rue, mais j'ai bien peur que ce ne soit pas la petite merveille annoncée pour tous ces projets collectifs.

Une dernière chose, et j'en aurai fini.

Je suis réellement très déçu par les experts et je crois que la plupart du temps ils parlent sans savoir ce qu'ils disent. Nous faisons face à un gros problème au sein de notre collectivité. Vous nous demandez à nouveau dans votre document comment réduire les dommages causés à la collectivité. Quel est le rôle que doit jouer le gouvernement fédéral pour sensibiliser la collectivité à la nécessité de réduire ces dommages?

Nous avons participé la semaine dernière à une réunion au cours de laquelle nous avons envisagé, non plus d'échanger les seringues, mais de les distribuer. Nous avons distribué 3,4 millions de seringues l'année dernière, et nous en avons récupéré encore plus. Toutefois, on nous demande maintenant non plus d'échanger les seringues, mais de les distribuer. La quantité totale envisagée ici pour le centre-ville Est est de 10 millions de seringues. C'est ce que les prétendus experts nous laissent entrevoir et c'est ce que nous devons aller faire accepter à notre population.

L'argument repose en partie sur le fait que l'on a n'a jamais pu vraiment identifier un cas de transmission de VIH ou d'hépatite C à partir d'une piqûre accidentelle de seringue mais, là encore, on oublie en fait toute la question du traumatisme qui en résulte pour les parents et les personnes concernées qui, après s'être piquées accidentellement, doivent se rendre à l'hôpital et attendre entre 30 et 90 jours pour savoir si elles ont contracté un virus et s'ils doivent suivre un traitement.

• 0945

Je pense qu'à l'heure actuelle, notre programme d'échange de seringues va devoir faire face à un certain nombre de réalités et que si l'on poursuit dans cette voie, il va y avoir des contrecoups. Douze ans après la mise en place de notre premier programme d'échange de seringues, nous allons enregistrer des contrecoups encore plus dommageables qu'à l'heure actuelle.

Enfin, j'entends que tout le monde félicite le maire, j'entends prononcer ses éloges dans toute la ville de Vancouver, mais je pense que la plupart de nos dirigeants politiques ont manqué le bateau. La plupart des drogués du centre-ville Est ne sont pas créés par voie de génération spontanée; ils viennent de tous les quartiers de Vancouver.

L'étude des usagers de drogue par voie intraveineuse à Vancouver a permis de suivre 1 400 drogués sur des périodes de six mois. À un moment donné, 70 p. 100 des personnes concernées ont quitté le sud-ouest de la Colombie-Britannique. C'est un groupe très mobile et, là où je me trouve, Vancouver-Nord et Burnaby n'ont toujours pas le moindre programme d'échange de seringues. Je pense que nos dirigeants se fourvoient complètement. Ils ont vraiment manqué le bateau et ils ont créé une situation dans le sud-ouest de la Colombie-Britannique qui oblige les drogués à s'installer au centre-ville Est, non seulement pour y trouver de la drogue, mais pour profiter de certains services que leur accoutumance rend nécessaires.

Il s'agit en fait de circonscrire le problème. Je pense que bien des projets que nous mettons en place à l'heure actuelle cherchent davantage à circonscrire le problème qu'à adopter des solutions éclairées face à la toxicomanie.

Je vous remercie.

La présidente: Merci, monsieur Turvey.

La parole est maintenant à Mme Brunemeyer.

Mme Naomi Brunemeyer (directrice des Communications, B.C. Persons With AIDS Society): Bonjour, je m'appelle Naomi Brunemeyer, et on m'a demandé aujourd'hui de prendre la parole au nom de B.C. Persons With AIDS Society.

La BCPWA est la plus grande organisation de consommateurs de l'ouest du Canada et elle compte plus de 3 600 membres séropositifs. Elle a pour mission d'aider les séropositifs à se prendre en charge au moyen de réseaux d'entraide mutuelle et d'une action collective. Depuis cinq ou sept ans, la composition des membres de la BCPWA a considérablement évolué et nous avons de plus en plus de séropositifs qui sont des utilisateurs de drogue par injection. Nous vous remercions par conséquent de nous donner aujourd'hui la possibilité de venir vous parler, non seulement de la réduction de la transmission du VIH, mais aussi de la réduction des dommages causés de manière générale aux personnes et à la collectivité du fait de l'injection de drogue.

Les médecins et les spécialistes de la toxicomanie ne s'entendent pas à l'heure actuelle sur la façon dont il faut définir la réduction des dommages. Telle qu'elle est utilisée à l'heure actuelle, l'expression «réduction des dommages» peut prendre différents sens, plus ou moins restrictifs. Certaines personnes limitent la réduction des dommages aux politiques et aux programmes qui visent à limiter les conséquences pernicieuses de l'usage, sans nécessairement limiter l'usage lui-même. L'un des grands défis de la mise en oeuvre d'un ensemble complet et coordonné de politiques touchant la toxicomanie est d'établir une définition commune de la réduction des dommages.

Je considère qu'il faut que les responsables politiques nationaux prennent l'initiative pour entériner un programme de réduction des dommages mettant l'accent sur la réduction du préjudice causé aux usagers des drogues et à la collectivité plutôt que de réduire l'usage des drogues. C'est justement l'objectif mentionné dans la stratégie canadienne sur les drogues. Je considère par ailleurs qu'une campagne de sensibilisation du public est nécessaire pour écarter le malentendu selon lequel en souscrivant à une stratégie de réduction des dommages on fait la part belle à l'usage illicite des drogues.

Les dirigeants nationaux devront aussi faire savoir que les modèles et les programmes de prévention faisant appel éventuellement à l'abstinence des non-usagers et la mise en oeuvre de modèles de prévention et de réduction des dommages s'adressant aux personnes à risque et aux usagers actuels ne sont pas mutuellement exclusifs et peuvent donc légitimement aller de pair.

Je crois par ailleurs—c'est fondamental si l'on veut régler les problèmes des usagers de drogue par injection—à la mise en oeuvre d'un ensemble coordonné de stratégies de réduction des dommages englobant à la fois des modèles d'intervention stricts ou plus diffus. Je m'en tiendrai cependant aujourd'hui aux stratégies qui accordent la priorité à la réduction des conséquences négatives de l'utilisation des drogues pour les particuliers, la collectivité et la société, même si l'usager continue à consommer de la drogue, du moins dans un premier temps.

Ces services, considérés généralement comme étant moins contraignants peuvent être facilement et immédiatement mis à la disposition des toxicomanes dans la rue. Ils peuvent soit s'adresser à des personnes qui veulent continuer à consommer de la drogue, soit à celles qui peuvent éventuellement décider de ne plus en consommer.

Je vais rapidement passer en revue quatre types de services.

On a parlé des programmes d'échange de seringues. Ils servent de point de contact entre les professionnels de la santé et nombre d'usagers de la drogue auxquels nous n'avons pas normalement accès. Un programme d'échange de seringues a principalement pour but d'échanger des seringues usagées contre des seringues neuves, mais d'autres services peuvent être dispensés par la même occasion, tels que la distribution de préservatifs, les rendez-vous médicaux ou la consultation portant sur des besoins de santé essentiels. Les consommateurs de drogue qui sont séropositifs ont ici la possibilité de contacter des professionnels de la santé, qui les renseignent mieux sur leur maladie.

• 0950

Le fait de ne pas avoir à partager des seringues usagées empêche que des personnes deviennent séropositives et protège ainsi la collectivité. Les toxicomanes peuvent aussi trouver par la même occasion d'autres possibilités de traitement. On s'assure en outre que l'on se débarrasse des seringues en toute sécurité.

Les services de Santé Canada ont eux-mêmes conclu qu'en plus d'éviter que des personnes deviennent séropositives, les programmes d'échange de seringues n'entraînent aucune augmentation du nombre d'usagers de drogue par injection et n'abaissent pas l'âge à partir duquel les toxicomanes commencent à consommer de la drogue par injection.

Il faut cependant supprimer ce qui fait obstacle à la possibilité de se procurer de nouvelles seringues afin d'éviter systématiquement que l'on en partage l'usage. Du fait de l'usage de la cocaïne, qui semble être la drogue de prédilection que s'injectent les toxicomanes, ici à Vancouver, la fréquence des piqûres est en fait plus grande que celle d'héroïne au cours de la journée. Il faut donc se montrer plus rigoureux en facilitant l'accès à de nouvelles seringues. Nous recommandons que de nouvelles seringues soient directement disponibles dans toutes les cliniques, les pharmacies et les institutions oeuvrant auprès des drogués et, éventuellement, dans les postes de police.

Le système marche particulièrement bien lorsque l'on peut avoir accès à d'autres services sans avoir affaire simplement à une machine distributrice de seringues propres. Il faut aussi que ce service soit décentralisé et largement répandu. Comme l'a dit mon collègue John Turvey, on ne peut pas s'en tenir au centre-ville Est. Si l'on veut pouvoir répondre aux besoins des usagers des drogues là où ils habitent, il faut faire preuve de souplesse et travailler plus longtemps et plus tard.

Nous avons aussi évoqué la question des programmes de substitution par la méthadone. La méthadone est un substitut de l'héroïne qui peut être légalement prescrit, qui entraîne apparemment moins d'accoutumance et qui permet de garder le contact avec les héroïnomanes, de les stabiliser et éventuellement de réduire leur état de dépendance. Les programmes de substitution par la méthadone réduisent les risques de surdose étant donné que cette substance est contrôlée par un médecin; réduisent la transmission de maladies telles que le VIH et l'hépatite C; font baisser la criminalité associée aux besoins de se procurer de la drogue; enfin, diminuent la consommation de drogue en public.

Sans qu'il y ait trop d'obstacles, les traitements à la méthadone peuvent permettre de maintenir les contacts avec des héroïnomanes auxquels généralement on ne peut pas accéder pour leur dispenser des services complémentaires. Là encore, il faut que l'on puisse avoir accès d'une manière ou d'une autre aux drogués séropositifs pour les renseigner sur les traitements ou les services de soutien disponibles.

Il reste cependant de nombreux obstacles à écarter si l'on veut que davantage de toxicomanes puissent avoir accès à ce traitement, notamment les règles et les procédures restrictives qui sont actuellement en place; l'absence d'intégration à la société étant donné qu'ils sont précisément regroupés en un même endroit plutôt que de profiter d'une décentralisation; le paiement de frais par les usagers et les dépenses d'infirmerie; enfin, le manque de médecins actuellement habilités à prescrire cette drogue. Ces obstacles font que les clients ne prennent pas suffisamment de méthadone pour éviter le recours à l'héroïne; ils continuent, par conséquent, à consommer de l'héroïne.

J'estime, par ailleurs, que les traitements à la méthadone devraient être mis à la disposition des personnes détenues. Il convient de multiplier les recherches pour trouver pour les opiacés une thérapie de remplacement semblable à ce qui se fait pour les cocaïnomanes avec la méthadone.

Nous n'avons pas abordé encore la question des traitements assistés à l'héroïne. Le recours à l'héroïne elle-même en tant que méthode de traitement—un médecin prescrivant en fait de l'héroïne à un toxicomane—s'explique par la nécessité de traiter des populations d'héroïnomanes fortement marginalisées et vivant dans la rue, pour lesquels le traitement classique à la méthadone ne donne aucun résultat.

De nombreuses personnes qui suivent un traitement à la méthadone en sont arrivées au point d'accepter de renoncer à la drogue et d'être prises en charge par ce programme. Cela signifie qu'il nous manque encore tout un groupe de personnes qui font un usage délibéré de l'héroïne. En leur prescrivant directement de l'héroïne, on peut éventuellement éviter d'autres problèmes tels que les surdoses, les infections par le VIH, etc. C'est là encore d'un intérêt fondamental pour les drogués séropositifs.

Le dernier sujet que je tiens à aborder sur le plan de la mise en oeuvre des programmes est celui des centres d'injections en toute sécurité dont on a parlé aujourd'hui—qui font les manchettes ces derniers jours dans les médias. La définition d'un site d'injection en toute sécurité—je ne suis pas sûre qu'on l'ait bien fait comprendre aux gens—c'est celle d'une installation légale et supervisée où l'on peut se faire injecter des drogues que l'on s'est procuré au préalable, et qui peuvent faciliter l'accès à d'autres services de santé, en plus de fournir du matériel stérilisé.

L'étude portant sur les usagers de drogue par injection à Vancouver, que l'on a déjà citée aujourd'hui, insiste fortement sur la nécessité de mettre en place des centres d'injection en toute sécurité. Cette étude, on nous l'a dit, a porté sur plus de 1 400 toxicomanes. Selon les statistiques qu'elle a recueillies, 28 p. 100 des usagers partagent une seringue; 75 p. 100 d'entre eux indiquent qu'ils se sont au moins piqués une fois alors qu'ils étaient seuls; 10 p. 100 ont été victimes d'une surdose non mortelle; 14 p. 100 déclarent s'être déjà faits une piqûre dans un lieu public; 25 p. 100 indiquent qu'ils ont besoin d'aide lorsqu'ils se font une piqûre; enfin, 18 p. 100 ont du mal à se procurer des seringues stérilisées. On a par ailleurs constaté que les drogués qui avaient besoin d'aide pour se faire une piqûre risquent deux fois plus de partager une seringue et que ceux qui avaient de la difficulté à se procurer des seringues stérilisées avaient trois fois plus tendance à partager des seringues.

• 0955

Un centre d'injection en toute sécurité pourrait éventuellement remédier à un certain nombre des problèmes relevés dans l'étude sur les usagers de drogue par injection à Vancouver. On éviterait aussi de recourir aux piqueries comme on le fait actuellement. Je pense que ceux qui disent que ces centres encouragent l'utilisation de la drogue et multiplient le nombre des utilisateurs n'ont pas raison. Dans un certain nombre de pays qui se sont dotés de centres d'injection en toute sécurité, le nombre de drogués a effectivement diminué.

Les résultats obtenus par d'autres pays ont déjà été évoqués, mais si on vous le dit 20 fois, vous vous en souviendrez peut-être un peu mieux. La stratégie adoptée par la Suisse pour mettre en oeuvre un ensemble coordonné de services de santé faiblement et moyennement contraignants s'est traduite par une diminution considérable de l'usage public des drogues dans la rue. Elle a augmenté la nécessité de recourir à des traitements intensifs contre la toxicomanie étant donné que les usagers, une fois en contact avec des services essentiels en matière de santé, ont choisi de renoncer à l'usage de la drogue. Entre 1988 et 1998, 65 p. 100 des toxicomanes suivaient une forme de traitement. À Francfort, en Allemagne, on a mis l'accent sur les services faiblement contraignants, et là encore on a constaté une disparition de l'usage visible de la drogue en public. Les taux de séropositivité parmi les usagers de drogue par injection ont diminué, passant de 25 p. 100 à 14 p. 100, la baisse d'utilisation pour l'ensemble des drogues se montant à 30 p. 100.

Il est amplement prouvé que les stratégies de diminution des dommages que j'ai détaillées dans mon exposé sont efficaces, mais un problème se pose souvent pour localiser les services correspondants au sein de la collectivité. Ces services doivent être décentralisés mais les municipalités et les différentes collectivités ont peu tendance à s'en faire les champions. Les habitants de ces localités sont incités à suivre un traitement et il n'est pas nécessairement prouvé que les usagers des drogues vont se réinstaller ailleurs pour suivre un traitement. Par ailleurs, les toxicomanes ont besoin d'accéder aux ressources et aux services de la collectivité. Ils doivent être intégrés à la société pour pouvoir s'en sortir.

Par conséquent, je considère que les responsables nationaux doivent faire preuve d'initiative en reconnaissant publiquement les facteurs qui expliquent l'abus de substance et qui y contribuent, la collectivité elle-même ayant des responsabilités à prendre pour lutter contre l'usage des drogues par injection. Pour que l'on comprenne bien la complexité de cette dépendance et la diversité des collectivités touchées par l'abus de drogue, il serait peut-être préférable que chaque localité fasse connaître ses propres besoins en ce qui a trait aux centres de traitement. Je pense qu'il faut que tous les paliers de gouvernement facilitent ce travail.

Pour conclure, je vous recommande fortement de continuer à faire appel aux personnes préoccupées par le phénomène de la drogue, aux toxicomanes et aux consommateurs de services de traitement afin qu'ils jouent un rôle actif dans la conception et la mise en oeuvre de ces services.

La présidente: Merci, madame Brunemeyer.

Nous allons enfin entendre Warren O'Briain et Thomas Kerr, qui représentent SIDA Vancouver.

M. Warren O'Briain (directeur, Développement communautaire, SIDA Vancouver): Bonjour. Je suis venu parler ce matin au nom de SIDA Vancouver. J'aimerais remercier les membres du comité de m'avoir donné l'occasion de présenter le point de vue de mon organisation sur les politiques publiques traitant de l'utilisation de drogue par injection, de la réduction des dommages ainsi que de la séropositivité et du SIDA.

Depuis 1983, SIDA Vancouver est l'un des principaux agents communautaires de prévention, de sensibilisation, de soutien et de défense en ce qui a trait à la séropositivité et au sida. Nous sommes fiers de notre passé, de notre implantation dans la collectivité homosexuelle et de nos nombreuses réalisations, et nous honorons ceux qui ont lutté et qui continuent à lutter pendant toute leur vie pour les droits et la prise en compte des besoins des séropositifs et des sidatiques. SIDA Vancouver a pour mission de limiter la vulnérabilité des personnes et de la collectivité face à la séropositivité et au sida en apportant aide et soutien ainsi que des services de sensibilisation, de défense et de recherche.

SIDA Vancouver s'est doté d'un cadre de santé de la population pour guider l'élaboration de ses programmes et fixer ses priorités en tant que groupe de pression. L'établissement d'un cadre de santé s'appliquant à la population part avant tout du principe qu'il faut appuyer les décisions sur des preuves tangibles; en l'occurrence, il s'agit de justifier rationnellement l'établissement des priorités et des stratégies. Nous considérons que les décisions que nous prenons à SIDA Vancouver doivent s'appuyer sur des données concernant les besoins de nos clients en matière de santé et de services sociaux, sur la capacité de la collectivité à faire face à la séropositivité et au sida et sur l'efficacité des interventions. Nous espérons par ailleurs que le gouvernement fédéral appuiera ses politiques en matière de drogue sur des données statistiques prouvées concernant les besoins de la population canadienne en matière d'assistance sociale et de santé.

Au cours des cinq ou six dernières années, l'épidémiologie de la séropositivité et du sida ainsi que le cadre sociopolitique dans lequel nous opérons ont considérablement évolué. Je veux vous montrer dans cet exposé à quel point l'évolution de l'épidémiologie de la séropositivité et du sida nous a obligés à aller chercher au-delà des frontières du Canada de nouvelles solutions novatrices à l'épidémie de séropositivité chez les usagers de drogue par injection dans notre ville.

• 1000

Vous êtes certainement conscients à l'heure actuelle du fait que le régime de santé publique de la Colombie-Britannique est en pleine crise en raison de la situation dans laquelle se trouvent les usagers de drogue par injection. L'augmentation en flèche des taux de morbidité et de mortalité ainsi que des coûts qui s'y rattachent en matière de santé et sur le plan judiciaire est un indicateur alarmant des dégâts causés par la drogue dans notre province. Les responsables de la santé estiment que 15 000 habitants de la Colombie-Britannique consomment des drogues par injection, que cette année près de 150 d'entre eux vont devenir séropositifs ou contracter le sida et que bien d'autres encore vont contracter l'hépatite A, B ou C, la tuberculose ou l'une des différentes maladies sexuellement transmissibles.

Au début des années 1990, les décès par surdose sont devenus la principale cause de décès évitables chez les hommes de 30 à 40 ans habitant la Colombie-Britannique. L'année dernière, plus de 1 500 drogués ou ex-drogués par voie d'injection étaient inscrits auprès des services de SIDA Vancouver. Dans le rapport qu'elle a publié hier, la vérificatrice générale du Canada a calculé que le coût pour l'économie de la consommation de drogue dans notre pays, lorsqu'on englobe les soins de santé correspondant à la séropositivité, au sida et à l'hépatite, la perte de productivité, les crimes contre la propriété et les activités de répression qu'ils impliquent, se montent à 5 milliards de dollars par an. De toute évidence, il est urgent d'intervenir.

En dépit des crédits versés par la province au titre des services de lutte contre les drogues et l'alcoolisme en Colombie-Britannique, les études du gouvernement nous révèlent systématiquement que le niveau de services fournis à l'heure actuelle est insuffisant. L'étude des services de lutte contre l'alcoolisme et la toxicomanie effectuée en 1998 à Vancouver par le ministère préposé alors à l'enfance et à la famille, nous a amené à conclure que les services fournis à l'heure actuelle comportaient de grosses failles, notamment sur le plan de l'accessibilité, de la portée et de la quantité. On nous dit dans ce rapport: «On ne peut qu'insister sur le manque de ressources suffisantes.»

Tout simplement, la pénurie est généralisée; il y a des listes d'attente pour tous les services et les insuffisances sont chroniques dans bien des cas. Non seulement il nous faut augmenter les services existants, mais il nous faut aussi adopter des démarches novatrices pour faire face aux nouvelles éventualités et aux problèmes qui se posent.

L'ampleur des difficultés résultant de l'usage de drogues illicites en Colombie-Britannique est alarmante, mais l'on a quelques raisons d'être optimiste lorsqu'on voit ce qui se passe en Europe et, plus récemment, en Australie. Plusieurs villes européennes ont réussi à réduire les dommages causés par la drogue dans des situations semblables à celles que vit Vancouver. Récemment, et je suis sûr que vous le savez tous, la ville de Vancouver a adopté les quatre piliers de la politique suivie par les pays européens pour régler le problème de la drogue, tel qu'en fait foi le document A Framework For Action: A Four Pillar Approach to Vancouver's Drug Problems. SIDA Vancouver félicite la municipalité de Vancouver d'avoir conçu et adopté cette démarche globale et d'orienter le dialogue et les débats publics portant sur l'adoption de nouvelles solutions face à un problème qui perdure. Ces quatre piliers consistent à coordonner et à équilibrer les interventions dans quatre domaines: la répression, la prévention, le traitement et la réduction des dommages.

Certes, nous sommes nombreux à bien connaître la prévention, le traitement et la répression, mais la réduction des dommages est souvent moins bien comprise. Lorsqu'on inclut la réduction des dommages parmi les quatre piliers, on accepte le fait que la consommation de drogue existe et va se poursuivre et qu'il convient de réagir de manière à réduire les dommages qui sont causés, tant aux personnes qu'à la collectivité.

Il est fondamental, pour réduire les dommages causés, que l'on adopte une stratégie globale faisant appel à la fois à des services faiblement, moyennement et fortement contraignants pour les toxicomanes. Ainsi, une clinique ayant de longues heures d'ouverture, administrée comme un service d'accueil dans la rue peut être qualifiée de mécanisme faiblement contraignant. À l'autre bout de la chaîne, un service de soins intensifs ayant des protocoles d'admission très élaborés peut être considéré comme un service fortement contraignant. Pour mettre en place un éventail complet de services, il faut faire preuve d'innovation et multiplier les initiatives plus ou moins contraignantes.

SIDA Vancouver préconise avec insistance la mise en place de programmes peu contraignants de réduction des dommages. Il est clairement prouvé que ces programmes peuvent être très efficaces pour prévenir la séropositivité et le sida, la transmission d'autres éléments pathogènes du sang et, dans certains cas, les décès par surdose. Parmi les programmes faiblement contraignants de réduction des dommages figurent l'échange des seringues, la sensibilisation par les pairs, les centres d'injection en toute sécurité, les traitements de substitution à la méthadone structurés de manière peu contraignante ainsi que la prescription de l'héroïne. SIDA Vancouver considère que l'éventail des services fournis doit englober toute cette liste.

Dans cet exposé, SIDA Vancouver souhaite toutefois faire état plus particulièrement de son appui en faveur d'un projet pilote de centres d'injection en toute sécurité qui, dans ce cadre global, pourrait représenter un élément important d'une réponse globale et exhaustive au problème de la drogue en faisant intervenir ces quatre piliers. Que représentent exactement ces centres? Les centres d'injection en toute sécurité sont des installations de santé dans lesquelles les toxicomanes peuvent s'injecter de la drogue tout en étant supervisés et en bénéficiant de soins de santé, de consultations et de renvois à des services sociaux et de santé, notamment pour ce qui est de la désintoxication.

• 1005

Les expériences menées en Europe nous montrent que ces centres peuvent constituer un moyen rentable d'entrer en contact avec les toxicomanes les plus marginalisés et ceux qui courent le plus de risques en contribuant à atteindre les objectifs suivants: premièrement, améliorer la santé globale des toxicomanes, notamment en réduisant la fréquence des surdoses et de la transmission des maladies; deuxièmement, en réduisant les dommages causés par l'usage de drogues illicites—criminalité, abandon de seringues, utilisation de la drogue en public, par exemple, tous ces comportements qui affectent toute une collectivité; troisièmement, augmenter le recours dans de bonnes conditions à des services sociaux et de santé par les toxicomanes; quatrièmement, enfin, réduire les coûts liés à l'usage de la drogue en matière de santé, sur le plan social, et du fait des incarcérations prononcées par la justice.

Il est prouvé par ailleurs que les centres d'injection en toute sécurité permettent aux mesures de traitement, de répression et de prévention de donner de meilleurs résultats. Ainsi, à Francfort, dont nous avons tous parlé ce matin, des centaines de clients sont renvoyés directement chaque année des centres d'injection en toute sécurité aux services de traitement contre la drogue, et le nombre total de toxicomanes suivant des cures de désintoxication, des traitements basés sur l'abstinence et des programmes de substitution à la méthadone a augmenté depuis la mise en place de ces centres.

En faisant en sorte que les toxicomanes soient pris en charge par des institutions, ne soient plus dans la rue et, en fin de compte, échappent au marché de la drogue, les centres d'injection en toute sécurité libèrent par ailleurs la police, qui peut se consacrer à l'arrestation des trafiquants plutôt que de réprimer les consommateurs dans la rue. Les centres d'injection en toute sécurité facilitent par ailleurs grandement les efforts de prévention étant donné qu'ils font largement la promotion des relations sexuelles protégées et des méthodes saines d'injection au sein d'une population qui risque fortement de contracter et de répandre les maladies. Les centres d'injection en toute sécurité sont par ailleurs le lieu idéal de nouveaux projets novateurs de promotion de la santé.

Ceux qui disent que les centres d'injection en toute sécurité font la promotion de l'usage de la drogue et augmentent le nombre de toxicomanes là où ils sont implantés ont tort et ne tiennent pas compte des preuves du contraire. Le nombre total de toxicomanes a diminué dans les municipalités qui se sont dotées d'installations d'injection en toute sécurité, les effets les plus notables étant constatés sur le plan de la consommation de drogue en public.

Comme on l'a mentionné précédemment, plutôt que d'encourager la consommation de drogue, les centres d'injection en toute sécurité ont contribué à faire en sorte qu'un nombre accru de toxicomanes entreprennent différentes sortes de traitement.

SIDA Vancouver préconise la mise en place d'une réponse globale face au problème de la drogue en Colombie-Britannique. SIDA Vancouver affirme que les centres d'injection en toute sécurité sont un élément indispensable d'une stratégie plus globale s'avérant plus efficace et que toutes les questions qui peuvent subsister concernant l'efficacité de ces centres en Colombie-Britannique pourront avoir leur réponse une fois qu'ils auront été mis à l'essai et rigoureusement évalués. Dans ce but, SIDA Vancouver préconise la mise en oeuvre d'un projet pilote de 18 mois comportant l'ouverture de deux centres d'injection en toute sécurité à Vancouver, conformément à la proposition faite l'année dernière, pour le compte de la B.C. Harm Reduction Action Society, par le chercheur en matière de santé, Thomas Kerr, qui est ici avec moi aujourd'hui.

Compte tenu de la démographie locale et des conseils donnés par des spécialistes locaux et européens, ce projet préconise l'ouverture simultanée de deux centres d'injection en toute sécurité pour faire face à la demande prévue de ces services novateurs. Le modèle de centre proposé offrira toute une gamme de services, notamment en matière d'évaluation et de soins de santé primaires, de promotion de la santé et de renvoi à des services médicaux, de fourniture de matériel d'injection stérilisé, de supervision des piqûres et des échanges de seringues, d'évaluation psychosociale, de consultation et de renvoi à des services sociaux, de sensibilisation par les pairs, de consultation et de soutien, et de distribution de suppléments nutritifs.

Ces centres d'injection en toute sécurité, selon le projet prévu, seraient dotés tous les jours d'un personnel composé de cinq professionnels de la santé comprenant des infirmières et d'autres membres du personnel ayant une formation en soins d'urgence.

Une évaluation et des essais rigoureux sont nécessaires afin de déterminer si les centres d'injection en toute sécurité sont adaptés à la situation de Vancouver. Les évaluations porteront sur la conception et la fourniture des services, sur l'accueil de la population cible, sur la qualité du service, sur l'obtention des résultats visés et sur la rentabilité.

Suite à un colloque qui s'est tenu à l'université Simon Fraser le 18 juin, au cours duquel un certain nombre d'experts et de juristes ont fait des communications, le statut légal des centres d'injection en toute sécurité au Canada apparaît bien plus clair. Du point de vue légal, quatre options se présentent pour la mise en place d'un projet pilote de ce type. Les deux premières font appel aux mécanismes existants afin d'obtenir une dérogation par rapport aux lois actuelles. La troisième implique la signature d'accords administratifs et la quatrième une modification de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

Il est important de signaler qu'un centre pilote d'injection en toute sécurité n'enfreindrait aucune des conventions internationales dont le Canada est signataire. D'ailleurs, plusieurs États signataires de ces conventions ont incorporé ces centres à la gamme de leurs services de santé.

• 1010

SIDA Vancouver a particulièrement apprécié la visite du ministre de la Santé Allan Rock, qui est venu le mois dernier à Vancouver pour nous dire qu'il était prêt, en collaboration avec les provinces et les municipalités, à mettre en place des centres pilotes d'injection en toute sécurité.

SIDA Vancouver reconnaît qu'il ne suffira pas nécessairement que l'on démontre les bienfaits sur le plan de la santé de programmes comme ceux qui portent sur l'échange des seringues, la sensibilisation par les pairs, les centres d'injection en toute sécurité et la prescription d'héroïne, pour que la population canadienne en comprenne toute la valeur et toute l'importance. Nous reconnaissons que des considérations politiques ou idéologiques prennent souvent le pas sur les impératifs liés à la santé publique et sur les démarches s'inspirant des résultats fournis par la science.

Il n'en reste pas moins qu'à Vancouver, depuis un an et demi, nous assistons à un débat public animé et approfondi sur les solutions susceptibles d'être apportées aux problèmes de la drogue dans notre ville. Grâce à des initiatives politiques et à la sensibilisation du public, la politique des quatre piliers enregistre un appui toujours croissant dans notre ville. De plus en plus de citoyens commencent à comprendre que non seulement les toxicomanes, leurs familles et les êtres qui leur sont chers vont être les bénéficiaires de ce genre de politique, mais qu'en outre, la mise en place de nouveaux programmes novateurs est susceptible d'améliorer de manière concrète et tangible la situation au sein des collectivités.

Il est temps d'étendre ce débat public à l'ensemble de la population canadienne. Je suis convaincu pour ma part que nous pouvons faire un meilleur travail. Il est temps d'agir.

Au nom de SIDA Vancouver, je vous remercie de m'avoir donné la possibilité d'intervenir ici.

La présidente: Merci.

Je remercie tous les témoins de leurs exposés très bien structurés qui contiennent d'excellents aperçus.

Je suis sûre que nous avons de nombreuses questions à poser. Nous allons faire au moins un tour de table. Nous avons jusqu'à 11 heures. Si une question est posée directement à l'un d'entre vous, il y répondra en premier. Si d'autres intervenants veulent ajouter quelques observations, il leur suffira de me l'indiquer d'un signe de tête ou autrement, et je m'efforcerai de donner suite à leur demande pour qu'il y ait d'autres personnes qui répondent. Ne vous sentez pas obligés de répondre à des questions qui ne vous intéressent pas directement. Nous essayerons ensuite de faire un deuxième tour de table.

Monsieur White, pourquoi ne pas commencer tout de suite, en cinq à sept minutes?

M. Randy White (Langley—Abbotsford, Alliance canadienne): Je vous remercie tous d'être venus. Vos exposés étaient vraiment très intéressants.

J'aimerais poser rapidement une question à John et nous entrerons ensuite dans le vif de notre sujet. John, pensez-vous que la consommation, dans un premier temps, de marijuana, amène plus tard à consommer de la cocaïne ou de l'héroïne?

M. John Turvey: Non. D'ailleurs, je suis favorable à la décriminalisation pure et simple de la consommation de marijuana. Je ne constate tout simplement pas ce genre d'engrenage chez nombre de nos jeunes.

Il est évident que je vois des jeunes qui très tôt consomment des drogues dures, mais bien souvent il y a d'autres facteurs que la marijuana qui jouent un grand rôle dans leur progression vers la toxicomanie, comme les pressions exercées par les pairs, l'exposition au sein de la famille à l'abus de drogues et les traumatismes non résolus dans leur propre vie. Des facteurs de ce type sont bien plus déterminants, ont un rôle bien plus prononcé pour ce qui est de leur propension à consommer des drogues dures.

M. Randy White: Très bien. Je vous remercie.

On entend de nombreux arguments contradictoires dans notre pays sur cette question de la drogue. Certains toxicomanes vont dire exactement le contraire de ce que vous affirmez. Certains vont nous dire qu'il est exclu de mettre en place des centres d'injection en toute sécurité alors que d'autres y sont favorables. Je pense qu'il y a sur toute cette question des ambiguïtés qui font que les gouvernements et nombre d'autres parties prenantes hésitent à intervenir.

Notre comité est chargé de faire des recommandations à la Chambre des communes et, dans ce cadre, il doit s'efforcer de promouvoir une stratégie nationale qui soit efficace dans la rue.

Lorsqu'on envisage une planification à l'échelle du pays, je me demande ce que vous pensez d'un projet qui fait appel à des centres d'injection en toute sécurité, aux traitements de substitution à la méthadone, à la distribution de préservatifs, à l'échange de seringues, aux traitements à l'héroïne, etc. N'oubliez pas que l'on parle ici de lignes de conduite de portée nationale qui s'appliquent indifféremment à des villes comme Abbotsford, Penticton, Prince George, Halifax, Charlottetown, Corner Brook, à Terre-Neuve, etc.

• 1015

J'aimerais savoir si les modèles que vous préconisez essentiellement pour le centre-ville Est de Vancouver peuvent s'adapter à d'autres milieux.

M. Warren O'Briain: Oui, je vais me faire un plaisir de vous répondre.

Tout d'abord, je pense qu'il est important de se souvenir que l'on estime à 100 000 le nombre d'usagers de drogue par injection au Canada. Ils n'habitent pas tous le centre-ville Est de Vancouver et d'ailleurs ils ne sont pas tous en Colombie-Britannique. C'est un problème d'envergure nationale.

Cela dit, j'ai siégé l'année dernière au sein du groupe d'étude des toxicomanies mis en place par le gouvernement de la Colombie-Britannique. Nous avions bien du mal à recommander un ensemble de services susceptibles de s'adapter à la fois à Williams Lake et au centre-ville Est. De toute évidence, il n'existe pas de modèle adapté à chacune des collectivités.

Les recommandations que nous avons faites à l'époque au gouvernement provincial portaient effectivement sur la nécessité de mettre en place une gamme très exhaustive de services tout en sachant que les collectivités locales doivent avoir la possibilité de retenir, compte tenu du choix qui s'offre à elles, si vous voulez, les services qu'elles considèrent comme devant être les plus efficaces au niveau local.

Bien évidemment, l'éventail des services dans le centre-ville Est, ou même dans l'ensemble de la ville de Vancouver, apparaîtra quelque peu différent de ce que l'on pourra trouver dans une petite localité. Notre ville compte la plus forte communauté de toxicomanes au Canada. Nous devons en tenir compte.

Les habitants de Williams Lake, par exemple, n'auront peut-être pas les mêmes problèmes. Nous avons besoin de cette marge de manoeuvre et d'un cadre législatif qui l'autorise.

La présidente: Je vous remercie.

J'ai ensuite Dean et John. Je vais procéder dans l'ordre puisque Dean a demandé à parler en premier.

M. Dean Wilson: Je suis tout à fait d'accord avec Warren, monsieur White. Nous devons permettre à chacune des collectivités d'élaborer ses propres règles. Ce qui est bon pour le centre-ville Est de Vancouver ne l'est plus pour Clearbrook ou Abbotsford, et vice-versa.

J'ai parcouru à de nombreuses reprises notre pays ces deux dernières années et j'ai parlé à des toxicomanes venant de toutes parts, depuis les régions rurales jusqu'aux différents centres-villes. Les réponses sont toujours différentes. De quoi ont-ils besoin?

John nous a dit qu'il n'aimait pas les spécialistes; moi non plus. Les vrais spécialistes, c'est nous. Nous savons ce qui nous convient. Tellement de choses nous ont été imposées de force et tellement d'argent a été gaspillé. On vous disait: «Ne faites pas telle ou telle chose, ça ne donnera aucun résultat». Il faut effectivement accorder une marge de manoeuvre à chacune des collectivités, qui doit décider de ce qui lui convient. Je suis sûr que les collectivités—et cette action leur servira de ciment—agiront comme il se doit.

Une dernière chose au sujet de votre théorie de la pente glissante: je peux vous prouver que la tarte aux pommes est une drogue qui vous met sur une pente glissante.

Je vous remercie.

M. Randy White: En tout cas, c'est certain si l'on vous donne de l'héroïne. N'est-ce pas?

La présidente: John, suivi de Thomas.

M. John Turvey: Oui. Très rapidement, j'étais accroché à l'héroïne alors que je n'avais que 13 ans. J'ai grandi dans la vallée du Fraser dans une région où les gens sont très pieux et c'est là que j'ai commencé à me droguer. Je suis tout à fait conscient du fait que certains programmes vont être appuyés et d'autres non au sein de certaines collectivités.

Je pense qu'il appartient à votre comité de faire des recommandations pour harmoniser les règles à l'échelle du Canada. Il y a au moins une province au Canada où l'on ne retrouve aucun toxicomane suivant un programme de substitution à la méthadone. C'est tout à fait aberrant. Je me rends compte en fait que les politiques établies en matière de drogue au Canada, telles que les mandats d'arrêt sans obligation de renvoyer l'accusé, ont amené des personnes à haut risque à former des ghettos au sein de certaines collectivités.

La population migre dans des localités comme Vancouver, où la police n'a pas l'habitude d'arrêter les simples possesseurs de drogue, par exemple, où l'on retrouve une attitude plus libérale ou plus tolérante. Une étude des toxicomanes du centre-ville Est vous le confirmera. Les gens qui vous disent que cette migration est un mythe ne savent pas de quoi ils parlent.

• 1020

Nous devons compenser les localités qui adoptent des politiques libérales. Il est indispensable d'harmoniser les règles du jeu au Canada. La difficulté pour votre comité, c'est de faire des recommandations qui restent en quelque sorte acceptables pour tous, parce que si l'on ne s'attaque pas de front à des localités comme Vancouver-Nord ou Burnaby, elles vont continuer à mettre la tête dans le sable. Cette population vient d'ailleurs effectivement échanger des seringues à Vancouver. La migration et le regroupement de cette population à haut risque au sein de ghettos jouent un rôle et il serait irresponsable de votre part de ne pas en tenir compte. Il faut donc que vous sachiez à quoi vous attendre.

Il y a une chose à dire au sujet de l'Europe, en plus des projets plus ou moins sophistiqués dont on entend parler, c'est que l'on y a conçu à la base un ensemble complet de services—désintoxication, traitement, programmes de réinsertion, substitution par la méthadone, etc.

Si nous harmonisions simplement nos programmes dans ce cadre, les différents services étant disponibles à la demande dans tout le Canada, je crois que ce serait déjà bénéfique et que ça constituerait un bon point de départ.

Je considère que les inégalités sont criantes à l'heure actuelle au sein des différentes collectivités du Canada. Il y a des inégalités dans le sud-ouest de la Colombie-Britannique et partout ailleurs dans notre pays. Notre population du centre-ville Est en témoigne.

La présidente: Merci, John.

Nous allons donner la parole à Thomas, puis ce sera à Naomi.

M. Thomas Kerr (chercheur en matière de santé, SIDA Vancouver): J'aimerais simplement répondre à la question qui consiste à se demander si nous avons besoin de ces services dans tout le Canada.

À mon avis, il suffit de considérer les dernières statistiques dont nous disposons au sujet de l'usage de la drogue par injection, selon lesquelles il y a environ 100 000 Canadiens qui consomment de la drogue par injection alors que seulement un tiers d'entre eux habitent dans nos trois grandes villes. Il faut alors se demander où habitent les deux autres tiers.

Une étude locale effectuée par Bognar, Legare et Ross au sujet de l'usage de drogue par injection dans le sud-ouest de la Colombie-Britannique a permis de conclure qu'il y avait un petit centre-ville Est dans toutes les localités—des quartiers où l'on a facilement accès à la drogue et où l'on retrouve aussi la pauvreté, la violence et un dysfonctionnement social.

Cela dit, j'ajouterai aussi que j'ai participé l'année dernière à l'étude, effectuée par une équipe de recherche internationale, de 18 centres d'injection en toute sécurité dans trois pays européens ainsi que d'autres services peu contraignants. Nous avons constaté qu'il y avait une énorme marge de manoeuvre au sein même de ces différents services de sorte que la quantité de ressources investies dans les centres d'injection en toute sécurité, par exemple, varie énormément selon l'endroit où ils se trouvent.

La proposition faite par John concernant la mise en place d'un petit centre d'injection en toute sécurité dans les hôtels du centre-ville me paraît en fait une idée fantastique. Ce pourrait être la meilleure façon de dispenser les services dans de bonnes conditions. Cela étant dit, je crois savoir que le responsable provincial des services de santé de la Sunshine Coast a récemment proposé l'installation dans ce secteur de centres d'injection en toute sécurité, qui lui paraissaient indispensables.

De quoi avons-nous donc besoin en l'espèce? Est-ce qu'il nous faut 15 centres d'injection en toute sécurité de 20 places chacun? Non. Ce dont nous avons besoin, toutefois, c'est d'une petite salle comportant quatre sièges pour que les gens puissent venir se faire une piqûre sous la supervision d'un personnel médical.

Il est certainement possible d'utiliser ces services de manière souple, à une échelle réduite dans les petites localités, et à grande échelle dans les grandes villes.

Vous avez indiqué qu'il semblait y avoir de grandes divergences au sujet de tous ces services au Canada. En ce qui me concerne, le problème est délicat étant donné que lorsque je parle aux spécialistes—et j'entends par spécialistes d'anciens toxicomanes, des gens qui dispensent des services ou les principaux responsables des études menées sur la question—j'ai l'impression que l'accord est général.

Là où il y a des divergences, c'est au niveau des différents groupes d'intérêt représentant une petite communauté. Ainsi, dans le centre-ville Est, nous avons la Community Alliance. Où se situe le désaccord? Eh bien, on nous dit, par exemple, que l'échange des seringues ne donne aucun résultat. C'est l'une des affirmations de ce groupe.

Doit-on considérer cela comme une divergence éclairée? Je répondrai par la négative. Il n'y a aucune divergence parmi les chercheurs concernant l'utilité des programmes d'échange de seringues. Il suffit de consulter l'ensemble des analyses faites dans le monde pour savoir quelle est l'utilité des programmes d'échange des seringues. Plus personne ne se pose aujourd'hui la question, et pourtant nous avons de petits groupements d'intérêt communautaires qui font appel à leurs ressources pour s'engager dans des activités de sensibilisation qui trompent en fait le public.

Donc, même s'il y a des divergences et si le débat s'engage sur certains points, je vous avoue franchement que je ne peux pas dire que ce soit un débat bien informé. Je vous conseille d'aller voir ce que tout le monde dit dans des documents comme Reducing the Harm Associated with Injection Drug Use, et vous verrez que les spécialistes sont en fait bien d'accord entre eux.

• 1025

La présidente: Merci, Thomas.

Naomi.

Mme Naomi Brunemeyer: Je ne m'étendrai pas sur la coordination des soins et sur le fait d'accorder aux collectivités la possibilité de définir leurs propres stratégies de traitement, parce que je considère que l'on a fait le tour de la question. Je ne pense pas, toutefois, que l'on puisse se contenter d'adopter une loi sur les traitements dispensés sans faire une campagne active de sensibilisation du public. Je suis donc restée un peu sur l'impression que votre question évoquait en partie la résistance des différentes collectivités face à ce genre d'initiatives.

Je pense que cela doit être le résultat d'une initiative politique nationale, de la participation de la Chambre des communes et de la conviction chez les gens que ces stratégies sont efficaces. Il faut que ça se répande dans toute la société à partir d'un cadre national. Je considère qu'il est tout à fait indispensable que les responsables politiques se mettent de la partie, fassent leur travail et reconnaissent publiquement que ces initiatives donnent des résultats afin que tout cela se transmette finalement aux collectivités locales.

La présidente: Merci, Naomi.

Merci, monsieur White. Nous allons maintenant donner la parole à Mme Davies.

Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Merci, Paddy.

Je remercie tout le monde d'être venu ce matin. Vous avez tous fait d'excellents exposés et je sais que chacun d'entre vous est fortement impliqué en première ligne auprès des toxicomanes qui consomment de la drogue par injection. Je sais que vous avez déjà pris part à un nombre considérable d'audiences et de conférences et que vous avez consulté toutes les études, mais il est vraiment important que vous soyez là aujourd'hui pour parler à notre comité, et je suis très heureuse que vous l'ayez fait.

Nous avons beaucoup discuté et débattu de la politique des quatre piliers et je pense que vous l'avez tous mentionné aujourd'hui sous une forme ou sous une autre. J'aimerais signaler à ceux qui y sont favorables que nous avons en fait un nouvel allié dans cette campagne.

Le vérificateur général du Canada a publié hier son rapport et, au chapitre 11...

La présidente: La vérificatrice générale.

Mme Libby Davies: Excusez-moi, la vérificatrice générale. Au chapitre 11, qui traite des drogues, elle a déclaré que la stratégie canadienne en matière de drogues exigeait une intervention équilibrée dans quatre domaines: le contrôle et la répression, la prévention, le traitement et enfin la réhabilitation et la réduction des dommages, ajoutant qu'en dépit des exigences impliquées par cette politique, cet équilibre n'a pas été défini et que 95 p. 100 des 500 millions de dollars dépensés chaque année par le gouvernement fédéral sont consacrés à la répression.

Elle ajoute ensuite précisément: «Assurons-nous que nos investissements sont efficaces lorsque nous nous efforçons de remédier à ce problème».

Ce rapport vient de sortir hier et je pense qu'il prouve là encore qu'en dépit des bonnes intentions exprimées par le Canada dans ses stratégies de lutte contre la drogue, on n'a pas mis en oeuvre une politique équilibrée et on a trop mis l'accent sur la répression, ce qui me ramène à notre débat d'aujourd'hui.

J'ai rendu visite samedi à une installation pilote d'injection en toute sécurité et j'ai trouvé l'expérience tout à fait étonnante pour une simple raison—tout était si simple. Nous parlons là d'un service qui ne coûte pas grand-chose. J'ai trouvé très instructif de parcourir la salle en compagnie de Fiona, l'infirmière spécialiste de la santé publique, qui m'a exposé la procédure par laquelle devaient passer les gens. C'est un service à très petit budget qui est pourtant terriblement efficace. Je ne peux pas comprendre qu'on ne puisse pas y avoir recours. Ça paraît tellement évident.

Nous sommes tous en faveur de la politique des quatre piliers et nous nous sommes tués à recommander la fourniture d'un traitement à la demande, d'un traitement accessible aux usagers, parce que bien des installations de traitement ne sont pas accessibles. Nous avons parlé de tout cela et pourtant, je me pose des questions, parce que dans un monde parfait, tout progresserait en même temps. Notre politique serait équilibrée et tout avancerait comme prévu. Mais ce n'est pas ainsi que va le monde, nous le savons. Il y a des choses qui vont plus vite que d'autres.

J'ai l'impression que si nous pouvions mettre en place un centre d'injection en toute sécurité, par exemple, compte tenu du témoignage que vous nous avez donné aujourd'hui, qui prouve que ces centres s'harmonisent avec d'autres services de traitement peu contraignants, ça pourrait en fait nous motiver et nous pousser—nous obliger—à dispenser un traitement à la demande, par exemple, parce que l'on pourrait ainsi entrer en contact avec les intéressés.

Certains d'entre vous nous ont dit, je pense, que c'est ainsi que les choses s'étaient passées à Francfort. C'est le centre d'injection en toute sécurité qui finalement a poussé la demande et a entraîné la mise en place des ressources s'appliquant à différents modèles de traitement et à des services accessibles.

Je retourne donc tout cela dans ma tête en me disant qu'on peut toujours attendre que tout soit parfaitement en place pour agir sur tout l'éventail des services, mais il m'apparaît que ce dont on a le plus besoin à l'heure actuelle, c'est d'une intervention peu contraignante. Cela pourrait en fait nous obliger à fournir les ressources correspondant aux autres services nécessaires. Je me demande ce que vous en pensez. Comment voyez-vous la chose?

• 1030

La présidente: Nous allons commencer par Dean.

M. Dean Wilson: Il y a une chose qui est particulièrement intéressante. Je parlais à Werner Schneider, le tsar de la politique de la drogue à Francfort. Je l'ai rencontré il y a des lunes. Il m'a signalé que le centre-ville Est disposait en fait de plus de services à l'heure actuelle que n'en avait Francfort lorsqu'elle a mis en place ses premiers centres de contact en matière de santé.

Je pense qu'il s'agit de faire en sorte que tout le monde pousse à la roue et que cessent les petites querelles de clocher. Ces compressions budgétaires ont isolé tout le monde, chacun s'efforçant de sauver son propre budget. Nous devons exiger que tout le monde rende des comptes et collabore. Il y a des prés carrés dans le centre-ville Est, mais c'est dû à la pénurie de dollars, et il faut payer aujourd'hui si nous ne voulons pas avoir à payer plus tard. Je pense qu'il est temps de se demander qui doit rendre des comptes, quels sont les résultats obtenus, et agir ensuite en finançant les gens concernés.

Vous l'avez dit, on ne parle pas ici de haute technologie. Il s'agit d'une salle avec quelques chaises, quelques personnes compétentes, un endroit pour s'injecter de la drogue en toute sécurité. C'est tout. Je pense que nous pouvons commencer à donner une forme à ces installations. D'excellents services sont dispensés à l'heure actuelle et nous en avons d'ailleurs ici même des représentants autour de cette table.

Je pense donc qu'il est temps de nous mettre sur la même longueur d'onde, de collaborer les uns avec les autres et de lancer un certain nombre de ces projets qui apparaissent controversés. Une fois que ce sera fait, j'estime que nous obtiendrons un magnifique résultat.

Nous nous contentons de répéter, vous l'avez mentionné, qu'il faut mettre telle ou telle chose en place, que ce mécanisme doit figurer ici et cet autre-là. Tous les mécanismes sont en place. Il nous faut maintenant y ajouter une ou deux mesures controversées.

Les Instituts de recherche en santé du Canada ont très bien fait savoir qu'ils allaient financer les premiers essais de Naomi, au sujet de l'héroïne. Je pense qu'une salle de consommation présentant toutes les garanties de sécurité, un programme étendu d'échange de seringues... John et Judy ont fait un magnifique travail de livraison à domicile. Nous devons nous mettre à penser en sortant de nos petites cases et passer à l'action.

Je pense que nous réussirons à surmonter les difficultés, c'est incontestable.

La présidente: Avant de passer la parole à John, il serait peut-être bon que je rappelle à tout le monde dans cette salle, y compris aux journalistes, qu'il leur faut débrancher leurs téléphones cellulaires. Ce serait préférable pour tout le monde.

John.

M. John Turvey: Nous avons lancé en 1988 le premier programme d'échange de seringues et, à l'époque, le principal responsable des services de santé de la ville de Vancouver, John Blatherwick, m'a garanti qu'il avait conféré avec les politiciens de la province et que les services de traitement adaptés seraient disponibles. Heureusement que je n'ai pas retenu mon souffle depuis 1988.

Nous administrons le centre de désintoxication des jeunes dans le centre-ville Est de Vancouver. Ce centre s'adresse aux jeunes de 24 ans et moins. Chaque fois que nous en acceptons un, nous en refusons 38 autres.

Dean a tout à fait raison. Allez dans la rue et vous constaterez ce que j'appelle une surcharge des services en première ligne. Est-ce que les collectivités ont vraiment la capacité d'assurer la transition en faisant passer les gens de la rue à un centre de désintoxication puis à un centre de traitement pour les réintégrer éventuellement au sein de leur collectivité d'origine? Non, ce n'est pas possible, et pour un certain nombre de raisons.

Pour commencer, il n'y a pas de bons services de traitement dans la province à la disposition des personnes à haut risque et qui ont des besoins divers. Les femmes sont vraiment les laissées pour compte pour ce qui est de la quantité des services. Elles n'existent pas. C'est la même chose pour les enfants. Je ne pense pas que nous nous soyons dotés au niveau régional de suffisamment de ressources dans notre province pour qu'une fois que les gens sont passés par les centres de désintoxication et de traitement... Bien souvent ils se retrouvent dans le centre-ville Est, ce qui facilite la reprise des mauvaises habitudes.

Je considère donc qu'il y a bien des choses que nous pourrions faire dès à présent. Les gens doivent bien comprendre qu'il y a très peu de projets positifs s'adressant à ce groupe cible qui ne permettraient pas de sauver des vies. Depuis les consultations de jour jusqu'à la fourniture de bons repas en passant par la distribution de préservatifs ou d'échange des seringues, depuis les centres d'injection jusqu'aux traitements de substitution à la méthadone en passant par les centres de désintoxication et la fourniture de logements, il y a là un potentiel considérable qui est susceptible de sauver bien des vies.

• 1035

Je considère qu'il nous faut arrêter de penser que certains programmes sont la panacée. Il faut considérer la chose dans son ensemble, c'est ma conviction.

Les politiciens adorent les centres d'injection. Ils adorent les programmes d'échange de seringues. Gordon Campbell était le maire de notre ville lorsqu'il a financé le premier centre d'échange de seringues au Canada. Ça paraissait une bonne chose. C'était une bonne chose. On a trop tendance à présenter au public la dernière nouveauté comme si c'était la huitième merveille du monde.

On peut toujours monter en épingles certaines initiatives par rapport à l'ensemble des soins. Si nous voulons avoir une véritable continuité des soins entraînant une réduction des dommages—ce qui englobe l'échange des seringues, les centres d'injection, la fourniture d'héroïne, la substitution par la méthadone—il nous faut partir de ce que nous avons et avancer en même temps sur tous les fronts.

Je vous remercie.

La présidente: Merci, John.

Warren.

M. Warren O'Briain: Tout d'abord, en lisant le chapitre du rapport publié hier par Sheila Fraser, je me félicite de voir que quelqu'un aborde cette question sous l'angle financier. Je vous demande si vous connaissez un autre programme du gouvernement fédéral offrant 500 millions de dollars de crédits par an avec si peu de résultats tangibles?

[Note de la rédaction: Inaudible]

Une voix: ...

La présidente: C'est en fait pour lui faciliter la tâche au sujet de Sheila Fraser.

M. Warren O'Briain: C'est affolant.

J'ai entendu quelqu'un se demander, lors d'une entrevue faite par Radio-Canada, comment on peut expliquer les centres d'injection en toute sécurité aux pêcheurs de la côte est. Eh bien je me demande comment les gens peuvent expliquer un programme de 500 millions de dollars par an qui produit si peu de résultats tangibles compte tenu de la situation financière actuelle. Je pense que ce serait un véritable défi, dans mon quartier tout au moins.

Pour reprendre votre argument, Libby, est-ce qu'indépendamment des centres d'injection présentant toutes les garanties de sécurité, la gamme des services peu contraignants mis en place dans d'autres pays ont entraîné l'apparition de nouveaux programmes mieux adaptés? Si j'en juge par les résultats de la visite d'une semaine que j'ai faite à Francfort l'année dernière en compagnie de Dean et de Thomas, d'un représentant de la police de la ville de Vancouver, d'une infirmière psychiatrique et d'une infirmière spécialiste de la santé publique, oui, c'est bien le cas. Ils entraînent effectivement la création de nouveaux services, c'est ce qui ressort de l'expérience de Francfort. La mise en place de services peu contraignants pour essayer de remédier à ce terrible spectacle de l'injection dans la rue, qui a été jugé comme un facteur d'incitation amenant les jeunes à se lancer au départ dans la consommation de drogue par injection—c'est la pente glissante selon vous... Lorsqu'on voit tant de gens s'administrer des drogues par injection en public et tous les drames que cela représente, cela incite en fait à mettre en place de meilleurs services en amont.

Nous nous plaisons à signaler aujourd'hui à quel point les services sont exhaustifs à Francfort et dans d'autres villes. C'est effectivement le cas. C'est assez étonnant, mais ce n'est pas parfait. C'est loin d'être parfait. Je vais illustrer la situation par un exemple qu'a évoqué John dans son exposé. À Francfort, les responsables n'ont toujours pas réussi à régler le cas de gens qui ont de multiples toxicomanies et qui souffrent de problèmes psychiatriques graves.

Lorsque nous étions là bas, la police, les éducateurs, les personnes chargées de coordonner la lutte contre la drogue, les responsables de la santé publique et les dirigeants politiques de la ville nous ont dit à quel point ces services peu contraignants avaient mis en relief leur incapacité à régler cette question à l'aide de l'hospitalisation et de services d'évaluation et de soins psychiatriques.

C'est une population qui a été laissée complètement de côté. Il faut avouer que cette initiative pluridisciplinaire entreprise par le gouvernement à plusieurs niveaux a amené les responsables tant bien que mal, à essayer de faire en sorte que les services d'hospitalisation et de soins psychiatriques soient à la hauteur et puissent répondre efficacement à la situation des personnes ayant des handicaps multiples.

Sinon, le problème n'aurait jamais été décelé. Sinon, il n'y aurait jamais eu un débat public, un discours public, la mise en oeuvre d'une politique publique, si la mise en place de services peu contraignants n'avait pas permis à des gens fiables de sonner l'alarme et de dire qu'il manquait telle ou telle catégorie de services dont toute la ville avait besoin.

La présidente: Merci, Warren.

Earl.

M. Earl Crow: Je dois dire que je suis ni un politicien, ni un chercheur. Je ne suis pas un fonctionnaire de la santé. Je suis un toxicomane de la rue. J'ai entendu bien des choses ici que l'on entend répéter année après année. C'est toujours la même chose. On se perd en discours alors que les gens continuent à mourir.

• 1040

L'hôpital St. Paul est encore plein. Il n'y a pas de lit à St. Paul. Mes frères et soeurs y sont hospitalisés parce qu'ils ont la tuberculose. Il faut que toutes ces questions soient évoquées, et c'est une très bonne chose que vous soyez ici aujourd'hui pour les entendre. Est-ce que cela débouchera sur des résultats, je n'en sais rien.

Je suis convaincu, cependant, que le quartier du centre-ville Est est bien particulier. Il y a des raisons à cela. L'hôpital ferme et tous ces patients doivent se replier sur le centre-ville Est. Là, ils prennent aussi l'habitude de prendre de la drogue. Je considère donc que la situation est bien particulière sur ce plan.

On parle beaucoup de centres d'injection en toute sécurité et de programmes de distribution d'héroïne, et je pense qu'il faut que ces programmes soient mis en place. Il y a des gens qui meurent tous les jours.

On nous parle des quatre piliers. Cela fait un grand sujet d'étude dont on peut lire des pages et des pages. Le seul pilier qui est visible dans le centre-ville Est, c'est celui de la répression. On ne devrait pas faire la guerre aux toxicomanes ou aux usagers. C'est du point de vue de la santé qu'on doit considérer le problème, car mes frères et mes soeurs meurent tous les jours dans ce quartier. Il y a des filles de 15 ans qui travaillent dans la rue. Étant donné qu'elles sont accrochées à l'héroïne, elles font des passes aux hommes à 10 $. Il faut que cela cesse. Ce ne sont pas des camées ou des traînées. Ce sont des personnes.

C'est tout.

La présidente: Merci, Earl.

Naomi.

Mme Naomi Brunemeyer: Je veux revenir sur la raison pour laquelle les centres d'injection en toute sécurité peuvent être un bon point de contact dans un premier temps pour les toxicomanes. À mon avis, c'est une chose à laquelle on peut penser, mais on n'a pas vraiment pris de mesures. On peut difficilement contacter ces personnes par courrier. On ne peut pas les joindre au téléphone. Elles n'ont pas d'adresse fixe. Ce sont des itinérants. Il faut qu'il y ait un lieu où elles puissent se rendre pour que nous puissions traiter tous leurs autres problèmes. Il n'est pas facile de les joindre. La BCPWA compte 3 600 membres et je suis effectivement en mesure de faire parvenir par courrier qu'à 1 900 d'entre eux une revue les informant des traitements existants. Les autres sont perdus dans la nature. Lorsqu'ils arrivent dans un centre d'injection offrant toutes les garanties de sécurité, l'usager de drogue se sent effectivement chez lui et c'est pourquoi on peut s'en servir de tremplin pour offrir d'autres types de services. Il se fait là un premier contact qui permet ensuite d'assurer la continuité des soins.

La présidente: Merci, Naomi.

J'ai Thomas, John et Dean sur ma liste. J'espère que ce sera tout.

M. Thomas Kerr: Je vais faire une ou deux observations concernant les services faiblement contraignants. J'aimerais vous faire part de certaines statistiques recueillies en Suisse. Les Suisses se sont penchés sur le domaine d'application de leur régime de soins alors qu'ils avaient un certain nombre de services que l'on peut qualifier de moyennement ou fortement contraignants, tels que les traitements faisant appel à l'abstinence, par exemple. Ils se sont demandés combien d'usagers actifs de la drogue ils touchaient effectivement grâce à ces services. Ils se sont dit, quel est le pourcentage de toxicomanes que nous pouvons toucher? Ils ont conclu qu'ils touchaient environ 20 p. 100 de la population concernée. Aux É.-U., ce pourcentage est plus faible. Il est de quelque 5 p. 100.

On peut alors se demander ce que l'on fait pour réduire les dommages causés aux 80 à 95 p. 100 restants. En l'absence de services faiblement contraignants, je pense que nous ne faisons pas grand-chose.

Lorsque les Suisses ont ajouté à leurs services moyennement et fortement contraignants toute une gamme de services peu contraignants, notamment des lieux supplémentaires d'échange de seringues, des activités de sensibilisation, dont se charge actuellement l'organisation de John Turvey, d'autres centres d'injection en toute sécurité ainsi que l'échange des seringues au sein des prisons, ils se sont aperçus qu'ils étaient en mesure de contacter presque tous les usagers consommant activement de la drogue.

La mise en place de services faiblement contraignants a eu une autre conséquence très intéressante en ce sens qu'elle a effectivement entraîné une augmentation, de 20 à 55 p. 100, du nombre de personnes prises en charge par des services moyennement ou fortement contraignants, dans le cadre des programmes faisant appel à l'abstinence. Par conséquent, non seulement ces services contribuent à faciliter les contacts avec toutes ces personnes auxquelles on n'a actuellement pas accès, mais en outre, les statistiques nous révèlent qu'on peut ensuite les orienter vers toute une gamme de services supplémentaires. Si nous voulons vraiment pouvoir aider ces personnes à suivre un traitement, il nous faut ces services faiblement contraignants. Je pense que les statistiques le démontrent.

• 1045

Pour ce qui est des centres d'injection en toute sécurité, je suis absolument d'accord avec John. Je crois qu'il est très pernicieux de faire d'un service quelconque une panacée. Nous avons vraiment besoin de toute la gamme des services. Même si j'ai participé activement aux recherches menées sur les centres d'injection en toute sécurité et si j'ai fait la promotion de leur installation, je ne dis pas que c'est la huitième merveille du monde et que tous nos problèmes vont disparaître comme par enchantement.

Cela dit, pourquoi ne pas mettre en place dès maintenant un centre d'injection en toute sécurité? Je pense que ce serait une bonne chose pour plusieurs raisons. Étrangement, l'une de ces raisons m'est apparue ce matin alors que j'écoutais parler mes collègues. Je pense que l'installation d'un centre d'injection présentant toutes les garanties de sécurité contribuera véritablement à faire évoluer le climat social dans le centre-ville Est et dans d'autres collectivités où l'on voit des gens consommer de la drogue dans la rue.

Quel va être le phénomène? À l'heure actuelle, on voit dans ces collectivités des toxicomanes se droguer dans la rue. Ils occupent des bâtiments entiers. On les voit dans les allées et l'on trouve partout des seringues qui ont été jetées. Paradoxalement, alors qu'à l'origine on a mis en place en Europe les centres d'injection en toute sécurité pour éviter les surdoses mortelles et la contamination par le VIH, les 18 installations que nous avons étudiées en Europe ont eu systématiquement pour résultat de faire baisser le nombre de personnes s'injectant de la drogue en public.

Je considère que la collectivité et que les toxicomanes ont tout à gagner à la mise en place de centres d'injection en toute sécurité. Ils aident les toxicomanes à se procurer les soins de santé dont ils ont besoin tout en les éloignant de la rue et en renforçant la sécurité de nos collectivités. Que font les collectivités à l'heure actuelle lorsqu'elles voient des toxicomanes s'injecter de la drogue en pleine rue? Elles demandent que l'on renforce les services policiers afin d'écarter ces indésirables, qui gênent le commerce. Nous savons tous, cependant, que ce n'est pas une solution et qu'il nous faut trouver d'autres moyens de remédier aux préoccupations de la collectivité. Je pense que la mise en place d'un certain nombre de centres d'injection en toute sécurité contribuera à remédier au problème parce que la consommation de drogue en public diminuera.

Il nous faut aussi, à mon avis, envisager la mise en place d'un centre d'injection en toute sécurité pour une autre raison, en l'occurrence parce qu'il s'agit là d'un mécanisme qui apporte une réponse immédiate et très efficace au problème des surdoses. Il est évident que nous faisons face ici à de grosses difficultés. Des centres d'injection en toute sécurité ont été mis en place dans les villes européennes lorsqu'on s'est mis à enregistrer une centaine de surdoses. Les responsables ont considéré que le problème était grave. Ils considéraient que les morts par surdose étaient des décès évitables et qu'il fallait une intervention radicale des pouvoirs publics. Nous en sommes en moyenne à plus de 300 surdoses par an depuis 1996, et on n'a rien fait. Les centres d'injection en toute sécurité sont d'ailleurs classés dans le cadre de la politique nationale de la drogue comme des mesures d'aide à la survie, et j'invite les membres de votre comité à les examiner sous cet angle.

La présidente: Merci, Thomas.

John.

M. John Turvey: Je pense que nous n'avons jamais été aussi bas depuis trois ans en terme de surdoses et il est possible que cette année, pour la première fois depuis des lunes, nous n'atteignons pas les 100 morts par surdose à Vancouver. Je vais vous laisser ce rapport, qui vous donne toutes les statistiques.

C'est tout ce que j'avais à dire.

M. Dean Wilson: J'aborderai rapidement une ou deux questions.

Je tiens tout d'abord à rappeler à tout le monde que le centre-ville Est est à l'origine des épidémies qui se propagent ensuite dans tout le Canada, notamment dans les réserves et au coeur d'autres villes. Lors de la conférence sur la réduction des dommages qui a eu lieu l'année dernière à Calgary, on a révélé que la principale raison expliquant qu'une personne soit séropositive ou sidatique à Calgary était le fait qu'elle ait habité au cours des six mois antérieurs dans le centre-ville Est de Vancouver.

En second lieu, la ministre de la justice, Mme McLellan, a dégagé l'année dernière 100 millions de dollars de crédits dans le cadre de la stratégie censée lutter contre la drogue. Le jour suivant, 95 millions de dollars ont été prélevés sur cette somme pour être affectés à ces tribunaux de la drogue qui ne servent qu'à épater la galerie. On est toujours dans la répression.

Il faut aller là où se trouvent les gens. Il faut aller chercher ces 80 p. 100 et les faire participer.

Je vous remercie.

La présidente: Merci, Dean et merci à chacun d'entre vous.

La parole est maintenant à M. LeBlanc.

M. Dominic LeBlanc (Beauséjour—Petitcodiac, Lib.): Merci, Paddy.

Je vais reprendre en quelque sorte les paroles employées par Libby. Vous nous avez tous présenté des exposés très intéressants et particulièrement précieux pour moi-même comme pour tous les autres membres du comité. J'apprécie le fait que vous ayez pris le temps de venir nous rencontrer et de nous parler avec une telle franchise. C'est un sujet que j'apprends à connaître autour de cette table et grâce à mes lectures. Il ne m'était pas particulièrement familier avant mon élection et avant que je siège au sein de ce comité. J'apprécie particulièrement le temps que vous avez consacré à la question ainsi que votre honnêteté et votre compétence.

Je vais faire un peu comme Stephen Owen, Paddy. Stephen Owen, un de nos collègues, est venu lundi poser toute une série de questions à chacun des intervenants. J'inviterai cependant tous ceux d'entre vous qui veulent ajouter quelque chose à ne pas hésiter à le faire.

• 1050

Les sites d'injection en toute sécurité... Vos exposés m'ont appris beaucoup de choses. Nous devons continuer à définir ce problème sur le plan de la santé pour ne pas en faire un sujet de répression. L'une des difficultés, dans ce domaine, c'est que les centres d'injection en toute sécurité deviennent la marotte des médias; les gens qui ne connaissent pas grand-chose au sujet—et je n'oublie pas de me placer dans cette catégorie—en font leurs choux gras parce qu'ils sont spectaculaires.

Quant à la continuité des soins que vous avez évoqués, il y a là une façon d'élargir le débat et l'on peut espérer que nous réussirons à jouer un rôle. Ces centres d'injection sont le premier point de contact pour procéder à des consultations médicales et renvoyer les gens devant d'autres services, si l'on comprend bien le dispositif. Lorsqu'on entend parler d'un centre d'injection en toute sécurité, on a tendance à penser que c'est tout ce que l'on y fait—superviser des injections de drogue en toute sécurité—alors que vous avez réussi dans vos exposés à élargir le débat et à nous démontrer jusqu'à quel point ces centres s'insèrent dans la continuité des soins.

En parlant aux gens hier soir, on a pu constater à nouveau que la continuité des soins semble s'interrompre en chemin—le manque de lits dans les centres de désintoxication, le manque d'espaces dans les programmes de réinsertion, les 36 personnes qui sont refusées chaque fois que l'on en accepte une. C'est une chose qui m'inquiète en ce sens que l'on pourrait se retrouver, avec toute la meilleure bonne volonté du monde, avec un centre d'injection en toute sécurité ne permettant aucunement de renvoyer ces gens devant d'autres services. C'est le problème, si l'on ne fait rien de plus que d'installer des centres d'injection en toute sécurité.

J'aimerais savoir si, selon vous, cette description est exacte. Que va-t-il se passer une fois que ces personnes vont entrer dans ces centres? Comment va-t-on pouvoir les aider? Plus précisément, que doit faire notre gouvernement national?

Il vous faut bien voir que le gouvernement national n'a qu'un rôle limité dans la fourniture des services de santé. Les provinces—et notamment les provinces comme le Québec—protègent très jalousement leur droit de dispenser tous les services de santé. Je considère pour ma part que c'est une erreur. À mon avis, le gouvernement national devrait faire davantage.

Que peut donc faire précisément le gouvernement fédéral pour contribuer à renforcer la continuité des soins et s'assurer qu'il y a bien en fait une continuité et non pas une confusion bureaucratique?

J'ai une question très précise à poser. Naomi, vous nous avez parlé des prisons et de la disponibilité de la méthadone dans les prisons. J'ai rendu visite à une prison du Nouveau-Brunswick où l'on a pu voir des détenus suivre des programmes de substitution à la méthadone. Nous allons aller dans une prison demain. Je serais curieux de savoir si vous disposez de statistiques sur les détenus traités éventuellement à la méthadone dans les prisons et aussi sur les détenus séropositifs ou sidatiques dans les prisons fédérales. J'ai l'impression qu'il y a là une statistique assez alarmante, la cause étant essentiellement le partage des seringues au sein des établissements. Je serais curieux de savoir ce que vous en pensez.

Par ailleurs, John, vous nous avez parlé des profiteurs qui ont des motivations financières. J'ai trouvé la chose intéressante. Le centre-ville Est—j'y suis allé à deux ou trois reprises, et hier soir nous l'avons parcouru en voiture pour assister à différentes manifestations. Ce n'est pas un endroit que je connais bien dans notre pays, je l'avoue volontiers. Nous y allons ce soir, et je suis impatient de le faire.

Pouvez-vous nous donner rapidement le profil de sa population? Vous nous avez donné l'exemple des demandeurs de statut de réfugié qui font du trafic de drogue. Avez-vous une idée du profil démographique de ce quartier et des profiteurs que l'on y retrouve pour des raisons financières? J'ai été très intrigué par le fait que des propriétaires d'entreprises peuvent venir profiter de la drogue.

Voilà donc toute une série de questions. Excusez-moi de procéder ainsi, mais j'ai particulièrement apprécié vos exposés.

La présidente: Je vous remercie.

Il est probable que presque tout le monde voudra intervenir, mais j'ai John en premier sur ma liste.

Après John, ce sera Dean, suivi de Earl, qui voulait répondre à la première question, nous pourrions éventuellement...

John, vous pouvez aborder toutes les questions que vous voulez.

M. John Turvey: Sur le plan des contacts, notre programme d'échange de seringues permet de faire littéralement des dizaines de milliers de renvois devant d'autres services. On a cherché à un moment donné à étudier le programme d'échange des seringues, mais on n'a pas pu trouver un échantillon suffisamment large de non-utilisateurs du programme d'échange de seringues.

Pour en revenir à ce qui s'est passé il y a quelques années lorsque l'épidémie de séropositivité s'est répandue dans toute notre collectivité, il faut apporter une certaine lueur d'espoir aux personnes pour qu'il puisse y avoir une réduction des dommages causés. Si l'on enlève toute lueur d'espoir aux personnes et toute perspective dans leur vie, l'engagement en faveur de la réduction des dommages est radicalement réduit. Les gens ne vont plus traverser la rue pour aller chercher une seringue; ils partagent celle de quelqu'un d'autre. On voit apparaître ce genre de phénomène.

• 1055

Ce que l'on a pu voir alors... Il y a eu à un moment donné des gens qui ont effectivement avoué à la presse qu'ils s'étaient eux-mêmes délibérément contaminés avec le VIH simplement pour toucher les prestations. Les choses se sont passées ainsi, toutefois, parce qu'il n'y avait tout simplement aucune lumière au bout du tunnel pour ces personnes. Elles n'avaient plus aucun objectif à atteindre, rien pour résoudre les problèmes posés par leur toxicomanie.

C'est une chose dont il faut nous assurer, il nous faut apporter une lueur d'espoir dans le cadre de cette opération. Sinon, la réduction des dommages tournera en eau de boudin. Ça ne peut tout simplement pas marcher si les gens ne ressentent pas une certaine satisfaction en le faisant.

Nous devons aussi nous assurer de mettre en place un système accueillant pour les toxicomanes, qui soit sensible à leurs besoins et qui permette de les prendre en charge dans des établissements fonctionnels de désintoxication et de traitement. Ce sont des facteurs importants en ce qui me concerne.

Les profiteurs ayant des motivations financières...

La présidente: En fait, John, puis-je vous interrompre? Pourrions-nous passer aux deux autres témoins pour ce qui est de l'échange des seringues et revenir ensuite à vous sur la question des profiteurs ayant des motivations financières?

M. John Turvey: Oui, bien sûr.

M. Dean Wilson: J'aimerais en fait vous répondre sur un ou deux points, monsieur LeBlanc.

On se demande ce que peut faire le gouvernement fédéral. Il peut exiger, en retenant les paiements de transfert relevant des dispositions de la Loi canadienne sur la santé, que les provinces fassent finalement leur travail. J'en ai par-dessus la tête. Alors que nous parlons, les gens continuent à mourir.

Les responsables de la stratégie canadienne sur la drogue ainsi que nos municipalités se sont entendus sur un cadre d'action efficace. Pourtant, que fait-on? Nous engageons 80 policiers supplémentaires, ce qui représente 8 millions de dollars de crédits. Avec les 8 millions de dollars qui ont été absorbés par ces 80 policiers, je pourrais administrer un centre d'injection en toute sécurité et rajouter dix lits de désintoxication et probablement 50 lits de traitement.

En second lieu, je ne veux couper l'herbe sous les pieds de personne ici, mais il faut que dans les prisons fédérales on se décide à adopter le programme de substitution à la méthadone à deux niveaux. En Colombie-Britannique, aux termes de la Loi sur le service correctionnel de la C.-B., on peut en fait entreprendre de suivre un programme de substitution à la méthadone dès que l'on est incarcéré. On ne peut pas le faire dans une prison du réseau fédéral. Parmi les détenus qui ont été incarcérés pendant deux ans ou plus dans une prison de la Colombie-Britannique, 30 p. 100 sont séropositifs après leur incarcération et 100 p. 100 ont l'hépatite C.

Il nous faut nous mettre à administrer des programmes d'échange de seringues au sein de notre système correctionnel, tant fédéral que provincial, et il nous faut adapter le programme de substitution à la méthadone à deux niveaux au sein des prisons fédérales.

La présidente: Je vous remercie.

Earl.

M. Earl Crow: Vous nous avez parlé des centres d'injection en toute sécurité et des renvois devant des services de traitement et de désintoxication, mais nous n'avons pas à l'heure actuelle ces centres d'injection. Nous avons bien des services de traitement et de désintoxication, mais ils ne donnent pas de bons résultats, ou alors uniquement pour une petite minorité de gens. Une fois qu'ils ont passé la porte, à la sortie du service de désintoxication ou de traitement, ils sont replongés au sein d'une société pour laquelle ils ne sont pas prêts. Ils n'ont pas le niveau d'instruction leur permettant de retrouver un emploi. On ne fait aucun suivi à leur sujet, et ils se retrouvent dans la rue. C'est pourquoi un toxicomane va parfois devoir suivre 11 stages d'abstinence avant d'abandonner définitivement la drogue.

Donc, pour l'instant, nous n'avons pas de centres d'injection en toute sécurité, mais nous avons effectivement des services de traitement et de désintoxication, qui ne donnent aucun résultat.

La présidente: Très bien.

J'ai maintenant sur ma liste Warren et Thomas, qui souhaitent évoquer cette question.

M. Warren O'Briain: Je suis inscrit sur la question qui a trait au gouvernement fédéral. C'est bien ce dont nous parlons?

La présidente: Oui, c'est bien ça.

M. Warren O'Briain: Très bien.

Je considère que le gouvernement fédéral a un énorme rôle à jouer. Je comprends bien vos arguments au sujet de tout ce qui entoure la répartition des pouvoirs. Laissez-moi vous donner quelques précisions...

Il y a tout d'abord cette idée que les pouvoirs publics doivent prendre l'initiative. Je suis particulièrement encouragé par le fait que vous appreniez énormément de choses et que vous vous familiarisiez avec certains problèmes de Vancouver. Je pense qu'il est indispensable que d'un bout à l'autre du pays notre population se familiarise avec les problèmes lorsque nous avons 100 000 de nos citoyens qui consomment des drogues par injection. La capacité d'initiative vient donc en premier.

En second lieu—et c'est ici un peu plus précis—le gouvernement fédéral a effectivement un rôle à jouer dans le financement de la recherche et dans l'évaluation rigoureuse des projets pilotes et d'autres programmes novateurs. Cela fait partie de votre mandat.

En troisième lieu, il a pour rôle de garantir le respect des droits de la personne pour tous les membres de la population canadienne, y compris les usagers de drogue. Nous n'avons pas encore abordé aujourd'hui cette question sous l'angle des droits de la personne, mais c'est un enjeu fondamental. J'espère que votre comité ne manquera pas de se pencher sur cette question dans la suite de ses délibérations. Le gouvernement fédéral a directement un rôle à jouer en la matière.

Enfin, le gouvernement fédéral a pour rôle de s'assurer que l'argent du contribuable est affecté à des mesures qui ont fait leur preuve pour réduire à la fois l'offre et la demande de drogue. Je vous renvoie précisément au rapport de la vérificatrice générale. Elle expose l'ensemble des problèmes. Il appartient au gouvernement fédéral de chercher à affecter au mieux les crédits précieux dont il dispose pour que la population canadienne en profite véritablement.

La présidente: Merci, Warren.

Thomas, vous avez d'autres commentaires à faire sur ce point?

M. Thomas Kerr: Très précisément sur ce point...

• 1100

La présidente: Sur le rôle du gouvernement fédéral ou l'échange des seringues.

M. Thomas Kerr: Sur l'échange des seringues? Effectivement.

Pour ce qui est du rôle du gouvernement fédéral, je dirais simplement avec Warren qu'il faut saisir l'occasion de recourir à un plus grand nombre d'activités de sensibilisation du public. Je considère par ailleurs que l'on a besoin d'un plus grand nombre de crédits consacrés à la recherche. Comme l'a indiqué John tout à l'heure, l'étude que nous menons au sujet d'un groupe donné dans notre ville, qui jouit d'une renommée internationale, est financée par des sources des É.-U. et est menacée à l'heure actuelle.

Il nous faut aussi faire davantage d'études de rapprochement et de relance pour essayer de répondre à un certain nombre des questions posées tout à l'heure par John et savoir d'où viennent ces gens, combien ils sont dans le quartier, etc.

Par ailleurs, nous n'avons pas beaucoup de crédits à l'heure actuelle à consacrer à de véritables recherches sur les résultats effectifs des traitements. Nous ne pouvons compter en fait que sur de petites organisations qui n'ont que des crédits limités pour effectuer des évaluations de programme et qui n'ont pas en fait une méthodologie assez rigoureuse pour déterminer l'efficacité de ces résultats. Ces responsables ont-ils d'autre choix que de faire des évaluations positives pour que leurs crédits soient reconduits? Le mécanisme est faussé à la base.

J'aimerais aussi que l'exemption prévue par l'article 56 de la LRDS tienne davantage compte des usagers. Je peux voir que ces dispositions confèrent au ministre fédéral de la santé le pouvoir d'exonérer toute personne de l'application des dispositions de la loi. C'est un problème très grave qui se pose aux organisations qui dispensent des soins, établissements de soins palliatifs, par exemple, lorsque certaines personnes continuent à consommer de la drogue. À l'heure actuelle, nous interdisons aux personnes qui sont dans des centres de soins de consommer de la drogue. Ce sont les personnes qui ont tendance à présenter le plus de risque. Nous ne pouvons pas leur dispenser des soins parce que le personnel de santé lui-même a peur d'être arrêté pour s'être montré complice d'un certain nombre d'infractions pénales.

Lorsque nous avons demandé récemment au ministre fédéral de la santé s'il était possible d'invoquer les dispositions de l'article 56 dans le cadre d'une intervention donnée, on nous a répondu qu'il nous fallait au préalable obtenir l'autorisation pleine et entière de la municipalité, de la province et de la police avant même de pouvoir entamer la procédure. Voilà qui me paraît très lourd. Ce serait une bonne chose si certains établissements pouvaient bénéficier rapidement de l'exemption prévue par l'article 56 de façon à être en mesure de dispenser des soins à des personnes continuant à consommer de la drogue.

Vous nous avez posé une question au sujet de la séropositivité et de l'échange des seringues dans les prisons. Je vais vous répondre rapidement sur ce point.

Nous savons que les taux de séropositivité sont environ dix fois supérieurs dans les prisons que dans l'ensemble de la population. Ils s'élèvent à environ 7,7 p. 100 alors que les taux de contamination à l'hépatite C se situent entre 28 et 40 p. 100. Une étude effectuée récemment dans une prison locale dans le cadre du programme de soins infirmiers dispensés dans la rue par la BCCDC nous révèle que 20 p. 100 des femmes incarcérées continuent à s'injecter de la drogue en prison et que 82 p. 100 d'entre elles signalent qu'elles échangent les seringues.

Mme Libby Davies: Quatre-vingt-deux pour cent?

M. Thomas Kerr: Oui, 82 p. 100.

La présidente: Et quel était le taux de contamination?

M. Thomas Kerr: Je ne sais pas exactement quel est le taux de contamination relevé dans cette étude.

La présidente: J'imagine que c'est aussi avant et après.

M. Thomas Kerr: Oui. Je ne suis pas sûr que l'on ait établi un lien de cause à effet, mais je considère que ces taux de contamination sont très inquiétants. De toute évidence, il est nécessaire d'étendre la portée des programmes d'échange de seringues dans les prisons.

J'ai ici un certain nombre de documents qui nous viennent du Canadian HIV-AIDS Legal Network. Je pense que nous pouvons vous les remettre.

La présidente: Assurez-vous que notre greffière en ait une copie pour qu'elle puisse nous les distribuer.

M. Thomas Kerr: Oui.

La présidente: Naomi, vous avez maintenant la parole sur la question des prisons.

Mme Naomi Brunemeyer: Je vais saisir en fait cette occasion pour faire deux remarques au sujet du rôle du gouvernement fédéral.

Dans le document faisant état des quatre piliers dont nous avons parlé, et j'espère que vous en avez une copie, l'un des objectifs est de déterminer la responsabilité des différents paliers de gouvernement. Il établit clairement et de façon très précise le rôle du gouvernement fédéral. Il y a une chose qui n'a pas été mentionnée, c'est que Développement des ressources humaines Canada administre des programmes d'emploi et de formation ainsi que des logements et des centres d'accueil comportant des services à l'intention des toxicomanes. Il y a donc d'autres formes d'aide que le gouvernement fédéral peut dispenser pour assurer la continuité des soins.

Je tiens à répéter précisément ce qu'ont dit mes collègues au sujet des taux de séropositivité dans les prisons. Il y a bien d'autres champs d'action qui s'offrent aux groupes de défense des séropositifs: l'accès au traitement, le régime qu'il convient de suivre alors que les médicaments exigés par la séropositivité ne sont pas pleinement administrés dans un cadre carcéral, la nutrition. Toutes ces questions ne sont pas réglées. De plus, il faut que des traitements à la méthadone soient dispensés à un niveau suffisant de façon à éviter le recours à l'héroïne. L'atmosphère des prisons ne facilite pas les choses.

• 1105

Si les détenus s'échangent tellement de seringues dans l'univers carcéral, c'est parce que tout se fait en cachette. Il n'y a pas là un service public dont peut se prévaloir la population carcérale pour suivre un programme de substitution à la méthadone. Tout se fait donc en quelque sorte en douce et l'on s'échange les seringues sans en parler. C'est pourquoi les taux de séropositivité et de contamination à l'hépatite C augmentent une fois que les criminels sont incarcérés.

La présidente: Merci, Naomi.

John, vous allez maintenant aborder la question des réfugiés et des profiteurs ayant des motivations financières, qui m'a fascinée.

M. John Turvey: Oui. Je vais aussi mettre en relief certains aspects du rôle joué par le gouvernement fédéral en raison des failles de votre projet de loi sur le crime organisé.

Personne ne parle jamais du crime organisé. J'en parle parce que nous distribuons 3,5 millions de seringues. Si chacune vaut 10 $, pour ce qui est de l'équivalent de la drogue utilisée, cela fait 35 millions de dollars. Si on les utilise à deux reprises, cela fait 70 millions de dollars. Voilà donc ce que ça représente, nos seringues ont une valeur de 70 millions de dollars sur le marché illégal de la drogue. De plus, étant donné la nature et le degré d'accoutumance de la population qui consomme de la cocaïne épurée, elle représente elle aussi ce même montant.

Nous parlons donc ici d'une industrie de la drogue valant des millions et des millions de dollars dont les activités se déroulent, croyez-le ou non, dans le district postal le plus pauvre du Canada. Je vous parle dans ce cas de 1 à 3 millions de dollars par semaine. Nous avons ici des services policiers qui se démènent comme des diables pour arrêter de pauvres drogués dans la rue. On peut être aveugle dans nos rues et arrêter quand même des drogués. Effectivement, ce n'est pas bien difficile. On a le nez dessus.

Ce qu'il nous faut, et c'est ce que nous disent constamment les services policiers, c'est nous en prendre aux organisateurs. Eh bien, nous attendons toujours. J'attends toujours de voir cela, mais ça ne pointe pas à l'horizon. Il y a ici des millions de dollars en jeu.

Descendez simplement dans la rue ce soir. Commencez par Victory Square. Cet homme que l'on vient de condamner, celui qui dirigeait les Stadium Inn Boys, un groupe venu de la côte est—blanc et raciste—qui, selon la rumeur, s'est débarrassé d'un certain nombre de trafiquants non blancs situés un peu plus loin, en face de Woodward's, venus d'autres pays et faisant le commerce du crack. Vous verrez tout cela. En descendant la rue, vous verrez certaines sections où ça se passe ainsi. Oppenheimer Park est contrôlé par certains éléments du milieu de la drogue.

Certaines organisations criminelles n'apparaissent en fait jamais dans nos rues. On ne les voit jamais. Vous savez qui elles sont parce que ce sont toujours les mêmes dans tout ce fichu Canada, n'est-ce pas? Toutefois, on ne les voit jamais et ce sont des hommes de paille qui agissent pour leur compte.

Nous avons des hôtels et des maisons de chambreurs qui sont repris par des trafiquants de drogue. Même les toxicomanes me disent: «Éloignez les trafiquants des hôtels. Une fois qu'ils se sont installés, tout se déglingue.» Et c'est vraiment le cas. Tout se déglingue. C'est ainsi que l'on squatte des immeubles entiers qui deviennent de véritables piqueries, des maisons de passe, et le crime organisé est là.

Est-ce que nous réussissons à faire face à la situation? Non, nous n'y parvenons pas. Est-ce que la police vient seulement voir pour évaluer la situation? Non, elle ne le fait pas. Pourtant, le chiffre d'affaires est tellement énorme, seulement avec les dollars tirés de la drogue, sans compter les crimes qui sont commis pour trouver l'argent qui permet d'acheter la drogue.

Nous avons publié il y a quelques années dans notre collectivité un journal intitulé «Voler et vendre au noir, du matin au soir». Tout un groupe d'organismes communautaires ont pris la mouche en voyant qu'en plus des trois magasins de prêteurs sur gage de notre quartier, plus de 50 boutiques de brocanteurs avaient poussé comme des champignons dans un rayon d'un mille et vendaient des tondeuses à gazon alors qu'il n'y a pas le moindre gazon dans tout le quartier. C'est parce que tout le monde s'était mis à voler un peu partout du fait de l'explosion du trafic de la drogue.

Est-ce qu'on s'est jamais attaqué à ce problème? Est-ce qu'il nous arrive d'utiliser efficacement la loi fédérale contre le crime organisé lorsqu'on est mis au pied du mur? Non, on ne le fait pas. On est donc en présence d'une industrie valant des millions de dollars qui est entre les mains du crime organisé et les gouvernements à tous les paliers—pas simplement vous—aux niveaux municipal, provincial et fédéral, restent les bras croisés. C'est tout à fait renversant.

• 1110

Ce commerce attire des gens qui savent vraiment bien faire les choses et on joue des coudes. Ainsi, quand vous vous déplacerez ce soir au sein de notre collectivité, vous en aurez un aperçu. Il fut un temps où cette activité se déroulait de façon assez anarchiste, où n'importe qui pouvait soudainement monter sa petite entreprise. Ce n'est plus le cas.

Nombre des morts par surdose se produisent lorsqu'un nouvel arrivant s'installe sur le marché, veut écouler certains stocks et décide de ne pas couper son héroïne. Il la place sur le marché alors qu'elle est très pure tout simplement pour développer son entreprise et écouler ses stocks.

Il vous faut donc effectivement faire des recommandations, vous pencher sur cette question et parler avec les responsables de la police pour savoir quels sont les moyens que doit leur donner le gouvernement fédéral pour qu'ils puissent intervenir.

Laissons tout cela de côté un instant. Dans cette ambiance totalement chaotique où règne la criminalité, on voit apparaître des entrepreneurs. Il y a des propriétaires de magasins qui vendent de la cocaïne et de l'héroïne. Je siège au conseil d'administration du centre communautaire Ray-cam. Il y avait ce dépanneur, un magasin familial, où même les enfants des propriétaires vendaient de l'héroïne et de la cocaïne aux clients. Je pense que les membres de cette famille ont toujours leur permis d'exploitation.

Voilà ce qui se passe au sein de notre collectivité. On murmure—ce sont des rumeurs insistantes—que l'on fait venir des cigarettes de l'Ontario, parce qu'elles sont moins chères, reconditionnées avec soin et transportées dans des semi-remorques de 40 pieds. C'est systématique. La collectivité se repaît de ce genre de chose.

Il y a des gens qui achètent des chèques de loyer. Écoutez bien; c'est un bon truc. Vous avez un drogué, vraiment accroché, qui reçoit un chèque de loyer de 325 $. Il va voir le propriétaire de son hôtel, qui lui donne la moitié de l'argent correspondant au chèque, mais il est maintenant sans abri. En plein milieu de la nuit, comment va-t-il pouvoir trouver un refuge pour la nuit. Il peut toujours courir. S'il en trouve un, le travailleur social va s'apercevoir qu'il a bradé son chèque de loyer et administrera les suivants à sa place.

Voilà pourquoi nombre de toxicomanes qui se retrouvent la nuit dans la rue ont en fait été exploités par des entrepreneurs marrons. Est-ce que la police locale juge effectivement qu'il s'agit ici d'un domaine prioritaire étant donné que l'on fait courir des risques supplémentaires à ces gens et que l'on gaspille l'argent des contribuables? Non, ce n'est pas une priorité.

Nous avons maintenant une situation qui fait que les services policiers ont pris quelque peu de recul face aux toxicomanes qui se retrouvent dans la rue. Ont-ils réussi toutefois à intervenir et à prendre des initiatives pour s'assurer que les entrepreneurs au sein de la collectivité se comportent honnêtement et au grand jour dans l'exercice de leur commerce? Non, ce n'est pas ce qui se fait.

Nous avons donc toute une collectivité corrompue. Pratiquement tout se vend chez nous. Nous avons des brocanteurs qui achètent tout le matériel informatique qu'ils peuvent trouver. Voilà ce qui se passe au sein de notre collectivité. Même les seringues que nous distribuons, que nous donnons ou que nous échangeons finissent par être vendues. Les préservatifs finissent par être vendus. Il n'y a pas un produit qui n'est pas mis sur le marché dans notre collectivité.

La présidente: Mais John, le propriétaire de la maison de chambreurs ou de l'immeuble prend le chèque et l'encaisse. Est-ce que le nom du locataire figure sur sa liste?

M. John Turvey: Oui. On raconte plein d'histoires de maisons de chambreurs ayant loué des étages entiers qui n'existent même pas. Dans certains hôtels, il y a des chambres qui sont très vraisemblablement louées trois, quatre ou cinq fois.

• 1115

La présidente: Je vous pose la question parce que je ne connais pas la réponse. Pour quelle raison une personne irait encaisser un chèque pour la moitié de sa valeur alors que...

M. John Turvey: Il n'est pas libellé à leur nom; il l'est au nom de leur propriétaire. Ils le remettent à leur propriétaire, mais ils n'obtiennent pas le service—en l'occurrence, ils n'habitent pas là. Le propriétaire peut donc louer leur chambre, parce qu'ils ne sont pas là, après leur avoir remboursé la moitié du montant. Une enquête a été faite dans notre collectivité au sujet d'une certaine personne. Il y avait huit ou neuf locataires qui la payaient et qui ne retrouvaient que la moitié de la valeur de leur chèque.

La présidente: Pour ce qui est des préservatifs et des suppléments alimentaires comme Boost ou Ensure, il y a des gens qui sont censés exploiter les commerces légitimes qui revendent ces produits.

M. John Turvey: Écoutez, pour ce qui est de la corruption des commerces légitimes au sein de la collectivité, je ne sais pas...

La présidente: En fait, ils ne sont pas tellement légitimes...

M. John Turvey: On peut gagner ainsi des sommes considérables. Nous avions ici en C.-B. 7 200 personnes qui suivaient un traitement de substitution à la méthadone. Cela nous coûte 7,66 millions de dollars par tranche de mille. Nous avons des programmes de substitution à la méthadone qui versent des frais d'intermédiaires à d'autres toxicomanes. Ce n'est peut-être pas illégal, mais...

La présidente: Qu'entendez-vous par frais d'intermédiaires?

M. John Turvey: Des frais d'intermédiaires, par exemple si je prends...

M. Dean Wilson: Si je passe d'une pharmacie à une autre, le deuxième pharmacien va me donner 25 $ pour quitter ma première pharmacie afin de pouvoir remplir les prescriptions à 7,66 $ la transaction plus deux cents le millimètre. C'est une grosse entreprise.

M. Earl Crow: Si je fais venir un ami chez mon pharmacien, il va me verser 20 $.

M. John Turvey: Par conséquent, l'industrie de la drogue est criminelle et les commerces qui sont à son service le sont aussi. Si ce ne sont pas des criminels, en tout cas, ils ne sentent pas très bons et ce sont loin d'être des anges. Ils sont en fait pourris et corrompus.

Comprenez-moi bien. Je ne pense pas que l'on ait vraiment évalué ce genre de situation et bien considéré le milieu dans lequel évoluent tous ces drogués que tous nous regardons de haut et traitons plus ou moins avec mépris. Nous leur disons de changer de vie, de s'amender et de se tenir droit alors qu'ils sont plongés dans un milieu où la corruption est telle qu'elle touche presque tous les éléments de leur quotidien. Il est donc certain que ces gens vont rechuter.

La présidente: John, nous allons entendre tout à l'heure des dirigeants d'entreprises et il faut donc que je vous pose la question. Les pharmaciens sont membres d'ordres réglementés par les provinces. Ce sont des propriétaires d'entreprise qui se réunissent au sein de différentes organisations et qui établissent leurs propres règles. Est-ce que l'on a tenté de faire en sorte qu'ils s'autoréglementent?

M. John Turvey: Je ne pense pas que ceux-là soient des membres dynamiques de la Chambre de commerce de Vancouver. Je n'en ai vraiment pas l'impression. Nombre d'entre eux sont des personnages assez douteux.

La présidente: Toutefois, si ce sont des pharmaciens, il faut qu'ils aient légalement une licence.

M. John Turvey: Je vous ai fait parvenir par télécopieur une étude faite par la commission de la santé au sujet des programmes de substitution à la méthadone.

M. Earl Crow: Elle est excellente.

M. John Turvey: C'est une excellente étude qui aborde nombre de questions touchant la substitution à la méthadone.

M. Dean Wilson: On ne peut pas vendre de la méthadone sur le marché noir dans les rues de Vancouver étant donné que l'héroïne est trop bonne et trop bon marché. Pourtant, on continue à nous dire qu'elle se vend sur le marché noir. Ce sont les pharmaciens qui sont corrompus. Je ne pourrais même pas la donner; personne n'en voudrait.

La présidente: Très bien. Nous avons maintenant largement dépassé le temps qui nous était imparti. Il nous faudrait maintenant conclure; j'ai Dean et Warren sur ma liste. S'il reste des questions, il nous faudra inviter nos témoins à s'entretenir avec nous à la fin de cette séance. Veuillez m'en excuser. C'était passionnant et très utile.

Dean.

M. Dean Wilson: Une ou deux dernières choses: John nous a parlé du crime organisé, mais dans bien des cas c'est la faute du gouvernement organisé. C'est pourquoi je considère qu'il nous faut repartir vraiment de zéro et recommencer du début. La drogue ne va pas disparaître.

J'ai contribué à importer de la drogue au Canada il y a de nombreuses années. Une expédition avait effectivement été autorisée par la GRC. Le procureur lui avait demandé de la laisser passer parce que l'argent allait être renvoyé aux phalangistes du Liban, dont on avait choisi le camp à l'époque pour écraser une autre faction. Voilà à quoi nous sommes confrontés et c'est pourquoi j'ai bien du mal à accepter des projets comme North Star ou autres.

• 1120

Il faut que le gouvernement canadien, y compris ses services policiers, soit autonome. Nous ne pouvons plus lutter contre la drogue, parce que ce sont ces gens qui sont installés, qui l'amènent par avion et c'est le pauvre gars dans la rue qui est arrêté. Je vous le répète, le crime organisé, c'est le gouvernement organisé. Vous avez ici Paul Kennedy, notre représentant au sein de la CICAD. Quatre membres de la CICAD ont en fait été arrêtés dans leurs propres pays pour avoir vendu illégalement de la drogue et monté des opérations de ce genre.

Il y a de la corruption à tous les niveaux. Je crois qu'aux plus hauts niveaux c'est vraiment... On ne peut pas arrêter les responsables; il y aura toujours de la drogue. Par conséquent, il faut en écarter les consommateurs. Je vais demain dans la circonscription de Randy pour aller suivre un traitement de 35 jours; c'est fini pour moi. Il n'en reste pas moins que les morts ne passent pas par la désintoxication. Il faut que nous maintenions les gens en vie suffisamment longtemps pour qu'à mon âge ils puissent dire: «Ça s'arrête là». Toutefois, je suis sérieux. Je suis tout à fait décidé. Il vous faut rendre compte à Ottawa de cette situation d'urgence qui est la mienne. Ici, je perds tous les jours un ami, et c'est inacceptable. Il vous faut dire non à la guerre de la drogue.

Je vous remercie.

La présidente: Merci, Dean.

Warren.

M. Warren O'Briain: Pour conclure et simplement pour enchaîner sur les considérations financières que vient de faire John, je tiens à attirer votre attention sur un témoignage qui a été présenté il y a quelques semaines à Vancouver devant le comité sénatorial sur les drogues illégales. C'est un jeune homme tout juste sorti de l'adolescence, du nom de Rob Hall, qui a été élevé dans les quartiers est de Vancouver dans une famille l'ayant entouré d'attentions et qui a pris l'habitude de se droguer à l'héroïne par injection alors qu'il était à l'école secondaire.

Rob Hall a dit au comité qu'il était plus facile pour un élève du secondaire de se procurer de l'héroïne dans notre ville que de se procurer de l'alcool et que l'on pouvait se faire livrer par téléphone plus vite que lorsqu'on commande une pizza. Dans la situation catastrophique qui est la nôtre dans le centre-ville Est, voilà un problème qui s'est répandu dans l'ensemble des quartiers de la ville.

Je vais vous paraphraser ce qu'a dit le financier milliardaire new-yorkais George Soros. Je ne suis pas souvent d'accord avec lui en politique, mais je pense que son idée est bonne: s'il est possible de produire des stylos jetables à trois cents et s'ils se revendent 9,50 $ chacun parce qu'on en a interdit l'usage, toutes les armées du monde n'arriveront pas à enrayer le trafic de stylos jetables.

La présidente: Merci, Warren, et je vous remercie tous de nous avoir fait profiter de votre dévouement et de vos lumières, et d'avoir pris le temps de venir nous voir pour nous sensibiliser aux problèmes et nous communiquer votre passion.

Dean, je suis sûre de me faire le porte-parole de tous les membres du comité en disant que vous nous avez réellement impressionnés. Nous avons vraiment apprécié que vous nous ayez consacré votre temps, nous vous souhaitons beaucoup de succès au sein des différentes organisations avec lesquelles vous collaborez et tous nos voeux vous accompagnent évidemment pour les 35 jours à venir. Bonne chance.

Chers collègues, je vais suspendre la séance pendant deux minutes. Nous allons prendre un affreux retard si nous ne reprenons pas immédiatement.

• 1123




• 1137

La présidente: La séance du Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments reprend.

Nous allons maintenant entendre le représentant de la Chambre de commerce de Vancouver, Glenn Young, qui est coprésident du Groupe d'étude du centre-ville Est—il est aussi président de l'International Tradewind Strategies, Inc.—ainsi que Dennis Farrell, président du Groupe d'étude sur les crimes contre la propriété et par ailleurs coprésident du Groupe d'étude du centre-ville Est. Ça fait beaucoup de groupes d'études.

Monsieur Farrell.

M. Dennis Farrell (président, Property Crime Task Force; coprésident, Downtown Eastside Task Force, Chambre de commerce de Vancouver): Je vous remercie.

Avec mon collègue Glenn, nous présidons ce que nous appelons, et c'est l'appellation que je préconise, le Groupe d'étude du centre-ville Est de la Chambre de commerce de Vancouver. Ce groupe d'étude a été créé à la demande du maire de Vancouver, Philip Owen, qui s'est adressé à la Chambre de commerce et nous a demandé de commenter un rapport produit par la ville et intitulé: «A Framework for Action: A Four-Pillar Approach to Drug Problems in Vancouver». Il nous a été demandé de passer en revue ce rapport, de rencontrer des personnes compétentes sur la question, de recueillir des données supplémentaires et d'élaborer une réponse à l'intention du conseil d'administration de la Chambre de commerce de Vancouver.

Ce groupe d'étude comporte un certain nombre de membres dont la plupart appartiennent à différents secteurs du monde des affaires. Je vous précise d'ailleurs en passant que l'un de nos membres, lui-même un ancien toxicomane, est aujourd'hui PDG d'une société de Vancouver très florissante; il va publier dans un mois environ un livre intitulé From Skid Row to CEO. Ce devrait être très intéressant à lire.

Nous avons donc interrogé un certain nombre de gens, un peu comme vous le faites à l'heure actuelle. Nous nous sommes efforcés de parler avec des personnes compétentes et nous avons auditionné des toxicomanes. Nous avons parlé avec des agents de police, des professionnels de la santé, des membres de la justice ainsi que des enseignants, qui tous nous ont fait connaître très franchement leurs points de vue.

Nous avons eu aussi la chance d'interroger Rennie Shenkey, l'un des grands responsables de la mise en place du centre d'injection de Francfort, et qui est venu nous voir, ainsi qu'un ressortissant australien, M. Trimingham, lui aussi orateur passionné. Son fils est mort d'une surdose d'héroïne en Australie et il a un point de vue bien particulier. Tout cela pour vous dire simplement que nous avons interrogé bon nombre de personnes.

• 1140

À la suite de cette opération, nous avons rédigé un rapport comportant certaines recommandations. Je vous signale en passant que nombre de ces recommandations correspondent aux questions que vous vous êtes posées dans le cadre de votre mandat. Ce rapport a été remis à la greffière. Je ne vais pas vous en exposer le texte, mais je vais peut-être demander à mon collègue Glenn de vous en donner les grandes lignes.

M. Glenn Young (coprésident, Downtown Eastside Task Force, Chambre de commerce de Vancouver): Nous nous sommes essentiellement attachés à étudier la politique des quatre piliers exposée dans le rapport présenté par le maire Owen, et nous avons fait un suivi en précisant quelles étaient nos réactions. Ces quatre piliers, vous le savez, sont la prévention, le traitement, la répression et la réduction des dommages. La Chambre de commerce a appuyé avec force deux de ces quatre piliers, la prévention et le traitement, et nous sommes aussi favorables aux mesures de répression. Nous avons quelques difficultés à entériner la politique de réduction des dommages compte tenu des témoignages que nous avons entendus. Certaines mesures particulières nous posent des problèmes.

Je n'exposerai pas en détail notre réponse étant donné qu'elle a été communiquée à votre comité et que vous avez tout le temps de consulter le document. Nous avons aussi ajouté un cinquième pilier en ce qui a trait au centre-ville Est. Nous avons estimé qu'un redéveloppement économique de ce quartier était aussi appelé à jouer un rôle fondamental pour résoudre certains problèmes locaux, notamment le problème de la drogue. L'installation d'entreprises légitimes pourrait écarter en partie le problème.

L'un des mythes au sujet de la population pauvre du quartier, c'est qu'elle ne veut pas travailler, ce que je considère comme étant faux. Elle n'en a tout simplement pas eu la possibilité. Comment la faire participer au marché du travail et à quel genre de stratégie de développement économique doit-on recourir dans le centre-ville Est pour que cette politique soit viable à long terme et profite à la collectivité?

On nous demande souvent pourquoi la Chambre de commerce de Vancouver s'intéresse au centre-ville Est. Il faut bien voir que le centre-ville Est de Vancouver fait partie intégrante d'une ville qui est la nôtre. Vous allez constater que certains membres de notre organisation d'entreprises habitent dans le centre-ville Est, parce que c'est un quartier qui va jusqu'à Commercial Drive et qui est bien plus étendu que le simple secteur de Main et d'Hastings dont tout le monde parle.

Lorsqu'on parle du centre-ville Est, on a tendance à se braquer sur les problèmes de Main et d'Hastings, mais nous avons certains de nos membres les plus huppés qui habitent dans le centre-ville Est, même si c'est un peu plus loin, du côté de Commercial. Nous sommes préoccupés par la situation du centre-ville Est parce qu'il fait partie de notre ville, du tissu de notre collectivité. Que nous soyons un travailleur indépendant ou employé pour le compte de quelqu'un d'autre, qu'il s'agisse du gouvernement, des sociétés internationales ou des entreprises locales, nous habitons Vancouver et le tissu social de la ville nous intéresse.

La première chose dont on parle, c'est évidemment de la criminalité. La criminalité dans le centre-ville Est vient du trafic de la drogue, mais ceux qui volent dans les voitures ne le font pas généralement dans le centre-ville Est. Ils vont le faire à Shaughnessy et dans les quartiers Ouest. C'est un problème pour tout le monde et c'est pourquoi nous sommes particulièrement concernés.

L'une des solutions qui nous paraît vraiment utile serait d'essayer de trouver une stratégie de développement économique susceptible d'aider le centre-ville Est. Nous l'avons fait par le passé en recourant à un certain nombre d'initiatives. Je reviendrai plus tard sur ce sujet si vous voulez mais, en ce qui a trait au problème précis de la drogue que l'on a évoqué à propos du centre-ville Est, nous sommes résolument en faveur d'une orientation axée sur la prévention et le traitement.

Certes, il y a des gens qui évoquent avec une grande passion et beaucoup d'éloquence les problèmes des toxicomanes et s'en font les porte-parole, mais nous voulons penser à notre avenir, à nos enfants et à la façon de les éloigner de la drogue pour qu'ils n'acquièrent pas une dépendance. Nous convenons tous que la meilleure façon d'agir pour ce faire est de recourir à la prévention et à faire savoir aux gens, d'une façon ou d'une autre, qu'il ne faut pas consommer de la drogue, un peu comme le font les provinces et le gouvernement fédéral en ce qui a trait au tabac.

Nous estimons que le traitement revêt lui aussi une grande importance et nous sommes très en faveur de ce pilier de la politique. Tout en évitant que les gens se mettent à consommer de la drogue à l'avenir, il nous faut aider ceux qui en consomment à l'heure actuelle pour les faire sortir de ce cercle vicieux.

Je laisserai à Dennis le soin de vous parler du volet correspondant à la répression. Il connaît bien mieux la question que moi, qui suis davantage spécialisé dans le domaine des affaires. Nous sommes résolument en faveur du pilier du développement économique et nous aimerions qu'il soit rajouté à la politique qui s'adresse au centre-ville Est.

• 1145

Notre enthousiasme est plus mesuré sur deux points précis. Le premier est celui de l'échange des seringues. Nous sommes préoccupés par la forme qu'a prise ce programme étant donné qu'il ne s'agit plus vraiment d'un échange mais d'une distribution. J'ai personnellement vu distribuer des quantités de seringues sorties de la caisse d'un camion dans le centre-ville Est. Certains témoignages en provenance d'autres villes nous montrent que l'on a obtenu des succès avec des programmes d'échange de seringues très différents du nôtre. Nous ne sommes pas totalement opposés au principe, mais nous faisons de sérieuses réserves sur l'application actuelle de ce programme. Si le gouvernement maintient ce programme, il faut qu'il étudie de plus près les moyens de l'appliquer dans de bonnes conditions.

Nous ferons de très sérieuses réserves au sujet des sites d'injection en toute sécurité. Le problème vient en partie du fait qu'il semble que cela revienne effectivement à accepter la consommation de drogues en tant que mode de vie. Cela ne nous paraît pas bon. Nous n'acceptons pas ce mode de vie. En second lieu, d'un point de vue plus pratique, nous avons entendu dire par des spécialistes des toxicomanies et par des responsables qui administrent des organisations du même type à l'extérieur de Vancouver, qu'en réalité les centres d'injection en toute sécurité vont probablement mieux fonctionner pour les héroïnomanes que pour les cocaïnomanes. Nous avons un problème de cocaïne à Vancouver et on nous a signalé que les centres d'injection en toute sécurité ne sont pas une bonne solution pour les cocaïnomanes étant donné qu'ils doivent se piquer énormément, contrairement à ce qui se passe pour les héroïnomanes.

Je ne suis pas un spécialiste de la question. Je m'en remets aux témoins experts qui ont comparu avant nous—et il est probable que Dennis en sait lui aussi un peu plus que moi à ce sujet. En somme, donc, nous sommes favorables à 85 ou 90 p. 100 de la politique des quatre piliers. Nous l'avons indiqué par écrit, et cela fait partie de la réponse que nous avons remise au comité. Nous avons aussi fait savoir au maire, bien évidemment, ainsi qu'au conseil municipal, que nous étions en principe favorables au programme des quatre piliers, mais nous avons ajouté un cinquième pilier, celui du redéveloppement économique.

Dennis...

M. Dennis Farrell: Je vous remercie.

Ce rapport est assez exhaustif, comme vient de vous l'indiquer mon collègue, qui a très bien su vous le résumer.

L'une des choses qui me préoccupe à l'heure actuelle, c'est qu'il semble y avoir dans les médias deux lignes de pensées, ou que l'on débatte de deux questions différentes. La première est la décriminalisation de la marijuana, et la deuxième celle des centres d'injection en toute sécurité. À notre avis, le fait que l'on s'en tienne presque exclusivement à ces deux questions revient plus ou moins à nous laisser entendre que le gouvernement du Canada envisage éventuellement une libéralisation de la politique de la drogue et que la consommation de drogue est un choix de vie, que c'est une chose tout à fait normale.

Nous considérons que notre stratégie nationale en matière de drogue devrait avant tout insister délibérément sur la prévention et s'efforcer davantage de réduire les effets de l'usage de la drogue. Il faut qu'elle réaffirme le rejet de la consommation de la drogue en tant que mode de vie acceptable et qu'elle s'efforce de promouvoir la disponibilité et l'adaptation des traitements, y compris, dans les cas les plus graves, des traitements obligatoires.

Nous savons qu'il est possible de mettre en oeuvre une politique de prévention uniforme, globale et durable. Il vous suffit de suivre l'exemple de la législation sur les ceintures de sécurité ainsi que sur l'alcoolisme au volant, et de considérer notamment les résultats obtenus au sujet du tabac. Je pense qu'il faut vraiment féliciter les responsables de Santé Canada au sujet de ce programme, et plus particulièrement en ce qui a trait à la campagne qui a été menée récemment à propos des cigarettes légères. Nous estimons que si l'équipe précisément chargée à Santé Canada de formuler et de mettre en oeuvre cette mesure de prévention était engagée sur les mêmes bases dans la lutte contre les drogues illégales, notre pays s'en porterait bien mieux.

• 1150

D'après nos renseignements, aucun des trois paliers de gouvernement n'a financé publiquement depuis 1988 une campagne de prévention. Nous considérons que cette situation est lamentable étant donné qu'une campagne de prévention, comme l'a indiqué Glenn, s'adresse précisément à ceux qui sont les plus vulnérables, et ce sont nos jeunes que nous voulons protéger.

En matière de réduction des dommages, je pense que le plus indiqué est la disponibilité des traitements, et nous devons nous pencher sérieusement sur l'adaptation et l'accessibilité de notre réseau de traitement. Nous avons interrogé le Dr Perry Kendall qui est, je crois, à la tête de la Commission de la santé de Vancouver/Richmond, et je vous avoue bien franchement que nous n'avons pas pu nous faire une idée du nombre de lits réservés au traitement qui sont financés par des fonds publics dans notre ville. Je ne crois pas que quelqu'un puisse répondre à cette question à l'heure actuelle.

Si l'on reprend certains modèles européens dont on a parlé aux médias et à chacun d'entre nous, toutes proportions gardées, il faudrait que Vancouver dispose de quelque 800 lits réservés au traitement. Nous savons que nous en sommes très loin. Je parle ici de lits financés par des fonds publics; je sais qu'il y a de nombreux lits réservés au traitement qui sont financés par des organisations privées, dont nous avons entendu les représentants.

Sur un plan commercial, nous devons nous poser la question suivante: si nous adoptons une politique plus libérale en matière de drogue, ce qui peut nous amener à dénoncer certains accords ou traités internationaux que nous avons signés, quelles seront les répercussions sur nos relations commerciales avec d'autres pays, et notamment avec les États-Unis?

Vous qui venez de Burlington, madame la présidente, vous savez que nous éprouvons de grandes difficultés à l'heure actuelle, notamment dans l'industrie de l'automobile, pour faire traverser la frontière à nos produits ou à nos marchandises afin d'alimenter les chaînes de fabrication des différentes usines de construction automobile. C'est un problème fondamental à l'heure actuelle et nous avons le sentiment que si on libéralisait la politique de la drogue au Canada, cela pourrait très bien se répercuter sur les retards que l'on enregistre aux frontières à l'heure actuelle.

Voilà essentiellement ce que nous avions à vous dire. Nous tenions à mettre l'accent sur la prévention. À l'unanimité, nous estimons au sein de notre groupe qu'une politique de prévention s'impose. On n'a pas fait de prévention, on n'en fait toujours pas et nous aimerions que notre gouvernement fédéral prenne l'initiative en la matière.

Je vous remercie. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.

La présidente: Merci. Il nous reste effectivement du temps pour les questions.

Nous allons commencer par M. White.

M. Randy White: Merci, Dennis et Glenn, d'être venus aujourd'hui. Voilà trois jours que je suis ici à me demander ce que peuvent bien penser de nos délibérations les habitants de Fort St. John, de Terrace, de Revelstoke ou de Fernie lorsque nous avons ce genre de discussion, étant donné que nous sommes venus à Vancouver, et uniquement à Vancouver, sans nous arrêter dans ces autres localités, qu'il nous faudra bien entendre un jour, puisqu'il semble que l'on ait décidé de privilégier en quelque sorte une politique qualifiée de «réduction des dommages» ou un programme qui nous amène à dire: «Nous avons besoin dès maintenant d'un site d'injection en toute sécurité et le problème sera réglé.»

Je ne suis pas d'accord avec cette notion, parce qu'il y a certaines choses que l'on entend... Je viens d'entendre parler de «traitement à l'héroïne», qui consiste à donner de l'héroïne aux gens. J'ai entendu parler de livraison de drogue à domicile, d'échange de préservatifs, de piqueries offrant toutes les garanties de sécurité et d'échange de seringues, alors qu'on a très peu parlé de réhabilitation, de désintoxication, de la nécessité d'une harmonisation, du nombre d'établissements de réhabilitation, etc., qui ont leur intérêt dans le cadre de cette réduction des dommages. J'ai davantage entendu parler dans un sens que dans l'autre. Il faut pourtant bien que l'objectif soit d'éloigner les gens de la drogue et non pas de maintenir la consommation.

• 1155

J'aimerais savoir si la Chambre de commerce accepte cette notion de réduction des dommages ou encore s'il y a un homme d'affaires dans notre pays qui y croit. Que représente, dans votre esprit, la réduction des dommages et quelle est sa place dans le cadre de la politique que nous menons? Je commencerai par là.

M. Dennis Farrell: Laissez-moi vous répondre sur ce point.

Je conviens avec vous qu'il est tout à fait indispensable de traiter les victimes de la drogue. Toutefois, il est tout aussi essentiel à mon avis d'essayer d'éviter que les jeunes ne se lancent au départ dans la drogue.

Au sujet de la réduction des dommages, je vous ai dit que nous avions parlé avec un certain nombre de personnes, notamment avec M. Shenkey. Nous avons eu aussi la chance de parler avec un certain nombre de personnes qui sont allées à Francfort et qui ont raconté leur expérience. Je ne suis pas un spécialiste des drogues. Les témoins qui ont déposé tout à l'heure, John Turvey et certains de ses collègues le sont, par contre, et il est probable qu'ils en savent plus que moi.

En tant que néophyte, j'ai entendu dire que les drogues qui nous causaient des difficultés étaient l'héroïne et la cocaïne. L'héroïne est une drogue différente de la cocaïne; c'est un dépresseur alors que la cocaïne est un stimulant. Si un héroïnomane pouvait fréquenter un centre de réduction des dommages ou d'injection en toute sécurité, s'il pouvait bénéficier de conseils d'experts—de personnes s'efforçant de le convaincre que demain, si ce n'est aujourd'hui, elles seront en mesure de l'aider, de le sortir de ses difficultés et de lui faire suivre un traitement pour qu'il puisse se débarrasser de son accoutumance—ce serait une excellente chose.

En réalité, nous savons qu'une grande partie des toxicomanes du quartier prennent de la cocaïne. Nous savons qu'un cocaïnomane doit prendre de la cocaïne à de nombreuses reprises chaque jour. Un simple calcul nous enseigne que s'il y a 5 000 ou 6 000 cocaïnomanes qui prennent tous les jours de la drogue, et s'ils se rendent au site d'injection en toute sécurité chaque fois qu'ils s'injectent de la cocaïne, cet hôtel ne sera jamais assez grand pour tous les accueillir.

Nous considérons que le traitement est la solution. Nous ne cherchons pas à nous désintéresser du problème et nous n'avons pas le coeur sec. Nous sommes convaincus que c'est finalement le traitement qui va nous permettre de régler la situation de ces personnes, un traitement à l'intention des drogués, et la prévention pour ceux qui risquent de le devenir. Nous savons que cinq à six pour cent de notre population a éventuellement une propension à consommer de la drogue. Nous ne voulons pas que les gens n'entendent jamais dire qu'il ne faut pas consommer de drogue, quelle qu'elle soit.

M. Randy White: Très bien.

J'aimerais poser une autre question, mais je ne sais pas s'il me reste du temps.

La présidente: Faites rapidement, alors.

M. Randy White: Cette question s'adresse à Glenn.

Je me trouvais un jour dans la rue avec un certain nombre de toxicomanes et d'hommes d'affaires du centre-ville. Je leur ai posé la question qui me venait immédiatement à l'esprit: «Où trouvez-vous l'argent pour survivre?» L'un des toxicomanes s'est tourné vers l'homme d'affaires et m'a répondu: «Je le vole». Je connais des gens qui ont eu jusqu'à 30 ou même 100 condamnations. Constamment, ils repassent devant la justice et reçoivent 300 $ d'amende pour trafic de drogue, puis on les condamne à une peine avec sursis. Vous savez, ça varie à la hausse ou à la baisse, mais ce n'est jamais sérieux.

Que peut bien penser l'homme d'affaires, alors qu'il y a tant de gens qui s'en prennent à lui? Comment va-t-il réagir, notamment, lorsque quelqu'un lui dit: «Je vais simplement vous voler. Si je me fais prendre, je restituerai la platine de la stéréo et je reviendrai vous voler plus tard»? Quel est le sort réservé à l'homme d'affaires? Où cela va-t-il finir, à votre avis?

• 1200

M. Glenn Young: Bien évidemment, la criminalité qui s'attaque à la propriété fait partie de nos grandes priorités à Vancouver. Nous sommes très préoccupés par la question étant donné que si l'on n'est pas en sécurité pour se loger et faire des affaires, aucun commerce ne viendra s'installer et nous n'inciterons pas les gens à venir ici.

La Chambre de commerce est résolument en faveur des tribunaux spécialisés dans la drogue. Nous sommes allés à Portland et nous avons parlé avec les responsables de ce projet. Vous savez, rien n'est parfait. Ils éprouvent là-bas des difficultés auxquelles ils cherchent à remédier, mais au moins ils font quelque chose.

Nous éprouvons le même sentiment au sujet des tribunaux spécialisés dans la drogue chez nous. Nous avons peur que même si nous mettons sur pied un réseau de tribunaux nous ne disposions pas de suffisamment de lits pour traiter les patients. Nous ne considérons certes pas que la criminalité des toxicomanes s'accompagne d'une intention coupable, au sens où ils volent pour satisfaire leur vice et, par conséquent, ce n'est pas... Disons qu'il n'est pas justifié de les jeter en prison, mais nous devrions leur imposer un autre choix, soit de suivre un traitement pour se défaire de leur accoutumance chaque fois que c'est possible. C'est possible avec un réseau de tribunaux spécialisés dans la drogue. Nous considérons que cela permettrait à ces gens de se sortir de ce cercle vicieux.

Vous avez bien raison, des histoires de ce genre dérangent énormément. On a vu des gens condamnés à 96 reprises qui partent libres. Ils vont continuer à voler. Il faudrait peut-être envisager non pas tant de les incarcérer mais d'aller au coeur du problème, soit de s'en prendre à leur toxicomanie. On pourrait peut-être, par conséquent, chercher à les désintoxiquer en leur faisant suivre un traitement.

Je sais que le gouvernement fédéral a bien avancé sur la question des tribunaux spécialisés dans la drogue, mais l'action de ce dernier doit déboucher sur un traitement, et nous craignons encore que l'on manque de lits. En l'absence d'installations de traitement suffisantes, les tribunaux spécialisés dans la drogue perdent toute efficacité. Ils ne peuvent rien faire. On ne sait pas où mettre tous ces gens.

Voilà quelle serait la réponse. Quoi qu'il en soit, il faudrait que l'on collabore davantage à tous les paliers de gouvernement pour résoudre la question du traitement, comme Dennis l'a indiqué tout à l'heure.

Pour en revenir à la réduction des dommages, nous considérons que la prévention est le principal pilier de la politique de réduction des dommages. Je pense que le milieu des affaires—malgré la conjoncture économique actuelle au sein de laquelle les analystes du monde des affaires font preuve de catastrophisme et nous disent que c'est la fin du monde et que nous allons tous faire faillite—se caractérise naturellement par son esprit d'entreprise. Les entrepreneurs sont tous des optimistes, sinon ils ne monteraient pas une entreprise. Ils iraient vraisemblablement travailler pour le gouvernement. Toutefois, en tant qu'entrepreneurs, nous sommes axés sur l'avenir. Nous avons un projet bien déterminé pour nos entreprises, pour la société dans laquelle nous vivons et pour ce qui est de l'avenir car c'est dans l'avenir que nous allons réaliser nos bénéfices.

La prévention nous situe vraiment dans l'avenir et c'est ce dont nous avons besoin au Canada pour empêcher nos jeunes de se lancer dans la drogue. Bien sûr, nous ne réussirons pas à les empêcher tous, mais nous voulons qu'ils soient le moins nombreux possible. C'est ce que l'on peut réussir à faire en recourant à la prévention, à des mesures de sensibilisation, à des campagnes publiques. Quoi que nous fassions, il nous faut faire comprendre aux étudiants et aux jeunes qu'il n'est pas bon de consommer de la drogue. C'est très semblable à ce que nous faisons au sujet du tabac. Nous disons aujourd'hui à la population que le tabac n'est pas bon pour sa santé. Nous devrions peut-être faire la même chose ici.

Nous considérons donc la prévention comme un volet important de la réduction des dommages. Nous avons vraiment incité tous les paliers de gouvernement à se pencher sérieusement sur la question et, comme l'a dit Dennis, à mettre sur pied une campagne visant à créer un climat de réduction des dommages ou de prévention.

La présidente: Merci, monsieur Young.

Madame Davies.

Mme Libby Davies: Merci, Paddy.

Je vous remercie d'être venus aujourd'hui.

Je suis en quelque sorte préoccupée par le fait que l'on nous répète constamment que la réduction des dommages ou ce que l'on perçoit comme une libéralisation des politiques canadiennes en matière de drogue va faire la promotion d'un mode de vie axé sur la drogue. Il me semble que M. Farrell, notamment, a indiqué que cela s'opposait en quelque sorte à la nécessité d'intervenir et de recourir au traitement. Je dois vous dire pourtant que tous les témoins que nous avons entendus, notamment ceux de ce matin, qui ont exposé avec une grande passion les bienfaits des interventions qualifiées de non contraignantes en matière de réduction des dommages, ont par ailleurs évoqué la nécessité de recourir à des traitements accessibles et disponibles à la demande.

Il me semble qu'il y a ici beaucoup d'indications selon lesquelles lorsqu'on dispose de services peu contraignants... D'ailleurs, un chercheur, M. Kerr, est venu nous dire tout à l'heure que la mise en place en Europe de ce genre de services peu contraignants a en fait entraîné une augmentation du recours aux programmes de traitement disponibles. Les effets ont donc été positifs.

• 1205

Je pense que l'on est très mal renseigné sur les centres d'injection en toute sécurité et autres mesures de ce type. En fait, je ne sais pas si c'était hier ou avant hier, l'inspecteur Kash Heed, le chef de la police des moeurs et de la drogue, nous a dit que l'on évaluait à 82 p. 100 la part du budget de la police consacrée aux problèmes liés à la drogue. L'enjeu économique est énorme.

Voici ce qu'il nous a dit ensuite:

    Les projets pilotes d'injection de drogue sous supervision constituent une dérogation à la stricte application de la loi. Pourtant, il faut que cette mesure controversée soit prise en compte dans le discours sur la réduction des dommages. Les centres d'injection sous supervision ont pour principal objectif de permettre aux usagers de drogue par voie intraveineuse de se faire des piqûres en toute sécurité dans un milieu sain, contrôlé et discret plutôt que de le faire en public.

C'est dit par un inspecteur du service de police.

Il y a bien des avis à ce sujet et je pense que bien des gens s'appuient sur des anecdotes qui renforcent leurs convictions. En dernière analyse, est-ce que la Chambre de commerce n'estime pas qu'il nous faut prendre nos décisions en fonction des faits? Les décisions ne doivent-elles pas effectivement être prises sur la foi des éléments de preuve qui nous sont fournis par d'autres pays ou par notre propre ville?

Je pense que l'on entend tellement de choses. Vous nous dites tous deux que vous n'êtes pas des spécialistes, et j'apprécie votre franchise. Nous avons des quantités de rapports d'experts qui nous disent à mon avis tous la même chose au sujet de ce que nous devons faire.

Est-ce que la Chambre de commerce fait confiance à ce genre de chose? Ne pensez-vous pas qu'il est très important de s'en tenir à des éléments de preuve plutôt que de faire confiance aux rumeurs que l'on entend souvent?

M. Dennis Farrell: Laissez-moi préciser une chose. Je ne voulais pas laisser entendre qu'à mon avis la libéralisation de la politique de la drogue favorise la consommation de drogue. Je dis que ce n'est pas là le message qu'il faut envoyer aux gens que nous voulons vraiment protéger contre la drogue, c'est-à-dire aux jeunes. C'est tout ce que je veux dire.

J'en reviens maintenant à un autre volet très intéressant de votre question. La recherche qui a présidé à la conception de la politique des quatre piliers du maire a été effectuée avant tout en Suisse. Les éléments de preuve qui ont été obtenus dans ce pays, si vous voulez les qualifier de témoignages d'experts, sont à la base de cette politique des quatre piliers. La Suède, qui mène une politique diamétralement opposée, n'a pas été mentionnée dans ce rapport. Par conséquent, si vous demandez à un organisme néophyte en la matière comme l'est la Chambre de commerce de Vancouver quelle est la politique qui a sa faveur... Personnellement, je connais très bien l'expérience suédoise par opposition à celle de la Suisse.

Madame Davies, si vous vous souvenez, nous avons organisé il y a environ trois ans une conférence dans le centre-ville Est—et je crois que vous étiez présente—au cours de laquelle on a pu entendre un expert suisse et un expert suédois qui n'étaient pas d'accord l'un avec l'autre. Donc, lorsque vous parlez «d'éléments de preuve», de quoi s'agit-il? Quels sont les faits prouvés? Voilà comment je répondrais à votre question.

J'ai indiqué il y a une minute qu'il faudrait que notre pays envisage dans certains cas d'imposer un traitement. Je ne me prononce pas en tant que professionnel de la santé mais comme quelqu'un qui constate logiquement qu'un certain nombre de pauvres sont victimes de la drogue dans notre quartier. Je considère que c'est peut-être la meilleure façon de les aider. Je n'en suis pas sûr, cependant.

Mme Libby Davies: On considère souvent que la Suède est un paradoxe... ou c'est une autre façon de démolir la politique de la réduction des dommages. Il faudrait peut-être davantage nous informer à ce sujet. Je crois savoir que ses politiques et ses programmes partent d'un point de vue très différent qui est lié à la lutte contre l'alcoolisme. C'est peut-être donc un cadre différent et je pense que cela fait partie du problème.

Pour ce qui est de la consommation de drogue en pleine rue, je crois que Francfort est en fait un exemple très utile étant donné que la situation est très semblable à celle qui est la nôtre ici à Vancouver. On relève avec intérêt que les services policiers ont en fait été à l'origine du débat qui a eu lieu dans cette ville et des changements qualificatifs qui y ont été apportés.

• 1210

Je pense qu'il y a toutes sortes de variantes en la matière, mais je pars du principe que la Chambre de commerce a appuyé globalement la politique des quatre piliers. C'est bien ça?

M. Dennis Farrell: Oui... et en ajoutant, comme l'a indiqué M. Young, un cinquième pilier. Bien évidemment, le cinquième pilier ne peut pas exister si les trois ou quatre autres ne sont pas en place.

M. Glenn Young: J'aimerais répondre sur la question des éléments de preuve. Je ne suis pas un juriste, mais dans le monde des affaires nous prenons les études et les rapports très au sérieux parce que c'est notre travail. Nous fondons la réussite de nos entreprises sur ce que nous disent les experts. Nous avons entendu les représentants des deux camps, nous connaissons donc la plupart des éléments en jeu et nous en sommes venus à nos conclusions compte tenu de ce qui nous a été présenté.

Voici quelle a été notre réponse au sujet des programmes de soutien peu contraignants. C'est le point 17 de notre réponse à la politique des quatre piliers; je vous la lis:

    Nous sommes en faveur de la mise en place de centres d'accueil de jour ou de programmes de soutien faiblement contraignants, accessibles et s'adressant aux toxicomanes des quartiers situés à l'extérieur du centre-ville Est à condition que l'on ne tolère pas la consommation de drogue sur place et que ces centres donnent accès à des services de consultation et de traitement.

Nous sommes donc en faveur de services faiblement contraignants, mais nous considérons effectivement qu'une partie du problème vient de la concentration des services dans le centre-ville Est et qu'il nous faut trouver un moyen de disperser cette population. Nous n'avons pas toutes les réponses, mais nous savons pertinemment que pour un trafiquant de drogue, le centre-ville Est est un endroit idéal étant donné que l'on y concentre tous ses clients. Il n'a pas besoin de se déplacer. En tant qu'homme d'affaires, je dois entrer en contact avec des réseaux et des centres de distribution dans le monde entier, ce qui complique mon exploitation. J'aimerais bien que le gouvernement fédéral regroupe tous mes clients en un seul endroit pour que je n'aie pas à aller les chercher.

Je pense donc que nous appuyons effectivement, jusqu'à un certain point... Nous ne sommes pas totalement opposés. La Chambre de commerce et le monde des affaires ont toujours été représentés comme les méchants qui souhaitent simplement que tous ces drogués disparaissent et aillent mourir ailleurs. Ce n'est pas vrai. Nous estimons que ce sont des êtres humains comme nous et qu'ils font partie de notre collectivité.

La Chambre de commerce de Vancouver se compose d'environ 60 ou 70 p. 100 de petites entreprises comme la mienne. J'ai une entreprise qui emploie trois personnes et nous comptons beaucoup de petites entreprises. Les gens qui ont effectué la recherche pour nous et qui ont donné notre réponse sont par ailleurs des membres de petites entreprises. Donc, nous prenons effectivement cette affaire à coeur et nous voulons travailler. Il y a des choses avec lesquelles nous ne pouvons pas être d'accord, mais c'est ainsi.

Mme Libby Davies: Est-ce qu'en faisant cette réponse vous recommandez de ne pas installer de centres faiblement contraignants dans le centre-ville Est?

M. Glenn Young: Non.

Mme Libby Davies: D'après le texte, vous nous dites qu'ils devraient tous être à l'extérieur...

M. Glenn Young: À l'extérieur, oui.

Mme Libby Davies: ...donc, vous refusez tout centre de ce type dans le centre-ville Est.

M. Dennis Farrell: Oui, effectivement.

M. Glenn Young: Je ne pense pas qu'on l'ait prévu ainsi, mais nous aimerions qu'ils soient dispersés. Je pense que c'était notre intention.

Mme Libby Davies: Très bien.

La présidente: Je vous remercie.

Monsieur LeBlanc.

M. Dominic LeBlanc: Merci, messieurs, de votre exposé.

Vous nous avez dit que le développement économique de cette partie de la ville était important. Je pense que vous avez tout à fait raison. On entend dire de plus en plus que nombre de toxicomanies s'expliquent en partie par le manque de débouchés économiques. Je viens des Maritimes. Lorsqu'on parvient à procurer des débouchés à la population sur le plan économique, bien des problèmes sociaux disparaissent. Je suis donc très sensible à ce problème et je vous félicite de l'avoir mentionné.

Vous nous avez dit aussi, monsieur Young, qu'il était important à votre avis de se tourner vers l'avenir et d'être optimiste, ce que font les gens qui sont dans les affaires. J'ai été frappé ce matin par les exposés des gens qui vous ont précédés et je crois que vous avez pu assister en partie à leur témoignage. J'essaie de penser aussi au moyen d'insuffler un certain optimiste à ces gens. Bien évidemment, nous avons la possibilité... et la chance de collaborer sur le plan du développement économique.

Pour certains des toxicomanes dont nous avons entendu parler et que nous avons vus, l'optimisme est un état relatif. Pour leur insuffler un certain optimisme, nous pourrions peut-être leur procurer de meilleurs soins de santé. Je suis aussi tout à fait convaincu que la prévention, que vous avez évoquée, a aussi son importance. Je pense que nous pourrions consacrer davantage d'argent à la prévention. Nous l'avons vu hier lorsque nous avons rencontré un groupe de personnes qui avaient désespérément besoin d'un plus grand nombre de ressources.

• 1215

Si les entrepreneurs qui réussissent sont ceux qui prennent des risques—et c'est un cliché, probablement parce que c'est vrai, que de dire que plus on prend des risques, plus on y gagne, plus le rendement de l'investissement est élevé—je me demande s'il n'est pas temps, dans le cadre de la politique globale des quatre piliers... Je pense que le cinquième pilier, celui de la prévention, est intéressant. Même si la prévention fait partie de la réduction des dommages, il est tout à fait légitime, à mon avis, d'insister sur ce point.

Je me demande s'il n'est pas temps par ailleurs de prendre des risques au sujet de certaines de ces formules de réduction des dommages tout en étant conscient du fait que ces risques doivent être pris dans le cadre plus global de la prévention, de l'accès à un traitement approprié, qui représente à mon avis le gros problème. On nous a répété à satiété que la réduction des dommages, si elle se ramène uniquement à installer des sites d'injection en toute sécurité, ne résoudra pas le problème. Toutefois, si c'est un premier pas qui doit contribuer à améliorer les conditions de vie des toxicomanes, ne pensez-vous pas que vos membres seront sensibles aux avantages qui peuvent résulter du risque ainsi couru?

C'est dans notre intérêt sur le plan économique. Considérez le coût économique de la dégradation de la santé, de la séropositivité et du sida, nous pourrions faire baisser considérablement vos taxes professionnelles si nous n'avions pas à payer tout cet argent en frais de santé. Il est donc certain que vos membres seraient très satisfaits si nous pouvions faire baisser les primes d'AE en réussissant mieux à gérer la crise de la santé que nous voyons poindre dans certaines régions de notre pays. Est-ce que c'est un argument qui se tient?

La présidente: Monsieur Young.

M. Glenn Young: Je pense que vous avez tout à fait raison. Je vous renvoie à un article que j'ai communiqué à nos membres lorsque nous avons entrepris d'étudier la situation du centre-ville Est. Il a été publié, rien de moins, dans Harvard Business Review et le gouvernement fédéral connaît bien son auteur, Michael Porter. C'est un économiste à la Harvard Business School. Il a rédigé une étude traitant des avantages comparatifs des centres-villes. Dans cette étude, il a analysé les difficultés des centres-villes des É.-U., qui sont très semblables à ceux du centre-ville Est de Vancouver. Nous ne sommes pas si différents des É.-U. Il a répertorié bon nombre de problèmes qu'il a examinés sous l'angle économique et aussi social, parce que la situation sociale fait partie de l'économie. Lorsque j'ai suivi mon premier cours d'économie, je me souviens que l'on m'a dit que l'économie n'avait rien à voir avec l'argent, que c'était l'étude du comportement humain et de ses conséquences sociales, etc.

Je vous demande de consulter cette étude si vous en avez la possibilité. C'est un document de quelque 17 pages. C'est une analyse très utile qui a été publiée dans le numéro de mai-juin 1995 du Harvard Business Review.

Vous avez tout à fait raison sur le plan économique. Ce n'est pas tant que nous nous opposions, que nous disions qu'il ne faut pas faire ceci ou cela, même si nous y voyons certains inconvénients dont nous vous avons déjà parlé; c'est plutôt que nous vous demandons de ne pas suivre cette politique à l'exclusion de toute autre. Il y a bien des gens qui appartiennent à l'autre camp, celui des centres d'injection en toute sécurité. Si nous restons ici les bras croisés à écouter tous les partisans des sites d'injection et de réduction des dommages, sans que personne ne se fasse l'avocat de la prévention et du traitement, nous allons avoir une politique très déséquilibrée, comme on a pu le voir. Nous sommes donc venus ici vous demander de mettre l'accent sur la prévention et sur le traitement.

Quant à la valeur du travail et la confiance en soi qu'il procure, je pense que c'est précieux. Je ne sais pas si vous avez entendu le témoignage de Ken Lyote, un habitant du centre-ville Est, qui pendant des années a fait de la récupération dans les décharges. Il a monté une petite entreprise dans le centre-ville Est et il aide les gens de ce quartier à créer des entreprises indépendantes. La Chambre de commerce l'appuie. Au cours d'une campagne qu'elle a menée il y a deux ou trois ans, la Chambre a rallié nombre de ses membres afin qu'ils procurent une grande quantité de ressources au centre-ville Est. Ce sont des ressources en gestion, non pas tant des subventions en argent, des moyens de planification financière aidant les entreprises du centre-ville Est à se développer de façon viable dans ce quartier.

Il faut bien voir, par exemple, que nos institutions financières, nos banques, ont accordé bénévolement 2 500 heures de consultation au quartier, qui n'ont jamais été utilisées. Nous savons depuis pour quelle raison: nous avons agi trop rapidement et nous sommes allés trop vite pour la collectivité des entreprises du centre-ville Est—les entreprises légitimes, dois-je ajouter.

Nous sommes donc en faveur d'une revitalisation du quartier, mais nous ne voulons pas qu'il y ait une concentration, que ce soit là un endroit où l'on se rend pour se faire une piqûre en toute sécurité. Vous avez tout à fait raison, à mon avis, il y a bien des recherches qui restent encore à faire, et nous devons considérer la chose de façon rationnelle et raisonnable. Enfin, pour redonner de l'optimisme à ce quartier, on a commencé à donner du travail à ses habitants, des emplois qu'ils sont en mesure d'occuper compte tenu de leurs qualifications. Je sais que l'Université de la Colombie-Britannique a installé un centre de formation dans ce quartier. Cette action a été fortement critiquée, mais je considère que tous les éléments de la société doivent apporter toute l'aide dont ils sont capables.

• 1220

La Chambre de commerce représente le milieu des affaires. Nos membres sont des entreprises et c'est dans le domaine des affaires que nous pouvons apporter une aide. Nous ne sommes pas des travailleurs sociaux, nous ne sommes pas des spécialistes de la drogue, il y a bien des domaines qui ne sont pas de notre compétence. Toutefois, nous pouvons apporter une aide à notre collectivité dans nos domaines de spécialité. C'est ce qu'a fait l'Université de la Colombie-Britannique. Ce sont des enseignants et ils peuvent donc apporter certaines compétences qui profiteront à d'autres. Nous devons donc tous faire notre part.

Je vous recommande de lire l'article de Porter, vous verrez qu'il définit très précisément les rôles que peuvent jouer les gouvernements, le monde des affaires et les travailleurs sociaux, les gens qui se sont présentés devant vous. Nous avons tous un rôle à jouer pour améliorer le centre-ville.

Je pense qu'il nous faut clairement définir quel est notre rôle, comment nous entendons l'assumer et comment nous allons procéder dans toute la mesure de nos moyens. En ce qui me concerne, vous avez raison au sujet des risques: il y a toujours un élément de risque; l'important, c'est la façon dont on gère ce risque. Dans le commerce, ce n'est pas tant que nous ayons peur du marché en raison des risques encourus; c'est parce que nous savons qu'il y a des risques et que nous cherchons à les gérer. Voilà à mon avis ce que nous cherchons à faire ici: sachant que ce quartier présente des risques, comment les gérer? Comment améliorer la situation et faire en sorte que le milieu des affaires participe à cette opération?

Au sein de cette collectivité, nous sommes systématiquement les méchants. Nous hésitons à aller au centre-ville Est par peur de la manchette dans les journaux: «La Chambre de commerce de Vancouver envahit le centre-ville Est» et pour éviter que l'on fasse de nous des profiteurs financiers. Toutefois, ce n'est pas ce que nous voulons. Nous voulons une société où règne la sécurité, une ville en sécurité, une ville dont nous pouvons être fiers en tant que propriétaires d'entreprise, parce que les gens viendront la visiter et lorsqu'ils viennent—pourquoi s'étonner?—ils apportent de l'argent et c'est bon pour le commerce. C'est bon pour tout le monde.

Lorsque j'étais à Portland, j'ai appris quelque chose à la Chambre de commerce. Le milieu des affaires m'a fait comprendre que le raisonnement devait être que ce ne sont pas les entreprises qui sont bonnes pour la société, c'est une bonne société qui est bonne pour les entreprises. Nous devons donc travailler dans ce sens. Comment améliorer notre collectivité? Une bonne collectivité est bonne pour les entreprises. Ce n'est pas tant l'entreprise qui détermine la qualité de la collectivité, c'est cette dernière qui fait les bonnes entreprises.

Je vous remercie.

La présidente: Merci, monsieur LeBlanc.

Monsieur Young, j'ai une ou deux questions à vous poser. Est-ce que vous avez un fonds de capital de risque, un projet de micro-prêts que vous avez mis en oeuvre sur le modèle de la Banque mondiale des femmes ou de la Fondation Calmeadow? Est-ce que Martin Connell est venu vous donner des conseils pour que vous puissiez mettre de côté de petites sommes, disons des prêts de 1 000 $, qui sont redistribués au sein de la collectivité? Est-ce qu'on a fait ce genre de chose?

M. Glenn Young: Nous sommes passés par Jim Green, qui travaillait pour le compte du gouvernement précédent de la C.-B. Nous avons tranquillement collaboré avec ce responsable afin justement de mettre en oeuvre ce type de programme. Il a commencé par la Banque Four Corners, qui a rencontré certaines difficultés dont je ne sais pas exactement la nature. Toutefois, nous avons envisagé la possibilité de disposer d'un capital de risque et de certains fonds.

Nous nous sommes penchés sur un projet portant sur des régions qualifiées de «zones prioritaires» en Oregon; là encore, nous avons beaucoup appris à Portland. Cette ville s'est servie de ce programme pour construire son centre des congrès. Le centre des congrès a été édifié dans la banlieue de Portland dans une zone défavorisée et la ville a fait appel à son programme s'adressant aux zones prioritaires pour créer de l'emploi. L'organisme financé par le gouvernement a pris pour principe, dans le cadre de ce programme, d'acheter du terrain dans cette zone prioritaire dès qu'il en avait la possibilité.

La présidente: Je vous parle de micro-prêts pour qu'une personne qui souhaite monter une petite entreprise et qui a besoin de 300 $ pour démarrer puisse le faire avec cet argent et le rembourser plus tard, après quoi une autre personne peut l'emprunter à son tour et monter sa propre entreprise.

M. Glenn Young: Je comprends. Effectivement, je crois que certains projets ont été planifiés. Nous n'y avons pas directement participé, mais les responsables nous en ont parlé. Pour ce qui est des taux de réussite, je n'en suis pas sûr, mais j'ai entendu dire...

La présidente: Je suis un peu surprise. Si vous avez chez vous des banquiers qui sont prêts à donner de leur temps, pourquoi ne veulent-ils pas mettre un peu d'argent sur la table pour lancer l'opération?

En second lieu, est-ce que les transitaires et les propriétaires des installations portuaires du port de Vancouver sont membres de la Chambre de commerce?

M. Glenn Young: Oui, pour certains d'entre eux.

La présidente: N'avez-vous pas collaboré avec eux pour essayer de mettre en oeuvre une politique de cautionnement des personnes qui travaillent dans le port pour renforcer ainsi la sécurité et éviter que des conteneurs pleins de drogue ou remplis en partie de drogue se retrouvent dans les rues de Vancouver?

• 1225

M. Glenn Young: Je ne suis pas au courant de la chose. Est-ce que vous êtes au courant, Dennis?

M. Dennis Farrell: Non.

M. Glenn Young: Non, je n'ai pas connaissance d'éventuelles discussions. Nous avons bien un comité qui s'occupe spécialement des questions de transport, mais je n'ai pas entendu mentionner la chose.

La présidente: Il est évident que la drogue arrive ici. Elle arrive, dans une large mesure, par le port et dans des conteneurs. Le gouvernement fédéral a de toute évidence un rôle à jouer. Nous en avons entendu parler par les responsables de Montréal, qui s'en sont fortement inquiétés. Je pensais que ces organisations qui sont vos membres auraient ainsi la possibilité d'entreprendre de changer leurs méthodes, de contrôler le personnel et de nous dire quels sont les autres moyens dont nous devons nous doter pour mieux faire respecter la loi ou pour démembrer certains réseaux criminels qui exercent là leurs activités. C'est de toute évidence un problème. Tout ce que vous pouvez faire pour que les membres du secteur privé agissent à nos côtés en exigeant que certaines mesures soient prises nous serait utile.

J'ai une autre question à vous poser. Je pense que vous étiez dans la salle lorsque nous avons entendu des témoignages accusant des propriétaires d'entreprises peu scrupuleux, notamment les pharmacies. Est-ce que la Chambre de commerce agit en collaboration avec les associations de pharmaciens, par exemple, pour lutter contre ce genre de comportements et faire en sorte que la profession réglemente ses propres activités?

M. Glenn Young: Nous n'avons pas oeuvré en collaboration avec les associations de pharmaciens parce que nous savons ce qui se passe dans le centre-ville Est. J'ai fait des visites guidées dans certains de ces hôtels. Nous connaissons certaines de ces entreprises assez louches et nous aimerions vraiment nous en débarrasser parce qu'elles occupent des locaux que pourraient utiliser des entreprises légitimes. Toutefois, nous n'avons pas, à ma connaissance, collaboré avec les pharmacies dans ce domaine.

La présidente: Monsieur Farrell.

M. Dennis Farrell: Pour ce qui est précisément des pharmaciens, je n'ai pas connaissance d'une collaboration avec leurs associations.

Ce que nous avons fait, lorsque nous nous sommes penchés sur toute cette question de la criminalité portant sur la propriété, c'est que nous avons rédigé il y a trois ans environ un rapport que nous avons communiqué au gouvernement provincial, parce que cela ressort de sa compétence, en recommandant fortement que l'on adopte une modification à la Loi sur les prêteurs sur gage. La Loi sur les prêteurs sur gage, la Pawnbrokers Act, a été adoptée en 1912, je crois, et elle est toujours en vigueur.

Je pense que c'est John Turvey qui nous a expliqué ce qui se passait au sujet des prêteurs sur gage. Certains d'entre eux sont scrupuleux et se conforment à la loi, il n'y a pas de doute. La police de Vancouver a récemment ouvert un service sur Internet que nous contribuons à financer et qui s'efforce de répertorier et de retracer les marchandises qui passent par les prêteurs sur gage. Lorsqu'on a affaire à un groupe peu scrupuleux, et nous savons que certains d'entre eux ouvrent à minuit et ferment à huit heures du matin, il ne s'agit pas dans ce cas de prêteurs sur gage, ce sont simplement des receleurs de marchandises volées.

Nous avons demandé au gouvernement provincial de modifier cette loi. C'est l'administration précédente qui était au pouvoir et elle ne l'a pas fait; elle a en fait refusé de le faire après avoir entendu les interventions d'un certain nombre de maires de l'Union des municipalités de la Colombie-Britannique. Je ne connais pas vraiment la raison de ce refus, mais c'est un point qui nous paraît très important.

Il y a une autre chose très importante à régler, c'est la question des mandats sans possibilité de retour, parce qu'il y a bien des habitants du centre-ville Est qui n'en sont pas originaires. Ils viennent d'autres régions du Canada et il faudrait qu'ils y retournent, avouons-le bien franchement. Toutefois, c'est là un autre problème à un autre niveau.

Il y a bien d'autres choses dont nous pourrions parler, mais je sais que votre temps est limité et nous tenions à défendre notre point de vue.

La présidente: Nous ne manquerons pas de faire un suivi sur la question des prêteurs sur gage.

Vous serait-il possible de parler aux pharmaciens pour voir ce que l'on pourrait faire au sujet des méthodes employées pour rabattre la clientèle, que nous avons évoquées ce matin? Parce qu'en fin de compte, c'est vous, c'est le contribuable qui paie les frais des prescriptions et la méthadone qui est dispensée. Si les gens se comportent de façon aussi odieuse, je pense qu'il est dans votre intérêt, en tant que propriétaires d'entreprise, de dire qu'assez c'est assez et que l'on détourne ici les fonds de notre réseau de santé. Si ces gens peuvent se permettre de payer 25 $ à quelqu'un qui leur amène un client d'une autre pharmacie, cela veut dire que les frais de prescription de 7,88 $ ou 7,66 $ sont trop élevés. Il y a quelque chose qui ne va pas ici, et je considère qu'à partir du moment où il s'agit d'un ordre qui réglemente lui-même ses propres activités, il doit actuellement y avoir des moyens dont vous pouvez vous prévaloir.

M. Dennis Farrell: Je n'en disconviens absolument pas. Il vous faut savoir ce qu'est la Chambre de commerce. La Chambre de commerce est une organisation à participation volontaire, et nous ne sommes donc pas...

La présidente: Qui a beaucoup d'influence.

• 1230

M. Dennis Farrell: Une certaine influence, mais nous n'avons pas de pouvoir de réglementation contrairement à ce que je sais des pharmaciens, des avocats et des médecins.

Il me semble que ce genre de comportement détestable—qui est un comportement criminel, il faut bien l'avouer—devrait être signalé à cet ordre, qui se chargerait alors de faire cesser les activités de ces entreprises. Ça me paraît logique. Si ces comportements sont avérés, je pense que ce serait à la police d'intervenir et de porter la chose à l'attention de l'ordre pour qu'il agisse.

La présidente: Disons que si nos deux lettres arrivent sur le bureau du ministre en même temps, nous pourrons peut-être obtenir quelque chose.

M. Dennis Farrell: Vous avez raison, et je ne manquerai pas d'en parler aux membres de notre organisation. Nous en discuterons entre nous. Toutefois, nous n'avons pas...

À ma connaissance, Glenn, nous n'avons jamais eu aucun représentant de l'industrie pharmaceutique.

M. Glenn Young: Non.

M. Dennis Farrell: Je vous le répète, nous sommes une organisation à participation volontaire.

La présidente: Très bien. Nous avons particulièrement apprécié votre venue. Je souhaitais m'assurer que vous viendriez et je suis sûre que tous les gens autour de cette table se félicitent de votre participation.

J'ai pris le temps, alors que vous étiez en train de parler et que mes collègues vous posaient des questions, de lire le rapport en date du 1er mars que vous avez fait parvenir au maire. Compte tenu de l'expérience que nous avons pu faire en rendant visite à un ou deux centres de traitement hier, je vous suis particulièrement reconnaissante d'avoir mentionné dans votre rapport, à quelque cinq ou six reprises, que l'on avait désespérément besoin d'un plus grand nombre d'installations de traitement, et à plus long terme, dans notre province.

J'ai eu finalement l'impression, à en juger par l'installation que nous avons visitée hier, que les responsables faisaient certes un magnifique travail, mais qu'ils ne disposaient tout simplement pas des outils ou de l'argent nécessaires, et ils évoquaient en fait la possibilité que le conseil d'administration suspende la semaine prochaine leurs activités.

J'ai bien du mal à comprendre—et nous en parlions dans l'autobus—pourquoi on perdrait son temps à gaspiller 1 000 $ si on n'est même pas sûr de pouvoir fournir le reste des services. Pourquoi quelqu'un prendrait-il la peine de construire les installations si personne ne veut investir? C'était particulièrement frustrant.

Le bon côté de la chose, c'est que nous avons rencontré des enfants étonnants dans le centre pour les jeunes, qui nous ont remplis d'espoir et d'optimisme en raison de leur volonté de s'en sortir et de leur capacité à détailler leurs besoins.

M. Dennis Farrell: J'ajouterais simplement qu'il y a des installations de traitement privées qui obtiennent beaucoup de succès. Il y a entre autre l'organisation appelée InnerVisions. Elle est installée à Coquitlam. Vous pourriez peut-être rendre visite à son directeur. C'est Billy Weselowski. Ne me demandez pas d'épeler le nom de cette organisation—InnerVisions.

La présidente: Très bien.

Je remercie nos deux témoins. Ils vont nous quitter et être remplacés par trois nouveaux témoins, parce que nous sommes en retard sur notre horaire. Je vous remercie.

Chers collègues, nos trois témoins sont Lindsay Lyster, directrice des politiques, qui représente l'Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique—Lindsay, vous êtes la bienvenue; à ses côtés, deux autres témoins qui ont été rajoutés à notre liste ce matin, Thia Walter, mère de famille et coordonnatrice de Life is not Enough Society, la LINES; enfin, Ann Livingston, coordonnatrice de projet à VANDU.

Vous êtes ici devant le Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments—je vais finir par le dire sans me tromper. Pour vous situer, nous avons ici des représentants de trois partis politiques, même si les cinq partis sont représentés au sein de notre comité.

Il y a Randy White, de l'Alliance canadienne, qui représente la circonscription d'Abbotsford. Il y a Libby Davies, qui représente le Nouveau Parti démocratique et qui est députée de Vancouver-Est. Dominic LeBlanc est le député libéral de Moncton et je suis la députée libérale de Burlington, qui est située près de Toronto, en Ontario.

Vous disposerez chacun de cinq minutes environ pour faire votre exposé et nous passerons ensuite aux questions. Si vous avez du nouveau à la suite de cette séance, nous vous encourageons à nous faire parvenir vos observations ou des précisions éventuelles.

• 1235

Lindsay, c'est à vous.

Mme Lindsay Lyster (directrice des politiques, Association des libertés civiles de la Colombie-Britannique): Je vous remercie, madame la présidente, et je remercie les membres du comité au nom de l'Association des libertés civiles de la C.-B, qui se félicite de pouvoir prendre la parole devant vous.

Très rapidement, l'Association des libertés civiles de la C.-B. est une organisation privée à but non lucratif. C'est la plus ancienne et la plus active organisation des libertés civiles au Canada. Notre association fait un travail de sensibilisation du public, participe aux débats sur l'élaboration des politiques et des lois du gouvernement, comparaît devant des comités comme le vôtre, et intervient devant la justice. Elle a une longue tradition de défense des droits constitutionnels et des libertés civiles des ressortissants de la Colombie-Britannique et de la population canadienne dans son ensemble.

Sur la question plus précise de l'usage de la drogue et de l'application du droit pénal dans ce domaine, l'Association des libertés civiles s'appuie là aussi sur une longue tradition. Dès 1969, elle est intervenue devant la commission LeDain, une commission d'enquête sur l'usage non médical des drogues. En 1995, notre association est intervenue devant le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles au sujet de ce qui était à l'époque le projet de loi C-7 et qui est devenu aujourd'hui la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

Des exemplaires de ces mémoires de même qu'un autre document ont déjà été remis à votre comité. Je ne sais pas s'ils ont déjà été distribués à ses membres, mais ils vous ont été remis. Je vous en laisserai un exemplaire.

Depuis 1969—depuis plus de 30 ans—l'Association des libertés civiles de la C.-B. préconise la décriminalisation de la possession et de l'usage de la drogue. Comme je vous l'exposerai plus en détail par la suite, le fondement de notre opposition à la criminalisation de la possession et de l'usage de la drogue est double. Je m'appuierai sur deux grands principes.

Le premier est le respect de l'autonomie des personnes. À notre avis, pour respecter cette autonomie, il faut que l'État s'abstienne d'intervenir dans les choix personnels susceptibles d'être faits par les individus en évitant de leur imposer sa propre moralité.

Le deuxième principe—et il découle en fait du premier—c'est que l'on ne peut justifier le recours aux dispositions répressives de notre droit pénal que lorsque le comportement qui va être criminalisé présente un danger grave pour d'autres personnes ou pour la société dans son ensemble. Nous considérons qu'il n'est pas suffisamment prouvé que l'usage ou la possession de drogue représente effectivement un grave danger pour les autres.

En fait, nous estimons que le régime pénal qui s'applique actuellement à l'usage et à la possession de drogue nous démontre que le préjudice lié à la criminalisation de la drogue dépasse de loin le préjudice qui pourrait être causé au départ par l'usage de la drogue.

Je vais traiter brièvement du premier principe, en l'occurrence, le respect de l'autonomie des personnes. Nous considérons qu'au coeur d'une société libre et démocratique il y a la liberté pour chaque citoyen de décider par lui-même du mode de vie qu'il préfère. C'est un principe qui a été soutenu par la Cour suprême du Canada pour appuyer notre Charte des droits et libertés. Dans l'arrêt Morgentaler, la juge Wilson a déclaré: «L'État va respecter les choix faits par les individus et, dans toute la mesure du possible, éviter de subordonner ces choix à une conception quelconque de la vie que l'on doit mener.»

Chacun d'entre nous doit avoir un domaine privé et, dans ce cadre, pouvoir décider de ce qu'il veut croire et de la façon dont il souhaite se comporter. À l'intérieur de ce domaine qui relève de la vie privée, chacun doit pouvoir être en mesure de prendre des décisions avec lesquelles les autres ne sont peut-être pas d'accord et qui peuvent lui causer un préjudice personnel.

Nous affirmons qu'en imposant des sanctions pénales au titre de l'usage et de la possession de drogue, l'État fait usage de l'immense pouvoir que lui confère le droit pénal pour empiéter sur une décision personnelle. Nous disons que le recours au pouvoir ainsi conféré par le droit pénal est tout simplement inadmissible dans ce domaine.

Le second principe qui doit s'appliquer à notre avis en l'espèce est celui du préjudice causé. Comme je vous l'ai dit tout à l'heure, nous entendons par là que les sanctions du droit pénal ne sont justifiées que lorsque le comportement en cause présente un danger pour autrui.

• 1240

Nous vous renvoyons au mémoire que nous avons rédigé, et que je vous ai remis, à la suite du rapport publié en 1969—là encore, il a 30 ans, mais il est toujours applicable—du comité Ouimet sur le service correctionnel, Justice pénale et correction: Un lien à forger, dans lequel on a retenu trois critères pour déterminer la portée du droit pénal.

Selon le premier critère, aucun acte ne doit être proscrit par le droit pénal à moins que ses conséquences, réelles ou potentielles, présentent un net danger pour la société.

En second lieu, aucun acte ne doit être interdit par le droit pénal si ses conséquences peuvent être contrôlées de façon suffisante par d'autres forces sociales. L'opinion publique peut être suffisante pour enrayer certains types de comportements. D'autres comportements peuvent être traités comme il se doit par des moyens autres que la procédure pénale—ainsi, les lois traitant de la santé mentale ou de la situation économique et sociale.

Enfin, aucune loi ne doit entraîner des dommages sociaux ou personnels plus grands que ceux qu'elle visait à éviter.

À notre avis, si l'on applique ces trois critères à la possession et à l'usage de la drogue, on doit conclure que la criminalisation est injustifiée et doit être remplacée par d'autres mécanismes, dont votre comité a beaucoup entendu parler, tels que le recours à la réglementation ou l'adoption de programmes de sensibilisation, de prévention, de traitement et de réduction des dommages. Nous ne disons pas que l'État n'a pas légitimement le droit ou la possibilité d'intervenir en ce qui a trait à l'usage de la drogue, mais selon nous ce n'est pas en recourant au droit pénal qu'il lui faut agir.

Examinons rapidement chacun de ces trois critères. Pour ce qui est du premier, nous disons que rien ne prouve véritablement que la possession ou l'usage de la drogue font courir en soi un grand danger à la société. Nous estimons d'ailleurs qu'il est bien plus probable que les maux que nous attribuons couramment à l'usage de la drogue, tels que la criminalité ou les comportements antisociaux qui s'y rattachent, sont bien davantage causés par la criminalisation de l'usage et de la possession de la drogue que par cet usage lui-même.

Nous sommes convaincus qu'en l'absence d'éléments probants du préjudice causé à la société par l'usage même de drogues, il n'est pas justifié d'imposer des sanctions pénales. La charge de la preuve incombe à notre avis à ceux qui veulent justifier le recours au droit pénal en la matière et non pas aux autres.

Sur ce point, je pense qu'il est très important de ne pas oublier que si nous avons tendance à voir surtout, et c'est bien normal, ceux sur qui la drogue a une incidence grave, dramatique et tragique dans leur vie personnelle—et il nous suffit de passer en voiture dans Main et Hastings pour s'en persuader, mais on peut le voir aussi à Kitsilano, à Shaughnessy ou dans tout autre quartier de notre ville... Nous privilégions les gens dont la vie a été terriblement bouleversée par la drogue, mais il est démontré en réalité que la grande majorité des consommateurs de drogues qui sont considérées actuellement comme étant illicites le font pour leur plaisir sans que cela les empêche de vivre normalement et sans éprouver de grandes difficultés.

À cet égard—et je suis sûre que vous la connaissez déjà—je vous signale qu'une étude très intéressante a été publiée à ce sujet par le comité sénatorial sur les drogues illégales, qui s'intitule La consommation de drogues illicites et la criminalité: Une relation complexe. Cette étude présente un certain nombre de faits très révélateurs, sur lesquels j'attire votre attention.

Dans la mesure où il n'y a qu'une petite minorité d'usagers de la drogue qui en subissent les conséquences tragiques, il n'est certainement pas logique d'appliquer indifféremment le droit pénal à toutes les personnes qui sont susceptibles de posséder ou de consommer de la drogue, même à celles qui n'éprouvent pas de problèmes particuliers en conséquence. Nous considérons que lorsqu'il faut appliquer le droit pénal, il convient de cibler les comportements criminels susceptibles de découler de la consommation de la drogue et, bien entendu, de même que nous avons des lois contre la conduite en état d'ivresse, nous devrions avoir des lois contre la conduite sous l'influence de la drogue. Cela ne veut donc pas dire, là encore, que le droit pénal n'a pas un rôle à jouer. Nous disons, cependant, qu'il faut s'en tenir aux comportements qui posent un problème, et non pas s'en prendre au départ à la possession ou à la consommation de drogue.

Le deuxième critère, qui a trait aux autres moyens de remédier à ce problème, est très important en la matière. Là encore, je ne suis pas un spécialiste des études sur la drogue et il est probable que je n'ai pas de compétence particulière à vous offrir dans ce domaine, mais l'Association des libertés civiles n'en considère pas moins qu'il serait bien préférable d'affecter les ressources dont dispose notre société, non pas à des activités coûteuses visant à réprimer, à poursuivre et à sanctionner les personnes coupables d'infractions à la législation de la drogue, mais plutôt à des projets d'information visant à sensibiliser le public au sujet de l'usage de la drogue et des programmes de traitement et de réhabilitation à l'intention des personnes qui souhaitent en profiter.

Nous ne sommes pas d'accord avec les programmes de traitement obligatoires, mais nous sommes tout à fait convaincus que l'on devrait consacrer bien davantage de ressources à la disponibilité et à l'accessibilité des programmes de traitement et de réhabilitation ainsi qu'aux programmes de réduction des dommages au bénéfice des personnes qui ne veulent pas encore—ou qui ne voudront peut-être jamais, malheureusement—participer à des programmes de traitement ou de réhabilitation. Nous considérons donc qu'il y a de bien meilleures façons d'utiliser les deniers publics que de recourir à la répression aux termes de la loi dans ce domaine.

• 1245

Quant au troisième critère, qui consiste à savoir si, tout bien considéré, l'imposition de sanctions pénales a plus d'avantages que d'inconvénients, nous considérons que de toute évidence l'imposition du droit pénal dans ce domaine fait plus de mal que de bien. Là aussi, votre comité aura déjà entendu parler d'un certain nombre de ces conséquences pernicieuses.

J'en ai dressé la liste au bas de la page 4 et en haut de la page 5 de mon mémoire. Il y a l'imposition d'un casier judiciaire, avec toutes les conséquences préjudiciables que cela suppose pour des gens qui veulent voyager ou essayer d'obtenir un emploi; la création d'une sous-culture criminelle liée à la drogue, à laquelle les usagers sont obligés de participer pour pouvoir se procurer la drogue; la mise en place d'une industrie de la drogue criminelle et lucrative, avec toutes les conséquences horribles que cela entraîne; l'apparition d'une catégorie marginalisée de personnes, qui ont probablement du mal à bénéficier des programmes publics tels que l'assurance santé, par exemple; enfin, l'énormité du capital financier et humain mobilisé par ce que l'on appelle «la guerre contre la drogue».

Je n'ai pu que le feuilleter rapidement mais, comme vous le savez certainement, un rapport a été publié hier par la vérificatrice générale, dont l'un des grands sujets d'inquiétude est le montant énorme des dépenses consacrées par le Canada à la stratégie de lutte contre la drogue, dont une grande partie est affectée à l'offre, à la répression, plutôt qu'à la demande, sans que l'on ait le moyen de vérifier si l'on en retire un quelconque avantage. Je dirais plutôt que, compte tenu des données dont nous disposons, tout prouve que l'on n'en retire aucun avantage.

Au bas de la page 5, nous dressons la liste d'un certain nombre d'autres sujets de préoccupation. Comme nous manquons de temps, je ne les passerai pas tous en revue. Vous pourrez en prendre connaissance dans le document.

Tout bien considéré, nous disons que les solutions actuelles face aux problèmes de la drogue ne sont pas bonnes. Si elles l'étaient, vous ne siégeriez pas au sein de ce comité, et le comité sénatorial ne siégerait pas non plus. De toute évidence, ça ne marche pas. Il est bien temps, à mon avis, d'envisager d'autres solutions.

L'Association des libertés civiles trouve très encourageant que l'opinion publique et que les politiciens à tous les niveaux, y compris le vôtre, aient pris conscience des failles de notre stratégie actuelle face aux problèmes que pose la drogue. Nous félicitons votre comité de prendre le temps de revoir cette question.

Il semble que l'inspecteur Heed ait témoigné lundi devant votre comité. Je n'avais pas connaissance de ce fait et je ne sais pas ce qu'il vous a dit ce jour-là mais, lorsqu'il a témoigné devant le comité sénatorial, il a déclaré, entre autres, que la police de Vancouver avait pour politique de ne pas inculper des personnes accusées de simple possession d'une drogue quelconque, et pas simplement de marijuana, et que pour ce qui est de la marijuana en particulier, il réclamait l'abandon de toute sanction pénale. Si les personnes qui opèrent sur le terrain dans le cadre de cette lutte contre la drogue parlent ainsi, on peut dire que notre stratégie a échoué. Nous ne manquons pas de féliciter la police de Vancouver de ses déclarations en la matière.

Pour résumer, l'Association des libertés civiles de la C.-B. espère sincèrement que votre comité saura saisir l'occasion qui s'offre ici pour faire des recommandations visant à instaurer une réforme systématique de notre législation sur la drogue qui s'appuie sur des principes solides, une réforme qui amène la suppression de toutes les sanctions pénales s'appliquant à l'usage et à la possession de la drogue dans le cadre d'une stratégie bien plus large s'attaquant aux problèmes de fond que pose l'usage de la drogue dans notre société.

La présidente: Merci, madame Lyster.

Madame Walter.

Mme Thia Walter (coordinatrice, Life is Not Enough Society (LINES)): Bonjour.

Je m'appelle Thia Walter. Je suis la mère d'un toxicomane profond et à long terme. J'habite et je fais du bénévolat dans le centre-ville Est. Mon fils a maintenant 37 ans et voilà 12 ans qu'il consomme de l'héroïne et parfois de la cocaïne. Je suis quelque peu abasourdie par un certain nombre de choses que j'ai entendues.

Je dois vous dire tout d'abord que les escroqueries au loyer ne jouent qu'un rôle infirme dans la vie des sans-abri. C'était davantage un problème il y a deux ans, entre autres en raison des mesures qui ont été prises par le ministère. Je peux vous dire que mon fils est l'un de ces sans-abri et j'en tiens le gouvernement provincial et la justice directement responsables. Il y en a des milliers comme lui que je fréquente et avec lesquels je travaille tous les jours, toute la journée, sept jours par semaine, et je suis outrée.

Monsieur White, vous avez évoqué la nécessité de sanctionner ces délinquants. Je suis d'accord avec vous. S'ils sont dévoyés, il faut qu'ils soient sanctionnés. Toutefois, s'ils se lancent dans une mauvaise voie parce qu'il n'y en a pas d'autres, il est temps de leur donner d'autres possibilités de choix.

• 1250

Le 17 octobre à sept heures du soir, le tribunal a relâché mon fils et un autre contrevenant, dont le centre de détention provisoire de Port Coquitlam, construit au coût de 40 millions de dollars, avait forcé la comparution. On ne les a pas autorisés à téléphoner. Ils n'ont pas été autorisés à manger parce qu'ils n'étaient ni détenus, ni invités. La procédure a suivi son cours. On les a mis dehors par la porte de service en leur souhaitant bonne chance et ils se sont retrouvés dans le centre-ville Est toujours vêtus du maillot et du pantalon portant l'inscription «B.C. Corrections». Ils n'avaient ni argent ni carte d'identité.

On ne leur a pas permis de téléphoner. Aucun des deux n'avait consommé de drogue depuis au moins deux mois. Où ont-ils dû aller pour téléphoner et trouver de l'aide? Ils ont dû traverser la rue et se rendre au centre d'échange de seringues.

J'attendais et j'attendais. Je lui avais donné les indications lui permettant de me contacter ou d'appeler son avocat. Je suis finalement arrivée en courant et nous nous sommes rencontrés au restaurant le plus proche. Mon fils a pu changer de vêtements. Je ne m'attendais pas à ce qu'il ait un camarade. Je les ai fait manger et je leur ai donné toute la menue monnaie que j'avais sur moi. J'ai pris des dispositions pour que mon fils entre dans un foyer d'accueil d'urgence, à Dunsmuir House. J'ai tout organisé par moi-même, ce n'est pas le travailleur social ou l'agent de probation, contrairement à ce que le tribunal avait ordonné, qui l'ont fait, parce que tout le monde est rentré chez soi à quatre heures. L'autre contrevenant s'est glissé en pleine nuit dans Main et Hastings en espérant trouver sa petite amie pour pouvoir au moins changer de vêtements. Voilà le genre de traitement auquel on assiste.

Je suis tellement fière de voir que certains politiciens ont pris dernièrement des résolutions bien précises, comme Allan Rock où, même s'il y a bien d'autres enjeux, Philip Owen, notre maire. Ils nous disent que nous avons besoin de centres d'injection de la drogue en toute sécurité ainsi que de traitements à l'héroïne. Ce qui m'inquiète, c'est que l'on consacre 5 millions de dollars aux tribunaux spécialisés dans la drogue pour sanctionner ces personnes. Personne n'a pu trouver le moyen de faire en sorte qu'ils puissent apporter leurs affaires personnelles au tribunal.

Ce que je trouve aussi scandaleux, c'est le fait que les propriétaires marrons se préoccupent très peu du sort des sans-abri. En fait, ces derniers n'ont pas suffisamment d'argent pour louer 350 $, à 360 $ ou à 380 $ une chambre infestée de rats et de cafards parce qu'ils sont sous tutelle et qu'on leur prélève déjà 10 $ par mois pour chacun des dépôts versés au titre des dommages éventuels qu'on a omis de restituer par le passé. En fin de compte, ils n'ont pas les moyens de payer leur logement. Ils n'ont pas les moyens de payer quoi que ce soit.

Cinq jours plus tard, il était de nouveau accroché. Sa main était terriblement infectée. Il était entré directement et indirectement en contact avec au moins une vingtaine des organisations ou des services généreusement financés du centre-ville et personne ne lui a jamais demandé: «Avez-vous un endroit où vous loger? Pouvons-nous vous aider?» Non. On lui dit: «Bon, voilà cinq jours que vous êtes là, vous avez épuisé la durée de votre séjour. Vous ne pouvez pas revenir ce soir au centre d'accueil.» Ou encore: «Sans carte d'identité, vous ne pouvez pas venir au centre d'accueil parce que nous ne serons pas payés. De plus, la police vérifie les bons de logement et nous ne pouvons pas vous en fournir si vous n'avez pas de carte d'identité.» On laisse donc l'intéressé sous la pluie même si l'on a affaire à une personne en chair et en os. Je demande que nous revenions à l'essentiel.

• 1255

Ne considérez pas les sites d'injection et les traitements à l'héroïne comme des programmes de réduction des dommages. L'expression «réduction des dommages» est à la mode. C'est une entreprise en vogue et nombre de trafiquants de drogue en font désormais. Je vous adjure d'appeler la chose par son nom: c'est une mesure de santé d'urgence. Si vous voulez assurer la continuité des soins, il faut que les intéressés continuent à vivre, s'ils sont morts, ça ne marche plus.

Mon petit bureau est situé dans l'un de ces lieux sordides dont parlait la Chambre de commerce. Cela s'appelle le Sunrise. Là, on loge ceux qui sont les plus difficiles à loger. Nous avons désespérément besoin d'un grand nombre de locaux comme celui-là. Pourtant, on en a bloqué l'utilisation. On en a vidé 1 100 pour les rénover et ils vont rester vides pendant que les gens sont dans la rue. C'est totalement stupide.

Lorsque nous parlons à nos politiciens, nous constatons qu'ils ont du courage, de la prescience et qu'ils ont fait leur travail. Une fois que l'on passe par les bureaucrates, tout se transforme et l'on n'arrive jamais à des résultats.

Il y a plus de trois ans, on a versé une subvention de près de 1 million de dollars dans notre quartier à un centre de ressources s'adressant aux toxicomanes, principalement parce qu'on ne les accepte pas dans le complexe Carnegie qui a coûté des millions de dollars. Que s'est-il passé? Nous n'en savons rien. Mais voilà que trois ans plus tard, la fondation Carnegie va administrer un programme dans la rue en se servant de ces locaux, qualifiés de centre de contact de la drogue, où éventuellement quatre ou cinq personnes pourront venir s'asseoir, prendre un café et repartir en vitesse. Une fois dans la rue, on achète, on vend, on s'injecte et on meurt, et le centre de contact ne pourra rien y faire. Les gens sont déjà informés et, s'ils ne le sont pas, ils ne vont pas fréquenter un centre de contact si ce n'est pour prendre un café.

Ce que j'aimerais vraiment que l'on fasse, c'est que l'on aborde de front la question de la réduction des dommages, des quatre piliers et de la continuité des soins, et que l'on s'occupe des urgences sur le plan de la santé. Nous avons désespérément besoin d'aide. On nous dit qu'il faut agir partout. Disons que s'il y a 20 personnes à Prince George qui sont dans la rue et que cinq d'entre elles ont un accident, c'est bien triste et il faut faire quelque chose. Toutefois, si dans un seul quartier de la ville il y a 2 000 personnes dans la rue et que 200 ou 400 d'entre elles sont en train de mourir... En octobre, nous avons enregistré 11 suicides liés à la drogue.

Vous essayez de me dire que l'on a fait un choix. Croyez-moi, mon fils et d'autres comme lui prétendent peut-être avoir le choix, mais lorsqu'on est malade, sale, sans abri et lorsqu'on a faim, qu'on est trahi par sa famille et qu'on a perdu toutes ses possessions, on n'a pas le choix et l'on retombe systématiquement dans l'ornière. J'ai vu des hommes de 40 ans pleurer sur mon épaule après s'être abstenus pendant 89 jours de prendre de la drogue dans le cadre d'un programme de désintoxication et avoir été expulsés du programme parce qu'ils n'avaient pas tenu jusqu'au bout.

Nous devons à mon avis faire confiance aux véritables spécialistes: ceux qui prennent de la drogue. J'ai fait récemment une enquête en profondeur. Étant donné que les gens de la rue me font confiance, ils acceptent de me répondre. Nous avons recueilli des statistiques étonnantes. Le coût moyen de la drogue consommée par un toxicomane se situe aux alentours de 3 000 $ par mois.

Si l'on se désintéresse des gens, on devrait au moins se préoccuper des questions d'argent. Pour remédier à cette situation, on pourrait faire un premier pas en fournissant de l'héroïne ou un autre stimulant. Il faut ensuite se pencher sur toutes les autres options. On pourrait mettre en place des centres permettant aux drogués de retrouver leur état normal. Voilà six ans que nous les attendons. Mais maintenant, nous avons des taxes, un centre qui semble destiné à donner de l'emploi aux 12 travailleurs sociaux engagés par la commission de la santé.

Je vous assure que je suis très frustrée. Si je donne l'impression de m'en prendre à vous, ce n'est pas le cas. Ne considérez pas cela comme une attaque personnelle. Je suis frustrée. J'ai moi aussi la main infectée, j'ai l'impression d'être au bord du choc nerveux et je devrai partir très vite.

• 1300

Je veux que vous compreniez à quel point tout cela est important, que nous n'avons pas affaire ici à des êtres anonymes. Nous parlons d'êtres humains, qui ont des sentiments et des pensées. Ils ont besoin de manger, de respirer, de se laver, de disposer d'un lieu pour aller aux toilettes. Ils n'ont pas cela. Tout ce qu'ils ont, c'est la drogue.

Je vous remercie.

La présidente: Merci, madame Walter.

Madame Livingston.

Mme Ann Livingston (coordonnatrice de projet, Vancouver Area Network of Drug Users): Je serais très brève.

J'aide les toxicomanes à s'organiser. Je suis coordonnatrice de projets à VANDU. J'ai mis au point un modèle d'organisation suffisamment souple pour pouvoir s'adapter aux terribles conditions dans lesquelles les gens vivent dans le centre-ville Est. Si les toxicomanes peuvent venir vous parler aujourd'hui, c'est parce qu'il y a un groupement d'usagers des drogues à Vancouver. Si nous n'étions pas là, ils ne seraient pas là, à mon avis.

Si vous êtes d'accord avec le principe exprimé à un certain nombre de reprises, selon lequel chaque région doit s'occuper de ses propres problèmes de drogue, il faut donc à mon avis que chaque collectivité soit disposée à se doter d'un groupe d'usagers en mesure d'élaborer et d'aider à mettre en oeuvre un programme de réduction des dommages. Le gouvernement fédéral peut largement contribuer au départ au financement de ces groupes. De la façon dont je vois les choses, il faudrait bien sûr que les femmes participent à la création et à la mise en oeuvre des programmes s'adressant aux femmes, et il devrait en être de même pour les Autochtones ou les homosexuels. Mettez-vous bien une chose dans la tête: nous allons échouer, comme nous avons déjà échoué. La situation à laquelle nous avons affaire est un véritable cauchemar et nous n'avons jamais fait participer les toxicomanes aux solutions.

Je pense que les méthodes et la réputation de VANDU au sein de la collectivité nous montrent que nous avons affaire ici à des gens conscients et responsables qui sont prêts à faire beaucoup de recherches. Nous comptons 1 000 membres. Constamment, des gens viennent se joindre à notre groupe. Les toxicomanes ont très envie de s'impliquer. Dans le cadre du modèle que j'utilise, ils sont considérés comme un groupe de citoyens qui se réunissent pour résoudre un problème collectif.

Je tiens à vous avertir ici qu'il y a certaines personnes qui se trompent complètement en se figurant qu'une organisation au service des sidatiques ou tout autre groupe de ce genre serait susceptible de faire ce travail. Je vous signale que si les fournisseurs de services comme les organisations qui sont au service des sidatiques ou les centres d'échange de seringues, qui sont certainement éparpillés dans toute notre province—je ne sais pas si on les retrouve à l'échelle du Canada, mais chaque région, bien entendu, a sa propre organisation—étaient en mesure de faire ce travail auprès des usagers, ce serait fait maintenant. Je vais donc vous demander de faire une chose pour moi et vous présenter une recommandation.

Le plus important au sein d'une organisation d'usagers, c'est la méthodologie. Avec un minimum de crédits au départ pour tenir des réunions, on fait en sorte que les gens s'organisent en leur disant qu'il faut que quelqu'un prenne les décisions. On leur dit qu'il va leur falloir constituer un comité directeur. Il leur faudra ensuite prendre les décisions concernant le financement. Non, il ne s'agit pas de tout dépenser en distribuant de l'héroïne, par exemple. On agit dans le cadre arrêté avec le gouvernement lorsqu'on a obtenu la subvention.

Selon la méthode dont je fais la promotion, les groupes d'usagers opèrent sans aucune subvention ou le gouvernement fédéral ne fournit qu'une subvention de démarrage pour qu'ils aillent ensuite trouver eux-mêmes des fonds. C'est bien évidemment ce qu'a fait VANDU. Nous avons lancé un groupe sans aucune subvention et nous avons ensuite réussi à exercer des pressions tout à fait légitimes pour trouver des fonds parce que nous avons réussi à représenter véritablement les usagers devant la commission de la santé. Je ne sais pas jusqu'à quel point la commission de la santé se félicite de nous voir agir, mais elle a suivi. En fait, je suis persuadée qu'elle est contente de nous voir agir, c'est une bonne publicité.

Tout récemment—les responsables sont encore là—nous avons eu une conférence du Forum nord-américain de défense des traitements contre le sida, et une vingtaine de personnes ont voulu hier soir venir voir ce que nous faisions dans le centre-ville. Je suis donc un peu fatiguée. C'est un peu la rançon de la gloire sur notre propre terrain. Je pense que nous jouissons d'une bonne renommée à l'échelle internationale, ou du moins nationale.

À l'heure actuelle, Santé Canada subventionne ce que le ministère appelle les projets de prévention communautaires de l'hépatite C et de la séropositivité. Je vous signale que ces crédits ne sont pas versés à l'heure actuelle aux groupements d'usagers. Nous avons touché un peu d'argent, mais nous comprenons bien que lorsqu'on s'intitule Réseau des usagers de la drogue dans la région de Vancouver... Les crédits ont été approuvés en avril, mais nous avons dû attendre jusqu'en décembre pour toucher le premier chèque. Nous espérons avoir déblayé le terrain pour tous les futurs groupements d'usagers, qui pourront alors être considérés, comme c'est bien normal, comme des projets légitimes en matière de santé. Dans d'autres pays comme l'Australie, ils sont associés aux programmes de prévention du sida. Nous avons donc touché un peu d'argent de Santé Canada.

• 1305

Je tiens aussi à vous signaler avec beaucoup de précautions—je ne sais pas vraiment comment présenter la chose—que la région de la vallée du Fraser et d'Abbotsford a enregistré 17 surdoses. Je crois que c'était en l'an 2000. Prince Rupert a enregistré une année un taux très élevé de surdoses. Je crois que sept à dix personnes sont mortes. Pour une ville de cette taille, c'est très significatif. Nanaimo en a eu 13. Nanaimo se situe entre 10 et 20. Victoria en a eu 18. Il est même arrivé qu'on enregistre 23 décès à Victoria. Kamloops en a eu dix, mais je crois que l'on a dépassé la dizaine une année. Je suis donc motivée par le fait que Nanaimo a besoin de se pencher sur...

Vous ne pouvez pas imaginer. Je suis une dame tout à fait comme il faut. Je n'ai jamais pris de drogue de ma vie. Lorsque la réunion commence, les usagers s'exclament tous: «Mais d'où vient-elle celle-là, de l'église? Elle est folle ou quoi?», mais ils viennent tous me voir. Cela prend un certain temps. Au bout d'un certain temps, je commence à leur dire: «Bon, qu'est-ce qui se passe? Qu'est-ce que vous allez faire maintenant? Comment allez-vous rester en vie? Vous êtes sans abri.» Nous partons donc du principe qu'il faut se donner les moyens d'agir ensemble, ce qui ne coûte pas très cher, mais ce qui est par ailleurs très convivial.

Vous entrez dans une pièce et quelqu'un vient vous demander: «Vous êtes spécialiste; vous allez donc nous dire ce qui se passe. Je suis là pour enregistrer vos paroles et nous allons les rapporter au gouvernement.» Vous voyez ce que je veux dire? C'est une façon bien plaisante de faire les choses.

Je pense que Kamloops peut résoudre ses problèmes pour ce qui est des usagers de drogue. Elle aura probablement besoin de crédits de démarrage pendant plus d'un an. Selon la rumeur, on parle de l'organisation à ce sujet d'une conférence avec Santé Canada, mais voilà cinq ans qu'on nous la promet et nous finissons par nous lasser de voir que tout est bloqué depuis cinq ans.

Par conséquent, si vous pouviez me faire plaisir et prévoir une recommandation... Si vous êtes d'accord avec le principe selon lequel le Nouveau-Brunswick... Je ne sais pas, quelle que soit la région d'où ils viennent, les gens sont inquiets et ils se demandent «Que vont dire les habitants de Fort St. John?» Demandons-nous ce que les gens de Fort St. John ont à dire parce que c'est possible et parce que ça ne coûte pas grand-chose.

La présidente: Je vous remercie et merci à tous.

Il nous reste un peu de temps pour les questions. En fait, c'est faux. Nous n'avons plus de temps pour les questions, mais je crois que nous allons le prendre, à condition de nous en tenir à des interventions de cinq minutes.

Monsieur White, vous pourriez peut-être commencer.

M. Randy White: Je vais prendre encore moins de temps que ça, madame la présidente.

J'ai une chose à demander à Mme Walter. Vous nous dites que votre fils est toxicomane. J'aimerais savoir comment il l'est devenu, où ça s'est passé et où il se trouve à l'heure actuelle. Par ailleurs, pensez-vous qu'on aurait pu éviter la chose?

Mme Thia Walter: Non. Il avait 25 ans. C'est un mythe. La majorité des personnes qui se droguent par voie intraveineuse que nous avons interrogées ont commencé vers 25 ans. Certaines d'entre elles avaient 30 ans. Certaines avaient des entreprises.

L'intérêt de la prévention, c'est que l'on retire l'aura dont jouit la consommation de drogues illégales pour que les enfants ne soient pas attirés. Si on fait des tournées dans les écoles en disant: «Vous allez être victimes de l'accoutumance si vous consommez de la marijuana», ils savent que c'est faux. Par conséquent, si c'est faux, c'est peut—être faux en ce qui concerne l'héroïne, la cocaïne épurée et bien d'autres choses. Ils vont essayer ou vont parler aux trafiquants de leur école.

Le principe, c'est que si nous parvenons à banaliser la question de la drogue, à en faire un sujet de traitement médical, comme on le fait à Merseyside, elle n'aura plus la même aura pour les jeunes. On ne gaspillera donc plus notre argent à dire aux jeunes que telle ou telle personne a des pustules sur la figure et qu'il va lui arriver la même chose. Lorsqu'ils viennent ici, ils se rendent compte qu'il n'y a pas tant de personnes avec des pustules sur la figure; ils voient les cas extrêmes et ils savent faire la différence.

Nous devons nous montrer bien plus honnêtes et lutter contre la drogue en tenant compte de la situation actuelle avant de consacrer des quantités d'argent à des programmes comme le PSED ou à la prévention dans les écoles. Ce n'est pas à ce niveau qu'il faut agir, croyez-moi.

M. Randy White: Je vous remercie.

La présidente: Madame Davies.

Mme Libby Davies: Merci d'être venues, Thia et Lindsay.

Nous avons pris connaissance d'un grand nombre de témoignages. Avec le peu que nous avons entendu, nous nous rendons compte que ce n'est que la pointe de l'iceberg. Je crois que nous en sommes tous bien conscients.

• 1310

J'aimerais dire une chose cependant au sujet de VANDU parce que je crois que c'est le premier groupe d'usagers de drogue implanté au Canada et peut-être même en Amérique du Nord. Je ne sais pas mais je crois, si j'en juge par ma propre expérience, parce que nombre des membres de VANDU habitent dans la circonscription de Vancouver-Est, que c'est effectivement VANDU qui a vraiment fait avancer le débat en la matière. Avant la création de cette organisation, les usagers de la drogue étaient tellement marginalisés et tellement hors circuit qu'on ne les entendait jamais parler. Pour commencer, ils ne savaient même pas à qui s'adresser, que ce soit à la commission de la santé ou à la mairie. Je considère donc qu'effectivement votre organisation et le modèle qu'elle préconise ont véritablement changé le cours du débat.

Nous sommes tous habitués désormais à voir Earl, Dean et d'autres intervenants venir à nos audiences. J'ai assisté à de nombreuses conférences où les membres de VANDU ont pris les devants de la scène. Toutefois, c'est à mon avis un phénomène qui ne date que de quatre ans.

Mme Ann Livingston: VANDU a été créé en 1998.

Mme Libby Davies: Bon, en 1998, il y a donc trois ans à peu près. Je pense que le principe qui consiste à fournir, et il ne faut pas vraiment beaucoup de ressources... Vous travaillez pour presque rien.

Mme Ann Livingston: Nous sommes bon marché.

Mme Libby Davies: Oui, vous êtes bon marché. Toutefois, c'est très important. Je pense que cela règle des problèmes qui touchent d'autres collectivités. Dominic a évoqué ce qui se passe dans la sienne. Toutefois, lorsqu'on donne aux toxicomanes une voix au chapitre et la possibilité de s'unir, on change en fait le cours du débat. Je tenais à ce que vous sachiez que je vous appuie dans votre entreprise.

Thia, je considère effectivement que vous avez su nous rappeler bien des réalités aujourd'hui. Je vous ai entendue à de nombreuses reprises. Vous êtes une oratrice très convaincante. Aujourd'hui, vous avez vraiment su évoquer un sujet qui est implicite dans toutes nos délibérations depuis trois jours, mais que vous avez rendu plus explicite. Je veux parler de la question de la pauvreté, de ce qui se passe lorsque des personnes sont marginalisées au sein de la société. Lorsque nous cherchons à revenir à l'essentiel, nous n'avons pas vraiment abordé suffisamment les questions de logement ou d'alimentation, ou encore la nécessité d'avoir tout simplement un lieu où aller, de pouvoir se rendre aux toilettes ou autres commodités de ce type.

J'ai bien aimé aussi le mémoire de l'Association des libertés civiles. Si j'avais une question à poser, ce serait au sujet... Nous avons beaucoup débattu de la nécessité de se doter d'une stratégie nationale de large envergure, ce qui est important, mais il est tout aussi important d'avoir une stratégie locale. Je me demande si vous avez le sentiment qu'en raison de tout le travail que vous avez effectué, l'opinion publique est prête à l'heure actuelle à Vancouver à appuyer certains des éléments de la stratégie qui sont éventuellement plus controversés. Pensez-vous qu'il y ait eu une évolution au cours des trois dernières années?

Mme Thia Walter: Je pense que nous avons bien progressé aux plus hauts niveaux, aux trois paliers de gouvernement. Là où nous échouons, essentiellement, c'est lors de la mise en application ou lorsqu'on envisage celle-ci. Pour une large part, les cinq programmes conçus et mis en place par la commission de la santé ne dispensent pratiquement pas de traitement aux toxicomanes. Ils sont néanmoins très décoratifs, sans vouloir les décrier. Je considère qu'ils n'ont pas d'objectifs bien définis et qu'ils ne sont pas vraiment à la hauteur de l'urgence de la situation. Il faut séparer deux choses: le traitement, d'un côté, et les projets d'urgence en matière de santé, de l'autre. Les deux choses doivent être distinctes. Il ne faut pas les confondre.

Mme Ann Livingston: C'est aussi mon avis. La situation d'urgence en matière de santé qui a été publiquement déclarée n'a toujours pas été suivie par des actes et je crois que certaines personnes...

Mme Libby Davies: C'était en novembre 1998?

Mme Ann Livingston: En novembre 1997.

Mme Libby Davies: En 1997. Une situation d'urgence en matière de santé a effectivement été publiquement déclarée par la commission de la santé.

Mme Ann Livingston: Nous nous demandons en fait si nous ne pourrions pas entamer une contestation judiciaire. C'est certainement aussi grave que lorsqu'on a poursuivi la Croix-Rouge lors de l'affaire du sang. On en est à des milliers et à des milliers de morts. Je pense qu'elles peuvent être évitées et j'estime que Thia a bien su aborder la question. Je n'y avais pas réfléchi non plus en ces termes.

J'aimerais dire que lorsqu'on en arrive au point où... Vous savez, on met des programmes entre les mains de certains responsables et soudainement on se préoccupe de savoir si l'on a prévu suffisamment de mesures de sécurité pour les infirmières dans le bâtiment plutôt que de chercher à savoir si elles vont être en mesure de traiter nos clients.

Disons que je m'en fiche complètement. Je n'ai pas peur de ces personnes. Nous n'avons pas peur d'elles. Toutefois, vous savez, il arrive un moment où toutes les bonnes intentions que l'on peut avoir... Allan Rock y a consacré un million de dollars. Libby a fait le siège de son bureau. Je dois vous dire que c'est une vague de protestations qui s'est levée. Pourtant, trois longues années ont passé.

• 1315

Il est si simple d'ouvrir les portes d'un bâtiment. Vous voyez, nous étions tellement désespérés. On a confié la chose à la commission de la santé et voilà que l'on perd son temps à attendre. Elle a fait engager à plein temps un employé qui se contente de faire des relations publiques en la matière, et pourtant il y a 200... Le centre-ville est tellement saturé—vous allez le voir. Il y a tout simplement plein de monde sur le trottoir. En outre, la situation ne fait qu'empirer. Plus on parle et plus on est censé faire des choses, plus la situation réelle des gens empire dans la rue.

Il y a quatre ans, le fils du témoin n'aurait pas été en si mauvaise posture. Nous trouvons étrange de devoir venir vous dire cela, parce que ça ne devrait pas se passer comme ça. Plus le dialogue s'instaure dans l'opinion publique, plus les mentalités semblent se libérer, et plus la situation se complique de notre côté.

C'est bien beau d'avoir un nouveau centre de contact, mais j'aimerais savoir qui va en être exclu dès le départ. On ne devrait exclure personne de ces endroits; ils sont conçus pour accueillir les gens qui sont le plus en danger. Après tout, ce sont ceux-là qui répandent les maladies.

La présidente: Merci, Ann. Je crois savoir que vous serez avec nous ce soir...

Mme Ann Livingston: Oui.

La présidente: ...nous aurons donc la possibilité de constater davantage de choses de visu.

Monsieur LeBlanc.

M. Dominic LeBlanc: Merci, madame la présidente.

Je vous remercie de vos exposés. Ils n'ont pas manqué de conclure en beauté une matinée très intéressante, et j'ai bien apprécié ce que vous nous avez dit.

J'ai quelques questions précises à poser à Lindsay. J'ai lu nombre de publications de l'Association des libertés civiles. Je pense que vous faites un excellent travail. Vous provoquez un débat public très intéressant sur toute une série de questions et vous avez à bien des égards une longue tradition dont vous pouvez être fiers, lorsqu'il s'agit de montrer la voie aux gouvernements.

J'ai été surpris de vous entendre parler—c'est une discussion qui a lieu fréquemment, j'imagine, au sein de l'Association des libertés civiles—du fait que le droit pénal impose une certaine moralité. C'est un moyen bien facile de... Ce qui est moral pour l'un est un crime pour l'autre. Je considère pour ma part que le droit pénal est l'expression de la moralité de la société. Je veux dire par là que lorsque le Code criminel rend illégale la bigamie, il est l'expression de la moralité du Parlement. Je considère donc que le Code criminel, qui est en soi l'expression de la morale de la société, a probablement besoin d'être réformé. Il est probable que dans le domaine de la drogue plus que dans tout autre, il y a un besoin de changement. De là à dire, cependant, que l'on ne peut pas imposer sa morale... Le droit criminel est l'imposition, à mon avis, de la morale exprimée par le Parlement.

Vous nous avez parlé de la criminalisation de l'usage et de la possession de drogue. Je suis aussi sensible à cet argument. L'argument que l'on avance, c'est que le pouvoir dont dispose le Parlement en matière pénale est le plus facile à invoquer lorsqu'il s'agit d'adopter une loi nationale touchant des programmes de lutte contre la drogue, par exemple. Ce fut le cas pour l'avortement il y a de nombreuses années. Ce n'est plus le cas maintenant, mais le recours au droit pénal est la solution facile qu'a trouvée le Parlement pour adopter ses lois. Étant donné qu'il s'agit d'un pouvoir fédéral et qu'il s'applique aux petites localités comme aux grandes villes de notre pays, c'est devenu le recours privilégié.

Est-ce que l'Association des libertés civiles préconise que ces substances, au cas où elles seraient décriminalisées—la possession et l'usage de la drogue—deviennent légales? Autrement dit, on pourrait les décriminaliser tout en continuant à les contrôler. Elles pourraient rester illégales tout en étant décriminalisées. L'alcool et le tabac sont des exemples qui viennent immédiatement à l'esprit.

Une dernière question, qui est l'expression d'une simple curiosité intellectuelle en ce qui me concerne. Vous nous avez parlé de l'inspecteur Heed, qui a été très convaincant hier, et qui nous a dit que la police de Vancouver avait tout simplement décidé de ne pas réprimer certaines infractions et de ne pas prononcer d'inculpations. Un groupe tel que le vôtre, qui est certainement en faveur de l'état de droit, ne trouve-t-il pas étrange qu'un service policier puisse décider, à sa discrétion, de ne pas faire appliquer une loi adoptée par le Parlement? L'inspecteur Heed est un très grand policier mais ce n'est pas lui, que je sache, qui vote les lois au Parlement.

J'aurais pensé que vous seriez inquiets de voir que les services policiers décident à un moment donné de ne pas faire appliquer cette loi parce que les gens de la région en ont par-dessus la tête. Ne trouvez-vous pas cela inquiétant?

La présidente: Excusez-moi, mais avant que Mme Lyster vous réponde, j'aimerais féliciter Mme Walter et Mme Livingston d'être venues aujourd'hui. Nous vous reverrons plus tard. Si vous avez d'autres choses à nous dire par la suite, nous serons heureux d'entendre votre témoignage.

Mme Thia Walter: J'en resterai là. Je vous ai fait en sorte une chronique de ce qui se passe dans la réalité.

La présidente: Ne vous inquiétez pas, nous nous pencherons sur la question. Merci beaucoup et bonne chance.

Mme Thia Walter: Bonne chance à vous aussi.

La présidente: Merci.

Madame Lyster.

Mme Lindsay Lyster: Merci.

Il y avait ici plusieurs questions en une. Je m'efforcerai de répondre à toutes. Si j'en oublie, dites-le-moi.

• 1320

Pour ce qui est de l'usage privilégié que fait le gouvernement fédéral des pouvoirs relatifs au droit pénal pour légiférer dans ce domaine, c'est vrai—c'est le moyen le plus facile de légiférer en la matière. Je pense toutefois que si vous considérez les décisions prises par la Cour suprême du Canada dans des arrêts comme celui d'Hydro-Québec, vous savez que la cour est disposée ou prête à autoriser le gouvernement fédéral à faire usage de ses pouvoirs en matière pénale pour renforcer les régimes de réglementation. Dans l'affaire d'Hydro-Québec, il s'agissait de la réglementation sur l'environnement. Il y a donc des moyens, à mon avis, d'utiliser les pouvoirs relatifs au droit pénal comme une superstructure à l'intérieur de laquelle on peut mettre en place des régimes de réglementation.

Nous ne préconisons certainement pas que ces substances soient totalement déréglementées. Vous avez pris l'exemple de l'alcool et du tabac. Ce sont là des modèles que l'on peut envisager pour réglementer ces substances une fois que l'on aura décidé que les sanctions du droit pénal ne sont pas appropriées pour en contrôler l'usage. De toute évidence, ce n'est pas une bonne façon d'en contrôler l'usage et que peut-on mettre à la place?

Nous sommes certainement en faveur d'une réglementation, qui nous paraît un moyen plus approprié.

Quant à l'application sélective de la loi, il est bien évident que la police dispose d'un pouvoir discrétionnaire étendu dans chaque cas précis—va-t-on, par exemple m'imposer une amende pour excès de vitesse? Si je n'ai dépassé la limite autorisée que de cinq kilomètres à l'heure, je ne recevrai peut-être pas d'amende. Il y a un certain pouvoir discrétionnaire de la part...

M. Dominic LeBlanc: Excusez-moi de vous interrompre, mais vous comparez ici un simple excès de vitesse à l'infraction pénale de possession de drogue.

Mme Lindsay Lyster: Ce n'est là qu'un exemple pour vous montrer que la police peut tout à fait légitimement faire usage d'un pouvoir discrétionnaire dans la façon dont elle réprime les infractions.

La situation nous inquiète néanmoins, du moins à Vancouver. L'application de la loi est très irrégulière à l'échelle du pays, et je pense que votre comité en a entendu parler, parce que dans certaines localités, les lois du Canada ne sont pas appliquées alors que dans d'autres elles le sont avec un maximum de rigueur. Nous sommes très préoccupés par une situation qui fait que nous avons sur papier une loi qui, aux yeux de certaines personnes, n'est pas bonne, ne donne aucun résultat, ce qui fait qu'il y a une application sélective à l'échelle du pays. Nous ne pensons pas que ce soit là une situation acceptable.

Nous félicitons la police de Vancouver d'agir comme elle le fait dans le cadre de sa compétence, mais nous ne pensons pas, sur le plan des principes, que ce soit là le rôle des services policiers ou des agents de police pris individuellement. Il est bien préférable d'adopter de bonnes lois, en mesure d'être appliquées uniformément à l'échelle du pays. Nous considérons que cette question doit relever d'un régime de réglementation et non pas d'interdictions relevant du droit pénal comme c'est le cas actuellement.

Vous avez aussi invoqué le rôle que joue la moralité dans le droit pénal. L'Association des libertés civiles considère que la moralité n'a pas sa place dans le droit pénal. Ce que doit faire le droit pénal, c'est empêcher qu'un préjudice soit causé à la société. Bien entendu, les choses se confondent parfois. Ce que nous jugeons pernicieux, nous le jugeons ainsi en raison d'une morale historique, de nos traditions morales. Ce n'est pas parce que nous estimons qu'il n'est pas bon d'altérer son état de conscience en usant de la drogue, ce n'est pas parce que nous jugeons cela immoral, qu'il faut justifier l'imposition du droit pénal.

M. Dominic LeBlanc: Que dire du fait d'être marié à deux personnes en même temps? On peut penser que cela relève aussi directement de votre conception de la vie privée.

Mme Lindsay Lyster: Je vous avoue bien franchement que nous nous inquiétons des dispositions du Code criminel concernant la polygamie, mais je ne veux pas entrer aujourd'hui dans ce sujet.

M. Dominic LeBlanc: Non, mais est-ce que l'Association des libertés civiles est favorable à la polygamie?

Mme Lindsay Lyster: Nous avons précisément écrit une lettre à ce sujet à la ministre de la Justice.

M. Randy White: Bon, voilà qui m'intéresse.

La présidente: C'est votre anniversaire; vous feriez bien de ne pas vous y intéresser de trop près.

Mme Lindsay Lyster: Non, mais cela relève évidemment de la compétence de votre comité. Il y a des choses qui n'en font pas partie. Tout le reste, dans la vie...

Pour que les dispositions du Code criminel puissent être imposées à bon droit, il faut que l'on ait prouvé qu'il y a un risque non négligeable pour la société dans son ensemble. C'est ce qui nous paraît être le fondement de l'application du droit pénal.

Historiquement, chaque fois que la société a cherché à étendre l'application du droit pénal au-delà des domaines dans lesquels il était prouvé que la société dans son ensemble courait un risque non négligeable—vous avez pris l'exemple de l'avortement—vous pouvez voir à mon avis que ça n'a pas donné de bons résultats. Prenez le cas de l'alcool, lorsqu'on a interdit par le passé la consommation d'alcool en recourant au droit pénal, ça n'a pas donné de résultats. Nous considérons donc que l'histoire nous enseigne que lorsque nous cherchons à utiliser le droit pénal dans un tel but, il est inefficace et produit même des effets pervers.

M. Dominic LeBlanc: Je vous remercie.

• 1325

La présidente: Dans le même ordre d'idée et toujours au sujet de l'alcool, est-ce que l'Association des libertés civiles de la C.-B. propose que nous établissions—je ne sais plus comment on les appelle en C.-B., mais dans ma province c'est la RAO—une régie chargée de distribuer la drogue et de faire les contrôles? En certains endroits, il vous faut une carte pour entrer dans un magasin de la RAO et une personne peut dénoncer son conjoint, ce qui fait que la carte peut être retirée et que l'on ne peut plus acheter d'alcool. Proposez-vous ce genre de régime, par exemple?

Mme Lindsay Lyster: Je pense qu'il y a un certain nombre de régimes que l'on peut envisager. Il est évident que mon association doit se pencher davantage sur les différents régimes susceptibles d'être appliqués et il faudra que votre comité le fasse de son côté.

Un certain nombre de modèles sont possibles. Le modèle des régies des alcools pourrait convenir, certainement au sujet de drogues comme la marijuana. On pourrait aussi penser au régime hollandais où la drogue est servie dans les cafés, ce qui permet d'assurer un contrôle au moyen de l'octroi de licences d'exploitation.

On peut envisager divers régimes, mais je vous avoue qu'il faut que mon association se penche davantage sur la question. En préparant notre intervention d'aujourd'hui, il était très clair dans notre esprit que les principes de base qui doivent s'appliquer en l'espèce—à savoir le respect de l'autonomie des personnes et la nécessité d'un préjudice—excluent en fait la criminalisation de la possession et de l'usage de la drogue.

Il est moins évident d'appliquer ces principes à la distribution. Sur le plan pratique, il n'est certainement pas très utile de décriminaliser et de réglementer la possession et l'usage de la marijuana si, pour pouvoir en acheter, on est obligé de s'impliquer dans la sous-culture de la criminalité. Ça ne sert pas à grand-chose. Il nous faut donc, à mon avis, voir plus loin et envisager la décriminalisation—comme nous vous l'avons dit, on doit pouvoir être libre de posséder et de consommer de la drogue—sous l'angle de la distribution et d'autres questions de ce type.

La présidente: J'espère que vous pourrez vous pencher sur la question car il est bien évident que depuis que je préside ce comité, partout où je m'arrête, on me dit qu'il faut tout simplement légaliser la drogue. Que va-t-il se passer alors? Comment va-t-on opérer? Nous savons que c'est le Hezbollah, l'IRA et les Talibans qui distribuent ce genre de produit—il y a de bien tristes sires appartenant au crime organisé qui participent à ce trafic. Je ne veux pas que des adolescents entre en relation avec ces gens; il y a bien d'autres mauvais comportements et une foule d'activités illégales qu'il convient d'éviter.

Je pense qu'il ne suffit pas de dire qu'il «faut décriminaliser» sans ajouter «et voici ce que nous proposons», parce que je ne crois pas qu'il soit légitime—de la même manière que certaines personnes dans notre pays... En outre, je suis bien évidemment en faveur de l'usage de la marijuana à des fins médicales, et nous allons procéder à des essais et prendre d'autres mesures. Il me paraît difficile de dire aux gens de ma circonscription: «Bon, vous n'avez pas légalement le droit de posséder de la drogue, mais je vous signale que si vous êtes vraiment malades, vous pouvez aller dans la rue en acheter.» C'est un problème.

Nous sommes donc passés ici à une deuxième étape—il nous a fallu un certain temps, mais nous l'avons fait et c'est vraiment important—nous allons faire des essais pour nous assurer qu'il y a vraiment des bénéfices pour la santé. Toutefois, quant à dire simplement qu'il faut décriminaliser... Ça m'inquiète un peu quand personne ne s'est penché sur la question de la distribution.

Mme Lindsay Lyster: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Il ne suffit pas de décriminaliser l'usage et la possession, parce qu'il vous faut voir quels sont les liens avec l'achat et la distribution. L'exemple que vous venez de donner, madame la présidente, illustre bien la situation impossible dans laquelle se retrouvent les personnes qui bénéficient d'une exemption pour usage de la marijuana à des fins médicales mais qui doivent se lancer dans des activités criminelles pour l'acquérir. On n'a pas encore arrêté définitivement la solution, mais il est évident que l'un des modèles à envisager est celui de la société des alcools, sans compter le modèle des cafés utilisés en Hollande. Je pense que dans le cas des toxicomanes—pas des simples usagers, mais ceux qui sont vraiment accrochés à la drogue—il faudrait éventuellement se pencher sur le modèle de distribution d'héroïne dont a parlé Mme Walter.

Bien entendu, il y a d'autres questions qui doivent encore être étudiées d'un point de vue médical ou autre. Je pense qu'il nous faut être prêt à envisager toutes sortes de mécanismes et autres mesures visant à s'assurer que l'on ne perpétue pas le modèle de la victimisation et de la revictimisation à outrance des personnes qui font usage de ces drogues.

La présidente: Enfin, vous avez entendu M. Farrell évoquer tout à l'heure les répercussions potentielles sur nos échanges des modifications apportées à la politique canadienne—et c'est certainement le cas avec notre grand voisin, où certains gouverneurs s'engagent dans la voie que vous avez indiquée, mais où la majorité ne le font pas. Vous avez mentionné Amsterdam, ou les Pays-Bas. En fait, ils ont toujours des lois, qu'ils n'appliquent pas en raison des traités internationaux.

Il s'agit donc, là encore, de savoir quel est le cadre international. Est-ce que l'Association des libertés civiles de la C.-B. oeuvre en collaboration avec ses homologues aux États-Unis? Êtes-vous au courant, par exemple, de certaines implications et de la façon dont on pourrait régler certains problèmes si l'on décidait de s'engager dans la voie que vous avez préconisée aujourd'hui?

• 1330

Mme Lindsay Lyster: Toute la question de savoir exactement quelles sont les obligations du Canada aux termes des traités internationaux est épineuse et, n'étant pas un spécialiste du droit international, je ne peux pas prétendre avoir toutes les réponses ici.

L'une des choses que je tiens à souligner c'est qu'effectivement, vous avez raison, les Hollandais ont des lois qu'ils n'appliquent pas, apparemment parce qu'ils s'inquiètent de leurs obligations en vertu de ces traités dont ils sont signataires. Ce n'est pas une situation idéale, pour les raisons qu'a indiquées M. LeBlanc. Je ne pense pas que cela soit une bonne chose pour l'administration de la justice, pour le respect de l'état de droit et pour la bonne marche des services policiers d'avoir une loi dont tout le monde connaît l'existence et de s'entendre en douce pour ne pas l'appliquer. Nous ne sommes pas en faveur d'une telle situation. Il se peut que ce soit une solution de dernier recours; j'espère que non.

Il y a une chose que je sais au sujet de nos obligations en vertu des traités internationaux, c'est que ces obligations sont subordonnées aux principes de notre droit et de notre Constitution. C'est une clause que prévoient nos traités. On peut légitimement alléguer—et d'ailleurs mon association va présenter cet argument en tant qu'intervenante devant la Cour suprême du Canada l'année prochaine dans l'affaire Malmo-Levine—qu'il est en fait inconstitutionnel de criminaliser la possession et l'usage de la marijuana. Je ne vais pas entrer ici dans tous les détails de cette argumentation, que nous présenterons devant une autre instance.

Nous sommes bien persuadés, et au moins un juge de la Cour d'appel de la C.-B. est d'accord avec nous sur ce point, que l'on peut légitimement alléguer qu'en fait notre Constitution n'autorise pas la criminalisation de l'usage et de la possession de drogue, du moins en ce qui concerne la marijuana. Si c'est effectivement le cas, nous sommes autorisés à décriminaliser—en fait, nous sommes obligés de le faire—sans que nos obligations en vertu des traités ne nous en empêchent.

La présidente: Très bien, je vous remercie.

Je suis sûre que nous aimerions tous parler encore pendant des heures de ce sujet. Nous avons particulièrement apprécié de tous vous rencontrer à Vancouver et d'avoir pu entendre des témoins de ce calibre au cours des trois derniers jours.

Je remercie nos techniciens et nos interprètes, qui nous ont permis de faire en sorte que toutes ces délibérations aient lieu dans les deux langues officielles.

Merci d'avoir su si bien représenter l'Association des libertés civiles de la C.-B.; ce fut passionnant.

Merci, chers collègues. Nous allons lever la séance. Nous serons à Abbotsford demain et nous reprendrons le cours de nos délibérations. Nous devons visiter certaines installations cet après-midi et ce soir. Étant donné qu'il est 13 h 30 et que nous devions partir dans une demi-heure, nous pourrions peut-être ne partir que dans une heure.

Une voix: Prenons un peu de temps pour déjeuner.

La présidente: Très bien, si vous êtes d'accord, nous nous retrouverons par conséquent en bas à 14 h 30, nous appellerons les responsables et nous leur dirons que nous allons avoir 15 minutes de retard.

Je vous remercie. Merci à tous les participants et à tous ceux qui nous ont écoutés, et merci aux médias d'avoir fait passer notre message.

La séance est levée.

Haut de la page