SNUD Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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SPECIAL COMMITTEE ON NON-MEDICAL USE OF DRUGS
COMITÉ SPÉCIAL SUR LA CONSOMMATION NON MÉDICALE DE DROGUES OU MÉDICAMENTS
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le jeudi 18 octobre 2001
La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)): Nous sommes très heureux de recevoir l'honorable Pierre Claude Nolin du Sénat du Canada. Il est président du Comité spécial sur les drogues illicites.
Sénateur Nolin, vous êtes accompagné de deux personnes. Nous sommes très heureux parce que ce n'est pas souvent que nous recevons un collègue de l'autre endroit.
[Traduction]
Je trouve cela extraordinaire que vous preniez le temps de nous faire part de votre expérience jusqu'à présent.
[Français]
Le sénateur Pierre Claude Nolin (De Salaberry, PC, président du Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites): Madame la présidente, premièrement, merci de nous avoir invités. Je vous présente mes collègues. Ce sont le directeur de la recherche du Comité spécial sur les drogues illicites, le Dr Sansfaçon, et M. Blair Armitage, qui est le greffier du comité.
La présidente: C'est intéressant d'avoir un greffier à ses côtés.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Oui. D'ailleurs, sa première réaction a été de demander pourquoi.
[Traduction]
Je pense qu'il est important de le faire venir ici au cas où vous auriez des questions au sujet de l'élément administratif de notre initiative. Et bien entendu, si j'ai demandé à M. Sansfaçon de m'accompagner, c'est à cause de l'importance de la démarche rigoureuse et des éléments révélés par la recherche que nous examinons.
[Français]
La présidente: Merci.
[Traduction]
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Merci, madame la présidente.
[Français]
Merci beaucoup.
Effectivement, il est rare que des collègues d'un même Parlement s'invitent mutuellement à échanger. Ça nous a fait grand plaisir, à moi et à mes collègues, de recevoir votre invitation et de l'accepter avec beaucoup d'empressement.
Je présume que je pourrais vous expliquer un peu l'historique du comité, c'est-à-dire quand nous avons commencé à réfléchir sur la question des drogues illicites et où nous en sommes rendus aujourd'hui.
Chers collègues parlementaires, ceux d'entre vous qui étaient ici à l'époque se souviendront qu'en 1996, le Parlement du Canada avait été invité à étudier un projet de loi dont le but était de réorganiser les lois canadiennes visant le contrôle des substances illégales. Ce projet de loi visait entre autres à fusionner dans une seule loi deux textes importants: la Loi sur les stupéfiants et une partie importante de la Loi sur les aliments et drogues. D'autres lois plus mineures étaient aussi incluses dans cet examen. Il s'agissait du projet de loi C-8.
C'est à l'occasion de cet examen en comité, au Sénat, que mes collègues et moi du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles en sommes venus à la quasi-conclusion que la prohibition n'était pas la voie à suivre. Si notre objectif était le contrôle et la réduction de la consommation et, surtout, de l'abus de ces substances, la prohibition n'était certainement pas la voie à suivre, puisque la prohibition faisait partie du problème.
• 1540
Nous avons écrit un long rapport qui,
malheureusement, ne remettait pas en question la
prohibition dans le corps même du texte législatif.
Nous ne nous croyions pas suffisamment autorisés,
compte tenu des débats qui avaient eu lieu dans votre
Chambre, à amender à ce point le projet de loi pour lui
enlever sa nature pénale,
cela pour toutes sortes de raison, notamment les
traités internationaux et la frilosité, si je puis
employer cette expression, de certains de mes
collègues,
surtout à la fin du débat. Mais nous avons écrit un
long rapport. Dans ce rapport, il était
question de vous, nos collègues de la Chambre des
communes.
Après avoir longuement élaboré sur tout ce que je viens de vous dire et fait quelques amendements, entre autres, et j'en suis très fier, pour corriger une fois pour toutes la prohibition de la culture du chanvre, on a invité les gens de la Chambre des communes à former un comité mixte pour examiner, à l'extérieur de la pression générée par le processus d'adoption d'un projet de loi gouvernemental, les faits rigoureux, scientifiques, la connaissance nécessaire à la mise en place d'une politique publique sur le contrôle des drogues illégales.
C'était dans le rapport. Le Sénat a adopté ce rapport. On ne s'attendait pas à avoir une réponse de la Chambre des communes immédiatement, et on a laissé passer la période électorale de 1997. En voyant les mois s'écouler, j'avais pris goût à ce problème et à l'automne 1998, jugeant qu'il était temps de rouvrir le débat, au moins au Sénat, j'ai demandé à une docteure de l'Université de Toronto, la Dre Diane Riley, de produire un rapport à l'intention de mes collègues du Sénat, un rapport limpide, pas trop compliqué et suffisamment clair pour que mes collègues puissent s'informer sur la situation des drogues illicites au Canada.
J'ai d'ailleurs apporté quelques exemplaires de ce rapport. Certains d'entre vous l'ont peut-être déjà consulté puisque nous l'avons affiché sur le site Internet du comité.
J'ai distribué ce rapport à mes collègues, en même temps qu'une motion visant la création d'un comité spécial du Sénat qui verrait à examiner de fond en comble toute la question et, surtout, les faits qui sous-tendent nos politiques publiques en matière de contrôle des substances illégales.
Pourquoi, aujourd'hui, le mandat a-t-il été modifié? Parce qu'aujourd'hui, nous sommes dans la première de deux étapes. Mes collègues ont convenu et j'ai accepté d'examiner, dans une première étape, toute la problématique qui entoure le cannabis dans son contexte. Les mots «dans son contexte» sont assez importants. Il m'apparaissait illusoire de croire que l'on pouvait examiner une drogue et complètement éliminer les autres. C'est un peu comme examiner l'alcoolisme, mais en se concentrant uniquement sur les buveurs de vin.
Les mots «cannabis dans son contexte» signifient qu'on examine principalement le cannabis, mais aussi tous les facteurs médicaux, sociologiques, psychologiques et culturels. Les traités, qui ne se limitent pas à l'usage et au contrôle du cannabis, mais touchent aussi aux autres substances, sont aussi examinés à l'occasion, mais notre travail porte principalement sur le cannabis dans une première étape. Dans une deuxième étape, si mes collègues du Sénat en conviennent, nous examinerons le reste des substances.
Nous sommes donc dans la première étape, et mes collègues du comité ont accepté un plan de travail. C'est un document qui est disponible sur notre site Internet, mais si vous voulez que je réponde à des questions plus précises sur la structure de notre plan de travail, ça me fera plaisir de le faire.
• 1545
Notre plan de travail prévoit deux phases lors de
l'examen du cannabis, dont une première que nous appelons la
phase de la connaissance. Allons découvrir, déterrer,
cueillir. Allons nous informer, que ce soit par des
témoignages d'experts ou par le travail du directeur de
la recherche. Il s'agit donc d'un repérage de cette information
rigoureuse. Je tiens à réutiliser ce mot.
À un moment donné, vous allez peut-être me
trouver un peu achalant parce que je l'utilise
trop, mais je crois
que c'est la seule façon d'aborder
sérieusement cette situation.
Donc, dans une première étape, nous examinons, déterrons, amassons la connaissance rigoureuse sur tout le dossier des drogues illégales, surtout sur le cannabis. La deuxième phase, qui devrait se tenir au printemps de l'an prochain, sera la phase du dialogue avec les Canadiens, parce qu'une partie importante de notre mandat est de partager cette information avec les Canadiens pour susciter chez eux un débat que nous espérons informé. Si vous êtes ici, autour de la table, et que votre institution a adopté un ordre de renvoi qui a créé ce comité, c'est que dans la population, il y a un intérêt à ce que le Parlement du Canada s'intéresse à cette question.
Tous les Canadiens ou presque ont une opinion sur le dossier. Maintenant, est-ce une opinion informée? C'est là que notre rôle, autant le nôtre que le vôtre, entre en ligne de compte, croyons-nous. Il est important que les Canadiens aient une opinion et il est important que cette opinion soit éclairée adéquatement. Pour qu'on puisse se demander sérieusement s'il doit y avoir une solution alternative aux politiques publiques en matière de contrôle des drogues illégales, il faut que la population soit à même de diriger le débat, ce qui, malheureusement, n'est pas souvent le cas, ce qui n'a certainement pas été le cas lorsque, en 1908, notre Parlement a adopté la première loi de prohibition et certainement pas en 1923, lorsqu'on a prohibé l'usage du cannabis.
J'en ai déjà beaucoup dit. Je présume que vous avez des questions. Je ne sais pas si mes collègues voudraient ajouter...
[Traduction]
Je sais que vous ne voulez pas parler.
[Français]
Il y a une chose importante que le Dr Sansfaçon me rappelle. Dans un de nos axes de travail, dès le début de notre réflexion, il nous est apparu qu'il fallait qu'on se penche sur la série de principes directeurs qui doivent influencer la mise en place d'une politique publique sur les drogues illégales. Ayant parlé de cela avec certains hauts fonctionnaires dont je tairai le nom, je dois vous dire que c'est un rapport qu'ils ont très hâte de lire. Pour quelles raisons? Il est fort possible que de tels principes directeurs, dans l'élaboration d'une loi ou d'une politique aussi émotive, n'existent pas.
Systématiquement depuis 1908, surtout depuis la dernière cinquantaine d'années, le Parlement du Canada a été appelé régulièrement à amender, à modifier ou à réformer complètement les lois qui visent le contrôle des substances illégales sans qu'on soit capable d'imaginer un fil conducteur. On peut l'imaginer, mais sans qu'on puisse comprendre ce qui a formé cette politique publique. C'est pour cela qu'un axe important de notre travail est de réfléchir et de produire, dans nos recommandations, l'état de notre réflexion sur ce que devraient être ces principes directeurs ainsi que les influences respectives de ces principes.
Blair, quelques mots au sujet...? Non.
Vous savez que notre budget est extrêmement serré, et si nous pouvons précisément faire cela, c'est parce que nous pouvons compter sur Blair pour...
[Français]
Daniel, veux-tu ajouter quelque chose?
[Traduction]
C'est votre chance.
[Français]
Dr Daniel Sansfaçon (directeur de recherche, Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites): Madame la présidente, mesdames et messieurs, j'aimerais dire seulement quelques mots, premièrement sur ce que le sénateur Nolin vient de vous présenter concernant les principes directeurs.
On s'est bien rendu compte, par exemple dans le cas du rapport de la Commission Le Dain en 1972, que malgré un effort de recherche important, novateur d'ailleurs pour l'époque, le comité n'avait pu en arriver à des recommandations unanimes. Effectivement, on peut dire que dans une certaine mesure, on peut toujours faire dire ce qu'on veut aux résultats de la recherche.
C'est justement pourquoi le comité a jugé essentiel de faire ce travail de réflexion sur un ensemble de cinq enjeux de principes directeurs, à savoir quel est le rôle de l'État dans une politique sur les drogues, quel est le rôle du droit pénal, quel est le rôle de la science, quel est le rôle des principes de santé publique et, cinquièmement, quel est le rôle de l'éthique, toujours pour informer dans l'interprétation qui sera faite de cette base de connaissances qu'on aura accumulée. C'est à partir de là qu'on arrivera éventuellement à des conclusions sur ce que cette recherche signifie en termes d'une politique publique.
Quant à l'axe de travail sur la connaissance, qui est la recherche elle-même, on essaie de couvrir cinq grands axes. Premièrement, il y a les aspects biomédicaux, donc la pharmacologie, notamment du cannabis et plus généralement des drogues. Deuxièmement, il y a les aspects socioculturels au sens large du terme, incluant les aspects criminologiques. Par exemple, quelles sont les relations entre les drogues et la criminalité? Qu'est-ce qu'on sait des effets de la prévention ou du traitement? Troisièmement, il y a les aspects juridiques nationaux, donc l'évolution des dispositions législatives au Canada, dans leur contexte historique et politique mais aussi international. Quatrièmement, il y a les aspects plus spécifiquement reliés aux conventions et traités internationaux. Le dernier axe de recherche porte sur des questions qui ont trait aux opinions publiques, à l'évolution des opinions publiques.
Ce sont les cinq axes de recherche qu'on essaie de couvrir, essentiellement par des audiences de témoins experts, ainsi que par la commande d'un certain nombre de rapports de recherche qui sont surtout des synthèses de la littérature. À la différence du moment où la Commission Le Dain faisait ses travaux, il existe maintenant une base de connaissances impressionnante en matière de drogues illégales, tant au plan national qu'au plan international. Il s'agit surtout de faire des synthèses de cette littérature, des synthèses rigoureuses et le plus objectives possible et qui, dans la mesure du possible, soient capables d'identifier à la fois les forces de cette base de connaissances mais aussi ses faiblesses.
Ce sont les seules précisions que je voulais ajouter à ce stade-ci. Je vous remercie.
La présidente: Et le greffier?
[Traduction]
Une voix: Il ne dit rien.
M. Blair Armitage (greffier du Comité spécial du Sénat sur les drogues illicites): S'il y a des trous, je les trouverai.
La présidente: C'est amusant d'avoir pour témoin un greffier de l'autre Chambre.
M. Blair Armitage: Ce n'est pas aussi amusant pour moi.
La présidente: Je vous remercie.
[Français]
Merci beaucoup.
Monsieur Sorenson, cinq minutes.
[Traduction]
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne): Je vous remercie d'être venu aujourd'hui.
Monsieur Nolin, vous avez dit que vous aviez le goût d'étudier ce problème. Je pourrais vous demander, j'imagine, comment ce goût vous est venu, mais je vous suis reconnaissant de le faire, mais aussi d'avoir reconnu la gravité de la chose. Je vous félicite pour votre initiative et nous sommes impatients de recevoir un rapport du Sénat à ce sujet.
Nous avons une stratégie pharmaceutique nationale. Toutes sortes de gens sont venus nous en parler. Je voudrais commencer par vous demander si, à votre avis, nous sommes en train de gagner le combat. Vous avez dit qu'une partie de la stratégie ne visait pas une interdiction, mais plutôt à réduire la consommation et ainsi de suite. À votre avis, dans votre esprit, pensez-vous que cette stratégie nous fait gagner le combat? C'est la question que nous avons déjà posée aux responsables de cette stratégie.
• 1555
Une ou deux petites choses encore. La première partie de votre
rapport est consacrée à un examen des drogues illicites, le
cannabis en particulier, et vous y faites le bilan de l'état des
connaissances. Je pourrais poser la question à mon leader
parlementaire et à toutes sortes de gens de mon parti, car je suis
un nouveau député. Cette information, ce savoir, pouvons-nous en
avoir connaissance, puis-je moi-même en avoir connaissance?
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Certainement.
M. Kevin Sorenson: D'accord. Si vous voulez en parler, j'aurais une autre question à vous poser. Cette stratégie est-elle une réussite pour nous? Sommes-nous en train de gagner la partie?
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Il faudrait pour commencer ne pas oublier—et je pense que la chose est importante, même si j'ai oublié d'en parler—que mon collègue et moi-même, avec tout le respect que je dois à l'institution dont je fais partie, avons essayé d'être tout à fait objectifs dans notre façon d'aborder les choses. Par conséquent si, pendant mon témoignage, ou encore dans l'un quelconque de mes propos, il m'arrive de faire des reproches au gouvernement fédéral, ce reproche peut s'appliquer aussi bien au gouvernement précédent qu'au gouvernement actuel. Cela, je voulais bien le préciser avant de répondre à votre première question.
Pour être franc avec vous, le gouvernement n'a plus de stratégie.
M. Kevin Sorenson: Pourtant, un groupe que nous avons entendu nous a déclaré qu'il y avait un budget de 33 millions de dollars pour en créer une.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: En effet, c'était en 1988. Le problème, c'est que cette stratégie était très riche en rhétorique, mais que cette rhétorique ne s'est pas concrétisée par des actes, bien au contraire.
M. Kevin Sorenson: Pourtant, monsieur, lorsque ces gens sont venus témoigner ici, ils nous ont dit qu'il était impossible de savoir si nous étions ou non en train de gagner la bataille. La stratégie semble progresser, elle semble être appliquée, la preuve étant qu'ils sont en train de dépenser 33 millions de dollars et qu'à leur avis, tout semblait bien marcher.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Non, tout ne marche pas si bien que cela. Les mandats sont dispersés. Je ne saurais vous répondre de façon claire et péremptoire, mais il y a quelqu'un qui va livrer au Parlement une analyse très lucide de la chose, du moins vue sous son angle, et c'est la vérificatrice générale. En décembre, elle va déposer un rapport sur l'argent qui a été dépensé pour cette supposée stratégie. S'il y a effectivement une stratégie, il doit y avoir des objectifs. S'il y a des objectifs, nous allons pouvoir les comparer à ce que nous avons dépensé pour les atteindre. Ce sera donc intéressant de voir ce que contiendra ce rapport. D'ici là, je dirais qu'il faut se contenter d'attendre.
J'aimerais beaucoup pouvoir vous dire oui, il y a une stratégie. Il y a des initiatives. Certes, le ministre de la Santé est responsable, en premier lieu, de l'application du projet de loi C-8, mais ce n'est pas cela que j'appelle une stratégie. Quels sont donc les objectifs?
M. Kevin Sorenson: Vous dites qu'il y a des initiatives, mais qu'il n'y a pas de stratégie. À vous en croire, tout le monde tourne en rond, il y a des choses qui se passent, il y a des réunions et on dépense de l'argent, mais le Canada est en difficulté. Essentiellement, vous nous dites que nous avons un problème.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Je n'irais pas jusqu'à dire que le Canada est en difficulté. Quel est donc notre objectif?
M. Kevin Sorenson: Votre objectif en tant que...
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Non, quel devrait être l'objectif d'une stratégie. S'agit-il de réduire les dégâts? L'une de vos collègues pourrait attester de sa propre expérience de tous les maux que cela crée. S'agit-il donc simplement de réduire les dégâts? Certainement pas.
• 1600
Nous pouvons également analyser le problème sous un autre
angle. Cette stratégie devrait-elle se limiter aux substances
illicites? Et que fait-on pour les jeunes Autochtones qui reniflent
des produits dont la vente est parfaitement licite? Si vous voulez
en apprendre davantage au sujet d'un pays qui a adopté une
véritable stratégie anti-drogue, allez-voir sur l'Internet ou
commencez par notre propre site Web, sur lequel vous pourrez lire
ce que nous ont dit divers témoins au sujet de l'Australie. Les
Australiens étaient probablement à notre niveau il y a quelques
années. Mais devinez quoi? Un Canadien leur a conseillé d'adopter
cette stratégie. Je vous exhorte d'ailleurs à inviter vous-même
cette personne à venir témoigner devant vous.
M. Kevin Sorenson: Pensez-vous que l'objectif que nous devrions viser devrait être de décréter une interdiction dans certaines collectivités? Par exemple, j'ai—enfin c'est une façon de parler—des pénitenciers dans ma circonscription. Beaucoup de gens qui y sont enfermés en ressortent drogués alors qu'ils ne se droguaient pas avant leur incarcération.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Nous le savons fort bien. Et c'est quelque chose qui est totalement interdit. L'interdiction sert trop souvent de fourre-tout. Si c'est quelque chose d'interdit, alors nous n'avons pas de problème, nous pouvons dormir tranquille, nous avons fait notre travail. Mais les choses ne marchent pas de cette façon.
Avez-vous des enfants? Je n'en doute pas. Je suis certain qu'il y a des...
M. Kevin Sorenson: Je n'en doute pas non plus.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: ... choses que vous leur avez dites, du genre «ne faites pas cela». Êtes-vous intimement convaincu qu'ils vous ont écouté?
M. Kevin Sorenson: Tout à fait.
Des voix: Oh, oh.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Moi aussi, j'ai des enfants.
M. Kevin Sorenson: Mes enfants ont moins de 9 ans, de sorte que jusqu'à présent oui, ils m'écoutent. Mais vous avez raison, nous sommes tous concernés.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Vous voyez où je veux en venir.
M. Kevin Sorenson: Tout à fait.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: L'interdiction à proprement parler ne devrait pas être une fin en soi. Certes, il y a des comportements sociaux qu'il faut interdire, et l'État doit multiplier les efforts pour que ces interdictions soient respectées, étant donné les effets néfastes que cela pourrait avoir sur la population. Mais je ne suis pas pour autant persuadé que nous puissions faire parfaitement l'adéquation entre cela et le problème de la drogue. Je pense personnellement, et je ne suis pas le seul à le penser, que l'interdiction n'est pas la bonne façon de s'attaquer au problème de la drogue.
La présidente: Je vous remercie, monsieur Sorenson. Il y a un téléphone dans la salle si vous voulez vérifier ce que font vos enfants.
[Français]
Monsieur Bigras, s'il vous plaît.
M. Bernard Bigras (Rosemont—Petite-Patrie, BQ): Merci, madame la présidente.
Monsieur Nolin, je vous remercie de vous présenter ici, à ce comité. Je vous félicite pour vos travaux qui ont débuté et qui se poursuivent. Je pense que vous êtes en mesure de nous donner un tableau assez large et assez global de la situation, compte tenu des intervenants que vous avez rencontrés.
Comme vous le dites, il y a plusieurs considérations. Il y a des considérations juridiques, autant sur le plan national que sur le plan international, des considérations sur le plan de la santé, des considérations sociales aussi. J'aimerais savoir si vous avez exploré le modèle qui a été développé en Belgique. Il s'agit d'une forme de dépénalisation qui pourrait être envisagée au Canada dans le cadre d'un projet-pilote, où on permettait la possession simple de marijuana, mais à la condition que le citoyen ne soit pas considéré comme une nuisance sociale. Il faut se comprendre. À partir du moment où on interdit à un citoyen de dépasser un taux limite d'alcool dans le sang, pourquoi permettrions-nous à un citoyen d'avoir un niveau excessif de tétrahydrocanabinol dans son organisme?
Je veux savoir si cela fait partie de vos hypothèses de travail et si cela pourrait être envisageable ici, au Canada, dans le cadre d'un projet-pilote.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Je vais risquer de vous donner une opinion personnelle. Premièrement, vous comprendrez que notre rapport n'étant pas produit, il serait inopportun de ma part de vous donner une opinion ex cathedra.
J'ai rencontré la ministre de la Santé belge. Elle m'a longuement parlé de son expérience politique pour partir d'un grand projet et aboutir... Quand on nous dit que la politique est l'art du faisable, c'est très vrai.
• 1605
La directive publique belge en matière de cannabis...
Écoutez, aucune solution alternative n'est rejetée par
le comité. J'ajouterais même que la prohibition
demeure une des solutions alternatives
que nous allons examiner. Des témoins ont
tenté de nous démontrer que notre prohibition était
timorée, qu'on n'avait pas une vraie prohibition, qu'on
était à moitié prohibitifs, qu'on n'en faisait pas assez.
D'ailleurs, nous entendrons prochainement des témoins américains qui vont sûrement confirmer ce que d'autres témoins nous ont déjà dit. Donc, vous voyez qu'on va examiner tout le spectre des solutions alternatives. Spécifiquement, pour que tout le monde comprenne bien, en Belgique, la consommation privée, personnelle est tolérée. Autrement dit, ce n'est pas une loi, mais une directive qui émane du gouvernement qui précise que dans le cas d'un citoyen dans sa résidence, dans un lieu privé, entre adultes—et la directive mentionne bien que ce doit être entre adultes, qu'il ne doit pas y avoir de mineurs à proximité—la consommation de cannabis à des fins personnelles sera tolérée. Il n'y aura pas d'interpellation pénale d'engendrée par cette action.
Je pense qu'il faudrait que des témoins belges viennent nous dire dans quelques années ou dans quelques mois si c'est une expérience qui s'est avérée valable. Je ne vois pas pourquoi cette expérience ne serait pas intéressante pour les Belges, comme l'a été l'expérience hollandaise. Les expériences espagnole, portugaise et italienne, récemment, le seront sans doute pour ces peuples-là.
Je pense qu'il faut faire attention lorsqu'on compare les expériences européennes et les expériences nord-américaines. Au niveau de la culture de l'usage, on ne peut pas transposer leur expérience de consommation à la nôtre. On tente de comparer des données démographiques ou sociologiques sur l'usage et on s'aperçoit rapidement que les taux de consommation et les raisons de consommation sont différents en Europe de ce qu'ils sont ici. Les taux de consommation en Amérique du Nord sont comparativement énormes, surtout dans la population étudiante, bien qu'on ait récemment entendu une Française comme témoin, qui nous a démontré qu'en France, les taux de consommation chez les jeunes et les patterns de consommation se rapprochaient de ceux qu'on retrouve dans la population adolescente québécoise, par exemple, parce qu'on a des études spécifiquement sur la population étudiante québécoise. Donc, les taux de consommation en Europe sont beaucoup plus bas. Le pays où il s'en consomme le plus est la France. C'est à peu près autour de 6 p. 100 de la population. Chez nous, c'est autour de 10 p. 100. Vous voyez déjà qu'on parle de deux mondes. On ne peut pas juste dire de façon globale quelle est l'image de la population. Il faut vraiment aller dans des segments de la population et faire une analyse. Ce n'est pas tout d'examiner les taux de consommation. Il faut aussi regarder les paramètres de l'environnement de cette consommation et aussi ce que les gens consomment.
M. Bernard Bigras: Une des contraintes qu'on soulève souvent quant à une future décriminalisation ou légalisation de la marijuana, c'est toute la question des conventions et des traités internationaux. Pouvez-vous nous dire ce que vous avez entendu au comité au sujet de cette contrainte ou de cette réalité?
Le sénateur Pierre Claude Nolin: L'environnement juridique international mérite d'être examiné de très près. Premièrement, cela pourra vous étonner, mais ce n'est pas vrai que les traités nous empêchent d'adopter des lois. Les lois que vous avez en Europe ou les lois plus dépénalisantes sont permises. Les traités n'empêchent pas ça. Vous voyez déjà qu'il faut faire une lecture très approfondie et très minutieuse des traités pour découvrir que ces traités permettent sans aucun doute une solution alternative à la prohibition. Il s'agit d'explorer les façons de le faire. On examine certainement cela. Comme le disait le Dr Sansfaçon, c'est un de nos cinq axes de recherche. D'ailleurs, la Bibliothèque du Parlement a déjà produit un très bon rapport sur la question, et je vous invite à le lire.
• 1610
J'ai oublié de répondre à l'une de
vos questions. Toute l'information
qui est divulguée, soit par les témoins, soit par la
recherche documentaire écrite, est disponible sur le site
web du comité. Il y a aussi environ 150 liens Internet
qu'on tente de mettre à jour. Il y a énormément
d'information de disponible, mais on a essayé de
restreindre à 150 le nombre de liens Internet.
On a choisi ceux qui nous
paraissaient les plus rigoureux—je reviens encore avec
le même mot—dont l'approche était, selon nous,
intéressante.
Je ne voudrais pas juger les sites, mais
il y en avait qu'on ne pouvait pas éviter, entre
autres celui du gouvernement américain, qu'il nous
semblait important d'inclure dans la liste.
Mais je ne veux pas porter de jugement sur la qualité
de leur traitement de l'information.
La présidente: Madame Davies, s'il vous plaît.
[Traduction]
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Je vous remercie beaucoup.
Monsieur le sénateur, je voudrais commencer par vous remercier d'être venu ici aujourd'hui.
Je pense que le domaine que nous abordons est tellement vaste que l'une des difficultés consiste à vouloir circonscrire le sujet afin de faire du travail crédible et d'aboutir à une conclusion qui nous fera progresser. Le comité vient d'amorcer ses travaux, mais l'une de mes préoccupations est qu'il est tellement facile de se laisser entraîner dans un débat sur le nombre d'agents de sécurité que nous avons à la frontière et sur l'entrée en contrebande des drogues. On peut quasiment se perdre dans un dédale de corridors en étudiant cette question parce qu'elle est tellement vaste.
Il me semble que l'un des éléments fondamentaux que votre comité a essayés d'examiner et que nous devons étudier, à mon avis, c'est l'effet de l'interdiction. Bien des gens oublient que l'alcool a déjà été interdit et que cette interdiction a causé un tort énorme avec l'intervention du crime organisé. L'activité criminelle était florissante; d'ailleurs le cinéma ne cesse de nous le rappeler.
Je sais que certains témoins que vous avez entendus à votre comité sont vraiment excellents, des gens comme Benedikt Fischer, Bruce Alexander, Pat Erickson, Neil Boyd de l'Université Simon Fraser, Eugene Oscapella. Ce sont tous là des gens qui, je crois, abordent la question en partie sous cet angle, en étudiant quel a été l'effet de l'interdiction, en comprenant que la réalité à laquelle nous sommes confrontés est que, à bien des égards, ce sont les politiques prohibitionnistes elles-mêmes qui causent maintenant plus de tort que les drogues qui sont illégales. Je me demande donc comment votre comité s'est attaqué à cela. C'est ma première question.
Deuxièmement, le comité sénatorial a fait de l'excellent travail mais voici maintenant que ce comité-ci est créé. Sauf erreur, votre rapport final sera déposé au Sénat en août 2002. De quelle manière envisagez-vous que les deux comités puissent collaborer et travailler de façon complémentaire, afin de ne pas contrecarrer nos efforts? Peut-être que ce n'est pas possible, je ne sais trop, mais j'espère qu'à mesure que nous avancerons dans notre travail, nous serons en mesure d'en arriver à un point où nous travaillerons en collaboration. Comme votre comité est à l'oeuvre depuis plus longtemps, peut-être y avez-vous réfléchi.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: N'oubliez pas que nous vous avons d'abord invités à faire partie d'un comité mixte.
Mme Libby Davies: Oui, je comprends cela.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Votre question comporte diverses facettes. Bien sûr, je vous regardais quand je faisais allusion à ce que certains de vos collègues voient tous les jours...
Mme Libby Davies: Oui.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: ... c'est-à-dire le tort causé à notre population par les mesures d'interdiction.
• 1615
Je vous invite à lire le programme de recherche que nous avons
adopté; cela vous permettra de comprendre. Il est certain que nous
devons rechercher l'efficience, et cela veut dire examiner toutes
les conséquences du système ou de la politique actuels que nous
pouvons mesurer.
Mme Libby Davies: La situation actuelle?
Le sénateur Pierre Claude Nolin: La situation actuelle.
Mme Libby Davies: Oui.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Oui.
C'est exactement ce que M. Riley faisait en 1998. Mais nous devons aller plus loin que cela.
J'ai été pris à parti par des gens qui scrutent à la loupe nos moindres faits et gestes quand j'ai dit publiquement un jour qu'il serait politiquement impossible pour le Canada de s'imaginer qu'il puisse faire cavalier seul, sans essayer de comprendre quelle serait la réaction de nos amis et voisins du sud. Quand nous nous penchons sur l'éventail complet de nos politiques, nous ne pouvons pas nous isoler des Américains. Et cela fait partie de notre étude des conséquences de l'interdiction. Je vous invite à lire notre programme de recherche.
Tous les témoins que vous avez nommés sont crédibles et ils ont tous tenté (et y ont probablement réussi) de convaincre le comité que l'interdiction n'est pas du tout une solution adéquate. Mais nous avons beaucoup de respect pour ceux qui ne sont pas bien informés. Beaucoup de Canadiens ne le sont pas. Ils ont leur opinion, mais ils ne savent pas ce que vous savez. Ils doivent le savoir. Nous devons leur faire connaître ces faits.
Quant à la dernière partie de votre question, il faut évidemment un effort partagé. Nous sommes payés pour intervenir. Il serait bon que les deux greffiers, le président et moi-même nous rencontrions pour voir comment nous pourrions collaborer. À priori, l'essentiel est le dialogue avec les Canadiens. Il est inutile d'envisager une politique future en la matière si les citoyens ne participent pas au débat. C'est pourquoi la phase deux de notre démarche est si importante.
Je dois respecter le mandat que mes collègues du Sénat ont donné au comité. Il faut tout d'abord étudier le cannabis dans son contexte. Il sera aussi question d'autres drogues dans l'étude, mais nous nous intéressons avant tout au cannabis; les autres drogues viendront ensuite.
Est-ce les autres drogues qui vous intéressent dans l'immédiat?
Mme Libby Davies: Oui.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Le cannabis ne constitue pas même un problème dans votre circonscription.
C'est sur le thème du dialogue avec les Canadiens que votre comité peut sans doute intervenir le plus efficacement, car vous avez pour mission de rester en contact avec vos électeurs. Vous avez avec eux un accès direct dont je ne bénéficie pas à proprement parler. Mais nous allons agir et nous essaierons de former une sorte de comité pour en débattre avec les Canadiens. Il va falloir se montrer inventif, et ce monsieur devra trouver la façon de favoriser les échanges avec les Canadiens.
M. Blair Armitage: Je vais continuer à me battre avec mon président.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Il tient à sa formule.
Mais nous trouverons certainement moyen de partager les efforts.
Mme Libby Davies: Pour en revenir très rapidement à la première question, je suis d'accord avec vous, les Américains exercent une influence considérable en la matière. Nous avons entendu parler de cas particuliers où des juges de Colombie- Britannique réagissent aux déclarations du département d'État concernant la trop grande mansuétude des tribunaux...
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Et le département d'État réagit aux décisions des juges.
Mme Libby Davies: C'est exact. Ils leur adressent des reproches.
• 1620
Je comprends tout cela, mais il me semble que pour les deux
comités, il s'agit avant tout de démystifier certains stéréotypes,
d'élargir les perspectives et la compréhension du public, en
s'inspirant particulièrement des succès remportés dans d'autres
pays et de la convention internationale dont le Canada est
signataire.
On nous dit constamment que l'interdiction et la guerre anti-drogue sont les seules voies possibles, qu'il faut miser sur l'abstinence, or tout indique, comme vous le signalez, que les modèles européens et australiens, pourtant tout à fait différents, donnent de bons résultats. J'espère que nous pourrons collaborer dans ce domaine pour déceler les obstacles à la dénonciation de la propagande que nous infligent les autorités américaines, qui a d'énormes conséquences pour nous, et qui voudraient nous faire croire qu'il n'existe aucune autre possibilité.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Mais vous savez, nous pourrons les renvoyer aux statistiques les concernant, et qu'elles doivent bien connaître. Savez-vous dans quel pays au monde la consommation de drogues est la plus importante? C'est précisément aux États-Unis.
Mme Libby Davies: Exactement.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Il faut adopter une perspective plus vaste, ne pas attaquer les Américains ou prétendre qu'ils ont tort, comme si quelqu'un qui n'est pas de mon avis a forcément tort et ne mérite pas que je lui réponde. Je ne pense pas que ça soit la bonne façon de chercher une solution, car nous voulons servir les Canadiens et convaincre le gouvernement d'adopter des mesures qui respecteront tout le monde. Il ne faut donc pas dire: j'ai raison, vous avez tort et je ne veux pas savoir ce que vous avez à dire. C'est pourquoi nous veillons à faire preuve d'ouverture.
Je ne vous ai pas encore dit que notre comité ne compte que cinq personnes. Évidemment, pour le président, c'est parfait. Un quorum de deux membres, c'est extraordinaire. À mes collègues qui voulaient faire partie du comité, j'ai demandé avant tout de faire preuve d'ouverture d'esprit. Il ne faut pas aborder le problème avec des idées bien arrêtées ou des solutions préconçues. Il faut garder l'esprit ouvert et rigoureux. Voilà les seules exigences, et ça marche.
La présidente: Merci, madame Davies.
En fait, pour ce qui est de la collaboration, nous essayons d'établir notre calendrier en fonction des renseignements que nous avons reçus du comité sénatorial, afin de nous assurer de ne pas semer la confusion chez les Canadiens ou de ne pas vous suivre à la trace dans divers endroits. Je peux vous assurer, sénateur Nolin, que ce comité a fait preuve d'une très grande ouverture d'esprit jusqu'à présent, et c'est agréable à voir.
[Français]
Monsieur Bachand, s'il vous plaît.
M. André Bachand (Richmond—Arthabaska, PC/RD): Je dois vous dire qu'effectivement, une certaine confusion s'est installée lorsque le comité a été créé de ce côté-ci du Parlement. Il faut vous dire, sénateur, que l'idée d'avoir un comité mixte aurait dû trouver preneur, mais on sait que, malheureusement, lorsqu'on parle de politique non partisane, cette partisanerie-là s'est installée. L'idée était que des gens de l'autre endroit fassent partie du comité. Mais lorsqu'il regarde le travail que vous avez entrepris, notre comité a l'impression, présentement, de faire du surplace. Certains nous donnent l'impression aussi qu'on tente peut-être de dédoubler des choses.
Puisque vous êtes quand même assez avancés, il y aurait peut-être moyen, au cours de l'année 2002, de reconsidérer le travail des deux Chambres sur cette question-là. C'est ce que je souhaite personnellement. Je pense que les gens de ce côté-ci pourront apprécier le travail qui s'est fait à l'autre endroit. C'est une opinion personnelle, mais le travail, le spectre, comme vous le disiez, monsieur le sénateur, est tellement large que même nous, nous avons de la difficulté.
Lorsque j'explique aux gens ma présence sur ce comité de la Chambre des communes, je peux dire aux jeunes que ce n'est pas juste au sujet du pot, qu'on ne parlera pas que du pot. On me demande de quoi on va parler. Nous allons parler de drogues, de l'opium. On me demande alors si on va parler de médicaments aussi, du Ritalin, du Valium ou d'autres choses.
Alors, comme vous pouvez le voir, le nom du comité est tellement vaste que les gens vont nous donner des étiquettes sur des choses très précises, un peu grâce à vous, sénateur, et à votre comité. Les gens vont dire tout simplement qu'on dédouble le travail sur le cannabis.
• 1625
J'ai une question pour vous, sénateur. À quelle date
votre comité a-t-il commencé à siéger?
Le sénateur Pierre Claude Nolin: On a commencé à siéger lors de la législature précédente, en septembre dernier. On a dû arrêter pour les élections et on a repris nos travaux dès novembre.
M. André Bachand: Est-ce que vous avez voyagé beaucoup jusqu'à maintenant?
Le sénateur Pierre Claude Nolin: On est allés à Toronto seulement.
M. André Bachand: Est-ce que vous avez l'intention de voyager beaucoup?
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Notre intention est de... On ne sort pas du Canada. On a accepté cela, on s'est imposé cela. Par contre, on fait voyager nos recherchistes. On juge qu'il est plus important de faire venir les témoins; ça coûte moins cher. On fait venir des témoins internationaux. On a des journées thématiques, soit par thèmes sociaux, criminels, politiques, soit par thèmes géographiques. On a eu une journée française. Nous aurons une journée américaine, comme on a une journée sur la pharmacologie des drogues. Nous aurons certainement une journée suisse. L'expérience suisse est incontournable. C'est comme cela qu'on segmente notre travail. Donc, on voyage.
Nous sommes dans la phase de recherche de la connaissance. C'est un peu pompeux de ma part d'appeler ça comme ça, mais je ne trouve pas de terme plus adéquat pour décrire la phase dans laquelle nous sommes présentement. La phase de la connaissance, elle est principalement à Ottawa. Nous avons décidé de sortir en région, d'aller à Toronto et à Vancouver. Il ne s'agissait pas de mettre de côté Montréal, mais étant montréalais, j'ai déjà accès à des intervenants montréalais et je ne voulais pas déplacer le comité à Montréal. Mais il est intéressant pour le comité, dans la phase de la connaissance, d'aller rejoindre des intervenants de chez Mme Davies, dans la région de Vancouver, et à Toronto. Le comité s'est déjà rendu à Toronto et nous irons à Vancouver prochainement.
M. André Bachand: D'accord. Nous, nous prévoyons y aller en décembre si la Régie interne...
Le sénateur Pierre Claude Nolin: ...autorise vos budgets?
M. André Bachand: Grosso modo, c'est un budget de un million de dollars qui est suggéré. Mais ce que j'aime, c'est que la présidente a quand même dit qu'il y aurait rencontre si...
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Oui, certainement.
M. André Bachand: ...à un moment donné on est capables de joindre les travaux effectués ou de complémenter les différents travaux. Ce serait bien.
Votre objectif est-il de pondre un projet de loi l'année prochaine?
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Je vais répondre facilement à cette question. Nous n'avons pas pour objectif de pondre une loi. Ce que nous voulons, c'est donner au gouvernement et à nos collègues du Sénat, en espérant qu'ils vont l'adopter, un cheminement critique: voici ce qui devrait influencer une politique publique et voici certaines recommandations à suivre. Notre ambition n'est certainement pas de produire un projet de loi. On a d'ailleurs éliminé cela dès le débat sur la motion. Il nous est apparu, premièrement, qu'une loi qui répond à un traité international doit être une loi gouvernementale. Il faut que ce soit le gouvernement du Canada qui décide s'il doit, oui ou non, adopter une politique nationale. Et je souligne le mot «national» sans jeu de mot ou sans clin d'oeil à l'endroit de vos collègues du Bloc québécois. J'emploie le mot «national» dans le sens australien du terme. En Australie, on a une structure gouvernementale qui ressemble à la nôtre; on a des provinces. Or, les Australiens ont adopté une politique nationale qui s'assure d'un partenariat efficace entre le niveau national et le niveau provincial, ce qui n'existe pas ici.
M. André Bachand: C'est ma dernière question, madame la présidente. Sénateur, vous avez touché à ma dernière question. Est-ce que votre comité est en relation avec les différentes provinces au Canada pour tout ce qui a trait à la santé, aux services sociaux, etc.?
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Pas autant qu'on le voudrait.
M. André Bachand: D'accord.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Pas autant qu'on le voudrait, mais on est pas mal satisfaits de...
Daniel, tu pourrais peut-être ajouter quelque chose.
Dr Daniel Sansfaçon: Oui, effectivement, je pense qu'on peut dire que, dans une bonne mesure, on essaie le plus possible d'avoir des relations de travail qui fassent en sorte qu'on puisse bénéficier de la connaissance qui est produite, notamment dans ces provinces où il y a des organismes de prévention de connaissance sur les drogues. On pensera à CAMH à Toronto pour l'Ontario et au Comité permanent de lutte à la toxicomanie pour le Québec. Ce sont des organismes qui produisent de la connaissance, eux aussi. Donc, on essaie d'avoir des relations de travail assez étroites avec eux. Il est aussi prévu que l'une de nos journées d'audiences portera sur la situation dans les provinces.
M. André Bachand: Parfait. Merci beaucoup, sénateur.
La présidente: Monsieur Lee, s'il vous plaît.
[Traduction]
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Merci, madame la présidente.
M. Bachand a fait allusion au budget du comité. Je voudrais dire à M. Bachand—et j'espère qu'il écoute attentivement—que nous nous sommes réunis hier à huis clos pour discuter d'un projet de budget et nous n'avons encore rien décidé. Vous semblez avoir été très ferme en public, et j'aurais espéré que vous accorderiez la même courtoisie à vos collègues qui passent en revue ces questions budgétaires à huis clos. J'espère que vous en tiendrez compte à l'avenir. Ce n'est pas une question, mais je voulais que ce soit dit.
M. André Bachand: Madame la présidente—et j'accepte votre observation, monsieur—ce que je disais était plutôt positif, en un sens, car tout dépend du Bureau de régie interne. Mais je voulais surtout reprendre les propos de la présidente et dire que les deux comités devraient travailler davantage ensemble. C'est tout. Mais je comprends ce que vous dites, monsieur.
M. Derek Lee: Merci.
Sénateur Nolin, soyez le bienvenu à notre comité spécial. C'est relativement rare de voir le Sénat venir à la Chambre ou l'inverse pour discuter de ces questions, si bien qu'il est rafraîchissant de voir un sénateur relativement jeune...
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Relativement, dites-vous. Où placez-vous la barre?
M. Derek Lee: Par rapport aux autres sénateurs, évidemment.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Vous seriez surpris.
Mme Hélène Scherrer (Louis-Hébert, Lib.): Il a 74 ans.
Des voix: Oh, oh!
M. Derek Lee: Ce devrait être une bonne expérience.
La façon dont votre comité aborde les grands changements d'orientation et la description que vous en avez faite m'ont beaucoup intéressé. Cela m'a semblé très sophistiqué. Vous espérez, vous et vos collègues sénateurs, catalyser les changements d'orientation en espérant peut-être influencer les décisionnaires, les décideurs au sein du gouvernement vraisemblablement, y compris les députés. Je pense pouvoir dire en toute sincérité que la Chambre des communes est un peu plus activiste, plus militante qu'à la recherche d'influence.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Elle devrait l'être.
M. Derek Lee: Notre rôle vise donc à influencer davantage ceux qui décident et qui rédigent les lois, et nous nous voyons même comme des rédacteurs de lois parfois. Et peut-être envisagerons- nous à un moment donné de rédiger un texte quelconque. Je ne sais pas. D'autres comités de la Chambre l'on fait. J'apprécie donc ces distinctions subtiles et je pense que vous les avez bien exprimées.
Comme les autres députés, j'ai moi aussi quelques inquiétudes au sujet de la répétition inutile de l'exercice que vous faites et de celui que nous faisons. Je ne sais pas si une véritable collaboration organique est possible. Si elle l'était, je voudrais tout naturellement envisager les possibilités qui s'offrent à nous, en particulier afin de réduire les coûts. Et lorsque nous aurons fini, nos rapports coïncideront presque, à quelques mois près. Je suppose qu'il est impossible de les amalgamer, et nous pourrions même en venir à des conclusions différentes. On ne sait jamais. La Chambre des communes et le Sénat pourraient en arriver à des conclusions différentes.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Je pourrais peut-être revenir sur vos toutes premières observations.
• 1635
Comme ne cesse de le dire un de mes collègues, j'étais là. En
1996, j'aurais été ravi de... Nous avons invité le Comité de la
santé de la Chambre des communes. Entre 1996 et 1998-1999, nous en
sommes arrivés, non seulement moi, mais beaucoup de mes collègues,
car l'essentiel des discussions ne se déroulaient pas au Sénat,
mais beaucoup plus en coulisse, à la conclusion que le seul endroit
où nous pourrions discuter de ce problème ouvertement, avec toute
la marge de manoeuvre nécessaire pour examiner de près la
situation, sans avoir peur de nous exprimer et parfois même de
choquer l'opinion publique, c'était précisément au Sénat. Nous
étions donc ravis.
Je dois tout d'abord vous dire ce que j'ai ressenti lorsque j'ai entendu dire que la Chambre des communes avait finalement décidé de discuter de cette question. J'ai fait ce que font parfois les juges de la Cour suprême lorsqu'ils ne comprennent pas le but recherché par le législateur—ils lisent les débats. Moi aussi, lorsque j'ai lu la motion, j'ai eu besoin d'en savoir davantage sur le but recherché par la Chambre des communes en adoptant cette motion, si bien que j'ai lu les débats. J'étais content d'apprendre que la Chambre des communes avait enfin décidé ouvertement et sans crainte de se pencher sur cette situation, mais en lisant les débats, je n'étais pas vraiment convaincu que l'ouverture d'esprit nécessaire pour bien analyser le problème était là. Je voudrais vous dire que c'est votre idée, c'est votre choix, c'est vous qui en avez décidé ainsi, mais il est certain que nous sommes là si vous avez besoin d'aide. Nous examinons ce problème depuis 1996. Nous pouvons avoir des opinions divergentes sur des détails, mais si l'on ne craint pas le retour du bâton, je doute que nous arrivions à des conclusions différentes.
M. Derek Lee: Je ne suis pas au courant des contraintes que ce comité pourrait avoir. En fait, les débats sont très ouverts, très vastes...
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Non, je ne crois pas que les contraintes proviennent du gouvernement. Ce n'est pas ce que je dis.
M. Derek Lee: Non, des contraintes politiques et autres.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Ces contraintes viendraient davantage de vos électeurs, ou de votre... Cela existe, ne nous méprenons pas.
M. Derek Lee: Le débat à la Chambre aurait fait apparaître le point de vue de divers groupes et individus. Les membres du comité forment un groupe plus restreint et, si je regarde autour de moi, ce groupe a un point de vue très objectif...
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Bien, je suis content de l'entendre.
M. Derek Lee: ... du domaine. Je pense que vous pouvez, vous et vos collègues, vous rassurer. C'est du moins ce que je pense jusqu'à présent.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Bien.
M. Derek Lee: Mais vu les délais imposés, le Sénat voulait surtout que vous abordiez le problème du cannabis, mais votre comité va étendre un peu plus ses filets après...
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Après le mois d'août. Nous allons présenter notre rapport en août 2002.
M. Derek Lee: Je vois, et lorsque vous aurez terminé...
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Oui. Une fois le rapport adopté, il m'appartiendra de présenter une autre motion pour examiner le reste.
M. Derek Lee: Je vois. Nous pouvons donc, sans crainte, aborder le problème plus vaste.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: En effet, allez-y. Je pense que vos délais sont moins stricts.
M. Derek Lee: Peut-être.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: C'est un conseil que je vous donne, mais vous avez besoin d'un peu plus de temps, à moins que vous ne vouliez y travailler trois jours par semaine. À vous de décider. Si vous me le permettez, je dirais que pour moi, il faut avant tout bien connaître la situation. On m'a fait voir un projet de calendrier de nos déplacements. Il est bon. Il est bon de parler aux gens et d'échanger des idées, mais il faut avant tout apprendre. C'est important.
M. Derek Lee: En fait je suis d'accord avec vous.
Merci infiniment.
M. Blair Armitage: Mon président voulait vraiment que je parle, si bien que j'ai trouvé un sujet que je pouvais aborder sans susciter de controverse.
J'ai été greffier de nombreux comités mixtes spéciaux du Sénat et de la Chambre des communes. J'ai constaté que, pour les études de longue haleine, les deux Chambres ont de plus en plus de mal à s'entendre sur des réunions mixtes. Il ne s'agit que d'une considération d'ordre pratique. Si vous voulez étudier davantage cette question, vous pourriez parler à quelques-uns de vos collègues qui ont travaillé par le passé à des comités mixtes spéciaux pour voir s'ils ont estimé que ces comités représentent une tribune constructive pour ce genre d'études de longue haleine. Si ces comités ont donné de bons résultats lorsque des études de courte durée étaient effectuées, comme celles sur la clause 17 et d'autres, alors que les délais étaient serrés etc., on peut dire que, pour des études spéciales comme celles-ci, c'est très difficile car les rythmes sont entièrement différents.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Ma proposition d'échanger des notes tient toujours.
Je suis content d'apprendre que votre étude est objective. Il faut qu'elle soit rigoureuse et, espérons-le, dénuée de tout sectarisme. Il serait très facile à une formation politique autour de cette table d'en faire un cheval de bataille au moment des élections, mais les efforts à long terme en souffriraient et compromettraient les objectifs des deux comités, j'en suis convaincu.
La présidente: Merci.
Essayez de ne rien prévoir, sénateur Nolin—M. Bigras en fait une crise cardiaque à chaque fois.
[Français]
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Ah, bon.
La présidente: C'est très difficile pour le Bloc.
[Traduction]
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Ce sont deux lundis.
[Français]
M. Bernard Bigras: C'est qu'on a beaucoup de comités, nous.
La présidente: Oui.
Monsieur Ménard, s'il vous plaît.
M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Moi aussi, je veux vous féliciter pour le sérieux de votre travail. Je ne vous cacherai pas qu'on n'a pas la même ouverture d'esprit face à l'institution que vous représentez, mais on a certainement une ouverture d'esprit face à ce que vous êtes comme individu et au sérieux avec lequel vous avez fait le travail.
Mme Hélène Scherrer: Et du respect pour son âge.
M. Réal Ménard: Et du respect pour votre âge, pas très vénérable mais très appréciable.
Des voix: Oh, oh!
M. Réal Ménard: Vous êtes conscient que dans le mandat qui est le nôtre, il y a un biais qui n'est pas le même que le vôtre. Le mandat que la Chambre des communes a adopté est de trouver des moyens de réduire la consommation de drogues à des fins non médicales. Il y a déjà des témoins qui nous ont fait valoir que nous travaillions tout de suite avec un biais, selon les termes mêmes du mandat qui nous a été confié. Il faut garder cela à l'esprit. Évidemment, ce biais ne se retrouve pas nécessairement avec la même intensité dans chacune des formations politiques respectives, mais le mandat qu'on a adopté est celui de faire des recommandations qui permettront de réduire, avec le concours des autres paliers de gouvernement, l'ampleur du problème que constitue ce phénomène.
Donc, on part du principe que la consommation de drogues à des fins non médicales est un problème. Donc, on n'a pas la même ouverture que le Sénat, ainsi que le démontrent les modalités mêmes de la présentation que vous avez faite de votre mandat. Je le déplore jusqu'à un certain point. À mon point de vue, il y a un problème dans le mandat, mais c'est un autre débat et cela ne peut pas se régler dans une discussion avec vous.
Je vous pose quatre courtes questions. Pouvez-vous nous rappeler la composition du comité? Je pars du principe que je ne peux pas vous poser de questions sur le contenu de votre rapport parce que vous êtes lié par un devoir de réserve. Je vais donc vous poser des questions d'orientation. Quels liens entendez-vous faire entre le mandat que vous avez adopté et les questions de pauvreté? Est-ce que ce sera quelque chose d'important, de moyennement important, de très important, et comment voyez-vous les relations entre ça?
Deuxièmement—et là je vous fais tout de suite part de mon biais de porte-parole en matière de santé—comment voyez-vous la possibilité d'élaborer des recommandations futures pour le gouvernement alors qu'on est dans une ère où il y a des campagnes extrêmement vigoureuses pour mettre fin au tabagisme? C'est une question qui peut se poser. Je ne veux présumer de rien, mais si on dit qu'il faut légaliser les drogues douces alors qu'on est dans une période où, comme parlementaires—et vous l'avez aussi fait au Sénat- on demande au gouvernement d'adopter des politiques pour dissuader les gens de fumer, il va falloir qu'on concilie ces orientations à un moment donné. Vous semble-t-il que c'est quelque chose que vous devez garder à l'esprit?
• 1645
Voici ma dernière question. Il me semble
que dans vos travaux de
recherche, il y a un parti pris
présent. J'aurais quasiment tendance à être
audacieux et à y voir un peu une certaine orientation
liée au passé de M. Sansfaçon. N'y a-t-il pas un
biais très marqué en fonction d'une stratégie de
réduction des méfaits? Je trouve cela
positif, mais n'est-ce pas
quelque chose d'assez présent dans
vos orientations de recherche?
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Je vais d'abord répondre à la quatrième question. C'est la plus facile. Si vous l'avez lu, c'est parce qu'on ne l'a pas fait ressortir assez clairement. Vous avez absolument raison.
M. Réal Ménard: D'accord.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: On s'y intéresse pour une raison bien simple: c'est que personne ne peut être contre la bonne foi et l'intérêt public. Lorsqu'on explique adéquatement ce qu'est la réduction des méfaits, il n'y a pas beaucoup de gens qui disent que ce n'est pas une bonne chose et qu'on ne devrait pas faire cela.
M. Réal Ménard: Il y en a eu à la Chambre. On ne nommera pas de noms, mais il y en a eu.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Disons que la première était facile. Quand vous parlez de la composition, voulez-vous dire les noms?
M. Réal Ménard: Oui.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: De la province d'Alberta, il y a le sénateur Tommy Banks et, de l'Ontario, le sénateur Colin Kenny.
M. Réal Ménard: D'accord.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Du Québec, il y a la sénatrice Shirley Maheu et moi, et du Manitoba, il y a le sénateur Stratton.
M. Réal Ménard: Donc, il n'y a pas de majorité.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: C'est trois à deux.
M. Réal Ménard: D'accord, vous avez une majorité.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Oui, mais il n'y a jamais eu, dans nos travaux, des...
La présidente: Trois libéraux...
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Trois libéraux et deux conservateurs.
M. Réal Ménard: Voulez-vous savoir qui sont les libéraux?
La présidente: C'est Tommy Banks, Colin Kenny et Shirley Maheu.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Exactement.
Jamais la question partisane ne fait partie de nos préoccupations. Jamais. D'ailleurs, on s'assure tous et chacun que cela ne le devienne pas. Tout au long de nos travaux, on s'assure de cela parce que cela empoisonnerait le débat. Je n'aurai pas de misère à vous convaincre que c'est un dossier où la poudre est fraîche. Si quelqu'un jetait une allumette, ça pourrait sauter facilement. Ce n'est certainement pas dans l'intérêt des Canadiens de faire cela. On est très conscients du danger et on essaie de ne pas le faire.
Sur la question du lien avec la pauvreté, c'est une des raisons pour lesquelles on voyage. Ça coûte cher au comité d'aller à Toronto et Vancouver, mais on y va parce que la pauvreté s'évalue difficilement dans la bouche d'un expert. Ça se vit beaucoup plus facilement lorsqu'on essaie de mettre nos jeans et nos tee-shirts le soir. Après avoir entendu une série d'experts locaux, on descend dans la rue et on va voir de quoi a l'air un crack house, ce que le greffier et moi avons fait à Toronto avec beaucoup de...
M. Réal Ménard: À titre de consommateurs?
Des voix: Non.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Je vais répondre comme M. Trudeau l'a déjà fait: voulez-vous dire au Canada ou à l'extérieur?
M. Réal Ménard: Vous n'allez pas à l'extérieur.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: On ne va pas à l'extérieur. Non, c'est important. Donc, le lien avec la pauvreté doit être omniprésent. Je parlais tout à l'heure de l'environnement de la consommation des drogues en comparant l'Europe et l'Amérique du Nord. La pauvreté est un des facteurs d'oppression dans l'abus des drogues. Cela s'écrit dans des rapports d'experts, mais il faut être capable de le toucher, d'en avoir une perception très sensorielle. Pour cela, il n'y a rien qui remplace le terrain.
En ce qui concerne la réconciliation des prohibitions, c'est une très bonne question. C'est votre troisième question. On a des prohibitions, entre autres pour les jeunes. Il est interdit de vendre du tabac aux jeunes, mais le jeune qui fume ne fait rien d'illégal, à ce que je sache.
M. Réal Ménard: Ce n'est pas une infraction.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Les États qui vendent de l'alcool ne peuvent pas en vendre aux mineurs. Mais quand vous faites une réception à Noël, que votre neveu de 14 ans est là et que vous lui offrez une bière, vous n'êtes pas en état d'infraction, à moins que je fasse erreur sur les lois québécoises.
Vous voyez donc qu'il y a une modulation dans la prohibition des attitudes. En matière de drogues, on n'est vraiment pas là. On n'est vraiment pas là. On compare. Si, à la fin de l'exercice, le seul problème qu'il nous reste à juguler est la coexistence de réglementations... En matière de tabac et d'alcool, je n'appellerais pas ça des prohibitions; j'appelle ça des réglementations, un usage réglementé.
M. Réal Ménard: Je suis d'accord avec vous.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Oui, vas-y, Daniel.
Dr Daniel Sansfaçon: Avec votre permission, je vais revenir sur la quatrième question que vous avez posée.
M. Réal Ménard: Disons que vous avez été assez directement interpellé.
Dr Daniel Sansfaçon: Un peu.
Le programme de recherche fait une place à l'ensemble des champs d'interrogation et, en ce sens-là, fait aussi une place aux politiques de réduction des méfaits, mais je me permets de penser que le programme de recherche proposé et l'ensemble des questions qui s'y retrouvent ne présument pas d'un biais envers une option de politique publique plutôt qu'une autre. Le programme de recherche pose des questions qui essaient de faire le tour de l'ensemble des connaissances sur les effets, sur les pratiques, sur les tendances et ainsi de suite, relatives aux drogues illicites, au cannabis en particulier, y incluant, lorsque c'est pertinent, des aspects de réduction des méfaits.
M. Réal Ménard: Vous comprenez que ma question était flatteuse et, à la limite, débordante d'enthousiasme, dirais-je.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: On essaie d'être très objectifs dans notre approche.
Lorsque j'ai rencontré, entre autres, un groupe de policiers à Québec cet été, je leur ai dit que la prohibition était certainement une des options qu'on devait reconsidérer. On exerce peut-être mal la prohibition. Les Américains ont peut-être raison. L'effort ou la volonté politique de prohiber l'usage est peut-être trop tiède.
M. Réal Ménard: Il m'apparaît clair, dans l'aménagement des travaux, que quand vous allez déposer votre rapport vers le mois d'août,...
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Oui.
M. Réal Ménard: ...si c'est le voeu du Sénat, évidemment, vous allez ensuite poursuivre vos travaux pour avoir une vision plus large de l'ensemble des drogues.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Oui. D'ailleurs, si vous lisez le premier mandat, le premier ordre de renvoi...
La présidente: Vous avez pris 11 minutes. Je suis désolée, mais c'est fini.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: C'est une vraie réglementation, ça. Vous êtes frappé d'ostracisme. Je vais terminer.
Quelle était votre dernière question?
M. Réal Ménard: Après le mois d'août, vous allez prolonger vos travaux pour l'ensemble des drogues.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Dans l'ancienne législature, le premier mandat du comité couvrait toutes les drogues. Lorsque nous sommes revenus après les élections, mes collègues ont jugé opportun, et je l'ai accepté, qu'on examine surtout la question du cannabis dans un plus court laps de temps plutôt que de prendre trois ans pour examiner toutes les drogues, un mandat qui, à mon avis, devrait... Je comprends que c'est plus difficile pour la Chambre des communes d'avoir un mandat de trois ans, mais au Sénat, un tel mandat nous apparaissait plus sérieux. J'ai accepté qu'on le réduise à 18 mois et qu'il porte juste sur le cannabis, mais qu'on revienne...
Il faut lire les deux pour comprendre le cheminement de la réflexion dans l'autre endroit, comme vous dites.
La présidente: Merci beaucoup. Je ne suis pas avocate, mais je pense qu'en Ontario, le fait de donner de l'alcool à un enfant est contre la loi.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: De lui en servir.
La présidente: De lui en servir dans votre maison, mais cela ne fait pas souvent l'objet d'un procès.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Je sais que c'est illégal au Québec de venir en Ontario acheter du vin et de le consommer au Québec, mais il y a des choses comme ça qui arrivent.
La présidente: Oui, parce qu'il y a des barrières interprovinciales.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Tout à l'heure, en répondant à une question, je disais qu'une politique nationale ne pouvait pas se faire dans le cloisonnement des juridictions. Il doit y avoir un effort concerté.
Pour ce qui est de la question financière, on va découvrir rapidement ce que nous coûtent les politiques actuelles au fédéral. Le vérificateur général va produire un rapport sur cela en décembre. On va donc en avoir une idée. J'ai hâte de voir les résultats, mais selon moi, au-delà des mesures pénales, la coopération est plus que nécessaire, parce qu'à l'origine, c'est un problème social. On en a pour preuve le phénomène de la consommation des substances totalement légales chez les jeunes autochtones. Il n'y a rien d'illégal à respirer de la colle. D'où vient le problème? Le problème n'est pas la substance. C'est l'usage. Et pourquoi l'usage est-il un problème? Donc, il faut aller derrière l'usage pour comprendre, et là on ouvre la porte à une question très sociale. Vous voyez que ce n'est pas uniquement le Parlement fédéral qui a la responsabilité de trouver des solutions.
C'est pour cela que je vous recommande de lire et de vous renseigner sur l'expérience australienne. La situation australienne s'apparente beaucoup à la nôtre. Il y a une grosse proportion d'autochtones en Australie. Déjà là, il y a une similarité.
La présidente: Oui, et il y a aussi beaucoup d'argent d'affecté aux programmes de prévention, mais c'est dans les provinces, et chaque province a un autre programme.
Monsieur Bertrand, et ensuite Mme Scherrer, s'il vous plaît.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Mon député.
La présidente: Nous l'avons invité aujourd'hui.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Quand je demeure ici, c'est mon député.
La présidente: Ah, oui.
M. Robert Bertrand (Pontiac—Gatineau—Labelle, Lib.): Merci beaucoup, madame la présidente.
Moi aussi, j'aimerais vous souhaiter la bienvenue, monsieur le sénateur. Je dois vous dire que je ne suis malheureusement pas un membre régulier de ce comité. Comme vous avez pu le voir, ils sont venus me chercher de l'autre côté pour...
Une voix: Je suis sûr que maintenant vous êtes très intéressé.
M. Robert Bertrand: Très intéressé, très intéressé.
La présidente: Je suis très heureuse que vous soyez ici.
M. Robert Bertrand: J'ai trois petites questions à vous poser. Premièrement, concernant la stratégie nationale dont vous avez parlé tout à l'heure, vous avez parlé d'un montant de 33 millions de dollars qui a été dépensé jusqu'à maintenant, n'est-ce pas?
Le sénateur Pierre Claude Nolin: C'est M. Sorenson qui a dit cela.
M. Robert Bertrand: C'est M. Sorenson qui a dit cela. J'aimerais savoir si ce montant de 33 millions de dollars est un montant qu'on a dépensé depuis 1988 ou si c'est un montant annuel récurrent.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: En 1996, pour répondre à une question précise de M. Sorenson, la stratégie nationale n'a pas été renouvelée. Il y a des programmes qui sont restés en place, et le gouvernement fédéral n'a pas arrêté de se préoccuper du problème des drogues en 1996, mais la belle stratégie nationale sur les drogues illégales s'est arrêtée en 1996.
Nous avons des données monétaires sur le coût de la mise en oeuvre des politiques canadiennes, mais lorsqu'on a su que le vérificateur général avait entrepris, lui aussi, une évaluation financière de tous ces programmes, on s'est dit:
[Traduction]
Laissons-le faire. Attendons les conclusions de la vérificatrice générale.
[Français]
Il a le bras plus long que nous pour aller découvrir les...
La présidente: En plus, il a une très grosse équipe.
M. Robert Bertrand: Et de bons budgets.
La présidente: Oui, plus élevés que ceux du ministère des Finances.
M. Robert Bertrand: Deuxièmement, monsieur le sénateur, j'aimerais revenir sur l'expérience belge. Vous avez mentionné qu'en Belgique, la consommation pour usage personnel était légale.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Entre adultes.
M. Robert Bertrand: Entre adultes.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: En privé.
M. Robert Bertrand: En privé.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Oui.
M. Robert Bertrand: À quel endroit ces gens-là...?
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Ce n'est pas légal. C'est que cela ne sera pas criminalisé. Ce ne sera pas pénalisé.
M. Robert Bertrand: Ce ne sera pas pénalisé.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: J'émets cette précision parce que...
M. Robert Bertrand: C'est important de le clarifier.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: ...c'est comme ça que cela va se produire.
M. Robert Bertrand: Mais à quel endroit ces gens-là se procurent-ils le cannabis?
La présidente: C'est le lieu exact que vous cherchez?
M. Robert Bertrand: Non, non, non. On va prendre l'adresse en note.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: C'est peut-être au Canada.
Des voix: Ah, ah!
M. Robert Bertrand: Mais il n'y a pas de succursales comme celles de la SAQ.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Non. La ministre de la Santé belge, dont le nom m'échappe malheureusement en ce moment, avait un document politique beaucoup plus élaboré qui rejoignait, entre autres, cette question de la culture, mais le bouillon politique a fait en sorte que la directive de l'État, qui est publique maintenant, a été réduite à ce que je vous ai dit tout à l'heure. L'approvisionnement va être illégal.
Dr Daniel Sansfaçon: J'aimerais apporter une précision, si vous me le permettez.
En décembre prochain, à Utrecht, se donnera une conférence des villes sur les drogues à la demande du ministre de la Justice des Pays-Bas. Pourquoi?
Il y a un an et demi maintenant, le ministre de la Santé des Pays-Bas, avec son collègue de la Justice, parce qu'ils font face exactement à cette même question... Vous savez qu'il existe des coffee shops, notamment à Amsterdam, mais un peu partout en Hollande, où on peut acheter un peu de drogue: cinq grammes au maximum. Mais les vendeurs, eux, doivent bien s'en procurer quelque part. Or, ça, c'est sur le marché illégal. Donc, on a voulu faire en sorte de permettre que les propriétaires des coffee shops puissent s'alimenter à même des sources d'approvisionnement légales.
Devant certains lobbys internationaux, les Pays-Bas ont renoncé temporairement à cette initiative. La réalité rattrape un peu tout le monde, cependant, puisque tout le monde fait face à cette situation en Europe. C'est vrai pour l'Espagne, l'Italie, la Belgique maintenant et le Portugal, où l'on dépénalise la possession simple pour usage personnel. La réalité rattrape tout le monde. Donc, partout dans ces pays-là, on fait face à la même situation de consommateurs qui ne seront pas pénalisés, mais qui devront se procurer des drogues sur un marché plus ou moins légal, et plutôt illégal qu'autrement. C'est pourquoi il y aura cette conférence des villes sur les drogues en décembre, à Utrecht, pour tenter d'amasser des expériences de villes et de voir ce qu'il serait éventuellement possible de faire, comme première étape, vers une résolution de ce problème, qui est permanent, récurrent dans les pays qui ont dépénalisé l'usage à des fins personnelles.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Si vous me permettez d'ajouter quelque chose, je dirai que sur la question du contrôle de l'approvisionnement ou de la légalisation de l'approvisionnement, il y a aussi toute la dimension du contrôle de la qualité qui entre en ligne de compte dans ces juridictions qui se questionnent sur ce que ça leur donne. Ces pays-là ont de la difficulté à sortir des traités auxquels vous faisiez allusion tout à l'heure, monsieur Bigras, et ils vont au plus court. Ils ne désirent pas affronter des forums internationaux, avoir un vrai débat sur le fin mot du traité. Ils aiment plutôt prendre la voie de la dépénalisation et garder dans leurs lois des prohibitions, mais dépénaliser pour des raisons d'ordre public. Mais ça élimine toute la question du contrôle de la qualité.
Le problème auquel faisait allusion Mme Davies tout à l'heure en ce qui concerne l'époque de la prohibition de l'alcool—d'ailleurs, on a eu des témoignages à cet effet—c'était que la prohibition engendrait le décès, parce que l'alcool, vraiment... Il y a eu une réduction de la consommation de la aux États-Unis. Tant qu'à se faire prendre à transporter 40 onces de liquide, il valait mieux se faire prendre avec 40 onces d'alcool plutôt que 40 onces de bière. Alors, la consommation de la bière a diminué, mais ce qui a augmenté, c'est la consommation d'alcool fort et frelaté. Par conséquent, des gens sont morts...
Une voix: Empoisonnés.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: ...de la consommation d'alcool frelaté.
Alors, vous voyez que le contrôle de la qualité disparaît au moment de la prohibition, parce que si l'État prohibe, la population n'accepte pas que, de la main droite, il ait vérifié la qualité des produits légaux. Vous voyez la coexistence de deux valeurs qui sont défendables, mais qui ne peuvent pas coexister. C'est pour cela que ces villes-là s'interrogent sur la question de l'approvisionnement.
Vous aviez une troisième question.
M. Robert Bertrand: Oui. Avec les événements du 11 septembre dernier, croyez-vous que la coalition des différents pays qui vont faire front commun contre le terrorisme qui, on le sait, est financé en grande partie par la vente de drogues illicites en Afghanistan et dans d'autres pays, va venir freiner l'entrée de drogues au Canada?
Le sénateur Pierre Claude Nolin: J'aimerais vous dire oui; malheureusement, c'est non. Il y a un mythe qui se développe depuis le 11 septembre voulant que l'opium, principalement, parce que l'Afghanistan en est le plus gros producteur avec à peu près 90 p. 100 de tout l'opium qui circule dans le monde,...
Une voix: Les deux tiers du PIB.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: ...serve à financer les activités des Talibans. C'est faux. Des experts qu'on a entendus nous ont démontré que... D'ailleurs, nous consacrerons très prochainement une portion de nos travaux à l'examen de la question du terrorisme et des drogues justement pour essayer de démystifier cette question-là. J'aurais aimé vous répondre oui, mais le prix d'un kilo d'héroïne en Afghanistan n'a rien à voir avec le même kilo une fois rendu en Amérique du Nord. Vous comprenez? La mathématique n'y est pas. Mais pour le moment, c'est superficiel.
Daniel, veux-tu ajouter quelque chose?
Dr Daniel Sansfaçon: Notamment, vous pourrez consulter les travaux de M. Alain Labrousse, qui a été le président fondateur de l'Observateur géopolitique des drogues et qui est maintenant un observateur français des drogues et toxicomanies, et de la façon dont les marchés illicites des drogues font partie de la géopolitique. Il est un spécialiste des marchés illicites des drogues et il est venu témoigner devant le comité du Sénat en mai dernier.
Une voix: Oui, le 27 mai.
Dr Daniel Sansfaçon: M. Labrousse a d'ailleurs été interviewé par un journaliste du journal Le Devoir tout récemment. C'était au début de cette semaine, je crois. Bref, le kilo d'héroïne qui se vend comme produit brut à 250 $ US ou à peu près en Afghanistan se vend, sur le marché américain, dans les rues, aux environs de 350 000 $, donc 10 fois plus cher. Donc, ce n'est pas le producteur qui... Mais ça, c'est vrai pour toutes les drogues. C'est vrai pour la coca, c'est vrai pour le pavot, et c'est vrai même pour la marijuana. Ce n'est pas le producteur qui engrange les bénéfices, ce sont tous les intermédiaires.
Une voix: Les vendeurs.
Dr Daniel Sansfaçon: Et les intermédiaires ne sont pas nécessairement ou obligatoirement—ça, c'est une autre question—reliés au financement des réseaux de terrorisme.
Par exemple, si on pense aux mafias, elles n'ont peut-être pas intérêt à précisément financer des réseaux de terrorisme. Mais ça, c'est une autre question. Toutefois, sur les lieux de production mêmes, les données sont assez claires et indiquent que ce n'est pas là que les bénéfices sont engrangés.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Des recherches dans un autre domaine nous apprennent que les terroristes ont maintenant envahi le marché interlope, parce que c'est là que se trouve, chez l'intermédiaire, le financement, la plus grande capacité économique.
M. Robert Bertrand: La plus grosse partie du profit.
Merci beaucoup, madame la présidente.
La présidente: Merci beaucoup, parce que c'étaient de bonnes questions.
Une petite question de M. Bigras et ce sera ensuite Mme Scherrer.
M. Bernard Bigras: Au sujet des événements du 11 septembre, j'ai aussi une question. Vous savez qu'il y a une hypothèse qui circule beaucoup quant à la création d'un périmètre de sécurité nord-américain. Je voudrais savoir si, dans une certaine mesure, la création de ce périmètre pourrait empêcher le Canada d'agir. On sait qu'en matière d'immigration à tout le moins, il y a des craintes importantes qui ont été manifestées de la part du Canada. Donc, pensez-vous qu'en matière de drogues, la création de ce périmètre de sécurité pourrait avoir un impact?
Le sénateur Pierre Claude Nolin: On s'entend pour dire que c'est très hypothétique.
M. Bernard Bigras: Oui, on s'entend.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Il y a beaucoup de «si». Donc, ce sera une opinion, une première réflexion. Le Canada, d'ailleurs, a déjà les mains attachées. Ce qu'on peut faire, et c'est ce qu'on fait en ce moment, c'est réfléchir, examiner, étudier, discuter, produire du papier. Ça, c'est ce qu'on peut faire en ce moment, et je pense que c'est ce qu'on fait bien. En tout cas, on a mis en place de bons mécanismes de prise de conscience.
Pour répondre à votre préoccupation—et c'est une préoccupation que j'ai aussi—la gageure que je fais est la suivante. Je suis prêt à parier que le jour où on aura bien fait notre travail, où on se sera, premièrement, informés, où on aura ensuite partagé cette information avec vos électeurs, donc avec les Canadiens, ces derniers, adéquatement informés, vont pousser sur les gouvernements, pas uniquement canadiens, mais aussi américains. Comme vous le savez, la population canadienne n'est pas tellement différente de la population américaine. Notre environnement de communications fait en sorte qu'il y a un bon transfert. Vous allez me dire qu'il y en a plus qui nous viennent des États-Unis qu'il y en a du Canada qui vont vers les États-Unis. Vous avez raison, et il faudrait qu'on examine ce problème spécifique.
• 1710
Pour ma part, le pari que je suis prêt à faire, c'est que
lorsque la population sera adéquatement informée, elle
ne mettra pas beaucoup de temps
à bouger.
Je vous invite à rester syntonisés sur les
travaux du comité. Très prochainement, nous recevrons des
Américains. Il y a déjà des expériences en ce
sens qui s'amorcent aux États-Unis, et ça risque
d'être très intéressant.
La présidente: Madame Scherrer.
Mme Hélène Scherrer: Moi aussi, je suis touriste aujourd'hui. Alors, je voudrais poser...
Une voix: Vous allez revenir.
Mme Hélène Scherrer: Possiblement, mais je voudrais poser une question. Je voudrais quand même que le comité soit très candide et me dise de passer à la prochaine question si c'est très redondant, si on en a parlé beaucoup avant.
Je m'interrogeais surtout sur la méthodologie de recherche que vous utilisez. J'ai cru comprendre qu'il y avait deux grands volets, à savoir une cueillette de données au niveau de recherches plus précises et une consultation qui va se faire au niveau des Canadiens, par exemple.
Je reviens au volet cueillette de données. Je voulais savoir un petit peu comment se feraient les cueillettes, puisque la substance que vous étudiez est une substance interdite et puisque c'est quelque chose qui est sans aucun doute plus difficile à aller chercher de façon scientifique. Dans mon esprit, l'interdiction a sans aucun doute une influence sur la consommation, une influence sur l'impact social, une influence sur bien d'autres choses.
Ma première question est la suivante. Comment allez-vous chercher vos informations pour monter un dossier sur les impacts sur la santé? Quel est votre échantillon de recherche?
Deuxièmement, est-ce qu'en bout de ligne, vous allez comparer la consommation dans un endroit où elle est interdite, ce qui, selon moi, donne des patterns d'utilisation qui sont possiblement très différents, avec la situation dans d'autres endroits où la substance n'est pas interdite? D'après moi, ça donne des patterns qui sont tout à fait différents, et je pense que c'est bien de pouvoir les comparer.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Je vais aborder la question et je laisserai le Dr Sansfaçon terminer.
Premièrement, la question des drogues illégales est le sujet sur lequel il y a le plus d'information sur Internet. Il y a déjà beaucoup d'information. Ce qui est complexe—et ce n'est pas le seul élément complexe du problème—c'est de départager ce qui est rigoureux et ce qui l'est moins. Ça, c'est le travail de Daniel, et peut-être que j'empiète sur sa réponse.
Sur la question de la comparaison, pour un même produit, entre un groupe cible vivant totalement dans un environnement d'interdiction et un groupe cible vivant dans un environnement plus permissif, les chercheurs ont accès à de tels genres d'environnements. Il y a des endroits sur le globe où la consommation est plus accessible. Le Dr Sansfaçon a fait allusion à la Hollande; il y a d'autres pays qui commencent à remonter. On a déjà accès à de l'information statistique valable en Hollande. Malgré ce que plusieurs disent ou malgré ce que certains disent, l'information statistique qu'on a sur la Hollande est crédible et rigoureuse, et on peut la comparer avec celle d'autres pays où on trouve des environnements totalement prohibitifs.
Est-ce que je t'ai enlevé tout ton...
Dr Daniel Sansfaçon: Non, non.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: D'accord.
Dr Daniel Sansfaçon: Premièrement, l'effort de recherche est essentiellement basé sur la tentative de faire la synthèse des études existantes. On verra bien si on aura du succès ou pas. Je disais au tout début, lorsque j'ai présenté les grandes lignes du programme de recherche, qu'à la différence du moment où la Commission Le Dain faisait ses travaux, il y a près de 30 ans, nous disposons maintenant d'un très vaste bassin de connaissances sur tous les aspects des drogues. Dans les dernières années, seulement pour le cannabis, il y a eu, par exemple sur les aspects biomédicaux ou biopharmacologique, un rapport important de l'institut américain de médecine, un rapport important de la Suisse, un autre de la Belgique, deux de la France et un de l'Australie. Déjà, il y a eu ça seulement sur cet aspect.
• 1715
Donc, on dispose d'un vaste bassin de connaissances
qu'on va essayer de synthétiser sous
différents aspects, sous différents thèmes.
Cela étant dit, sur la situation spécifique du Canada, il est très clair, et c'est l'une des conclusions auxquelles on est arrivés très tôt, qu'il nous manque malheureusement énormément d'information. C'est peut-être l'une des conséquences du fait qu'on n'a pas une stratégie nationale forte qui aurait été renouvelée.
Par exemple, sur les tendances de consommation de la population canadienne en général, nous ne disposons pas d'information à jour, la dernière enquête épidémiologique canadienne remontant à 1994.
Sur les tendances de consommation chez les jeunes, les adolescents dans les écoles, il n'y a que l'Ontario qui mène des études de manière systématique à toutes les deux années et quelques autres provinces, dont le Québec, qui le font ici et là, une fois ici, une fois là, mais pas de manière systématique.
Donc, on a un grand déficit par rapport à tous les autres pays de l'OCDE en matière de connaissances des tendances de base dans la population en général et chez les adolescents en particulier. Donc, on a aussi des trous. Nous n'avons pas, au comité du Sénat, les ressources pour faire ou faire faire des études pour pallier ces trous-là. Donc, il va falloir vivre avec.
La troisième chose que je voulais mentionner est qu'il n'y a aucun pays où les drogues ne soient pas illicites, y incluant les Pays-Bas et la Suisse. On ne peut pas les rendre légales à cause des conventions internationales.
Cela dit, les travaux de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies ont montré de manière assez évidente, au cours des dernières années, que les régimes de politique publique ont très peu d'effet sur les tendances de consommation et d'usage dans la population. Dans un régime répressif, on trouvera des tendances de consommation élevée, comme aux États-Unis, ou de consommation relativement faible, comme en Suède. Dans un régime plus libéral, comme aux Pays-Bas, on trouvera des tendances relativement élevées ou, comme au Danemark, où il y a aussi un régime assez libéral, des tendances relativement faibles. Donc, il n'y a pas d'association directe entre un régime de politique publique donné et les tendances de consommation qui, elles, relèvent de toute une série d'autres facteurs socioculturels et économiques. On pourrait penser à la pauvreté, aux conditions de vie et ainsi de suite comme étant des facteurs beaucoup plus déterminants dans les tendances de consommation que les régimes de politique publique.
Mme Hélène Scherrer: Et comment allez-vous pallier vos trous?
Dr Daniel Sansfaçon: Par des recommandations sur les manières de faire de la recherche dans l'avenir.
Mme Hélène Scherrer: D'accord.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: On n'a pas mis de côté la possibilité d'émettre des rapports intérimaires si, en cours de route, on s'aperçoit qu'il serait dans l'intérêt de tout le monde que telle étude se fasse. Ou bien on émettra un rapport intérimaire spécifiquement sur cela, ou bien, à portes closes, on tentera de convaincre les décideurs qu'il serait dans l'intérêt de tout le monde qu'une étude nationale soit faite.
Mme Hélène Scherrer: Selon plusieurs études qui ont été faites dans d'autres pays, comme on le disait tout à l'heure, le type de consommation est fortement attribuable à des facteurs socioculturels.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Oui, c'est cela.
Mme Hélène Scherrer: Finalement, on va se baser sur des études qui sont faites ailleurs et on va tirer des conclusions qui ne collent pas du tout à notre réalité à nous.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Et les gens qui vont la contester vont avoir raison.
Mme Hélène Scherrer: D'accord.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: C'est pour cela qu'on...
Dr Daniel Sansfaçon: Permettez-moi de dire qu'il existe tout de même au Canada une base de connaissances. Elle est limitée et partielle, mais il existe quand même une base de connaissances. Par exemple, on a un réseau d'observation qui s'appelle en anglais—excusez-moi, mais je ne connais pas le nom en français—le réseau CCENDU, le Canadian Community Epidemiology Network on Drug Use.
Ce réseau de 15 ou 16 villes du Canada, qui tenait d'ailleurs sa conférence nationale ce dernier week-end à Ottawa, produit certaines données sur l'utilisation et les tendances. Ce sont des données limitées. Il faut vivre avec à défaut d'avoir des systèmes d'observation forts comme il en existe dans plusieurs pays, notamment aux États-Unis, qui dégagent des tendances de consommation avec des sondages, des enquêtes, etc. À défaut d'avoir cela, on a quand même des choses. Ce n'est pas comme si on n'avait rien, mais ce ne sont pas des données qui nous permettent de dresser facilement un portrait national de la situation actuelle, une photographie, un instantané et, surtout, de dresser une sorte de portrait évolutif dans le temps.
• 1720
Il faut admettre
qu'on a effectivement des trous, mais ce n'est
quand même pas
comme s'il n'y avait rien.
La présidente: Qu'avez-vous dit sur la Suède?
Dr Daniel Sansfaçon: Régime répressif.
La présidente: Ah, oui.
Dr Daniel Sansfaçon: J'aimerais apporter une petite précision. C'est un régime très prohibitif des drogues. La Suède vise l'objectif d'une société sans drogue d'une manière très explicite, très claire, très forte, mais il ne faut pas perdre de vue tout le bagage sociopolitique de la Suède. C'est une société tissée très serré, avec des mécanismes de solidarité sociale très forts et qui, de surcroît, même avec un régime prohibitif très fort, n'utilise pas les recours pénaux comme le font les États-Unis, par exemple. C'est un régime prohibitif, mais qui fonctionne complètement différemment, qui est beaucoup plus axé sur la prévention et le traitement que sur les mesures d'orientation pénale. C'est pour cela que le sénateur Nolin disait tout à l'heure qu'on peut imaginer la prohibition comme étant encore une solution, mais appliquée différemment. Donc, certains diront qu'on devrait s'inspirer du modèle suédois. Voilà.
La présidente: Oui, mais l'information dont je dispose est un petit peu différente. J'ai parlé avec la ministre. Je lui ai dit que chez nous, quand quelqu'un a une cigarette de marijuana, les policiers ne disent rien. Elle m'a dit qu'elle devait toujours porter une accusation dans son pays.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: C'est la fin de l'affirmation qui n'est pas tout à fait exacte. Vous avez raison de dire qu'ils ne l'acceptent pas. Le traitement de l'interdiction est différent du nôtre. C'est ça qui est différent.
La présidente: C'est très intéressant pour tous les membres du comité et tous nos touristes.
Merci beaucoup d'avoir passé l'après-midi chez nous. C'est un peu historique ici, au Parlement du Canada. Merci et bon travail.
Si vous avez un programme de vos travaux, peut-être pourriez-vous le partager avec nous.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Il sera important que les deux greffiers se parlent et échangent de l'information. Comme ils se connaissent, ça va bien aller.
La présidente: Très bien.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: S'il est nécessaire que nous mettions en commun nos réflexions, ça me fera plaisir, madame. Merci beaucoup de l'invitation.
La présidente: Merci beaucoup.
Le sénateur Pierre Claude Nolin: Et bonne chance dans vos travaux.
La présidente: Oui, merci beaucoup.
La séance est levée.