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SNUD Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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SPECIAL COMMITTEE ON NON-MEDICAL USE OF DRUGS

COMITÉ SPÉCIAL SUR LA CONSOMMATION NON MÉDICALE DE DROGUES OU MÉDICAMENTS

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le mercredi 21 novembre 2001

• 1546

[Français]

La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)): Nous sommes très heureux de recevoir quelques témoins de la GRC, du Service de police de la communauté urbaine de Montréal et de l'Agence canadienne des douanes et du revenu. Bienvenue à nos témoins.

Je pense que vous avez chacun quelque chose à dire et qu'il y a aussi des diapositives.

Oui?

[Traduction]

M. Pierre Primeau (enquêteur, Gendarmerie royale du Canada): Nous pouvons parler en anglais, si vous le voulez. Je m'appelle Pierre Primeau. Je suis de la GRC.

Nous avons préparé un exposé sur la situation criminelle dans le port de Montréal. Il est structuré de telle manière que M. De-Riggi et moi-même prendrons la parole à tour de rôle. Nous traiterons des aspects commerciaux du port de Montréal et aussi de la criminalité dans le port de Montréal. Il y a 25 diapositives. L'exposé durera environ une demi-heure.

La présidente: Excellent. Ensuite, les députés qui sont assis autour de la table vous poseront des questions. Comme vous le savez, la plupart d'entre nous ont visité le port de Montréal hier et nous connaissons donc très bien vos installations.

M. Pierre Primeau: Nous avons rédigé l'exposé en anglais. Le texte est en anglais, et nous pourrons passer du français à l'anglais, selon votre convenance.

La présidente: Vous savez que nous avons l'interprétation simultanée et vous pourrez utiliser ce service quand vous serez prêt à répondre aux questions, alors c'est comme vous le voulez.

M. Pierre Primeau: Comme je l'ai dit, je m'appelle Pierre Primeau et je travaille à la GRC. Je suis à la GRC depuis presque 25 ans et, depuis deux ans, je travaille comme agent de renseignements à l'unité de lutte contre le crime organisé de Montréal. Ce que l'on pourrait appeler notre spécialité est d'enquêter sur des particuliers et des situations criminelles qui se produisent dans le port de Montréal.

Comme vous pouvez le voir, notre logo ne présente pas vraiment les couleurs d'un service de police en particulier, parce que nous sommes une force conjointe de la Police de Montréal, de Douanes Canada, de la police provinciale, c'est-à-dire la Sûreté du Québec, et de la GRC. Nous avons décidé d'adopter une couleur qui ne représenterait personne en particulier, par neutralité politique, si l'on peut dire.

M. Angelo De-Riggi (agent de renseignement, Agence des douanes et du revenu du Canada): Je m'appelle Angelo De-Riggi. Je travaille à l'Agence des douanes et du revenu du Canada à Montréal et je suis membre de cette unité depuis environ deux ans. Nous travaillons ensemble depuis quatre ans. J'ai plus de 20 ans d'expérience aux douanes, dont 15 ans au service du renseignement.

Ce que nous voulions illustrer ici, c'est qu'au départ, les activités du port de Montréal étaient centrées autour du vieux port ou du Vieux-Montréal. Avec les années, quand le transport maritime international a adopté le mode conteneur, il a fallu construire des terminaux pour conteneurs dans l'est de Montréal, et c'est à cet endroit que se trouvent aujourd'hui les grands terminaux pour conteneurs.

Le port de Montréal a ceci d'exceptionnel qu'il est situé à 1 600 kilomètres à l'intérieur des terres. Les marchandises déchargées dans le port sont rapidement distribuées par rail ou par camion vers les grandes villes du midwest, comme Chicago et même plus loin, ou encore Detroit, Toronto et le marché de l'Ontario, et aussi vers les États de la Nouvelle-Angleterre.

• 1550

Le port de Montréal a entre 20 et 25 kilomètres de long, mais les terminaux qui nous intéressent essentiellement sont le terminal Racine, le terminal Cast et le terminal Termont. Ces trois terminaux sont situés entre le tunnel Louis-Hippolyte Lafontaine et la rue Pie IX, sur une distance d'environ quatre à cinq kilomètres. C'est donc à l'intérieur de ces quatre kilomètres que se situe le centre des activités du crime organisé pour faciliter la sortie des conteneurs du port de Montréal.

Le complexe Bickerdike, qui se trouve à l'extrémité ouest du port de Montréal, est utilisé essentiellement pour les navires qui arrivent de Cuba et de Haïti chargés d'un très faible volume de fret. Le terminal Cast accueille des navires qui arrivent de la Méditerranée, de l'Espagne, de l'Italie et du Portugal, et le terminal Racine accueille les navires qui arrivent d'Anvers, de Rotterdam, de Felixstowe et de tous les ports d'Europe du Nord.

Ce sont essentiellement ces trois terminaux, Termont, Racine et Cast, qui constituent le centre des activités du crime organisé. Les criminels se sentent très à l'aise dans ces terminaux parce que, comme nous allons le démontrer dans la suite de notre présentation, ils occupent des postes clés quand les navires sont déchargés dans le port et, à partir de ces postes clés, ils peuvent manipuler les boîtes ou les conteneurs dans ces piles que l'on voit ici, et camoufler les conteneurs et faciliter leur sortie du port. Il est parfois très difficile pour les agents des douanes qui travaillent dans le port de se rendre jusqu'aux conteneurs ou de faire leurs inspections quand on a affaire à des conteneurs à haut risque.

Au fil des ans, le volume des conteneurs dans le port de Montréal a augmenté. Nous en sommes maintenant à plus d'un million de conteneurs, 1,2 million. Quand je dis environ 1,2 million de conteneurs, il s'agit d'une équivalence en conteneurs de 20 pieds, parce qu'il y a sur le marché des conteneurs de 20 pieds et de 40 pieds. Tout est calculé en fonction des conteneurs de 20 pieds. Le trafic augmente donc.

M. Pierre Primeau: La présence du crime organisé est évidente dans le port de Montréal. Si l'on examine les saisies que nous avons faites et les renseignements que nous recueillons dans le cadre de nos enquêtes, il est évident que certaines personnes contrôlent le mouvement des conteneurs qui arrivent dans le port de Montréal.

Comme Angelo l'a expliqué voilà quelques minutes, il y a deux types d'emplois dans le port de Montréal qui sont très importants. Les débardeurs déchargent les conteneurs des navires, les déposent sur des wagons plats ou des camions et les expédient. Mais l'un des postes les plus importants est celui de vérificateur—le mot anglais est checker. Ils ont ce que l'on appelle un plan d'arrimage, document qui précise exactement ce qui sera déchargé d'un navire, ce qui leur permet de savoir exactement quel conteneur doit aller à quel endroit et ils font placer ces conteneurs dans une pile pour les faire expédier par un mode de transport quelconque.

Ce que nous avons remarqué dans les diverses enquêtes, c'est que certains conteneurs, qui étaient censés être placés en un certain endroit, ont été déplacés quelques minutes plus tard, pour être déplacés de nouveau environ cinq minutes plus tard, cinq ou six fois comme cela, chaque fois à un endroit différent. C'est parce qu'ils savent qu'il y a des caméras et ils savent que la police est parfois présente et les surveille avec des caméras. Ainsi, ils jouent à une sorte de jeu de passe-passe pour essayer d'éviter d'être détectés. Et nous savons de source sûre, par nos enquêtes et nos sources—nous avons des informateurs qui nous fournissent ces renseignements—qu'ils agissent ainsi chaque fois qu'arrive un conteneur chargé de drogues illicites.

L'unité du crime organisé est structurée de telle manière que nous avons le mandat de recueillir des renseignements et de mener des enquêtes pour aider nos différents partenaires et nos différentes sections qui travaillent à résoudre certaines affaires de drogue ou de contrebande ou de toute autre activité illégale qui se déroule dans le port de Montréal.

• 1555

Notre structure actuelle est que nous avons un surintendant, un sergent, nous sommes trois agents de renseignement de différents services, et nous avons quelques projets. Nous les appelons des «projets», parce que quand nous entreprenons une enquête et que nous commençons à mettre beaucoup de travail et beaucoup de temps pour enquêter sur un groupe de personnes, pour donner suite à des renseignements que nous avons obtenus, nous donnons à l'affaire un nom de code, de projet, ce qui nous permettra, si l'enquête se transforme en une affaire de drogue, de transférer ce projet, avec tous les renseignements et tous les dossiers, au service compétent. Ce sont donc les dossiers que nous avons à l'heure actuelle.

Le dernier en bas est le projet Cyprès. Nous avons réussi à démontrer qu'une poignée de personnes qui travaillaient dans le port de Montréal comme vérificateurs nous ont aidés, grâce à une opération d'infiltration, à obtenir des renseignements et de faux documents pour faire entrer un conteneur par le port de Montréal sans être détectés par la police ou les douanes. Nous avons même payé une personne, qui occupait le poste de vérificateur, 10 000 $ pour qu'elle nous donne de faux documents, que nous avons falsifiés pour qu'ils ressemblent exactement aux originaux.

Nous n'avons pas réussi à importer la drogue, mais le complot existait quand même. Et pendant cette enquête de deux ans, nous avons aussi réussi, grâce à cette personne, à acheter de la marchandise volée, des bouteilles de vin, des chaînes stéréo et une foule d'articles qui sont entrés dans le port de Montréal. C'est très facile pour ces gens-là de nous fournir ce qu'ils volent. Des accusations seront portées. Certains d'entre eux seront devant les tribunaux la semaine prochaine, avec tout le matériel volé. Ils vont être accusés par le Service de police de Montréal.

Quand nous avons commencé à travailler dans le port de Montréal, nous avions des renseignements indiquant qu'il se passait quelque chose d'illégal. Comme j'habite à Montréal depuis de nombreuses années... Tout le monde savait qu'il se passait des choses louches dans le port de Montréal, mais personne ne savait exactement quoi. Nous avons donc décidé, dans notre unité, d'analyser l'information que nous avons recueillie grâce à des indicateurs ou dans le cadre d'enquêtes normales ou à partir des rapports de patrouilles ordinaires des divers services de police, et nous avons épluché toutes les banques de données de tous les services de police et des douanes pour tenter de valider les renseignements que nous avions.

Nous avons réussi à valider une foule de renseignements, mais ce qui était vraiment effrayant, c'est que quand nous sommes passés à travers la liste des employés qui ont travaillé comme débardeurs et vérificateurs, nous avons trouvé ceci: dans le premier cas, 15 p. 100 des quelque 1 700 employés ont un casier judiciaire; dans le deuxième cas, 36,3 p. 100 des vérificateurs—ce qui est un poste très important, comme je le disais—ont un casier judiciaire.

Grâce à notre réseau de contacts à l'aéroport, nous avons appris que l'on avait arrêté là-bas quelqu'un qui avait sur lui des drogues et qui prétendait être un employé du port. Nous avons pensé que c'était peut-être un débardeur. Après avoir examiné l'affaire, nous avons constaté qu'il n'était pas débardeur; il travaillait pour une compagnie appelée Urgence Marine ou Berthiaume Marine. Cette compagnie fournit des services au port de Montréal. Elle répare des navires, fait des réparations d'urgence, ou bien enlève les poubelles qui se trouvent à bord des navires arrivant d'outre- mer. Cette compagnie, avec ses employés, est souvent le premier point de contact d'un navire qui arrive à Montréal. Souvent, un navire ralentit pour faire monter un pilote, mais ce dernier n'a aucun pouvoir d'application de la loi. Il se contente de conduire le navire jusqu'à Montréal et l'immobilise à l'endroit où les autorités du port lui disent de s'arrêter jusqu'à ce que ce soit le temps d'accoster.

Parfois, quand le navire est ainsi immobilisé, une barge l'accoste et des employés débarquent les poubelles ou bien font de menues réparations au navire. Ils sont le premier point de contact. Et comme nous savons grâce à notre expérience que dans un simple sac porté en bandoulière on peut mettre un million de dollars de drogues, il y a de quoi faire peur.

Comme je le disais, si nous avons réussi à obtenir cette information, c'est que nous partageons l'information. Nous avons fait savoir aux policiers qui travaillent à l'aéroport et dans les gares ferroviaires que nous avions une enquête criminelle en cours et nous leur avons dit que si jamais ils tombaient sur une personne qui semblait avoir quelque chose à voir avec le port, ils devraient nous le faire savoir. Dites-le-nous. Transmettez-nous tout ce que vous avez, même s'il est accusé ou seulement soupçonné d'être un criminel ou d'avoir fait quelque chose d'illégal. Et c'est ce que nous avons fait.

Il n'y a pas longtemps, après que nous ayons fait une présentation à des gens des gares ferroviaires, ceux-ci ont constaté que quelqu'un avait volé un conteneur entier de crevettes pour cocktail—c'était à l'époque de Noël, si je me rappelle bien. Un plein conteneur de fruits de mer vaut des millions de dollars, et ils avaient volé ce conteneur. Dans le cadre de leurs enquêtes, ils ont constaté que l'une des personnes en cause avait des liens avec le port de Montréal. Nous avons retrouvé une partie de la cargaison. Nous avons trouvé où ils avaient loué les camions. Nous avons trouvé une foule de renseignements. Une bonne partie de la marchandise avait disparu.

• 1600

Tout cela montre qu'ils savent que certains camions ou certains conteneurs ou certains trains sortent du port de Montréal chargés sur des wagons et ils se retrouvent à la gare de triage pour être expédiés ailleurs. Comme Angelo l'a dit, beaucoup de conteneurs débarqués à Montréal sont envoyés ensuite dans l'ouest du Canada ou vers le sud, aux États-Unis. Voilà ce qu'ils faisaient.

Pour vous montrer à quoi ressemble la compagnie Urgence Marine, il n'est pas nécessaire d'être... Ses dirigeants ont un entrepôt dans le port de Montréal où ils manutentionnent les poubelles et le reste. Mais ce que j'ai encerclé ici, c'est une barge, un bateau. Dès qu'ils mettent ce bateau à l'eau, c'est leur bureau qui s'en va. Ils ont tout ce qu'il leur faut à bord. Ils ont des gens qui travaillent à bord de cette barge. Ils ont là une petite baraque sur laquelle on peut lire un nom et une adresse, mais il n'y a personne là. Voici tout ce dont ils ont besoin; 54 p. 100 de leurs employés ont un casier judiciaire. C'est une très mauvaise situation.

Une voix: Je pensais que c'était 34 p. 100.

La présidente: Non, 54 p. 100.

Une voix: Non, 34 p. 100, ce sont les vérificateurs.

La présidente: Le chiffre de 54 p. 100 s'applique aux employés d'Urgence Marine.

M. Pierre Primeau: Urgence Marine, oui, 54 p. 100.

Nous avons identifié des liens entre des personnes et le monde criminel—et ce ne sont pas seulement des choses que nous avons entendues, tout cela a été confirmé par diverses enquêtes—et il y a un nom qui est ressorti. C'est un nom de famille, le deuxième groupe, les Matticks. À Montréal, les Matticks sont connus. On parle d'eux dans les journaux. Tout le monde les connaît. C'est la raison pour laquelle nous avons inscrit leur nom sur cette page. Certains d'entre eux sont actuellement en prison à la suite de l'opération menée au printemps contre le gang de motocyclistes des Outlaws. C'était l'opération Printemps 2001.

L'écoute électronique a montré clairement que l'un des membres du clan Matticks était lié avec un membre du gang de motocyclistes les Outlaws, nommément Maurice Boucher. Il était question d'argent qui était dû, il y avait des communications dans les deux sens. Quelque chose était dans l'air.

Les débardeurs... nous avons acheté de la marchandise à ces gars-là. On nous a dit qu'ils avaient volé des marchandises et nous en avons acheté. Ils vont être accusés. C'est un fait—les membres des syndicats, pas les syndicats eux-mêmes. Nous n'avons pas fait enquête sur les structures syndicales comme telles. Mais la plupart des travailleurs du port de Montréal sont membres de deux syndicats, le syndicat des vérificateurs et le syndicat des débardeurs. Beaucoup de criminels que nous avons dans nos dossiers font partie du conseil de ces syndicats, pas à titre d'administrateurs, mais de représentants syndicaux. Nous les voyons rencontrer toutes sortes de gens, qui ont eux-mêmes des casiers judiciaires.

Les vérificateurs, pour pouvoir sortir un conteneur du port de Montréal, ont besoin de contacts avec une foule de gens. L'un des contacts les plus précieux pour eux, c'est un camionneur, parce qu'il faut un camion pour aller chercher le conteneur dans le port de Montréal et le livrer à un endroit désigné.

Il n'y a pas longtemps, dans le cadre de l'une de nos opérations, dans l'affaire des 1 500 kilos, nous avons vu que l'un des camionneurs avait en sa possession trois documents qu'ils appellent échanges. Ils avaient trois documents dans le camion. Il a réussi à sortir le conteneur au premier essai. S'il n'avait pas réussi, il serait retourné avec un autre document. Si ça n'avait pas encore marché, il serait revenu à la charge avec un troisième document. Il avait donc des contacts directs parmi les vérificateurs.

Pour ce qui est des syndicats eux-mêmes, nous n'avons pas fait enquête sur les syndicats. Même si les gens pensent que nous l'avons fait, nous n'avons pas examiné leurs livres; nous n'avons pas étudié ce que font les syndicats. Nous n'en sommes pas encore là. Premièrement, nous devons trouver un motif raisonnable de faire enquête sur quelqu'un. Nous n'avons pas encore reçu de plainte au sujet de l'administration syndicale. Nous faisons seulement enquête sur des individus. Peut-être qu'un jour, nos enquêtes nous mèneront là, mais pour l'instant, nous n'avons aucun motif de déclencher une enquête.

• 1605

Nous avons toutefois remarqué une chose au sujet des syndicats, à savoir qu'ils forment une société très fermée. Ils ne sont pas publics. Les nouveaux membres doivent absolument être parrainés. Pour devenir membre d'un syndicat, il faut être parrainé par quelqu'un qui se porte garant de vous. La plupart des employés qui travaillent dans le port de Montréal obtiennent leur emploi parce qu'ils connaissent quelqu'un. Ils sont ou bien des membres de la famille ou de très bons amis. C'est très difficile pour quelqu'un qui ne connaît personne de se trouver un emploi comme débardeur ou vérificateur. C'est un fait.

Ce sont eux, deux syndicats différents, qui contrôlent tous les débardeurs et tous les vérificateurs. Ils embauchent et ils congédient qui ils veulent, quand ils le veulent. Les employés qui travaillent dans le port de Montréal, qui s'occupent de décharger les navires et d'embarquer les conteneurs à bord des navires, ne sont pas embauchés par l'autorité portuaire; ils sont embauchés par le syndicat.

Ils ont aussi un contrôle absolu sur la caisse de retraite. Ils contrôlent le programme de santé et d'avantages sociaux. Nos sources nous disent—nous sommes en train de valider cela à l'heure actuelle—que, dans certains cas, on dit aux employés de rester à la maison, de prendre une journée de congé de maladie, pour que quelqu'un d'autre soit à leur place le lendemain, quand un conteneur doit être déchargé d'un navire.

Beaucoup de membres ont été vus. On parlait de Maurice Boucher. Le père de Maurice Boucher a été débardeur il y a longtemps. Il était membre du syndicat. Nous avons vu Maurice «Mom» Boucher, membre en règle des Hell's Angels, dans le port de Montréal, alors qu'il y avait une assemblée au local du syndicat. Il était là.

Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Qu'est-ce que c'est que le COT?

M. Pierre Primeau: Le crime organisé traditionnel. Désolé.

Mme Libby Davies: Par opposition à non traditionnel?

M. Pierre Primeau: Eh bien, il y a le crime organisé asiatique. Il y a les gangs de motards comme les Outlaws...

Mme Libby Davies: Oh, je vois.

M. Pierre Primeau: Ce que nous appelons traditionnel, c'est ce qu'on avait coutume d'appeler la Mafia, les Canadiens français, et le crime organisé conventionnel.

Mme Libby Davies: Bien.

M. Pierre Primeau: Traditionnel.

Si vous jetez un coup d'oeil ici, comme nous l'avons déjà dit, les syndicats et les vérificateurs occupent les postes les plus importants dans le port de Montréal. Il y a des gens... Je vais laisser Angelo en parler, parce qu'il sait qu'il y a des types qui attendent depuis longtemps d'occuper un de ces emplois.

Je vous cède la parole, Angelo.

M. Angelo De-Riggi: Comme nous le disions, les vérificateurs occupent des postes clés. Je veux simplement dire que lorsqu'un navire entre dans le port de Montréal, les vérificateurs ont accès à ce que nous appelons le plan d'arrimage. Le plan d'arrimage est une vue d'ensemble d'un navire avec des indications montrant l'emplacement de la marchandise à bord du navire. Ils savent donc à quelle heure le conteneur en question va être débarqué du navire et où se trouve ce conteneur. Dès que le navire entre dans le port, le vérificateur est sur place, à côté du navire, et il sait où se trouve le conteneur. Dès qu'il est déchargé, il peut le mettre où il veut et décider de l'emplacement de ce conteneur. Il peut l'enfouir sous une pile de conteneurs.

Dans une affaire en particulier dont M. Primeau a parlé, où l'on a saisi 1 500 kilos de haschich, il y avait une enquête et l'équipe de surveillance de la GRC avait le conteneur à l'oeil. Ce qui s'est passé, c'est qu'à un moment donné, les douanes ont décidé tout simplement de choisir ce conteneur et de l'inspecter. À ce moment-là, quand nous avons envoyé au terminal le fax demandant qu'on nous sorte ce conteneur, 15 minutes après l'envoi du fax, la compagnie de transport dont Pierre parlait a ramassé ce conteneur. Cela montre que lorsque les douanes décident d'inspecter un conteneur, ils sont immédiatement mis au courant parce qu'il y a quelqu'un au terminal ou sur les quais qui se précipite au téléphone pour appeler quelqu'un d'autre.

C'est un risque pour nous, parce que si nous laissons le crime organisé contrôler les principaux points d'entrée comme le port de Montréal, qui a beaucoup d'importance pour l'économie canadienne, nous permettons au crime organisé de contrôler une partie de l'économie. En occupant les postes clés, ces gens-là... Il n'est pas nécessaire de compter sur les 1 200 débardeurs du port de Montréal; il suffit d'occuper les postes clés—à la guérite, le long du bateau, et le long de certaines piles—pour s'assurer de connaître l'emplacement des conteneurs.

• 1610

Christopher Matticks a 21 ans et est vérificateur depuis un an et demi ou deux ans. Il y a des débardeurs dans le port de Montréal qui veulent devenir vérificateurs. Comme vous pouvez le voir, si l'on ne fait pas partie de l'équipe, on n'a aucune chance de le devenir. Un type comme Wally Weir, qui travaille au terminal Racine, est chargé d'inspecter les conteneurs vides. Eh bien, l'inspection des conteneurs vides n'est pas exactement un emploi passionnant, mais il n'est pas là pour rien. Ces gars-là sont donc bien placés, ils occupent les postes clés, tout comme une équipe de hockey dont les joueurs doivent se placer à des endroits précis pour ne rien laisser au hasard.

Ainsi, 90 p. 100 de tous les conteneurs déchargés dans ces terminaux sont contrôlés par ces vérificateurs qui travaillent dans ces grands terminaux. Au port de Montréal, ce sont ces terminaux qui sont au centre de leurs activités.

Pierre, vous allez maintenant nous parler des frais d'utilisation.

M. Pierre Primeau: Oui, les frais d'utilisation. Cela peut sembler très drôle, mais c'est un fait. Trois personnes différentes qui travaillent dans le port de Montréal ainsi qu'une personne que nous avons rencontrée en prison nous ont dit que n'importe qui peut utiliser le port de Montréal pour importer de la marchandise illégale, mais il y a une condition. Quiconque veut faire passer par le port de Montréal un conteneur bourré de drogues doit payer entre 25 p. 100 et 35 p. 100 de la valeur du conteneur, et ce n'est pas en argent, mais en nature.

L'un des membres du clan Matticks a dit un jour durant une réunion qu'il n'y a qu'un seul groupe de gens qui paie en argent, et c'est la police. Il a dit que ceux-là ne vous payent jamais en drogues, mais toujours en argent. C'est la raison pour laquelle ils prennent de l'argent seulement des gens qu'ils connaissent. S'ils ne connaissent pas quelqu'un et si on leur demande d'aider quelqu'un à importer un conteneur et à veiller à ce que ce conteneur passe sous le nez de la douane et de la police, ils vont faire payer entre 25 p. 100 et 35 p. 100 de la valeur du conteneur.

M. Angelo De-Riggi: Nous avons indiqué quelques-unes seulement des saisies pour vous donner un échantillon des saisies dans le port de Montréal et pour vous donner une idée de la nature de ce que l'on saisit. Voyez ici la dernière saisie, celle qui a été faite le 4 novembre 2000; on a saisi 1 098 kilos de haschich en provenance de la Belgique. C'est le cas dont nous avons parlé, lorsque nous avons envoyé le fax au terminal et les gars sur les quais étaient au courant.

Il y a eu une autre saisie importante, les 5 485 kilos de haschich en provenance de l'Afrique du Sud. Cette saisie a été faite de concert avec la police de la CUM. Je dois souligner que dans le cas des importantes saisies comme celle-là, il y a des cas où ce sont les douanes qui tombent par hasard sur la drogue, mais dans d'autres cas, c'est un effort conjoint de différents corps policiers et du service des douanes qui ciblent un conteneur en particulier. Nous avions 5 485 kilos de haschich en provenance de l'Afrique du Sud. Le point d'origine de ce haschich était le Pakistan, il a transité par l'Afrique du Sud pour aboutir au port de Montréal. Il y a des routes de navigation directe.

Essentiellement, l'activité dans le port de Montréal, les conteneurs qui arrivent dans le port de Montréal ne viennent pas de la Colombie ou de Puerto Buenaventura, en Colombie; ils arrivent plutôt de ports européens comme Anvers, Rotterdam, Felixstowe en Grande-Bretagne, et la Méditerranée. La marchandise venant de ces ports peut provenir d'endroits comme le Pakistan, l'Iran et l'Afghanistan, parce qu'elle transite par certains pays. Elle est embarquée à bord de certains navires. Ceux-ci se rendent en Méditerranée. La marchandise est ensuite transbordée sur d'autres navires et amenée dans le port de Montréal. On pouvait voir que c'était une saisie, une saisie de chocolat, et sur cette palette de haschich, c'est écrit: «Liberté pour l'Afghanistan».

• 1615

M. Pierre Primeau: Quand nous parlons d'activité criminelle, d'employés criminels et d'individus criminels, j'ai mentionné les camionneurs. Le camionneur joue un rôle très important, même si la plupart du temps, il ne sait même pas exactement à qui la marchandise appartient et qui est impliqué. Il sait qu'il fait quelque chose d'illégal et qu'il est grassement payé pour le faire.

À l'issue de nos enquêtes, nous arrêtons toujours le camionneur, ou enfin la plupart du temps. Nous mettons le nom du camionneur dans les banques de données et nous essayons de le comparer avec les noms que possèdent nos partenaires. La police de Montréal avait un dossier qu'elle appelait «projet Grolo», dans lequel elle avait identifié certaines personnes qui faisaient partie de groupes de camionneurs qui se livraient à une foule d'activités illégales. Ils détournaient des camions, vendaient des marchandises volées, volaient des camions—dès qu'un acte illégal était commis, ils étaient impliqués. Quelques-uns des noms que nous avions figuraient aussi sur leur liste de mauvais garnements, et nous les avions inscrits comme camionneurs soupçonnés de se livrer à l'importation de drogues.

J'ai parlé du projet que nous venons de terminer le 24 mai dernier. Nous avons arrêté un groupe d'individus. Nous avons arrêté deux vérificateurs et un camionneur. Nous avons aussi quatre ressortissants de la Colombie. Ils sont encore en prison en Colombie. Ils attendent d'être extradés au Canada pour y être accusés. Ces personnes ont été accusées de complot, de contrefaçon, de possession d'armes à feu illégales, de possession de biens volés et de vol.

Le plan était qu'un agent d'infiltration de la GRC devait se faire passer pour un importateur de café. Il devait fréquenter un restaurant dans l'ouest de Montréal, où il avait été amené par un informateur qui travaillait à contrat pour la GRC. Quelqu'un s'est approché de lui et lui a dit: «Écoute, importes-tu seulement du café, ou bien quelque chose d'autre?» Il a répondu: «Eh bien, je pourrais peut-être diversifier mes activités». Ils ont essayé d'arranger l'importation de deux cargaisons différentes de cocaïne, respectivement 1 000 et 2 500 kilos.

Cela n'a pas marché parce que les individus en question n'ont pas réussi à conclure une entente avec les Colombiens dans le sud, mais nous étions prêts, nous n'attendions que l'occasion de transporter la marchandise pour eux. Ce n'est pas de notre faute si tout a foiré, c'est à cause du mauvais temps à cette époque de l'année. Si nous avions commencé en janvier, probablement qu'en juillet nous aurions pu le faire, mais l'affaire a été conclue en septembre ou en octobre. Nous avons poursuivi l'opération jusqu'au mois de mai suivant, mais elle n'a jamais abouti. Nous avons quand même appris que des gens n'hésitent pas à aborder ceux qui travaillent dans le domaine du transport pour leur demander de transporter leurs marchandises au Canada.

Beaucoup de gens disent oui, mais qu'arrive-t-il de la sécurité? Que font donc les responsables de la sécurité dans le port de Montréal? Que fait la police? Comme vous l'avez peut-être constaté cette semaine, il n'y a pas de police dans le port de Montréal. Il y a une agence de sécurité qui travaille à contrat pour l'autorité portuaire, mais elle n'est pas chargée d'appliquer la loi. Le seul pouvoir d'arrestation qu'elle possède est celui de n'importe quel citoyen. Elle fait quand même du bon travail parce qu'elle protège les propriétés de l'autorité portuaire, mais elle n'a rien à voir avec l'application de la loi, elle ne s'occupe pas de ce que peuvent faire les bandits, elle ferme les yeux sur les activités criminelles. C'est ce que les bandits lui disent de faire.

La police de Montréal a au moins trois postes qui entourent le port de Montréal. Elle répond aux appels comme la police le fait partout ailleurs, mais elle ne patrouille pas le port de Montréal. Le port de Montréal n'est pas considéré comme faisant partie de son territoire.

Nous obtenons quand même d'excellents renseignements de la police de Montréal. Quand quelque chose arrive, quand elle reçoit un appel, ou bien quand elle arrête quelqu'un qui sort du port de Montréal et qu'elle s'aperçoit qu'il a un casier judiciaire long comme le bras, elle nous communique l'information pour nous aider à comprendre ce qui se passe.

• 1620

Nous avons rencontré l'année dernière les responsables de l'autorité portuaire et nous leur avons parlé du problème. Voici ce qu'ils nous ont répondu, et c'est également ce qui figure sur leur page Web. Ils ont dit que leur travail consiste à construire et à entretenir l'infrastructure et à la louer aux compagnies qui possèdent les bateaux. Ils n'ont rien à voir avec les employés qui déchargent les navires ni avec les vérificateurs. Ils ont leurs propres employés. Nous n'avons pas fait de vérification de sécurité de leurs employés parce que, pour l'instant, nous n'avons aucune raison de croire que l'un d'entre eux est un criminel.

Nos buts et nos objectifs, à l'unité, sont les suivants: nous voulons avoir une meilleure compréhension des activités criminelles dans les ports canadiens, surtout le port de Montréal en ce qui nous concerne. À Vancouver et à Halifax, on est en train de créer des forces opérationnelles comme la nôtre. Nous sommes déjà en communication avec eux. Nous les rencontrons. En fait, cette semaine, nous participerons à une conférence ici à Ottawa et nous aurons des entretiens avec ces gens-là. Nous voulons savoir exactement ce qui se passe.

Nous devons avoir une meilleure idée et une meilleure analyse de toutes les activités criminelles et faire des comparaisons entre les divers ports. Nous voulons voir s'il y a des liens. Nous voulons voir s'il se passe à Vancouver quelque chose qui a un rapport avec Montréal.

Nous voulons diffuser l'information et nous le faisons de façon intensive parce que nous échangeons l'information avec nos partenaires canadiens. Mais nous recevons beaucoup de demandes de partenaires américains qui ont des ports sur la côte Est, parce qu'ils veulent créer des groupes de travail comme le nôtre. Ils veulent faire la même chose parce que nous savons que lorsque des criminels tentent d'importer des marchandises au Canada, si leur plan ne fonctionne pas, ils vont essayer ailleurs. Ils ne connaissent aucune frontière. Ils importent alors leurs marchandises aux États-Unis ou n'importe où, selon leurs besoins.

Ce que nous aimerions vraiment, c'est qu'on rétablisse les patrouilles policières dans le port de Montréal.

Mme Libby Davies: Et à Vancouver.

M. Pierre Primeau: Et à Vancouver, et partout. Comme je l'ai dit, dans l'ensemble du Canada. Nous avons besoin d'une forme quelconque de patrouille policière, parce que nous n'avons rien actuellement et il nous faut quelqu'un qui a des pouvoirs. Nous avons beaucoup de succès avec notre force opérationnelle et nous sommes une opération policière conjointe. Il se pourrait bien qu'une force policière conjointe fasse aussi du bon travail dans les ports, ou quelque chose de semblable.

Nous aimerions beaucoup arrêter et poursuivre les bandits qui font la pluie et le beau temps dans nos ports. Comme Angelo l'a dit tout à l'heure, si nous les laissons contrôler les ports à leur guise, ils peuvent contrôler l'économie autour de nos ports.

Voilà le message dont je voulais vous faire part aujourd'hui. Si vous avez des questions, en français ou en anglais, aucun problème, nous aurons la réponse.

[Français]

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Primeau. Je suis certaine qu'il y aura beaucoup de questions.

[Traduction]

Les députés vont maintenant vous poser des questions et quiconque veut intervenir est le bienvenu.

Monsieur Sorenson.

M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne): Je vous remercie d'être venus. Nous vous sommes reconnaissants de nous faire profiter de votre expertise dans ce domaine.

Nous avons passé deux jours à Montréal et ce furent deux journées qui en valaient amplement la peine—et je parle en mon nom personnel et au nom de mon parti. Je pense que nous sommes tous d'accord là-dessus. Nous avons vu ce que vous faites et durant notre séjour là-bas, nous avons aussi pu constater les raisons qui expliquent en grande partie la frustration que vous ressentez manifestement.

Vous travaillez à la GRC. J'ai quelques questions. Combien d'agents sont affectés au dossier de la drogue ou au dossier de la contrebande? Je suppose que ce sont deux choses distinctes, la contrebande et la drogue et le dossier du crime organisé, et vous vous occupez activement des deux aspects dans le port de Montréal.

M. Pierre Primeau: Vous voulez dire à la GRC?

M. Kevin Sorenson: Oui. Il est évident—vous l'avez d'ailleurs dit dans votre exposé—qu'il n'y a pas de voiture de police qui patrouille et nous n'avons pas vu la moindre présence policière là- bas, mais il est évident qu'il doit y avoir sur place, dans le port, des gens qui sont chargés de lutter contre le crime organisé et contre le trafic de drogue.

M. Pierre Primeau: En fait, vous avez raison. Vous ne pouvez voir aucune voiture de police, ni aucune voiture d'enquêteurs, parce que le quartier général de notre force policière est établi à Montréal au 12e étage du quartier général de la GRC. Nous sommes une vingtaine, comme je vous l'ai montré il y a quelques instants sur l'organigramme. Notre spécialité est de tenter de réunir le plus de renseignements possible pour aider notre section qui s'occupe de la drogue, et qui compte 93 membres.

• 1625

M. Kevin Sorenson: Vous dites que vous êtes une vingtaine?

M. Pierre Primeau: Oui, nous sommes 22 ou 23 en tout.

M. Kevin Sorenson: Que faisiez-vous il y a trois ans?

M. Pierre Primeau: Il y a trois ans, l'unité du crime organisé concentrait ses efforts sur les gangs de motards. Depuis 1999, date à laquelle on a créé un nouveau groupe, le groupe Carcajou de Montréal, on a créé une équipe régionale mixte, composée de membres de la Sûreté du Québec, de la Police municipale et de la GRC. Quand ils sont partis de leur côté sous l'égide de la Sûreté du Québec, nous avons gardé certains membres et nous en avons ajouté d'autres et nous avons décidé d'axer notre travail de renseignement sur le port de Montréal.

M. Kevin Sorenson: La GRC a subi d'énormes pertes d'effectifs; elle a perdu près de 2 200 postes dans tout le Canada et essaie de les récupérer.

Il va de soi qu'elle a été très présente dans la lutte contre le crime organisé et maintenant, contre le terrorisme. Notre commissaire a comparu et nous a dit qu'on a retiré des agents de police de divers dossiers pour les affecter à la lutte contre le terrorisme. Ces problèmes de ressources vous ont-ils touchés au port?

M. Pierre Primeau: Pour ce qui est du volet renseignement de la tâche, non, nous n'avons pas encore été touchés. Nos administrateurs à Montréal ont jugé très important de garder le service aussi intact que possible. Le service de la lutte antidrogue à Montréal a subi des coupes franches car on a affecté des membres du personnel au dossier du terrorisme. C'est temporaire, cependant. Je sais qu'à Montréal, on s'efforce de récupérer les effectifs pour le service antidrogue.

M. Kevin Sorenson: Lorsque vous dites qu'il y a eu des coupes franches, qu'en est-il exactement?

M. Pierre Primeau: Je dirais qu'on a réduit l'effectif de moitié.

M. Kevin Sorenson: Évidemment, le danger est qu'à l'heure actuelle, le crime organisé sait pertinemment que la GRC et que les services de lutte antidrogue ont moins d'effectifs. C'est donc une occasion en or pour le crime organisé d'inonder le Canada de quantités considérables de drogues puisque les ressources de la GRC ont été diminuées.

M. Pierre Primeau: Sans doute. Comme je l'ai dit il y a quelques minutes, nous collaborons avec la police provinciale et la police de Montréal qui ont aussi des services antidrogue. Étant donné que notre unité n'affiche aucune couleur en particulier, nous partageons volontiers nos dossiers sur le trafic de la drogue avec la police provinciale ou la police de Montréal.

À l'heure actuelle, les criminels à Montréal ignorent combien de personnes ont été retirées de nos services, mais s'il se produisait quelque chose, je suis sûr que nous réagirions comme nous l'avons fait dans le passé: nous ramènerions du personnel au service de lutte antidrogue pour pouvoir travailler sur ce dossier précis.

M. Kevin Sorenson: Montréal semble associée de près à certaines des affaires terroristes dont nous avons entendu parler récemment; notamment, Ahmed Ressam résidait à Montréal. Par conséquent, j'imagine qu'il est peu probable que l'on retire des effectifs du dossier du terrorisme à Montréal... Je n'irais pas jusqu'à dire que c'est prendre ses désirs pour des réalités. À l'heure actuelle, nous n'avons pas le choix: ce doit être une priorité. De toute évidence, nos piètres ressources sont à l'avantage des membres du crime organisé.

Lorsque nous sommes allés à Montréal, un nom est constamment revenu sur le tapis, celui de Matticks. Il semble que partout où nous sommes allés, nous avons entendu parler de la fameuse famille Matticks. Les individus dont vous avez donné la liste ici aujourd'hui ont-ils un emploi à l'heure actuelle ou sont-ils en prison?

M. Pierre Primeau: Angelo peut répondre à cette question.

M. Angelo De-Riggi: L'un d'entre eux est en prison à l'heure actuelle. Quatre-vingt-quinze pour cent des autres ont un emploi.

Buddy ne travaillait plus au port; il avait quitté le port. Tous ont du travail.

La présidente: Permettez-moi de vous interrompre un instant.

Savez-vous que cette séance n'est pas à huis clos? Voulez-vous que nous passions à huis clos?

• 1630

M. Pierre Primeau: Nous venons de citer les noms de personnalités publiques. La famille Matticks défraie la chronique dans les journaux et c'est la raison pour laquelle nous avons décidé de ne pas enlever ce nom. Cela dit, nous n'allons pas parler de qui que ce soit d'autre car comme vous le savez, diverses enquêtes sont en cours. Certaines sont d'ailleurs assez avancées. D'autres en sont à leur début et certains noms n'ont pas été confirmés.

Les membres de la famille Matticks sont des personnalités publiques. Leurs noms sont connus de tous. Cela ne pose pas de problème.

M. Kevin Sorenson: La GRC fait-elle des enquêtes aléatoires sur les agents des douanes? Le crime organisé est passé maître dans l'art de s'infiltrer dans diverses couches de la société, de toute évidence dans les rangs des débardeurs, des vérificateurs, etc. Réussit-il à s'infiltrer même dans le service des douanes?

M. Pierre Primeau: À l'heure actuelle, je n'ai connaissance d'aucune enquête en cours. Je sais que nous faisons enquête sur nos propres membres. Évidemment, si nous avions vent de quelque chose concernant les douanes, nous ferions certainement enquête, mais pour l'heure, je ne suis au courant d'aucune enquête.

M. Kevin Sorenson: Donc, il n'est jamais arrivé qu'un douanier soit trouvé coupable...

M. Pierre Primeau: Je ne dis pas que cela n'est jamais arrivé, mais pas à ma connaissance, pas depuis la création de notre service.

M. Angelo De-Riggi: Peut-être pourrais-je répondre à cette question.

J'ai pris part à de nombreuses livraisons contrôlées au port de Montréal, pour venir en aide à la GRC dans une enquête. Voilà ce que nous entendons par «livraisons contrôlées». Il s'agit de drogues qui ont été saisies au centre d'inspection des conteneurs. Nous réinsérons le conteneur avec les autres pour voir qui va récupérer la marchandise. À cet égard, nous travaillons en équipe avec la GRC.

Compte tenu de toutes les opérations qui ont été menées au port de Montréal—des opérations très importantes qui ont donné lieu à des saisies considérables au fil des ans, comme 10 kilos de haschich et 82 kilos d'ecstasy—il aurait pu y avoir des fuites émanant du personnel actuel des douanes. Or, jusqu'à maintenant, nous n'avons eu aucune indication de l'implication de douaniers.

Permettez-moi de préciser qu'il y a trois ans, avant la création de ce groupe de travail mixte, le service des douanes avait une partie du puzzle, la GRC avait une partie du puzzle et la CUM avait aussi une partie du puzzle. Grâce au fait que nous travaillons ensemble et que nous échangeons l'information, nous sommes en mesure d'obtenir une image claire de la situation. À l'heure actuelle, nous pouvons identifier de façon plus positive les organisations criminelles qui sévissent dans le port à l'intention des agences chargées d'appliquer la loi.

M. Kevin Sorenson: Merci, madame la présidente.

La présidente: Je pense que la greffière voulait vous parler avant votre départ.

Madame Davies.

Mme Libby Davies: Premièrement, je vous remercie d'être venus aujourd'hui nous communiquer franchement toute cette information. Je représente la circonscription de Vancouver-Est, qui englobe une grande partie de l'administration portuaire de Vancouver, de sorte qu'une bonne partie de vos observations s'applique probablement à la situation à Vancouver.

L'une de nos pires erreurs a été de supprimer la police portuaire. Encore une fois, je ne fais pas nécessairement de différence entre Vancouver et Montréal. Il y avait auparavant une police portuaire. Le fait que cette police a été démantelée a eu des répercussions énormes dans les ports. À Vancouver, il n'y a plus de patrouilles de ce genre. Au moins la police portuaire de Vancouver pouvait garder un oeil sur la situation et savoir ce qui se passait. Mais depuis 1997, elle n'existe plus, ce qui nous force à nous fier à des initiatives concertées d'application de la loi. C'est donc une question qu'il faudra évidemment soulever à un moment donné.

Avec tous les renseignements que vous réunissez, même lorsque vos interventions sont couronnées de succès, que vous arrêtez des criminels, que vous les poursuivez en justice et qu'ils sont reconnus coupables, si l'on considère l'ensemble du tableau, ces gens-là sont en bout de ligne, n'est-ce pas? Dans l'optique de l'application de la loi, jusqu'où pouvez-vous remonter la filière?

• 1635

Vous mettez beaucoup d'énergie à essayer de comprendre les magouilles des vérificateurs et des débardeurs. Ils sont le dernier maillon de la chaîne pour ce qui est de faire entrer des stupéfiants au Canada. De toute évidence, des infractions ont été commises dans d'autres pays. Dans quelle mesure est-il facile ou difficile pour vous de faire des recoupements?

Quant à ma deuxième question, vous ne pourrez peut-être pas y répondre. L'un des problèmes liés aux stupéfiants, c'est qu'il s'agit de substances illégales. Il me semble que la prohibition en soi a créé ce créneau important pour le crime organisé. La prohibition en soi permet à toute cette économie souterraine de prospérer. D'après vous, est-il nécessaire de réviser certaines de nos politiques? Il me semble que cette prohibition en soi cause de plus en plus de torts. C'est un peu comme chercher une aiguille dans une meule de foin. Nous ne sommes même pas près de résoudre le problème.

Nous savons que les saisies que vous rendez publiques—nous les voyons à la télévision de temps à autre, les importantes saisies effectuées à un aéroport, à un port, ou ailleurs—représentent sans doute moins de 1 p. 100 ou moins de 10 p. 100 de la totalité des stupéfiants. Pouvez-vous commenter cet aspect également?

M. Pierre Primeau: Je peux vous dire une chose au sujet de votre première question. Vous voulez savoir ce que nous pouvons faire pour combattre le trafic de stupéfiants. Les enquêtes sur les stupéfiants sont effectuées par les services antidrogue. Nous n'avons pas beaucoup de contacts avec eux. Ils continuent de mener leurs enquêtes comme avant. La situation du crime organisé dans le port de Montréal et dans tous les autres ports n'a pas été étudiée comme nous l'étudions maintenant. Depuis deux ans, nous nous sommes spécialisés et nous essayons de comprendre ce qui se passe dans les ports. Grâce à cette approche, les renseignements que nous recueillons aident nos collègues enquêteurs à mieux s'acquitter de leur travail.

Mme Libby Davies: D'après vos renseignements, le crime organisé s'intéresse-t-il surtout au trafic des stupéfiants? Est-ce une grande part ou une petite part de ses activités?

M. Pierre Primeau: Non, pas seulement au trafic des stupéfiants, mais à l'heure actuelle, c'est le sujet qui nous intéresse particulièrement. En effet, il est plus facile pour nous de faire enquête sur le trafic des stupéfiants que sur tout autre produit. Nous avons en la matière une vaste expérience. La GRC, la police de Montréal et la Sûreté du Québec connaissent bien les individus qui y sont mêlés. Nous avons, si vous voulez, un réseau qui connaît très bien les individus impliqués dans ce genre d'activité.

En étant mieux renseignés sur les individus qui travaillent dans le port de Montréal, en définissant de meilleurs profils, nous pourrons découvrir les activités dans lesquelles ils sont impliqués. À partir de là, nous pourrons savoir s'ils se livrent à d'autres activités illicites. Nous parlons de trafic de drogue, mais le port de Montréal n'est qu'une des portes. L'aéroport est aussi une porte. Quiconque franchit cette porte peut ensuite se déplacer dans notre ville, dans notre province, dans notre pays.

Mme Libby Davies: Je ne vous suis pas bien. Vous attachez-vous surtout à obtenir une vue d'ensemble et à déterminer de quelle façon ce trafic est lié à d'autres activités criminelles, en ce sens que le port est une porte d'entrée, ou visez-vous surtout à faire des saisies, des arrestations et des inculpations dans le port de Montréal?

M. Pierre Primeau: L'un mène à l'autre car une fois que nous avons compris la façon dont les trafiquants fonctionnent, une fois que nous savons qui ils sont, au lieu d'essayer d'ouvrir des millions de boîtes ou de conteneurs par année pour essayer de trouver des produits illégaux, nous constaterons que les individus en question se conduisent de façon suspecte et nous saurons qu'il se passe quelque chose de louche.

Comme vous pouvez le constater, partout au Canada et aux États-Unis, on réaffecte des officiers patrouilleurs, des agents dans la communauté pour que les policiers en viennent à connaître leur milieu. C'est ce que nous essayons de faire dans le port de Montréal. Lorsque nous connaîtrons ces individus, nous saurons quels sont leurs agissements. Grâce à cette initiative, nous pourrons sans doute en découvrir davantage. Nous l'espérons. C'est notre objectif que de découvrir davantage de produits illicites, tels les stupéfiants, des faux billets, peut-être des armes ou encore des produits que pourraient utiliser des terroristes ou des criminels.

M. Angelo De-Riggi: J'aimerais ajouter quelque chose.

• 1640

Ces individus contrôlent... Essentiellement, ils ne se considèrent pas comme le dernier maillon de la chaîne. Ils se considèrent comme des acteurs importants. Ils se considèrent comme les contrôleurs d'une porte d'entrée. Ils contrôlent la porte qui permet aux marchandises de pénétrer ici. Et ils vendent leurs services pour le faire. Voilà de quelle façon ils se perçoivent. Ils se sentent très à l'aise là où ils sont, dans le port, car c'est une zone grise. C'est un village en soi.

C'est une zone grise car si l'on fait une comparaison avec l'aéroport, les employés d'aéroports qui travaillent pour Air Canada ou pour une ligne aérienne XYZ portent tous un macaron d'identification, leur nom figure sur une liste à l'aéroport, on a pris leurs empreintes digitales, et tout et tout. Pour ce qui est des travailleurs du port de Montréal, il n'y a rien de tout cela. Ils sont libres d'aller et de venir à leur guise. Ils peuvent entrer dans n'importe quel terminal, selon l'arrivée du bateau. Si l'un des fils Matticks veut être présent à l'arrivée de tel ou tel navire lorsqu'il entre dans le port, il y sera.

Mme Libby Davies: Puis-je poser une autre question?

Cela soulève quantité de questions intéressantes. Prenons l'exemple d'un hôpital, qui a également une culture très distincte pour ce qui est de ses activités. Si l'on apprenait qu'un membre du personnel fait des choses bizarres ou empoisonne les patients, il y aurait une enquête qui porterait essentiellement sur la personne en cause. On commencerait à faire des liens et à essayer de voir ce qui se passe. Pourtant, dans le cas de l'administration portuaire, c'est un peu comme si personne n'était aux commandes. Vous vous intéressez donc particulièrement aux travailleurs syndiqués. En principe, j'ignore qui est leur employeur, si c'est une entreprise de débardeurs privée ou l'administration portuaire. Je n'en sais rien.

M. Pierre Primeau: Les syndicats.

Mme Libby Davies: D'accord. Mais il me semble qu'on devrait pouvoir assurer un certain contrôle de la qualité par le truchement des normes de travail ou des exigences des centres de main- d'oeuvre. Vous envoyez une télécopie, quelqu'un l'intercepte et vous n'avez aucun contrôle sur la situation. L'administration portuaire elle-même n'a-t-elle pas des règles et règlements au sujet de l'assurance de la qualité, de la surveillance? Vous semblez décrire une situation qui est complètement anarchique.

M. Pierre Primeau: L'administration portuaire n'a rien à y voir, et ses dirigeants nous l'ont dit carrément. Cette déclaration est disparue de leur page Web, mais je l'ai vue clairement et je l'avais même affichée à un moment donné. Les autorités portuaires affirmaient qu'elles n'avaient rien à voir avec...

Mme Libby Davies: Dans ce cas, qui paie ces travailleurs syndiqués? Je n'y comprends rien.

M. Pierre Primeau: Les compagnies maritimes.

Mme Libby Davies: D'accord.

M. Pierre Primeau: Les compagnies maritimes obtiennent de l'argent...

Mme Libby Davies: Dans ce cas, ne sont-elles pas tenues d'assurer un certain contrôle de la qualité?

M. Pierre Primeau: En principe. Les employés sont membres de syndicats. Ils offrent un service à la compagnie. Tant et aussi longtemps que les responsables de la compagnie ne voient rien, ils ne se plaignent pas.

M. Angelo De-Riggi: C'est un service. Les débardeurs et les vérificateurs offrent un service et leur syndicat est payé par la compagnie maritime. La compagnie maritime paie le terminal, autrement dit, pour que son navire soit déchargé. Et ce sont les débardeurs et les vérificateurs qui doivent décharger ces conteneurs le plus rapidement possible et remplir les wagons.

Mme Libby Davies: Mais je ne comprends tout simplement pas pourquoi il n'y a aucune reddition de comptes nulle part. On verrait cela n'importe où ailleurs.

La présidente: Vous essayez d'obtenir une certaine responsabilisation.

M. Angela De-Riggi: Oui.

La présidente: En fait, hier, au port, j'ai demandé à l'un des représentants d'une société privée si tous ses employés étaient des employés garantis. La réponse a été plutôt ambiguë.

M. Angelo Di-Riggi: En ce qui concerne les employés du terminal Racine. Le terminal Racine a ses propres employés, qui travaillent indirectement pour le terminal. Ce ne sont pas des débardeurs. Ces employés pourraient être garantis ou faire l'objet d'une vérification par le terminal—les employés de bureau, les employés de soutien, de l'administration, de la comptabilité, etc. Mais pour ce qui est des débardeurs et des vérificateurs qui travaillent dans les aires de déchargement, ils ne sont assujettis à aucun contrôle. C'est tout ce qu'ils font. Ils savent que le navire qui vient d'arriver doit être déchargé le plus rapidement possible et rechargé tout aussi rapidement pour repartir. Ils reçoivent des ordres en ce sens et doivent procéder de façon à ce que...

La présidente: L'administration portuaire est l'ensemble des sociétés maritimes et des terminaux. C'est une structure organisationnelle.

M. Pierre Primeau: C'est exact. Elle a ses propres employés, mais ils ne participent pas au déchargement ou au chargement des navires. Elle est responsable des aires de triage, des voies ferrées, des clôtures et des édifices.

• 1645

[Français]

La présidente: Monsieur Côté, avez-vous quelque chose à dire?

M. Yvan Côté (enquêteur, Service de police de la communauté urbaine de Montréal): Non.

La présidente: Pas du tout?

M. Yvan Côté: Pas du tout.

La présidente: Je pense qu'il y a une possibilité.

M. Yvan Côté: Tout ce que je peux dire—et je vais le dire en français pour être sûr d'être bien compris—c'est que pour nous, de la police de Montréal, le seul temps où il y a une présence policière dans le port, c'est lorsqu'il y a un plaignant, lorsqu'il y a un incident qui nécessite une présence policière, soit pour un rapport, soit pour un incident majeur. Ce fut le cas, par exemple, lors de l'arrivée de conteneurs à l'intérieur desquels on a trouvé des gens qui étaient décédés. À ce moment-là, il faut une présence policière et des rapports. Dans un tel cas, on se déplace pour établir les faits et faire les rapports nécessaires. C'est le seul temps où la police de Montréal est présente dans le port. Le port de Montréal est un peu comme un terrain privé, et nos responsables nous disent que ce n'est tout simplement pas un endroit où nous allons.

C'est sûr qu'il y a différents secteurs qui couvrent différentes parties du port, mais on y va seulement lorsqu'on est appelés. C'est ce que je voulais ajouter pour la police de Montréal. Les gens se demandent comment il se fait que la police de Montréal ne va pas dans le port mais, un petit peu comme le disait Angelo, c'est une zone grise. C'est plus un problème administratif qu'autre chose.

[Traduction]

M. Angelo De-Riggi: Vous avez mentionné le fait que nous concentrons nos efforts de renseignements autour du trafic des stupéfiants. Si ces individus facilitent l'entrée au pays de stupéfiants, qu'est-ce qui nous dit qu'ils ne faciliteraient pas l'entrée d'une arme nucléaire? Pour eux, cela importe peu. Si ce n'est pas une arme nucléaire, ce seront des stupéfiants. En d'autres occasions, ce seront des crevettes, des conteneurs de vin destinés à la SAQ...

M. Pierre Primeau: Des chaînes stéréo.

M. Angelo De-Riggi: N'importe quoi. N'importe quoi pour faire une piastre. Pour eux, c'est un centre commercial.

[Français]

La présidente: Merci beaucoup.

Monsieur Lee.

[Traduction]

M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Merci.

Je sympathise avec votre objectif, qui est de nous sensibiliser à ce défi auquel sont confrontées les autorités policières. En outre, je peux vous dire que j'ai toujours associé la complicité institutionnelle qui existe à Montréal et dans certaines autres villes du Canada—ce n'est pas un problème propre à Montréal—avec la présence du crime organisé.

Dans les années 60, mon père a été l'un des fondateurs du Service canadien de renseignements criminels, le SCRC, et il connaissait bien le domaine du renseignement à Montréal. C'était un ancien gendarme de la GRC. À tous les niveaux, municipal, provincial et même fédéral, il y a un certain acquiescement dans ce port. Si l'on s'en prend à l'Administration de pilotage des Laurentides, les téléphones commencent à sonner. Si l'on touche au port ou à la surveillance policière du port, les téléphones vont commencer à sonner. Peu importe à quel niveau, municipal, provincial ou fédéral, cela ne fait aucune différence. Je suis prêt à dire cela publiquement.

M. Stephen Owen (Vancouver Quadra, Lib.): Vous venez de le faire.

M. Derek Lee: Je sympathise avec les autorités policières qui savent qu'un crime est commis et qui ont du mal à obtenir des ressources financières et des effectifs sur le terrain pour régler le problème. Vous n'avez même pas de collègues pour patrouiller les ports car la police portuaire a disparu. C'est l'anarchie totale.

Ne pensez-vous pas qu'en un sens, le bon côté de la chose, c'est que tout cela se passe au même endroit? Vous savez que tous les acteurs sont là. Vous savez où ils travaillent. La nouvelle loi sur le crime organisé fera partie à un moment donné de l'arsenal des forces policières, qu'il s'agisse d'une organisation unique ou mixte. Les criminels qui font des affaires au port vont sans doute devoir trouver de nouvelles façons de faire. À mon avis, vous allez vous retrouver à la fine pointe de ces initiatives d'application de la loi lorsqu'elles deviendront une priorité gouvernementale.

• 1650

Jusqu'à maintenant, les groupes de motards ont été dans la mire des autorités. En Colombie-Britannique, c'est autre chose. À Toronto, c'est autre chose. Mais à Montréal, il y aura un ordre de préséance, et je pense qu'avant longtemps, pour les raisons que vous avez évoquées, le port deviendra la cible et en fait, c'est un endroit relativement petit. Il n'y aura qu'un certain nombre de téléphones cellulaires, de lignes téléphoniques, de véhicules automobiles et de camions ainsi que d'autres moyens de communication qui seront éventuellement ciblés.

À l'heure actuelle, toute l'attention est concentrée sur les stupéfiants. Si les stupéfiants disparaissaient de votre liste d'articles de contrebande, vous auriez tout de même du pain sur la planche, n'est-ce pas?

M. Pierre Primeau: Oui, c'est juste. À un moment donné, la lutte contre la drogue a été la priorité des forces policières. Maintenant, c'est le terrorisme. Mais le trafic des stupéfiants se poursuit. L'année dernière, c'était le crime organisé. Mais l'un mène à l'autre, l'un sert l'autre, par conséquent, c'est ce que nous faisons.

En identifiant ces individus, nous pourrons savoir dans quelle magouille ils trempent. Comme Angelo l'a dit tout à l'heure, pour eux, peu importe ce que renferme le conteneur, ils pensent qu'ils peuvent faire une piastre. Dans le dossier du crime organisé, nous serons toujours présents. Je pense que ces gens-là font partie du crime organisé, même si on les appelle des vérificateurs, des débardeurs, ou ce que vous voudrez. Ce sont des individus organisés et ce sont des criminels. Par conséquent, ils relèvent du crime organisé.

Nous devons savoir qui ils sont. Nous devons les connaître mieux. Nous devons savoir où ils vont. Nous ne pouvons les suivre à la trace. On ne peut pas leur mettre un collier ou les baguer comme on le fait pour certaines espèces d'animaux sauvages. On ne peut pas agir ainsi. Mais lorsque nous saurons quels sont leurs endroits de prédilection, ce qu'ils font, qui ils rencontrent et à quelles activités ils s'adonnent, nous serons mieux équipés pour aider les enquêteurs des services de la lutte antidrogue, de la contrefaçon, de la contrebande ou même du terrorisme. Nous serons plus en mesure de les aider à arrêter ces individus, à les traduire en justice et à nettoyer les ports.

M. Derek Lee: Y a-t-il à l'heure actuelle dans la région de Montréal ou ailleurs au Québec un chef de file institutionnel reconnu pour ce qui est du crime organisé?

M. Pierre Primeau: Vous parlez d'un groupe d'enquêteurs ou de la cible elle-même? Je ne comprends pas votre question.

M. Derek Lee: Récemment, nous avons adopté de nouvelles mesures législatives. Essentiellement, le Parlement a dit aux procureurs généraux du pays ou au solliciteur général, voici de nouveaux outils législatifs, servez-vous-en. Y a-t-il un groupe institutionnel avec lequel vous devez collaborer ou dont vous relevez qui a un pouvoir de décision en ce qui concerne les cibles et le financement des enquêtes?

M. Pierre Primeau: Cela relève de nos patrons car nous sommes des exécutants. Nous sommes des enquêteurs qui nous servons des renseignements selon l'orientation décidée par nos dirigeants. Nos enquêtes sont, le plus possible, dictées par les renseignements dont nous disposons. Nous ne tirons pas un nom d'un chapeau pour savoir sur qui nous allons faire enquête. Nous nous laissons guider par l'information à notre disposition. Certaines personnes—des officiers de haut rang dans toutes nos agences—décident de l'orientation des efforts. Mais comme je l'ai dit tout à l'heure, il se produit parfois des événements qui font que nous devons affecter une partie de nos effectifs ailleurs.

Notre groupe de travail a de la chance: jusqu'à maintenant, nous n'avons pas encore été touchés. Nous comptons toujours une vingtaine de membres. En fait, je ne suis pas sûr du nombre. De 16, nous sommes passés à 22 mais je crois que pour l'instant, nous sommes une vingtaine. Je n'ai pas vu le dernier organigramme, mais cela ne va sans doute pas changer.

M. Derek Lee: Avez-vous l'impression, ou vous dites-vous entre vous, que l'on vous fournit des ressources jusqu'à un certain point en vous disant: «Allez-y, les gars, faites votre travail. Faites-le du mieux que vous pouvez, mais nous n'allons jamais vous laisser remporter un franc succès. Nous n'allons jamais vous fournir toutes les ressources nécessaires pour obtenir un franc succès. Contentez-vous de faire votre travail, de jouer le jeu, de marquer votre présence, ne nous mettez pas dans l'embarras, faites des saisies, ayez des succès et des revers.» Autrement dit, avez-vous l'impression que c'est un jeu qui n'a pas de fin, que c'est simplement une partie d'échecs et que vous n'êtes que des pions?

• 1655

M. Pierre Primeau: Je n'ai jamais eu cette impression à la GRC. Je ne peux pas dire. C'est très difficile de répondre à cette question. On m'a toujours laissé faire mon travail. J'ai toujours fait ce que j'avais à faire et pour mes partenaires, Angelo et Yvan, je pense que c'est la même chose. Nous savons que nous avons des limites. Tout le monde sait qu'il y a des limites. La GRC compte 16 000 gendarmes. Parfois, on en aurait besoin de 45 000 et parfois, dans un service, un seul employé est de trop.

Je n'ai pas l'impression, et je n'ai jamais eu l'impression où que ce soit, que mon patron m'ait dit de faire semblant, en quelque sorte. Je n'ai jamais fait cela et je ne pense pas que cela soit jamais arrivé. Je ne peux pas vraiment faire de commentaires dans un sens ou dans l'autre.

M. Angelo De-Riggi: Au service des douanes, notre priorité est d'obtenir des renseignements. Nous traitons avec la GRC ou avec d'autres forces policières. Personnellement, j'ai affaire à différents corps policiers, à la CUM ou à la Sûreté du Québec. Notre but ultime est d'intercepter les stupéfiants au point d'arrivée. C'est notre priorité. Pour les agents des douanes de la première ligne, ceux qui travaillent au port de Montréal ou même de Halifax ou de Vancouver, la priorité est d'obtenir le plus rapidement possible les renseignements qui leur permettront d'intercepter des livraisons suspectes et d'empêcher qu'elles n'entrent au Canada. À partir de là, c'est aux enquêteurs de prendre le relais et d'accomplir leur travail, et il en va ainsi tout au long de la chaîne hiérarchique.

[Français]

La présidente: Merci beaucoup.

[Traduction]

Monsieur Owen.

M. Stephen Owen: Merci.

Je vous remercie tous d'être venus comparaître aujourd'hui. Le volet application de la loi est un des piliers fondamentaux de la lutte contre la drogue. C'est donc très important pour notre travail.

J'aimerais d'abord faire quelques observations découlant de notre discussion et ensuite en apprendre un peu plus sur votre structure car je m'intéresse énormément aux opérations policières conjointes.

Premièrement, je suis très heureux de vous entendre dire que vous vous orientez dans cette direction. Il est certain que l'Ontario a beaucoup progressé dans cette direction, de même que l'Alberta, et aussi la Colombie-Britannique avec sa nouvelle Agence de lutte contre le crime organisé. Je pense que c'est ce que nous devons faire pour refléter la nouvelle réalité du crime organisé et des groupes terroristes, en ce sens qu'ils travaillent en réseau et qu'ils travaillent en cellules qui se constituent ponctuellement pour mener des opérations précises, après quoi ils se dispersent, chacun étant isolé et ne sachant que ce qu'il doit savoir. Le défi, pour n'importe quel organisme d'application de la loi, c'est de réussir à infiltrer l'une de ces cellules ou l'une de ces opérations, ce qui est extrêmement difficile, de sorte que la meilleure solution est de constituer une force policière conjointe.

Il y a deux ou trois ans, nous n'avions que des soupçons à ce sujet, mais il nous apparaît maintenant de plus en plus évident qu'il y a un lien direct entre le terrorisme et le crime organisé. Il y a quelques années, nous entendions dire que l'on soupçonnait des organisations criminelles de financer le terrorisme pour créer justement la situation que nous observons maintenant, c'est-à-dire distraire les organismes d'application de la loi et les obliger à détourner des ressources pour s'attaquer au terrorisme, réduisant d'autant les ressources consacrées à la lutte contre le crime organisé. J'aimerais savoir si vous avez trouvé des preuves directes d'un tel lien, d'une telle planification. À l'heure actuelle, il semble bien que ce soit un phénomène que l'on peut observer.

La question de la police portuaire est intéressante. C'est une question qui revient constamment depuis des années. Je suis certain qu'elle se posera à Vancouver et aussi à Halifax. Si les services de police portuaire, en tout cas à Vancouver, ont été démantelés, ce n'était pas simplement pour se décharger de la responsabilité sur quelqu'un d'autre ou encore pour économiser de l'argent, mais parce que ces services de police étaient incompétents ou étaient généralement perçus comme tels. Ils essayaient de tout faire. Ils étaient à la fois agents de sécurité, commissionnaires, et ils étaient censés mener des enquêtes et entreprendre des opérations contre le crime, ce qu'ils ne faisaient pas, et ils étaient sévèrement critiqués, à tort ou à raison, même dans des rapports internes d'un bout à l'autre du pays.

À Vancouver, si vous en parlez à la Commission de police de Vancouver, à la police de Vancouver, à l'Agence de lutte contre le crime organisé, à la GRC, ils vous diront tous que la disparition de la police portuaire est une bonne chose. Et nous avons des ressources additionnelles qui nous permettent d'embaucher des policiers supplémentaires à la police de Vancouver pour prendre le relais. En même temps, on se rend compte de façon généralisée que ce n'est peut-être pas la meilleure façon de procéder. Je pense donc que les progrès que vous faites sont très intéressants et peut-être qu'il y a là des leçons à tirer pour nous à Vancouver.

• 1700

Mon autre observation concerne la ligne de démarcation sur le plan des politiques. Cela découle de la question de Mme Davies. Peu importe où nous traçons la ligne relativement aux activités du crime organisé, celui-ci continuera toujours de fonctionner juste en deçà de la ligne. Dès que nous interdisons quelque chose, ils en tirent profit en violant la loi, en renforçant leur réseau et en déployant des activités juste au-delà de la limite permise. Cela demeure vrai, quelle que soit notre politique en matière de prostitution, de drogue, d'alcool ou d'armes à feu. Le monde du crime organisé s'empresse d'occuper le terrain interdit.

Compte tenu du mandat de notre comité, cela soulève la question suivante: faut-il faire la distinction entre les drogues douces et les drogues dures, entre l'utilisation des drogues à des fins de loisirs et les toxicomanies graves? Pouvez-vous faire la distinction? Je constate que le haschich et l'ecstasy figurent sur vos tableaux, mais pas la cocaïne ni l'héroïne. C'est peut-être seulement parce qu'on n'a pas donné ces exemples-là. Je me demande quel est le lien.

Je m'intéresse à votre structure de commandement et de contrôle. Si j'ai bien compris votre description—je peux me tromper du tout au tout—vous êtes une unité de la GRC, renforcée par des éléments détachés d'autres organisations. J'aimerais savoir comment vous êtes financés, s'il y a un conseil de direction conjoint, s'il y a un commandant de la GRC, et quelle formule vous appliquez pour la répartition des ressources en termes d'effectifs, d'équipement et d'argent.

L'autre question structurelle que je veux poser est celle-ci: êtes-vous une unité chargée de recueillir des renseignements, ou bien êtes-vous à la fois une unité du renseignement et opérationnelle, ou bien comment cela est-il réparti entre les 20 postes? Pour ce qui est du renseignement, qui est clairement votre principale activité, le principal défi, si je comprends bien, c'est une question de confiance entre les organismes d'application de la loi. Échangez-vous vraiment l'information avec d'autres organismes, en recevez-vous et en envoyez-vous? Je voudrais aussi savoir si cette information peut être analysée et, dans l'affirmative, comment vous l'analysez. Tout cela, autant la communication des renseignements dans les deux sens que l'analyse, exige évidemment des systèmes informatiques compatibles.

J'ai remarqué que vous avez mis un point d'interrogation à côté du sigle SARC III, et je me demande si vous vous dirigez vers cela. Avez-vous des systèmes compatibles entre les quatre, ou bien est-ce un objectif à atteindre? Voilà quelques observations.

M. Pierre Primeau: Je pourrais vous répondre au sujet de l'organigramme de notre unité. Oui, cette force opérationnelle est à la base une unité de la GRC. Les commandants sont de la GRC. Quand elle a été créée en 1996, on s'est entendu pour que la GRC joue le rôle principal en termes de gestion et d'effectifs. Nous avons laissé la Sûreté du Québec créer de son côté ce qu'elle appelle les «équipes régionales mixtes», qui ciblent surtout les motards. Elle a le rôle principal dans ce domaine.

Nous jouons le rôle principal pour le crime organisé dans le port de Montréal. Nous avons là-bas un effectif dont ils ont convenu, et ils ont eux-mêmes du personnel chez nous. Nous comptons actuellement trois membres de la Sûreté du Québec au sein de notre force opérationnelle. Nous avons trois membres de la police de Montréal. Nous avons un représentant de Douanes Canada, parce que son rôle n'est pas le même. Son rôle est d'agir à titre d'agent de renseignement, parce que nous avons bâti autour de ce qu'il a créé au début et de ce que nos propres agents de renseignement avaient établi au départ. Mais en termes d'enquêteurs, ce sont surtout des gendarmes de la GRC, des agents de la police provinciale et de la police de Montréal.

Vous avez évoqué la confiance. Pour la communication des données et de l'information, nous avons nos banques de données séparées, mais le rapport est sur la table et chacun peut y puiser ce qu'il veut. Vous pouvez tout mettre dans votre banque de données et je mettrai moi-même tout ce dont j'ai besoin dans ma propre banque de données. Les dossiers sont ouverts et chacun peut en prendre connaissance. Il n'y a pas de secret. Tous travaillent ensemble.

Les seuls documents qui sont tenus secrets sont les rapports des informateurs. Seuls peuvent en prendre connaissance les deux agents qui encadrent l'informateur et la personne qui charge l'information dans la banque de données—et aussi, bien sûr, les officiers de haut rang. Les enquêteurs ne prennent pas connaissance de ces rapports, comme c'est le cas de tous les autres rapports confidentiels. Ils sont tenus secrets et l'information qu'ils renferment est communiquée seulement en fonction du besoin de savoir.

• 1705

Nous avons fait la preuve que notre type de partenariat est l'un des meilleurs. Comme vous l'avez dit, en Colombie-Britannique, en Ontario et dans beaucoup d'autres provinces, il y a toutes sortes de forces policières conjointes qui fonctionnent bien, et nous faisons la même chose actuellement à Montréal. Ces forces travaillent bien avec les équipes régionales mixtes de la Sûreté du Québec, et travaillent bien avec nous à Sherbrooke, à Chicoutimi et à Montréal, mais notre groupe est actuellement situé à Montréal.

Nous sommes en réseau avec des personnes qui sont en train de mettre sur pied des forces conjointes à Vancouver et à Halifax parce que ce sont les trois plus grands ports au Canada. Nous sommes aussi en liaison avec des gens de Terre-Neuve, du Nouveau- Brunswick, de Toronto et de Churchill Falls, même si ce dernier n'est pas un port important. Nous discutons avec tous ces gens-là. Nous échangeons l'information avec eux et nous essayons de mettre en place un système qui nous permettra de partager le contenu d'un journal de bord quotidien. C'est ce que nous voulons.

Le SARC est un système semblable à la BNDC de la GRC. La BNDC est la banque de données de la GRC, et nous pouvons y charger un document complet, un rapport de police complet. Nous en aurons une version plus récente tout de suite après Noël et tous les autres services de police du Canada sont invités à se joindre au SARC, à avoir leur propre banque de données.

Nous allons charger des documents dans cette banque de données. J'y aurai accès. Angelo et Yvan y auront accès, ainsi que beaucoup de gens qui travaillent dans notre immeuble et partout au Canada. Nous progressons. Nous réduisons considérablement le nombre des bases de données et nous n'en avons plus qu'une poignée, ce qui nous aidera beaucoup.

M. Stephen Owen: Mais êtes-vous, monsieur, une unité de renseignement ou bien participez-vous aux opérations?

M. Pierre Primeau: Nous essayons de bâtir un dossier avec l'information que nous avons et de transmettre le tout à la section qui est compétente pour mener ce type d'enquête.

M. Angelo De-Riggi: Je voudrais répondre à l'observation portant sur le fait que nous avons mentionné, ou plutôt que nous n'avons pas fait mention de la cocaïne ni de l'héroïne. Vous devez comprendre la situation à Montréal. Premièrement, la drogue de prédilection dans la province de Québec est le haschich. C'est pourquoi on voit d'importantes quantités de haschich arriver dans ces conteneurs.

Deuxièmement, les lignes de navigation qui aboutissent au port de Montréal viennent directement des ports que j'ai énumérés, Rotterdam et Anvers, et il peut s'y trouver des cargaisons transbordées depuis le Pakistan et ailleurs. À Vancouver, par contre, on saisit de la cocaïne parce qu'il y a là-bas des navires qui arrivent directement de la Colombie, et ils saisissent aussi de l'héroïne à bord de navires qui arrivent directement de Hong Kong, etc. C'est pourquoi ils saisissent ce type de drogue, à cause des points d'origine de leurs navires, et c'est pourquoi dans le port de Montréal nous saisissons surtout du haschich et de l'ecstasy.

La présidente: Je voudrais vous interrompre un instant, si vous n'y voyez pas d'inconvénient.

Nous avons un petit détail administratif à régler. Si cela vous intéresse et si les députés ont d'autres questions à poser à nos invités, alors nous pouvons leur demander de rester encore quelques minutes. Mais nous devons malheureusement régler une question pour laquelle il nous faut le quorum, que nous avons actuellement, mais nous allons bientôt perdre des membres du comité. C'est la question du mandat de notre comité. Donc, si tout le monde est d'accord, si nos témoins voulaient bien rester présents—si vous n'avez pas d'objection à rester encore quelques minutes—et si nous pouvions adapter ce mandat à la possibilité que nous allions à Vancouver, nous pourrions obtenir l'information que nous recherchons.

[Français]

Mme Carole-Marie Allard (Laval-Est, Lib.): Madame la présidente, je n'ai pas posé de questions. Est-ce qu'on aura le quorum tantôt? Est-ce qu'ils sont ici pour longtemps? Est-ce qu'ils peuvent rester un bon bout de temps?

La présidente: Il n'est pas nécessaire d'avoir le quorum pour les questions.

[Traduction]

Mme Carole-Marie Allard: Je sais, mais combien de temps vont-ils rester ici?

M. Derek Lee: Seulement quelques minutes encore, mais nous allons perdre le quorum et nous ne pourrons plus régler nos formalités.

La présidente: Nous allons donc prendre deux minutes.

[Note de la rédaction—La séance se poursuit à huis clos]

• 1710




• 1716

[Note de la rédaction—La séance publique reprend]

La présidente: Sans vouloir offusquer nos témoins, je sais que deux de nos membres ont des engagements préalables et doivent partir. Mais il reste encore des députés qui voudraient vous poser deux ou trois questions. Si nous pouvions vous garder jusqu'à 17h30, est-ce que cela vous irait?

Monsieur Owen.

M. Stephen Owen: Je voudrais revenir sur la question du partage des renseignements, parce que c'est bien sûr la clé. Existe-t-il une entente entre les organismes d'application de la loi au Québec, la Sûreté, la police municipale de Montréal et la GRC? Dans le cas du port, cela engloberait certainement les douanes. Y a-t-il un protocole officiel selon lequel il doit y avoir un agent de renseignement dans chaque détachement et exigeant que les données soient mises en commun pour être analysées et redistribuées en fonction du besoin de savoir? Est-ce que cela fonctionne? Êtes-vous satisfait de la façon dont tout cela fonctionne?

M. Pierre Primeau: Je ne sais pas vraiment s'il y a un protocole, mais je peux vous dire, d'après mes quelque 20 ans d'expérience, que quand on travaille dans une section nombreuse, comme la section des drogues à Montréal... Quand ils font des enquêtes et qu'ils compilent des dossiers volumineux, ils ont un agent de renseignement et un analyste parmi les membres de leur équipe. Bien sûr, au début, cet analyste peut être affecté à diverses tâches, mais à un moment donné, si le dossier prend de l'ampleur, cet analyste est chargé de s'occuper uniquement de ce dossier, s'il s'agit d'une affaire majeure.

Dans notre groupe, celui de la lutte contre le crime organisé, il y a trois agents de renseignement de trois organismes différents, et nous avons un analyste. Y a-t-il un protocole? Je pense que c'est plus une entente voulant que l'information que nous recueillons soit partagée entre nous, qui venons de différents organismes. Il incombe donc à chaque membre de chaque organisme de s'assurer que l'information est communiquée à ses propres collègues. C'est l'une des raisons.

Il est très important d'avoir des gens de différents organismes, pour deux raisons. La première est de nous aider sur le plan de l'expertise de chacun. L'autre raison, c'est qu'ils peuvent partager avec leurs propres collègues ce qu'ils ont découvert en travaillant à la force conjointe.

Donc, oui, il y a partage de l'information. Bien sûr, dans certains endroits, ils ne le font pas, mais ils ont des ressources. Nous avons une section du renseignement à Montréal, avec la GRC, Douanes Canada et la police de Montréal, et leurs propres employés, leurs propres agents ou leurs propres membres peuvent téléphoner et obtenir l'information qui est disponible dans leurs banques de données.

[Français]

M. Yvan Côté: Je vais répondre. Je vais donner l'information en français.

Chez nous, à la police de Montréal, nous avons un réseau de policiers dans chaque district. Il y en a 49 à Montréal, et ces gens-là ont le titre informel d'agents d'information. Nous les avons rencontrés, surtout dans les postes de quartier qui couvrent le port de Montréal, et nous leur avons demandé de nous fournir toute l'information nécessaire, même celle dont ils ne sont pas certains qu'elle est utile.

• 1720

Nous voulons savoir tout ce qui touche le port de Montréal: les débardeurs, les vérificateurs, les compagnies, les camionneurs. Si on considère qu'il y a un agent d'information par relève, qu'il y a cinq relèves par poste et qu'on multiplie cela par 49, ça fait déjà beaucoup d'information que nous pouvons aller chercher. Il est sûr que certains postes de quartier sont loin du port de Montréal, mais il pourrait y avoir un incident dans lequel un débardeur serait impliqué et on pourrait le savoir quand même.

Il n'y a pas de protocole signé comme tel, mais en tant qu'agents de renseignements de la CUM, ces gens-là se rapportent à nous, au bureau principal de renseignements de la CUM. L'information me parvient et je la partage, à l'UMECO, avec les gens avec qui on travaille.

Vous demandiez s'il y avait un lien entre le crime organisé et le terrorisme. Il y a une chose qu'il ne faut pas perdre de vue. Le crime organisé est toujours à l'affût du travail, entre parenthèses, qui rapporte de l'argent. Il y a quelques années, il y a 50 ans, c'était seulement l'alcool. Ensuite, c'est devenu les cigarettes, puis la drogue. Aujourd'hui, il peut y avoir autre chose qui intéresse le crime organisé.

Souvent, les gens associent le crime organisé à la drogue. Il n'y a pas que ça. On peut penser, après les événements qu'on a vécus le 11 septembre, que ça peut être une question de sécurité aussi. J'ai travaillé personnellement sur le dossier est-européen pendant quatre ans, et on avait des renseignements selon lesquels les gens en Russie démantelaient Tchernobyl et tentaient de vendre des pièces contaminées ici. Ces menaces sont présentes, et il ne faut pas un conteneur de 40 pieds pour ça. Ça peut entrer dans des valises comme celle-ci. On en a saisi à l'aéroport d'Ottawa.

Donc, il ne faut pas voir seulement les drogues. Il faut voir aussi l'aspect de la sécurité. Le crime organisé est toujours à l'affût de cela. Tout à l'heure, M. Lee a soulevé un point important. Quand on regarde la police de Montréal, on peut penser que les autorités délaissent un peu cela. On semble ignorer un peu que le crime organisé existe encore. On demande aux patrouilleurs de s'occuper du communautaire, des contacts avec le public, ce qui est très important, mais pendant que les policiers font ça, il se passe autre chose sur d'autres fronts. Il faut vivre avec la réalité de l'an 2001.

[Traduction]

M. Stephen Owen: Merci beaucoup.

Une brève question au sujet de la technologie. Je voudrais savoir dans quel délai vous estimez que les grands ports de conteneurs seront dotés d'appareils à rayons-X permettant d'examiner chaque conteneur. Je pense qu'il y a des projets pilotes en Floride dans ce domaine, mais il me semble que l'une des caractéristiques particulières des conteneurs, c'est qu'ils représentent une importante menace pour nous en ce sens qu'ils sont tellement nombreux et tellement faciles à déplacer.

M. Angelo De-Riggi: Je vais répondre à cette question. Il a été démontré que jusqu'à maintenant, la méthode la plus populaire de faire entrer des drogues, c'est encore par conteneur, parce que le crime organisé peut fonder une compagnie fictive, ou même utiliser le nom d'une compagnie légitime qui fait de l'importation depuis des années, pour faire venir des conteneurs à l'insu de cette compagnie. Si l'on examine toutes les saisies dans le monde entier, à l'Organisation mondiale des douanes, on constate que le conteneur est encore la méthode la plus populaire de faire entrer des drogues.

Quand on commence à exercer des pressions sur la filière des conteneurs et que celle-ci commence à perdre des drogues dans les ports de mer, elle entreprend alors de faire passer les drogues à l'aéroport, par avion cargo, ou bien elle commence à utiliser encore d'autres méthodes, par exemple en déchargeant au large des côtes de Terre-Neuve ou de la côte du Pacifique. Elle se réorganise. Au bout du compte, le crime organisé n'hésite pas à se réorganiser dès qu'il commence à perdre de l'argent.

• 1725

Au sujet du matériel technique, nous avons eu un véhicule à rayons-X qui a été utilisé à Vancouver. C'était un projet pilote. On est en train de le perfectionner, parce que la technologie n'était pas au point. Je pense que les Douanes veulent utiliser cet outil pour mieux détecter les drogues et autres articles de contrebande.

Je voulais seulement ajouter que cette unité est la deuxième force policière conjointe à laquelle je participe. J'ai participé à une force de ce genre à l'aéroport pendant deux ans et demi et ensuite à celle-ci. Il me semble que dès que l'on commence à travailler dans le cadre de telles opérations conjointes, un esprit d'équipe s'installe et l'équipe fonctionne assez bien. S'il y a un bon effort d'équipe, on fait de l'assez bon travail.

La présidente: Et à ce moment-là, ils se sont tous serrés dans leurs bras et tapés dans le dos. L'équipe que nous avons vue à l'aéroport était très impressionnante.

[Français]

Madame Allard.

Mme Carole-Marie Allard: Bonjour, monsieur Primeau, monsieur De-Riggi et monsieur Côté.

Je suis députée de Laval-Est. Je suis contente de vous parler parce que j'ai fait la visite du port de Montréal avec le comité. J'ai été terriblement surprise, d'une part, de voir le peu de moyens dont disposaient les douaniers pour intercepter la drogue et, d'autre part, d'apprendre la structure syndicale.

Vous semblez dire que toute la population du Québec connaît la situation au port de Montréal, mais je vous dirai que j'ai été journaliste pendant 20 ans et que j'ai entendu parler des Matticks pour la première fois quand le procès a avorté à la Cour supérieure de Montréal.

Je me demande si on ne tient pas pour acquis que la population connaît des choses. Il ne faut pas les répéter et les répéter. Est-ce que je peux vous demander si vous avez déjà publicisé la situation quelque part, dans des conférences de presse ou ailleurs, comme vous l'avez publicisée aujourd'hui?

M. Pierre Primeau: Nous, de l'Unité mixte des enquêtes sur le crime organisé, n'avons pas publicisé le nom de la famille parce que ce n'était pas dans nos projets.

Des enquêtes ont eu lieu. D'autres corps de police se sont attaqués à des crimes qui ont été commis par ces individus. Ils ont fait enquête et font certainement encore enquête, compte tenu des résultats qu'ils ont eus lors de l'opération Printemps 2001, dans laquelle on a impliqué au-delà de 1 000 policiers.

Je crois que c'est à ce moment-là que les gens en sont venus à connaître publiquement les façons de faire du clan Matticks.

Mme Carole-Marie Allard: En fait, ma question est celle-ci. Quand vous avez appris quelle était la structure, quand M. Taddeo vous a dit qu'il n'avait rien à y voir, est-ce que ça vous a surpris?

M. Pierre Primeau: Non.

Mme Carole-Marie Allard: Non? Ça ne vous a pas surpris?

M. Pierre Primeau: Non, parce que c'est vrai. C'est vrai qu'il n'a rien à y voir. J'ai rencontré M. Taddeo l'année dernière...

Mme Carole-Marie Allard: Par qui M. Taddeo est-il nommé?

M. Pierre Primeau: Par un conseil de... Si je ne me trompe pas, le port de Montréal est une société. C'est une entreprise parapublique.

Mme Carole-Marie Allard: Est-ce que le gouvernement fédéral on pourrait avoir un droit de regard là-dessus?

M. Pierre Primeau: Je pense qu'il relève indirectement du ministère des Transports et qu'il est nommé par un conseil d'administration, mais M. Taddeo ne peut être blâmé. Sa responsabilité à lui...

Mme Carole-Marie Allard: Oui, mais...

M. Pierre Primeau: ...n'est pas de s'occuper de la police. Il s'est occupé de la sécurité. M. Taddeo fait ce qu'il a à faire et il participe. Lorsqu'on lui pose des questions, qu'on lui dit qu'il faut s'entendre... On a rencontré brièvement M. Taddeo, mais ses employés nous parlent lorsqu'on les rencontre. Ses employés collaborent avec nous jusqu'à un certain point, jusqu'à la limite où on leur demande de le faire.

Mme Carole-Marie Allard: On est devant une situation où on veut augmenter les moyens des douaniers. On voudrait mettre des machines à rayons X et tout ça, mais je me pose la question suivante. Lorsque le système est pourri à la base, comme il l'est dans le port de Montréal, est-ce que ce n'est pas plutôt une commission d'enquête qu'il faut, comme dans le cas du crime organisé, où on a eu la CECO?

Je me demande de quoi on a besoin. On pense que la population le sait, mais la population pense qu'elle est protégée et que tout le monde fait son travail. Si les hommes d'affaires qui passent par le port de Montréal connaissaient l'ampleur de la situation et des problèmes qui risquent d'arriver dans leurs conteneurs, ils seraient peut-être inquiets.

M. Pierre Primeau: Je suis d'accord. Vous avez demandé s'il faudrait qu'il y ait une commission d'enquête. Oui. C'était un de nos buts à un moment donné.

• 1730

Par contre, pour créer une commission d'enquête, il faut démontrer au gouvernement qu'il y a un problème. Ça fait des années que nous, en tant que policiers, entendons parler du problème des ports, mais nous ne maîtrisons pas la situation. On s'est donné pour mandat d'apprendre à connaître le port. C'est sûr que l'ajout d'équipement et de moyens pour les employés de la douane pour déceler la présence de marchandises illégales dans les millions de conteneurs ne nuira pas.

Par contre, il faut connaître les individus. Quand on connaît les individus, on voit où ils se déplacent et ce qu'ils font. On sera mieux équipés pour voir ce qu'ils manigancent et quels actes illégaux ils ont l'intention de commettre.

Ensuite, lorsqu'on aura démontré par plusieurs arrestations... Ça ne doit pas nécessairement être des projets majeurs. On a déjà commencé avec l'opération Printemps 2001. Plusieurs personnes ont été arrêtées. On va pouvoir montrer au gouvernement qu'il y a un besoin, que le gouvernement doit se pencher là-dessus. Comme vous l'avez dit, la solution sera peut-être, un jour, qu'il y ait une commission d'enquête.

M. Angelo De-Riggi: Je veux souligner que dans les années 1980, quand les douanes ont commencé à jouer un rôle plus agressif dans la répression de la contrebande des stupéfiants par conteneurs dans le port de Montréal, la chasse était plus facile.

La méthode pour trouver des conteneurs dans les terminaux était plus facile, parce que le crime organisé, au bord de l'eau, n'était pas habitué à ça. Mais avec les années, les saisies qu'on a faites et le travail conjoint avec les différents corps policiers ont fait que les gens du crime organisé ont vu que des conteneurs étaient saisis et qu'ils en perdaient. À ce moment-là, la conspiration interne pour dissimuler et faire disparaître des conteneurs et les faire sortir des terminaux a commencé à être de plus en plus active. La chasse devient de plus en plus difficile pour les douaniers. Compte tenu des contraintes budgétaires des dernières années, les douaniers n'avaient ni le personnel ni l'équipement requis pour faire face à un problème de cette ampleur, quand un gros volume de cargo entre dans le port.

Le ministre Cauchon a fait des recommandations. Il a agi de manière à ce qu'il y ait plus de personnel. C'est ce dont on a besoin, ainsi que d'équipement spécialisé.

Mme Carole-Marie Allard: Oui, mais j'ai l'impression que ce syndicat devrait être mis en tutelle, beaucoup plus que...

M. Pierre Primeau: À l'avenir, oui. Je suis d'accord avec vous, madame, mais il faut être capable de le démontrer. Ça prend du temps. Il nous a fallu deux ans pour en arriver à ce qu'on vous a montré ici.

Mme Carole-Marie Allard: Moi, je suis sous le choc face à votre affaire. Déjà, hier, j'étais sous le choc, et avec ça, je le suis encore plus. Je me demande comment il se fait qu'on laisse perdurer une situation pourrie comme celle-là dans une société où nos enfants meurent drogués dans la rue.

M. Pierre Primeau: Si vous me permettez de faire une comparaison, madame, je dirai qu'on connaît, par exemple, les Hell's Angels. On sait depuis des années que les Hell's Angels sont des criminels. Pourquoi se promènent-ils encore avec leurs motos et leurs écussons dans le dos? On a certains problèmes à régler. C'est un peu semblable. C'est moins évident parce que ce n'est pas écrit «criminel» dans le dos des gens qui sont dans le port de Montréal.

Mme Carole-Marie Allard: Étant donné que je suis toute seule, je peux poser des questions.

[Traduction]

Auriez-vous des objections à ce que je continue?

[Français]

Ça ne vous dérange pas?

Dans le crime organisé, c'est l'attentat contre Michel Auger qui a vraiment mis le feu aux poudres. Je pense que c'est à ce moment-là que la population s'est réveillée et a dit qu'il fallait faire quelque chose.

Dans le cas des débardeurs, examinez-vous également la structure juridique de ces associations pour voir de quelle façon on pourrait leur imposer des normes de fonctionnement un peu plus propres, si je peux me permettre de parler ainsi?

M. Pierre Primeau: C'est sûr qu'on va regarder. On a des conseillers juridiques avec nous. Il y en a un qui va se joindre à nous. Il est un procureur d'expérience du ministère de la Justice du Canada à Montréal. Il va venir nous conseiller lorsqu'on va en arriver là. Comme je vous l'ai dit, premièrement, le travail qu'on fait en ce moment simplement afin d'identifier les individus constitue une tâche énorme.

Deuxièmement, c'est beau de dire qu'un individu a un dossier criminel, mais cela ne veut pas nécessairement dire qu'il commet encore des actes criminels. Afin d'être en mesure de voir s'il est encore actif, il faut faire des choses. Donc, on sensibilise nos enquêteurs à cela et on leur dit qu'ils doivent essayer de trouver des choses pour le démontrer. Ça, ça prend du temps. On est en train de le faire. Ça va bien. On a du succès. Un jour, on va passer à une autre phase, et il est sûr que, chemin faisant, on va saisir des stupéfiants.

• 1735

Donc, on va passer à une autre phase et on a l'intention d'examiner à l'avenir tout ce qui entoure les activités illégales.

La présidente: Merci beaucoup.

[Traduction]

J'aurais deux ou trois questions. J'ignore si M. Sorenson en aura d'autres à poser, mais nous approchons de la fin de la séance.

Y a-t-il d'autres endroits dans le monde où l'on a cette situation bien en main? Vous avez déjà nommé Amsterdam, Rotterdam et d'autres ports, Le Havre...

M. Angelo De-Riggi: Nous avons rencontré des gens des douanes néerlandaises qui travaillent dans le port de Rotterdam. Ils nous ont décrit leurs méthodes opérationnelles. Premièrement, ils ont beaucoup plus d'agents des douanes dans le port. Ils ont droit de regard sur le personnel qui travaille dans le port, notamment les débardeurs et les vérificateurs. Leur système est complètement différent. Il n'est pas placé sous le commandement des douanes, mais plutôt de l'administration du port. L'administration portuaire a son mot à dire dans les tâches assignées à ces travailleurs, les débardeurs et les vérificateurs. On sait exactement où ils travaillent. Ils peuvent donc encadrer le tout. Dans le port de Montréal, ces gars-là peuvent travailler n'importe où.

La présidente: Mais des drogues quittent Rotterdam en direction du Canada.

M. Angelo De-Riggi: Oui.

La présidente: Alors jusqu'à quel point peuvent-ils vraiment contrôler la situation?

M. Angelo De-Riggi: Nous ne disons pas qu'il n'y a pas un problème de conspiration interne. Ils nous disent qu'ils en ont un également, mais ils imposent un contrôle plus strict. Le problème de Rotterdam, c'est que c'est le quatrième port du monde en importance. Il y a là des navires qui arrivent de partout. C'est comme une plaque tournante aérienne comme Chicago. Il y a un va-et-vient de navires. Parfois, la cargaison n'est même pas déchargée dans ce port. Les douaniers ne l'inspectent même pas. Le navire ne fait que transiter par ce port.

La présidente: Existe-t-il une association portuaire internationale à laquelle vous participez, ou une quelconque initiative internationale à laquelle vous participez pour essayer d'apprendre les techniques dernier cri?

M. Pierre Primeau: Il n'y a pas longtemps, Angelo et moi-même sommes allés à Halifax rencontrer des représentants du port de Rotterdam, des ports australiens et des douanes britanniques. Nous commençons à nous faire connaître auprès d'eux. Et comme je l'ai dit, avec l'Internet et tout le reste, nous essayons de mettre au point ensemble quelque chose de sûr. C'est l'une de mes idées. C'est ce que je veux faire. Je veux établir un mécanisme commun et étanche, par exemple un journal de bord quotidien, une sorte de bulletin qui nous permettrait d'échanger de l'information, pour que chacun sache ce qui se passe ailleurs. Peut-être qu'un jour, nous trouverons des liens avec d'autres criminels dans le monde entier.

La présidente: Vous n'avez pas mentionné les États-Unis dans cette liste. Des initiatives sont-elles prises dans ce pays? Miami doit certainement avoir un très grave problème. Certains ports le long de la côte...

M. Pierre Primeau: Tout à fait.

La présidente: Je viens d'aller à Vera Cruz. C'est un très grand port, il y a d'innombrables bateaux qui arrivent au Mexique et en repartent.

M. Pierre Primeau: Tout à fait. Nous avons des entretiens avec les Américains, mais bien sûr, quand on est à Montréal et qu'on demande à aller à Miami à cette époque de l'année...

La présidente: Ça ne paraît pas bien.

M. Pierre Primeau: ...ça soulève des doutes. Mais nous y travaillons et nous descendons le long de la côte. Nous avons eu des entretiens avec des gens de Boston. Nous sommes allés à New London, au Connecticut. Nous avons rencontré des gens du New Hampshire, du Vermont, de New York. Nous progressons vers le Sud. Peu à peu, nous nous faisons connaître et nous montrons aux gens nos meilleures pratiques, nos bons résultats ou nos mauvais résultats.

Nous leur demandons ce qu'ils font de leur côté. Ce qui nous a beaucoup étonnés, c'est de constater que les ports américains, je regrette de le dire—et c'est eux-mêmes qui nous l'ont affirmé—ne sont pas très bien préparés à lutter contre le crime organisé.

La présidente: C'est-à-dire qu'ils sont probablement très bien organisés, mais pas par les bonnes personnes.

M. Pierre Primeau: Exactement. Nous, au Canada, nous avons seulement quatre grands ports: Vancouver, Montréal...

La présidente: Hamilton et Prince Rupert.

M. Angelo De-Riggi: Prince Rupert, oui, c'est un très grand port.

M. Pierre Primeau: ...Halifax et Saint-Jean au Nouveau- Brunswick. Ce sont les grands ports. Mais aux États-Unis, il y en a entre 20 et 25 et ils ont le même problème de conspiration interne dans leurs ports.

La présidente: Je dois dire que cela m'a étonné. Il est clair que l'une des premières mesures que nous devrions envisager, c'est tout simplement de contrôler plus étroitement le personnel, les vérifications de sécurité. On fait de telles vérifications dans les aéroports.

• 1740

M. Sorenson a demandé si l'on a augmenté les ressources consacrées à la lutte contre le terrorisme. Mais il est clair, monsieur Primeau, d'après ce que nous ont dit vos collègues, que le trafic international des stupéfiants est certainement la source de financement de certaines organisations terroristes: le Hezbollah, les Talibans, l'IRA et l'IRA véritable. J'espère que cet élément d'information est l'un de vos arguments pour obtenir un accroissement des ressources et changer la méthodologie dans certains de nos ports.

M. Pierre Primeau: Bien sûr, comme vous l'avez dit, c'est vrai que beaucoup de ces organisations... Comme vous l'avez vu sur l'une de nos diapositives, on pouvait lire «Liberté pour l'Afghanistan», mais qu'est-ce que cela veut dire? Ils vendent probablement des drogues et les fournisseurs financent je ne sais trop quoi avec leurs bénéfices.

Bien sûr, nous cherchons. Et j'en reviens encore à ceci. Nous pourrions ouvrir toutes les boîtes. Nous pourrions avoir 1 000 agents de police qui seraient chargés d'ouvrir tous les conteneurs dans le port de Montréal. À ce moment-là, comme Angelo l'a déjà dit, les bandits feraient passer leurs marchandises ailleurs. On commencerait à trouver des palettes flottant dans le fleuve Saint-Laurent. Ils commenceront à utiliser les aérodromes dans le Nord. Ils l'ont déjà fait, c'est très facile pour eux s'ils le veulent. Mais la méthode des conteneurs est maintenant très facile. Si nous procédons avec discrétion, c'est que nous voulons connaître ces gens-là et obtenir un meilleur taux de succès.

M. Angelo De-Riggi: Je voudrais seulement dire que j'ai aussi travaillé pendant un certain temps à titre de superviseur dans un centre d'inspection des conteneurs. Quand on augmente le nombre des inspections, on n'obtient pas nécessairement de meilleurs résultats.

La présidente: Et comment peut-on en obtenir de meilleurs?

M. Angelo De-Riggi: En obtenant de meilleurs renseignements, en travaillant ensemble avec différents corps policiers, en faisant un meilleur ciblage et en trouvant les boîtes en question le plus tôt possible, dès qu'on les débarque des navires, pour ne pas les laisser trop longtemps en attente dans la cour de triage, ce qui permet au crime organisé de mettre la main dessus—voilà le plus important.

La présidente: Donc, vous ne préconisez pas nécessairement des effectifs plus importants, mais plutôt un changement dans les méthodes de travail.

M. Angelo De-Riggi: Non, un personnel plus nombreux, mais utilisé de la bonne façon.

La présidente: D'accord. Enfin, vous avez cité certaines dates et donné des renseignements sur des saisies que vous avez effectuées. La dernière remonte à novembre 2000.

M. Pierre Primeau: En effet. À cause de l'opération Printemps 2001 et parce qu'un bon nombre d'enquêtes ont été lancées depuis cette importante descente, qui a permis de ramasser beaucoup d'intervenants importants autour de Montréal, nous pensons que le crime organisé manquait peut-être d'effectifs pour organiser l'importation à cet endroit pendant un certain temps. Donc, même si le ciblage, les inspections et les enquêtes sont bonnes, il n'y a eu aucune saisie importante à Montréal en 2001. Mais nous en avons fait à Halifax et les drogues saisies étaient à destination de Montréal.

La présidente: Notre comité se penche sur des questions de nature beaucoup plus générale que celles dont vous venez de nous entretenir. Mais il est certain que vous nous avez donné pas mal d'information sur ce que nous pourrions faire pour tout au moins ralentir l'infiltration dans notre pays, en tout cas à partir d'une des principales sources. Comme vous l'avez dit, il importe peu, finalement, que l'on discute de Montréal ou de Halifax ou de la Colombie-Britannique; ce sont les ports en général. La question est de savoir comment sont organisés les travailleurs et les processus dans les ports et qui a la haute main sur les systèmes.

Comme on l'a dit pendant la suspension de la séance, ces installations sont immenses, ce qui constitue un défi en soi. Vous avez 22 kilomètres d'accès. Bien sûr, il y a certains points précis où les activités sont plus intenses, mais à moins d'avoir un hélicoptère directement au-dessus du port ou même une flottille d'hélicoptères qui survoleraient constamment le port, on ne pourrait jamais surveiller toutes les activités qui s'y déroulent à un moment donné. C'est donc une difficulté en soi.

Si vous avez des recommandations précises à nous formuler à la suite de notre entretien, si vous êtes intéressés à rester en contact avec nous, nous serions plus qu'heureux d'avoir de vos nouvelles. Nous espérons aller à Vancouver dans deux semaines pour voir ce qu'on fait là-bas et, si nous pouvons obtenir un budget, nous irons visiter deux ou trois autres endroits au Canada. Mais nous vous serions reconnaissants de nous faire part de toute observation que vous pourriez avoir. Nous vous souhaitons le meilleur succès dans votre travail. Nous avons été fort impressionnés par les gens que nous avons rencontrés à Montréal, autant à l'aéroport que dans le port.

• 1745

Il semble qu'à l'aéroport, sur le plan du personnel, on a mis en place de bons systèmes pour filtrer les voyageurs qui arrivent et réussi à étager les systèmes. C'est évidemment beaucoup plus difficile dans les ports.

Nous vous souhaitons bonne chance. J'ignore si quelqu'un veut poser une dernière et brève question. Non. Je vous remercie beaucoup d'être venus nous rencontrer aujourd'hui et merci pour votre exposé.

M. Pierre Primeau: C'est nous qui vous remercions.

[Français]

La présidente: Merci beaucoup. Bon travail.

[Traduction]

La séance est levée.

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