ENVI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent de l'environnement et du développement durable
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 16 novembre 2004
¿ | 0905 |
Le président (M. Alan Tonks (York-Sud—Weston, Lib.)) |
M. James Bruce (À titre individuel) |
¿ | 0910 |
¿ | 0915 |
¿ | 0920 |
Le président |
M. Ralph Pentland (À titre individuel) |
¿ | 0925 |
¿ | 0930 |
¿ | 0935 |
Le président |
¿ | 0940 |
M. Bob Mills (Red Deer, PCC) |
M. Ralph Pentland |
M. Bob Mills |
M. Ralph Pentland |
¿ | 0945 |
M. James Bruce |
M. Bob Mills |
M. Ralph Pentland |
M. Bob Mills |
Le président |
M. Ken Epp (Edmonton—Sherwood Park, PCC) |
M. James Bruce |
¿ | 0950 |
Le président |
M. Christian Simard (Beauport—Limoilou, BQ) |
M. Ralph Pentland |
M. James Bruce |
¿ | 0955 |
Le président |
M. Christian Simard |
M. James Bruce |
M. Ralph Pentland |
À | 1000 |
Le président |
L'hon. Bryon Wilfert (Richmond Hill, Lib.) |
M. Ralph Pentland |
À | 1005 |
M. James Bruce |
L'hon. Bryon Wilfert |
M. James Bruce |
L'hon. Bryon Wilfert |
M. Ralph Pentland |
L'hon. Bryon Wilfert |
Le président |
M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD) |
À | 1010 |
M. James Bruce |
M. Joe Comartin |
M. Ralph Pentland |
M. James Bruce |
M. Joe Comartin |
M. James Bruce |
M. Joe Comartin |
Le président |
M. Joe Comartin |
M. James Bruce |
À | 1015 |
M. Joe Comartin |
M. James Bruce |
M. Joe Comartin |
M. James Bruce |
M. Joe Comartin |
M. James Bruce |
M. Joe Comartin |
M. James Bruce |
M. Joe Comartin |
M. Ralph Pentland |
À | 1020 |
Le président |
M. Lee Richardson (Calgary-Centre, PCC) |
M. Ralph Pentland |
M. Lee Richardson |
M. Ralph Pentland |
M. James Bruce |
M. Lee Richardson |
M. James Bruce |
M. Lee Richardson |
Le président |
M. Francis Scarpaleggia (Lac-Saint-Louis, Lib.) |
À | 1025 |
M. Ralph Pentland |
Le président |
M. Ralph Pentland |
M. James Bruce |
À | 1030 |
Le président |
M. Christian Simard |
M. James Bruce |
M. Ralph Pentland |
À | 1035 |
Le président |
M. Bernard Bigras (Rosemont—La Petite-Patrie, BQ) |
M. James Bruce |
Le président |
M. David McGuinty (Ottawa-Sud, Lib.) |
M. Ralph Pentland |
À | 1040 |
M. James Bruce |
Le président |
M. Joe Comartin |
M. Ralph Pentland |
M. James Bruce |
M. Joe Comartin |
À | 1045 |
M. James Bruce |
M. Ralph Pentland |
M. Joe Comartin |
M. Ralph Pentland |
M. Joe Comartin |
M. Ralph Pentland |
Le président |
M. Denis Paradis (Brome—Missisquoi, Lib.) |
À | 1050 |
M. Ralph Pentland |
Le président |
M. Jeff Watson (Essex, PCC) |
Le président |
M. Jeff Watson |
M. Ralph Pentland |
À | 1055 |
M. James Bruce |
Le président |
M. Jeff Watson |
M. Ralph Pentland |
Le président |
M. Ken Epp |
Le président |
M. Joe Comartin |
Le président |
M. Joe Comartin |
Le président |
CANADA
Comité permanent de l'environnement et du développement durable |
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TÉMOIGNAGES
Le mardi 16 novembre 2004
[Enregistrement électronique]
* * *
¿ (0905)
[Traduction]
Le président (M. Alan Tonks (York-Sud—Weston, Lib.)): Bonjour, chers collègues.
Messieurs Pentland et Bruce, je vous remercie de votre présence.
Nous poursuivons aujourd'hui notre survol de l'entente de mise en oeuvre de l'Annexe 2001. MM. Pentland et Bruce sont des sommités dans de nombreux domaines, en particulier en ce qui a trait aux questions liées à l'Accord sur la qualité de l'eau dans les Grands Lacs, la Commission mixte internationale et l'accord frontalier. Nous vous sommes très reconnaissants de prendre le temps de nous faire part de votre opinion sur l'entente concernant l'Annexe 2001 et d'autres questions relatives à la qualité de l'eau dans les Grands Lacs, à la dérivation des eaux, et ainsi de suite. Au nom du comité, je vous remercie encore de votre présence.
Cela dit, entrons dans le vif du sujet. Avez-vous tiré au sort pour savoir qui allait commencer? Vous pouvez vous incliner devant votre voisin de gauche.
Monsieur Bruce, merci encore d'être ici; la parole est à vous.
M. James Bruce (À titre individuel): Monsieur le président et honorables membres du comité, merci de me recevoir. Je suis ravi d'avoir la chance ce matin de faire le point sur les ententes concernant l'Annexe 2001.
En 1967, j'ai été nommé chef de la division des Grands Lacs, de l'ancien ministère de l'Énergie, des Mines et des Ressources, et le premier directeur du Centre canadien des eaux intérieures, à Burlington. Depuis, je n'ai jamais cessé de me préoccuper grandement de la protection des eaux du système des Grands Lacs et du Saint-Laurent. Heureusement, nous avons pu recourir au Traité des eaux limitrophes de 1909 et nous en inspirer pour assurer cette protection. Les négociations entourant les accords sur la qualité de l'eau dans les Grands Lacs de 1972 et 1978 ont été un des moyens utilisés pour arriver à nos fins.
Encore une fois, on assiste à un vif débat sur la quantité d'eau dans le système et sur la meilleure façon de préserver la grande valeur que représentent ces eaux sur les plans environnemental, économique et social. La dernière tentative entreprise dans ce sens est représentée par les deux ébauches d'entente proposées à la suite de l'Annexe à la Charte des Grands Lacs de 1985. Bien que ces efforts soient louables, les ébauches renferment d'importantes lacunes, et l'approche préconisée doit être revue. Je suis ravi de voir que le gouvernement ontarien est peut-être parvenu sensiblement à la même conclusion que moi.
Je vais vous parler de quatre grandes lacunes dans les ébauches d'entente et proposer des solutions.
Premièrement, il y a un problème inhérent à l'un des principaux concepts avancés dans les ententes. À la base, on propose que les prélèvements d'eau soient compensés par des « améliorations apportées aux ressources », comme le définissent vaguement les ébauches. En d'autres termes, des eaux pourraient être prélevées à des fins de dérivation hors du bassin ou de consommation, pourvu que le promoteur du projet trouve un moyen d'améliorer l'écosystème.
Un des problèmes est de trouver l'équilibre entre l'apport d'améliorations et les prélèvements. C'est un peu comme si l'on comparait des pommes à des oranges. Pour les prélèvements, on n'exige pas le remplacement des eaux, mais bien l'apport d'améliorations à l'écosystème, peu importe sous quelle forme. De plus, si ces améliorations requièrent du financement, cela équivaudra, pour beaucoup de gens, à vendre ou à réifier les eaux prélevées, puisqu'ils paieront pour les améliorations à l'écosystème en contrepartie des prélèvements. Donc, cette tentative de trouver un équilibre entre l'amélioration des ressources et les prélèvements d'eau est un problème inhérent aux ébauches.
Deuxièmement, il y a l'impact des pertes additionnelles d'eau dans le système. On a souvent dit que chaque prélèvement, ou même l'effet cumulatif de plusieurs prélèvements, n'entraînait qu'une baisse d'un ou de quelques centimètres des niveaux d'eau des lacs. À mon avis, il est plus pertinent d'examiner les effets de ces prélèvements sur le débit des cours d'eau entre les lacs, et du lac Ontario à la mer, dans le Saint-Laurent.
Il faut reconnaître que chaque gallon ou litre d'eau prélevé en amont des chutes Niagara—les lacs Érié, Michigan, Huron et Supérieur—entraîne une baisse du débit des chutes et du débit par gallon dans le Saint-Laurent. Cela représente une diminution du volume d'eau nécessaire à la production vitale d'hydroélectricité aux usines de Niagara, Cornwall, Massena et Beauharnois, au Québec.
Ces conséquences sont très difficiles à calculer en termes de coûts et de valeur car le prix de l'hydroélectricité fluctue selon l'heure et la saison. On peut toutefois estimer que la perte de débit consécutive aux prélèvements d'eau dans les lacs Érié, Supérieur et Huron représente environ 5 p. 100 du débit moyen, ce qui pourrait représenter pour l'Ontario une perte annuelle d'environ 40 millions de dollars en énergie hydroélectrique, à Niagara, et de 15 millions, dans le haut Saint-Laurent. Ces chiffres ne tiennent pas compte de la perte probablement équivalente pour l'État de New York ni des pertes en aval pour le Québec, dans le Saint-Laurent.
¿ (0910)
Ce qui pourrait être encore plus grave, c'est le recours probable aux centrales au charbon pour remplacer l'hydroélectricité, ce qui aggraverait les problèmes de pollution de l'air et des eaux dans ces régions et augmenterait les émissions de gaz à effet de serre.
Il y aura d'autres conséquences économiques, outre celles touchant l'hydroélectricité, notamment sur le transport, dans les zones où la profondeur des cours d'eau communicants est très critique, particulièrement dans les rivières Détroit et St. Clair qui sont peu profondes, ainsi que dans le port de Montréal.
Troisièmement, ces ententes sur les prélèvements d'eau surviennent à un moment où on constate les premiers effets des changements climatiques causés par les gaz à effet de serre sur les niveaux d'eau et les débits dans les Grands Lacs.
Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat estime que ce n'est qu'aux alentours de 1970 que les tendances climatiques mondiales ont pu être attribuées presque en totalité à l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre causées par l'activité humaine. Auparavant, les principaux facteurs étaient d'origine naturelle, comme le changement dans les radiations solaires parvenant à la terre, les émissions volcaniques, etc. Mais depuis les années 1970, l'augmentation des émissions de gaz à effet de serre causées par l'activité humaine l'emporte sur les causes naturelles. De toute évidence, au cours des prochaines décennies, le climat sera principalement influencé par l'augmentation de la concentration des gaz à effet de serre dans l'atmosphère. Les changements que nous avons constatés depuis 1970 sont un aperçu de ce qui nous attend.
Depuis cette date, nous avons vu le débit de la rivière Niagara, dans le système des Grands Lacs, diminuer d'environ 7 p.100. Cela est principalement dû à une évaporation accrue pendant l'hiver dans le secteur supérieur des Grands Lacs. On constate une température plus élevée à la surface des Grands Lacs en raison du réchauffement de la planète, ce qui entraîne forcément plus d'évaporation. De plus, la couche de glace s'amenuise, ce qui signifie que plus d'eau peut s'évaporer. La perte d'environ 500 mètres cubes ou 17 000 pieds cubes par seconde entre 1970 et 2000 a été causée, à 80 p. 100, par les changements climatiques et, à environ 20 p. 100, par l'augmentation de la consommation d'eau et des dérivations en amont de Niagara.
Je crois que la perte future d'eau dans le système, provoquée par les changements climatiques, est inévitable. On ne peut toutefois pas déterminer avec certitude la vitesse à laquelle cela se produira puisqu'il est difficile de faire des projections climatiques. Vu la probabilité d'autres pertes d'eau et les grandes incertitudes quant à l'importance de cette diminution dans le système des Grands Lacs, je crois qu'il n'est pas du tout raisonnable de permettre d'autres dérivations et utilisations à des fins de consommation.
Quatrièmement, on se demande si les ententes proposées protégeront davantage les eaux des Grands Lacs et l'écosystème que ne le fait le Traité des eaux limitrophes de 1909 et, au Canada, les lois adoptées par suite de ce traité, comme la Loi du Traité des eaux limitrophes internationales, et le récent projet de loi C-6.
Je vous rappelle que l'article III du Traité des eaux limitrophes internationales énonce ce qui suit :
aucun usage ou obstruction ou détournement nouveaux ou autres, soit temporaires ou permanents [...] influençant le débit ou le niveau naturel des eaux limitrophes de l'autre côté de la frontière, ne pourront être effectués si ce n'est par l'autorité des États-Unis ou du Dominion canadien dans les limites de leurs territoires respectifs et avec l'approbation, comme il est prescrit ci-après, d'une commission mixte qui sera désignée sous le nom de « Commission mixte internationale ». |
Vous vous souviendrez que l'article VIII du traité stipule que la CMI sera régie par le principe selon lequel les États-Unis et le Canada ont des droits égaux et similaires pour l'usage des eaux définies comme limitrophes.
¿ (0915)
Ces dispositions sont jugées inadéquates par certains partisans des projets d'entente, pour deux motifs : seuls les projets de grande envergure sont soumis à l'approbation de la CMI, et les eaux souterraines à l'intérieur du bassin et les tributaires ne sont pas visés. Or, il est clair, d'après le libellé, que la première objection n'a pas de fondement. Si l'un des deux gouvernements fédéraux, ou les deux, soumet un projet de prélèvement, peu importe son importance, à l'examen de la CMI, celle-ci doit le juger en fonction des droits égaux et similaires pour l'usage des eaux des Grands Lacs que possèdent les deux pays. Bien entendu, en pratique, seuls les grands projets de consommation ou de prélèvement seraient soumis à l'examen de CMI, et c'est exactement ce que proposent les ententes sur l'annexe de la Charte des Grands Lacs. En effet, seuls les détournements supérieurs à 3,8 millions de litres par jour, ou les utilisations d'eau supérieures à 19 millions de litres par jour, feraient l'objet d'un examen par la Commission mixte internationale.
La deuxième objection concerne le fait que le Traité des eaux limitrophes ne s'applique pas aux prélèvements effectués dans les nappes phréatiques et les tributaires à l'intérieur du bassin. La CMI, dans son rapport de l'an 2000—les chiffres ont été compilés par mon collègue et d'autres représentants de la Commission—laisse entendre que seulement 5 p. 100 des prélèvements qui influent sur les niveaux d'eau et les débits sont effectués dans les nappes phréatiques, et seulement 5 p. 100, dans les tributaires; 90 p. 100 des prélèvements sont effectués dans les lacs eux-mêmes. Ainsi, si l'on jette un coup d'oeil aux niveaux d'eau et aux débits des Grands Lacs, on constate que les prélèvements effectués dans les nappes phréatiques et les tributaires sont négligeables.
Par ailleurs, les nappes phréatiques et les tributaires peuvent avoir beaucoup d'importance pour les collectivités situées près du bassin. Les questions s'y rapportant sont habituellement réglées par chacune des compétences. La CMI a tenu compte des impacts sur les nappes phréatiques dans certains cas, et c'est tout à fait normal. Ainsi, le Traité sur les eaux limitrophes pourrait, s'il était mis en oeuvre et appliqué comme il se doit, contribuer à protéger efficacement les eaux de l'écosystème des Grands Lacs. La nouvelle entente, à mon avis, compromettrait sérieusement les droits égaux et similaires pour l'usage des eaux des Grands Lacs, parce que la plupart des détournements proposés seraient effectués du côté américain. Elle compromettrait aussi les travaux menés par la CMI afin de mettre en oeuvre les dispositions du traité, puisqu'elle prévoit l'établissement d'un comité composé de huit États et de deux provinces qui se chargerait d'examiner les grands projets de détournement et de consommation d'eau.
Enfin, le Canada, notamment, n'a pas intérêt à adopter le projet d'entente sur l'annexe, en raison des sérieuses lacunes qu'il comporte. Existe-t-il un moyen de reformuler ou de réviser le texte pour le rendre acceptable? Si deux principes fort simples étaient appliqués, nous aurions une entente adéquate qui respecterait les objectifs du Traité sur les eaux limitrophes et assurerait la protection des eaux du système.
Le premier principe est le suivant : l'absence de perte nette d'eau dans les Grands Lacs. Ainsi, l'État ou la province qui souhaite dériver de l'eau à l'extérieur du bassin ou en étendre l'usage à l'intérieur de celui-ci serait tenu de remplacer la quantité d'eau prélevée au moyen de mesures de conservation de l'eau à l'intérieur du réseau des Grands Lacs. Cette exigence ne poserait pas de problème insurmontable, les citoyens des deux côtés du bassin étant de très grands consommateurs d'eau. En effet, ils consomment deux fois plus, et parfois jusqu'à quatre fois plus d'eau, par personne, que les habitants des pays d'Europe. De nombreuses mesures de conservation de l'eau pourraient être mises en oeuvre. L'annexe 2 du projet d'entente en propose une série, toutes excellentes.
Le deuxième principe est le suivant : l'eau restituée doit respecter les objectifs en matière de qualité de l'Accord sur la qualité de l'eau dans les Grands Lacs de 1978, et empêcher l'introduction d'espèces exotiques envahissantes dans le système.
¿ (0920)
À mon avis, l'adoption de ces deux principes, qui serviraient de fondement à une nouvelle entente, fournirait aux compétences une certaine marge de manoeuvre. Elles pourraient continuer de faire des prélèvements, à la condition que ceux-ci s'accompagnent de mesures de conservation. Ces deux principes pourraient également ouvrir la voie à entente fédérale et provinciale plus solide qui protégerait efficacement les eaux et les écosystèmes du bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent, et compléterait le Traité sur les eaux limitrophes.
Permettez-moi de résumer brièvement. Les principales lacunes sont les suivantes. Premièrement, on a tort de fonder l'entente sur le principe de base voulant que les prélèvements d'eau peuvent être compensés par des améliorations aux ressources. Deuxièmement, les effets des pertes additionnelles vont être plus prononcés sur les débits d'eau que sur les niveaux, ce qui risque d'entraîner des conséquences économiques graves, surtout pour la production hydroélectrique et le transport. Troisièmement, il serait imprudent d'entreprendre de nouveaux projets de détournement et de consommation, en raison des incertitudes entourant le changement climatique, et aussi parce qu'il pourrait y avoir moins d'eau dans le système. Quatrièmement, les ententes proposées n'offriraient pas autant de protection que le Traité des eaux limitrophes de 1909 et, au Canada, les lois y afférentes.
Par conséquent, je recommande dans un premier temps que l'on mette l'accent sur la mise en oeuvre complète de la Loi sur le Traité des eaux limitrophes et, dans un deuxième temps, que l'on procède à une refonte en profondeur de l'entente fédérale-provinciale en vue d'atteindre deux grands objectifs : 1) interdire toute perte additionnelle nette d'eau des Grands Lacs; et 2) faire en sorte que l'eau restituée respecte les objectifs en matière de qualité de l'Accord sur la qualité de l'eau dans les Grands Lacs de 1978.
Je suis content de voir que la province de l'Ontario a reconsidéré sa position dans ce dossier, et qu'elle compte reprendre les négociations en janvier, en s'appuyant sur des arguments plus solides. J'espère qu'elle va tenir compte des recommandations que j'ai formulées et que pourrait proposer, plus tard, le comité.
Merci.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Bruce.
Avant de céder la parole à M. Pentland, j'aimerais poser une question aux membres du comité. Nous avons reçu, ce matin, le communiqué émis par le gouvernement provincial et dans lequel il est question de l'annonce faite par M. Ramsay. M. Bruce en a fait allusion. Il n'est rédigé qu'en anglais. Il me faut l'autorisation du comité pour le distribuer. Êtes-vous d'accord? Nous aurions au moins...
Une voix: Non.
Le président: C'est non. D'accord. Nous allons le faire traduire avant de le distribuer aux membres du comité.
Merci.
Monsieur Bruce, merci de votre exposé. Je l'ai trouvé fort utile.
Monsieur Pentland, la parole est à vous.
M. Ralph Pentland (À titre individuel): Merci beaucoup, monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité.
Avant de commencer, je me dois de préciser que je ne m'exprime qu'en ma qualité de citoyen intéressé et inquiet. J'ai été coprésident de trois comités binationaux sur le sujet, la dernière fois il y a environ deux ans. À l'heure actuelle, je ne suis associé à aucun gouvernement, agence ou organisme engagé dans la question.
Ma dernière participation remonte à quelques mois, soit lorsque le Woodrow Wilson Centre m'a demandé d'analyser les ententes proposées et de faire état de mes constatations à Washington, le 14 septembre 2004.
Jim vous a expliqué comment cette question s'inscrit dans le contexte plus vaste des Grands Lacs. Les approvisionnements nets en eau et les niveaux d'eau des Grands Lacs se trouvent devant des incertitudes de taille découlant du changement climatique, des imprévisibles modèles futurs de consommation, des détournements potentiels, d'autres formes de retrait en vrac et des modifications possibles à leurs voies interlacustres. Ce qu'il y a de plus déconcertant à tout cela, c'est que chacun de ces facteurs a le pouvoir de diminuer les approvisionnements et les niveaux d'eau.
Pour cette raison, la Commission mixte internationale, dans son rapport de 2000 sur la protection des eaux des Grands Lacs, a conclu qu'il faudrait pencher en faveur de la conservation de l'eau dans le système et de son utilisation plus efficace et plus efficiente. Elle a aussi suggéré que l'on ne retire aucune eau du bassin avant qu'il ait été démontré, avec certitude, que l'intégrité de l'écosystème des Grands Lacs sera préservée.
Je tire deux grandes conclusions de l'analyse que j'ai effectuée pour le Woodrow Wilson Centre.
D'abord, les projets d'entente, s'ils sont mis en oeuvre dans leur forme actuelle, mettront pour la première fois l'eau des Grands Lacs, à l'état naturel, en vente.
Ensuite, les projets d'entente risquent de place la région entière sur une pente très glissante susceptible de mettre en grand danger tant son économie que son écologie, et peut-être les deux pays.
Les projets d'entente sont issus des concepts recommandés par un cabinet d'avocats de Denver au milieu de 1999. Ce cabinet suggérait, pour l'essentiel, que les décisions sur les retraits nouveaux ou accrus d'eau, qu'ils visent l'utilisation dans le bassin ou qu'il s'agisse de retraits simples du bassin, soient basés sur une norme d'avantages communs. Jim en a parlé un peu quand il a dit que cela équivalait à comparer des pommes et des oranges.
De toute évidence, deux hypothèses déraisonnables sous-tendaient la norme commune. Selon la première, toute personne, où qu'elle se trouve dans le monde, a le même droit fondamental que les résidents du bassin à l'eau des Grands Lacs. Selon la seconde, les dommages résultant d'un détournement des eaux peuvent être compensés par une amélioration équivalente de l'eau ou d'une autre ressource du bassin, comme les espèces sauvages ou les pêches, ou encore une amélioration de la qualité de l'eau.
Bien qu'elle soit enfouie au fin fond des projets d'entente et rebaptisée « amélioration de la ressource », cette norme, qui a vu le jour en 1999, demeure la caractéristique la plus déterminante du régime proposé. Si elle a tant d'importance, c'est parce qu'elle en constitue la disposition habilitante en ce qu'elle ouvre très grand la porte au retrait d'eau du bassin des Grands Lacs. Non seulement permet-elle le retrait d'eau, mais encore peut-elle, dans les faits, mettre cette eau en vente, en en faisant possiblement une marchandise ou un bien assujetti aux règles du commerce interétatique ou international.
Certes, il existe d'autres règles qui colmatent avec sélectivité certaines des fuites et, peut-être, la plupart d'entre elles. Mais le vice le plus fondamental de l'entente vient de ce qu'elle repose sur une hypothèse inadéquate et sur une norme commune qui ouvre très grand la porte aux retraits, sans limite à la quantité totale d'eau pouvant être retirée, à la durée des ponctions, à leur objet ou à la région géographique au service de laquelle elles sont faites.
Lorsque la norme des avantages a d'abord été proposée, en 1999, un des membres du bureau du Council of Great Lakes Governors m'a demandé mon avis sur cette approche. J'aimerais reprendre ici quatre des points que j'ai exposés à l'époque.
Premièrement, il est absolument impossible de compenser les retraits en vrac en conservant assez de résilience pour faire face aux stress imprévisibles à venir, comme le changement climatique.
Deuxièmement, nous ne pouvons pas, à l'heure actuelle, quantifier les effets négatifs des retraits en vrac dans le but de les atténuer; les consultants, comme moi, peuvent défendre à peu près n'importe quoi mais, en réalité, leurs propos sont vains.
Troisièmement, on peut prétendre que l'écosystème des Grands Lacs pourrait, en guise de compensation, bénéficier d'améliorations dans la même zone ou dans une autre, mais cela ne ferait qu'encourager les retraits en vrac préjudiciables tout en permettant à d'autres mauvais acteurs au sens environnemental de se soustraire à leurs responsabilités. Bien que les écologistes puissent au départ trouver l'idée attrayante, ils se rendront éventuellement compte qu'il s'agit d'une politique environnementale intrinsèquement autodestructrice.
Quatrièmement, en ce qui a trait à l'objectif principal de dissuasion ou de prévention des détournements irréversibles à grande échelle, l'effet serait inverse : cela finirait par constituer une approche où « l'eau pourchasse l'argent ». Une fois que le public y verrait clair, il s'agirait aussi d'une très mauvaise politique.
¿ (0925)
Avant de se tracer une voie claire dans l'annexe à la Charte des Grands Lacs en 2001, le conseil disposait non seulement de l'opinion du cabinet d'avocats de Denver, mais aussi de l'avis de la Commission mixte internationale. La CMI recommandait des approches différentes pour les retraits, selon qu'ils s'assortissaient ou non de restitutions au bassin, et un régime centré sur la préservation de l'intégrité de l'écosystème. D'autres ont suggéré des régimes axés sur l'absence de détournements ou sur l'absence de perte nette d'eau.
Toutes ces approches constituent des points de départ préférables à celui de la norme d'amélioration de la ressource ou de la norme d'« eau à vendre ». L'attrait superficiel du concept d'amélioration de la ressource ressort immédiatement : les citoyens étrangers au bassin auraient accès à l'eau des Grands Lacs et ceux du bassin seraient en quelque sorte persuadés que les Grands Lacs s'améliorent alors même qu'ils perdent de leur eau.
Malgré tous les vices évidents de la norme d'amélioration de la ressource, quand le conseil, il y a trois ans, a publié l'annexe 2001 et entamé des pourparlers sur les ententes, il a malheureusement choisi cette norme comme caractéristique centrale. Ce qu'il y a de bien, c'est qu'il a aussi ajouté quelques-unes des autres mesures de précaution recommandées par la CMI—par exemple, les mesures liées à l'écoulement restitué, à l'incidence cumulative et à la conservation. Du côté négatif, ses exigences en matière d'écoulement restitué sont bien plus faibles et floues que celles que recommandait la CMI.
Quand les projets d'entente ont été soumis à l'examen public, mes inquiétudes ont dépassé ce qu'elles étaient en 1999 et en 2001. Il existe vraiment trois tests principaux et quelques conditions supplémentaires auxquels il faudrait satisfaire avant de retirer de l'eau du bassin des Grands Lacs. Voici comment je crois que les trois tests en viendront à être interprétés. D'abord, la norme d'amélioration de la ressource, telle qu'elle est définie, équivaut à une enseigne « eau à vendre ». Elle sous-entend forcément un échange d'argent, ou à tout le moins un troc, dont les profits serviront à remplir les responsabilités de ceux qui abusent de la ressource, ou des agences responsables de ces exploiteurs ou des abus perpétrés dans le bassin.
Deuxièmement, les exigences en matière d'écoulement restitué établiront une distinction, probablement plutôt arbitraire, entre ceux qui sont autorisés à acheter et ceux qui ne le sont pas.
Troisièmement, l'exigence sur les incidences cumulatives, plutôt floue, constitue un moyen de mettre fin aux ventes, surtout quand les « incidences » sont qualifiées d'« appréciables ».
Mon exemplaire du Webster's définit ainsi le verbe « vendre » : « céder en échange d'une somme d'argent ou d'une autre considération de valeur ». Il ne fait aucun doute, du moins dans mon esprit, que cette définition et la norme d'amélioration de la ressource prévue dans les ententes ont pour effet d'autoriser les ventes d'eau des Grands Lacs. Mais à quel prix? S'il faut calculer le nombre de sceaux d'eau que doit compter une mare pouvant accueillir une douzaine de canards pour établir ce prix, on peut logiquement conclure que le prix sera presque entièrement arbitraire.
Voyons maintenant qui, exactement, est autorisé à acheter. Dans mon exposé pour le Woodrow Wilson Centre, j'ai donné divers exemples de la marge de manoeuvre, ou de brèches possibles, que prévoit le régime d'écoulement restitué. J'ai réexaminé ces exemples, hier, et j'ai cessé de compter après la septième brèche.
Je suis le premier à admettre qu'au moins certains de ces exemples sont discutables, comme le sont nombre d'autres qui m'ont été soumis. Tout ce que j'essaie de dire, c'est que l'on peut interpréter très étroitement ou très largement les nombreuses dispositions qui régissent l'écoulement restitué, et justifier de façon convaincante l'acceptation ou le rejet d'à peu près n'importe quelle proposition.
Si tel est le cas, le choix des acheteurs se fera, lui aussi, de manière plutôt arbitraire. La proposition de la CMI, en revanche, précise la quantité exacte d'eau qui doit être restituée et le lieu exact où elle doit l'être. En effet, la CMI recommande, et je cite :
Les gouvernements des États des Grands Lacs, de l'Ontario et du Québec ne devraient pas autoriser la mise en oeuvre d'une proposition d'extraction d'eau dans le bassin des Grands Lacs à moins que le promoteur puisse démontrer qu'il n'y a pas de perte nette dans la zone de prélèvement ou, à tout le moins, que la perte ne dépasse pas 5 p.100... |
Voyons maintenant à quel moment la vente pourrait prendre fin. Il ressort clairement de nombreuses études et de nombreux ateliers des dernières années que le recours au concept d'incidence cumulative, dans un cadre réglementaire ou quasi-réglementaire, compte tenu du niveau de l'eau des Grands Lacs, causera d'importants problèmes d'ordre conceptuel et des défis scientifiques majeurs. Le fait est que personne ne sait comment définir la goutte d'eau qui fera déborder le vase. Et même si on arrivait à le faire, personne ne serait en mesure de me convaincre qu'un gouvernement pourrait laisser évoluer les choses à un point tel et ensuite interdire subitement tout développement relatif à l'eau dans la région.
Je désire maintenant aborder rapidement la question de la pente glissante. Pourquoi ces projets d'entente risquent-ils de nous placer sur une pente très glissante? D'abord, les ententes faciliteraient plusieurs petits détournements immédiats vers des collectivités avoisinantes, comme Waukesha County dans le Wisconsin, Lowell dans l'Indiana, de même que l'étalement urbain de Chicago et de Milwaukee. Pour certaines personnes, c'est le monde à l'envers. Ce n'est sans doute pas un gros problème en soi, car il est question ici d'un volume d'eau très modeste. Je dirais qu'au total, la perte nette pourrait équivaloir à environ 1 p. 100 du projet de dérivation de Chicago. Toutefois, ces petits détournements auront confirmé le bien-fondé des retraits nouveaux et antérieurs déjà sanctionnés.
¿ (0930)
Si le régime proposé est réellement aussi souple et aussi élastique que je le crois, cette élasticité, nous le savons tous, pourra prendre de l'ampleur avec le temps et même, en bout de ligne, dépasser ses limites. Ainsi, le précédent des détournements modestes à sanction officielle combiné à un régime fondamentalement percé de brèches dont l'application s'accompagnera forcément d'une bonne dose d'arbitraire, mènera ultérieurement à de plus importants détournements sur des distances plus grandes. Dans le domaine des eaux, non veut dire non, mais finit pratiquement toujours par tourner au oui.
À ce point de ma pente glissante, les détournements peuvent être ou ne pas être couverts par les compétences des états citées à l'entente. Il n'y aura pas de détournements au Canada; c'est matériellement impossible. Je fais allusion aux États-Unis.
Les problèmes les plus graves se poseront vraisemblablement quand les compétences des Grands Lacs seront accusées de pratiques discriminatoires en vertu des règles commerciales interétatiques ou internationales. Elles auront encore la latitude de refuser, mais ce sera en vain. Si les ententes entrent en vigueur dans leur forme actuelle, sachant l'hypothèse sous-jacente déraisonnable que toute personne, partout au monde, jouit d'un droit égal aux eaux des Grands Lacs, il arrivera qu'à un moment ou à un autre, certaines ou la totalité des restrictions seront abolies pour avoir constitué un protectionnisme déguisé et que les eaux des Grands Lacs pourront circuler chez quiconque pourra en payer le prix.
Sans être moi-même avocat, je peux renvoyer ceux qui désirent explorer plus exhaustivement les risques juridiques au rapport rédigé en 2002 par le groupe de travail de la CMI et à l'analyse effectuée récemment par Steven Shrybman pour le compte du Conseil des Canadiens. Je pense que cette dernière analyse est fort pertinente. Pour la première fois, j'ai pu comprendre une analyse juridique de cette question.
À longue échéance, la pente se fera de plus en plus glissante du fait que certaines sauvegardes existantes seront minées par la simple conclusion des ententes. Entre autres choses, malgré la survie des dispositions pertinentes du Traité des eaux limitrophes, on sera moins susceptible d'y faire appel là où il existe une entente entre une province et un état. De plus, les protections existantes de la doctrine du mandat public, dans la portion américaine du bassin, seront affaiblies parce que les ententes n'incluent aucun objectif public ni aucune des normes qu'exige le mandat public.
Dans mon exposé à l'intention du Woodrow Wilson Center, j'ai tenu compte de cinq options possibles : premièrement, aucun détournement ni aucune autre forme de retrait en vrac, en combinaison avec des approches judicieuses d'utilisation dans le bassin; deuxièmement, les recommandations de la CMI, qui sont principalement axées sur la préservation de l'intégrité de l'écosystème et sur des exigences très fermes au chapitre de l'écoulement restitué; troisièmement, une option de garantie qu'il n'y aura pas de perte nette; quatrièmement, le statu quo; cinquièmement, les projets d'entente de l'Annexe.
Les options sont présentées selon mon évaluation du niveau de protection qu'elles donneraient à l'écosystème des Grands Lacs, l'option interdisant les détournements et les autres formes de retrait en vrac prodiguant le degré le plus élevé de protection et celle des projets d'entente, le degré le plus faible. Les options de la CMI et de l'absence de perte nette se trouvent quelque part entre ces deux extrêmes, et n'importe laquelle est préférable à l'adoption des projets d'entente.
Je préciserai quelques éléments du classement. Pourquoi ai-je placé les recommandations de la CMI bien au-dessus des projets d'entente? Dans les projets d'entente, comme je le disais plus tôt, la norme d'amélioration de la ressource ouvre très grand la porte aux retraits en permettant des échanges compensatoires entre les différents éléments de l'écosystème et, par la suite, bouche très sélectivement certaines des brèches, mais pas toutes celles-ci. Dans la proposition de la CMI, la norme d'intégrité de l'écosystème entrouvre tout juste la porte aux détournements et la referme presque grâce à ses exigences très serrées en matière d'écoulement restitué. Les propositions de la CMI prennent racine dans l'hypothèse beaucoup plus sensée du caractère raisonnable des normes qui traitent différemment les utilisations internes au bassin et les retraits sans restitution.
L'option d'absence de perte nette fournirait évidemment une protection bien meilleure que les projets d'entente, car elle fixerait à zéro le maximum absolu des retraits nets. L'objectif d'absence de perte nette serait atteint de diverses manières, y compris l'exigence d'un écoulement restitué de 100 p. 100 ou l'imposition de limites à la quantité d'eau retirée du bassin par rapport à la quantité d'eau épargnée au moyen de la conservation de l'eau dans le bassin.
Soit dit en passant, les tout derniers détournements du bassin reposaient sur le principe de l'« absence de perte nette ». Ce n'est pas le principe d'« absence de perte nette » comme l'a expliqué Jim, mais plutôt celui dans le sens où l'on était tenu de restituer 100 p. 100 de l'eau. Essentiellement, on pouvait emprunter l'eau, mais il fallait la restituer. C'est ainsi qu'ont eu lieu les derniers détournements depuis environ les dix dernières années.
J'ai classé les ententes bien au-dessous du statu quo parce qu'elles relâchent le régime de retraits et affaiblissent certaines sauvegardes existantes.
Je me permettrai d'aborder brièvement le communiqué de l'Ontario. Je pense que vous l'avez en main, du moins certains d'entre vous. Néanmoins, le gouvernement ontarien a publié un communiqué hier. La position expliquée repose sur l'hypothèse que les ententes sont beaucoup plus faibles que les lois ontariennes.
En voici un extrait :
Nous avons écouté la réaction des intervenants, des Premières nations et du grand public [...] L'Ontario s'est engagée à maintenir la loi provinciale interdisant les détournements. Dans le cadre des ententes sur l'Annexe, il est clair que les Ontariennes et les Ontariens, ainsi que le gouvernement McGuinty, veulent une entente « excluant tout détournement » ou une position « opposée à toute perte nette », telle que le propose la Commission mixte internationale. En outre, les mesures de conservation sont, selon nous, essentielles à la protection des eaux des Grands Lacs. L'Ontario ne consent pas à signer l'entente dans sa forme actuelle. |
¿ (0935)
Je dirais qu'il s'agit là d'un grand pas dans la bonne direction. C'est certes une façon d'établir une position très ferme sur le plan des négociations, du moins en ce qui concerne la prochaine série de négociations qui sera entamée en janvier.
Ainsi prend fin ma déclaration préliminaire. Je vous remercie de votre attention.
Le président: Je vous remercie infiniment, monsieur Pentland et monsieur Bruce. Nous vous sommes reconnaissants de votre participation.
Concernant le point que vous avez tous les deux soulevé, je préciserai que nous avons en main le communiqué dans les deux langues. Ai-je la permission d'en faire la distribution? Très bien. Merci infiniment.
Nous passons à la série de questions et réponses.
Monsieur Mills, auriez-vous l'obligeance de commencer.
¿ (0940)
M. Bob Mills (Red Deer, PCC): Certainement.
Bienvenue messieurs.
Ma première question remonte probablement assez loin et porte sur la mesure dans laquelle le Canada comprend la situation des nos aquifères et saisit les effets négatifs et positifs de ces réservoirs souterrains. L'examen de cette question avec Environnement Canada me permet de découvrir que nous accusons un très long retard sur de nombreux autres pays à ce chapitre.
C'est fonction de la région au Canada, et certaines régions sont certes...
Ma première question sera la suivante : que pensez-vous de cette situation? N'équivaut-elle pas à mettre la charrue avant les boeufs? Avant de prendre une décision à cet égard, ne serait-il pas préférable de posséder les preuves scientifiques?
M. Ralph Pentland: Il y a un an, j'ai rédigé un rapport sur la nappe souterraine dans le bassin des Grands Lacs pour le compte du Monk Centre de l'Université de Toronto. J'ai alors collaboré avec mon homologue américain, Gerry Galloway, qui a travaillé auprès de la CMI aux États-Unis.
Dans un sens, vous avez raison. Vous avez conclu que nos connaissances sur la nappe souterraine sont excessivement pauvres, mais je diffère d'opinion avec vous lorsque vous dites qu'elles ne sont aussi bonnes que celles des autres pays. Au cours de la dernière décennie, j'ai travaillé dans sept ou huit pays différents, et j'estimerais que, même si nos connaissances sont très pauvres, elles sont meilleures que celles de la plupart des autres pays et elles sont peut-être suffisantes aux fins de l'élaboration des politiques.
Par rapport au réservoir souterrain des Grands Lacs et aux détournements, etc., le principal problème, c'est que la ligne de partage des eaux souterraines ne coïncide pas avec celle des eaux de surface. Il est donc difficile de prendre une décision sur le moment ou l'endroit d'un détournement. Nous ne savons même pas quelle est la ligne de partage des eaux souterraines, mais nous n'ignorons pas que, pour la plupart des endroits, elle est différente de celle des eaux de surface.
Pour l'instant, les politiques élaborées portent sur les détournements en fonction de la ligne de partage des eaux de surface, même si celle des eaux souterraines est susceptible d'être différente et de se modifier. En fait, elle se déplace au fur et à mesure que vous puisez l'eau dans la nappe souterraine.
Je dirais donc que nos données sont effectivement insuffisantes, mais notre situation est meilleure que celle de la plupart des autres pays et qu'elle est peut-être aussi bonne que celle à laquelle on parviendra au cours des dix ou vingt prochaines années.
M. Bob Mills: Je pense que je ne suis pas vraiment rassuré par le fait d'avoir les preuves scientifiques avant la prise de certaines de ces décisions cruciales.
Encore une fois, je pense que nous avons la technologie pour obtenir ces preuves scientifiques. Cela me semblerait un préalable souhaitable à la prise d'une décision, qu'il s'agisse des Grands Lacs ou des eaux souterraines d'ailleurs.
Deuxièmement, comme vous l'avez mentionné, monsieur Pentland, l'eau est devenue une marchandise. De toute évidence, nous sommes bien conscients que le sud-est des États-Unis est aux prises avec une pénurie d'eau importante, et nous savons quelle est la situation actuelle et celle des prochaines années en ce qui concerne leur eau souterraine...
Comme l'eau est une marchandise, croyez-vous que cela puisse entraîner une menace à long terme ou à moyen terme? Une telle menace est-elle réellement possible à ce chapitre?
Encore une fois, il me semblerait que nous devrions être aux aguets pour prévenir une telle situation. Naturellement, compte tenu de notre expérience par rapport à l'ALENA ainsi que par rapport aux règles et aux contestations visant le bois d'oeuvre, ce serait une question très préoccupante si l'eau devenait une marchandise.
M. Ralph Pentland: Je pense que c'est une préoccupation très fondée et justifiée. Je considère que c'est une pente glissante, mais que le tout ne se produira pas du jour au lendemain. Ce n'est pas demain que nous déciderons de détourner de l'eau en direction du Texas, mais le tout sera graduel. Avec une telle entente, cela pourrait être graduel; vous auriez des petits, des plus gros et des encore plus gros.
Il y a quelques années, j'ai collaboré un peu avec le Texas Water Development Board. Je sais que ses dirigeants projettent de détourner l'eau du fleuve Mississippi vers le Texas. Ce serait certes un projet difficile, parce qu'il y a le détournement à Chicago, avec un débit s'élevant actuellement à 3 200 pieds cubes par seconde, mais pouvant être porté à 9 000 pieds cubes par seconde. Il pourrait arriver qu'on autorise une augmentation du débit pour le détournement à Chicago et qu'on mette en oeuvre parallèlement un plan visant à détourner l'eau du Mississippi vers cette partie du pays. Cela est passablement faisable. Vous avez signalé que le niveau actuel des eaux souterraines de sept de ces états a baissé de 150 pieds.
C'est un problème qui devrait beaucoup vous préoccuper. Je n'accuse personne de quoi que ce soit, mais en raison de sa norme d'amélioration de la ressources et de ses lacunes, une telle entente vous conduirait certainement à ce scénario, si c'est celui que vous souhaitez.
¿ (0945)
M. James Bruce: J'aimerais ajouter aux propos de Ralph que les changements climatiques entraîneront vraisemblablement davantage de sécheresse dans le Sud-Ouest et le Midwest des États-Unis. Cela pourrait survenir assez rapidement, auquel cas vous seriez confrontés à ce genre de problème; ce serait une affaire de décennies et non pas de siècles.
M. Bob Mills: Ma dernière question porte sur ce que vous avez dit au sujet des détournements et de l'amélioration de l'écosystème. Il me semble que vous avez indiqué que ce serait extrêmement difficile à mesurer. Je demande également qui paiera cette évaluation. Ce serait agréable d'avoir un consultant honnête; cependant, un consultant pourrait très bien nous dire qu'il y a eu amélioration, alors qu'un autre pourrait nous affirmer le contraire. Celui qui paiera la note aura gain de cause. J'ai déjà été consultant. Il arrive souvent que celui qui paie la note obtienne les résultats qu'il souhaite.
Encore une fois, je pense que vous conviendrez qu'il serait très difficile d'obtenir une telle évaluation et de mettre le tout en oeuvre.
M. Ralph Pentland: Le problème, c'est qu'il ne s'agit pas de l'amélioration de l'écosystème, mais de l'amélioration des ressources en eau ou des ressources liées à l'eau dans le bassin. En fait, le résultat, c'est qu'on encourage un échange compensatoire entre différentes ressources : l'eau et la faune ou encore l'eau et le poisson. En fait, c'est mauvais pour l'écosystème, par définition. L'échange compensatoire se fait entre divers éléments de l'écosystème. C'est absolument le pire que vous puissiez faire à l'écosystème. A priori, je peux dire que c'est répréhensible. Je n'ai pas à mesurer le tout; c'est simplement répréhensible.
M. Bob Mills: Merci.
Le président: Il vous reste encore deux ou trois minutes, qu'un autre intervenant pourrait utiliser pour poser une question.
Monsieur Epp.
M. Ken Epp (Edmonton—Sherwood Park, PCC): Merci.
J'ai trouvé cet exposé passablement intéressant. Vous avez parlé d'une perte nette nulle dans le débit. Je me demande si vous avez déjà examiné la physique de l'évaporation. D'après ce que j'en sais, la vitesse d'évaporation est fonction de l'étendue de l'eau. Donc, la vitesse d'évaporation s'accélère si l'eau est plus étendue. En fait, si l'eau était détournée, la vitesse d'évaporation augmenterait si la surface s'accroissait. L'autre facteur que vous avez indiqué, c'est naturellement la température. Plus la température est élevée, plus l'évaporation est rapide.
Je me rappelle qu'on avait établi, il y a de nombreuses années, que nous obtenions 110 tonnes d'eau par acre lorsqu'il tombait un pouce de pluie. Chaque pouce de pluie entraîne l'évaporation de 1 000 gallons d'eau du toit de ma maison. Le taux d'évaporation du cycle hydrologique normal est assez important. Je me demande si d'autres personnes ou vous avez étudié la question de ce retour de l'eau dans les lacs par rapport à un retour à l'aide d'un canal ou de tout autre moyen de détourner l'eau, au lieu de compter sur l'évaporation.
M. James Bruce: À compter de 1962, je me suis penché sur la question du bilan hydrologique du bassin des Grands Lacs pour le compte de l'American Association for the Advancement of Science, et j'y travaille encore. Le stockage thermique élevé des Grands Lacs constitue notamment ce qui les diffère d'une multitude de plans d'eau plus petits. Les Grands Lacs se réchauffent pendant l'été et l'automne, puis ils sont beaucoup plus chauds que l'air sus-jacent en hiver. Il en résulte une vitesse d'évaporation très élevée en hiver. Si la température augmente, la vitesse d'évaporation s'accroît, comme vous le dites, monsieur Epp. De plus, à mesure que la glace fond dans les lacs Supérieur et Huron, la quantité d'eau susceptible d'être évaporée augmente.
Il est très intéressant de se demander quelle quantité de cette eau retombe dans le bassin sous forme de pluie ou de neige. Si vous regardez la carte du bassin des Grands Lacs, vous remarquez que les limites de partage des eaux ne sont pas très loin des lacs eux-mêmes, dans la plupart des cas. Les lacs forment un bon tiers de la superficie totale du bassin. Par conséquent, la majeure partie de la neige et de la pluie qui résulte peut-être de l'évaporation des Grands Lacs tombe à l'extérieur du bassin ou au-delà des limites de celui-ci. Une certaine quantité tombe dans le bassin, notamment à Buffalo ou le long de la rive du lac Huron. Cependant, la plus grande quantité tombe à l'extérieur du bassin. C'est donc vraiment une perte d'eau.
Les données des quelque 30 dernières années montrent que la perte due à l'évaporation pendant la saison froide a vraiment été la tendance dominante par rapport au niveau des lacs et au débit à Niagara.
¿ (0950)
Le président: Je dois céder la parole à M. Simard.
Monsieur Simard.
[Français]
M. Christian Simard (Beauport—Limoilou, BQ): 0Si je comprends bien vos exposés très intéressants, les accords actuels ne respecteraient pas vraiment le principe de précaution. En fait, vos deux exposés convergent.
Vous semblez faire plus confiance à la Commission mixte internationale qu'à une entente entre les provinces et les États, alors que beaucoup d'autres avis juridiques disent que la Commission mixte internationale ne peut pas véritablement contrôler, ne s'intéresse qu'aux dérivations massives et ne peut pas vraiment, dans l'état actuel du droit, avoir une information précise sur l'état des dérivations ni sur l'évolution du système. De plus, elle n'aurait pas de contrôle sur la façon dont les États appliquent les dérivations ou gèrent leur eau.
Même la Great Lakes United, l'organisation parapluie de toutes les organisations non gouvernementales autour des Grands Lacs, semble préférer un mauvais accord entre les États à l'absence d'accord ou à la situation actuelle.
On est vraiment dans un dilemme cornélien. C'est un peu, comme vous dites en « latin »: dammed if you do, dammed if you don't. En fait, les deux côtés sont toujours perdants.
Y a-t-il moyen, pour la population du Saint-Laurent et du bassin des Grands Lacs, de se sortir véritablement de ce cercle vicieux?
[Traduction]
M. Ralph Pentland: Le point que vous soulevez constitue un dilemme cornélien, comme vous le signalez. On s'est beaucoup demandé ce qui serait préférable : une entente entre les états et les provinces, une entente fédérale, des modifications du Traité des eaux limitrophes ou un autre moyen. En fait, dans le communiqué du gouvernement ontarien, que vous n'avez probablement pas encore lu, celui-ci indique qu'il préférerait les négociations entre les provinces et les états aux négociations entre les deux gouvernements fédéraux, parce que notre gouvernement fédéral devrait alors négocier avec le gouvernement américain, qui tiendrait compte des intérêts non seulement de la région des Grands Lacs, mais également des autres parties des États-Unis.
Comme vous le dites, c'est un dilemme cornélien. Je pense que l'idéal serait que les états et les provinces négocient une entente qui protégerait les Grands Lacs. Cela a été impossible jusqu'à présent, mais l'idéal ne serait-il pas que les états et les provinces puissent en arriver à une entente comportant ni détournement ni perte nette, et à laquelle les deux gouvernements fédéraux et la CMI donneraient leur assentiment? Si les provinces et les états négociaient et mettaient en oeuvre une entente avec l'assentiment des deux gouvernements fédéraux et l'accord de forme de la CMI, nous aurions la situation idéale, à mon avis. Il faut se demander si le tout est possible ou comment y parvenir.
M. James Bruce: Je pourrais ajouter quelques observations.
Nous devons nous rappeler que la CMI est, en quelque sorte, une création de nos deux gouvernements fédéraux respectifs. Elle peut se pencher sur toute question qui lui est soumise par l'un des deux gouvernements. Elle ne peut pas vraiment examiner les questions qui lui sont adressées par une autre instance.
Je crois que le libellé du Traité des eaux limitrophes est plus rigoureux et plus direct que le libellé des ententes de l'Annexe. Si les gouvernements souhaitent recourir au mécanisme de la CMI, ils le pourraient à cause du libellé du Traité des eaux limitrophes.
Selon moi, nous devons nous rappeler que, selon les dispositions du Traité des eaux limitrophes et la CMI, trois membres de la Commission viennent du Canada et trois sont des Américains. En vertu des ententes de l'Annexe, il y a huit états et deux provinces. À cause du libellé, les deux provinces n'ont qu'un rôle consultatif sur bien des questions. Elles ne peuvent décider clairement si davantage d'eau sera détourné à Chicago ou ailleurs. C'est une situation de huit contre deux, les deux ne détenant pas beaucoup de pouvoir. Dans de telles circonstances, nous devrions nous demander si ce régime est plus favorable au Canada que celui prévoyant trois membres de chaque pays dans le cadre de la CMI.
¿ (0955)
[Français]
Le président: Monsieur Simard.
M. Christian Simard: Quelle est votre opinion là-dessus? Vous dites qu'il faudrait y réfléchir. L'avez-vous fait? Votre opinion semble pencher davantage vers la Commission mixte internationale. Personnellement, j'ai quand même des doutes.
Dans un autre ordre d'idée, ce que je trouve un peu curieux dans les ententes actuelles, c'est que c'est interdit mais que si cela se peut, c'est au maximum 5 p. 100, ce qui est beaucoup, même énorme. À première vue, on ne pense pas que le principe de précaution... Les pressions des utilisateurs sont tellement énormes qu'on se demande comment assurer la préservation du bassin pour les générations futures. Cela me semble être vraiment une question cruciale à l'échelle du continent. Quand vous ou M. Pentland--je ne sais plus lequel des deux--comparez la situation à la mer d'Aral, c'est sûr que cela donne froid dans le dos.
Toutefois, si vous êtes davantage un tenant de la CMI ou des accords, j'aimerais que... Vous ne pouvez pas répondre maintenant. Vous êtes en réflexion, vous voulez aller plus loin, je crois.
[Traduction]
M. James Bruce: Permettez-moi de commencer à répondre, et Ralph pourra intervenir.
Ce que j'ai proposé dans mes remarques finales, c'est que nous fassions davantage appel à la CMI jusqu'à ce que les provinces et les États parviennent à une entente plus ferme. La CMI a la capacité, si les gouvernements fédéraux veulent y faire appel, de prévenir les pertes importantes d'eau dans les Grands Lacs. J'ai aussi proposé que si les provinces reprenaient les négociations, comme l'Ontario a dit qu'elle le ferait, elles devraient viser une perte nette nulle ou aucune dérivation, ainsi que la protection de la qualité de l'eau restituée. Ces deux principes devraient être prépondérants dans l'entente révisée sur l'annexe.
M. Ralph Pentland: Je pourrais peut-être dire un mot, particulièrement sur la question du 5 p. 100 dont vous avez parlé.
Pour l'instant, aucune règle ne précise que c'est 5 p. 100. Ce taux a été recommandé aux États et aux provinces par la Commission mixte internationale. Autrement dit, on a recommandé que les négociations visent une restitution de 95 p. 100, ce qui signifie que l'on accepterait une perte de 5 p. 100. Vous devez admettre que c'est déjà tout un compromis. Comme vous le dites, même ce 5 p. 100 pourrait poser un problème.
Lors d'une réunion récente à Toronto, David Schindler, un chercheur très connu et primé dans le domaine de l'eau et de l'environnement, a laissé entendre, comme vous, que même ce taux de 5 p. 100 pourrait être désastreux. S'il n'y a pas de limite à la quantité d'eau, alors même ce 5 p. 100 pourrait devenir problématique.
Le taux de 5 p. 100 représentait donc déjà un compromis. Ce n'est pas une règle qui a été adoptée; c'était une recommandation de la CMI aux États et aux provinces. Il se pourrait très bien que ce comité ou le gouvernement fédéral veuillent adopter une position plus stricte. En fait, l'Ontario semble tendre vers une position plus stricte. Elle envisage de ne permettre aucune dérivation ou aucune perte nette.
Comme vous, les gens s'inquiètent de ce taux de 5 p. 100.
À (1000)
Le président: Madame Simard, vous avez une minute.
Monsieur Bigras, une minute. Non? Très bien, merci.
Je vais passer à l'autre côté.
Monsieur Wilfert.
L'hon. Bryon Wilfert (Richmond Hill, Lib.): Merci, monsieur le président.
Messieurs, merci d'être venus.
J'aimerais aborder deux points.
Premièrement, je dirais que puisque je vis dans une région où la moraine d'Oak Ridges demeure un enjeu très important et compte tenu de mon expérience municipale et fédérale, je connais très bien les répercussions, surtout de l'aménagement du territoire, sur les trois principales rivières qui se jettent dans le lac Ontario—la Humber, la Don et la Rouge—et sur les réservoirs aquifères, ainsi que toutes les questions liées à la dérivation de l'eau.
Je m'inquiète un peu de la place qu'occupent l'objectif et le mandat publics. Dans votre exposé, vous avez dit que ces ententes affaibliraient l'objectif et le mandat publics. Pouvez-vous nous en dire plus?
Dans son communiqué, le gouvernement de l'Ontario indique—et je l'approuve—que si le gouvernement fédéral intervient directement auprès des États-Unis, le débat sera élargi. C'est peut-être ce que certains Américains souhaitent, que nous discutions de l'eau en général. Selon vous, quel rôle le gouvernement fédéral pourrait-il jouer?
Pour l'instant, nous semblons... Nous avons dit très clairement, et le ministre de l'Environnement a insisté en Chambre sur notre opposition à toute dérivation en vrac de l'eau. Mais quel est le vrai rôle du fédéral? Faire appel à la CMI? Tenir des consultations avec l'Ontario et le Québec? Intervenir directement auprès du gouvernement américain? Quelle est la meilleure avenue?
À l'heure actuelle, je pense que le gouvernement exprime très clairement sa position. Il essaie de garantir que l'Ontario, le Québec, et les huit États riverains comprennent bien que nous n'appuierons aucun dérivation.
Je crois que ce qui est symptomatique—et je vais terminer là-dessus, monsieur le président—c'est la dérivation à Chicago où, à l'heure actuelle, seulement un tiers de l'eau prélevée est utilisée. Il suffirait de bien peu pour que les répercussions sur le niveau de l'eau soient graves.
Je pense que nous allons commencer par le mandat public.
M. Ralph Pentland: Je vais parler d'abord du mandat public.
Le mandat public est un concept juridique davantage employé aux États-Unis qu'au Canada. Quand j'ai préparé mon document pour le centre Woodrow Wilson à Washington, il était d'usage qu'un Canadien et un Américain préparent ces deux documents et aillent en discuter à Washington. Malheureusement, nous—un Canadien et un Américain—avons préparé les deux articles; nous sommes allés là-bas et nous avons été d'accord sur tous les points.
M. Olson, un avocat du Michigan spécialiste de l'environnement, a étudié à fond la doctrine du mandat public. En droit américain, c'est un concept qui existe depuis environ 25 ans.
Permettez-moi de citer certaines règles rendues obligatoires par le mandat public aux États-Unis, pour ce qui est de la dérivation de l'eau :
Elle doit être à des fins principalement publiques et non privées. Elle doit être conforme à des usages ou besoins liés au mandat public, comme le transport maritime, la navigation de plaisance, la baignade, la pêche et d'autres activités récréatives. Les utilisations actuelles et futures de l'eau doivent être protégées, ce qui signifie qu'il faut planifier en fonction de l'avenir prévisible. Elle ne doit pas compromettre les usages et les ressources associés au mandat public. La règle des dommages minimaux ne s'applique pas; aucun effet n'est négligeable. |
Aux États-Unis, c'est clair, le mandat public... L'essentiel de sa thèse est que la doctrine du mandat public est gravement compromise par les ententes proposées. Il a été très clair à ce sujet.
Cet homme combat Nestlé depuis de nombreuses années à propos d'un enjeu particulier aux États-Unis, et il le fait avec beaucoup de succès. Il est très connu et c'est un avocat de prestige aux États-Unis.
Au Canada, le mandat public brille par son absence. Il n'en est question dans aucune loi fédérale ni provinciale, sauf dans deux lois sur la protection de l'environnement des territoires nordiques. C'est un concept qui pourrait être développé et reconnu au Canada. Mais pour l'instant, il brille par son absence.
Je vais laisser Jim répondre à l'autre question.
À (1005)
M. James Bruce: C'est la question la plus difficile.
Qu'est-ce que le gouvernement fédéral devrait faire? Je pense qu'il est très important que vous définissiez clairement votre position—je crois que le gouvernement l'a fait dans une certaine mesure—et que vous la fassiez connaître à toutes les parties concernées : les provinces, les États, et le gouvernement des États-Unis.
Puis, soyez prêts à soumettre à la CMI toute situation qui, à votre avis, pourrait mener à des prélèvements importants dans les lacs, pour que l'on puisse invoquer le Traité des eaux limitrophes—qui est très clair—et prévenir toute malencontreuse perte d'eau jusqu'à ce que les États et les provinces parviennent à une entente ferme.
Ce sont les rôles que j'aimerais voir le gouvernement fédéral jouer. En premier lieu, définissez clairement votre position; puis, n'hésitez pas à faire appel à la CMI si vous croyez qu'il y a violation, même infime, des dispositions sur la non-dérivation.
L'hon. Bryon Wilfert: Eh bien, monsieur le président, à part ce que nous avons déjà défini comme relevant de la CMI—et d'après vous, nous l'avons dit clairement—, y a-t-il un enjeu qu'il serait plus opportun de traiter, puisque l'Ontario a déjà fait connaître sa position? Les négociations reprendront en janvier. Est-il utile pour le gouvernement fédéral de procéder le plus tôt possible, ou devrions-nous simplement attendre la suite des événements... bien sûr, consulter, comme le gouvernement de l'Ontario a dit qu'il le ferait avec le gouvernement fédéral?
On nous accuse souvent de nous mêler de ce qui ne nous regarde pas. Ne serait-il pas plus avantageux de laisser les négociations se poursuivre et d'intervenir si nous ne voyons pas se concrétiser les résultats que nous souhaitons?
M. James Bruce: Eh bien, je dirais... J'ai été sous-ministre adjoint à l'Environnement pendant longtemps; j'ai donc l'habitude de réfléchir à ces questions.
Je pense que vous ne devriez pas intervenir auprès de la CMI à moins qu'une question particulière se pose, à moins qu'il y ait un projet précis pour prélever plus d'eau à Chicago, pour servir telle municipalité à l'extérieur du bassin, ou pour effectuer un prélèvement important à des fins de consommation. Si un tel incident se produisait avant la fin des négociations entre les provinces et les États, je crois que vous devriez alors faire appel à la CMI, pour éviter... Ces négociations ne seront pas faciles pour l'Ontario et le Québec, mais à mon avis, vous ne devriez pas intervenir au début.
L'hon. Bryon Wilfert: Merci beaucoup, monsieur le président.
M. Ralph Pentland: Puis-je ajouter que ce serait utile, bien sûr, si le gouvernement fédéral, par l'intermédiaire de ce comité ou du ministre des Affaires étrangères, par exemple, énonçait clairement sa position sur les négociations avant leur reprise.
À cet égard, quand l'annexe a été publiée, en 2001, le gouvernement fédéral a fait une déclaration très claire et très opportune, expliquant pourquoi l'annexe allait violer le Traité sur les eaux limitrophes, entre autres—une excellente déclaration. Aujourd'hui, le même type de déclaration, peut-être même plus forte, pourrait être indiqué, mais avant la reprise des négociations.
L'hon. Bryon Wilfert: Merci.
Le président: Monsieur Scarpaleggia et monsieur McGuinty, je vais vous inscrire pour le deuxième tour. Nous n'avons plus de temps pour ce côté.
La parole est à M. Comartin.
M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD): Merci, monsieur le président.
Pour poursuivre sur ce sujet, je ne suis pas certain du moment, mais le ministère des Affaires étrangères et le ministère de l'Environnement ont comparu devant nous il y a environ deux semaines. Monsieur Pentland, ils préparent une réponse qu'ils sont censés publier d'ici la fin du mois.
D'après vos commentaires, je présume qu'aucun d'entre vous n'a été consulté par l'un ou l'autre de ces ministères?
À (1010)
M. James Bruce: Pas officiellement.
M. Joe Comartin: Pas officiellement. Obtenons-nous de l'information par leur entremise?
M. Ralph Pentland: Oui. Nous discutons régulièrement avec des représentants de ces ministères, mais c'est un simple échange de points de vue. Pour autant que je sache, nous ne participons ni l'un ni l'autre à la rédaction d'une réponse particulière, mais nous donnons notre opinion.
M. James Bruce: Je dirais que mes travaux sur le sujet ont été appuyés par la Gordon Foundation. La fondation a remis à ces deux ministères mes commentaires sur l'entente ainsi que ceux de quelques autres experts à qui elle avait demandé de commenter l'entente. Tous les commentateurs étaient raisonnablement critiques envers l'ébauche actuelle.
M. Joe Comartin: Monsieur Bruce, j'ai quelques réserves à propos de vos recommandations. Les représentants de la CMI, quand ils ont témoigné ici—je pense que c'est juste—et pas seulement quand ils ont témoigné ici mais aussi dans leurs travaux sur la question de la dérivation et de l'exportation en vrac au cours des deux dernières décennies, se sont dit très préoccupés par notre méconnaissance du système des Grands Lacs. Je pense que leur position à propos d'un moratoire sur les dérivations repose largement sur la nécessité d'effectuer cette recherche.
Cela dit—et je vois que vous êtes d'accord avec moi—, je crains que votre recommandation n'ait pour effet de permettre les dérivations s'il y avait une économie équivalente ailleurs dans le bassin. Je ne crois pas que ce soit la position de la CMI, si vous examinez l'ensemble de ses travaux sur la question depuis une vingtaine d'années. J'aimerais que vous me disiez si vous pensez...
Je vous demande de revenir sur votre position ou de la justifier. J'imagine que c'est ce que je vous demande de faire.
M. James Bruce: Monsieur, je suis entièrement d'accord avec vous pour ce qui est du manque de connaissances sûres. Il y a eu la question du ruissellement souterrain depuis et vers les lacs, du point de vue de la quantité et de la qualité—la qualité étant très importante en l'occurrence. Notre connaissance de la quantité d'eau qui est prélevée et consommée est très approximative, tout comme les données citées par la CMI. Nous ne savons pas exactement quelle quantité d'eau nous perdons dans le bassin des Grands Lacs à cause de la consommation , et nous ne savons pas exactement quelle est la part du ruissellement souterrain.
Je conviens donc qu'il faut faire davantage de recherche. C'est en partie pourquoi je dis qu'il est vraiment important de prévoir une perte nette nulle, c'est-à-dire que si on prélève de l'eau, il faut remettre la même quantité dans le système des lacs. Il me semble que cela protège l'intégrité de l'écosystème ainsi que la disponibilité de l'eau pour la production hydroélectrique et la navigation.
M. Joe Comartin: Combien de temps me reste-t-il, monsieur le président?
Le président: Vous avez cinq ou six minutes.
M. Joe Comartin: Parfait.
Permettez-moi de continuer sur cette question. Si nous disions : « D'accord, vous êtes dans le bassin; vous allez économiser ce 50 p. 100 que vous consommons de plus que le reste de la population mondiale ». En fait, en n'appliquant pas les mêmes exigences aux gens de l'extérieur du bassin et à qui cette eau est destinée, n'encourageons-nous pas la surutilisation—le gaspillage, pour employer votre propre terme?
Vous n'en avez pas fait une exigence. Nous ne voyons pas cette obligation d'économiser dans votre recommandation aux gens à qui cette eau est destinée, à la région où cette eau va, à l'extérieur du bassin.
M. James Bruce: Oui, j'avais l'intention qu'elle s'applique là aussi. Autrement dit, si le Wisconsin souhaite dériver de l'eau vers une collectivité située à l'extérieur des limites géographiques du bassin, alors cet État doit garantir que la même quantité d'eau retourne dans le lac Michigan, que cette eau provienne de la collectivité en question ou d'autres parties de l'État où l'on appliquerait des mesures strictes d'économie.
À (1015)
M. Joe Comartin: J'y vois une difficulté. En fait, vous imposez une règle d'économie aux résidents du bassin pour justifier—pardonnez-moi ce terme—la dérivation de l'eau hors du bassin.
M. James Bruce: Ce n'est pas ainsi que je vois les choses. À mon avis, c'est une disposition qui ferait hésiter les autorités à dériver de l'eau hors des limites géographiques du bassin, parce qu'elles devraient alors enlever de l'eau à des résidents du bassin. Le choix incomberait donc aux autorités, mais la disposition protégerait l'eau des lacs et des rivières.
Je crois que le choix serait très difficile à faire. C'est pourquoi, à mon avis, la disposition préviendrait les dérivations hors du bassin.
M. Joe Comartin: J'aimerais aborder l'un des points que vous avez soulevés, car je crois qu'on ne lui accorde pas assez d'importance; il s'agit des répercussions sur notre production énergétique.
L'une des choses qui me surprennent alors que je vois la situation évoluer depuis la publication de l'annexe à propos de la consommation publique, c'est que je n'ai entendu aucune objection de la part des États américains—de l'État de New York en particulier—à propos des répercussions sur leur production hydroélectrique. Est-ce que quelque chose m'a échappé, ou n'ont-ils tout simplement pas réagi?
M. James Bruce: J'ai entendu des commentaires isolés, mais aucune réaction officielle de la part des États des Grands Lacs. Je crois que l'Ontario, l'État de New York et le Québec subiraient tous une diminution marquée de leur production hydroélectrique si une grande quantité d'eau était prélevée dans les lacs.
Plus tôt, il a été question de la réduction de 5 p. 100, et j'ai tenté de vous donner des chiffres à propos des fortes répercussions économiques qu'une perte de 5 p. 100 d'eau aurait sur la production hydroélectrique.
M. Joe Comartin: A-t-on analysé les effets qu'aurait une réduction de 5 p. 100 sur l'État de New York?
M. James Bruce: Les effets seraient à peu près les mêmes qu'en Ontario, parce qu'on produit de l'électricité également à Niagara Falls ainsi qu'à la centrale de Cornwall-Massena, sur le Saint-Laurent.
M. Joe Comartin: J'ai une dernière observation sur les conséquences économiques. Vous n'avez pas parlé des effets qu'aurait la baisse des niveaux d'eau sur les pêches. Savez-vous si une telle étude existe?
M. James Bruce: Non. Ce dossier est plus complexe.
M. Joe Comartin: Il ne s'agit pas seulement de l'impact qu'aurait la perte des eaux. Il faut savoir aussi que la température de l'eau des Grands Lacs pourrait augmenter, ce qui se produit lorsqu'il y a une baisse du niveau d'eau.
Monsieur Pentland ou monsieur Bruce, vous êtes peut-être au courant de cela. Je sais que les environnementalistes du côté américain de la frontière se sont vivement opposés à l'annexe de la Charte. À la lumière de cette réaction, y a-t-il eu un changement de position dans l'un ou l'autre des États, soit individuellement, soit collectivement? Nous avons une lettre de l'Attorney General du Michigan, mais avons-nous d'autre indication que les Américains reconnaissent que ces négociations nous ont conduits dans la mauvaise voie?
M. Ralph Pentland: Je crois qu'ils sont très solidaires. Ils ne diront rien publiquement. Je sais qu'il y a des inquiétudes.
J'ai reçu un appel du corps législatif de l'État de New York au moment où des audiences publiques allaient débuter. On m'a presque supplié de m'y rendre et de critiquer l'entente. J'ai donc ce genre de preuve anecdotique, mais je ne crois pas qu'il y a eu des déclarations publiques, sauf celles de l'Attorney General du Michigan, qui s'est prononcé contre l'entente.
J'ajouterais un mot au sujet de la situation énergétique dans l'État de New York. Je sais qu'un grand nombre d'associations industrielles aux États-Unis se sont prononcées contre l'entente. Je crois que les plaintes viendront de ces associations plutôt que des États eux-mêmes, parce que ces derniers doivent rester solidaires, du moins jusqu'à ce que tout s'écroule.
À (1020)
Le président: Je vais vous interrompre ici, monsieur Comartin. Le temps nous manque.
Nous allons donner la parole à M. Richardson, pour cinq minutes.
M. Lee Richardson (Calgary-Centre, PCC): Merci, monsieur le président. J'essaierai d'être bref, pour permettre aux autres d'intervenir.
J'aimerais d'abord vous remercier énormément, monsieur Bruce et monsieur Pentland, d'être venus. Votre exposé était remarquable et les membres du comité ont pu profiter, en quelques minutes, du fruit de nombreuses années de recherches, d'études et de réflexions. J'apprécie beaucoup le témoignage que vous avez fait et la façon dont vous l'avez présenté également. C'est très clair.
Puis-je ajouter nos remerciements—je suis certain que M. Bruce n'en sera pas offusqué—à la Gordon Foundation qui a appuyé vos travaux et, dans une moindre mesure, au Woodrow Wilson International Center. Il est encourageant d'apprendre que l'opposant de M. Pentland dans le débat du Woodrow Wilson International Center tendait à souscrire à bon nombre de ses conclusions.
Je n'ai rien à redire à propos de vos observations. Par contre, ce que M. Comartin vient de dire au sujet de la production hydroélectrique a piqué ma curiosité.
Je pourrais peut-être commencer par votre observation, monsieur Pentland. Vous avez dit qu'il était absolument impossible de compenser les retraits massifs. « Absolument » est un mot très fort. Dans quelle mesure ces projets hydroélectriques affectent-ils...? Y a-t-il un moyen de quantifier les effets négatifs qu'ils pourraient avoir sur les lacs? En comparaison, les effets négatifs d'un retrait massif sont-ils si importants?
M. Ralph Pentland: Ce que j'ai dit, c'est qu'il est absolument impossible de compenser les retraits en vrac de façon à conserver assez de résilience pour faire face aux stress imprévisibles à venir, comme le changement climatique.
M. Lee Richardson: Oui, j'en conviens.
M. Ralph Pentland: C'est relativement facile de calculer les effets sur la production hydroélectrique et les autres activités, comme les pêches, la navigation, etc. En fait, nous le faisons constamment dans les études concernant la réglementation des Grands Lacs. Une importante étude est menée actuellement sur la réglementation du lac Ontario, par exemple, dans laquelle on détermine les effets des variations du niveau d'eau et du débit sortant sur la production hydroélectrique, la navigation, les propriétés riveraines, les plages, les pêches, etc.
Ces études sont donc constamment effectuées, mais on ne le fait pas vraiment dans ce cas-ci, parce qu'on n'a rien de précis. Les détournements pourraient être de 10 ou encore de 100 000 pieds cubes par seconde, alors on ne sait pas vraiment ce qu'on évalue. Si on savait exactement l'ampleur du détournement dont on parle, ce serait relativement simple d'en évaluer les effets sur des activités qui ont une valeur économique, comme la production hydroélectrique, la navigation, etc.
C'est plus difficile de calculer les incidences et les effets cumulatifs sur les écosystèmes, les relations entre les organismes vivants, etc. Toutefois, les analyses d'ordre économique sont relativement simples à faire.
M. James Bruce: Je crois que vous cherchiez à savoir, monsieur, si les projets hydroélectriques avaient un impact sur les écosystèmes.
M. Lee Richardson: Oui, essentiellement, mais je ne veux pas qu'on s'attarde sur le sujet. Ce sont les questions de M. Comartin qui ont piqué ma curiosité. Est-ce important, ou y a-t-il un équilibre quelconque, si nous causons ce genre de dommage?
M. James Bruce: Non. Je crois que les écosystèmes ont pu être affectés lorsque les centrales hydroélectriques ont été implantées à Niagara Falls et le long du Saint-Laurent, mais elles sont là depuis longtemps et les écosystèmes se sont bien adaptés au changement de régime que ces centrales ont causé. À l'heure actuelle, on pourrait dire que leurs incidences sur les écosystèmes sont pratiquement indétectables, et il s'agit d'une source d'énergie très propre pour nous tous.
M. Lee Richardson: Merci.
Le président: Merci, monsieur Richardson.
Monsieur Scarpaleggia.
M. Francis Scarpaleggia (Lac-Saint-Louis, Lib.): Merci, monsieur le président.
J'ai trois questions, qui ne sont pas de nature technique. J'aimerais profiter de votre sagesse combinée et savoir ce que vous pensez de certaines questions d'ordre général.
J'ai eu l'occasion de visiter l'UNESCO la semaine dernière et de m'entretenir avec des personnes qui se sont penchées sur la question des ressources mondiales en eau et qui ont participé à la rédaction du récent rapport « L'eau pour les hommes, l'eau pour la vie », que vous connaissez bien. J'ai eu l'impression qu'ils ont une opinion plutôt négative de l'Amérique du Nord—évidemment nous avons parlé du Canada, mais je suis certain que toute l'Amérique du Nord est visée—, et de nos préoccupations en matière de conservation. Ma première question est la suivante : faisons-nous des progrès? Nous parlons de conservation et des grands principes de conservation dans le cadre de cette entente, mais faisons-nous des progrès, et que devons-nous et pouvons-nous faire?
Deuxièmement, je vois que vous avez tous deux effectué des travaux sur les deux côtés de la frontière. J'aimerais savoir comment, selon vous, les Canadiens perçoivent-ils l'eau en comparaison avec les Américains. J'aimerais établir ici un parallèle avec les produits culturels, parce que j'ai travaillé à certains dossiers du patrimoine. Pour les Canadiens, la programmation télévisuelle et d'autres produits culturels font partie de la culture, tandis que ce sont des produits aux yeux des Américains. Je me demande si vous constatez la même chose aux États-Unis, ce qui pourrait influer sur le degré de prudence dont les législateurs américains pourraient faire preuve en matière de politiques sur l'eau. Je fais un lien ici avec les commentaires d'un de mes collègues concernant le principe de précaution aux États-Unis en regard de l'eau.
Troisièmement, vous avez dit que les sciences sont très bonnes au Canada, que les sciences de l'eau étaient très bonnes en Amérique du Nord en comparaison avec le reste du monde, ou c'est ce que vous sembliez dire. Le gouvernement fédéral a-t-il les ressources pour effectuer les travaux scientifiques nécessaires sur l'eau? Devrions-nous faire davantage? Pourrions-nous devenir des chefs de file en sciences de l'eau et exporter notre expertise partout dans le monde?
Je pensais à David Schindler. M. Pentland a mentionné David Schindler et je me souviens que ce dernier était venu sur la colline du Parlement il y a quelques années. Il était très déçu que le gouvernement fédéral ferme la région des lacs expérimentaux, parce qu'il estimait que le gouvernement devait effectuer plus de recherches sur l'eau. Le gouvernement fédéral doit-il faire davantage dans le domaine des sciences?
À (1025)
M. Ralph Pentland: Je vais commencer, mais Jim est probablement mieux placé que moi pour parler de la question scientifique.
Le président: Oui, une minute.
M. Ralph Pentland: Il n'y a aucun moyen de mesurer les progrès réalisés en matière de conservation. L'OCDE a produit un rapport il y a trois ou quatre ans dans lequel on compare tous les pays du monde à ce chapitre, et nous ne faisons pas très bonne figure.
Concernant les Grands Lacs, les plus récentes données montrent que l'utilisation de l'eau dans le bassin des Grands Lacs avait diminué en 1998 par rapport à 1993. Ces résultats peuvent être attribuables à des données erronées, au fait que l'industrie lourde quitte le bassin, ou ils peuvent être partiellement attribuables à des mesures de conservation, mais au moins l'utilisation de l'eau semble s'être stabilisée et a peut-être même diminué dans le bassin des Grands Lacs.
Pour ce qui de la façon dont l'eau est perçue au Canada et aux États-Unis, la différence se fait sentir surtout entre l'est et l'ouest plutôt qu'entre le Canada et les États-Unis. Dans l'ouest, l'eau est une ressource qu'il faut utiliser et utiliser en entier. C'est ainsi qu'on le perçoit dans l'ouest, que ce soit au Canada ou aux États-Unis, tandis que dans l'est, l'eau est une ressource à préserver et à protéger et doit surtout être utilisée sur place, pour la navigation, la production hydroélectrique, etc. C'est là où se situe la différence.
Dans le cas particulier dont nous parlons, le problème, c'est que la question des détournements est un enjeu américain. Il n'y a aucun endroit où l'on peut détourner l'eau au Canada. La différence fondamentale, c'est que les Américains veulent détourner l'eau, ils veulent un régime qui leur permettra de détourner l'eau, tandis que les Canadiens veulent un régime qui ne permettra pas de le faire.
J'aimerais que Jim nous parle maintenant des sciences.
M. James Bruce: J'aurais tendance à être du même avis que David Schindler, à savoir que les sciences de l'eau ont perdu beaucoup de terrain au Canada depuis les années 80, surtout au gouvernement fédéral. Bon nombre des organismes qui s'intéressaient à l'eau pour lesquels Ralph et moi avons travaillé ont disparu, et la recherche sur l'eau a diminué considérablement.
En même temps, d'autres travaux de recherche sur l'eau ont été appuyés par des conseils subventionnaires comme le CRSNG. Il y a donc eu une recrudescence dans les universités, mais elle ne peut compenser le déclin des travaux réalisés en sciences de l'eau au sein du gouvernement fédéral.
À (1030)
Le président: Monsieur Simard, puis ce sera M. McGuinty.
[Français]
M. Christian Simard: On pourra m'accuser de copier, mais je le pense sincèrement: j'aimerais aussi vous remercier pour la qualité de vos réflexions et la précision de vos mémoires. C'est vraiment édifiant. À mon avis, on ne peut pas inventer cela: il faut une vie de travail et de réflexion pour faire de telles synthèses.
J'ai deux questions dans deux registres différents. Premièrement, M. Bruce ou M. Pentland a parlé du lac Champlain et du Vermont comme étant des signataires possibles parce que le lac Champlain fait partie du bassin du Saint-Laurent quelque part. Dans le cas du Québec, effectivement, le fleuve Saint-Laurent fait partie du bassin Saint-Laurent--Grands Lacs, mais il a son propre bassin. D'ailleurs, à peu près le tiers des grandes rivières du Québec se jettent dans le Saint-Laurent.
À partir d'où l'entente s'applique-t-elle et quand ne s'applique-t-elle pas? Est-ce que vous avez fait une réflexion ou acquis des connaissances à ce sujet? Il se peut que non, mais il me semble que, juridiquement, ce n'est pas évident. J'aimerais avoir votre opinion sur cette question.
Ma deuxième question porte sur les produits de base. Quand l'eau en vrac se transforme-t-elle en eau pouvant être considérée comme un produit commercial? Dans l'accord, il semble y avoir un flou dangereux à cet égard. Je n'ai pas encore vraiment compris comment on peut s'assurer que cela ne soit pas inclus dans l'ALENA. Pour moi, ce n'est pas clair.
[Traduction]
M. James Bruce: Je pourrais peut-être répondre à la première question et laisser Ralph parler de la commercialisation.
Un des aspects étranges de l'annexe, c'est qu'on dit que les ententes visent le Saint-Laurent jusqu'au niveau de Trois-Rivières, mais que le Vermont, le lac Champlain et le Richelieu en sont exclus, ce qui est un découpage géographique très curieux. La partie du Saint-Laurent en aval de Trois-Rivières dépend de ce qui se produit dans le lac Champlain et au Vermont. Concernant le Saint-Laurent, on se préoccupera surtout, à mon avis, de conserver une profondeur suffisante pour permettre la navigation dans le port de Montréal et de maintenir l'énergie hydroélectrique à Beauharnois. Je crois que ce sont les enjeux les plus immédiats que comporte une éventuelle perte d'eau, même relativement faible.
M. Ralph Pentland: Concernant la commercialisation—je déteste jouer à l'avocat, je ne suis pas avocat, mais je me base sur le peu que je sais sur le sujet—, la plupart des ententes commerciales, que ce soit l'ALENA, le GATT, l'OMC, etc., traitent de certains types d'eau comme s'il s'agissait déjà de produits commerciaux. L'eau dans les produits, l'eau embouteillée en certaines quantités, etc., ce sont d'emblée des produits commerciaux. Ces produits sont donc assujettis aux mêmes règles que tout autre produit.
Puis, il y a l'eau potable. Nous entrons ici dans une zone grise, parce que certaines personnes aux États-Unis disent que l'on paie déjà l'eau potable et, donc, que c'est déjà un produit commercial; nous l'avons déjà commercialisée, alors toutes les règles vont s'appliquer. Évidemment, ce n'est pas vrai parce qu'on ne paie pas l'eau potable; on paie les services d'eau potable. On paie une partie des coûts de l'approvisionnement en eau et de l'élimination des eaux résiduelles, mais on ne paie pas l'eau. C'est donc un argument erroné. L'eau potable n'est pas commercialisée.
Or, dès qu'on commercialise l'eau dans son état naturel... j'ai fait valoir, tout comme le Conseil des Canadiens et Jim Olson—un grand nombre de personnes ont fait valoir—que cette entente ferait en sorte que l'eau serait commercialisée dans son état naturel, ce qui nous plongerait dans toutes les règles de l'ALENA, du GATT, de l'OMC, etc. Il faut donc faire bien attention à la façon dont on structure ces ententes pour ne pas commercialiser l'eau, évidemment.
À (1035)
Le président: Monsieur Bigras, une minute.
[Français]
M. Bernard Bigras (Rosemont—La Petite-Patrie, BQ): Vous avez beaucoup parlé de navigation reliée au fleuve Saint-Laurent. Avez-vous étudié aussi la question de la qualité de l'eau potable? On sait que dans la région de Montréal, entre autres, et ailleurs au Québec, plus de 3 millions de Québécois prennent leur eau directement du Saint-Laurent ou de ses affluents. Donc, une baisse appréhendée du niveau d'eau du Saint-Laurent pourrait très certainement avoir un impact sur la qualité de l'eau potable des citoyens, entre autres ceux du Québec, ce qui pourrait nécessiter une augmentation des investissements dans les infrastructures. Avez-vous étudié cette possibilité?
[Traduction]
M. James Bruce: C'est certain. Vous avez raison, monsieur, de dire que si vous avez moins d'eau, la concentration des polluants existants dans l'eau devient plus élevée, ce qui peut créer des problèmes. À moins que le détournement de Chicago soit trois fois plus important, les effets sur la qualité de l'eau de la réduction dont nous avons parlé peuvent être un peu difficiles à détecter, mais il ne fait aucun doute qu'il y aurait un effet négatif sur la qualité de l'eau dans le Saint-Laurent.
Le président: Monsieur McGuinty.
M. David McGuinty (Ottawa-Sud, Lib.): Merci, monsieur le président.
Merci d'être parmi nous. C'est bon de vous revoir tous les deux.
J'aimerais revenir à des commentaires faits par certains intervenants, à savoir où nous en sommes et où nous allons.
J'ai posé une question à M. Gray lorsqu'il était ici il y a quelques années. J'ai examiné son rapport de 2000 ou 2001 et sa mise à jour d'août 2004, et ce qui ressort très clairement de chaque page et de chaque recommandation, c'est que nous ne savons pas.
J'ai bien aimé, monsieur Pentland, ce que vous avez dit en réponse à la question de M. Mills, à savoir qu'il est important de s'appuyer sur de véritables balises et non sur des données fictives pour savoir comment le Canada se compare aux autres acteurs quant à nos connaissances et à notre ignorance à propos de l'eau.
Il me semble que c'est un autre point chaud parmi bien d'autres. On parle maintenant du risque que comporte l'exportation de l'eau en vrac. Ce matin, à la une du journal local, on dit que 5 000 lacs qui se trouvent à une heure et demie de distance de notre ville, principalement dans l'Outaouais et la région québécoise, montrent des signes avancés d'eutrophisation. Les gens se préoccupent de plus en plus de la qualité de l'eau et de la possibilité que des produits pharmaceutiques se retrouvent dans l'eau potable.
J'aimerais vous demander quelles sont les deux premières mesures que vous recommanderiez à l'échelle nationale. Par exemple, est-ce que le défi vient du fait que nous n'avons pas évalué correctement le prix de l'eau? L'aspect économique de cette question n'a pas été beaucoup abordé depuis le début de nos discussions, monsieur le président. Est-ce une bonne chose de recourir davantage aux droits et aux permis d'utilisation de l'eau et à la mise aux enchères de l'eau dans le sud-ouest? Est-ce une bonne chose que l'Ontario envisage d'établir le prix de l'eau pour les permis de captage?
Voici l'autre point que j'aimerais aborder. Nous convenons tous, j'espère, que la science, la technologie et le financement sont insuffisants. Ce problème a été diagnostiqué il y a dix ans. Toutefois, des travaux se poursuivent partout. Le Monk Centre fait des travaux, vous faites tous deux des travaux et les provinces font des travaux. Les États-Unis font des travaux et le gouvernement fédéral fait des travaux, et il faudrait peut-être se préoccuper d'abord de la cohérence et de l'intégration de tous ces travaux.
Quelles sont les deux choses que nous devrions faire d'abord?
La question que j'ai posée à M. Gray était celle-ci. Devrions-nous lancer un projet de portée nationale ou encore un projet de l'ALENA?
M. Ralph Pentland: Merci.
Nous en parlerons peut-être un peu tous les deux.
Nous avons abordé plus tôt la tarification de l'eau. Il s'agit bien entendu d'un problème qui règne depuis longtemps au Canada. La situation est meilleure qu'elle était il y a 30 ans, mais elle n'est toujours pas parfaite. Nous payons encore probablement 70 p. 100 ou 80 p. 100 du prix de livraison. Je ne connais pas le pourcentage exact; je ne fais que présumer. Si le prix était juste, il est certain que nous observerions des améliorations sur les plans de la qualité et de la quantité.
Au Canada, les droits relatifs à l'eau sont gérés différemment qu'aux États-Unis. Dans l'ouest du Canada, le droit d'utiliser une certaine quantité d'eau est attribué, et si l'eau n'est pas utilisé entièrement, la propriété de ce qui reste retourne à l'État. La situation est différente aux États-Unis. Chez eux, si on obtient un droit, on peut conserver la propriété de la quantité totale d'eau, qu'on l'utilise entièrement ou non. Une grande partie du problème qui existe dans le sud-ouest des États-Unis est attribuable au fait qu'un grand nombre d'États de cette région demandent beaucoup de droits même s'ils n'ont pas besoin de l'eau en question, et ils commencent maintenant à vendre cette eau.
Cela est bien dans le sens que l'eau va servir ainsi à des utilisations de plus grande valeur, mais mauvais dans le sens que ces États obtiennent des droits dont ils n'ont pas vraiment besoin. Même lorsqu'ils utilisent cette eau, c'est notamment pour la culture du foin. Le système juridique américain est la principale cause du problème qui existe dans le sud-ouest des États-Unis. Les Américains pourraient régler ce problème en améliorant leur système juridique, ce qu'ils ne peuvent pas faire pour des raisons politiques.
Je vais laisser Jim ajouter quelques mots.
À (1040)
M. James Bruce: Ce que l'on devrait entre autres envisager, c'est rétablir dans une certaine mesure le niveau de recherche, de surveillance et d'étude concernant l'eau qui existait au sein des organismes fédéraux. L'eau est un bien public, et nous avons observé dans le domaine des sciences de l'eau au Canada une diminution considérable des études sur l'eau effectuées par les organismes fédéraux. Par contre, elles se sont accrues dans les universités. Le problème, selon moi, c'est que, sans les études des organismes fédéraux, on ne dispose pas des données qu'il faut pour prendre des décisions éclairées à propos de la gestion de l'eau. En raison de cette tendance à la baisse, les organismes fédéraux éprouvent de la difficulté à élaborer de bonnes politiques en matière de gestion de l'eau.
Le président: D'accord. Je vous remercie beaucoup.
Votre temps est écoulé. Il nous reste trois dernières questions; la première par M. Comartin, la deuxième par M. Paradis et la troisième par M. Watson.
Monsieur Comartin, la parole est à vous.
M. Joe Comartin: Merci, monsieur le président.
Je suis désolé, monsieur Bruce et monsieur Pentland, de ne pas vous avoir remerciés tout à l'heure d'avoir comparu devant notre comité. J'ai cette mauvaise habitude. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir témoigné.
Monsieur Pentland, vous avez déclaré à deux reprises qu'il serait pratiquement impossible—je ne sais pas si c'est du point de vue de l'économie ou de l'ingénierie—de dériver des eaux du bassin vers d'autres parties du réseau hydrographique du Canada. Vous pourriez peut-être donner une explication. Deuxièmement, êtes-vous au courant qu'au Canada on veut prélever de l'eau du bassin des Grands Lacs pour l'acheminer dans d'autres régions du pays comme le font les États américains des Grands Lacs?
M. Ralph Pentland: Je ne suis au courant d'aucune demande de dérivation au Canada des eaux du bassin des Grands Lacs. Comme la population du Canada se trouve surtout près de la frontière des États-Unis, il n'existe aucune région vers laquelle dériver les eaux au nord des Grands Lacs.
Je n'ai pas parlé de l'aspect économique de l'exportation d'eau à l'échelle internationale, qui est peut-être un sujet qui vous intéresse. Certains d'entre vous savent peut-être que la province de Terre-Neuve a étudié la question il y a deux ans et qu'elle a conclu que ce ne serait pas économique de dériver des eaux, même à partir de Terre-Neuve, qui est la province la mieux située pour exporter de l'eau depuis le Canada. Si cela ne s'avère pas économique pour Terre-Neuve, ce ne serait certes pas économique non plus pour une autre province du Canada d'exporter de l'eau vers un autre pays, excluant les États-Unis.
M. James Bruce: À l'époque à laquelle se tenaient les discussions qui ont mené à l'ALENA, j'ai assisté à une réunion au sujet de l'eau lors de laquelle un des conseillers supérieurs du négociateur du Mexique a déclaré que ce pays espérait que, grâce à l'ALENA, les États du nord du Mexique, très arides, auraient accès aux eaux canadiennes. Je crois qu'il pensait davantage au bassin du Columbia plutôt qu'à celui des Grands Lacs, mais il n'en demeure pas moins que le désir de transférer de l'eau provenant d'un pays qui en possède beaucoup, comme le Canada, à une région qui en détient très peu, comme le nord du Mexique, est présent.
M. Joe Comartin: Je crois que M. Wilfert vous a demandé s'il n'y aurait pas moyen que le gouvernement fédéral envoie un message plus clair. Je me le demande. Vous n'avez pas proposé du tout que le gouvernement fédéral déclare qu'il refuse la formule des 5 p. 100. À ce stade-ci, nous savons très bien qu'un moratoire est imposé jusqu'à ce que nous en sachions davantage. Est-ce juste? Êtes-vous d'avis que le gouvernement fédéral devrait adopter cette position?
À (1045)
M. James Bruce: Oui, mais avec un peu d'hésitation. Je sais que la Commission mixte internationale, à la suite de longues négociations, a fini par adopter cette position, mais selon moi, le régime axé sur l'absence de perte nette d'eau est plus sensé du point de vue de la protection de l'écosystème, de la production d'hydroélectricité et du transport dans la région du bassin des Grands Lacs.
M. Ralph Pentland: Le gouvernement canadien a répondu à deux reprises à cette question. Je ne sais pas si vous êtes au courant de la deuxième fois, mais, lorsque l'annexe a été publiée, le gouvernement a manifesté vivement son opposition à un grand nombre des dispositions de celle-ci. À l'époque, le rapport de la Commission mixte internationale a également été publié, et le gouvernement canadien, précisément le ministère des Affaires étrangères, a effectué une déclaration à propos de ce rapport, que vous devriez peut-être examiner.
Essentiellement, le gouvernement a déclaré que la formule des 5 p. 100 ne lui plaisait pas, mais qu'il pourrait peut-être s'y faire.
M. Joe Comartin: Pouvez-vous nous dire, monsieur Pentland, à quel moment cette déclaration a été effectuée? Je n'ai jamais pris connaissance de cette deuxième déclaration, mais j'ai lu la première.
M. Ralph Pentland: C'était en 2000. Il s'agissait d'une lettre, je pense.
M. Joe Comartin: Je crois savoir que la formule des 5 p. 100 n'est pas fondée sur des données scientifiques. Vous savez que la Commission mixte internationale a présenté une analyse scientifique suffisamment exacte qui révèle que les eaux du bassin se renouvellent seulement au rythme de 1 p. 100 par année. Alors, convenez-vous que la formule des 5 p. 100 ne se fonde pas sur des données scientifiques?
M. Ralph Pentland: Cette formule est fondée sur des données scientifiques dans le sens qu'environ 5 p. 100 des prélèvements effectués dans le bassin sert à la consommation. Ces mêmes 5 p. 100 s'appliquent aussi à la dérivation, de façon à créer une situation non discriminatoire. On perd donc 5 p. 100 des eaux dans le bassin et un autre 5 p. 100 à l'extérieur. Le 5 p. 100 est fondé sur la consommation par rapport aux prélèvements.
Le président: Je vais devoir vous interrompre, monsieur Comartin, pour que nous puissions passer aux autres questions.
C'est M. Paradis qui a maintenant la parole, et ensuite ce sera M. Watson.
[Français]
M. Denis Paradis (Brome—Missisquoi, Lib.): Merci, monsieur le président.
Tout d'abord, j'aimerais, moi aussi, féliciter les témoins pour la clarté de leur exposé. Je pense que c'est tout à fait rafraîchissant.
Dans un deuxième temps, monsieur le président, M. Pentland a mentionné, dans sa présentation, le lac Champlain, qui, bien sûr, se trouve dans ma circonscription électorale de Brome--Missisquoi. J'ai donc certainement un intérêt à parler non seulement du lac Champlain, mais aussi du lac Memphrémagog, ces deux lacs étant situés d'un côté et de l'autre de la frontière canado-américaine.
Il existe, par rapport au lac Champlain et au lac Memphrémagog, une entente entre le Québec, le Vermont et l'État de New York. C'est une entente qui n'est pas exactement comme celle qui nous est proposée ici sur les Grands Lacs, parce que cette entente entre le Québec, le Vermont et l'État de New York s'applique davantage à la qualité de l'eau des Grands Lacs. Alors, qu'est-ce que les parties voisines peuvent faire pour améliorer la qualité de l'eau des Grands Lacs?
Il n'est pas question là-dedans de dire qu'on va prendre de l'eau et qu'on va la sortir du bassin. J'y vois donc déjà une distinction, une différence par rapport à ce qu'on nous propose aujourd'hui.
Comment, selon vous, cette entente de nature qualitative--et je n'ai rien contre les ententes qualitatives; allons-y, faisons-en--, peut-elle être intégrée, puisque vous parlez du lac Champlain dans votre texte, à cette autre entente que le Québec serait appelé à signer avec l'Ontario et huit États américains? C'est ma première question.
Deuxièmement, monsieur le président, j'ai constaté que lorsqu'on négocie ou qu'on essaie de s'entendre, il y a deux positions. Or, à l'intérieur de la Commission mixte internationale, c'est trois-trois, et à l'intérieur de cette annexe, c'est huit-deux. Alors, c'est vraiment quelque chose de tout à fait différent.
Quelle est ou quelle devrait être la position du gouvernement canadien ou de la Commission mixte internationale? Dans le cas présent, il y a deux provinces canadiennes et huit États américains qui négocient, qui essaient de s'entendre, mais à l'exclusion du gouvernement fédéral et à l'exclusion aussi de la Commission mixte internationale. Ne devrait-il pas y avoir davantage d'interactions de notre côté puisque, comme vous l'avez mentionné plus tôt, l'intérêt à aller chercher de l'eau en vrac vient plutôt de l'autre côté de la frontière que du nôtre?
À (1050)
[Traduction]
M. Ralph Pentland: Quant aux lacs Champlain et Memphrémagog, je suis au courant qu'ils font l'objet d'ententes en matière de qualité de l'eau. Dans mon mémoire, je parle d'une omission dans l'entente. Comme Jim l'a mentionné, étant donné que l'entente vise une certaine partie du Saint-Laurent, les lacs Champlain et Memphrémagog auraient dû être inclus en raison de leur position géographique. Par conséquent, le Vermont aurait dû aussi participer aux négociations, mais ce n'a pas été le cas. Voilà la réponse à l'une de vos questions.
Il existe problème plus vaste à propos du rôle des provinces, du gouvernement fédéral et des États dans les dossiers concernant l'eau. Quand j'ai commencé à travailler au gouvernement fédéral, il y a environ 40 ans, les eaux limitrophes étaient presque entièrement gérées par le gouvernement du Canada. Au fil des ans, les provinces et les États se sont de plus en plus occupés de cette gestion. Le gouvernement fédéral estimait que, dans bien des cas, il valait mieux laisser les provinces et les États régler eux-mêmes leurs petits différends, car il y en avait des centaines et ils en étaient capables. Avec le temps, ils sont devenus meilleurs. Mais il se pourrait qu'au cours des 40 dernières années, nous soyons allés trop loin.
Dans le présent cas, les provinces et les États sont en train de négocier dans un domaine qui relève presque exclusivement de la compétence du gouvernement fédéral. La dérivation des eaux limitrophes est une question qui relève presque entièrement de la compétence du gouvernement fédéral. Nous sommes rendus à un point où huit États américains négocient avec deux provinces—une situation très inégale, premièrement—qui elles sont dans une position faible, essentiellement parce que les Américains peuvent faire plus ou moins ce qu'ils veulent.
Pour l'instant, nous devons attendre de voir ce qui se passera. Si l'Ontario parvient à conclure le type d'entente qu'elle a décrit dans son communiqué de presse, cela sera très bien, et tout le monde sera heureux. Sinon, il se pourrait que les huit États américains aillent de l'avant tout seuls et mettent de côté l'Ontario et le Québec. Ils peuvent le faire; rien ne les en empêche. S'ils le font, le gouvernement fédéral devra prendre une position ferme.
Le président: Merci, monsieur Paradis.
La dernière question appartient à M. Watson.
M. Jeff Watson (Essex, PCC): Merci, monsieur le président. Je finirai bien par comprendre le processus des rondes de questions. Je suis désolé.
Le président: Moi aussi, je vais finir par comprendre, monsieur Watson.
M. Jeff Watson: Merci.
Je lève mon chapeau aux deux témoins d'aujourd'hui. Vous avez tous les deux effectué d'excellents exposés, et je vous suis reconnaissant d'avoir comparu devant notre comité. Je serai très bref pour que vous disposiez du plus de temps possible pour répondre aux questions.
Premièrement—vous avez peut-être déjà répondu à cela—vous avez dit que la dérivation des eaux est une question qui concerne les États-Unis; ce sont eux qui veulent obtenir l'eau. L'entente, telle qu'elle est rédigée, est-elle donc un mécanisme unilatéral visant à permettre des prélèvements d'eau qui contourne la Commission mixte internationale?
Ma deuxième question concerne la préséance du Traité des eaux limitrophes sur l'annexe. On nous a dit que le Département d'État américain a proposé l'ajout d'une clause non abrogatoire visant à faire en sorte que l'Annexe 2001 n'ait pas préséance sur le traité. Êtes-vous au courant de cela, et est-ce qu'une telle clause suffira à faire en sorte que le Traité des eaux limitrophes ait préséance sur l'Annexe 2001?
Troisièmement, je veux vous interroger à propos du renvoi des questions à la Commission mixte internationale. Si le Canada est le seul pays qui continue de renvoyer les questions à la commission, celle-ci ne prendra aucune mesure exécutoire. Alors quel avantage avons-nous à lui renvoyer les questions?
Que pensez-vous de mes questions? Cela fait deux heures que je les peaufine.
Des voix: Oh, oh!
M. Ralph Pentland: Je réponds oui à votre première question; il s'agit essentiellement d'une initiative unilatérale. Il existe deux ententes. Le pacte est exécutoire et vise strictement les États-Unis, précisément huit États. L'entente canado-américaine est non exécutoire; on pourrait la qualifier d'entente à l'amiable. Essentiellement, il s'agit d'une initiative unilatérale de la part des États-Unis.
Le Traité des eaux limitrophes aurait préséance sur l'entente, mais en pratique, ce ne serait pas le cas. Le traité aurait davantage de poids sur le plan juridique, mais l'entente pourrait être plus importante, car les choses se produiraient graduellement et nous n'aurions pas à faire appel au traité.
Jim, je vous cède la parole.
À (1055)
M. James Bruce: Je voulais signaler qu'un grand nombre de personnes, y compris de nombreux groupes environnementalistes des États-Unis et du Canada, ont demandé à ce qu'on fasse précisément mention du Traité des eaux limitrophes dans l'entente. Pour l'instant, on ne sait pas si le traité aura préséance. Mais les groupes environnementalistes des deux côtés de la frontière ont déclaré que la préséance du traité devait être mentionnée ou que l'on devrait inclure une disposition stipulant que tout ce qui sera fait en vertu de l'entente doit respecter en tout point le traité. Il y a donc beaucoup de pression pour faire inclure une telle disposition dans l'entente.
Comme Ralph l'a dit, il est fort probable que les choses se produisent graduellement et que le traité soit contourné. Si nous pouvons faire en sorte que le traité soit respecté, cela offrira au Canada une énorme protection.
Le président: Monsieur Watson, il vous reste deux minutes pour poser une question tout aussi bien formulée que les précédentes.
M. Jeff Watson: On n'a pas répondu à ma question au sujet de la Commission mixte internationale. Si nous sommes le seul pays à lui renvoyer les questions, quel avantage cela nous apporte-t-il? La commission ne prendra aucune mesure exécutoire.
M. Ralph Pentland: Je n'ai pas le temps de vérifier, mais je crois que le traité stipule que, si une proposition de dérivation est présentée, un pays peut la renvoyer à la Commission mixte internationale, qui devra l'approuver. Le Canada renverrait la proposition à la commission, qui devra approuver la dérivation. C'est un des points forts du traité, qui a par contre ses points faibles. Par exemple, le traité ne porte pas sur la nappe souterraine ni sur les affluents; il a donc ses lacunes. C'est pourquoi l'analyse juridique de Steven Shrybman fait état de la nécessité de combler ces lacunes.
Le président: Encore une fois, messieurs Pentland et Bruce, je vous remercie beaucoup au nom du comité d'être venus témoigner. Je crois que les commentaires formulés par les membres du comité démontrent que nous vous sommes tous reconnaissants d'avoir comparu aujourd'hui. Vos propos nous seront utiles lors de la préparation de notre rapport. Merci beaucoup.
Monsieur Epp, la parole est à vous.
M. Ken Epp: Merci. Je crois que vous obtiendrez le consentement unanime au sujet de la motion que je veux présenter.
Comme nous le savons, le Sierra Club a remis au ministre David Anderson ainsi qu'à Clifford Lincoln un prix soulignant leur travail dans le domaine de l'environnement. Je crois que le comité devrait leur transmettre ses félicitations. Je propose donc que le président fasse parvenir à chacun d'eux une lettre les félicitant.
Le président: Ai-je le consentement unanime?
Des voix: D'accord.
Le président: Merci beaucoup.
Avant que je lève la séance, je veux vous rappeler que jeudi prochain nous allons entendre des représentants de l'Association canadienne du droit de l'environnement et de la Great Lakes United. Ils apporteront une perspective différente à notre discussion. Je vous signale que la prochaine étape est la rédaction du rapport provisoire, alors j'aimerais prévoir du temps la semaine prochaine pour en discuter.
M. Bigras a demandé s'il était possible—et je vous demande votre avis—d'inviter également des représentants de l'Union québécoise pour la conservation de la nature. Je propose que nous les invitions à la même séance que les représentants des deux autres groupes que je viens de mentionner. Si j'obtiens le consentement unanime à ce sujet, je crois que la semaine prochaine nous pourrons procéder à la discussion au sujet du rapport.
Monsieur Comartin, la parole est à vous.
M. Joe Comartin: Je pensais que nous allions recevoir également Elizabeth May du Sierra Club. Il existe une différence entre le Sierra Club et le Sierra Legal; leurs positions ne sont pas les mêmes.
Le président: Je vois, oui.
Il y en aura donc trois, mais nous ajouterons...
M. Joe Comartin: Je suis d'accord pour que l'on invite également des représentants de l'Union québécoise pour la conservation de la nature.
Le président: J'ai le consentement unanime.
La séance est levée.