ENVI Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent de l'environnement et du développement durable
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le jeudi 18 novembre 2004
¿ | 0905 |
Le président (M. Alan Tonks (York-Sud—Weston, Lib.)) |
Mme Elizabeth May (directrice générale, Club Sierra du Canada) |
Le président |
Mme Elizabeth May |
Le président |
Mme Elizabeth May |
¿ | 0910 |
¿ | 0915 |
¿ | 0920 |
Le président |
Mme Sarah Miller (coordonnatrice/recherchiste, Association canadienne du droit de l'environnement) |
M. Derek Stack (directeur exécutif, Union Saint-Laurent, Grands Lacs) |
¿ | 0925 |
Mme Sarah Miller |
¿ | 0930 |
¿ | 0935 |
M. Derek Stack |
Le président |
M. Steven Shrybman (avocat-conseil, Conseil des Canadiens) |
Mme Sara Ehrhardt (chargé de campagne nationale de l'eau, Conseil des Canadiens) |
¿ | 0940 |
M. Steven Shrybman |
¿ | 0945 |
Le président |
M. Lee Richardson (Calgary-Centre, PCC) |
M. Jeff Watson (Essex, PCC) |
Mme Elizabeth May |
¿ | 0950 |
M. Jeff Watson |
Mme Elizabeth May |
M. Jeff Watson |
M. Derek Stack |
Le président |
Mme Elizabeth May |
M. Jeff Watson |
M. Steven Shrybman |
M. Jeff Watson |
Mme Sarah Miller |
M. Jeff Watson |
M. Derek Stack |
M. Jeff Watson |
Mme Sarah Miller |
¿ | 0955 |
M. Jeff Watson |
Mme Sarah Miller |
M. Jeff Watson |
Mme Sarah Miller |
M. Jeff Watson |
Le président |
M. Jeff Watson |
Le président |
M. Jeff Watson |
Mme Sarah Miller |
Le président |
M. Christian Simard (Beauport—Limoilou, BQ) |
À | 1000 |
Le président |
Mme Elizabeth May |
À | 1005 |
Le président |
Mme Sarah Miller |
M. Lee Richardson |
Le président |
M. Christian Simard |
Le président |
M. Christian Simard |
Le président |
M. Steven Shrybman |
Le président |
M. Christian Simard |
À | 1010 |
Mme Elizabeth May |
Le président |
M. Francis Scarpaleggia (Lac-Saint-Louis, Lib.) |
À | 1015 |
Mme Elizabeth May |
M. Francis Scarpaleggia |
M. Steven Shrybman |
M. Francis Scarpaleggia |
M. Steven Shrybman |
M. Francis Scarpaleggia |
M. Steven Shrybman |
M. Francis Scarpaleggia |
Le président |
M. Francis Scarpaleggia |
Le président |
M. Francis Scarpaleggia |
Mme Sarah Miller |
M. Francis Scarpaleggia |
M. Derek Stack |
M. Francis Scarpaleggia |
M. Derek Stack |
M. Francis Scarpaleggia |
Mme Elizabeth May |
M. Francis Scarpaleggia |
Mme Elizabeth May |
M. Francis Scarpaleggia |
Le président |
Mme Sarah Miller |
À | 1020 |
M. Derek Stack |
Le président |
L'hon. Bryon Wilfert (Richmond Hill, Lib.) |
Le président |
Mme Sarah Miller |
À | 1025 |
Le président |
M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD) |
Le président |
Mme Elizabeth May |
Le président |
M. Joe Comartin |
Mme Sarah Miller |
À | 1030 |
M. Derek Stack |
M. Joe Comartin |
M. Steven Shrybman |
M. Joe Comartin |
Mme Elizabeth May |
À | 1035 |
M. Joe Comartin |
Le président |
M. Joe Comartin |
M. Steven Shrybman |
M. Joe Comartin |
M. Steven Shrybman |
M. Joe Comartin |
Le président |
M. David McGuinty (Ottawa-Sud, Lib.) |
À | 1040 |
Le président |
Mme Sara Ehrhardt |
Le président |
Mme Elizabeth May |
Le président |
M. Brian Jean (Fort McMurray—Athabasca, PCC) |
À | 1045 |
Mme Elizabeth May |
À | 1050 |
Le président |
Mme Yasmin Ratansi (Don Valley-Est, Lib.) |
M. Steven Shrybman |
Mme Yasmin Ratansi |
Le président |
M. Christian Simard |
À | 1055 |
Mme Sarah Miller |
Le président |
Mme Elizabeth May |
Le président |
Á | 1100 |
Mme Elizabeth May |
Le président |
CANADA
Comité permanent de l'environnement et du développement durable |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le jeudi 18 novembre 2004
[Enregistrement électronique]
* * *
¿ (0905)
[Traduction]
Le président (M. Alan Tonks (York-Sud—Weston, Lib.)): Bonjour, chers collègues, bonjour, mesdames et messieurs. Conformément à l'article 108(2) du Règlement, nous reprenons l'étude sur l'Annexe de 2001 et ses répercussions. Nous remercions toutes les personnes qui se sont déplacées pour venir témoigner aujourd'hui.
Nous accueillons Elizabeth May, du Club Sierra du Canada; Sarah Miller, de l'Association canadienne du droit de l'environnement, Derek Stack, de l'Union Saint-Laurent--Grands Lacs, ainsi que Steven Shrybman et Sara Ehrhardt du Conseil des Canadiens.
Avez-vous décidé dans quel ordre vous comptez présenter vos exposés?
Mme Elizabeth May (directrice générale, Club Sierra du Canada): Monsieur le président, nous n'avons pas vraiment eu notre mot à dire sur la composition de notre groupe, aussi nous n'avons pas pris de décision à cet effet.
Des voix: Oh, oh!
Le président: Dans ce cas, je suppose que vous ne vous formaliserez pas si j'use d'un certain arbitraire à l'endroit de l'une ou l'autre organisation. Très bien. Alors, je suggère que quiconque est prêt à commencer le fasse, et que l'on décide ensuite au fur et à mesure de l'ordre des témoins.
Les membres du comité préféreraient que vous présentiez une version abrégée de votre exposé afin que nous puissions entamer ensuite un dialogue durant la période des questions.
Elizabeth.
Mme Elizabeth May: Monsieur le président, pouvez-vous nous donner une idée du temps dont nous disposons, étant donné que nous sommes quatre témoins et que nous ne défendons pas nécessairement des positions qui vont dans le même sens. Je veux seulement m'assurer que tous et chacun disposent des mêmes chances de présenter leur exposé, et bien entendu que les membres du comité aient eux aussi tous la chance de poser leurs questions. Donc, pourriez-vous nous dire de combien de temps nous disposons, et de cette manière, l'ordre de présentation n'aura pas beaucoup d'importance.
Le président: C'est juste.
Chaque personne ou organisation dispose d'environ 10 minutes, et nous passons ensuite à une première période de questions où chaque parti représenté au sein du comité se voit accorder 10 minutes. Ensuite, nous entamons une autre période de questions d'environ 5 minutes en adoptant sensiblement le même processus. Donc, vous avez 10 minutes.
Je vais commencer à droite, cette fois.
Madame May, voulez-vous commencer?
Mme Elizabeth May: Je n'ai pas l'habitude de me situer à droite, mais l'invitation venant de vous, monsieur le président, je m'incline.
Des voix: Oh, oh!
Mme Elizabeth May: Toutes mes excuses à M. Richardson.
Bonjour.
Premièrement, je tiens à dire que c'est un honneur de compter parmi nous l'ancien président de ce comité, l'honorable Charles Caccia, alors que nous amorçons notre première comparution devant le comité de ce nouveau Parlement. Je suis très heureuse de voir que le comité de l'environnement est formé d'un groupe aussi extraordinaire de députés, je vous en suis reconnaissante.
Je tiens aussi à vous dire d'entrée de jeu que notre comparution d'aujourd'hui est assez inhabituelle. En effet, règle générale, le Club Sierra du Canada est invité à se présenter devant le Comité permanent de l'environnement lorsqu'un projet de loi est à l'étude ou que le gouvernement l'a chargé de se pencher sur une question précise, et il nous arrive à l'occasion de comparaître devant le comité, mais toujours sur des questions que le comité a choisies lui-même d'examiner de près.
Je remercie tout particulièrement les membres de ce comité, parce que je sais que tous les partis ont dû s'entendre pour que l'Annexe de la Charte des Grands Lacs figure parmi les priorités qui sont à l'ordre du jour de vos travaux pour cette session du Parlement. Votre intervention sur cette question est cruciale, et nous vous sommes très reconnaissants de nous donner l'occasion de faire valoir notre point de vue. Nous vous savons gré également d'avoir entrepris une tâche assez ardue en essayant de démêler l'écheveau de cette question complexe que représente l'Annexe de la Charte des Grands Lacs.
Soit dit en passant, nous avons comparu lors des consultations publiques tenues par le gouvernement de l'Ontario concernant cette entente découlant de l'annexe qui est intervenue entre les huit États américains et les deux provinces canadiennes bordant les Grands Lacs. À cette occasion, le sénateur Jerry Grafstein s'est avancé au micro pour déclarer, “En tant que sénateur, j'ai pris l'habitude de procéder à un second examen objectif des projets de loi et des questions à l'étude en général. Je croyais que j'étais bien au fait de tout ce qui se passe dans les Grands Lacs, mais je ne pense pas que cette question ait seulement bénéficié d'un premier examen objectif, alors nous sommes loin du compte pour ce qui est du second“. Aussi, je pense que ce comité a entrepris un travail qui est très apprécié.
Vous avez devant vous le texte de notre exposé. Comme je ne dispose que de 10 minutes, je vais rapidement le passer en revue plutôt que de le lire au complet.
Bon nombre de mes collègues assis autour de cette table, de représentants du gouvernement et du secteur privé des deux pays ainsi que d'organisations non gouvernementales s'intéressent depuis pas mal de temps à cet accord, l'Annexe de la Charte des Grands Lacs. Au départ, tous ceux qui se sont engagés à trouver le meilleur système de protection pour les Grands Lacs étaient certainement remplis de bonne volonté. Il ne fait aucun doute que ces questions sont complexes, et que ceux qui se sont engagés à mettre au point ce qui est en fait un mécanisme autorisant les dérivations l'ont fait en ayant justement pour objectif de protéger les lacs contre ces dérivations. Vous constaterez, à la lecture de mon exposé, que le principal problème—ce qui est assez inhabituel pour une question environnementale—repose sur un malentendu, ou encore sur l'acceptation d'une prémisse fausse au départ, concernant les lois américaines. Aussi, à mon avis, c'est davantage une question d'ordre juridique qu'une question d'environnement qui nous a réunis ici.
La raison fondamentale ayant poussé des gens à se réunir pour négocier l'Annexe de la Charte des Grands Lacs est que l'on en est arrivé à la conclusion qu'il serait déraisonnable de maintenir le statu quo. Et aussi parce qu'aucune des mesures de protection des Grands Lacs, qu'elles aient été mises de l'avant dans le cadre du Traité des eaux limitrophes de 1909, par le Congrès américain et la Water Resources Development Act ou encore par divers accords intervenus entre le Canada et les États-Unis ou même qu'elles découlent des lois canadiennes, qu'aucune de ces mesures de protection donc ne serait suffisante pour protéger les Grands Lacs. C'est cette prémisse qui nous a tous réunis ici.
Nous sommes particulièrement rassérénés par la décision du ministre des Ressources naturelles de l'Ontario, l'honorable David Ramsay, qui a annoncé récemment que sa province n'était pas prête à signer cet accord dans sa forme actuelle. L'Attorney General de l'État du Michigan a fait des commentaires qui vont dans le même sens. Ce comité est particulièrement bien placé pour donner des avis éclairés, tant au Parlement du Canada qu'aux autres autorités qui s'efforcent de trouver le moyen d'améliorer le Compact ou l'accord dans sa version présente ou encore de recommencer depuis le début et d'adopter une toute nouvelle approche.
Permettez-moi d'aborder pour commencer nos préoccupations les plus fondamentales; je me trouve à la page 4 de notre document. Le premier point, et sans doute le plus important, comme beaucoup d'entre vous ont dû s'en rendre compte étant donné les réponses évasives des premiers témoins, est que les gouvernements dans leur ensemble ne disposent pas de renseignements suffisants pour prendre des risques avec l'hydrologie des Grands Lacs. En effet, il nous manque des données essentielles. La Charte des Grands Lacs de 1986 exigeait l'établissement d'un inventaire des utilisations de l'eau et des plans de conservation dans le bassin. Et pourtant, cela n'a pas encore été fait. La nécessité pour le grand public, et encore plus pour les décideurs, d'être complètement renseignés concernant les utilisations actuelles et les prélèvements effectués dans les Grands Lacs est incontestable.
¿ (0910)
Aucun accord ne devrait intervenir sans cette base essentielle de connaissances. C'est un sujet crucial sur lequel j'ai insisté lorsque je me suis adressée à Ralph Pentland, Jim Bruce et aux représentants d'Environnement Canada à diverses occasions devant ce comité; les membres du comité aussi ont posé des questions pour lesquelles ils n'ont pas encore eu de réponses.
Le deuxième niveau de préoccupations concerne les concepts sous-jacents de l'accord. Le but essentiel visé par cet accord et par l'Annexe est de créer un mécanisme visant à réglementer les utilisations et les dérivations de l'eau des Grands Lacs. En vertu de l'accord proposé, les demandes de dérivations seraient évaluées en fonction de huit critères, y compris des exigences relatives à l'élaboration de plans de conservation et l'évaluation des impacts cumulatifs importants de ces prélèvements, à la fois sur la quantité et la qualité de l'eau des Grands Lacs.
L'un des avantages de l'approche proposée est une plus grande transparence par rapport aux décisions qui sont prises actuellement en vertu de la loi américaine en vigueur, la Water Resources Development Act, ou encore par rapport aux décisions prises en vertu des lois en vigueur au Québec ou en Ontario. Parmi les autres améliorations proposées, il y a notamment celle voulant que les eaux souterraines des Grands Lacs soient visées au même titre que les eaux de surface. Cependant, le Club Sierra du Canada ne pense pas que ces améliorations sont des raisons suffisantes pour accepter l'accord dans sa forme actuelle.
Un examen attentif de la proposition nous apprend que, peu importe les intentions de départ, en pratique, l'accord pourrait faciliter les dérivations de l'eau des Grands Lacs. Plus précisément, l'accord n'impose aucune limite quant à la quantité d'eau qui serait détournée, aucune limite à la durée de ces dérivations, ni aucune restriction concernant le type d'utilisation qui serait faite de l'eau ou même la zone géographique à desservir.
D'après nous, l'accord semble aller à l'encontre de la recommandation de la Commission mixte internationale, la CMI. En passant, lorsque le très honorable Herb Gray est venu témoigner devant vous, il a dit que la Commission poursuivait son analyse et qu'elle n'était pas encore arrivée, dans son ensemble, à une conclusion définitive. Mais d'après l'étude que nous en avons effectuée, il nous semble que l'accord va à l'encontre des recommandations de la CMI.
Maintenant, pour en revenir au fondement juridique de l'approche adoptée par l'accord, on peut dire qu'il repose sur des avis juridiques sujets à caution. Ces avis n'emportent pas l'adhésion de tout le monde. De fait, la Commission mixte internationale en est arrivée à une conclusion entièrement différente. Par exemple, le document sur lequel on s'appuie, et auquel je me réfère, est l'avis juridique fourni par Lochhead et collègues, des avocats à l'emploi de deux cabinets, Brownstein, Hyatt & Farber à Denver, et Davies, Ward & Beck à Toronto. Ces avocats ont rédigé cet avis le 18 mai 1999 à la demande du Conseil des gouverneurs des Grands Lacs. Dans cet avis, on passe sous silence ce qui pourrait advenir dans l'éventualité d'un différend au sein de l'Organisation mondiale du Commerce concernant l'eau des Grands Lacs.
Nous pensons qu'en ne tenant pas compte de l'ALENA, cet avis juridique a fait une très grave erreur. Il est en effet à prévoir qu'il y aura des différends au sujet de l'eau, et il y en a déjà eus, et je pense que l'un des membres du comité a déjà demandé à Peter Fawcett, des Affaires étrangères du Canada, lorsqu'il est venu témoigner, ce qu'il adviendrait dans le cas de l'affaire SunBelt en vertu de l'ALENA. Nous savons qu'il ne se passe pas grand-chose dans l'affaire SunBelt, mais ce qui nous préoccupe vraiment, c'est plutôt le chapitre 11 de l'ALENA, parce qu'on y traite l'eau comme s'il s'agissait d'un bien au Canada. Cet avis juridique n'a pas tenu le moindrement compte des dispositions de l'ALENA. Et pourtant, c'est en vertu de l'ALENA que, dans nos deux pays, l'on ouvrira les robinets sur tous les cours d'eau, et pas seulement les Grands Lacs, si jamais le mécanisme de protection des Grands Lacs devait par inadvertance considérer l'eau à l'état naturel comme un bien commercialisable.
Et bien pire encore, cet avis juridique émanant d'une firme de Denver en arrive à la conclusion boiteuse et mal documentée que l'eau à l'état naturel, dans le bassin des Grands Lacs, est d'ores et déjà une marchandise. Cette opinion complètement erronée et dangereuse repose sur la jurisprudence américaine ayant trait aux restrictions imposées au commerce des eaux souterraines à la lumière de deux affaires qui portaient sur des différends relatifs à l'eau entre le Nebraska et un État adjacent et entre le Nouveau-Mexique et le Texas. Plutôt que d'établir une distinction logique entre ces affaires en se fondant sur le fait que le bassin des Grands Lacs est assujetti à un traité international, que la CMI existe et qu'il y a déjà des lois en vigueur aux États-Unis, les avocats-conseils se contentent d'affirmer ce qui suit: “L'eau du bassin des Grands Lacs est encore plus susceptible d'être tenue pour un objet de commerce que les eaux souterraines du Nebraska ou du Nouveau-Mexique“.
Ils n'ont cité à l'appui de cette affirmation aucune jurisprudence. Ils ne s'appuient sur aucune analyse plus approfondie que ces quelques paragraphes que je cite dans le document que je vous ai distribué, de sorte que cet avis juridique extraordinairement audacieux ne repose sur aucune référence juridique, aucune citation, et encore moins sur des données d'ordre biologique ou écologique.
Telle est ma conclusion, mais il me semble que tout ce gâchis que représente l'Annexe de la Charte des Grands Lacs ne repose que sur quelques malheureux paragraphes issus de la conclusion d'un avis juridique produit par deux firmes. C'est afin de remplir les conditions établies par ce seul avis juridique que le château de cartes que représente l'Annexe de la Charte des Grands Lacs a été construit. Si jamais on a eu besoin d'un deuxième avis, c'est bien dans cette circonstance.
Je vais examiner toutes ces cartes, une à la fois, et essayer de vous faire part de nos recommandations avant que mon 10 minutes ne soit écoulé.
¿ (0915)
Vous avez beaucoup entendu parler de la norme relative à l'amélioration de la ressource par les autres témoins, aussi pour sauver du temps, je me contenterai de dire que je partage leurs préoccupations. Je pense que Ralph Pentland a bien résumé la question en demandant à combien de seaux d'eau on évalue une douzaine de canards.
C'est l'avertissement comme quoi il me reste une minute? Bon, j'en viens tout de suite à mes recommandations.
Le Club Sierra du Canada est d'avis que l'on ne peut pas approuver la version préliminaire de l'annexe, mais nous reconnaissons aussi qu'il serait déraisonnable de penser que le statu quo est suffisant pour protéger les Grands Lacs contre les dérivations. L'objectif que représente la formulation d'accords et de conventions applicables, faciles à mettre en oeuvre et défendables sur le plan juridique afin de nous assurer que la quantité ou la qualité de l'eau des Grands Lacs n'est pas érodée est à notre portée, mais il n'est pas encore atteint.
Des négociations de cette envergure ne devraient pas se voir imposer des restrictions temporelles externes. Les gouvernements du Canada et des États-Unis ainsi que la Commission mixte internationale devraient disposer de suffisamment de temps pour pouvoir offrir leurs conseils juridiques et scientifiques. Comme le comité l'a déjà souligné, il n'existe aucune indication claire comme quoi le Conseil des gouverneurs des Grands Lacs sera toujours prêt à accepter le point de vue du gouvernement fédéral canadien après la période de temps extrêmement limitée accordée au public pour fins d'examen. Si la volonté politique de protéger les lacs existe vraiment, alors le Conseil des gouverneurs des Grands Lacs doit poursuivre son analyse de cette ébauche d'annexe, s'appuyer sur des principes écologiques, et ne pas se laisser impressionner par une poignée d'avis juridiques émanant de cabinets privés.
L'élaboration de l'accord visant la mise en oeuvre de l'annexe doit d'inspirer du principe de précaution, qui jusqu'ici n'a été mentionné dans aucun des documents qui vous ont été soumis. Par conséquent, nous demandons avec insistance au comité de demander au gouvernement fédéral de s'affirmer davantage. La question de la protection des Grands Lacs mériterait de figurer à l'ordre du jour du programme binational avec les États-Unis. La visite prochaine du président des États-Unis serait une occasion très favorable de faire valoir cette opinion.
Il faut faire savoir au Conseil des gouverneurs des Grands Lacs que l'ébauche actuelle du Compact et de l'accord ne doivent pas être adoptés. Les gouvernements fédéraux du Canada et des États-Unis, de même que les gouvernements des provinces et des États bordant les Grands Lacs, devraient s'engager à entreprendre les travaux suivants avant de négocier tout nouvel instrument réglementaire visant à empêcher les dérivations.
En résumé, les quatre choses que nous demandons avant que l'on accepte tout nouvel accord sont les suivantes: premièrement, l'inventaire est essentiel et il doit être réalisé. Deuxièmement, on devrait créer une commission juridique formée d'un avocat-conseil principal pour le Canada et d'un pour les États-Unis en vue d'examiner ces questions d'une manière plus impartiale et d'évaluer dans quelle mesure le droit constitutionnel américain, et plus particulièrement la Clause sur le commerce, constitue véritablement une menace pour l'eau comme l'a suggéré le cabinet d'avocats de Denver. Troisièmement, nous pensons que la CMI devrait disposer d'une commission scientifique qui permettrait de mieux informer le débat actuel. Enfin, certains éléments existants dans le Compact et l'accord, et particulièrement en ce qui a trait à la conservation, à la consommation et à la protection de l'eau, pourraient être négociés à l'échelle des États et des provinces, tandis que la question des dérivations pourrait être du ressort des gouvernements fédéraux de chaque pays et on devrait s'assurer qu'aucune dérivation—aucune dérivation—est la position adoptée par toutes les autorités ayant le mandat de protéger les Grands Lacs.
Je vous remercie, monsieur le président.
¿ (0920)
Le président: Merci, madame May. Nous apprécions vos commentaires.
Nous allons passer immédiatement à Mme Miller. Madame Miller, voulez-vous commencer?
Mme Sarah Miller (coordonnatrice/recherchiste, Association canadienne du droit de l'environnement): En fait, Derek Stack et moi-même allons présenter notre exposé ensemble, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, et c'est Derek qui va commencer.
[Français]
M. Derek Stack (directeur exécutif, Union Saint-Laurent, Grands Lacs): Je remercie les membres du comité de nous avoir invités.
[Traduction]
Avant d'aborder le discours et le texte qui ont été préparés, j'aimerais insister sur quelques points.
Premièrement, comme l'a fait valoir le commissaire Gray lors de son témoignage, il y a autant d'avis juridiques qu'il y a d'avocats. Les honorables membres du comité ont devant eux aujourd'hui des avis juridiques qui ne tiennent pas compte des impacts qu'il y aurait sur la conservation si on n'adoptait pas l'annexe—pas dans sa forme actuelle, bien entendu; évidemment, sous la forme d'accords améliorés—et franchement, étant donné que ces avis juridiques ne tiennent même pas compte des aspects liés à la conservation, les groupes environnementaux que nous représentons, l'Union du Saint-Laurent--Grands Lacs et l'ACDE remettent leur utilité en question.
[Français]
L'Association canadienne du droit de l'environnement est une clinique d'aide juridique d'intérêt public qui offre des services juridiques et de représentation à la population et dont le mandat s'étend au droit de l'environnement et à la réforme des politiques environnementales.
Fondée en 1982, l'Union Saint-Laurent--Grands Lacs est une coalition internationale vouée à la préservation et à la restauration de l'écosystème des Grands Lacs et du fleuve Saint-Laurent.
Les deux organismes participaient déjà, en 1984, à des efforts en vue de renforcer la Charte des Grands Lacs et ils étaient au nombre de ceux qui se sont opposés à chacune des sept propositions des États-Unis de prélèvement et de dérivation massifs et dommageables venant du côté américain des Grands Lacs, à la suite de la signature de la Charte en 1985. Nous nous sommes également opposés de façon active aux deux projets importants de prélèvement en Ontario depuis l'établissement de la Charte, la proposition du canal Great Recycling and Northern Development et une proposition pour la dérivation de l'eau de la baie Georgienne vers la région de York. En 1998, l'ACDE et l'USGL ont obtenu un droit d'intervention à la Cour d'appel de l'Ontario. L'appel visait à considérer le permis accordé par la province de l'Ontario au groupe Nova pour l'exportation d'eau en vrac dans des navires-citernes des eaux canadiennes du lac Supérieur vers l'Orient. À la suite de négociations avec le gouvernement de l'Ontario, ce permis a été retiré avant qu'on ne crée un dangereux précédent.
Dans notre publication de 1997 intitulée The Fate of the Great Lakes--Sustaining or Draining of Sweetwater Sea?, nos organismes ont fait la chronique des problèmes continus affectant la gestion des eaux des Grands Lacs après l'instauration de la Charte des Grands Lacs. Voici quelques-unes des conclusions de ce rapport.
Les décisions relatives aux propositions de dérivation de l'eau entre 1985 et 1997 étaient strictement politiques et n'assuraient pas la protection de l'environnement.
Malgré le fait que les provinces ont reçu des avis des États-Unis au sujet de dérivations supérieures à cinq millions de gallons, elles n'ont pas joué un rôle direct dans le processus décisionnel pour ces dérivations.
Le rapport a prédit avec exactitude que les collectivités établies à proximité des limites du bassin des Grands Lacs, mais à l'extérieur de ces limites, se tourneraient vers les Grands Lacs pour leur approvisionnement futur en eau.
Après avoir signé la Charte des Grands Lacs, les États et les provinces ont fait peu d'efforts pour réduire la consommation et les pertes d'eau dans le bassin des Grands Lacs.
Les États des Grands Lacs n'ont peut-être pas le pouvoir nécessaire pour refuser les demandes des États assoiffés du sud-ouest des États-Unis.
La cueillette des données relatives à la consommation d'eau de la région est inégale et incompatible, et elle n'a pas permis d'obtenir des données scientifiques fiables au sujet des impacts cumulatifs et individuels des volumes d'eau déjà prélevés des Grands Lacs.
La demande pour les eaux du bassin continue à augmenter, et nous devrons gérer cette demande avec des mesures de conservation.
Notre rapport a conclu qu'il serait déraisonnable de maintenir le statu quo. C'est pour cette raison que nos organismes ont participé, au cours des trois dernières années, à des travaux d'un comité consultatif formé de représentants, des gouverneurs et des premiers ministres chargés des négociations pour les ententes préliminaires sur l'annexe. C'est également la raison pour laquelle nous continuerons de travailler à renforcer les deux projets d'accord relatifs à l'Annexe 2001.
Nous sommes d'accord avec le gouvernement de l'Ontario quant au fait que le maintien du statu quo ne constitue plus une option. Même si les gouvernements de l'Ontario et du Québec et le gouvernement fédéral du Canada ont pris des mesures pour éviter des dérivations à partir du côté canadien, nous devons continuer à nous impliquer afin de nous assurer qu'une protection est mise en place du côté américain des Grands Lacs.
¿ (0925)
[Traduction]
Aussi, avant que Sarah n'aborde la question du gouvernement fédéral canadien, j'aimerais parler de la possibilité de séparer la question des dérivations de celle des négociations entourant l'annexe. Bien entendu, des intérêts politiques, industriels et commerciaux sont représentés à la table des négociations entourant l'annexe, parce que ces intérêts espèrent conserver l'eau des Grands Lacs dans le bassin pour leurs propres utilisations industrielles et politiques. Si on enlève la question des dérivations, il se pourrait que ces représentants quittent la table, et les questions de conservation, de bonne gestion de l'eau et entourant les mécanismes d'allocation dans des États tels que le Michigan, où ces mécanismes font cruellement défaut, ont bien des chances d'être abandonnées et la perspective régionale dans l'approche de l'écosystème concernant l'utilisation de l'eau dans le bassin des Grands Lacs serait mise en péril.
Mme Sarah Miller: Merci beaucoup de m'avoir invitée à témoigner. J'ai aussi l'intention de modifier mon exposé parce que j'ai lu la transcription des débats, au moins des deux premières journées d'audience, et je sais que bon nombre de sujets que je voulais traiter ont déjà été abordés par l'honorable Herb Gray et dans les témoignages de représentants du gouvernement.
Même si je suis de l'Association canadienne du droit de l'environnement, je ne suis pas avocate. L'association que je représente s'intéresse à cette question depuis 1984 parce que nous voulions voir adopter un ensemble de principes environnementaux juridiquement contraignants qui nous mettraient sur la voie en vue de la mise en place d'une culture de la conservation dans le bassin des Grands Lacs. Près de 20 ans après la signature de la Charte, je ne pense pas que l'on ait seulement amorcé le travail en ce sens, dans le bassin, et c'est la principale raison de notre participation à ces discussions.
À la suite de la proposition du groupe Nova, l'ACDE et l'USGL étaient prêtes à aller en appel mais, comme vous le savez, le gouvernement fédéral a réagi très vigoureusement en adoptant une stratégie en trois volets. On a tenté de conclure des accords entre le fédéral et les provinces, sans grand succès, mais on a néanmoins réussi à renforcer le régime des lois en Ontario et au Québec en matière de gestion de l'eau. Et on a sollicité l'intervention de la CMI, dans le cadre d'un processus de renvoi.
De mon point de vue, étant donné que je fais partie du comité consultatif sur l'annexe--et j'espère que vous aurez beaucoup de questions à me poser à ce sujet, parce que depuis trois ans, je pense avoir participé plus intensivement que d'autres à une partie des négociations, même si elles se sont déroulées à l'extérieur des cadres--je pense que les autorités ont l'impression d'avoir véritablement réagi aux recommandations de la CMI, et que leurs efforts dans le cadre de l'annexe visent à mettre en oeuvre les recommandations qui consacrent la protection des Grands Lacs. Si vous prenez les recommandations de 2000 dans le renvoi et si vous jetez un coup d'oeil à l'annexe, vous verrez des clauses qui visent à réagir directement aux recommandations. L'annexe ne peut pas mettre en oeuvre toutes les recommandations de la CMI, parce que certaines questions, comme celle des espèces envahissantes et du changement climatique, nécessitent des efforts beaucoup plus poussés.
Nous avons pour objectif de protéger la totalité du bassin des Grands Lacs. Lorsque le Traité sur les eaux limitrophes de 1909 a créé la CMI et établi la hiérarchie des utilisations, l'environnement ne constituait pas vraiment un facteur à l'époque, aussi, il n'est pas inclus dans la hiérarchie. À cette époque, on comprenait mal l'importance des eaux souterraines du bassin des Grands Lacs. Aussi, comme vous l'a déjà déclaré Herb Gray, les limites établies par les modifications apportées au Traité sur les eaux limitrophes ne visent véritablement que les eaux de surface du côté canadien du bassin des Grands Lacs. Par ailleurs, la WRDA ne vise pas les eaux souterraines aux États-Unis. Aussi, le renvoi de la CMI expliquait très clairement qu'il y aurait beaucoup de travail à accomplir en ce qui concerne les eaux souterraines dans le bassin des Grands Lacs si l'on voulait s'assurer de protéger la totalité du bassin.
Je vous recommande aussi de lire un document réalisé par la Commission des Grands Lacs, un document-cadre réalisé à l'intention des décideurs dans lequel on examine de près l'état de la science concernant le bassin des Grands Lacs sur toutes ces questions. Elle a également recueilli des données éparses fournies par chacune des autorités compétentes depuis l'avènement de la Charte des Grands Lacs. C'est donc un document qui décrit assez succinctement ce qu'il reste à faire.
Nous pensons que l'Annexe de la Charte des Grands Lacs réussit à combler certaines lacunes, parce qu'elle prévoit d'englober les eaux souterraines.
¿ (0930)
Autour de la table de négociation, on sent l'intention d'examiner une nouvelle définition, peut-être à long terme, des limites du bassin des Grands Lacs. Nous avons entendu parler de Waukesha et du fait qu'au Wisconsin on pompe l'eau du bassin des Grands Lacs à un tel rythme que le niveau du lac Michigan a baissé. Mais cela s'explique sans doute, selon les scientifiques, par le fait que les eaux souterraines sont dans le bassin des Grands Lacs. Aussi, au fur et à mesure que nos connaissances sur le plan scientifique se raffineront, je pense que nous allons constater que les limites du bassin des Grands Lacs pourraient changer.
Les lacunes dans la WRDA rendent la région vulnérable, et je pense que cela veut dire aussi que l'Ontario et le Québec doivent participer aux discussions entourant ces vulnérabilités aux États-Unis.
Dans le cadre de la Charte des Grands Lacs, nous avons surveillé toutes les demandes visant à effectuer des prélèvements dommageables et des dérivations à partir du bassin des Grands Lacs, et nos organisations ont rédigé des lettres à cet effet. Nous avons collaboré avec le gouvernement de l'Ontario, souvent en nous opposant à bon nombre de ces propositions, et cette collaboration figure dans le compte rendu. Mais ce qui s'est produit essentiellement jusqu'à maintenant dans le cadre des consultations tenues en rapport avec la Charte, c'est que l'on nous avise, mais qu'il n'y a pas de forum auquel nous pourrions participer. Il n'y a pas de tables de discussion en Ontario et au Québec auxquelles nous aurions pu participer. Et, fait important, il n'y a pas de mécanismes destinés à protéger l'environnement.
L'une des idées fausses que l'on se fait au sujet de l'Annexe, et que j'aimerais vous mentionner, est que l'examen régional aura un impact décisif sur une proposition. C'est faux. Il y a une intention de travailler en concertation, d'examiner les propositions à la lumière de la norme régissant la prise de décision qui est établie à la fois dans le Compact et dans l'annexe. Une recommandation visant à établir si oui ou non la proposition est cohérente avec la norme régissant la prise de décision sera ensuite transmise à l'autorité compétente, mais la responsabilité ultime de la décision appartient toujours à l'autorité de départ, c'est-à-dire celle qui est à l'origine de la proposition de dérivation ou de consommation.
Par conséquent, comme pour la CMI, l'élaboration de l'approche relative à l'écosystème repose en partie sur une volonté réelle de mettre en place un mécanisme de concertation. Comme l'a dit Derek, l'enjeu est le suivant: si nous ne jouons pas notre rôle, le Québec et l'Ontario ne seront pas présents à la table de négociation et continueront d'être tenus en marge des décisions, et nous ne pourrons toujours pas faire valoir notre point de vue.
J'aimerais ajouter, étant donné que nous avons collaboré étroitement avec l'Ontario sur cette question, que cette province prêche par l'exemple dans le bassin des Grands Lacs, puisqu'elle a adopté le programme le plus rigoureux et le plus protecteur en ce qui concerne l'examen de l'allocation des ressources en eau. À l'heure actuelle, on examine toutes les demandes pour des quantités inférieures à 20 000 litres, c'est-à-dire 13 800 gallons. Cette quantité correspond aux besoins d'une exploitation agricole de taille moyenne. Donc, on sait exactement ce qui se passe en ce qui concerne les prélèvements d'eau de cette envergure. Cela va bien au-delà de ce que toutes les autres autorités des Grands Lacs sont seulement prêtes à envisager, comme vous pouvez le voir avec les chiffres sur le niveau de déclenchement.
Je pense que l'on se trompe en disant que la version préliminaire de l'annexe est sortie sous pression, parce que le gouverneur Engler, lorsqu'il a annoncé la diffusion de l'annexe, a accordé un délai de trois ans... en réalité, cette annexe est vraiment une simple ébauche. Je peux vous l'affirmer parce que j'ai assisté aux réunions de lundi et de mardi et qu'il m'est impossible de vous dire à quoi les prochaines versions vont ressembler, parce que les membres du comité consultatif n'arrivent pas à s'entendre.
La nature des négociations est telle que nous ignorons quel est le rôle des négociateurs au sein du comité consultatif. Ils se contentent de lancer des idées juste avant la réunion du comité, et les membres doivent ensuite y réagir, mais je n'ai jamais vu le texte complet de l'ébauche avant que tout le monde en prenne connaissance en juillet de cette année.
¿ (0935)
Mais la plupart des membres du comité consultatif sont de très gros utilisateurs du bassin des Grands Lacs et ils sont appelés à relever des défis énormes et à assumer des responsabilités financières considérables. Ils pensent que les normes sont des freins importants à la consommation de l'eau dans le bassin des Grands Lacs. Le Council of Great Lakes Industries a estimé lors de la réunion qu'il en coûterait à un demandeur quelque chose comme 445 000 $ et un million de dollars seulement pour rédiger les propositions en vue d'obtenir une dérivation—et il n'est pas encore question de la mettre en oeuvre.
Aussi, nous pensons que les normes environnementales sont rigoureuses et qu'elles serviront de facteurs dissuasifs. Le simple fait que 10 autorités auront les yeux braqués sur les propositions est un facteur dissuasif.
Je vais m'arrêter ici.
M. Derek Stack: Nos principales recommandations se trouvent à la page 9, pour ceux d'entre vous qui aimeraient en prendre connaissance. Nous ne sommes pas en faveur de l'adoption de l'annexe dans sa version préliminaire; nous avons fait beaucoup de recommandations en vue de l'améliorer. Vous trouverez à la page 9 le résumé de ces recommandations.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Stack.
Monsieur Shrybman, voulez-vous poursuivre?
M. Steven Shrybman (avocat-conseil, Conseil des Canadiens): Sara va commencer, et nous allons nous partager notre période de 10 minutes.
Mme Sara Ehrhardt (chargé de campagne nationale de l'eau, Conseil des Canadiens): Permettez-moi d'abord de vous remercier de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. Je vais prendre quelques minutes pour vous décrire les préoccupations des citoyens en ce qui concerne l'annexe et aussi pour vous mentionner brièvement quelques éléments qui étaient absents de la transcription des débats.
Le Conseil des Canadiens est le plus grand groupe de défense de l'intérêt public au pays, avec 100 000 membres aux quatre coins du Canada. Depuis 1999, nous déployons des efforts en vue de stopper les dérivations de l'eau, la privatisation de l'eau ainsi que l'exportation de l'eau en vrac; et nous avons demandé au gouvernement fédéral de reconnaître l'eau à titre de droit humain, d'élaborer une nouvelle politique nationale en matière de gestion de l'eau et de protéger toutes les eaux canadiennes contre les dérivations et les menaces commerciales.
[Français]
Je veux aussi mentionner que le Conseil des Canadiens est membre de la Coalition Eau secours!, une coalition québécoise pour la gestion responsable de l'eau. Plusieurs représentants de la coalition ont participé aux consultations avec le gouvernement du Québec et ont aussi manifesté plusieurs inquiétudes importantes.
[Traduction]
Cette année, le Conseil des Canadiens a demandé à la maison Ipsos-Reid de tenir un sondage qui lui a permis de conclure que 97 p. 100 des Canadiens interrogés étaient en faveur de la reconnaissance de l'eau à titre de droit humain.
Malgré les menaces que représentent les exportations massives d'eau, le changement climatique, les récents scandales relatifs à l'eau potable et malgré les rapports produits par le gouvernement lui-même, comme le rapport publié en 2003 par l'Institut national de recherche sur les eaux concernant les menaces qui planent sur l'eau douce au Canada--en dépit de tout cela, le gouvernement fédéral a fait fi des préoccupations des Canadiens en refusant de moderniser la politique fédérale en matière de gestion de l'eau de 1987 et de prendre des mesures concernant les enjeux liés à l'eau à l'échelle nationale.
Aujourd'hui, le Conseil des Canadiens demande au gouvernement fédéral de prendre immédiatement des mesures pour condamner l'annexe et pour mettre un frein aux dérivations de l'eau des Grands Lacs. Nous exigeons que le gouvernement fédéral affirme son autorité sur les Grands Lacs et qu'il fasse tout en son pouvoir pour protéger les eaux frontalières contre les menaces que représentent les dérivations.
Enfin, je n'ai vu aucune mention des Premières nations dans les transcriptions. Lors des consultations tenues par les gouverneurs au Canada, les chefs de l'Ontario et les membres de l'Union of Ontario Indians ont vigoureusement critiqué les relations entre les gouvernements au sujet de cet accord. Je ne peux pas parler au nom des Premières nations, mais il est évident qu'il faudrait tenir davantage de consultations auprès de tous les Canadiens, et plus particulièrement avec les représentants des Premières nations étant donné qu'ils possèdent des droits exclusifs en matière de consultation et de gouvernance.
¿ (0940)
M. Steven Shrybman: Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs.
Nous divergeons d'opinion, moi et mes deux amis qui représentent l'Association canadienne du droit de l'environnement et l'Union Saint-Laurent--Grands Lacs. J'ai été le conseiller juridique de l'ACDE durant des années. Permettez-moi tout d'abord de dire que nous avons davantage de points communs que de sujets de dissension. Naturellement, la nécessité de préserver l'intégrité écologique des Grands Lacs et les pierres angulaires de la politique environnementale, comme le principe de précaution, sont des valeurs que nous avons en commun. Nous admirons et respectons beaucoup l'engagement qu'ont pris l'ACDE et l'USGL de protéger les Grands Lacs. Je ne pense pas qu'aucune autre organisation environnementale ait fait autant que ces deux associations ou puisse même leur faire concurrence sur ce point. Par conséquent, notre divergence de vues porte davantage sur la stratégie que sur les principes fondamentaux auxquels nous adhérons tous.
Je vais seulement faire valoir trois points devant vous aujourd'hui. Je suis l'un des auteurs de cet avis juridique par lequel vous ne devriez pas trop vous laisser impressionner, selon Elizabeth May. Mais, en ce qui me concerne, marquer un grand respect aurait été suffisant!
Voici les points que j'aimerais soulever. Premièrement, le gouvernement fédéral a bien réagi lorsqu'il s'est prononcé sur l'annexe au début de 2001. Il ne m'arrive pas souvent de faire l'éloge du gouvernement fédéral et de son engagement à l'égard de la politique en matière de conservation et d'environnement, mais cette fois, le gouvernement a soulevé deux préoccupations fondamentales, et je vous recommande fortement de prendre connaissance de ses remarques. Je suis sûr que vous les avez lues. Elles sont datées du 28 février 2001. La réponse du gouvernement à l'annexe était que, premièrement, la norme proposée pour les dérivations était trop permissive et qu'elle allait ouvrir la porte aux prélèvements massifs et à grande distance de l'eau du bassin. Deuxièmement, il s'est aussi inquiété du fait que la mise en oeuvre de l'annexe pouvait “entrer en conflit“, pour utiliser ses propres termes, avec le Traité des eaux limitrophes, sapant ainsi le rôle de la CMI.
Nous pensons que ces deux points ont été bien rendus. Cependant, les gouvernements des provinces et les gouverneurs n'en ont pas tenu compte. Pour ce qui est de la norme qui serait trop permissive, il s'agit d'un régime visant à faciliter les dérivations sans pour autant imposer de plafond à la quantité d'eau qui peut être prélevée dans le bassin, sans fixer de limites géographiques à la distance sur laquelle l'eau peut être prélevée, sans imposer de limite temporelle à ces dérivations et aussi sans préciser à quelles fins ces dérivations sont susceptibles d'être utilisées. Nous aussi sommes d'avis que la norme est trop permissive.
Quant à l'éventuel conflit susceptible de survenir entre le Compact, en particulier, et le Traité sur les eaux limitrophes, nous pensons que ces préoccupations ont été bien rendues aussi. Dans l'article III du Traité sur les eaux limitrophes, on prévoit que la CMI devra approuver les dérivations qui, selon la formule “influen[cent] le débit ou le niveau... des eaux limitrophes de l'autre côté de la frontière“. Si on examine l'approche adoptée par le projet de loi C-6 sur cette question, il est clair que l'on fait référence au traité; il semble que toute dérivation de l'eau à partir des Grands Lacs entraîne cette conséquence, ce qui revient à asseoir l'autorité de la CMI. Il est vrai que le Compact fait référence au Traité des eaux limitrophes, mais il le fait à l'intérieur d'un régime entièrement parallèle, y compris un processus d'appel entièrement différent du rôle joué par la CMI dans le processus. C'est très problématique. Je pense que le gouvernement fédéral avait bien saisi la situation.
Mon deuxième point porte sur les échanges commerciaux, qui sont soit dit en passant mon domaine d'expertise, et je n'ai que deux choses à dire à ce sujet. La première est que les questions commerciales sont importantes lorsque l'on veut façonner une politique gouvernementale et une loi ayant trait à la conservation de l'eau des Grands Lacs, mais pas pour les raisons ayant entraîné la création du Compact. Il ne s'agit pas de l'OMC. Il y a très peu de chances pour qu'une autre nation conteste ce Compact ou les lois canadiennes sur la conservation de l'eau, mais il en va autrement d'une revendication présentée par un investisseur étranger dans le cadre de l'ALENA.
Il y a deux choses fondamentalement différentes avec l'ALENA. La première est que les entreprises privées peuvent faire appliquer les règles régissant les investissements.
L'autre chose extrêmement importante est que l'exception prévue dans le GATT et par l'OMC au titre de la conservation ne s'applique pas aux allégations présentées par un investisseur étranger ou par un fournisseur de services étranger dans le cadre de l'ALENA. En effet, la conservation n'est pas une excuse reconnue en vertu de l'ALENA. Il est impossible de justifier une mesure qui nuit aux droits des investisseurs ou des fournisseurs de services étrangers sous prétexte qu'elle est nécessaire pour des motifs de conservation. On a rédigé cette exception fondamentale de l'OMC à partir de l'ALENA.
¿ (0945)
Le troisième point est que tout le monde s'entend pour dire que le cadre actuel est inadéquat. On nous rappelle que le Traité sur les eaux limitrophes ne tient pas compte des eaux souterraines, qu'il ne vise pas non plus les tributaires des Grands Lacs et qu'il ne consacre pas le principe de précaution. Tout cela est vrai.
La solution, à notre avis, consiste à renforcer le cadre juridique international en ce qui a trait à la gestion des ressources canadiennes en eau. C'est en dernier ressort à ce niveau qu'il faut intervenir pour nous assurer que les politiques en matière de conservation et d'environnement prennent le pas sur les droits des investisseurs et des fournisseurs de services étrangers, ainsi que sur les objectifs du libre-échange.
Il faut renforcer la loi afin qu'elle s'applique complètement à toute l'eau qui se trouve dans le bassin. Il faut renforcer le cadre juridique afin d'établir une approche binationale concernant le règlement de ces problèmes, et pas seulement une approche qui concerne les provinces et les États, qui ont un important rôle à jouer, mais ce rôle doit céder le pas aux prérogatives souveraines des États-Unis et du Canada. Lorsqu'il est question de l'eau, le gouvernement fédéral possède une autorité incontestable dont la plus importante caractéristique est, dans le cas présent, la possibilité de négocier des traités internationaux contraignants juridiquement.
C'est, à notre avis, la bonne solution. Le type d'entente ayant été négociée entre les gouverneurs et entre les gouverneurs et les provinces est un important complément en vue de renforcer ce cadre juridique, mais tant que nous n'aurons pas pris les moyens, l'eau canadienne sera exposée à des risques, la souveraineté canadienne sera exposée à des risques, et même, elle sera sapée par cette initiative plutôt que de s'en trouver renforcée.
Merci beaucoup.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Shrybman.
Merci à tous les témoins. Je cède maintenant la parole aux membres du comité.
Monsieur Richardson, voulez-vous commencer, s'il-vous-plaît?
M. Lee Richardson (Calgary-Centre, PCC): Merci, monsieur le président, je ne prendrai qu'une minute étant donné que nous n'avons pas beaucoup de temps.
Permettez-moi d'abord de m'excuser auprès de nos témoins pour le peu de temps qui leur a été alloué pour présenter leurs exposés, et aussi pour rédiger leur documentation écrite qui s'est révélée très utile.
Je tiens particulièrement à remercier Mme May pour la description complète et rigoureuse de ce programme. Je ne m'étendrai pas sur le sujet, mais je l'ai trouvé très utile et très instructif.
Monsieur le président, j'aimerais céder la parole à M. Watson qui est le spécialiste de cette question pour notre parti et dont la circonscription se trouve justement dans les Grands Lacs.
Jeff, voulez-vous poursuivre?
M. Jeff Watson (Essex, PCC): Bien sûr! Eh bien, c'est ce qui s'appelle de la considération! Je remercie mon collègue.
Merci à tous les témoins pour vos exposés. Je suis moi aussi désolé que vous n'ayez pas eu plus de temps pour vous exprimer alors que nous approchons de la conclusion sur cette question. Mais c'est un sujet incroyablement important, et il est certain que nous le reconnaissons nous aussi.
Maintenant, j'aimerais obtenir des précisions concernant vos divergences. Madame May, dans l'une de vos recommandations--la septième, à la page 5 de votre document. Il est question d'améliorer le processus d'approbation de l'organisme régional, si j'ai bien compris. Si l'on renforce cet organisme régional, tel qu'il est proposé, que se passera-t-il avec le rôle de la CMI?
Mme Elizabeth May: Je ne suis pas sûre que vous fassiez référence à mon document.
¿ (0950)
M. Jeff Watson: Me suis-je trompé d'organisation?
Mme Elizabeth May: Nous n'avons aucun lien avec le Sierra Legal Defence Fund.
M. Jeff Watson: Mon Dieu, je me suis trompé de témoin, et je n'ai pas la bonne recommandation sous les yeux. Toutes mes excuses. J'espère que cette fois je m'adresse à la bonne personne.
Vous croyez que le Compact proposé aura pour effet d'affaiblir les interventions du gouvernement fédéral américain. Qu'en est-il de l'ALENA?
Je veux parler plus précisément des contestations indépendantes présentées par les organisations non gouvernementales en ce qui concerne le traitement de l'eau comme s'il s'agissait d'un objet de commerce ou d'une marchandise. Il se peut que le Compact affaiblisse les interventions du gouvernement fédéral, mais que se passera-t-il avec les organisations non gouvernementales indépendantes--les entreprises, les sociétés ou peu importe--dans le cadre de l'ALENA?
M. Derek Stack: Je pense qu'en ce qui concerne l'approche à l'égard des dérivations, il est clair que l'on a opté pour une méthode qui ne semblera pas discriminatoire pour les utilisateurs qui se trouvent à l'extérieur du bassin, et c'est la raison pour laquelle dans le Compact on n'utilise pas de termes tels que “interdiction“ et “prohibition“. Nous constatons que des mesures sont intégrées en vue de rendre impossibles les dérivations massives et, ce qui est encore plus important, les dérivations à l'extérieur du bassin. Je pense que ceci répond un peu à votre question, mais je ne suis pas un avocat spécialisé dans le droit commercial pour ce qui est de l'ALENA.
Le président: Madame May, voulez-vous ajouter quelque chose?
Mme Elizabeth May: Je préfère céder la parole à Steven Shrybman sur ce point, mais à mon avis il n'est pas pertinent pour un investisseur privé d'intenter une poursuite en vertu du chapitre 11. Le fait que la mesure soit discriminatoire ou pas n'est pas un facteur. Tout ce qui compte, c'est qu'une fois que l'on a décidé de considérer l'eau comme un objet de commerce, n'importe quelle entreprise privée pourra déposer une plainte, peu importe ce qu'a dit M. Shrybman, concernant la validité de l'argument des fins de conservation. Rien de tout cela n'a d'importance au regard du chapitre 11.
M. Jeff Watson: Voulez-vous renchérir là-dessus?
M. Steven Shrybman: Je pense que la question de la discrimination est pertinente en ce qui concerne l'obligation d'accorder le même traitement qu'à l'échelle nationale, non seulement en vertu du chapitre 11 mais aussi en vertu du GATT. Donc, la question est de savoir si ce Compact réussirait l'épreuve de la non-discrimination, et ceux qui y sont favorables vous diraient que oui, parce qu'il établit une norme en matière de conservation. D'après la jurisprudence, les tribunaux n'ont eu aucune difficulté, en fait, à constamment aller au-delà de l'apparence de la mesure. Aussi, même si elle ne semble pas discriminatoire à première vue, les tribunaux iront au-delà de l'apparence de la mesure afin de déterminer son impact et son intention réelle.
Il existe des exemples de cette situation. Dans l'affaire SD Myers, des investisseurs américains ont intenté avec succès des poursuites contre le Canada qui avait interdit les exportations de BPC à partir de son territoire. La mesure adoptée au Canada interdisait les exportations, et elle s'appliquait peu importe si vous étiez un investisseur canadien ou un investisseur étranger, ou même une entreprise exerçant ses activités au Canada. Donc, elle n'était pas discriminatoire en apparence, mais les tribunaux sont allés au-delà de la mesure et ont pris connaissance de notes de service rédigées par des bureaucrates d'Environnement Canada et des motivations que révélaient certaines de ces notes et qui avaient servi à la mise en oeuvre de la mesure. Nous nous attendons à ce que cela se reproduise dans ce cas aussi. C'est l'approche que les tribunaux ont adoptée à cet égard. Donc, ils vont aller au-delà de l'apparence de la mesure pour retracer toute la discussion l'ayant entourée, je suppose, et au cours de laquelle les gouverneurs et les autres intervenants vont expliquer que cette mesure visait réellement à protéger les utilisateurs du bassin, et ils ont trouvé un dispositif ingénieux pour le faire.
Alors, est-ce que cette approche est fiable? Nous sommes d'avis que non, et nos raisons pour justifier ce doute proviennent de la jurisprudence elle-même qui est assez cohérente et assez corrosive en ce qui concerne les objectifs de la politique gouvernementale. Si vous essayez de protéger l'environnement, vous risquez de ne pas obtenir d'aussi bons résultats avec un tribunal sur les investissements étrangers que s'il s'agissait de protéger les intérêts commerciaux des investisseurs.
M. Jeff Watson: À la page 4 de votre mémoire, vous faites valoir que les dispositions du traité, combinées à l'annexe, protègent toutes les utilisations de toutes les eaux qui constituent l'écosystème des Grands Lacs. Attendez une minute, peut-être que je n'ai pas le bon document. Désolé.
Vous semblez suggérer que l'Annexe et le Traité sur les eaux limitrophes internationales sont compatibles. Êtes-vous au courant que le Département d'État a émis un avis comme quoi une clause de non-abrogation devait être insérée dans cet accord? Cela sous-entend presque que les deux sont incompatibles.
Mme Sarah Miller: À qui s'adresse votre question?
M. Jeff Watson: Attendez que je vérifie si j'ai le bon document. Je pense qu'il s'agit du vôtre.
M. Derek Stack: À la page 4, monsieur?
M. Jeff Watson: Je pense que c'est à la page...
Mme Sarah Miller: Il y a dans les dernières ébauches que nous avons lues un énoncé...
¿ (0955)
M. Jeff Watson: Page 4, je suis désolé. Au point 2, vers le milieu du paragraphe, vous dites que vous croyez que l'Annexe et le Traité sont compatibles et que l'Annexe traite des lacunes et des contraintes du Traité. Bien entendu, le Département d'État est d'avis qu'une clause particulière, une clause de non-abrogation, devrait être incluse afin que ce soit plus spécifiquement inscrit dans le Traité des eaux limitrophes...
Mme Sarah Miller: Pardon, l'article 702 du chapitre 7 énonce que: “Aucune disposition de l'Entente n'a pour effet de conférer directement ou indirectement à quiconque quelque droit, titre ou recours fondé sur un accord ou un traité international.“
Donc, il y a déjà un énoncé à cet effet. Je ne saurais dire cependant s'il est suffisant.
M. Jeff Watson: Peut-être qu'il s'agit là d'un commentaire pour l'honorable secrétaire parlementaire aussi étant donné les changements survenus à la tête du Département d'État. J'aimerais savoir si le gouvernement est au courant si cette approche en faveur d'une clause de non-abrogation va être maintenue étant donné les changements survenus. Je me doute qu'il y aura peut-être des changements d'orientation, et nous pouvons d'ores et déjà penser qu'ils ne seront peut-être pas aussi favorables à l'endroit du Canada que par le passé.
Mme Sarah Miller: Cette opinion figurait dans l'ancienne version préliminaire de l'annexe, je crois.
M. Jeff Watson: Cette opinion a été émise très récemment, si je ne m'abuse, il y a environ deux semaines. Nous l'avions ici au comité...
Le président: Nous nous adressons actuellement aux témoins, et je pense que vous l'avez indiqué en faisant le geste de le mettre dans votre chapeau, le secrétaire parlementaire est prêt à relever ce défi, et lorsque nous en viendrons à l'étape des débats, nous pourrons nous en occuper.
M. Jeff Watson: C'est parfait. Je ne m'attendais pas à ce qu'il réponde à la question, je voulais seulement lui dire d'en prendre bonne note.
Combien me reste-t-il de temps?
Le président: Deux ou trois minutes.
M. Jeff Watson: Je reviens à vous encore une fois. À la page 6, vous semblez dire, vers le milieu de la page, que l'Ontario peut pratiquement choisir quelles mesures elle a l'intention d'incorporer pour renforcer ses systèmes, et vous laissez entendre qu'elle n'aura pas à abaisser ses normes. J'ai posé cette question à diverses reprises à d'autres témoins auparavant, je leur ai demandé si en ajustant les lois canadiennes en fonction de cette norme on ne contribue pas à affaiblir la portée de nos lois d'une certaine manière. Qu'en pensez-vous?
Je ne suis pas sûr que nous ayons réellement la possibilité d'imposer des modalités et des conditions, et c'est ce que j'essaie d'établir.
Mme Sarah Miller: Certaines clauses dans les versions actuelles de l'Annexe stipulent que toutes les autorités peuvent adopter des normes plus rigoureuses, plus sévères, et le texte y figure déjà. Le gouvernement de l'Ontario est justement en train de renforcer encore davantage son système d'attribution de permis pour les prélèvements d'eau, au moment où l'on se parle.
Je pense que si l'Ontario décide d'approuver la version définitive de l'Annexe, lorsqu'elle sera publiée, la province va sans aucun doute incorporer par règlement toutes les dispositions qu'elle juge nécessaires pour protéger ce qui ne l'était pas suffisamment dans ses propres lois intérieures, le cas échéant. Mais je ne pense pas que l'Ontario va abaisser ses normes. En fait, je pense qu'il est très important que l'Ontario participe aux discussions, parce qu'elle prêche par l'exemple et qu'elle peut montrer aux autres autorités plus réticentes qu'il est possible de mettre en place des programmes très rigoureux, que c'est abordable, faisable, et qu'elle le fait déjà depuis un bon bout de temps.
Le président: Je vais maintenant céder la parole à M. Simard.
[Français]
M. Christian Simard (Beauport—Limoilou, BQ): Bonjour et merci de votre présence. J'ai lu avec beaucoup d'intérêt vos mémoires et j'ai même noté la différence d'approche.
J'aimerais poursuivre sur cette question, puisqu'elle est assez fondamentale. Selon ce que j'ai compris de présentations d'experts et de nombreuses lectures, actuellement, il semble y avoir un écart entre le traité et son application sur le terrain par les provinces et les États. Selon les termes du traité, on peut fonctionner par des renvois à la Commission mixte internationale, qui doivent nécessairement venir des deux États si on veut qu'ils soient considérés par ceux-ci. De plus, il n'y a absolument pas d'arbitrage possible. Cela me fait penser à des accords de commerce, mais il n'y a pas d'arbitrage. En théorie, le traité prévoit un arbitrage au niveau de la Commission mixte internationale, mais il faut l'approbation du Sénat américain. Donc, dans les faits, il n'y a pas d'arbitrage, et cela a été mis en preuve. Selon moi, on a un important problème d'application.
Je suis assez d'accord sur la position adoptée par l'Union Saint-Laurent--Grands Lacs et le Sierra Club, à savoir que le statu quo est une fausse protection. Le traité est magnifique, mais il n'est pas mis en application dans les juridictions municipales, provinciales et des États. C'est donc un problème.
Maintenant, comme dans toute loi ou dans tout accord ayant des impacts sur l'environnement, il y a toujours ce danger--qui est énorme dans ce cas-ci--de normaliser la pollution, de ne pas la réduire. Dans ce cas-ci, il ne s'agit pas de la pollution, mais des prélèvements d'eau. Il y a danger qu'on se dire qu'on aura un cadre juridique, mais que ce dernier sera fait en fonction des utilisateurs d'eau, non pas en fonction de la conservation du bassin, et que, comme dans n'importe quel projet, il y aura des mesures de mitigation ou de conservation. Toutefois, l'équilibre n'est absolument pas assuré. C'est le défaut de l'actuel accord de 2001 tel qu'il est rédigé.
J'aimerais entendre la position de M. Shrybman et de M. Stack, ou peut-être celle de Sarah ou d'Elizabeth--si vous me permettez de vous appeler par vos prénoms--sur la force des accords du point de vue des provinces canadiennes, du Québec et de l'Ontario. D'un côté, on a un compact exécutoire, puisque, selon ce que j'ai compris, cela deviendra exécutoire pour les huit États; de l'autre côté, on a deux provinces canadiennes signataires, mais il ne semble pas y avoir de droit de veto ni d'équilibre, puisque c'est deux contre huit. Avez-vous réfléchi à la question et proposez-vous--ce n'est pas clair dans vos textes--une façon de renforcer cet aspect, du point de vue des provinces? Par rapport au commentaire de Mme May, je pense qu'il faut faire très attention à l'idée qu'il faille que le fédéral s'en mêle en peu, tout comme les provinces et un peu tout le monde, pour améliorer cela. Souvent, c'est source de confusion et cela peut être très dangereux. Des témoins nous ont d'ailleurs dit qu'il fallait davantage prendre l'approche visant à renforcer l'accord actuel.
Finalement, comment pourrait-on faire en sorte qu'il y ait l'équivalent d'un compact canadien ou Ontario-Québec? Comment pourrait-on renforcer cet aspect fondamental de l'accord?
À (1000)
[Traduction]
Le président: Madame May, voulez-vous répondre?
Mme Elizabeth May: Oui, je vais encore être la première.
Merci.
[Français]
Merci, monsieur Simard. Je répondrai en anglais, car cela vaudra mieux pour tout le monde.
[Traduction]
La raison pour laquelle le Club Sierra insiste sur le rôle du gouvernement fédéral... Il n'est aucunement question d'un mandat multi-juridictionnel dans le cas présent. Mais si le véritable problème, si j'ai bien compris la prémisse de toute la négociation qui est en cours, tenait justement aux lacunes du côté des États-Unis en matière de protection, si c'était cela le véritable sujet de préoccupation. Nous avons en commun des plans d'eau. Les dérivations, peu importe d'où elles sont issues dans le bassin des Grands Lacs, ont des répercussions sur l'ensemble du bassin. Et pourtant, c'est la Clause sur le commerce de la Constitution américaine qui est le plus souvent citée comme la source des problèmes à l'origine de l'affaiblissement des mesures actuelles de protection pour les Grands Lacs prévues dans la Water Resources Development Act du Congrès américain.
Si c'est la nature de la menace, dans ce cas, les mesures prises à l'échelle des États ont plus de chances de déclencher la Clause sur le commerce en vertu du droit constitutionnel américain, que les mesures prises à l'échelle du gouvernement fédéral. C'est la raison pour laquelle nous devrions renforcer tous les efforts sur le plan de la conservation. Les gens du bassin des Grands Lacs, à ce que l'on dit, gaspillent l'eau de façon éhontée. il faut se concentrer sur cet aspect de la question.
Mais en ce qui concerne les questions de dérivations, qui sont aussi, comme l'a mentionné M. Shrybman, assez enchevêtrées dans les questions commerciales, c'est plutôt le palier du gouvernement fédéral des deux pays qui a les meilleures chances d'en arriver à une entente susceptible d'empêcher les dérivations, point final. C'est notre point de vue.
Nous avançons aussi--même s'il est facile de critiquer les avocats, et s'il est vrai qu'il y aura toujours autant d'avis juridiques qu'il y a d'avocats--le fait est que les gouvernements ne devraient pas avoir peur de faire appel aux lois qu'ils ont déjà votées, d'examiner leur constitution, et les règles commerciales qu'ils ont adoptées, et d'essayer de déterminer comment rédiger une loi qui nous empêchera de devenir les victimes de ces accords. Les gouvernements peuvent faire cela. Je pense que c'est le gouvernement fédéral des États-Unis qui est le mieux placé pour protéger les Grands Lacs et que le Congrès américain dispose déjà de la Water Resources Development Act.
À (1005)
Le président: Madame Miller, vous vouliez répondre à M. Simard.
Mme Sarah Miller: Oui.
Il y a une chose qui n'est pas très claire pour tout le monde--et qui n'a pas été très bien articulée dans les versions préliminaires de l'Annexe ayant été diffusées jusqu'à maintenant, mais dont on a fait état dans les discussions--il s'agit du mécanisme de prise de décisions. En effet, selon le mécanisme de prise de décisions, ce serait essentiellement les mêmes personnes qui approuveraient le Compact et qui donneraient les autorisations à l'échelle régionale, et ces autorisations seraient données de façon presque consécutives, c'est-à-dire, dans la même pièce ou dans la pièce à côté, parce que ce sont les mêmes qui siègent aux comités et qui examinent les mêmes questions. Le but est de travailler dans la concertation. Il y a eu passablement de discussions concernant l'attitude à adopter dans l'éventualité où l'on n'arriverait pas à obtenir le consensus, sur les mécanismes d'arbitrage éventuels, et la CMI s'est présentée à la réunion du comité en considérant cet aspect et elle a rappelé l'historique de sa création. Comme vous l'avait mentionné l'honorable Herb Gray l'autre jour, la Commission ne s'est jamais prévalue de ses pouvoirs d'arbitrage.
La CMI n'a pas plus de pouvoir que les gouvernements qu'elle représente, et je pense que si elle n'a jamais exercé ses pouvoirs d'arbitrage c'est parce les gouvernements ne lui ont jamais demandé de le faire. Peut-être que les membres de la Commission ne sont pas à l'aise avec ça. Je pense que cela fait partie du dilemme, et il est important de le reconnaître. C'est certainement quelque chose dont le gouvernement fédéral devra tenir compte.
M. Lee Richardson: Monsieur le président, pour plus de précision, est-ce que le témoin pourrait seulement répondre à ma question? Est-ce parce que la Commission doute de son autorité?
Le président: Vous devez passer par le président.
[Français]
M. Christian Simard: J'invoque le Règlement. Je n'ai pas terminé.
[Traduction]
Le président: M. Richardson voulait seulement obtenir des précisions. Je ne le soustrairai pas de votre temps. Il faut faire preuve d'une certaine souplesse. Monsieur Simard, c'est de nouveau à vous, mais peut-être que vous pourriez intégrer la réponse de M. Richardson.
Monsieur Simard, vous disposez de trois minutes.
[Français]
M. Christian Simard: Je conteste cela, monsieur le président. Il y a une certaine cohérence dans les questions que je pose. Il pourra poser sa question quand ce sera son tour.
[Traduction]
Le président: Absolument. La continuité est très importante. Je comprends cela.
Monsieur Shrybman.
M. Steven Shrybman: Je vais revenir brièvement sur votre question. Vous avez suggéré que, conformément au Traité sur les eaux limitrophes, les États-Unis et le Canada devaient s'entendre avant de soumettre une question à la CMI pour qu'elle fasse l'objet d'un examen. D'après l'article IX, c'est faux. L'un ou l'autre pays peut décider de le faire.
Conformément à l'article III, la disposition relative aux dérivations, deux conditions sont nécessaires pour qu'une dérivation soit autorisée. La première est qu'elle doit avoir été approuvée par l'un des deux gouvernements nationaux. La deuxième est qu'elle doit avoir également reçu l'approbation de la CMI. Donc, il n'est pas nécessaire de faire appel à un ordre de renvoi à la CMI pour invoquer l'autorité prévue au titre de l'article III.
L'autre point que j'aimerais faire valoir est que les ententes commerciales ont une incidence fondamentalement corrosive sur les autorités provinciales--je pense que c'est assez clair--et qu'elles font fi de la division constitutionnelle des pouvoirs entre les instances fédérale et provinciales. Nous assistons à un renforcement marqué de la loi sur le plan des objectifs commerciaux et d'entreprise, et à un affaiblissement juridique sur les autres plans.
Le renforcement juridique se produit dans le contexte de l'ALENA et de l'OMC. L'affaiblissement du droit international est en train de se produire, notamment avec ce Compact, et avec la bénédiction du gouvernement fédéral américain qui ne tient aucun compte de la CMI, de son pouvoir d'approbation, ainsi que de l'autorité du gouvernement fédéral du Canada.
Nous partageons des ressources en eau. Il me semble que le gouvernement du Canada devrait s'affirmer davantage dans les circonstances et faire valoir ses droits.
Le président: Vous avez une minute, monsieur Simard.
[Français]
M. Christian Simard: C'est sûr que c'est un sujet extrêmement important, à savoir si cela doit être considéré ou non comme un produit de base touché par les accords commerciaux. On a là un gros problème.
Maintenant, quant à l'application du traité limitrophe, il y a un peu de confusion dans mon esprit. Vous dites qu'on doit améliorer l'accord, parce qu'il est important et qu'il faut le renforcer. En même temps, vous dites aussi, Elizabeth, que c'est important qu'il y ait les deux gouvernements fédéraux, car cela offre plus de garanties quant à la conservation.
Je ne sais pas si le gouvernement fédéral américain offre plus de garanties quant à la conservation que le compact, parce que le Midwest américain a une soif insatiable. Quant au compromis américain, je ne sais pas si l'État fédéral américain est plus fort en matière de conservation que les États limitrophes des Grands Lacs. J'ajouterais peut-être le Vermont, parce qu'il touche au bassin, avec le lac Champlain, comme le disait un expert. Il serait important que le Vermont soit ajouté à cela, parce que c'est un acteur plus axé sur la conservation que l'Illinois. Il faut aussi faire jouer ces contradictions chez les Américains.
Toutefois, j'ai encore beaucoup de difficulté à comprendre votre position. Vous voulez une intervention du gouvernement fédéral canadien, par l'intermédiaire de la Commission mixte internationale, et le renforcement de l'accord de 2001. Je vois là une contradiction.
À (1010)
[Traduction]
Mme Elizabeth May: Il y a quelques principes fondamentaux en jeu. Le premier, c'est que rien de ce que l'on fera à partir de maintenant ne devrait saper l'autorité de la CMI ou du Traité sur les eaux limitrophes. Tout le monde s'entend là-dessus. Certains d'entre nous pensent que l'ébauche dans sa forme actuelle fait justement cela, et les autres pensent le contraire.
Je crois aussi que rien dans cette entente ne devrait affaiblir la Water Resources Development Act du Congrès américain actuellement en vigueur. Cette loi affirme qu'aucune dérivation de l'eau des Grands Lacs ne peut être effectuée sans le consentement unanime des gouverneurs des Grands Lacs.
Vous avez tout à fait raison d'insister sur la soif des États du sud-ouest. C'est justement l'un des sujets de préoccupation des gouverneurs des Grands Lacs. C'est un sujet d'inquiétude, et nos collègues américains dans les groupes environnementaux ont une approche différente concernant la manière dont on devrait recevoir ce Compact, cette annexe ainsi que les moyens à privilégier pour protéger les Grands Lacs.
L'une des raisons invoquées par ceux qui s'inquiètent à l'idée que l'on pourrait aller de l'avant avec cette approche est que, étant donné les déplacements de population à l'extérieur des États bordant les Grands Lacs maintenant que la ceinture industrielle connaît un déclin, et étant donné aussi que ces mouvements de population entraînent un nouveau découpage des circonscriptions électorales, leurs chances d'obtenir une loi rigoureuse par l'entremise du Congrès ne seront pas aussi bonnes dans le futur qu'elles le sont maintenant.
Bien entendu, nous voulons éviter de soumettre au Congrès américain une question ayant des incidences à l'échelle internationale, parce que dans le cas d'un traité, par exemple, il faut obtenir 75 p. 100 des voix au Sénat américain. Le Traité des eaux limitrophes internationales existe déjà depuis 1909, et il avait été négocié par les États-Unis et la Grande-Bretagne en notre nom--mais ça c'est une autre histoire.
On se retrouve avec la menace que représentent les États du sud-ouest américain assoiffés. C'est la raison pour laquelle je trouve que l'approche proposée dans l'ébauche de l'Annexe est particulièrement dangereuse, parce qu'elle ouvre la porte à des abus en disant: “Nous pouvons accepter les dérivations, dans certaines conditions“.
Si nous empruntons cette direction, j'ai bien peur que, si les conditions deviennent onéreuses ou si elles semblent, comme l'écoulement restitué, représenter de la discrimination sur le plan géographique, elles finiront tout simplement par être abandonnées parce que nous aurons déjà ouvert la porte en disant que nous permettons les dérivations. Une fois que cela aura été accepté par les autorités bordant le bassin, il deviendra très ardu de faire respecter les conditions qui rendent ces dérivations difficiles, surtout dans l'éventualité de pertes sur le plan commercial.
Durant la dernière campagne électorale, l'actuel président des États-Unis s'est présenté dans les États des Grands Lacs qui étaient contre les dérivations. Tout le monde affirme être contre les dérivations.
À notre avis, si l'on considère le Traité des eaux limitrophes, qui stipule qu'aucun des deux gouvernements ne devrait permettre quoi que ce soit risquant d'influencer le débit ou le niveau des Grands Lacs, et les mesures qui sont déjà en place à l'échelle du gouvernement fédéral du Canada et du gouvernement fédéral des États-Unis, il faut commencer par établir avec précision ce qui doit être fait pour nous assurer que les instruments existants ne sont pas affaiblis et pour les renforcer.
Le président: Merci, madame May. Je vais devoir vous arrêter ici. Peut-être que nous reviendrons sur certains de ces points dans nos autres questions.
Monsieur Scarpaleggia.
M. Francis Scarpaleggia (Lac-Saint-Louis, Lib.): Tout ceci est très instructif, et je vous remercie tous de vous être déplacés pour venir témoigner. Vos explications sont excellentes, et j'apprends beaucoup de choses.
Pour poursuivre dans la veine des questions de M. Simard, permettez-moi de faire preuve de candeur en vous posant une question qui pourrait m'aider à cristalliser ma compréhension de toute cette histoire.
Essentiellement, on peut dire que les décisions de la CMI sont exécutoires en ce qui concerne les projets de dérivation. Est-ce exact?
À (1015)
Mme Elizabeth May: Si elles sont prises conformément à l'article III...
M. Francis Scarpaleggia: Il faut que ces décisions soient prises à la demande de l'un ou l'autre des gouvernements. C'est bien cela?
M. Steven Shrybman: Ce n'est pas ce que dit l'article III. Il stipule simplement que pour qu'une dérivation puisse être effectuée, elle doit avoir été approuvée au préalable soit par les États-Unis, soit par le Canada, et avoir reçu “l'approbation (...) d'une commission mixte qui sera désignée sous le nom de “Commission mixte internationale“.
M. Francis Scarpaleggia: En fin de compte, tout projet de dérivation doit avoir été approuvé par la CMI.
M. Steven Shrybman: Dans la mesure où il influence le débit ou le niveau de l'eau de l'autre côté de la frontière... ce qui, bien entendu, est la question de 64 millions de dollars.
M. Francis Scarpaleggia: Pourriez-vous répéter la fin de la phrase?
M. Steven Shrybman: C'est la question de 64 millions de dollars: le projet a-t-il ou non une influence?
M. Francis Scarpaleggia: Ce qui m'amène à ma deuxième question.
Donc, la CMI a...
Le président: Monsieur Scarpaleggia, Mme Miller voulait aussi vous répondre.
M. Francis Scarpaleggia: Pardon, madame Miller.
Le président: Je m'excuse de vous interrompre, mais peut-être que cette intervention serait utile. C'est sur le même sujet.
M. Francis Scarpaleggia: Absolument.
Mme Sarah Miller: En ce qui concerne l'influence sur le débit et le niveau, je vous avait cité le rapport de la Commission des Grands Lacs surtout parce qu'il s'est penché sur les aspects scientifiques et qu'il en est finalement arrivé à la conclusion qu'il est impossible de déterminer si une dérivation en particulier influence le débit et le niveau des Grands Lacs. Il y a là un problème.
Dans le cas d'un tributaire, oui, il est possible d'établir qu'il y a des impacts, mais c'est très très peu probable. Ce que l'on a reconnu dans ce rapport, c'est l'effet cumulatif. Tous les petits prélèvements, additionnés aux gros prélèvements, pourraient avoir une influence mesurable, mais dans le cas d'un seul prélèvement, il est impossible de mesurer l'impact.
À ma connaissance, je ne pense pas que la CMI ait jamais approuvé ou désapprouvé l'une ou l'autre des dérivations qui ont été effectuées, justement parce que les impacts n'étaient pas mesurables.
M. Francis Scarpaleggia: C'est un excellent point.
M. Derek Stack: Si vous me permettez d'ajouter quelque chose, il faut tempérer le droit de regard avec la volonté politique de la CMI de jouer son rôle.
M. Francis Scarpaleggia: Pourriez-vous expliquer votre pensée?
M. Derek Stack: J'étais présent lorsque le commissaire Gray est venu témoigner et je n'ai pas du tout été rassuré à l'idée que la CMI adopterait un rôle plus affirmé en l'absence d'une volonté politique, d'une volonté politique consensuelle.
M. Francis Scarpaleggia: Ma prochaine question m'a été inspirée par votre réponse, madame Miller. Je ne sais pas si c'est vous ou si c'est Mme May qui a mentionné que nous devons réaliser un inventaire des utilisations de l'eau et des mesures de conservation, autrement dit, que nous devons nous doter de moyens plus scientifiques.
Pourriez-vous nous dire quelles instances devraient accueillir ces activités scientifiques? Quelqu'un a mentionné qu'une commission scientifique devrait être rattachée à la CMI, mais pensez-vous que le gouvernement fédéral canadien devrait accepter d'effectuer davantage de recherches scientifiques dans le domaine de l'eau?
Mme Elizabeth May: Si vous permettez, monsieur le président, j'ai abordé cette question dans mon mémoire.
Les gouvernements avaient déjà pris en 1986, dans le cadre de la Charte des Grands Lacs, l'engagement d'effectuer un inventaire complet des utilisations de l'eau et des mesures de conservation dans le bassin afin de savoir ce qui se passe concernant les utilisations courantes et les prélèvements qui sont faits. Mais nous ne disposons pas de ces renseignements. Il s'agit donc d'une obligation qui existe déjà, mais dont les gouvernements ne se sont pas acquittés.
Je pense qu'une bonne partie de ces activités pourraient être effectuées par le gouvernement fédéral du Canada. Je souligne au passage, sous toute réserve, parce que je ne veux pas faire de commentaires personnels au sujet des fonctionnaires, que vous avez entendu des témoins extrêmement intéressants ayant déjà été à l'emploi d'Environnement Canada. Ils n'ont pas d'équivalent aujourd'hui. Je veux parler du Dr Jim Bruce et de Ralph Pentland, des scientifiques qui connaissent très bien leur domaine. Il y a eu réellement des coupures en ce qui concerne la capacité d'effectuer des recherches scientifiques à l'échelle du gouvernement fédéral. Je le répète, les témoins qui représentent Environnement Canada sont d'excellentes personnes et des fonctionnaires dévoués; c'est tout simplement que nous ne disposons pas des mêmes capacités que par le passé.
M. Francis Scarpaleggia: Et vous dites que ces activités scientifiques devraient être effectuées au sein du gouvernement fédéral, plutôt que dans des organismes indépendants, comme les universités et ainsi de suite?
Mme Elizabeth May: C'est vraiment un travail énorme, et il faudrait qu'il soit supervisé et coordonné. Une partie pourrait être effectuée par le fédéral, et une autre par les universités. Naturellement, comme vous l'avez entendu tout à l'heure, l'Ontario et le Québec ont des rôles très importants à jouer. Il faut savoir ce qui se passe dans les Grands Lacs, des deux côtés de la frontière, conformément aux engagements pris par toutes les parties ayant signé la Charte des Grands Lacs, et je suis convaincue que c'est important.
M. Francis Scarpaleggia: Merci.
Le président: Merci, monsieur Scarpaleggia.
Madame Miller, voulez-vous ajouter quelque chose?
Mme Sarah Miller: Oui, brièvement. Des données ont été recueillies dans le cadre de la Charte des Grands Lacs, et on peut se les procurer auprès de la Commission des Grands Lacs sur disques compacts. Le problème que l'Union Saint-Laurent--Grands Lacs et l'ACDE ont constaté dans leur rapport intitulé The Fate of the Great Lakes est que les données sont totalement incompatibles. Il est impossible de les comparer. Cela reviendrait à comparer des pommes et des oranges, parce que les données que recueillent chacune des autorités sont différentes. En effet, certaines autorités font la collecte de données dans certains secteurs et pas dans d'autres. Nous ne disposons pas d'une base de données générale, et nous n'avons aucun renseignement sur les eaux souterraines.
Nous avons donc désespérément besoin de recherches, plus de recherches que les universités, et probablement les provinces et le gouvernement fédéral sont en mesure de produire tous ensemble, parce que les lacunes sont énormes sur le plan de l'interaction entre les eaux de surface et les eaux souterraines des Grands Lacs, et si l'on tient compte des prévisions et des scénarios liés au changement climatique. Plus précisément, nous ignorons quelles sont les valeurs critiques susceptibles d'entraîner des cascades, la mort de certaines espèces, la perte de la biodiversité et les autres impacts énormes que nous constatons dans certains lacs.
À (1020)
M. Derek Stack: Je ne pense pas que quiconque soit contre la recherche du savoir, mais Nature Conservancy et Geological Survey ont admis dans leurs interventions à Chicago, ces jours derniers, qu'effectivement nous avons besoin de plus d'information, mais qu'il est clair que nous en savons assez pour dire que la menace est réelle, et qu'elle est déjà à nos portes.
Le président: Monsieur Wilfert, il nous reste trois minutes sur cette lancée. Si les membres du comité sont d'accord, nous pourrions vous laisser conclure.
L'hon. Bryon Wilfert (Richmond Hill, Lib.): Monsieur le président, et je m'adresse d'abord à M. Watson, si vous me le permettez, parce que j'ai retenu sa question et que j'ai mentionné concernant le Département que je ne pense pas que les choses vont changer, mais nous voulons seulement nous en assurer. De toute évidence, c'est l'une des questions que nous devrions soumettre au président Bush lors de sa prochaine visite à Ottawa. C'est un argument valable, et nous allons essayer d'obtenir une réponse.
Monsieur le président, à mon avis, il ne fait aucun doute que la version préliminaire des procédures contenues dans l'Annexe seront impuissantes pour protéger les écosystèmes des Grands Lacs et du Saint-Laurent. Quant à ces propositions, d'après ce qu'ont dit les témoins, elles compromettraient le rôle de la CMI et les dispositions du Traité des eaux limitrophes.
J'aimerais réitérer clairement, pour le bénéfice des témoins qui ne l'auraient pas entendu, la détermination du gouvernement du Canada et du ministre de l'Environnement. Nous sommes résolument contre les exportations massives d'eau, point final. Vous pouvez vérifier dans le Hansard, il y a quelques semaines, si vous ne l'avez déjà fait. Nous nous opposons aussi aux dérivations.
Que les choses soient bien claires, une fois pour toutes, la question des Grands Lacs et la protection de l'écosystème des Grands Lacs figurent en tête de liste des priorités de ce ministre en particulier et du gouvernement. Et, qu'il soit bien clair aussi que nous ne nous intéressons pas aux aspects politiques, mais plutôt aux aspects scientifiques de la question. Les décisions doivent reposer sur des bases scientifiques.
Je pense que la réponse donnée par le Département d'État était très claire, tout comme celle de l'Attorney General du Michigan. On s'inquiète du fait qu'en entamant directement des discussions entre le Canada et les États-Unis on n'ouvre par le fait même la porte à d'autres discussions sur toute la question de l'eau, à la grandeur des États-Unis.
En revanche, ce matin, je n'ai entendu encore personne, et je m'excuse à l'avance si quelqu'un l'a fait sans que je m'en rende compte—dire comment le gouvernement du Canada devrait procéder dans le cadre de ce processus, quelle serait l'approche la plus efficace. Par exemple, nous savons que l'Ontario et le Québec vont engager leurs gouvernements d'ici les discussions prévues pour janvier 2005. J'aimerais que vous me disiez quelle est à votre avis la meilleure façon de procéder.
De toute évidence, nous allons devoir faire une déclaration très claire sur cette question. Mais nous n'allons pas entrer directement dans ces discussions. Aussi, monsieur le président, la question est très simple: quel est le meilleur moyen de procéder?
Le président: Merci.
Madame Miller, voulez-vous commencer? Et ensuite, je donnerai la parole à Mme May—et si possible, pouvez-vous répondre en deux ou trois minutes seulement, merci!
Mme Sarah Miller: Je vais essayer.
Des activités très particulières se déroulent à l'échelle des gouvernements fédéral et des provinces dans les Grands Lacs, mais elles sont toujours étroitement liées à des accords existants tels que l'Accord relatif à la qualité de l'eau dans les Grands Lacs et l'Accord entre le gouvernement du Canada et l'Ontario qui en découle. Mais ce qui n'existe pas cependant, c'est une relation de travail permanente entre les provinces et le gouvernement fédéral, une relation qui se pencherait sur les questions prédominantes de façon utile.
Il y a tant de choses à faire. Les espèces envahissantes. Le changement climatique qui se pointe à l'horizon. Bien entendu, lorsque la politique fédérale relative aux eaux a été conçue, le changement climatique n'était pas encore universellement reconnu. Et on ne cesse de nous dire que cette politique sera modernisée. Il faut mettre sur pied de véritables groupes de travail, et nous sommes venus à Ottawa il y a quelques semaines justement pour faire avancer ce dossier.
Au sein du Congrès américain, des groupes de travail formés de représentants des États et du Congrès travaillent régulièrement sur les questions des Grands Lacs, et ne se contentent pas de réagir aux situations, mais adoptent une attitude proactive et visionnaire. Je pense que le moment est venu de faire la même chose au Canada.
À (1025)
Le président: Je vais devoir intervenir.
Monsieur Comartin, vous voudrez peut-être poursuivre dans la même veine. Vous avez le choix d'intégrer vos réponses ou non.
Monsieur Comartin.
M. Joe Comartin (Windsor—Tecumseh, NPD): Pourquoi ne pas laisser Mme May prendre une minute ou deux pour réagir, et je poursuivrai ensuite avec les autres points que j'aimerais aborder.
Le président: C'est très généreux de votre part. Merci, monsieur Comartin.
Madame May.
Mme Elizabeth May: C'est très aimable à vous, monsieur Comartin.
Je ne voudrais pas empiéter sur le temps qui vous est alloué. Je veux seulement m'adresser directement à l'honorable secrétaire parlementaire et lui dire clairement, pour le compte rendu, que nous sommes tous au courant de l'engagement qu'a pris le Canada en ce qui concerne l'exportation de l'eau en vrac, ainsi que contre les dérivations. Nous apprécions le leadership du premier ministre de l'Ontario à cet égard. Nous apprécions également les déclarations des autorités canadiennes concernant la protection des Grands Lacs.
Mais nous nous inquiétons du fait que l'ébauche de document à l'étude va à l'encontre de tout cela. Je le répète, dans notre mémoire, nous réclamons du gouvernement fédéral qu'il soulève cette question de façon bilatérale avec les États-Unis afin de s'assurer que rien dans cette annexe de la Charte ne viendra saper la CMI et le Traité des eaux limitrophes. Franchement, la menace se trouve chez nos voisins du sud, et il faut nous montrer très vigilants. Les instruments juridiques dont nous disposons ne seront probablement pas suffisants à long terme, mais ce n'est pas pour autant qu'il faut se précipiter pour adopter un accord qui revient à affaiblir les instruments à notre disposition.
Le président: Merci beaucoup.
Monsieur Comartin, c'est à votre tour.
M. Joe Comartin: Merci, monsieur le président.
Merci à vous tous de vous être présentés aujourd'hui. Je m'excuse, mais j'ai dû m'absenter pour me rendre à la Chambre quelques minutes.
Monsieur Stack et madame Miller, vous êtes sans doute les personnes qui avez eu l'occasion de suivre le processus de plus près, en tout cas de plus près que tous les autres témoins qui se sont présentés devant nous depuis quelques semaines. Concernant vos recommandations, en particulier les quatre ou cinq premières, et peut-être la sixième aussi, je me demande si vous ne pourriez pas nous donner une idée de la réaction que les gouverneurs des États des Grands Lacs pourraient avoir face aux propositions que vous présentez. Donc, concernant ces recommandations, étant donné que les mesures de protection qui y sont proposées—et qui, je vous l'accorde, sont très importantes et contribueraient à renforcer considérablement l'annexe—n'y figurent pas et n'existent pas au moment où l'on se parle, d'après vous, quelles sont les chances pour que les gouverneurs des États des Grands Lacs nous les accordent?
Mme Sarah Miller: C'est très difficile à dire. Cela n'a pas été facile autour de la table de discussion. Nous ne sommes certainement pas prêts à adopter des ententes qui ne prévoient pas la mise en place des règles du jeu équitables que nous avons réclamées pour les provinces et les États.
Nous nous inquiétons notamment parce que le langage utilisé dans le Compact et dans l'Entente régionale n'est pas uniforme. En fait, l'Entente régionale contient toutes les mesures de protection environnementale, mais ce qui est mal compris, c'est que dans le manuel décrivant la mise en oeuvre, des pratiques concrètes et courantes devront être modifiées dans les provinces et les États si l'on veut se doter d'une meilleure méthode de collecte permanente des données qui permettra d'asseoir la base de la conservation. Toute cette question est très nébuleuse. On sent encore beaucoup d'avidité autour de la table. Chaque région est toujours très désireuse de favoriser sa prospérité, et d'attirer des industries.
En ce qui concerne la conservation, les gouverneurs ont reçu autour de 10 000 mémoires. Le grand public a manifesté de façon écrasante son désir de voir la conservation renforcée. Curieusement, c'est au Wisconsin, où l'on a enregistré la demande de Waukesha pour de l'eau, que les gens se sont le plus massivement montrés en faveur de la conservation. Je pense que les politiciens tirent de l'arrière par rapport à l'opinion publique à cet égard. Qu'ils soient d'accord ou pas, les politiciens... Dans la plupart des États, le gouvernement ne détient pas la majorité des sièges actuellement, il y a eu une élection au beau milieu de ce processus, et nous éprouvons de sérieuses difficultés à faire adopter les lois. Le Michigan a présenté à la Chambre une loi stipulant, pour la première fois, que l'on doit produire des données sur l'eau. Mais cette loi suscite de l'opposition.
Donc, je ne saurais pas vous dire, parce que chaque fois que nous prenons connaissance d'une ébauche, elle est différente de la version précédente. Il y a encore beaucoup d'opinions qui s'affrontent. Nous savons que certains États ont plus de poids que d'autres. Certains d'entre eux ont à peine participé au processus. Comme vous le savez, si on jette un coup d'oeil sur une carte de la région, certains États ont très peu... La Pennsylvanie a participé très intensivement, mais elle ne possède que 18 milles de rives limitrophes. L'Indiana n'a pour ainsi dire pas été présente. Donc, c'est très difficile de faire des prévisions.
À (1030)
M. Derek Stack: Nous pouvons dire facilement, toutefois, qu'étant donné l'attention relative accordée actuellement au Canada à la question, et plus précisément aux dérivations, la question a été posée à maintes reprises depuis deux jours. Certaines questions qui, de toute évidence, nous concernent davantage que nos voisins du sud sont actuellement... je n'irais pas jusqu'à dire prépondérantes, mais elles figurent certainement en meilleure position que dans le passé sur la liste des choses qu'ils doivent faire pour que ces ententes soient adoptées. C'était le cadre de travail adopté pour l'une des données. Que devons-nous faire au sujet de ces ententes pour qu'elles aient une chance de survivre?
M. Joe Comartin: Monsieur Shrybman, avez-vous des commentaires à faire concernant les propositions de Mme May au sujet des deux structures: la première, que la CMI et les gouvernements fédéraux assument la responsabilité, plus particulièrement en ce qui concerne les exportations massives et les dérivations; et que les autres questions comme la consommation, la conservation relèvent davantage des États que des provinces? Je dois dire que c'est la première fois que j'en entends parler.
Madame May, je vais vous demander des éclaircissements, mais monsieur Shrybman, pourriez-vous nous dire, du point de vue juridique, et du point de vue du droit constitutionnel et international, si vous pensez que cela pourrait fonctionner?
M. Steven Shrybman: Il m'est difficile de vous donner un avis éclairé sur le sujet, mais cela semble correspondre avec l'idée que je me fais des sphères de compétence entre le gouvernement fédéral et les provinces en ce qui concerne l'eau—mais, en vous répondant, je pourrais aussi répondre à la question de l'honorable secrétaire parlementaire.
Nous savons que le cadre juridique commercial a un effet corrosif sur la politique gouvernementale et les lois en matière de conservation et d'environnement. Nous savons que le Traité des eaux limitrophes est insuffisant et incomplet. La réponse à sa question est la suivante—et Elizabeth May a donné la même—il faut qu'il y ait des discussions bilatérales avec les États-Unis. Est-ce que ce sera facile? Non. Est-ce qu'il y a quelque chose à gagner en les remettant à plus tard? Non.
Pratiquer la politique de l'autruche et faire comme si des initiatives prises par les États ou les provinces pouvaient venir à bout de ces problèmes n'a tout simplement aucun sens. Les solutions résident plutôt dans des négociations bilatérales, et je rejette ce calcul politique spécieux voulant qu'aux États-Unis les intérêts de certains États assoiffés l'emportent. En toute sincérité, j'ignore comment l'assiette politique serait partagée sur une question comme celle-là.
Cette région compte aussi quelques États démocrates. Et il y a des États républicains dans le bassin. Il est certain que nous avons des alliés dans le bassin des Grands Lacs qui sont contre les dérivations massives en direction du sud-ouest. Il vous reste à me prouver que le Congrès voterait en faveur de cette option. Je ne suis pas prêt à l'accepter, même si je sais que c'est une évaluation assez facile de l'évolution des choses.
M. Joe Comartin: Cela tient davantage du mythe urbain que de la réalité.
Mme Elizabeth May: J'ai montré une grande franchise envers les membres du comité dans la plupart de mes interventions—et je réalise que mon exposé n'a pas été distribué à l'avance, et je m'en excuse; j'en ai quelques exemplaires avec moi, mais
[Français]
ce n'est pas disponible dans les deux langues officielles. C'est ma faute.
[Traduction]
La majorité des extraits du mémoire que je vous ai présentés sont le fruit du travail de nos sections de l'Ontario et du Québec, de bénévoles du comité national, de membres de notre comité sur la privatisation de l'eau et de diverses parties intéressées de notre organisme. Cependant, cette idée vient de moi.
J'ai eu l'idée de venir témoigner devant le Comité alors que je réfléchissais à des moyens efficaces de procéder. Beaucoup de gens ont travaillé très dur pour produire les documents qui nous sont proposés. À mon avis, ils sont dangereux, mais ils comportent néanmoins des éléments de progrès, notamment en ce qui concerne la consommation et l'exploitation non rationnelle de l'eau. Ce sont deux domaines qui sont très clairement de la compétence des États et des provinces, mais la question des dérivations relève très nettement, aux termes du droit constitutionnel canadien et américain... Si nous voulons sceller et verrouiller cette entente, c'est au fédéral qu'il faut s'adresser, qui établira clairement et sans équivoque...
Nous avons déjà le Traité des eaux limitrophes, et il serait totalement déraisonnable de reprendre les négociations, sur quelque aspect que ce soit de ce Traité signé en 1909. Nous avons un traité, tenons-nous-y. Mais il faut obtenir l'engagement des deux gouvernements nationaux. Les deux clament leur ferme opposition aux dérivations et aux exportations d'eau en vrac. Très bien. Il semble que la faille se trouve dans le régime législatif américain, et non du côté canadien. Comment faire alors pour amener les Américains à joindre le geste à la parole et à adopter des lois en ce sens? Je ne crois pas que de telles ententes y parviendront.
Le fait de distinguer ces deux aspects permettra selon moi d'aller de l'avant avec les ententes qui sont adéquates et qui ne mettent pas en péril la CMI, le Traité des eaux limitrophes et certaines lois américaines—la Water Resources Development Act, notamment, adoptée par les États-Unis en 1986, est une bonne loi. C'est le fédéral qui est le mieux placé pour y arriver.
À (1035)
M. Joe Comartin: Est-ce qu'il me reste du temps?
Le président: Vous avez une minute.
M. Joe Comartin: Je crois que c'est une mission impossible.
Je reviens à M. Shrybman. Pouvez-vous rapidement nous dire à quoi il faudrait s'attendre si un investisseur du privé déposait une requête? Pouvez-vous répondre en moins de 45 secondes?
M. Steven Shrybman: Ce serait un investisseur étranger aux États-Unis. Dans ce cas, au titre de l'ALENA, il se plaindrait que le régime porte atteinte à ses intérêts. Des investisseurs l'ont déjà fait contre le Mexique. Un tribunal arbitral international serait saisi de la requête et trancherait toutes les questions dont nous avons débattues. Le Parlement canadien n'aurait rien à dire, ni le Congrès américain, ni les gestionnaires concernés. En réalité, le tribunal devrait décider si, selon les dispositions du régime, l'eau est considérée à titre de ressource et si, de ce fait, elle fait naître des droits de propriété commercialisables.
Le hic avec ce régime est qu'il remet les pouvoirs décisionnels entre les mains des tribunaux internationaux. Or, ces tribunaux officient à huis clos. Leurs mandats sont de nature commerciale. Aucun contrôle judiciaire n'est possible si l'instance se déroule à l'extérieur du Canada. Un tel régime ne laisse aucune place aux tribunaux canadiens, ni avant, ni pendant, ni après le règlement d'un différend. C'est là que le bât blesse.
M. Joe Comartin: Nous admettons tous ces limites—ils le reconnaissent également— mais, dans ce scénario, le critère utilisé jusqu'ici par la CMI pourrait-il s'appliquer?
M. Steven Shrybman: Il serait certainement évoqué devant le tribunal. Quant au sort que réserverait le tribunal à un tel critère, nous n'en avons aucune idée.
M. Joe Comartin: Merci, monsieur le président.
Le président: Merci, monsieur Comartin.
Nous allons maintenant passer à des interventions de cinq minutes, en commençant par M. McGuinty, suivi de M. Jean.
M. David McGuinty (Ottawa-Sud, Lib.): Merci, monsieur le président.
Merci à tous de vous être présentés. J'ai trouvé vos exposés et les discussions qui ont suivi fort intéressants. Je suis très heureux de revoir plusieurs d'entre vous.
Quand Raymond Chrétien, ancien ambassadeur du Canada aux États-Unis, a prononcé son discours d'adieu à la fin de son assignation à Washington, monsieur le président, il a mentionné qu'il avait été particulièrement étonné du temps consacré aux questions environnementales. Les questions d'environnement d'envergure continentale formaient plus de 40 p. 100 de son travail—non seulement les débats bilatéraux, mais aussi ceux qui touchent l'ensemble du continental. Il a ajouté que ces enjeux perdureraient après son règne, et que leur durée de vie était sans doute la plus longue jamais vue!
J'aimerais revenir sur les propos du secrétaire parlementaire. Je crois que nous avons seulement effleuré le sujet. Je suis un fervent défenseur d'une réforme en profondeur du régime en place, monsieur Shrybman, comme vous l'avez suggéré à maintes reprises, y compris le régime de droit public qui régit ce domaine et toute la question de l'action corrosive ou non de l'OMC. Les opinions divergent beaucoup dans ce domaine.
Le temps est-il venu d'agir à l'échelle continentale? Le président Bush viendra nous visiter sous peu. Ne serait-ce pas le bon moment pour le ramener à la réalité en lui rappelant que nous vivons sur le même continent que lui, que les échanges commerciaux à l'intérieur de ce continent ne cessent d'augmenter? La dernière fois que je les ai vus, nos océans étaient contigus. Nous n'aurons pas le choix d'adopter des stratégies de gestion des océans qui rallient à la fois les États-Unis et le Mexique. Des concepts tels que les principes de conservation et de précaution n'étaient même pas nés en 1907 et en 1908, quand le premier traité a été négocié.
Voici ma première question: Avons-nous des indices qui nous permettraient de croire qu'une approche continentale de ce type pourrait être bien accueillie au sud de notre frontière et au Mexique?
Deuxième question à l'intention de nos témoins: Aucun d'entre vous n'a parlé de l'aspect économique de l'eau. Aucun n'a évoqué la possibilité d'une utilisation élargie de certains instruments économiques pour favoriser l'assainissement de l'environnement. Il me semble que le Canada a été plutôt réservé en la matière. Si vous me le permettez, j'aime rester sur le plancher des vaches. Je n'aime pas les hypothèses. Je veux entendre parler d'États-nations qui ont fait un meilleur usage des instruments économiques à leur disposition.
Que pensez-vous, par exemple, du projet très sérieux de l'Ontario d'imposer des droits sur l'eau et de délivrer des permis de prélèvement? Quel serait l'impact d'une réforme des règles économiques sur le développement durable de nos ressources en eau?
À (1040)
Le président: Madame Ehrhardt, vous avez tenté d'attirer mon regard. Voulez-vous commencer, puis je donnerai la parole aux témoins à tour de rôle d'un bout à l'autre.
Mme Sara Ehrhardt: Je tiens simplement à souligner à quel point nos membres sont inquiets de la façon dont progresse l'intégration continentale. Nous comprenons bien qu'il est important que les différents territoires trouvent moyen de travailler ensemble, mais il est impératif que le Canada et les Canadiens conservent leur souveraineté quoiqu'il advienne, et que la société civile continue de faire pression sur le gouvernement pour qu'il devienne enfin le leader que nous espérons sur les questions environnementales.
J'aimerais aussi aborder la question de l'utilisation de l'eau à des fins économiques. Ce concept était présent dans la Politique fédérale relative aux eaux, adoptée en 1987 et qui n'a pas été révisée depuis, comme je l'ai déjà souligné. Ce n'est pas faute de l'avoir demandé, depuis un bon moment déjà.
Le Conseil des Canadiens se préoccupe en effet de l'utilisation d'instruments économiques. Nous aimerions que ceux qui utilisent l'eau à des fins commerciales prennent leurs responsabilités. En revanche, nous ne voulons pas que l'eau soit traitée comme un bien commercialisable. Nous ciblons les propriétaires de piscines, les embouteilleurs; nous ne voulons pas que les Canadiens les plus pauvres aient à payer. Je tiens à ce que cette réserve soit bien inscrite, en ajoutant que nous ne croyons pas en la nécessité d'une révision exhaustive des politiques relatives à l'eau partout au pays.
Le président: Madame May.
Mme Elizabeth May: Merci, monsieur McGuinty.
Je tiens aussi à exprimer toute ma reconnaissance à l'ambassade du Canada à Washington, qui vient tout juste d'annoncer qu'elle avait dorénavant dans sa mire un enjeu majeur en matière d'environnement, soit la protection de la Réserve faunique nationale de l'Arctique. Je présume que c'était déjà un des gros morceaux de l'agenda sous le règne de M. Chrétien à l'ambassade.
Pour ce qui est de l'établissement d'une politique continentale, je crois qu'il serait tout à fait opportun de revoir l'ALENA après dix années d'existence. Des représentants de la société civile s'efforcent actuellement d'attirer l'attention d'un autre comité parlementaire sur la nécessité de faire un bilan. Quels ont été les résultats positifs, les résultats négatifs? Il est vraiment important de faire cette évaluation.
Du point de vue environnemental, je miserais sur la Commission nord-américaine de coopération environnementale, qui a quelques bon coups à son actif malgré l'absence de pouvoirs et le fait qu'elle est dirigée par trois ministres de l'environnement de trois autorités différentes, qui peuvent lui mettre des bâtons dans les roues à tout moment. Je n'aime pas trop la tangente actuelle—Sera-t-elle protégée?Continuera-t-elle d'agir de façon indépendante?—, mais il est certain qu'il faut mettre en place des instruments de surveillance environnementale à l'échelle du continent.
Je partage l'inquiétude de Mme Ehrhardt pour ce qui est de l'intégration, mais je serai brève à ce sujet. Nous avons discuté de la Politique fédérale relative aux eaux de 1987 et de la nécessité de la réviser parce qu'elle est devenue désuète. Je faisais partie du bureau du ministre de l'Environnement à l'époque. J'ai participé à son élaboration et M. Pentland y a aussi collaboré très étroitement. Si je me souviens bien, elle était très avant-gardiste. Il y est question du prix de l'eau. Du besoin de mettre cette ressource en valeur. On y reprend des arguments assez similaires à ceux qui sont utilisés pour l'utilisation de l'énergie. Le constat y est que nous ne payons pas le prix réel de l'eau. Il ne s'agit pas de privatiser cette ressource, ni d'en faire un bien commercialisable mais, comme c'est le cas des ressources énergétiques, le fait est que nous ne payons pas le prix réel pour utiliser l'eau du robinet. Pourtant, nous acceptons de payer beaucoup plus pour l'eau en bouteille que pour l'essence, même si nous n'avons aucune assurance de sa pureté et même si les bouteilles sont fabriquées avec du plastique qui émet des substances ayant des effets perturbateurs sur les fonctions endocriniennes. Je ne comprends vraiment pas comment nous percevons l'eau dans ce pays.
Ce thème n'est pas lié à l'Annexe, mais il faut tout de même s'en préoccuper. Bref, nous sommes en faveur de l'utilisation d'instruments économiques.
Le président: Merci.
Madame May, je dois vous arrêter là mais je prends bonne note de cette question avant de donner la parole à M. Jean. Peut-être pourrons-nous revenir sur certains des éléments soulevés.
Monsieur Jean.
M. Brian Jean (Fort McMurray—Athabasca, PCC): Merci, monsieur le président.
Merci à nos invités pour les témoignages entendus.
Je commencerai par souligner à Mme May qu'elle pourrait peut-être revoir sa vision de la politique en termes de gauche et de droite, puisque les allégeances changent selon qu'on regarde vers l'arrière ou vers l'avant. Utilisez des couleurs plutôt. Si vous connaissez vos couleurs primaires, qui sont au nombre de quatre seulement, il y a notamment le bleu, sans lequel vous ne pouvez faire du vert. Je tenais à faire cette précision.
Au risque de surprendre mes collègues, je crois que nous nous sommes déjà rencontrés à une réunion du Club Sierra, à Calgary. Je suis aussi membre, de Fort McMurray.
J'aimerais livrer quelques commentaires avant de poser mes trois questions. Comme j'ai seulement cinq minutes, je vais vous les exposer en rafale.
Je souscris à certains commentaires entendus à l'égard de la transformation de l'eau en un bien commercialisable. Je suis moi-même avocat de métier et j'ai étudié le droit international et environnemental en Australie et aux États-Unis. Pour dire le vrai, j'en ai des frissons. Je ne crois pas que le statu quo perdurera, et je suis de plus en plus convaincu que les États-Unis vont tout faire pour commercialiser l'eau, même à son état naturel.
Je ne crois pas par ailleurs que nous aurons à transiger avec les États-Unis sur une base bilatérale. À mon avis, les discussions seront plutôt trilatérales puisqu'il faudra compter avec le Mexique, dans le cadre de l'ALENA. C'est une autre question dont il faudra parler, avec toutes les autres.
Mon dernier commentaire avant de poser mes questions s'adresse aux membres du Comité et à nos invités, qui sont venus réfléchir avec nous sur la pertinence de la participation des gouvernements fédéraux, et notamment du gouvernement américain, et sur la primauté de leurs pouvoirs pour ce qui est des traités supplémentaires qui, de toute évidence, les mettront en cause. À mon sens, toute annexe signée dans le futur devrait reconnaître des pouvoirs de contrôle à l'Ontario, au Québec et aux États, en reconnaissance du fait que le gouvernement fédéral américain doit agir au bénéfice de tous les États. C'est une autre situation plutôt effrayante. Surtout si on pense à la migration des employés entre les États-Unis et le Canada, qui traversent d'une province à l'autre. Là encore, je crois que cette question sera aussi de compétence fédérale. Il faudra tenir compte de tous les États et de toutes les provinces, et ce ne sera certainement pas à l'avantage des provinces et des États directement touchés.
Je vais maintenant poser mes questions. Pour ce qui est des inventaires, j'aimerais savoir pourquoi exactement vous y tenez tant. Je sais que les niveaux ont connu des fluctuations impressionnantes depuis les années 30. Quel serait l'avantage de dresser des inventaires?
Ma deuxième question concerne les écoulements restitués qui résultent des dérivations dans certaines régions. Quels sont les correctifs possibles actuellement?
Troisièmement, madame May, vous avez parlé de prélèvements. Pensez-vous que ce sera suffisant pour endiguer les écoulements et protéger les Grands Lacs?
À (1045)
Mme Elizabeth May: Merci. Je me réjouis également de vous revoir. J'espère que vous redeviendrez membre du Club Sierra.
Je vais tenter de répondre à vos questions dans l'ordre.
La Charte des Grands Lacs de 1986 exigeait déjà des inventaires. Si nous les avions faits, nous serions certainement mieux outillés aujourd'hui pour répondre à certaines interrogations très précises sur l'état actuel des lacs. Le Traité des eaux limitrophes parle des niveaux et des écoulements. De toute évidence, quand il s'agit d'un plan d'eau aussi gigantesque, comme vous l'avez déjà entendu, il est extrêmement difficile d'évaluer les effets d'une intervention quelconque sur les niveaux et les écoulements. Ce serait déjà plus facile si nous avions un meilleur inventaire. Mme Miller a parlé plus tôt du fait que les chiffres et les données dont nous disposons ne constituent pas un inventaire utilisable, et qu'ils ne sont pas comparables d'un territoire à l'autre. Il est certain que nous avons besoin de meilleures données. C'est une exigence qui existe déjà, et nous demandons simplement qu'elle soit remplie.
En ce qui concerne les incidences actuelles et futures sur les eaux, il s'agit d'une question que nous abordons dans notre mémoire mais dont je n'ai pas eu la chance de vous parler. Comme j'ai peu de temps, je me contenterai de souligner que le Club Sierra du Canada se préoccupe beaucoup plus des incidences des changements climatiques sur les Grands Lacs que de celles des projets d'utilisation commerciale de ces eaux, quels qu'ils soient. Les changements climatiques auront des conséquences catastrophiques sur les Grands Lacs, et tous les usagers du bassin risquent d'en subir les contrecoups. Nous sommes d'autant plus inquiets quand nous constatons que l'examen d'un régime visant à autoriser la dérivation des eaux ne tient pas compte du principe de précaution ni des incidences probables des changements climatiques.
Les projections modélisées des conséquences des changements climatiques sur le système des Grands Lacs nous font craindre le pire. La diminution du débit dans certaines des principales rivières du bassin sera la conséquence inévitable de l'évaporation accrue causée par le réchauffement des températures en hiver. Il est très complexe de prédire ce qui arrivera aux Grands Lacs dans 10, 20, 30 ou 150 ans. Une chose est sûre cependant: il s'agit de l'un des plus grands plans d'eau de la planète et nous devons redoubler de prudence avant d'adhérer à une quelconque entente qui risque d'augmenter encore les dangers qui pèsent sur les Grands Lacs. Malheureusement, je suis extrêmement perplexe quant à la capacité des ententes proposées d'empêcher les dérivations.
Je conviens avec vous que ce sont les États et les provinces voisins des Grands Lacs qui ont le plus intérêt à protéger ce plan d'eau. Si je demande que la question soit renvoyée aux gouvernements fédéraux des États-Unis et du Canada, c'est parce qu'ils sont les mieux placés pour la régler.
Permettez-moi de revenir en arrière. La complexité extrême de cette entente vient de ce qu'elle tente d'établir un régime qui tiendra le coup advenant une contestation hypothétique fondée sur la clause commerciale de la Constitution américaine. À mon avis, il existe des moyens beaucoup plus simples d'empêcher l'application de cette clause commerciale, et c'est d'obtenir un engagement du fédéral qui pourra être invoqué lors d'une éventuelle poursuite judiciaire. Ce serait beaucoup plus efficace qu'un mécanisme de contrôle éminemment complexe, établi par un engagement régional, dont le but unique serait de garantir le maintien de la Water Resources Development Act de 1986 aux États-Unis.
À (1050)
Le président: Merci.
Madame Ratansi, puis monsieur Simard.
Mme Yasmin Ratansi (Don Valley-Est, Lib.): Peut-être avez-vous déjà répondu à ces questions. Je vous remercie d'être parmi nous. C'est un domaine très complexe si j'en juge par tous les mémoires que nous avons reçus.
Si j'examine le Traité des eaux limitrophes, le compact et les deux ententes—je vous regarde parce que vous êtes l'avocat du groupe—, j'en déduis que le Traité est exécutoire et qu'aucune autre entente ne peut y contrevenir. Ma compréhension est-elle trop naïve? Voilà pour ma première question.
Ma deuxième question est la suivante: Le projet d'entente entre les gouverneurs et les provinces porterait-il atteinte aux pouvoirs de la CMI?
Et troisièmement, le projet de loi C-6, qui modifiait la Loi du Traité des eaux limitrophes internationales et qui a été adopté le 24 mai 2001, renfermait des dispositions d'interdiction très fermes. Quelle est sa place dans les discussions en cours?
M. Steven Shrybman: Je vais m'efforcer de répondre à vos trois questions très brièvement.
En droit international, c'est le dernier accord signé qui prévaut. Si des dispositions de l'ALENA ou des accords de l'OMC concernant la gestion de l'eau se contredisent entre elles ou si elles contredisent les exigences du Traité des eaux limitrophes, il est reconnu en droit que le dernier accord signé a la primauté. Par conséquent, l'accord commercial entre effectivement en contradiction avec le Traité. C'est le premier point.
Deuxième point, le compact ou une quelconque entente entre les gouverneurs, ou entre les gouverneurs et les premiers ministres, n'a aucun effet sur un régime de droit international. Les lois internationales sont absolument à l'abri de quelque mesure que ce soit du Congrès ou du Parlement. Par conséquent, les gouvernements n'ont pas le choix de renégocier ces ententes internationales.
Troisième point, les sérieuses réserves émises par le Canada à l'endroit de l'Annexe sont fondées sur des arguments pratiques et non sur des arguments de droit. Le Canada s'inquiète de ce que la CMI soit reléguée au rang de second violon par la création d'un régime parallèle indépendant, qui ne semble donner aucune place à la CMI.
Le nerf de la guerre semble être la notion des écoulements de l'autre côté de la frontière. Les environnementalistes ne cessent de nous dire à quel point ils sont difficiles à mesurer. Dans certains cas, si la dérivation est suffisamment importante, comme celle de Chicago ou du lac Supérieur, il est possible de mesurer l'écoulement, mais c'est plus souvent le contraire.
Quelle a été l'approche du Parlement canadien quand il a adopté le projet de loi C-6 en vue de renforcer le Traité des eaux limitrophes? Le Parlement a tenu pour acquis que toute dérivation risquait d'avoir une incidence sur les écoulements de l'autre côté de la frontière. Par conséquent, du point de vue du Canada, il était évident que tous les projets de dérivation devaient être soumis à l'examen de la CMI. Le Canada ne s'est donc pas contenté d'interdire les exportations: il s'en est remis à la CMI et il s'est prononcé sur les effets probables des dérivations. On ne trouve rien de cela dans le compact. C'est une de nos craintes.
Mme Yasmin Ratansi: Merci, monsieur le président.
Le président: Monsieur Simard.
[Français]
M. Christian Simard: Merci, monsieur le président.
Le dernier point que vous avez soulevé sur la primauté des accords internationaux est très intéressant. Il est assez évident que l'accord entre les États et les provinces ne peut être considéré comme un accord commercial. Donc, c'est un accord parallèle. Maintenant, il demeure que dans ce projet d'accord de 2001, il y a quand même une référence au Traité des eaux limitrophes. Ce qui ne nous aide pas dans le débat, c'est que nous n'avons pas une position claire de la Commission mixte internationale. Ses représentants sont venus ici. Comment la Commission mixte internationale réagit-elle? On lit entre les lignes qu'il y a des débats très difficiles entre ses conseillers juridiques et peut-être deux positions qui s'affrontent.
Dans les faits, la Commission mixte internationale a quand même failli à sa tâche. La dérivation de Chicago est une chose réelle qui s'est passée alors qu'il existait un accord international ainsi qu'une structure. Il m'apparaît parfois que cet accord international est une fausse protection, une protection juridique théorique. Cet accord a été négocié avec un pays beaucoup plus gros que le nôtre, comme beaucoup d'autres accords, et cet autre pays est toujours gagnant quand il fait une demande.
Je n'ai toujours pas eu de réponse à ma question.
Comment peut-on bonifier l'accord de 2001 pour s'assurer qu'il y ait un certain rapport de force entre les provinces et les États signataires? J'ai l'impression que la réalité va faire que, peu importe les lois que le gouvernement fédéral pourra adopter de ce côté-ci des Grands Lacs, s'il n'y a pas adoption de la même loi de l'autre côté, il n'y aura pas d'amélioration du traité. Un traité se fait à deux.
Comment peut-on, en améliorant les projets qui sont là, faire en sorte que le système soit protégé? Les principales victimes de tout cela sont les lacs de l'Ontario et le Saint-Laurent. Vous savez que dans notre région, on peut carrément perdre un énorme lac, qui s'appelle le lac Saint-Pierre, qui est usine de production biologique extraordinaire, autant pour le Saint-Laurent lui-même que pour le golfe Saint-Laurent. Il y a également les lacs Érié et Huron qui sont gravement menacés. C'est ma préoccupation.
Mme Miller est aussi associée au processus. Comment pouvons-nous, dans le cadre d'une logique de compact aux États-Unis, avoir un certain droit d'intervention ou de veto?
À (1055)
[Traduction]
Mme Sarah Miller: Votre remarque au sujet de la dérivation de Chicago est tout à fait à pertinente. Le ministre ontarien des Ressources naturelles, quand il a présenté le projet d'annexe, a souligné avec emphase que, en toute logique, la prochaine dérivation du bassin des Grands Lacs prendrait la forme d'une augmentation de la dérivation de Chicago. Actuellement, la dérivation de Chicago est prévue par décret de la Cour suprême des États-Unis. Il est plus qu'improbable que le Canada obtienne le droit de comparaître devant la Cour suprême des États-Unis, mais le gouvernement ontarien n'en a pas moins tenté de faire valoir à la table des négociations que toute augmentation nouvelle de cette dérivation devrait être visée par cette annexe. Ce point revêt une importance capitale parce qu'il y a assurément divergence du côté américain.
Nous n'avons pas eu beaucoup de veine devant les cours sur la question des eaux. Comme vous le savez, la décision récente Manitoba-Dakota du Nord a été en défaveur du Manitoba, même si nous avons obtenu de comparaître devant les tribunaux.
C'est enjeux sont très graves. Comme vous l'avez mentionné, le Québec et l'Ontario se trouvent du côté récepteur du système, de sorte que la plupart des effets seront énormément amplifiés pour nous à mesure que les niveaux d'eau continueront de baisser. C'est pourquoi, si nous en arrivons à adopter une annexe viable de notre point de vue, j'aimerais beaucoup que le Québec et l'Ontario y donnent force de loi dans leur propre régime, pour qu'elle soit exécutoire. Les États se contentent d'un engagement les uns envers les autres aux termes du compact, mais nous nous engageons nous-mêmes à nous conformer à nos lois intérieures, de sorte à les renforcer de façon durable. Cependant, je ne recommande pas d'en faire autant avec les projets d'ententes dans leur forme actuelle.
Le président: Madame May.
Mme Elizabeth May: Merci pour cette question, monsieur Simard. Je voulais aussi souligner que, dans notre mémoire, nous évoquons précisément cette menace que font peser sur l'écosystème des Grands Lacs les augmentations prévues à la dérivation de Chicago, dont la réalisation est relativement simple dans les faits. Nous avons entendu parler d'une demande à cet égard de l'Illinois, que les autorités américaines auraient mise en veilleuse jusqu'à ce que les débats autour de cette annexe soient terminés.
Nous avons aussi entendu dire que certains évaluateurs avaient tranché que les ententes comprises dans l'Annexe à la Charte des Grands Lacs ne s'appliquaient pas aux augmentations de la dérivation de Chicago—du moins une grande partie des dispositions. Pour éviter cela, il faut absolument que toute entente conclue—qu'il s'agisse de la présente entente, d'une version plus coercitive ou de toute autre entente négociée—prévoit un traitement égal des augmentations des dérivations existantes et des nouvelles dérivations.
Le président: Très bien. Merci beaucoup.
Nous allons devoir clore cette séance.
Au nom de mes collègues du Comité, je vous remercie. La profondeur des questions et notre entêtement à comprendre vous ont certainement démontré tout le sérieux que le Comité accorde à ce sujet. Nous allons rédiger un rapport que nous déposerons à la Chambre, et vos propos de ce matin nous seront fort utiles pour donner le traitement le plus juste possible à cette question. Encore une fois, merci à tous d'être venus témoigner devant le Comité.
Á (1100)
Mme Elizabeth May: Merci, monsieur le président.
Le président: La séance est levée. Merci beaucoup de votre attention.