PACP Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.
Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.
38e LÉGISLATURE, 1re SESSION
Comité permanent des comptes publics
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 2 novembre 2004
¹ | 1535 |
Le président (M. John Williams (Edmonton—St. Albert, PCC)) |
Mme Catherine Beagan Flood (avocate auprès de la Chambre des communes, Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires, À titre individuel) |
¹ | 1540 |
¹ | 1545 |
Le président |
M. Alan Tonks (York-Sud—Weston) |
Le président |
M. Rob Walsh (légiste et conseiller parlementaire, Chambre des communes) |
Le président |
M. Brian Fitzpatrick (Prince Albert, PCC) |
Le président |
M. Gary Carr (Halton, Lib.) |
Mme Catherine Beagan Flood |
M. Gary Carr |
Le président |
M. Gary Carr |
Le président |
M. Gary Carr |
Le président |
M. Gary Carr |
Le président |
M. Rob Walsh |
Le président |
L'hon. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.) |
¹ | 1550 |
Le président |
Mme Catherine Beagan Flood |
Le président |
M. David Christopherson (Hamilton-Centre, NPD) |
Mme Catherine Beagan Flood |
Le président |
Mme Catherine Beagan Flood |
Le président |
M. David Christopherson |
Le président |
M. David Christopherson |
Le président |
Mme Catherine Beagan Flood |
Le président |
Mme Catherine Beagan Flood |
Le président |
Mme Catherine Beagan Flood |
¹ | 1555 |
Le président |
M. David Christopherson |
Le président |
M. Guy Pratte (avocat de Jean Pelletier, Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires, À titre individuel) |
Le président |
º | 1600 |
M. Guy Pratte |
Le président |
M. Guy Pratte |
º | 1605 |
º | 1610 |
Le président |
L'hon. Shawn Murphy (Charlottetown, Lib.) |
Le président |
L'hon. Shawn Murphy |
M. Guy Pratte |
º | 1615 |
Le président |
M. Mark Holland (Ajax—Pickering, Lib.) |
Le président |
M. Mark Holland |
M. Guy Pratte |
M. Mark Holland |
M. Guy Pratte |
Le président |
º | 1620 |
M. Guy Pratte |
Le président |
M. Gary Carr |
M. Guy Pratte |
Le président |
M. Guy Pratte |
Le président |
M. David Christopherson |
Le président |
M. David Christopherson |
Le président |
M. David Christopherson |
Le président |
M. David Christopherson |
º | 1625 |
Le président |
M. Guy Pratte |
Le président |
M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ) |
Le président |
M. Benoît Sauvageau |
Le président |
M. Benoît Sauvageau |
º | 1630 |
M. Guy Pratte |
M. Benoît Sauvageau |
M. Guy Pratte |
M. Benoît Sauvageau |
M. Guy Pratte |
M. Benoît Sauvageau |
M. Guy Pratte |
M. Benoît Sauvageau |
Le président |
M. Brian Fitzpatrick |
Le président |
M. Brian Fitzpatrick |
M. Guy Pratte |
º | 1635 |
M. Brian Fitzpatrick |
M. Guy Pratte |
M. Brian Fitzpatrick |
Le président |
M. Brian Fitzpatrick |
M. Guy Pratte |
Le président |
M. Guy Pratte |
Le président |
M. Guy Pratte |
Le président |
M. Guy Pratte |
Le président |
M. Richard Auger (avocat de Charles Guité, Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires, À titre individuel) |
Le président |
M. Richard Auger |
Le président |
M. Richard Auger |
Le président |
M. Richard Auger |
º | 1640 |
Le président |
L'hon. Shawn Murphy |
M. Richard Auger |
L'hon. Shawn Murphy |
M. Richard Auger |
L'hon. Shawn Murphy |
Le président |
M. Richard Auger |
Le président |
M. Benoît Sauvageau |
º | 1645 |
Le président |
M. Richard Auger |
Le président |
M. Benoît Sauvageau |
Le président |
M. Gary Carr |
Le président |
M. Rob Walsh |
M. Gary Carr |
M. Rob Walsh |
Le président |
M. Gary Carr |
Le président |
M. Gary Carr |
Le président |
M. Gary Carr |
Le président |
M. Gary Carr |
M. Richard Auger |
Le président |
M. Richard Auger |
º | 1650 |
Le président |
M. Brian Fitzpatrick |
M. Richard Auger |
M. Brian Fitzpatrick |
Le président |
M. Benoît Sauvageau |
M. Richard Auger |
M. Benoît Sauvageau |
Le président |
M. David Christopherson |
Le président |
M. Warren Newman (avocat général, Droit administratif et constitutionnel, ministère de la Justice) |
º | 1655 |
» | 1700 |
Le président |
M. Benoît Sauvageau |
Le président |
» | 1705 |
M. Warren Newman |
Le président |
M. Warren Newman |
Le président |
M. Warren Newman |
Le président |
M. Warren Newman |
Le président |
M. Brian Fitzpatrick |
M. Warren Newman |
» | 1710 |
M. Brian Fitzpatrick |
M. Warren Newman |
Le président |
M. David Christopherson |
Le président |
M. David Christopherson |
Le président |
M. David Christopherson |
M. Warren Newman |
Le président |
M. David Christopherson |
M. Warren Newman |
» | 1715 |
M. David Christopherson |
M. Warren Newman |
Le président |
M. Rob Walsh |
» | 1720 |
Le président |
M. Rob Walsh |
» | 1725 |
» | 1730 |
Le président |
Mme Catherine Beagan Flood |
Le président |
M. Rob Walsh |
» | 1735 |
Le président |
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.) |
Le président |
CANADA
Comité permanent des comptes publics |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mardi 2 novembre 2004
[Enregistrement électronique]
* * *
¹ (1535)
[Traduction]
Le président (M. John Williams (Edmonton—St. Albert, PCC)): Bon après-midi, mesdames et messieurs.
Selon l'ordre du jour, nous examinons, conformément à l'article 108(3)g) du Règlement, le programme de commandites; le chapitre 4, Activités de publicité; et le chapitre 5, Gestion de la recherche sur l'opinion publique du rapport de novembre 2003 de la vérificatrice générale du Canada renvoyé au comité le 10 février 2004, privilèges, pouvoirs et immunité de la Chambre des communes.
Nos témoins, aujourd'hui, ne comparaîtront pas tous en même temps mais un à la fois ou en groupes. Il y aura tout d'abord, de la Chambre des communes, M. Rob Walsh, légiste et conseiller parlementaire. À titre personnel, nous entendrons Mme Catherine Beagan Flood, avocate auprès de la Chambre des communes à la Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires; M. Guy Pratte, avocat de Jean Pelletier, Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires; M. Pierre Fournier, avocat de l'honorable Alfonso Gagliano, Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires; Richard Auger, avocat de Charles Guité, Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires. Du ministère de la Justice, nous accueillons M. Warren J. Newman, avocat général, droit administratif et constitutionnel. C'est tout.
Comme je l'ai dit, nous allons commencer par une déclaration préliminaire de Mme Catherine Beagan Flood qui, en gros, d'après ce que je comprends, vise à communiquer au comité les observations du juge Gomery et d'autres membres de la Commission d'enquête sur cette question de privilèges de la Chambre des communes. La déclaration de Mme Beagan Flood sera suivie de celle de M. Guy Pratte, qui à ce que j'ai compris, représentera aussi M. Pierre Fournier. Comme ils ont plus ou moins la même histoire, j'ai pensé qu'il serait inutile de l'entendre deux fois. M. Richard Auger, l'avocat de M. Guité, qui, je crois, n'est pas encore arrivé, pourrait venir présenter ses arguments. Il sera suivi de M. Warren Newman, du ministère de la Justice.
En gros, nous sommes ici pour entendre les arguments. Nous ne voulons pas entrer dans les détails juridiques. Nous sommes des parlementaires. Il ne s'agit pas d'un argument juridique. C'est un argument parlementaire. Ils ne vont faire que nous présenter leur position.
J'espère que, bien qu'il puisse y avoir une ou deux questions, celles-ci viseront surtout à obtenir des renseignements supplémentaires. Comme je l'ai dit hier lors de la réunion du comité de direction, il ne sera pas question de demander conseil ou d'obtenir l'avis de ces gens, même s'ils sont avocats, parce que ce ne sont pas nos avocats. M. Walsh, qui viendra témoigner par la suite, pourra répondre aux questions et en poser, si vous voulez l'avis juridique du légiste. J'espère que vous limiterez vos questions, pour commencer, à l'obtention d'éléments additionnels, si vous ne pensez pas avoir tous les faits.
L'autre chose que j'aimerais dire, pour que ce soit au compte rendu, comme vous le savez tous, nous nous abstenons de parler de la commission Gomery—c'est la commission d'enquête—et nous désignons le commissaire par le titre M. le juge Gomery, ou M. le juge Gomery le commissaire, ou encore le commissaire, pour préserver les convenances dans cette salle.
Je pense que nous savons, ou Mme Beagan Flood va nous le dire, que nous traitons aujourd'hui des pouvoirs, des privilèges et de l'immunité de la Chambre des communes.
Sans plus attendre, je vous cède la parole, madame Beagan Flood, pour votre déclaration préliminaire.
Mme Catherine Beagan Flood (avocate auprès de la Chambre des communes, Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires, À titre individuel): Merci. Bon après-midi, monsieur le président. Bon après-midi membres du comité.
À ce que je comprends, j'ai été invitée à comparaître devant ce comité pour transmettre formellement au comité la demande que vous fait juge Gomery, en sa qualité de commissaire de la Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires, soit que la Chambre des communes détermine si elle est prête à renoncer à son privilège en ce qui concerne les témoignages reçus devant ce comité.
Pour situer un peu le contexte de mon intervention dans cette affaire, j'ai été mandatée, le 17 octobre, après qu'on m'ait annoncé, en ma qualité d'avocate auprès de la Chambre des communes, que l'avocat de Jean Pelletier avait annoncé à la commission qu'il souhaitait pouvoir utiliser le compte rendu des témoignages reçus à ce comité pour le contre-interrogatoire des témoins qui comparaissent devant la commission Gomery. Donc, l'avocat de la commission a donné un avis formel, puisqu'il pensait que la Chambre des communes voudrait présenter des arguments de droit sur cette question, et il a déclaré que si la Chambre des communes voulait soutenir de tels arguments, ceux-ci devraient être présentés le lendemain matin devant la commission Gomery.
J'ai été mandatée par la Chambre des communes pour comparaître devant la commission principalement en tant qu'amicus curiae, c'est-à-dire en tant qu'amie de la Cour. C'est quelqu'un qui ne prend pas position sur les questions dont traite la commission, mais quelqu'un qui présente plutôt des arguments de droit pour aider la commission à décider de quelque principe juridique et ici, ce principe juridique, c'est la portée des privilèges parlementaires de la Chambre des communes.
J'ai remis aux membres du comité un extrait d'une décision du comité judiciaire du Conseil privé, qui résume très succinctement la nature du privilège. Je n'ai pas l'intention de soutenir des arguments juridiques, mais je crois que le document a été distribué. Je voudrais seulement m'y référer comme à quelque chose qui résume en quelque sorte le genre d'arguments que j'ai présentés devant le juge Gomery.
Lundi dernier, le 25 octobre, le juge Gomery a donné aux avocats qui souhaitaient pouvoir utiliser les témoignages reçus à ce comité une occasion de lui exposer leurs raisons. Il a entendu les arguments de l'avocat de Jean Pelletier et de celui du très honorable Jean Chrétien. Ils étaient appuyés par l'avocat de l'honorable Alfonso Gagliano, bien qu'il n'ait présenté aucun argument supplémentaire.
Ces avocats ont tous soutenu que ce ne serait pas enfreindre le privilège parlementaire que de les laisser mettre en doute la sincérité d'un témoin devant la commission d'enquête en faisant ressortir les contradictions entre le témoignage que cette personne a présenté devant le comité et les déclarations qu'elle a faites devant la commission d'enquête.
Entre-temps, M. Pratte, pour le compte de Jean Pelletier en particulier, a soutenu que si le commissaire était d'accord avec les arguments juridiques que j'avais présentés pour le compte de la Chambre des communes voulant que le privilège parlementaire s'appliquait à ces circonstances, ou si le commissaire pensait que la conclusion juridique manquait quelque peu de clarté, selon lui ce que devrait faire le commissaire, c'est demander à la Chambre de renoncer à ce privilège.
Sylvain Lussier, qui représentait le procureur général du Canada, a aussi suggéré que le commissaire pourrait vouloir pétitionner la Chambre pour qu'elle renonce à ce privilège. Cependant, il a suggéré que le commissaire attende qu'une situation se présente—une situation où un témoin en particulier ferait des déclarations apparemment contradictoires—pur présenter la requête à ce moment-là.
Après avoir entendu tous les avocats qui avaient été invités à présenter des arguments, ou qui avaient demandé à en présenter sur la question de privilège, le juge Gomery a demandé que je discute avec mon client, la Chambre des communes pour voir si elle serait prête à renoncer à son privilège si une situation devait survenir où un conseiller demanderait à s'appuyer sur les comptes rendus d'audiences de ce comité pour récuser la crédibilité ou la sincérité d'un témoin qui semble faire des déclarations contradictoires dans son témoignage à la commission d'enquête, comparativement aux déclarations qu'il a faites devant ce comité.
¹ (1540)
J'ai rappelé au commissaire que pour qu'il y ait une telle renonciation, il faudrait une résolution de la Chambre des communes. C'est pourquoi le commissaire m'a demandé d'entamer immédiatement avec la Chambre des communes une discussion sur la possibilité qu'elle renonce à son privilège, parce qu'il craignait le risque d'importants retards si cette possibilité n'était pas envisagée avant qu'une situation particulière se présente où un témoin serait réputé avoir fait des déclarations contradictoires.
Maintenant, je sais qu'une bonne part de ce qu'a dit le juge Gomery à la commission d'enquête a déjà été lu devant le comité, et je n'ai aucune intention de le répéter, à moins que vous vouliez que je le fasse encore. Je voulais tout de même mentionner qu'il y avait d'autres références, et je ne suis pas sûre qu'elles aient déjà été présentées au comité.
À la page 4626 du compte rendu en anglais de la commission, à la toute fin de cette journée d'audience, le commissaire a dit:
Je me demande s'il pourrait y avoir une discussion sur cette possibilité [de renonciation] avec votre client immédiatement pour prévenir d'inutiles retards à une étape ultérieure. Mais nous ne parlons toujours que d'une hypothèse, et c'est là un problème. |
Il parle ici du fait que le problème pourrait ne jamais se poser. Il est possible qu'il n'arrive pas de situation où des contradictions seraient relevées.
Il poursuit en disant:
Tout de même, j'aimerais beaucoup que vous puissiez au moins aborder le sujet avec votre client, dans le but de déterminer à quel point il insiste pour préserver son privilège dans cette affaire. |
Et c'est ce qui m'amène ici, pour transmettre au comité la demande du juge Gomery que la Chambre s'interroge à savoir si elle est prête à renoncer à sa liberté d'expression s'il arrive qu'on relève des contradictions présumées entre une déclaration qu'aura faite un témoin devant ce comité et le témoignage de cette même personne devant la commission Gomery.
À ce que je comprends, le comité se demande s'il devrait présenter un rapport ou une recommandation à la Chambre à ce sujet. Je suis prête à répondre aux questions du comité.
¹ (1545)
Le président: Merci beaucoup, Mme Beagan Flood.
Elle décrit la situation très clairement. Le juge Gomery voudrait que nous réfléchissions à cette question, et c'est maintenant à nous d'en décider. Je ne voudrais pas y consacrer trop de temps maintenant, parce que le débat se fera avec les autres témoins.
Monsieur Tonks.
M. Alan Tonks (York-Sud—Weston): Puis-je poser une question pour obtenir des précisions? Le témoin vient de dire que la question était de savoir si la Chambre était prête à renoncer à sa liberté d'expression. Est-ce bien ainsi qu'elle l'a dit? En quoi la liberté d'expression et la renonciation au privilège parlementaire sont-ils la même chose?
Le président: Maintenant, vous abordez des aspects juridiques de la déclaration des droits, le Bill of Rights de 1689, qui traite de la liberté de parole.
Pourriez-vous citer ce petit segment, monsieur Walsh, pour répondre à M. Tonks, parce que c'est extrait du Bill of Rights de 1689?
M. Rob Walsh (légiste et conseiller parlementaire, Chambre des communes): Monsieur le président, l'article 9 du Bill of Rights anglais de 1689 dispose que:
L'exercice de la liberté de parole et d'intervention dans les débats et délibérations du Parlement ne peut être contesté ni être mis en cause devant un tribunal quelconque ni ailleurs qu'au Parlement. |
Le président: Je vous remercie.
Monsieur Fitzpatrick.
M. Brian Fitzpatrick (Prince Albert, PCC): Je peux comprendre la logique de ce genre de choses s'il s'agit des parlementaires eux-mêmes, parce qu'il nous faut séparer l'État ou l'aspect législatif de l'aspect judiciaire, et tout cela. Je me demande cependant si ce n'est pas aller un peu loin quand on parle d'un témoin.
Le président: Monsieur Fitzpatrick, j'ai dit au début qu'on n'allait pas demander l'avis des témoins. M. Walsh viendra devant le comité tout à l'heure, et vous pourrez lui demander des opinions. Cette question est irrecevable.
Monsieur Carr.
M. Gary Carr (Halton, Lib.): Une question, rapidement. Vous avez dit que M. le juge Gomery voulait agir en prévision d'une situation éventuelle. De son point de vue, quelle raison y aurait-il pour l'obtenir maintenant plutôt que d'attendre que la situation se présente vraiment?
Mme Catherine Beagan Flood: Je pense qu'il a donné plus d'une raison. L'une était que si la commission, ou si la Chambre des communes voulait attendre que la situation se présente, il pourrait s'écouler un certain temps avant qu'une décision soit prise, parce qu'évidemment, ce comité examine la question et peut présenter un rapport et faire une recommandation à la Chambre. La Chambre devra alors examiner la question. Elle pourrait avoir un débat sur le sujet, ou encore renvoyer les questions à ce comité ou à un autre comité, aux fins d'examen. Il craignait que ses travaux soient retardés des jours ou même des semaines pendant que la Chambre examinerait la question.
Il a aussi dit qu'il semble très probable que la situation se présentera. Plusieurs avocats en ont déjà invoqué la possibilité qui, c'est certain, savent ce qui a été dit à ce comité, et ils savent ce qui sera probablement dit devant la commission. Donc, comme il est probable que la situation surviendra et qu'elle est susceptible de causer des retards s'il faut attendre une situation concrète, à ce que je comprends, ce sont les raisons pour lesquelles il a demandé qu'on y réfléchisse avant qu'on en arrive là.
M. Gary Carr: À ce propos, très rapidement.
Le président: Très rapidement.
M. Gary Carr: En ce qui concerne le calendrier, comme vous le savez, la Chambre ne siégera pas après Noël. Qu'est-ce qui est prévu si rien n'est fait avant Noël? Quel est le calendrier de la commission? Quand doit-elle se réunir après? Est-ce que vous le savez?
Le président: Je vais accepter la question sur le calendrier de la commission. Si la Chambre ne prend pas de décision, elle ne prend pas de décision, c'est tout.
M. Gary Carr: Monsieur le président, je sais ce qui se passe.
Le président: Je le sais. Quel est le calendrier de la commission?
M. Gary Carr: C'est pourquoi je pose la question, d'après le nôtre. La question, c'est qu'est-ce qui arrive avec le calendrier de la commission?
Le président: Monsieur Walsh.
M. Rob Walsh: Pour être juste avec Mme Beagan Flood, elle n'est pas ici pour représenter la commission. Peut-être a-t-elle d'autres renseignements là-dessus, mais elle n'est absolument pas en position d'informer le comité de ce que pourrait être ou ne pas être le calendrier de la commission d'enquête.
Le président: D'accord.
Monsieur Lastewka, puis M. Christopherson.
L'hon. Walt Lastewka (St. Catharines, Lib.): Merci, monsieur le président, j'ai une petite question.
Est-ce que c'est dans la procédure, que le commissaire pose une question sur le privilège, et on lui donne une réponse? Est-ce qu'il cherche à obtenir une définition, et ensuite ce n'est qu'une affaire de protocole? Ou est-ce qu'il pose vraiment la question parce qu'il voudrait obtenir des précisions, ou avoir le droit d'en obtenir? Est-ce que c'est la procédure qui veut qu'on doive faire ainsi?
¹ (1550)
Le président: Je pense que je peux m'exprimer au nom de la Chambre des communes, en disant que M. le juge Gomery a demandé que la Chambre des communes réfléchisse à la question. Nous sommes actuellement en train d'y réfléchir, et nos méthodes entrent maintenant en jeu pour déterminer comment nous parviendrons à une décision. Cette décision sera ensuite annoncée, je suppose, au juge Gomery.
Est-ce que vous voudriez donner des précisions, de l'autre côté, madame Beagan Flood?
Mme Catherine Beagan Flood: Peut-être puis-je préciser quelque chose. Ce qui est arrivé devant le juge Gomery, c'est qu'une demande précise lui a été faite, pour que les avocats puissent utiliser les compte rendus. On lui demande donc de statuer sur une question juridique, à savoir si cela peut être fait devant lui ou non. Il a décidé de ne pas prendre de décision là-dessus pour l'instant. La situation n'est pas encore survenue spécifiquement dans les faits. Il n'a pas encore pris de décision là-dessus mais il a demandé à la Chambre des communes de réfléchir pour voir si elle est prête à renoncer à son privilège, auquel cas il n'aurait pas à statuer sur cet aspect. Alors, en fait, il demande une renonciation elle-même, plutôt que des précisions.
Le président: Monsieur Christopherson.
M. David Christopherson (Hamilton-Centre, NPD): Merci beaucoup, monsieur le président, et merci, madame Beagan Flood, pour votre présentation.
Pour que ce soit clair, la question du temps pris—et cela se veut un raccourci, si c'est possible, pour le commissaire, selon moi. Le commissaire a fait des observations sur ce qu'il pourrait faire ou pourrait ne pas faire si nous ne renonçons pas à notre privilège, et si je comprends bien, cela nous entraînerait nous aussi dans toute une procédure. Est-ce que vous pourriez expliquer cela clairement, pour que nous comprenions le contexte de ce que M. le juge Gomery a dit qu'il pourrait faire, ou qu'il pourrait envisager de faire si nous ne cédons pas à sa requête?
Mme Catherine Beagan Flood: Bien entendu, mais pour cela, je vais revenir au compte rendu des propos du juge Gomery. Je crains que ce soit un peu long, mais peut-être est-ce important.
Le président: C'est le passage que j'ai lu pour le compte rendu tout à l'heure.
Mme Catherine Beagan Flood: C'est le passage que le président a lu pour le compte rendu tout à l'heure.
Le président: Est-ce que vous voulez qu'on le lise encore, monsieur Christopherson?
M. David Christopherson: S'il vous plaît, tout ne serait-ce que parce que je pense qu'il est important que tout le monde comprenne que nous pourrions nous engager dans une longue procédure, quelle que soit notre décision.
Le président: D'accord, tous les membres en ont reçu la version écrite.
Permettez-moi de poser la question suivante, une espèce de coup de sonde. Est-ce que le consensus est que vous voulez qu'on vous le relise pour votre information? Vous en êtes tous raisonnablement satisfaits.
Je pense que nous pouvons nous en passer, monsieur Christopherson.
M. David Christopherson: Puis-je avoir un bref résumé, alors, pour le compte rendu, de cette discussion? Ce n'est pas tout le monde qui suit la question de près, et il est très important de comprendre vers quoi nous pourrions nous diriger ou non. Est-ce que vous le permettriez?
Le président: Oui.
Madame Beagan Flood, avez-vous la déclaration qui commence avec le commissaire qui dit, «Je me suis demandé pourquoi la Chambre des communes vous a donné le mandat qui est le vôtre»?
Mme Catherine Beagan Flood: Oui, je l'ai.
Le président: Alors, pourquoi ne pas commencer à lire là, et vous pourriez, quant à y être, lire toute la déclaration encore une fois.
Mme Catherine Beagan Flood: Vous voulez que je lise toute la déclaration?
Le président: Oui, tant qu'à y être.
Mme Catherine Beagan Flood: Merci. Voici ce que le commissaire a déclaré:
Je me suis demandé pourquoi la Chambre des communes vous a donné le mandat qui est le vôtre et, pas plus que n'importe qui d'autre, je n'ai le droit de chercher à connaître les motifs de la Chambre des communes. Elle a ses raisons. Mais bien que je ne puisse enquêter là-dessus, je peux émettre des hypothèses et j'ai beau chercher, je ne peux comprendre pourquoi elle a invoqué son privilège. |
Malgré tout le respect que je dois à votre client et à la Chambre des communes, j'incline à penser que la Chambre des communes tiendrait à encourager l'enquête menée par cette commission. Que la Chambre des communes, comme je l'ai déjà dit, par le biais de son comité des comptes publics, a fait le même genre d'enquête que nous faisons ici et j'incline à penser qu'elle tiendrait à faciliter et même à encourager cette enquête. Si vous avez lu les déclarations de politiciens en vue, certains d'entre eux du moins sont d'avis que ce qui se passe ici est une bonne chose; qu'il est souhaitable que des témoins soient entendus et que la vérité soit révélée. |
Quel intérêt auraient-ils donc à entraver le cours normal du contre-interrogatoire qui aurait lieu, et notamment les questions au sujet de déclarations contradictoires, en invoquant leur privilège? Voilà ce que je ne comprends pas. Je ne comprends pas pourquoi vous... eux... si ce sont leurs privilèges qu'ils cherchent à défendre en veillant à ce que l'on ne crée pas de précédent, je serais porté à penser qu'ils peuvent plus efficacement protéger leur... éviter un précédent défavorable en renonçant à leurs privilèges et en s'abstenant de me mettre dans la position difficile de devoir décider si oui ou non le privilège doit s'appliquer dans les présentes circonstances. Est-ce clair? |
Si l'on m'oblige à rendre une décision, celle-ci peut aller dans un sens ou dans l'autre, et ne me demandez pas en ce moment lequel, parce que je l'ignore. J'essaie de vous faire comprendre que la Chambre des communes, si elle tient à préserver l'intégrité de son immunité, protégerait sans doute mieux ses intérêts si elle renonçait à son privilège dans ce cas particulier et évitait une décision défavorable. |
Je vais donc vous le demander—parce que j'ai l'intention de rendre une décision. Je suis persuadé que si je me fie à Me Lussier, Me Doody et, je suppose, M. Pratte—je suis persuadé que pour toutes ces personnes il n'y a aucune urgence à ce que je rende immédiatement une décision sur cette question épineuse, et je ne vais pas le faire. J'ai écouté les arguments. Je vais précieusement protéger les pouvoirs qui m'ont été donnés et j'espère que la question ne se posera pas. Mais si elle se pose, alors je pense que j'ai un problème et, sauf le respect que je vous dois, votre client a un problème, à savoir que je dois rendre une décision et que cette dernière pourrait vous être favorable comme elle pourrait ne pas l'être. Si je rends une décision qui ne vous est pas favorable, nous risquons de nous retrouver dans un litige long, pénible et coûteux tant que les instances supérieures n'auront pas tranché. Entre-temps, je me demande si l'on ne fait pas obstacle aux objectifs de la présente commission d'enquête et je me demande si la Chambre des communes veut vraiment que l'on fasse obstacle à ces objectifs. |
Je vais donc vous suggérer, sauf le respect que je vous dois, de discuter de cette question de façon plus approfondie avec votre client dans le but de déterminer s'il serait disposé à renoncer à son privilège advenant que la question se pose ici. Je comprends l'importance de l'immunité et du privilège. Je dis tout simplement que l'immunité ou le privilège est dans une certaine mesure en péril si l'on m'oblige à rendre une décision. |
Donc, vous pourriez peut-être y songer, de concert avec vos clients. Peut-être que nous pouvons éviter le problème. Cela vous va-t-il? |
¹ (1555)
Le président: D'accord, monsieur Christopherson?
M. David Christopherson: Oui, monsieur le président. Merci beaucoup.
Le président: Merci beaucoup, madame Beagan Flood, de votre exposé.
Je vais maintenant appeler M. Pratte, qui parle aussi au nom de M. Fournier et de M. Peter Doody, qui est l'avocat de M. Chrétien à la Commission.
Mais d'abord, j'ai oublié, au début de la réunion, de vous énumérer la documentation qui a été distribuée à tous les membres avant que nous commencions. Premièrement, vous avez tous reçu les lettres d'invitation à comparaître devant le comité le mardi 2 novembre qui ont été envoyées à tous ceux qui sont ici aujourd'hui.
Deuxièmement, on vous a remis un article dans lequel la très honorable Beverley McLachlin, juge en chef de la Cour suprême du Canada, livre ses réflexions sur l'autonomie du Parlement; cet article est paru dans la Revue parlementaire canadienne.
Troisièmement, on vous a distribué des extraits des travaux du 25 octobre 2004 de la Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires. Ces extraits expliquent l'essentiel de la question que les avocats ici présents ont demandé au juge Gomery d'examiner.
Quatrièmement, la greffière vous a remis la réponse du juge John Gomery aux observations de Catherine Beagan Flood, avocate de la Chambre des communes auprès de la commission d'enquête, que je vous ai lue et qu'on vient de relire une deuxième fois.
Enfin, cinquièmement, on vous a aussi remis la lettre de M. Peter Doody, qui s'excuse de ne pouvoir se présenter aujourd'hui, mais M. Pratte va parler en son nom.
Avant de vous céder la parole, monsieur Pratte, j'aimerais que vous confirmiez que vous parlez au nom de M. Pierre Fournier et de M. Peter Doody, et en votre nom personnel.
M. Guy Pratte (avocat de Jean Pelletier, Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires, À titre individuel): Je peux sûrement confirmer que je parle en mon nom. Je ne représente évidemment pas M. Chrétien ou M. Gagliano, mais je crois comprendre qu'ils approuvent mon point de vue et, à ce titre, ils m'ont permis d'intervenir.
Le président: Je n'ai pas parlé de M. Chrétien ou de M. Gagliano, mais de M. Fournier et de M. Doody.
º (1600)
M. Guy Pratte: Oui, mais ce sont les clients qu'ils représentent et ils acceptent mon point de vue, alors ils m'ont permis de prendre la parole.
Le président: D'accord, c'est bien. Vous pouvez y aller.
M. Guy Pratte: Merci beaucoup, monsieur le président, de m'avoir invité pour expliquer brièvement au comité les raisons pour lesquelles M. Pelletier et d'autres qui sont de son avis estiment que rien n'interdit, dans le droit constitutionnel canadien, de se reporter à la transcription d'un témoignage fait devant un comité ou la Chambre dans le but d'aider une commission publique d'enquête à confirmer la vérité.
J'accepte dès le départ que les questions de privilège parlementaire—que certains peuvent trouver un peu complexes parfois—sont d'une importance vitale pour la santé de notre démocratie et de notre constitution parlementaire. Mais j'estime que l'institution de la commission royale d'enquête, ou ce qu'on appelle maintenant enquête publique, dont l'origine remonte, dans le droit britannique, au Moyen-Âge, est tout aussi importante. La première loi canadienne sur les enquêtes a été adoptée en 1867.
À mon avis, au cours d'une enquête publique, comme de tout procès instruit dans notre pays, l'accès aux déclarations faites devant d'autres instances, que ce soit au tribunal ou ailleurs, peut être crucial pour confirmer la vérité. C'est capital parce que cela peut aider le juge, ou le commissaire dans ce cas-ci, à établir la crédibilité des témoins. Par souci d'équité, c'est aussi important pour les témoins, et je vais revenir là-dessus dans un instant.
Pour aider le commissaire Gomery à s'acquitter de ses fonctions, on voudrait qu'il ait accès à toutes les déclarations déjà faites par les témoins sur des questions pertinentes, peu importe où elles ont été faites, même si c'est devant votre comité.
Voici très brièvement où je veux en venir. Dans le contexte du droit canadien, est-ce que les privilèges de la Chambre priment nécessairement sur les intérêts et les règles générales qui régissent les enquêtes publiques et interdisent au juge Gomery de se reporter à ce à quoi n'importe qui d'autre, ailleurs au Canada, peut faire référence quand il doit établir la crédibilité des témoins? Voilà le problème.
J'ai deux arguments à exposer, monsieur le président. D'abord, je vais expliquer pourquoi, en droit, j'estime que faire référence à ce que les témoins peuvent avoir dit ne porterait pas atteinte aux privilèges et, ensuite, je vais parler de la dérogation parce que la raison d'être du privilège est rattachée à ces deux questions.
Pour commencer, même si Mme Beagan Flood est une brillante avocate—et je le lui ai déjà dit d'ailleurs—je ne partage pas son point de vue sur le droit en la matière, et cela pour trois raisons. D'abord, ni le texte ni le contexte historique du Bill of Rights ou de la déclaration des droits de 1688-1689 ne nous permet, à première vue, de penser qu'on a voulu interdire toute référence aux propos tenus par un témoin de façon à entraver le travail d'une enquête publique. Je vous renvoie... et je ne vais pas le lire, mais le juge Gomery, aux pages 4613 et 4614 des travaux de la Commission, a expliqué clairement quel était le contexte en 1689. Voilà pour mon premier argument.
Deuxièmement, en 1867, au moment de la Confédération, nous avons adopté le droit britannique tel qu'il existait en ce qui a trait au privilège parlementaire et, même si ces privilèges ont été accrus pour protéger les députés, par exemple, contre des poursuites pour libelle diffamatoire ou contre les décisions ou mesures de la Chambre soumises à l'examen des tribunaux, il n'existait aucune cause ni aucune décision, au moment où le droit britannique a été intégré au droit canadien, indiquant qu'on ne pouvait se reporter aux déclarations d'un témoin dans un contexte comme celui-ci. C'était l'état du droit quand nous l'avons importé au Canada. À l'époque, ce n'était pas interdit.
Troisièmement, depuis 1867 jusqu'à aujourd'hui, rien dans la jurisprudence canadienne n'empêche un tribunal ou une enquête publique de faire référence à ce qu'un témoin a déclaré devant un comité parlementaire. Il y a des lois dans d'autres pays du Commonwealth qui sont divergentes. La tendance au Canada depuis 25 ans veut qu'on fasse souvent référence à la Chambre et aux déclarations faites à la Chambre pour confirmer devant un tribunal l'intention d'une mesure législative. Ce n'est pas considéré comme une atteinte aux privilèges. Dans le contexte du droit, je suis d'avis qu'il n'y a, au Canada, aucune interdiction ou violation de vos privilèges.
º (1605)
Je vais en dernier lieu parler de la dérogation. Le commissaire a indiqué, et cela se trouvait dans le passage qu'on vous a lu, que la décision qu'il pourrait être appelé à rendre pourrait aller dans un sens ou dans l'autre. À mon avis, peu importe ce qu'il décide, ce sont essentiellement les raisons pour lesquelles on utilise ces déclarations en rapport avec votre immunité qui doivent être examinées pour décider si vous devriez renoncer ou non à vos privilèges.
La raison pour laquelle on se reporte à des déclarations antérieures, et à des déclarations antérieures apparemment contradictoires, est toujours la même, quelle que soit l'instance. On y fait référence pour aider le juge à établir la crédibilité du témoin, pour expliquer une contradiction apparente. C'est la première raison. On le fait aussi pour être juste à l'égard du témoin. S'il y a contradiction apparente auprès du public, il doit pouvoir l'expliquer et, dans 95 % des cas, ces incohérences sont plus apparentes que réelles, et le témoin peut expliquer ce qu'il a voulu dire.
Dans les deux cas, cette vérification que n'importe quel tribunal judiciaire et presque tout tribunal administratif au Canada est toujours autorisé à faire aide le juge à prendre la bonne décision. On se sert de ces déclarations dans le but de découvrir la vérité. C'est la raison pour laquelle ces déclarations pourraient être utiles au commissaire Gomery. Mais je suis d'avis—et ce sera ma dernière remarque sur la dérogation—que ce n'est pas incompatible avec le travail de votre comité. C'est une des inquiétudes qui a été soulevée par Mme Beagan Flood, à savoir que le fait qu'il n'y ait pas de privilège ou qu'on y renonce entraverait le travail de votre comité, parce que les témoins ne seraient peut-être pas disposés à venir témoigner devant vous. Je pense que ce serait tout à fait le contraire.
D'abord, si un témoin pense qu'il peut plus tard être confronté à une déclaration contradictoire, il aura beaucoup plus tendance à dire la vérité devant vous que n'importe où ailleurs.
Ensuite, si cette préoccupation était fondée, elle toucherait tous les tribunaux. Si celui qui se présentait devant un tribunal craignait de se faire reprocher, cinq ans plus tard, une déclaration contradictoire... Personne, nulle part, n'est à l'abri de cette possible critique.
Enfin, quoi qu'il en soit, cet argument n'est pas valable parce qu'il est possible d'intenter des poursuites pour faux témoignage devant vous, de sorte que tous ceux qui comparaissent devant vous font déjà face à cette éventualité. Bien au contraire, à mon humble avis, la possibilité de contradictions futures et la nécessité d'expliquer une incohérence éventuelle vont améliorer la qualité des témoignages déposés devant vous, comme devant le commissaire Gomery. La raison d'être du recours à des déclarations contradictoires est justement l'argument qui plaide en faveur de leur utilisation devant le juge Gomery, et faire valoir que cela pourrait nuire à votre travail n'est pas un argument valable, à mon humble avis.
C'est là-dessus que je termine, monsieur, en espérant ne pas avoir dépassé le temps alloué, mais je ne pense pas l'avoir fait. M. Pelletier m'a demandé de présenter ces arguments au commissaire Gomery, et je vous les ai résumés ici, parce qu'il est d'avis qu'il faut présenter au juge Gomery le compte rendu le plus complet de tous les faits pertinents, non seulement dans le cas d'anciennes déclarations contradictoires, mais pour tous les faits. C'est en partie pour pouvoir consulter, si nécessaire, la transcription de vos délibérations qui sont probablement les plus complètes compte tenu de tous les témoins que vous avez entendus au printemps de 2004.
Je pense que, sans nuire au travail de votre comité, il est dans l'intérêt de la commission d'enquête qu'elle puisse, au besoin, comme Mme Beagan Flood l'a expliqué, se reporter à d'anciennes déclarations contradictoires. Cela ne sera peut-être jamais nécessaire, mais le commissaire essaie de prévoir ce qui pourrait être nécessaire, sans nuire d'aucune façon au Parlement.
Autrement, le commissaire Gomery va se trouver dans une impasse. Il est la seule personne qui ne peut pas porter de jugement en comparant ce qu'il a vu à la télévision au printemps pendant vos délibérations et ce qu'il entend tous les jours cet automne. Il est le seul qui ne peut donner l'heure juste et, pourtant, c'est le seul qui a été officiellement chargé d'établir les faits au cours d'une enquête publique.
º (1610)
Les arguments de Mme Beagan Flood sur l'atteinte aux privilèges ont pour effet d'enfermer le commissaire Gomery dans une impasse, de l'empêcher de s'intéresser à ce qui s'est passé devant vous. Il est le seul placé dans cette situation. Il serait pratiquement impossible d'expliquer aux Canadiens pourquoi il devrait en être ainsi. Si vous pensez que Mme Beagan Flood a raison dans le contexte du droit, je vous exhorte à envisager une dérogation pour les fins de cette enquête.
Monsieur le président, je vous remercie de m'avoir invité et de m'avoir donné l'occasion de m'adresser à vous.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Pratte.
Monsieur Murphy, allez-y.
L'hon. Shawn Murphy (Charlottetown, Lib.): Merci beaucoup, monsieur le président.
J'ai deux ou trois questions à poser au témoin. D'abord, merci beaucoup de votre exposé. Vous avez dit qu'il n'y avait pas de précédent, en common law, à l'appui du privilège accordé à un témoin, que ce soit ici ou dans d'autres pays de même tradition juridique. Y a-t-il un précédent...
Le président: Monsieur Murphy, j'ai dit au début que vous étiez ici pour comprendre la demande de M. Pratte et non pas pour en discuter les aspects légaux. Nous pourrons le faire avec M. Walsh plus tard. Je préfère que vous posiez cette question à M. Walsh.
M. Pratte a expliqué pourquoi nous devrions envisager la dérogation. Ce n'est pas notre avocat, et je ne pense pas que nous devrions chercher à comprendre ou à embellir son point de vue.
L'hon. Shawn Murphy: J'ai une autre question à poser, alors, monsieur le président.
J'espère qu'on ne pensera pas que je veux limiter les pouvoirs de la commission Gomery, mais le privilège parlementaire est assurément un aspect très important de notre assemblée. Il ne nous a pas été accordé à la légère et je ne pense pas qu'on devrait l'enlever à tout propos.
À la fin, vous avez parlé de la population. Nous avons convoqué des témoins qui ont comparu selon certaines conditions et assurances. On les a assurés, ce qui m'apparaissait et m'apparaît toujours être juste, que le privilège parlementaire s'appliquait. Que vous le vouliez ou non, c'est ainsi que je le comprends. Que pensez-vous d'une assemblée comme notre comité—qui peut prendre les décisions prises par la Chambre des communes—et la Chambre des communes qui prend rétroactivement une décision contraire aux conditions et aux assurances offertes aux témoins qui se sont présentés il y a six ou sept mois? N'est-ce pas embarrassant?
M. Guy Pratte: Au sujet de votre première question, je n'examine pas une question de droit, mais une question de fait. Rien au Canada n'appuie, à mon avis, le point de vue de Mme Beagan Flood. Comme j'ai dit, la loi est différente dans d'autres pays du Commonwealth. Donc c'est une question de fait.
Pour ce qui est de votre deuxième question sur la dérogation, j'ai deux remarques à faire. D'abord, si j'ai raison dans le contexte du droit, c'est malheureux, parce que la jouissance du privilège est quelque chose... Dans le contexte limité auquel je l'applique, parce que je n'attaque pas le privilège parlementaire en général, et dans lequel le juge Gomery l'applique, si j'ai raison sur le plan du droit, le privilège qui a été accordé à ces témoins ne pouvait pas l'être, parce qu'il n'existait pas.
Ensuite, si ces privilèges existaient, les témoins ne pourraient pas penser être protégés contre toute atteinte à leur réputation, parce qu'on pourrait toujours les poursuivre pour faux témoignage. Je pense qu'il est beaucoup moins pénible d'avoir fait antérieurement une déclaration contradictoire. À mon avis, il n'y a pas de danger pour le témoin, en pratique.
Enfin, si un témoin se sent menacé, c'est à lui de demander une protection et d'indiquer au juge Gomery qu'il sait que le privilège ne s'applique pas mais qu'on lui a offert cette protection et qu'il la veut. Le juge Gomery peut se prononcer sur le bien-fondé de la demande. D'autres peuvent ne pas vouloir l'invoquer.
Je vous dirais, monsieur, qu'il ne faut pas présumer à l'avance que tous les témoins, s'ils comprennent la dérogation ou le fait qu'il n'y a pas de privilège... Ils peuvent bien n'avoir aucune objection à ce qu'on se reporte à leur ancien témoignage.
º (1615)
Le président: Merci, mais c'est le privilège de la Chambre des communes et non le privilège des témoins que nous examinons.
Je cède la parole à M. Holland, suivi de M. Carr, de M. Christopherson, de M. Sauvageau et de M. Fitzpatrick.
Monsieur Holland.
M. Mark Holland (Ajax—Pickering, Lib.): Je souhaiterais approfondir un peu le dernier point afin de mieux saisir la position que vous nous avez expliquée, c'est-à-dire la vôtre et celle de votre client.
Dans vos observations, vous avez fait allusion à l'utilisation des déclarations des députés, en établissant une analogie. Vous avez parlé des autres processus judiciaires et des témoignages devant notre comité. Reconnaît-on qu'il existait une différence? Vos propos établissent presqu'un parallèle entre les deux, comme s'il n'y avait aucune différence. Par rapport aux travaux et aux privilèges parlementaires, notre comité n'a pas un caractère trop judiciarisé nécessitant beaucoup d'avocats. Nous disons plutôt aux gens de venir comparaître et que leurs témoignages ne pourront pas servir contre eux lors d'une autre instance. C'est un engagement et une promesse de notre part. Comment conciliez-vous votre analogie et le fait que nous avons promis à des gens qu'ils pourraient témoigner devant nous sans que leur témoignage puisse être utilisé contre eux?
J'aimerais vous demander également... Je vous laisserai d'abord répondre à la première question.
Le président: Il y a déjà répondu, monsieur Holland, en disant que, si nous ne l'avions pas, il ne nous incombait pas de l'annuler. J'essaie de demander aux intervenants d'être le plus concis possible.
M. Mark Holland: Je comprends, mais je veux bien comprendre que c'est là la position. Que je souscrive ou non à cette position, c'est une autre question, mais je veux savoir clairement que c'est là la position.
M. Guy Pratte: Je comparais pour aborder la question de l'existence d'un privilège et de l'opportunité de son annulation. J'ai fait valoir mon point de vue à cet égard, monsieur. Quant à savoir s'il est injuste d'annuler la promesse à laquelle vous faites allusion si le privilège n'existe pas, je pense que le tout dépend des témoins. Si un témoin dit que l'annulation du privilège ne lui pose aucun problème comme vous ne pouviez pas le lui accorder de toute façon, ou s'il vous dit qu'il est prêt à en assumer les conséquences, le chapitre est clos. Ce qui vous inquiète, c'est l'injustice à l'égard de la personne à qui vous avez accordé le privilège. Si le témoin dit que cela ne lui pose aucun problème, l'affaire est close.
M. Mark Holland: Je ne veux pas engager le débat, mais cela ne m'inquiète pas autant que les répercussions sur les instances ultérieures et la légitimité qu'on accorde aux engagements pris par notre comité.
Cependant, pour mieux saisir vos arguments, je demanderais alors ceci : si la vérité pouvait être obtenue par... Disons que vous preniez notre argument au pied de la lettre, c'est-à-dire que nous nous inquiétons d'un empiètement sur le privilège parlementaire. Votre client et vous n'êtes-vous pas d'accord qu'il serait possible essentiellement de dégager tout autant la vérité en interrogeant encore les témoins avant leur comparution devant la commission d'enquête, et ce sans porter préjudice à nos travaux et à la crédibilité de ceux à venir?
M. Guy Pratte: C'est une question très pertinente. Je répondrai que la commission d'enquête devrait avoir tous les outils dont dispose tout tribunal pour dégager la vérité. Dans la présente affaire, je crains qu'il existe peut-être des circonstances où empêcher le commissaire d'avoir accès à tous les éléments de preuve pertinents pourrait très bien nuire à sa recherche de la vérité. Autrement dit, il n'y aurait peut-être pas d'autres moyens de l'obtenir. Nous ne pouvons pas l'affirmer, et je ne pense pas que Mme Beagan Flood soit en désaccord avec nous sur ce point.
La règle générale régissant tout tribunal—et n'oubliez pas que tous les tribunaux doivent établir les faits et dégager la vérité—, c'est qu'il a toujours accès à toutes les déclarations antérieures, de façon à posséder tous les outils dont il pourrait avoir besoin. La position adoptée par la Chambre pourrait déboucher sur ceci : nous savons qu'il y a une multitude d'éléments de preuve pertinents à laquelle on n'aurait pas accès. Le cas échéant, je tiens à vous dire que vous enlevez un outil important. Il existe peut-être d'autres moyens d'obtenir la vérité, mais une chose est certaine : les chances de la dégager sont réduites.
Le président: Ne reconnaissez-vous pas que, devant un tribunal judiciaire, il arrive que des quantités d'éléments de preuve ne soient pas admises par le juge parce que certaines conditions n'ont pas été respectées? Votre argument selon lequel vous avez droit à tout ce qui a été consigné publiquement n'est donc pas toujours conforme à la façon dont les choses se déroulent devant un tribunal judiciaire.
º (1620)
M. Guy Pratte: Monsieur, je faisais allusion—et je vous remercie encore de votre question—à la règle générale selon laquelle vous pouvez utiliser les déclarations antérieures incompatibles. Il n'y a aucune exception à cette règle, sauf celle que vous avez signalée.
Le président: Très bien.
Je cède la parole à M. Carr, suivi de M. Christopherson, de M. Sauvageau et de M. Fitzpatrick.
M. Gary Carr: Merci infiniment de votre exposé.
Comme vous l'avez souligné, le juge Gomery a indiqué que cette situation peut ne jamais survenir. Les seuls sachant si une telle situation se produira sont les avocats des personnes en cause. De toute évidence, nous nous penchons sur cette question ici aujourd'hui, mais je me demande si ce recours est envisagé. L'envisagez-vous?
M. Guy Pratte: En fait, j'ignore la réponse à cette question. Le tout est toujours fonction des déclarations de tous les témoins. Vous n'y avez jamais recours s'il n'y a pas de contradiction évidente.
Dans les faits, voyez-vous, cette question ne serait jamais débattue. Chaque avocat supposerait que, au besoin, il pourrait utiliser les déclarations antérieures. Cela s'est produit uniquement parce que je l'ai mentionné en passant et que Mme Beagan Flood a fait valoir, le lendemain, son argument, que je qualifierais de brillant.
Je ne pense pas que quiconque envisage quoi que ce soit, mais je le répète, c'est important. Si vous voulez avoir recours à ce moyen lors d'un contre-interrogatoire, il serait utile de savoir quelle est la réponse.
Le président: C'est donc hypothétique à l'heure actuelle.
M. Guy Pratte: Comme tous l'ont reconnu, y compris le commissaire.
Le président: Très bien.
M. Christopherson.
M. David Christopherson: Merci, monsieur le président.
Je suis très sensible à votre courtoisie. J'espère que ceux qui ne sont pas d'accord avec moi ont pensé que j'ai été brillant.
Je tiens simplement à poursuivre sur deux ou trois points. Premièrement, je pense que vous éprouverez vraiment de la difficulté à nous convaincre que ce privilège n'existe pas, et ce pour plusieurs raisons, la moindre n'étant pas la demande présentée par le juge Gomery pour que nous annulions le privilège. De toute évidence, il est d'avis que ce privilège est accordé à tous les témoins parlementaires.
Comme vous le savez, il existe également deux précédents : l'un remonte au XIXe siècle et l'autre au XXe siècle. Les deux portent, à mon avis, sur des procès criminels au sujet desquels la Chambre des communes a envisagé directement d'accorder une telle annulation. Il devait bien y avoir alors un privilège, et on a tranché. Depuis lors, je crois comprendre que chaque Parlement l'a tenu pour acquis. Vous n'aurez donc pas une mince tâche à cet égard.
Je signalerai simplement deux ou trois autres points, et je vous laisserai y répondre.
J'aimerais que vous nous fassiez part des effets qui, selon vous, se répercuteraient sur les travaux du comité et de la Chambre des communes si nous avions acquiescé à cette demande, selon...
Le président: Monsieur Christopherson, c'est que...
M. David Christopherson: Non, je ne sollicite pas son avis juridique sur notre décision, monsieur le président. Je lui demande son avis sur la capacité du comité de poursuivre ses travaux ultérieurement, étant donné que son opinion diffère de celle de notre légiste.
Le président: C'est très bien, monsieur Christopherson. Vous pouvez poser cette question à M. Walsh. Vous ne la poserez pas à M. Pratte.
M. David Christopherson: Je veux cependant avoir son opinion. M. Walsh et lui ont des points de vue différents.
Le président: Il a fait valoir son point de vue, et il le maintiendra. Il comparaît pour nous demander d'envisager la question de l'annulation du privilège. M. Walsh répondra aux questions au sujet des répercussions sur notre capacité de...
M. David Christopherson: Voici ce que je vous propose: vous écoutez attentivement tous mes propos et vous intervenez si je contreviens au Règlement.
Actuellement, nos témoins n'ont pas besoin d'être accompagnés de leurs avocats, et selon moi, on les exhorte à ne pas le faire. Ils ne comparaissent pas devant un tribunal. Nos séances permettent de tenir un débat parlementaire entre des élus qui sont ou ne sont pas des avocats. Des témoins sont convoqués pour témoigner sur une question. Si une telle éventualité se produisait, nous y perdrions beaucoup, et nos séances prendraient une forme très différente, car nous deviendrions un genre de tribunal. J'aimerais savoir ce que vous pensez des répercussions d'une telle éventualité sur notre capacité de faire comparaître des témoins ultérieurement, ce à quoi, en passant soit dit, vous pourriez être associé ou non.
Enfin, je partage la préoccupation soulevée et vous nous entendrez beaucoup parler de cette question—, c'est-à-dire que le Parlement a donné sa parole. C'est la parole du pays tout entier. C'est le Parlement, plus que le gouvernement, qui parle au nom des Canadiens. Le Parlement avait donné sa parole à ces témoins. Sur le simple point de vue du bon sens, comment allons-nous faire pour leur dire maintenant que nous leur enlevons, pour une raison quelconque, ce droit que nous leur avions accordé?
Comment les Canadiens pourraient-ils jamais—et je sais que je vais peut-être paraître étrange—avoir confiance encore au Parlement? Nous disons très sérieusement et essentiellement ceci: «Vous pouvez comparaître et nous dire ce que vous voulez. Rien ne vous arrivera. Nous avons besoin d'entendre vos témoignages, parce que nous sommes des parlementaires.» Six mois plus tard, nous revenons à la charge en disant: «Nous avons changé d'avis. Nous permettrons que vos témoignages soient utilisés de la façon que nous jugeons appropriée, et vous devrez simplement vous y faire.»
J'aimerais bien avoir votre avis à cet égard.
º (1625)
Le président: Le milieu de votre intervention n'est pas conforme au Règlement, mais le témoin peut répondre au début et à la fin de celle-ci.
M. Guy Pratte: Vous devrez peut-être m'aider en m'indiquant ce qui constitue le milieu, le début ou la fin de l'intervention.
Concernant le premier point, je vous répondrais respectueusement qu'il n'est pas pertinent de laisser entendre que le juge Gomery pense qu'il s'agit d'un privilège. Comme Mme Beagan Flood l'a signalé, c'est à titre de précaution que l'annulation du privilège a été demandée. Le juge Gomery a précisé clairement qu'il pourrait décider qu'il n'y a pas de privilège. Il vous le demande uniquement sur le plan de la procédure, pour que cette question ne crée pas un problème. Vous ne pouvez pas conclure de sa demande—et il a été sans équivoque à ce sujet—qu'il croit nécessairement qu'il existe un privilège. Il a indiqué qu'il ignorait qu'elle serait sa décision s'il devait trancher à cet égard. En fait—et vous pourrez interroger Mme Beagan Flood à ce sujet ultérieurement—, je dirais qu'il a clairement précisé qu'il pourrait contredire le Parlement sur cette question.
En ce qui concerne les deux affaires—j'ignore auxquelles vous faites allusion—, je suis convaincu que, dans notre pays, aucune affaire judiciaire n'a porté directement sur l'opportunité de recourir à des déclarations faites à la Chambre... ou aux propos d'un témoin ou encore aux échanges à un comité. Il n'y a eu qu'un seul exemple dans l'ensemble du Commonwealth, et ce fut en Australie, où l'on a décidé que le privilège ne s'appliquait pas. Cette décision a été renversée ultérieurement.
À l'égard de votre dernier point—et j'espère que c'est la fin et non le milieu, monsieur le président—, vous évoquiez les répercussions de l'annulation du privilège et sur son incidence par rapport à votre devoir envers les témoins et la population. Je pense que j'aurais deux points à faire valoir. Vos ne sont peut-être pas toujours accompagnés de leurs avocats, mais ils peuvent toujours être accusés de parjure, et j'ai bien dit toujours. Lorsqu'ils comparaissent, ils savent qu'ils pourraient faire l'objet de graves poursuites. À mon avis, une déclaration antérieure incompatible est beaucoup moins grave. Par conséquent, ce n'est réellement pas un vrai problème, dans les faits.
Deuxièmement, je crois respectueusement qu'il vous sera beaucoup plus difficile d'expliquer aux Canadiens que vous représentez qu'on pourrait refuser à la commission d'enquête l'accès aux éléments de preuve alors que ceux-ci pourraient être utiles et que le commissaire vous indique qu'il aimerait les consulter, que de leur expliquer pourquoi vous pourriez annuler le privilège.
Le président: J'ai distribué ce document à tous les membres du comité, mais j'ignore si vous avez eu l'occasion de le lire. C'est un article qui a paru dans le numéro du printemps 2004 de la Revue parlementaire canadienne et qui était intitulé «Réflexions sur l'autonomie du Parlement». M. Pratte voudra peut-être entendre ce passage.
C'est la conclusion de l'opinion de la très honorable Beverley McLachlin, juge en chef de la Cour suprême:
Tout comme les tribunaux doivent respecter le privilège parlementaire et la liberté du processus décisionnel du Parlement, ce dernier, les députés et les ministres doivent respecter le processus judiciaire et l'indépendance du pouvoir judiciaire. Il en résulte une relation de respect mutuel qui contribue à favoriser les idéaux de justice, de démocratie et de primauté du droit dont nous tous, législateurs et juges, sommes les défenseurs. |
Il s'agit d'un article de quatre pages que je recommanderais à tous les membres. Il a paru dans les deux langues officielles.
[Français]
Monsieur Sauvageau, s'il vous plaît.
M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): Je souhaite la bienvenue à M. Pratte.
Ma première question s'adresse à vous, monsieur le président. Est-ce que vous vous permettez de prendre la parole après le tour de chaque député, ou si vous avez votre propre tour de parole?
[Traduction]
Le président: Il s'agit d'une table ronde. J'essaie de maintenir l'ordre. J'essaie de donner à tous l'occasion d'intervenir. Lors de la séance du comité d'hier, j'ai précisé que j'interviendrais pour m'assurer que les questions porteront sur les faits. Celles traitant des opinions seront adressées à M. Walsh ultérieurement.
Pour l'instant, le président peut effectivement toujours intervenir lorsqu'il le souhaite.
[Français]
M. Benoît Sauvageau: En ma qualité de vice-président, puis-je prendre la parole deux fois moins souvent que vous pendant cette table ronde?
[Traduction]
Le président: Je crains que vous ne puissiez pas le faire.
[Français]
M. Benoît Sauvageau: L'amitié continue à grandir.
Monsieur Pratte, je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie d'être ici. Si je comprends bien, vous représentez M. Pelletier et, sans être le représentant de M. Gagliano, vous représentez aussi M. Fournier qui, lui, est l'avocat de M. Gagliano. Est-ce qu'il y en a un troisième?
º (1630)
M. Guy Pratte: Non. Les avocats de M. Gagliano et de M. Chrétien, qui ont aussi été invités, sont d'accord sur ma position. Ils n'ont donc pas besoin de la répéter.
M. Benoît Sauvageau: En résumé, vous dites que s'il existe un privilège parlementaire, vous n'êtes pas contre le fait que ce privilège existe, mais que si certaines personnes qui sont venues témoigner à huis clos demandent que soit levé le huis clos sur leurs témoignages, et uniquement sur leurs témoignages, le comité devrait le permettre. Est-ce que je comprends correctement vos explications, ou si je suis dans l'erreur?
M. Guy Pratte: Il y a deux choses, monsieur Sauvageau. Premièrement, ce n'est pas une question d'être pour ou contre le privilège. Je dis simplement que le privilège ne couvre pas les déclarations des témoins devant ce comité aux fins de leur utilisation devant la Commission Gomery. Personne ne peut invoquer le privilège pour refuser de répondre au commissaire Gomery, parce que ce privilège n'existe pas à cette fin très restreinte.
Deuxièmement, si vous n'êtes pas d'accord avec moi et que vous pensez que le privilège existe dans ce cas particulier, la Chambre a le droit de renoncer au privilège et de dire, dans une résolution, qu'aux fins de la Commission Gomery, elle n'invoquera pas le privilège relativement aux témoignages. À ce moment-là, c'est le commissaire Gomery qui décidera de l'usage qu'il fera de cela.
M. Benoît Sauvageau: On pourrait aussi dire qu'il y a privilège, mais que les témoins qui en ont bénéficié et qui veulent s'en soustraire, comme ce serait le cas de M. Pelletier, de M. Gagliano et de M. Chrétien, si je comprends bien, pourraient s'en soustraire. Vous dites qu'il n'y a pas de privilège.
M. Guy Pratte: Je ne veux pas discuter de droit avec vous, mais l'avocate de la Chambre a dit elle-même que ce n'était pas aux témoins, mais bien au Parlement de renoncer au privilège. Donc, les témoins ne peuvent pas le faire. Si le privilège n'existe pas ou si le Parlement y renonce, la seule chose qui reste est l'engagement dont on a parlé. Le témoin peut dire qu'il renonce à l'engagement, mais il ne peut pas renoncer au privilège, s'il existe. Seul le Parlement peut le faire.
M. Benoît Sauvageau: On peut lire ici que si le comité se réunissait à huis clos, c'était précisément pour s'assurer que le témoignage entendu ce jour ne servirait pas à d'autres fins. Ce n'était pas un privilège, c'était une entente ou un accord.
M. Guy Pratte: Je ne sais pas ce que vous lisez, monsieur Sauvageau. Je pensais que les témoignages qui vous avaient été livrés en 2004 étaient publics. Je ne sais pas de quoi exactement vous parlez quant au huis clos.
Le privilège dont je parle est celui invoqué par Mme Beagan Flood, qui dit qu'aucune référence, quelle qu'elle soit, ne peut être faite à un témoignage à huis clos ou en public devant le Comité des comptes publics. Moi, je dis que cette position va trop loin. Si elle a raison lorsqu'elle dit qu'il appartient au Parlement d'y renoncer, avec tout le respect que je lui dois, je lui dirai que le Parlement devrait envisager d'y renoncer. Il est clair qu'il appartient au Parlement, et non pas aux témoins, de le faire.
M. Benoît Sauvageau: Je vous remercie.
Le président: Merci beaucoup.
[Traduction]
Monsieur Fitzpatrick.
M. Brian Fitzpatrick: Je veux simplement obtenir des précisions sur votre position.
Monsieur le président, est-ce recevable d'obtenir des précisions sur la position de ce témoin?
Le président: Une récapitulation?
M. Brian Fitzpatrick: Oui.
Si j'ai bien compris vos propos, monsieur, vous dites que les déclarations des témoins sont assujetties à une règle ou à un principe établi depuis longtemps et qu'une solide immunité est accordée par rapport aux autres instances. Cependant, notre système britannique comporte une exception à cette immunité : les déclarations incompatibles peuvent faire l'objet d'un contre-interrogatoire ultérieurement.
Si je comprends bien ce que vous dites, lorsqu'il s'agit du privilège de la Chambre notamment, cette règle bien établie s'applique, selon vous, également aux travaux de la Chambre. Ce n'est vraiment pas une question qui rejoint l'essentiel du privilège; c'est simplement ainsi que les choses se passent. Serait-ce...
M. Guy Pratte: Non. Vous avez tout à fait raison en ce qui concerne la règle générale à laquelle vous avez fait allusion. Je dis que cette règle ne comporte aucune exception.
Mme Beagan Flood préconise essentiellement une exception à la règle régissant les déclarations faites ici. Je dis que le droit canadien ne le prévoit pas. Il n'y a aucun endroit, y compris ici, où vous pouvez faire des déclarations et ne jamais être tenus d'être responsables de celles-ci.
Cela n'a rien à voir avec les déclarations des députés au Parlement pouvant faire l'objet de poursuites pour diffamation. C'est une question tout à fait distincte, et il s'agit clairement d'un privilège.
º (1635)
M. Brian Fitzpatrick: Il s'agit des témoins lors d'autres instances.
M. Guy Pratte: C'est exact. C'est un privilège, et c'est ce que visait l'article 9 de la mesure législative de 1689.
M. Brian Fitzpatrick: Et si je comprends bien ce que vous dites au sujet de la position du juge Gomery, celui-ci préférerait de beaucoup...
Le président: Nous ne pouvons demander au témoin son avis sur ce que dirait le juge Gomery.
M. Brian Fitzpatrick: Je demanderai alors au témoin son opinion.
Simplement pour que je comprenne votre position, le Parlement—concernant la déclaration incompatible et les autres éléments pouvant faire l'objet d'un contre-interrogatoire—dissiperait notamment beaucoup d'incertitude et éliminerait une procédure éventuelle inutile, s'il annulait ce privilège en fonction de cet argument restreint. Est-ce votre position?
M. Guy Pratte: En fait, je peux répondre à cette question. C'est pourquoi mon argument portait sur le droit. Comme l'a signalé Mme Beagan Flood, j'ai demandé, par précaution, au juge Gomery de vous prier d'annuler ce privilège s'il ne voulait pas trancher. J'étais de ceux qui disaient, que pour gagner du temps et enlever toute ambigüité, le juge Gomery devrait peut-être demandé à la Chambre d'annuler son privilège, si vous croyez qu'il y a un privilège ou si vous n'en êtes pas certains. Je pense que ce sont là les explications données par Mme Beagan Flood. C'est en fait ce qui est arrivé et c'est ma position.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Fitzpatrick.
J'ai une brève question, monsieur Pratte. Vous avez évoqué le fait que vous ne croyez pas que les témoins comparaissant devant notre comité ou devant un autre comité parlementaire ont droit à ce privilège. Selon vous, est-il déjà arrivé, dans l'histoire du Canada, des cas où un témoignage devant un comité parlementaire a été utilisé dans un tribunal?
M. Guy Pratte: Oui. Par exemple, les propos portant sur les mesures législatives examinées à la Chambre ou par un comité sont constamment utilisés par les tribunaux pour dégager l'intention de ces mesures législatives. Deuxièmement, Mme Beagan Flood a exposé une affaire dans son mémoire : un tribunal a déjà autorisé un accusé à utiliser les déclarations du Président ou ses lettres afin d'établir son état d'esprit.
Par conséquent, il existe certes des précédents, monsieur. La question de la mise en accusation s'est-elle déjà posée au pays? La réponse est non. La question a déjà été soulevée devant un autre tribunal, à ma connaissance...
Le président: C'est la réponse que j'attendais. Oui, le débat sur le droit est en cause, naturellement, mais ce ne sont pas les déclarations des gens dont il est question. On peut contester l'intention d'une mesure législative devant un tribunal, mais non les témoignages. Selon vous, cela a-t-il déjà été contesté devant un tribunal?
M. Guy Pratte: Jamais dans notre pays.
Le président: Et vous confirmez également qu'il s'agit d'une demande hypothétique à l'heure actuelle, parce que la question des témoignages n'a pas encore été soulevée. Essentiellement, vous voulez simplement pouvoir vous en servir, en cas de besoin.
M. Guy Pratte: Je ne l'ai pas soulevé directement; votre avocate a formulé l'objection. Mais vous avez tout à fait raison, monsieur, en disant que cette question pourra ne jamais être soulevée.
Le président: Très bien. Merci, monsieur Pratte. Je vous autorise à partir.
Je cède maintenant la parole à l'avocat de M. Charles Guité, M. Richard Auger, qui nous a contactés ce matin.
Monsieur Auger, je crois comprendre que vous avez assisté aux travaux de la commission d'enquête aujourd'hui. Est-ce exact, monsieur Auger?
M. Richard Auger (avocat de Charles Guité, Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires, À titre individuel): J'ai participé aux travaux de la commission d'enquête aujourd'hui.
Le président: Je vous l'ai demandé parce que, lorsque vous avez téléphoné à la greffière pour lui demander de comparaître devant nous, j'ai prié cette dernière de vous indiquer de nous envoyer un courriel pour confirmer le tout par écrit. Avez-vous pu nous envoyer un courriel pour confirmer votre souhait de comparaître devant nous?
M. Richard Auger: Je ne l'ai pas fait. Je peux confirmer que j'ai rencontré l'avocat de la commission cet après-midi et que j'ai dû me rendre ici directement.
Le président: Vous pourriez peut-être nous faire parvenir un courriel demain.
M. Richard Auger: Certainement, et je m'en excuse.
Le président: Très bien.
Pouvez-vous nous faire valoir vos arguments sur la question dont nous débattons?
M. Richard Auger: Je veux simplement dire deux choses.
Comme vous le savez, Michael Edelson et moi-même représentons M. Guité. Tout d'abord, M. Edelson et moi appuyons la position de Mme Beagan Flood et nous opposons à celle de M. Pratte, pour deux raisons. La première, c'est que le privilège parlementaire est absolu, et cette raison corrobore les préoccupations que M. Edelson a exprimées et portées à l'attention de M. Walsh en mars 2004.
À vrai dire, bon nombre de personnes autour de la table ont évoqué le problème évident soulevé par M. Edelson et après-midi. Ce dernier avait demandé expressément si M. Guité pouvait bénéficier de la protection conférée par l'article 5 de la Loi sur la preuve au Canada. Cela ressortit aux arguments qui ont déjà été avancés.
En présentant cette demande, M. Edelson voulait obtenir du comité l'assurance que ce témoignage ne serait pas utilisé ultérieurement à quelque fin que ce soit. M. Edelson avait l'impression que cette assurance avait été accordée. En fait, il y a eu en mars 2004 une correspondance confirmant cette assurance et affirmant effectivement le caractère absolu du privilège.
En ait, c'est le seul point que je veux vous communiquer cet après-midi. Comme je l'ai dit tout à l'heure, cet argument a déjà été avancé et il ne s'applique pas uniquement à M. Guité. Il s'applique à de nombreux autres témoins. Comment retirer rétroactivement aujourd'hui cette assurance qui avait été donnée?
Je n'ai pas besoin de vous expliquer l'objet de certaines protections, y compris celle conférée par l'article 5 de la Loi sur la preuve au Canada, ou encore la protection découlant du privilège parlementaire. On vise ainsi à donner aux comités et aux tribunaux la possibilité d'entendre des témoignages et complets et véridiques. Avec tout le respect que je vous dois, c'est là le véritable problème. La situation actuelle est un exemple, et c'est pourquoi je vous le soumet aujourd'hui. Dans le cas de M. Guité, son avocat à l'époque avait reçu l'assurance que le privilège s'appliquerait et que les transcriptions de son témoignage ne seraient pas utilisées ultérieurement.
Au plan pratique, pour ce qui est de la suite des événements, je rappelle que la commission d'enquête du juge Gomery siège maintenant depuis près de deux mois. Advenant qu'il y ait une renonciation quelconque, cela poserait aussi un problème pratique. De nombreuses personnes ont déjà témoigné. Allons-nous revenir en arrière, modifier les règles et ensuite leur faire reprendre leur témoignage devant la commission?
En conséquence, je souscris à la position de Mme Beagan Flood. Et je vous invite à l'envisager. C'est là tout ce que je voulais dire.
º (1640)
Le président: J'ai sur ma liste M. Murphy, M. Sauvageau, M. Carr, M. Christopherson et M. Fitzpatrick.
Encore une fois, veuillez être brefs dans vos questions et réponses car le temps file.
Monsieur Murphy.
L'hon. Shawn Murphy: Monsieur le président, je serai très bref.
Monsieur Auger, vous avez affirmé que votre client avait reçu de notre comité non seulement des assurances verbales mais aussi écrites précisant que le privilège s'appliquerait à son témoignage.
M. Richard Auger: Je crois savoir qu'il y a eu une correspondance entre M. Walsh et M. Edelson en mars 2004. Ce que tenais à faire comprendre, c'est que M. Edelson avait soulevé cette préoccupation.
L'hon. Shawn Murphy: Je suppose que vous n'avez pas de copies de cette correspondance avec vous maintenant.
M. Richard Auger: Je n'ai pas de copies, malheureusement. Je peux faire en sorte que des copies vous soient envoyées si cela peut vous aider...
L'hon. Shawn Murphy: Je demanderais que cette correspondance, si elle existe—et je suppose qu'elle existe—soit distribuée à tous les membres du comité.
Le président: Étant donné qu'il a écrit la lettre, nous demanderons au légiste de la communiquer au greffier, qui la distribuera.
Vous êtes déchargé de cette obligation, monsieur Auger.
M. Richard Auger: Merci.
[Français]
Le président: Monsieur Sauvageau, s'il vous plaît.
M. Benoît Sauvageau: Monsieur Auger, vous reconnaissez qu'il y a un privilège parlementaire et vous ne voulez pas que ce privilège parlementaire soit levé. Je vous rappellerai qu'en 2002, lorsque M. Guité est venu témoigner devant le comité, M. Walsh a dit, et je le cite:
Je ne crois pas avoir quoi que ce soit d'autre à ajouter, si ce n'est dire à M. Guité, au nom du comité, ainsiqu’à son avocat, qu'il jouit de la protection de la Loi sur le Parlement. Celle-ci lui garantit que son témoignage d'aujourd'hui ne sera pas utilisé àd'autres fins, mais qu'il servira uniquement aux travaux du comité. |
Vous dites que, si la Chambre décidait de lever ce privilège, on reviendrait sur la parole qui a été donnée en comité par M. Walsh le 9 juillet 2002. Si j'interprète bien vos paroles, c'est ce que vous voulez dire.
Dans un deuxième temps, vous dites que si on avance dans le temps...
º (1645)
[Traduction]
Le président: Peut-être allons-nous obtenir réponse à la première question, monsieur Sauvageau.
M. Richard Auger: C'est juste. D'ailleurs, d'autres personnes ont déjà signalé cet après-midi que ce serait source de problèmes, en ce sens que cela nuirait aux travaux du comité et que les assurances données à ce moment-là seraient retirées rétroactivement.
[Français]
Le président: Vous pouvez poser votre deuxième question, monsieur Sauvageau.
M. Benoît Sauvageau: Vous me l'avez fait perdre, monsieur le président. Ce n'est pas grave, je vais la poser plus tard.
[Traduction]
Le président: D'accord. Je vais essayer de ne faire qu'un tour de table, mais je vous accorderai une deuxième intervention étant donné que j'ai interrompu le fil de vos idées.
Monsieur Carr, je vous prie.
M. Gary Carr: Merci beaucoup.
Ma question porte sur ce qui va se passer ensuite. Je crois savoir que votre client sera inculpé au criminel également. En vertu du principe présidant à la demande présentée par la commission, pourrait-on invoquer le même argument dans le cadre d'un procès au criminel également?
Le président: Permettez-moi d'intervenir et d'interroger le légiste. La question concerne ce qui se passerait. En l'occurrence, le juge Gomery nous demande d'accorder une renonciation au privilège pour les travaux de la commission. Si nous le faisons pour la commission, cela signifie-t-il que le témoignage pourra être soumis en preuve devant un tribunal, ou le tribunal devra-t-il présenter la même demande? Ou encore, si le juge Gomery prend le contre-pied de la Chambre et affirme que le privilège ne s'applique pas ou qu'il doit être suspendu dans ce cas, peut-il à ce moment-là s'appliquer devant un tribunal?
M. Rob Walsh: Monsieur le président, la demande dont le comité est saisi concerne uniquement la commission d'enquête du juge Gomery. Par conséquent, je suppose que la renonciation accordée par la Chambre se limiterait à ces travaux. Cependant, je pense que le député voulait savoir si le client de M. Auger ne pourrait pas avoir certaines préoccupations propres.
M. Gary Carr: Voilà pourquoi je pose la question.
M. Rob Walsh: Tout ce que je dis, c'est que la question semble concerner les préoccupations du client de M. Auger par opposition à...
Le président: Toutefois, si nous décidions de ne pas accorder de renonciation, si les tribunaux disaient...
M. Gary Carr: Sans vouloir vous manquer de respect, monsieur le président, j'aimerais entendre la réponse de l'avocat et non la vôtre. C'est à lui que j'ai demandé son avis. Sinon, à quoi servirait-il de l'avoir ici?
Le président: Non, nous n'allons pas obtenir un avis juridique de la part de ces messieurs.
M. Gary Carr: Je ne demande pas un avis juridique.
Le président: Je vais vous laisser poser la question.
M. Gary Carr: C'est son client, et je veux savoir si les mêmes principes s'appliqueraient. Je ne lui poserais pas la question si son client n'avait pas été accusé.
Le président: Monsieur Auger.
M. Gary Carr: C'est l'avocat d'une personne contre laquelle des accusations ont été portées.
M. Richard Auger: Si j'ai bien compris la question, vous voulez savoir si le problème se pose non seulement au niveau de la commission d'enquête, mais aussi au niveau d'un tribunal pénal? J'ai deux réponses. Premièrement, je ne veux pas me lancer dans des conjectures. Avec tout le respect que je vous dois, il serait déplacé de ma part de faire des commentaires sur ce qui se passerait dans le cadre d'un procès criminel. Deuxièmement, la théorie voulant que...
Le président: Nous allons nous arrêter un instant. M. Auger a échappé son écouteur. Je suis sûr qu'il en a besoin parce que l'acoustique de la salle est terrible.
Pouvez-vous nous entendre maintenant, monsieur Auger?
M. Richard Auger: Oui, merci beaucoup.
Je ne sais pas si j'ai bien répondu à la question. En ce qui concerne un procès au criminel, je ne veux pas spéculer sur ce qui se passerait, notamment pour ce qui est des témoignages soumis en preuve et des contre-interrogatoires. Comme d'aucuns l'ont mentionné aujourd'hui, de nombreux tribunaux excluent certains témoignages dans le cadre de leurs travaux, pour une raison ou une autre. Il arrive que des témoignages et des transcriptions ne soient pas utilisés pour diverses raisons. Il y a donc un certain flou en ce qui concerne...
º (1650)
Le président: Nous allons nous en tenir là.
M. Fitzpatrick, M. Christopherson et M. Sauvageau.
M. Brian Fitzpatrick: J'essaie de comprendre votre position, monsieur Auger. Vous venez à un comité parlementaire accompagné d'un témoin et vous dites que d'une certaine façon, on vous induit en erreur. J'essaie de comprendre la nature des conseils qui sont donnés à un témoin.
Il me semble que c'est assez clair. Vous pouvez dire au témoin: «Tout ce que vous direz au cours de ces délibérations ne peut être utilisé en preuve pour vous incriminer dans un procès au criminel ou dans des poursuites civiles». Il y a une chose qu'il faut comprendre, monsieur. Il est acquis dans notre système de justice que quiconque ne dit pas la vérité ou fait des déclarations qui s'écartent sensiblement de propos tenus ultérieurement verra ses affirmations contestées. C'est une règle de longue date dans notre système.
Je ne pense pas qu'un témoin qui viendrait ici accompagné d'un avocat ne comprendrait pas cela. Je suis sûr que M. Guité aurait compris cela aussi, si on lui avait dit: «Si vous ne dites pas la vérité dans cette enceinte, vous pouvez être accusé de parjure.»
Je n'accepte pas nécessairement votre argument selon lequel une injustice grave serait commise si le Parlement décidait d'autoriser l'utilisation de ces témoignages à des fins de contre-interrogatoire, pour mettre au jour les incohérences d'un témoignage. J'essaie simplement de comprendre de quelle façon on induit gravement le témoin en erreur, pour reprendre votre position.
M. Richard Auger: Je ne sais pas si l'on induit le témoin en erreur. En toute déférence, il ne s'agit pas de savoir si les témoins ont été avertis, qu'il y ait ou non par la suite allégation d'incohérence. `À prime à bord, si un témoin comparait devant un comité ou un tribunal et qu'on lui a donné l'assurance que ses propos ne seraient jamais utilisés ultérieurement, et si vous convenez non seulement de cette assurance mais de la façon dont elle s'appliquerait...
M. Brian Fitzpatrick: Êtes-vous en train de me dire qu'ils ne comprennent pas que s'ils ne disent pas la vérité ici, ils risquent d'être accusés de parjure?
Le président: Permettez-moi d'intervenir. Le printemps dernier, j'ai déclaré, avant la comparution de tous les témoins—ou, en tout cas, de la plupart d'entre eux—, ce qui suit:
...un témoin, assermenté ou non, qui refuse de répondre à des questions ou qui ne donne pas des réponses véridiques pourrait être accusé d'outrage à la Chambre. De plus, les témoins assermentés qui mentent peuvent être accusés de parjure. |
Cette déclaration était lue à tous les témoins.
[Français]
Monsieur Sauvageau, vous pouvez poser votre deuxième question.
M. Benoît Sauvageau: Monsieur Auger, je me suis rappelé ce que je voulais vous dire.
Si j'ai bien compris, vous dites que ces règles pourraient être changées à l'avenir si on en décidait ainsi après des discussions et des négociations. Cependant, vous vous opposeriez à ce qu'on applique la décision de façon rétroactive. Si des témoins sont venus et qu'on leur a dit, par l'intermédiaire du légiste de la Chambre, qu'ils bénéficiaient du privilège parlementaire, on ne devrait pas pouvoir utiliser contre eux le témoignage qu'ils ont présenté sous le sceau de ce privilège parlementaire, dans le cas de la Commission Gomery, par exemple.
Est-ce bien ce que vous dites?
[Traduction]
M. Richard Auger: C'est exact.
[Français]
M. Benoît Sauvageau: C'est une réponse claire. Merci.
[Traduction]
Le président: Monsieur Christopherson, j'aurais dû vous donner la parole avant M. Sauvageau. Je m'excuse.
M. David Christopherson: Ce n'est pas grave, monsieur le président. Merci.
En fait, on a répondu à ma question. Je voulais simplement obtenir copie de la correspondance car je pense que c'est quelque chose de nouveau. Je ne savais pas qu'une telle lettre avait été envoyée. Chose certaine, cela renforce la position de l'avocat de la Chambre des communes.
Merci.
Le président: Monsieur Auger, vous êtes excusé.
Je demanderais maintenant à M. Newman, avocat général du ministère de la Justice, de se présenter.
Monsieur Newman, vous parlez au nom du ministère de la Justice.
M. Warren Newman (avocat général, Droit administratif et constitutionnel, ministère de la Justice): Oui, monsieur le président, et je vous remercie d'avoir invité le ministère.
Je souhaite accélérer les choses. Je suis heureux qu'on ait dit au départ qu'aucun d'entre nous ici n'est là pour fournir un avis juridique. D'entrée de jeu, je précise que je suis ici à titre de haut fonctionnaire du ministère ayant une expertise dans le domaine du droit constitutionnel. Mon objectif est d'aider les membres du comité en lui soumettant certains énoncés généraux susceptibles de les aider au sujet du privilège parlementaire en droit au Canada. Ensuite, je dirai quelques mots au sujet de la renonciation à ce privilège.
Avec votre permission, je me propose d'énoncer simplement plusieurs principes juridiques. Je n'ai pas l'intention de les approfondir car, si j'ai bien compris, vous ne souhaitez pas vous engager aujourd'hui dans un débat de fond sur ces questions. Ce que je peux fort bien comprendre. Mais je vais énoncer ces principes et si vous avez des questions, j'y répondrai volontiers.
Comme nous le savons tous, le Canada est censé avoir «une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni»—comme cela est stipulé dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867. Dans la décision rendue par la Cour suprême du Canada en 1993 dans l'affaire New Brunswick Broadcasting, le juge en chef Lamer et la juge McLachlin—maintenant juge en chef McLachlin—ont soutenu que l'article 9 du English Bill of Rights de 1689 pouvait être directement transplanté au Canada, et que «reposant sur les mêmes principes» ne signifie pas «identique». Voilà une décision qu'il faut garder à l'esprit.
Dans l'affaire New Brunswick Broadcasting, la Cour suprême du Canada a déclaré que c'étaient les grands principes sous-jacents à l'article 9, plutôt que les dispositions spécifiques de cet article, qui étaient incorporés dans le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867.
À mon avis, cela veut dire que la jurisprudence récente en Nouvelle-Zélande et en Australie... dans le cas de l'Australie, la Loi sur les privilèges parlementaires adoptée par l'Australie en 1987 , qui vise à énoncer ou à expliciter les dispositions spécifiques de l'article 9, devrait être abordée avec beaucoup de prudence au Canada. En fait, j'ai fourni au greffier une décision de trois juges de la Cour d'appel du Queensland dans l'affaire Laurance v. Katter, qui remonte à 1996, et qui fait suite à la décision dans l'affaire Prebble de 1995, dont je vous ai aussi remis un extrait. Dans ce cas, les juges ont confirmé la loi australienne relative aux privilèges parlementaires mais ils ont fait plusieurs déclarations signalant qu' elle semble aller plus loin que l'article 9 du Bill of Rights, et je cite « elle ne se borne pas à reproduire simplement la loi telle qu'elle avait été comprise dans le aux termes de l'article 9 du Bill of Rights » [Traduction].
Dans le droit constitutionnel du Canada, la disposition habilitante concernant les privilèges de la Chambre des communes et du Sénat est l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867. Je souligne qu'il s'agit d'une disposition. Ce n'est pas un d'un principe et il ne figure pas dans le préambule. C'est une disposition précise qui porte sur les privilèges et immunités. L'article 18 confère au Parlement du Canada—et par là j'entends la Reine, de concert avec la Chambre des communes et le Sénat, et non seulement les deux Chambres—le pouvoir législatif de définir au moyen d'une loi du Parlement les privilèges, immunités et pouvoirs du Sénat et de la Chambre des communes.
Le Parlement a exercé ce pouvoir par l'entremise de la Loi sur le Parlement du Canada. L'article 4 de cette mesure législative stipule que le Sénat, la Chambre des communes et leurs membres jouissent des mêmes privilèges, immunités et pouvoirs que ceux de la Chambre des communes du Royaume-Uni en 1867.
Il semble clair que les privilèges conférés à la Chambre des communes du Royaume-Uni allaient jusqu'à interdire l'utilisation dans des poursuites ultérieures devant les tribunaux, au criminel comme au civil, des déclarations faites par les députés du Parlement ou des preuves soumises par des témoins à la Chambre afin qu'ils ne soient pas passibles de poursuites au criminel ou au civil.
º (1655)
Nous avons discuté ou entendu des discussions quant à savoir si le privilège est absolu et quelle est sa portée. Chose certaine, ni la Chambre des communes du Royaume-Uni ni celle du Canada n'affirment un privilège concernant l'introduction du compte rendu des délibérations parlementaires, c'est-à-dire du hansard, devant les tribunaux pour contribuer à préciser les précédents législatifs et l'intention du Parlement.
Par exemple—et j'ai fait distribuer cette documentation par le greffier—, dans des extraits tirés de la décision de la Cour suprême dans l'affaire Morgentaler en 1993, la cour avait décidé, en se fondant largement sur des déclarations faites à l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse, que l'intention véritable de l'assemblée était d'adopter une loi pénale plutôt qu'une loi portant sur les services médicaux de la province. Ce faisant, les juges se sont fondés pour une bonne part sur les déclarations faites à la Chambre pour déterminer quelle était réellement l'intention de l'assemblée. Il y a de nombreux autres exemples de cela que l'on pourrait fournir.
Vous devez décider si les privilèges et immunités accordés à la Chambre des communes britannique englobaient une protection contre toute utilisation que pourraient faire des commissions d'enquête de déclarations faites au Parlement ou de témoignages soumis à des comités parlementaires, ou encore contre l'utilisation de cette preuve dans d'autres procédures judiciaires, non pas dans le but d'incriminer le témoin mais de faire la preuve de l'existence d'un témoignage antérieur possiblement contradictoire. À mon avis, c'est là une question ouverte en droit et à cet égard, comme vous le savez, son avocat a recommandé au commissaire Gomery de ne pas prendre de décisions dans l'abstrait, sans tenir compte du contexte factuel concret et approprié.
J'en viens maintenant à l'option qui permettrait à la Chambre d'accorder une renonciation au privilège parlementaire. En supposant que le privilège de la Chambre des communes du Canada vise des situations comme celle posée par la commission Gomery, j'estime, au nom du ministère de la Justice, qu'il appartient au comité de faire rapport et de recommander à la Chambre une motion portant qu'elle décide de renoncer à ce privilège dans ces circonstances particulières; autrement dit, de l'adapter aux circonstances. Comme on l'a dit tout à l'heure, il est arrivé à l'occasion que la Chambre des communes renonce à son privilège dans le passé, notamment dans le cas de poursuites criminelles.
La commission Gomery n'est pas un tribunal qui peut décider de la culpabilité ou de l'innocence d'un accusé. C'est plutôt un organisme d'enquête, une commission d'enquête habilitée à faire des recommandations au plan des orientations stratégiques. Le décret du conseil pris en vertu de la Loi sur les enquêtes énonce le mandat du commissaire et lui enjoint « d'exercer ses fonctions en évitant de formuler toute conclusion ou recommandation à l'égard de la responsabilité civile ou criminelle de personnes ou d'organisations ». Par conséquent, il existe déjà certaines garanties découlant du libellé même du mandat de la commission.
Comme je l'ai dit au début, et comme vous l'avez dit aussi, notre rôle n'est pas de fournir un avis juridique au comité, mais tout simplement de lui communiquer certains principes et nuances concernant l'état du droit au Canada. À mon avis, la décision d'accorder ou non une renonciation est essentiellement une décision politique qui appartient aux membres de votre comité et, en bout de ligne, à la Chambre. Nous outrepasserions notre rôle en conseillant au comité d'accueillir ou de rejeter cette option.
Des arguments raisonnables ressortissant au droit et à la politique gouvernementale peuvent être avancés—et l'ont été—relativement à tous les aspects du privilège parlementaire. Si j'ai bien compris, le commissaire Gomery invite votre comité et la Chambre à envisager, sans nécessairement trancher la question de façon juridique, de renoncer au privilège, en supposant que ce privilège existe et que sa portée soit aussi grande qu'on l'a allégué.
Monsieur le président, voilà mes remarques. Je m'en tiendrai là à moins que vous ayez des questions.
» (1700)
Le président: Oui, j'ai une question, monsieur Newman. Vous avez commencé votre intervention en citant l'affaire New Brunswick Broadcasting contre le Président de l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
M. Benoît Sauvageau: Monsieur le président, j'invoque le Règlement.
Puis-je vous demander bien humblement d'appliquer les règles établies par le comité au sujet des tours de parole, si les membres du comité sont d'accord, afin qu'il y ait une répartition juste et équitable des tours de parole? Je vous le demande. Pouvez-vous le demander à nos collègues?
[Traduction]
Le président: À ce stade-ci, monsieur Sauvageau, nous avons une discussion de type table ronde. Ma question —et je vous ai écouté ainsi que tous les autres membres du comité poser vos questions—porte sur une déclaration factuelle de M. Newman.
Monsieur Newman, comme je le disais, en ce qui concerne l'affaire New Brunswick Broadcasting, vous avez dit que le juge en chef Lamer et l'actuelle juge en chef, Mme Beverley McLachlin, avaient été d'accord. Or, je suis en train de lire un article publié dans La Revue parlementaire canadienne et je vais en citer un extrait «Selon une opinion, celle du juge en chef Lamer, la Charte s'appliquait». Plus tard, on peut lire: «La majorité, au nom de laquelle j'écris...» Cela laisse entendre que le juge en chef Lamer et la juge en chef McLachlin n'étaient pas d'accord. Pourtant, vous avez dit qu'ils étaient dans le même camp. Est-ce exact?
» (1705)
M. Warren Newman: C'est juste. Ils arrivaient à la même conclusion, dans cette affaire, c'est-à-dire qu'ils ont tous deux examiné expressément et rejeté expressément également un argument précis selon lequel l'article 9 du Bill of Rights anglais a été intégré par la voie du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique.
Dans les extraits que j'ai fait circuler, à la page 353, vous trouverez le passage où le juge en chef Lamer rejette l'argument de manière très explicite. J'ai encadré le passage de la page 353. Je suppose qu'il est inutile de vous en faire la lecture officielle. Vous pouvez le faire par vous-même.
Le président: J'essaie simplement de savoir, pour être sûr d'avoir bien tout compris, pourquoi selon cet article les juges étaient de vues opposées. Vous dites qu'ils étaient d'accord.
M. Warren Newman: Sauf votre respect, monsieur, ils étaient d'accord sur la question, mais avaient des vues divergentes quant à la manière dont le privilège parlementaire devrait être invoqué. En effet, le juge en chef Lamer manifeste son désaccord, plus loin, avec un troisième argument qui a été invoqué, soit que, si la disposition n'est pas incorporée, les principes constitutionnels le sont peut-être, eux, et ils auraient force de loi au Canada. Cette affirmation reposant sur le fait que nous avons essentiellement une constitution écrite au Canada le préoccupe.
L'actuelle juge en chef McLachlin, si vous vous reportez à la page 374 des extraits, affirme très clairement—en fait, selon elle, c'est très clair. Avec votre permission, je vais vous citer le passage qui est très court:
En ce qui concerne le deuxième argument, il est évident qu'en l'absence d'un renvoi spécifique, le préambule ne devrait pas être interprété comme renvoyant à un article précis du Bill of Rights anglais. |
Elle poursuit: «Cela ne veut pas dire que les principes qui sous-tendent l'article 9 du Bill of Rights anglais de 1689 ne font pas partie de notre droit». Toutefois, l'article 9 du Bill of Rights n'est pas incorporé comme tel.
J'ai entendu des déclarations au sein de plusieurs tribunes récemment selon lesquelles il faudrait examiner avec soin ce qui s'est fait au sein d'autres juridictions concernant l'application de l'article 9. J'attire simplement votre attention, dans ces deux passages, sur le fait que la cour a conclu,—il est difficile de parler d'une opinion majoritaire—, tant dans les motifs d'une opinion du plus grand nombre rédigés par la juge McLachlin que dans les motifs d'une opinion concordante du juge en chef Lamer, qu'il n'y a pas d'incorporation directe de l'article 9 du Bill of Rights anglais dans la Constitution du Canada.
Ce qui ressort du préambule, laissent entendre les deux en s'appuyant sur une autre soumission faite à la cour, c'est le principe sous-jacent. Tous les juges que j'ai cités dans ces extraits, y compris le juge en chef Lamer, le juge LaForest et la juge McLachlin, affirment qu'il est intégré par le biais du préambule parce que nous avons une constitution analogue en principe à celle du Royaume-Uni. Toutefois, si un principe est analogue, cela ne signifie pas qu'il est identique.
C'est pourquoi j'affirme simplement que nous ne pouvons pas transposer, sans examiner de très près ce que nous faisons, de récentes décisions rendues en Grande-Bretagne et au sein du Commonwealth, et certes pas sans tenir davantage compte des lois australiennes dans ce domaine.
Le président: Je ne suis pas avocat, de sorte que je ne vais pas me lancer dans un débat juridique. Je ne devrais pas citer la juge en chef, mais à nouveau, dans cet article, elle ajoute:
Cette Constitution |
—la Constitution du Canada—
comprend les privilèges parlementaires qui «ont traditionnellement été jugés nécessaires au bon fonctionnement de nos organismes législatifs». |
M. Warren Newman: C'est juste.
Le président: Je ne vais pas me lancer dans une argumentation juridique.
M. Warren Newman: Nous ne sommes pas en désaccord sur ce point, monsieur le président.
Le président: D'accord.
Monsieur Fitzpatrick.
M. Brian Fitzpatrick: Vous dites que les juges ont affirmé qu'on ne peut pas simplement transposer l'article 9 dans le droit canadien, mais que le principe sous-jacent s'applique. Voulez-vous bien me dire ce qu'est ce principe sous-jacent?
M. Warren Newman: C'est pourquoi je dis que, sauf votre respect, il faut traiter toute cette question avec beaucoup de prudence.
» (1710)
M. Brian Fitzpatrick: Quel est le principe?
M. Warren Newman: Le principe est, comme vous l'avez entendu déjà, la liberté d'expression. Il a été établi lorsque la monarchie Stuart, par les tribunaux qu'elle contrôlait à l'époque, menaçait périodiquement les parlementaires. Comme vous le savez, toutes sortes de questions se posaient, à savoir même s'il fallait rapporter ce qui se faisait au Parlement. En fait, pendant très longtemps, le hansard a été interdit. Il était interdit de rapporter ce que faisait le Parlement, les chambres du Parlement, afin de protéger l'activité des parlementaires.
En réalité, l'article 9 et tout le Bill of Rights anglais sont le point culminant d'un conflit opposant la suprématie du Parlement et celle de la monarchie. Cependant, quand nous affirmons que le principe est transposé dans le droit canadien, il s'agit d'un grand principe général. Il faut décider comment nous l'appliquons à certains cas précis.
Ce que je suis en train de vous dire, c'est que lorsque nous examinons vraiment les privilèges parlementaires dont jouissent le Sénat et la Chambre des communes, il faut s'arrêter à l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867. Il s'agit d'une disposition expressément libellée pour conférer au Parlement le pouvoir de légiférer en matière de privilèges du Sénat, de la Chambre des communes et de ses membres. Le Parlement l'a fait par le biais de l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada qui renvoie aux privilèges tels qu'ils existaient en 1867.
Le Parlement aurait toujours pu adopter une loi correspondant au Parliamentary Privileges Act de l'Australie, mais jusqu'ici, il ne l'a pas fait.
Le président: Nous allons nous arrêter là, sans quoi nous nous lancerons dans des questions juridiques qui dépassent peut-être mon entendement.
Monsieur Newman, vous pouvez disposer. Nous vous remercions d'être venu.
Monsieur Christopherson, votre nom n'était pas sur ma liste.
M. David Christopherson: Je crois qu'il l'était, mais il n'y a pas de mal.
Le président: Non. Le greffier dit que votre nom n'était pas sur la liste.
M. David Christopherson: D'accord. Je suppose qu'il l'est maintenant, monsieur.
Le président: Vous êtes maintenant sur la liste.
M. David Christopherson: Je vous remercie beaucoup.
Monsieur Newman, je vous remercie beaucoup de cet exposé.
J'ai deux questions à vous poser. D'une part—simple question de droit—, si la Chambre des communes autorise le juge Gomery à passer outre au privilège parlementaire, à le mettre de côté et à utiliser en vue de prouver que des témoins ont fait des déclarations contradictoires, le témoignage entendu devant notre comité, les cours criminelles, si rien d'autre n'a changé, si le juge Gomery n'a pas établi un quelconque précédent... À titre d'exemple, supposons qu'une procédure est en cours à la cour criminelle et que celle-ci décide qu'en raison du privilège de la Chambre des communes, elle ne peut utiliser la transcription des délibérations du comité, mais que la transcription du témoignage est présentée à l'enquête, la cour criminelle hésiterait-elle autant à utiliser la transcription, serait-elle autant incapable de le faire? Ou serait-elle alors... Je ne trouve pas le mot juste. Je vais donc dire simplement que la transcription a été filtrée? «Édulcorée» est le mauvais mot, mais vous savez ce que je veux dire. Le témoignage aurait connu quelques changements, entre ici et là-bas. Cela le rend-il admissible en cour sans mettre en jeu la question du privilège parlementaire?
M. Warren Newman: Cette question donne lieu à certaines conjectures. En tant qu'avocat, je suis plus spécialisé dans le droit constitutionnel que dans le droit pénal. Je suppose que je pourrais m'esquiver ainsi. Toutefois, je vous répondrai qu'il ne faut jamais oublier la raison d'être d'une commission d'enquête. En dépit du fait qu'un juge en est saisi, qu'elle a les pouvoirs d'une cour supérieure et que des avocats sont présents pour aider les témoins, il ne s'agit pas d'un tribunal. À première vue, il s'agit bien d'un organe quasi judiciaire, mais en fin de compte, il ne se prononce pas sur des questions de droit comme la culpabilité, les responsabilités criminelles ou civiles, ce qui est très clair, comme je le disais, dans le mandat. La demande présentée par le juge Gomery au comité n'est pas de même nature, pour ainsi dire, que celle d'une cour criminelle ou d'une procédure criminelle.
Le président: Monsieur Newman, je vous remercie.
M. David Christopherson: Monsieur le président, j'avais deux questions. Je n'en ai posé qu'une.
Ma seconde question sera très brève. Vous avez mentionné qu'il existait une question ouverte en droit concernant, je crois, les déclarations préalables contradictoires. Le reste était clair, mais il subsistait un doute à propos de cette question, à savoir s'il existait une protection précise. Vous en avez parlé. Je l'ai noté et j'aimerais simplement que vous me l'expliquiez.
M. Warren Newman: Oui. La question ouverte est double. Le privilège de la Chambre des communes au Canada va-t-il jusqu'à inclure tout ce qui se produit devant des commissions d'enquête? En d'autres mots, si vous remontez au principe sous-jacent à l'article 9 du Bill of Rights, il concerne les cours et d'autres lieux. On ne peut entraver ce qui se produit au Parlement devant une cour ou en un autre lieu. Une commission d'enquête représente-t-elle un autre lieu aux fins d'application de l'article 9 tel que nous l'interprétons? Voilà la question ouverte, selon moi.
» (1715)
M. David Christopherson: Il n'y a pas de précédent.
M. Warren Newman: Il existe des précédents, mais comme l'a dit un autre avocat, ils sont conflictuels.
Le président: Nous allons tout de suite mettre fin à ce débat, puisqu'il s'agit d'une question ouverte.
Monsieur Newman, je vous remercie.
Nous allons maintenant céder la parole au conseiller légiste, M. Walsh. Nous allons, si nous pouvons tout boucler aujourd'hui, entamer nos délibérations jeudi, parce que nous n'en aurons pas le temps aujourd'hui.
M. Walsh, notre légiste et conseiller parlementaire, est des nôtres depuis le tout début de l'enquête sur le programme des commandites le printemps dernier, et nous voilà à l'automne. Il agit comme notre conseiller juridique. Par conséquent, après son exposé, nous pourrons débattrons entre nous, en table ronde. Le temps accordé aux témoins ne s'applique pas. M. Walsh préférerait que nous en débattions entre nous plutôt que de simplement lui poser des questions. Après sa déclaration, il reprendra ses fonctions d'appui à la présidence.
Monsieur Walsh, la parole est à vous.
M. Rob Walsh: Merci, monsieur le président.
Ce siège est bien chaud...
Des voix: Oh, oh!
M. Rob Walsh: ... maintenant que j'y prends place. J'espère que c'est bon signe.
Monsieur le président, j'ai préparé des notes pour le comité, et j'y viendrai tout à l'heure, mais je crains, comme vous le savez, depuis quelque temps déjà que les délibérations du comité ne soient éclipsées par un groupe d'avocats faisant de l'argumentation juridique. Bien que ce genre de débat soit toujours terriblement édifiant, comme en conviendront avec moi, j'en suis sûr, les membres du comité, il ne vous sera peut-être pas aussi utile que nous ne le voudrions, nous les avocats. Je m'en remets donc à votre jugement et reconnaît au départ— comme le font mes collègues du barreau ici présents, puisqu'ils l'ont dit—que c'est à vous et à la Chambre des communes qu'il appartient, en fin de compte, de vous prononcer sur la question à l'étude, qu'une pareille question ne relèverait pas d'un tribunal.
J'aimerais avant tout, avec votre permission, répondre à certaines observations qui viennent d'être faites. La première que je tiens particulièrement à souligner est la mention par M. Newman de l'arrêt New Brunswick Broadcasting. Il s'agit d'une décision rendue par la Cour suprême du Canada mettant en cause l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse. Je ne tiens pas à citer à mal M. Newman, parce que plus tard, quand j'aurais lu son témoignage, il me semblera peut-être plus sensé que ce n'est le cas actuellement.
Cette affaire mettait en cause l'Assemblée législative de la Nouvelle-Écosse, qui ne tient pas ses pouvoirs constitutionnels de l'article 18 de la loi 1867, cette loi dont il est question en ce qui concerne la Chambre des communes fédérale. Donc, à ce stade-ci, je ne pourrais pas vous dire quelle influence cela pourrait avoir, mais je crois qu'il importe de noter que cette décision concernait une assemblée législative provinciale. La Chambre des communes s'est jointe à cette affaire et a certes présenté des observations.
J'aimerais également faire remarquer qu'en ce qui concerne le Bill of Rights, M. Newman a fait valoir que ce sont les principes sous-jacents qui s'appliquent, et j'aurais tendance à reconnaître qu'il est question en réalité de principes sous-jacents. Je n'irais jamais jusqu'à affirmer que le Bill of Rights fait littéralement partie du droit canadien, bien que dans le renvoi constitutionnel de 1981, la Cour suprême du Canada affirme à un certain point que l'on peut convenablement renvoyer à l'article 9 du Bill of Rights de 1689, incontestablement exécutoire dans le cadre du droit canadien, qui prévoit que:
... procédures dans le sein du Parlement, ne peut être entravée ou mise en discussion en aucune cour ou lieu quelconque que le Parlement lui-même. |
J'aimerais vous présenter mon point de vue, en ma qualité de conseiller parlementaire chargé de donner des conseils à ses clients, par opposition à celui d'un avocat préoccupé par les intérêts de son client cité à comparaître devant une commission d'enquête.
Il a été question de renoncer à des privilèges, et j'aimerais soulever quelques points au sujet des cas de 1892 et de 1978. Ces procédures ont eu lieu, cela ne fait aucun doute. Un témoignage fait devant la Chambre a été utilisé dans une procédure judiciaire. Je ne crois pas que nous ayons le temps d'entrer dans le détail, mais je puis vous fournir plus de renseignements à ce sujet si vous le désirez. Il suffit de dire que ces cas ont été très limités et directement liés aux situations en cause.
Il existe un exemple, si l'on se fie à ce qui se passe ailleurs au Commonwealth, d'un cas où s'est posé cette question d'utiliser de la documentation issue de travaux parlementaires devant des commissions d'enquête. En 1992, une commission d'enquête souhaitait utiliser la transcription de témoignages entendus devant un comité—une situation se rapprochant beaucoup de ce dont il est question ici—, et le procureur de la commission australienne a demandé aux deux Chambres du Parlement de renoncer à la protection de l'article 9 du Bill of Rights. Les deux Chambres ont rejeté la demande parce qu'elles n'étaient pas certaines qu'elles pouvaient suspendre ce droit constitutionnel. La commission d'enquête—composée de trois juges, soit dit en passant, plutôt que d'un seul—a respecté la position adoptée par les deux Chambres et a poursuivi son enquête, notant la décision des deux Chambres et ajoutant qu'elle aurait peut-être pour effet de ne pas mettre à la disposition de l'enquête une certaine partie de la preuve.
La Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni ont fait face à des questions analogues dans le contexte de poursuites en diffamation, quand des députés souhaitaient utiliser ce qu'ils avaient eux-mêmes dit à la Chambre pour se défendre, ce que les cours leur ont refusé par déférence à l'article 9.
Des débats ont aussi eu lieu entre certains comités parlementaires du Commonwealth—vos collègues au sein d'autres régimes parlementaires—au sujet de cette idée de renonciation: au Royaume-Uni, en 1999, en Australie, en 1995 et en Nouvelle-Zélande, en 1994. À nouveau, je ne vais pas entrer dans le détail, mais il est intéressant de noter une des raisons pour lesquelles ces parlementaires estimaient ne pas devoir renoncer aux privilèges: les dispositions de l'article 9 sont une question d'importance publique et ont été adoptées pour protéger l'intérêt public. Donc, en l'absence de modification législative, elles ne peuvent être suspendues. Ils estimaient qu'en autorisant une renonciation à la majorité simple, on s'exposait aux abus d'une majorité à l'égard d'une minorité de la Chambre ou encore contre un seul député. Ils estimaient que de pareilles renonciations pourraient étouffer la liberté d'expression: chaque fois que quelqu'un prend la parole, il ne saura jamais s'il jouira plus tard de la protection qu'il croit avoir aujourd'hui. Une renonciation pourrait en entraîner bien d'autres.
» (1720)
De plus, il existe un argument juridique plutôt bien ficelé selon lequel la Constitution ne permet peut-être pas de renoncer à l'application de l'article 9, en ce sens qu'il n'appartient pas à la Chambre des communes d'élargir le champ de compétence des tribunaux. En d'autres mots, la juridiction de la cour est définie, peut-on soutenir, par l'article 9 qui lui interdit en fait d'aller aussi loin. Il y a donc une limite à la juridiction de la cour.
La Chambre peut-elle élargir ce champ de compétence en suspendant l'application de l'article? Je n'ai pas d'opinion à donner au comité à cet égard, monsieur le président. Je souligne simplement que d'autres parlementaires ont jugé bon de réfléchir à ces questions dans le débat—le point étant qu'il n'est peut-être pas possible de renoncer au privilège ou que ce privilège ne se prête peut-être pas à une telle renonciation.
Ces parlementaires ont un point de vue intéressant. J'aimerais vous donner matière à réflexion du point de vue d'un conseiller parlementaire. J'ai remis les notes que j'ai préparées au greffier du comité. S'il veut bien les distribuer, il en a une version française et une version anglaise. Je vais alterner entre l'anglais et le français.
Le président: Nous allons les faire distribuer maintenant, monsieur Walsh.
Oh, elles ont déjà été distribuées.
M. Rob Walsh: Désolé, je ne le savais pas.
En ma qualité de conseiller parlementaire, je suis chargé de donner des conseils à mes clients, les députés élus, au sujet du contexte juridique dans lequel se situe la question qui leur est soumise pour étude.
À mon avis, l'enjeu dans le cas présent est l'interface qui existe entre le droit et la politique, c'est-à-dire l'interface entre, d'une part, les délibérations politiques et parlementaires et, d'autre part, les délibérations juridiques et quasi judiciaires.
En sa qualité de chambre élue du Parlement, la Chambre des communes a un mandat politique et démocratique pour le déroulement de ses travaux, avec tout ce que cela comporte: obligation politique de rendre compte et intérêt partisan. La Commission Gomery, qui est une entité nommée, dispose d'un mandat apolitique et juridique pour le déroulement de ses travaux, avec tout ce que cela comporte : formalités juridiques et processus inquisitoire rigoureux.
Selon moi, il est important de reconnaître les valeurs différentes qui sous-tendent ces deux types de délibérations aux différences bien marquées.
[Français]
Pour l'exercice de son mandat, la Chambre des communes s'inspire de valeurs démocratiques, tandis que la commission s'appuie sur des valeurs juridiques. Les deux bénéficient de la protection de notre Constitution et les deux évoluent sous la valeur protectrice de la primauté du droit, mais les valeurs inhérentes qui les séparent sont profondes et même fondamentales.
Parmi les valeurs démocratiques qui sous-tendent le rôle de la Chambre des communes, il y a la représentation populaire assurée par le processus électoral, le contrôle exclusif de ses délibérations et une liberté de parole sans entrave dans ses débats et ses délibérations, tant au sein de la Chambre que dans ses comités, comme dans le cas de cette séance de comité d'aujourd'hui. Cela comporte la liberté, pour les témoins qui comparaissent devant le comité, de s'exprimer librement, sans crainte de représailles juridiques.
» (1725)
[Traduction]
Il est entendu que sans cette liberté de débat, les opinions des Canadiens sur les questions de l'heure ne pourraient se faire entendre ouvertement comme elles doivent l'être dans une vraie démocratie. Les débats de la Chambre des communes et de ses comités constituent le forum où se joue, au niveau fédéral, la vie démocratique des Canadiens entre les diverses élections, et ce pour le meilleur ou pour le pire.
Quant aux valeurs juridiques qui sous-tendent la fonction d'une commission d'enquête, mentionnons la représentation par l'avocat des parties à l'instance et l'application des principes de justice naturelle selon lesquels chaque partie a la pleine possibilité de contester les témoignages de tout témoin qui comparaît devant la commission d'enquête lorsque ces témoignages peuvent nuire aux intérêts de cette partie. Cette possibilité de contestation s'exerce habituellement par voie de contre-interrogatoire : c'est à ce moment que l'avocat tente de réduire la force probante qui pourrait autrement être accordée au témoignage de ce témoin.
[Français]
Comme vous le savez, notre système parlementaire de gouvernement tire ses racines de la Grande-Bretagne. Vers la fin du XVIIe siècle, les relations entre le roi de l'Angleterre et la Chambre des communes étaient des plus tendues, et la toute-puissante autorité traditionnelle du roi fut confrontée aux forces démocratiques émergentes représentées par la Chambre des communes. Je ne m'attarderai pas ici sur cette histoire politique, car je présume que les membres de ce comité en connaissent largement tous les détails.
L'aboutissement de cette situation fut le Bill of Rights de 1689, officiellement intitulé:
[Traduction]
“An Act declaring the Rights and Liberties of the Subject and Settling the Succession of the Crown”.
[Français]
Cette loi est depuis lors considérée comme faisant partie de la Constitution non écrite de l'Angleterre.
[Traduction]
Les droits et libertés énoncés dans le Bills of Rights de 1689 ont permis de supprimer la taxation par prérogative royale. À partir de ce moment, seul le Parlement pouvait prélever des impôts. Depuis lors, ce pouvoir fondamental a été conféré à la Chambre des communes, tant en Angleterre qu'ici au Canada.
Par ailleurs, le roi ne pouvait plus maintenir une armée permanente sans le consentement du Parlement, et l'élection des députés devait être libre. Les cautions et amendes excessives ainsi que les peines cruelles et inusitées furent bannies.
Il y avait aussi l'article 9 de ce texte qui disposait que:
Ni la liberté de parole, ni celle des débats ou procédures dans le sein du Parlement, ne peut être entravée ou mise en discussion en aucune cour ou lieu quelconque que le Parlement lui-même. |
Grâce à cette disposition, monsieur le président, le conflit entre le mandat démocratique de la Chambre des communes et les pouvoirs juridiques du roi et de ses tribunaux était résolu: les délibérations tenues dans les Chambres du Parlement ne pouvaient être contestées nulle part ailleurs, y compris et surtout devant les tribunaux.
[Français]
Le Bill of Rights de 1689 a été réaffirmé au Canada lorsqu'il a été intégré au droit constitutionnel du Canada par l'entremise de l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 et de l'article 1 du texte de 1868, qui correspond aujourd'hui à l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada.
Monsieur le président, les travaux de la Chambre des communes et de ses comités jouissent d'une protection constitutionnelle, non simplement pour des raisons politiques, mais pour garantir que l'intérêt public soit bien servi par la tenue de débats libres et ouverts.
[Traduction]
Il existe une autre disposition de nos lois qui mérite d'être mentionnée à cet égard, monsieur le président. Je ne comprends pas que l'avocat que nous avons entendu plus tôt cet après-midi ait pu omettre d'en faire mention. Il s'agit de l'article 5 de la Loi sur le Parlement du Canada, qui est libellé ainsi:
Ces privilèges, immunités et pouvoirs sont partie intégrante du droit général et public du Canada et n'ont pas à être démontrés, étant admis d'office devant les tribunaux et juges du Canada. |
Cette disposition oblige les juges à être conscients des pouvoirs, immunités et privilèges du Parlement, sans qu'il soit nécessaire de les mentionner pour qu'ils en tiennent compte. Ils sont toujours applicables.
À mon avis, l'article 5 vise à soutenir l'autonomie et la dignité des deux Chambres du Parlement et à réaffirmer qu'elles ne sont pas subordonnées aux tribunaux ou à leurs travaux, ce qui serait le cas si elles devaient défendre leurs travaux devant un tribunal.
[Français]
Malgré l'article 5 de la Loi sur le Parlement du Canada, le juge Gomery, à l'issue des représentations sur cette question le 25 octobre dernier, a annoncé qu'il ne se prononcerait pas immédiatement sur l'application du privilège parlementaire parce qu'il ne voulait pas trancher cette question dans l'abstrait.
Il a plutôt préféré attendre que se présentent, en cours d'audience, des circonstances où le privilège pourrait être applicable, auquel cas il demanderait à la Chambre des communes de renvoyer son avocat à la commission pour invoquer l'application du privilège parlementaire.
» (1730)
[Traduction]
La Chambre et ses députés pourrait fort bien en prendre ombrage puisque, selon l'article 9 du Bill of Rights de 1689 et les articles 4 et 5 de notre Loi sur le Parlement du Canada, cela équivaudrait pour la Chambre à être convoquée par un juge nommé par la Couronne pour plaider sa cause. À mon avis, c'est exactement le genre de situation que l'article 5 de la Loi sur le Parlement du Canada aborde. En effet, en droit, la Chambre n'était pas tenue de se présenter devant la Commission d'enquête pour que son privilège s'applique.
Il serait très dommage que le commissaire, après avoir entendu un exposé exhaustif et instructif sur la règle du privilège parlementaire, impose à la Chambre des communes le fardeau de défendre ses privilèges dans le cadre des travaux de la Commission, c'est-à-dire de justifier l'application de ses privilèges dans un tel forum. Cela va à l'encontre de la séparation des pouvoirs consacrés par notre constitution dans notre système de gouvernement parlementaire. À mes yeux, cela pourrait être perçu comme une atteinte aux fondements constitutionnels du Parlement.
Notre conseiller juridique s'est présenté devant la Commission d'enquête Gomery, malgré un préavis très court, pour aider le commissaire à titre d'«amicus curiae» ou d'«ami de la cour» et lui rappeler l'existence du privilège parlementaire prévu dans le droit constitutionnel. Cette intervention visait à lui éviter de commettre une erreur juridique contre laquelle la Chambre pourrait éventuellement s'insurger, situation qui serait susceptible de provoquer une controverse publique similaire à celle qui a actuellement cours, ce qui, à son tour, pourrait entraîner des procédures judiciaires supplémentaires.
Le juge Gomery s'est dit étonné de l'intervention de la Chambre des communes et a indiqué qu'elle semblait viser à faire obstacle à ses travaux. Il a dit ne pas avoir le droit de remettre en question les motivations qui sous-tendaient l'intervention de la Chambre, mais qu'il pouvait néanmoins soulever des hypothèses, et a aussitôt commencer à le faire. J'ai peine à comprendre cette distinction alors qu'il a émis comme hypothèse que la Chambre des communes tentait de faire obstacle à ses travaux. Cela n'a jamais été notre intention et je suis sûr qu'aucun député, d'un côté de la Chambre comme de l'autre, ne l'a jamais entendu ainsi.
[Français]
Les commissions d'enquête instituées sous le régime de la Loi sur les enquêtes ont les mêmes pouvoirs que les tribunaux pour assigner et contraindre les témoins à comparaître et à témoigner. Il est évident qu'aux fins du privilège parlementaire, une commission d'enquête doit être considérée comme l'équivalent d'un tribunal judiciaire, même si elle est en fait une création de l'exécutif et ne remplit pas une fonction judiciaire au sens habituel de ce terme.
À mon avis, il ne fait aucun doute que l'article 9 du Bill of Rights de 1689 s'applique ici et que le privilège parlementaire est applicable dans le contexte des travaux de la commission d'enquête. Les privilèges de la Chambre des communes ne devraient jamais être mis en péril dans une instance judiciaire, comme le juge Gomery prétend qu'ils le sont à l'heure actuelle dans le cadre de ses travaux.
[Traduction]
La question qui se poserait à la Chambre, si cette affaire devait lui être présentée, serait de savoir s'il s'agit d'une situation où la Chambre ne devrait pas insister sur ses privilèges constitutionnels. Or, il s'agit là d'une question que la Chambre, et la Chambre seule, doit trancher.
Quant à ce comité, il doit décider s'il aurait objection à ce que le témoignage soit utilisé par les avocats devant la Commission, compte tenu du fait que le témoignage a été présenté devant ce comité et des garanties que ce comité a donné aux témoins le printemps dernier. Il faudrait également décider si une telle objection vaudrait uniquement pour les témoins ayant déjà témoigné ou ceux qui ne l'ont pas encore fait.
Pour terminer, j'aimerais attirer votre attention sur un commentaire figurant dans le rapport de 1999 du comité mixte de la Chambre des communes et de la Chambre des Lords de la Grande-Bretagne. Je crois que c'est M. Newman qui a mentionné la décision de la Cour d'appel de Queensland dans l'affaire Prebble.
Après cette décision en 1999, le comité mixte britannique...
Le président: Qui n'a pas éteint son téléphone cellulaire?
Mme Catherine Beagan Flood: Je vous prie de m'excuser. Je croyais que la sécurité l'avait éteint, mais ils l'ont rallumé.
Le président: Monsieur Walsh, je suis désolé de vous avoir interrompu.
M. Rob Walsh: Ce comité mixte de la Grande-Bretagne, dans son rapport aux chambres, a recommandé que le Parlement confirme l'interprétation traditionnelle de l'article 9, c'est-à-dire qu'on interdit généralement aux tribunaux d'examiner les délibérations parlementaires. Cette interdiction s'applique, que des conséquences juridiques soient possibles ou non.
Le mandat des commissions d'enquête n'est pas de trouver des coupables, mais bien de faire ressortir des faits. Il serait naïf de penser que les témoignages entendus dans le cadre de la Commission d'enquête ne sont pas vraiment d'intérêt public, et donc susceptibles d'intéresser des personnes chargées d'initier des poursuites.
M. Guité s'inquiète peut-être de l'utilisation qu'on fera de son témoignage devant la Commission d'enquête lors des délibérations ultérieures; il en va de même pour les personnes qui viennent témoigner devant notre comité, car beaucoup d'entre elles, même si elles n'ont pas à redouter d'accusations criminelles éventuelles, pourraient néanmoins craindre qu'on utilise leur témoignage contre elles. Ces témoins ont pourtant eu l'assurance qu'ils pouvaient venir s'exprimer sans crainte devant le comité.
Cela dit, je ne suis pas ici, monsieur le président, pour vous dire quoi faire. C'est une question parlementaire. Je n'ai pas de conseil à donner sur...
Des voix : Oh, oh!
M. Rob Walsh : En tant que conseiller parlementaire, je voulais attirer l'attention du comité sur des éléments à prendre en compte vu le contexte juridique dans lequel il se trouve.
Monsieur le président, je vous remercie.
» (1735)
Le président: Merci, monsieur Walsh.
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Bravo!
Le président: Monsieur Lee, je partage votre enthousiasme.
Puisque le moment est venu de lever la séance, nous ne nous prononcerons pas sur cette question aujourd'hui.
À la séance de jeudi, à 15 h 30, nous discuterons à huis clos, pendant la première demi-heure de la séance, d'un rapport provenant du Comité de direction. À 16 heures, nous reprendrons les délibérations publiques. Messieurs Holland, Murphy et Lastewka seront les premiers à poser des questions, jeudi.
La séance est levée.