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Bonjour, mesdames et messieurs.
J'aimerais faire une remarque au sujet du changement de salle. Nous devions au départ nous réunir dans la pièce 112-Nord, située dans l'édifice du Centre, mais je crois comprendre qu'il y avait un problème d'obstruction au comité de la procédure et des affaires de la Chambre. Nous nous sommes donc retrouvés ici. Quoi qu'il en soit, il y a eu pas mal de va-et-vient, et j'imagine que pour cette raison, quelques députés arriveront un peu plus tard. On verra.
Je vais présenter nos témoins, qui auront la possibilité de se présenter à leur tour. Après cela, je vous ferai part d'une certaine victoire remportée par le Comité de liaison.
Nous allons poursuivre l'examen des soins de santé des anciens combattants et du programme pour l'autonomie des anciens combattants; nos témoins, aujourd'hui, viennent de l'Institut national canadien pour les aveugles (INCA) — Catherine Moore, directrice nationale, Relations gouvernementales et avec les consommateurs, et Bernard Nunan, recherchiste, rédacteur, au bureau national de l'INCA ici, à Ottawa.
Je suppose que le greffier vous a dit que vous disposiez de vingt minutes. L'un de vous deux peut les prendre toutes ou partager ce temps avec l'autre — c'est à vous de voir. Nous sommes généralement assez accommodants et assez souples en ce qui concerne les témoins. Après l'exposé, nous passerons à une formule beaucoup plus rigide pour les questions des députés.
Cela dit, vous avez la parole.
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Merci beaucoup d'avoir accédé à ma demande. Il est bien plus facile d'avoir une idée de qui est qui, de l'endroit où vous êtes assis et de ce genre de détails. Cela m'aide beaucoup.
Je vous remercie encore une fois de me donner l'occasion de m'adresser à vous aujourd'hui. Je souhaite vous faire part de certaines recommandations, que vous étudiez certainement déjà, et d'une idée du lien durable qui unit l'INCA et les anciens combattants du Canada.
L'INCA a été fondé en 1919, notamment pour aider les anciens combattants qui ont perdu la vue lors de la Première Guerre mondiale. Notre fondateur et directeur général était le colonel Edwin Baker, qui avait été blessé d'une balle tirée par un franc-tireur en France. Il a reçu des services de réadaptation en Angleterre, à St Dunstan's, puis est revenu au Canada — ainsi que bon nombre d'autres jeunes hommes — en pleine forme, hormis le fait qu'il ne voyait plus.
Le sort de tous ces gens, en 1919, était d'aller vendre des crayons dans la rue ou de se cacher dans un sous-sol. Les aveugles ne pouvaient rien faire. C'était donc l'institutionnalisation, l'itinérance ou autre chose, mais rien de bon. L'INCA a donc été fondé, en partie, pour contrer cette situation.
Au cours des années 1920 et 1930, en particulier, l'INCA a travaillé avec Anciens combattants Canada — le ministère qui s'occupait à ce moment-là des anciens combattants — pour que les soldats de retour de la guerre bénéficient d'avantages.
Le colonel Baker, comme le révèle sa biographie, a fait 30 allers-retours vers Ottawa, s'adressant aux comités parlementaires pour plaider en faveur d'une augmentation des pensions des anciens combattants ayant perdu la vue à la guerre. En 1926, il a réussi à les faire passer de 9 à 11 $ par mois, À cette époque, c'était indéniablement un succès.
Dans les années 1930, ces jeunes hommes dans la trentaine faisaient également face à la Crise. L'INCA a contribué à la création d'emplois au pays, comme certains d'entre vous s'en souviendront, en ayant des stands, des comptoirs de cigarettes et des cafétérias. L'institut a établi un plan qui a permis de donner du travail aux personnes aveugles, dont des anciens combattants. C'est de là que tout est parti.
Aujourd'hui, l'INCA est une organisation beaucoup plus importante qui compte 1 100 employés et 54 bureaux partout au pays. Bien que nous nous consacrions toujours aux anciens combattants, nous nous occupons aussi de la population plus nombreuse de Canadiens aux prises avec une perte d'acuité visuelle. Nous travaillons sur des stratégies visant à informer les gens des façons de prévenir une perte de vision durant la vieillesse, en arrêtant de fumer, en mangeant des légumes-feuilles verts — personne ne veut l'entendre, mais ça aide — etc. Nous travaillons également avec quelque 1 800 anciens combattants un peu partout au pays. De ce nombre, il n'en reste que 30 qui sont devenus aveugles au combat. Les autres ont une perte de vision liée à l'âge.
L'INCA offre un éventail de services pour aider les personnes à conserver leur autonomie ou atténuer les effets émotionnels et sociaux de la perte de vision. Actuellement, nos ressources ne nous permettent pas de nous occuper, à long terme, des cas lourds d'anciens combattants qui entrent dans notre système parce qu'ils perdent la vue. Nous avons même du mal à les renseigner sur tous les avantages qui leur sont offerts. Les personnes qui ont une faible perte de vision peuvent entrer dans notre système et développer par la suite une perte de vision plus grave, mais nous ne le savons pas, car elles pensent qu'il n'y a rien à faire. Ces personnes ont habituellement autour de 80 ans. Elles sont fragiles, âgées et ont souvent d'autres problèmes dont je parlerai plus tard.
Que faisons-nous? Laissez-moi vous montrer quelque chose pour prendre un exemple concret. Nous offrons des services comme l'aide entre pairs; nous rassurons les gens qui peuvent avoir perdu la vue, mais pas pour toujours. Nous travaillons avec des personnes et offrons des choses comme des aides pour la basse vision.
Ceci est une assez grande loupe qui comporte généralement des piles, une lumière et ce genre de choses. Elle semble un peu encombrante, mais c'est une loupe plus puissante que ce que vous trouverez chez Wal-Mart ou dans des magasins semblables — c'est cinq fois plus puissant. Je vais la faire circuler.
Quel est le grand avantage? Eh bien, lorsqu'une personne l'utilise, elle peut lire son formulaire d'impôt et le remplir. Ce n'est peut-être pas l'activité la plus populaire au monde, mais elle est essentielle. C'est une question d'indépendance, même s'il s'agit d'impôt. Mais elle sert aussi à lire les étiquettes de prix, les instructions sur une boite de médicaments et ce genre de choses.
En plus de ce produit pour la basse vision, nous fournissons de l'information et de l'aide concernant des questions que posent couramment les gens. Pourquoi mes yeux sont-ils comme ça? Que s'est-il passé? Ai-je fait quelque chose de mal? À quoi puis-je m'attendre?
Nous tenons à souligner que les services de santé d'Anciens combattants Canada pour les personnes vivant avec une perte de vision sont un modèle pour le reste du monde. Je ne dis pas ça pour me faire bien voir; c'est vrai. Des anciens combattants aveugles faisant partie d'associations américaines et européennes se sont tous tournés vers le Canada pour le développement de leurs services de santé en matière de vision destinés aux anciens combattants. Rien n'est parfait, mais nous fonctionnons très bien actuellement. Je tiens à féliciter toutes les personnes assises autour de cette table qui surveillent et analysent ce que nous pourrions améliorer, parce que c'est tout à fait louable. Nous voulons insister sur le fait que bien qu'il y ait certaines lacunes, dans l'ensemble, nous avons un programme très complet.
Nos recommandations ont trait principalement au mode de prestation des avantages et à l'accès des anciens combattants aux services de santé. C'est là le noeud du problème. Je dois dire, tout d'abord, sans mettre en cause ce comité — et je vous assure que je suis sincère —, que la lenteur de l'examen des tableaux des avantages ou la capacité d'ajouter des produits ou de nouveaux services à ceux qui existent déjà, que le processus d'examen et la bureaucratie qui l'entoure, peuvent parfois être très lourds et frustrants pour toutes les personnes concernées. Je ne parle pas du contexte politique dans son ensemble, mais plutôt du processus au ministère des Anciens combattants, et je comprends que cette lenteur existe malgré les meilleures intentions de certains des bureaucrates les plus vaillants, les plus compétents et les plus dévoués.
Notre première recommandation porte donc sur la rationalisation de l'examen des tableaux des avantages. Il n'est pas bien de faire attendre des personnes âgées six, huit ou dix mois pour un nouveau produit ou un changement dans un règlement qui prévoit d'accorder plus d'une loupe dans toute une vie. Ces choses sont en train d'être résolues. Nous travaillons très étroitement avec les responsables des programmes et des politiques au ministère des Anciens combattants. Une fois encore, il ne s'agit pas d'un manque de volonté, mais il pourrait y avoir une certaine rationalisation. Nous espérons que votre examen et votre travail soutenu en seront le résultat.
En ce qui concerne notre deuxième recommandation, l'INCA appuie totalement le rapport présenté il y a un an — à ce comité, je crois — par le Conseil consultatif de gérontologie d'Anciens Combattants Canada, et intitulé « Parole d’honneur: L’avenir des prestations de santé pour les anciens combattants du Canada ayant servi en temps de guerre ». Ce rapport le dit bien mieux que je ne pourrais le faire aujourd'hui. Il contient des recommandations qui pourraient améliorer réellement la prestation des services aux anciens combattants, pas uniquement à ceux qui ont une perte de vision, mais à tous, indistinctement. Notre deuxième recommandation est de faire ressortir l'une des recommandations de ce rapport, c'est-à-dire d'assigner des gestionnaires de cas aux anciens combattants qui représentent des cas lourds, comme ceux vivant avec une perte de vision.
Alors pourquoi? Pourquoi cela doit-t-il se faire? À notre avis, il y a divers obstacles auxquels doit faire face une personne qui a une perte de vision: lire de l'information, lire des manuels, lire simplement ce que permet le tableau des avantages. Ce genre de choses devient un obstacle. L'autre chose qui devient un obstacle, c'est la disposition actuelle en vertu de laquelle un tiers, en l'occurrence la Croix-Bleue, joue un rôle contradictoire dans l'attribution des avantages.
La Croix-Bleue est l'arbitre ultime en ce qui concerne l'admissibilité d'une personne à des prestations, mais elle fait également fonction d'organisme d'appel ou de règlement des différends. Son rôle est donc double. Elle protège le public, ce qui est essentiel parce qu'il faut rendre des comptes. C'est l'argent des contribuables qui est en jeu. La Croix-Bleue protège donc le public d'une part et, d'autre part, résout les différends en tranchant dans des cas, par exemple, où une personne croit qu'elle est admissible à autre chose. La Croix-Bleue est un organe de vérification indépendant qui ne connaît pas la personne en cause, sa situation ou les détails de son dossier au même titre qu'un gestionnaire de cas — quand bien même il s'agirait d'un gestionnaire de cas de la Croix-Bleue.
Peu importe qui s'en charge: Anciens Combattants Canada, — l'INCA pourrait s'en occuper pour nos clients — ou la Croix-Bleue. On recommande que ce travail soit confié à un gestionnaire de cas capable d'évaluer la situation au départ et disponible si la situation changeait, par exemple si une personne perdait la vue. Le problème pourrait ne pas toucher l'ancien combattant lui-même, mais son conjoint ou sa conjointe qui faisait la lecture ou qui conduisait et qui pourrait commencer à souffrir d'Alzheimer. Cela deviendrait une question secondaire. Si un gestionnaire de cas a été désigné, il saura que dans une situation semblable, une aide additionnelle est déjà prévue pour l'entretien ménager, etc.
Il est très difficile pour une personne âgée de près de 90 ans d'essayer de procéder elle-même à ce type de règlement de différend. Encore une fois, l'INCA offre une aide à cette étape, lorsqu'il le peut, mais ce n'est pas toujours le cas. Nous n'appelons pas les gens et nous ne nous déplaçons pas de façon volontaire pour tenter de les aider.
Voilà donc notre deuxième recommandation.
Notre troisième recommandation est, encore une fois, que soit endossé le contenu du rapport du Conseil consultatif de gérontologie. Tous les anciens combattants qui ont servi dans les forces armées devraient être admissibles à des services de santé en fonction de leurs besoins plutôt que de leur statut. Il devient compliqué de se demander si quelqu'un a servi dans cette mission, etc. Je ne vous dirai pas ce que vous savez déjà sur les critères d'admissibilité et les niveaux de disponibilité des services actuels selon les types de services. On éliminerait beaucoup d'obstacles bureaucratiques si on se rendait auprès d'un ancien combattant qui a servi dans les forces armées, peut-être dans un théâtre de guerre, mais pas forcément... Nous pourrons débattre de cette question un autre jour, et cette personne deviendrait admissible aux prestations prévues.
Voici nos trois recommandations: premièrement, éliminer les obstacles bureaucratiques liés à la détermination des nouveaux avantages, ajouter des éléments à une grille d'avantages ou en supprimer, ce qui est également possible; deuxièmement, instaurer un système de gestion des cas, contrôlé ou administré soit par Anciens Combattants Canada — par l'INCA pour nos clients — soit par la Croix-Bleue, peu importe; ce qui compte, c'est qu'une procédure soit en place; finalement, éliminer les niveaux d'admissibilité aux services.
Bernard, avez-vous quelque chose à ajouter?
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Merci d'être venue, madame Moore. Je peux dire très honnêtement que vos propos nous ont tous inspirés. À mon avis, c'est ce que vous trouverez que nous apprécions beaucoup, ça et le tableau des relations de travail forgées entre l'INCA et ACC que vous nous avez brossé. Ce genre de chose ne se fait pas sans effort. En effet, ces relations ont été nourries et développées au fil des ans. Je félicite donc les deux organismes.
Pendant toutes les discussions que nous avons eues dans le cadre de l'examen du PAAC, une question semble toujours faire surface: l'autonomie.
Il y a des antécédents de dégénérescence maculaire dans ma famille, alors je connais certaines des caractéristiques physiques qui y sont associées. Il semble toujours y avoir la question liée à l'autonomie, au fait de ne pas vouloir admettre — je n'ai pas besoin de services, je n'ai pas besoin d'appareils.
Qu'il s'agisse de cécité ou de syndrome de stress post-traumatique, les anciens combattants refusent d'admettre qu'ils souffrent de certaines maladies. Comment communiquer avec eux? Voilà le problème. C'est une des questions les plus importantes. Si on pouvait trouver la solution magique au problème de communication, tous nos organismes fonctionneraient beaucoup mieux.
Donc, si vous avez des suggestions — d'ordre général, tant pour nous que pour vous — relativement à la façon de communiquer avec les anciens combattants, y compris ceux d'aujourd'hui, nous vous serions très reconnaissants.
Vous avez notamment parlé de la gestion de cas. Vous avez aussi fait ressortir qu'entre le moment où ils viennent vous voir quand ils sont jeunes en raison d'un problème médical quelconque, aussi petit soit-il, et celui où ils reviennent, aucun suivi n'est fait. Par exemple, on retourne 20 ans en arrière, et il n'y a pas de dossiers. C'est bien cela que vous dites?
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La période est plus courte que cela. La dégénérescence maculaire, comme vous le savez, est un problème visuel qui empire avec le temps. En effet, une personne qui, au début, nous voit malgré une perte de vision moyenne — moyenne à notre point de vue, mais non au leur — peut bien, deux ou trois ans plus tard, ne plus voir grand-chose à cause de la détérioration accélérée de son problème.
C'est ici que le tableau des avantages a un problème. Parfois, il ne reconnaît pas qu'une personne peut avoir une telle affection à un moment donné et que, plus tard, cette affection peut avoir changé. C'est pourquoi on nous pose des questions comme « Pourquoi ont-ils besoin de ça maintenant alors qu'ils n'ont que tel ou tel problème? ».
Encore une fois, ces questions sont innocentes... mais pas vraiment. Elles ne sont pas des questions intentionnellement irrespectueuses, mais des questions que l'on poserait lors d'une vérification. Pourquoi cette personne a-t-elle besoin de cela maintenant? Elle avait tel ou tel problème il y a deux ans. Eh bien, c'est différent aujourd'hui. Encore une fois, c'est ici que le système de gestion de cas entrerait en jeu.
Pour répondre à votre question originale — et, je le répète, nous n'avons pas le temps de philosopher — le problème auquel se heurtent les anciens combattants et les militaires est qu'il y a deux mentalités qui entrent en jeu simultanément. De fait, on s'attend à ce que les militaires soient forts et robustes et à ce qu'ils fassent leur travail coûte que coûte, en tant qu'équipe, etc. Il est très contre-intuitif d'avoir besoin d'aide.
Pour remédier à la situation — et le problème est très évident quand il s'agit du syndrome de stress post-traumatique et de la cécité —, il faut éliminer la honte que l'on associe au fait d'avoir besoin d'aide. D'après moi, c'est à ce genre de stratégie de communication qu'il faut en arriver. Peut-être qu'Anciens Combattants Canada pourrait communiquer ce genre de message par l'entremise de son service de communication, c'est-à-dire qu'on n'a pas à avoir honte d'avoir besoin d'aide. Cela ne nous rend pas moins robustes, moins forts, etc. Au contraire, cela signifie que nous avons la force d'admettre que nous ne pouvons pas tout faire par nous-mêmes.