:
Merci, monsieur le président.
Je m'appelle Alex Neve et je suis le secrétaire général d'Amnistie Internationale. C'est un plaisir pour moi d'être ici aujourd'hui. Nous sommes reconnaissants au comité de tenir des audiences supplémentaires, ce qui nous permet de comparaître.
Amnistie Internationale a commencé à émettre des préoccupations au sujet des certificats de sécurité émis dans le contexte de l'immigration en 1997, dans le cas de Manickavasagam Suresh. À l'époque, nous avions mis en lumière deux problèmes distincts, mais certainement reliés et très graves touchant les droits de la personne et, 10 ans plus tard, ces deux questions, soit l'application régulière de la loi et la protection contre la torture continuent de poser des problèmes très importants et évidents.
Amnistie Internationale a abordé son examen du sous trois angles. Premièrement, assure-t-il un processus répondant aux normes internationales et qui garantit que les personnes faisant l'objet d'un certificat seront traitées équitablement? Deuxièmement, est-ce un processus qui renforce la protection des droits de la personne dans les lois et procédures canadiennes touchant la sécurité? Et troisièmement, reconnaissant l'importance de l'exemple que le Canada donne au reste du monde, cette démarche témoigne-t-elle d'un leadership au niveau mondial pour faire en sorte ce que les droits de la personne ne soient pas sacrifiés au nom de la sécurité?
Nous vous exhortons à tenir compte de cette dernière considération dans vos délibérations. Depuis six ans, suite aux événements du 11 septembre, les normes à l'égard des droits de la personne sont menacées dans le monde. Les garanties essentielles contre la torture et la détention arbitraire, le droit à un procès équitable et les autres principes primordiaux des droits humains ont été menacés. Il est essentiel que le Canada défende fermement ces principes et fasse bien comprendre qu'une sécurité réelle et durable ne sera possible que si l'on respecte scrupuleusement ces normes universelles qui ont été difficilement gagnées.
Amnistie Internationale a élaboré des principes qui devraient guider la réforme du régime des certificats de sécurité et qui découlent des obligations internationales du Canada dans le domaine des droits de la personne. Nous avions l'intention de promouvoir ces principes à l'occasion des consultations dont nous attendions la tenue avant la préparation de ce projet de loi. Malheureusement, ces consultations n'ont jamais eu lieu.
Après avoir décrit ces principes, je vais mettre en lumière un certain nombre de lacunes plus problématiques du en ce qui concerne le modèle de défenseur proposé et je terminerai par la principale recommandation d'Amnistie Internationale qui est d'abandonner ce modèle et de le remplacer plutôt par des mesures permettant à l'avocat de l'intéressé d'assurer efficacement la défense de ce dernier.
Les principes les plus importants — et il y en a neuf — sont les suivants. J'espère que vous pourrez les avoir plus tard par écrit. Le préavis était trop court pour que nous puissions préparer notre mémoire dans les deux langues, mais nous l'avons remis au greffier qui m'a dit qu'il vous serait distribué bientôt. Ces principes sont énoncés de façon plus complète par écrit, mais je tiens à vous faire part des principaux concepts.
Premièrement, aucune procédure ne devrait entraîner le renvoi ou le transfert d'une personne du Canada vers un pays où elle risque sérieusement d'être torturée ou soumise à un traitement cruel, inhumain ou dégradant.
Deuxièmement, aucune procédure ne devrait entraîner le renvoi d'une personne si cela lui permettra d'échapper à la justice pour ses crimes.
Troisièmement, il faudrait entamer une procédure criminelle au Canada lorsque le renvoi ou le transfert n'est pas possible.
Quatrièmement, les mesures de renvoi ne devraient pas être des extraditions déguisées.
Cinquièmement, dans les instances d'immigration liées à la sécurité, la procédure devrait se conformer aux mêmes normes d'équité rigoureuses que la procédure pénale canadienne.
Sixièmement, le droit à une défense pleine et entière doit être protégé scrupuleusement dans toute instance d'immigration liée à la sécurité.
Septièmement, on ne devrait jamais refuser de révéler les preuves pour l'unique raison que leur divulgation causerait du tort aux relations internationales. L'enquête sur l'affaire Arar a révélé des exemples inquiétants de la mesure dans laquelle la crainte de nuire aux relations internationales est invoquée de façon entièrement injustifiée pour refuser de divulguer des preuves importantes.
Huitièmement, dans une instance d'immigration liée à la sécurité, la détention doit être une solution de dernier ressort. Cette détention ne doit pas être prolongée et ne peut jamais être d'une durée indéterminée.
Enfin, neuvièmement, en matière d'immigration la détention ne doit jamais être traitée de la même façon qu'en matière pénale.
Malheureusement, la démarche que propose le projet de loi C-3 ne répond pas à ces principes. Bien entendu, c'est en grande partie parce que le projet de loi n'inclut pas de dispositions pour combler les nombreuses lacunes très inquiétantes relatives au régime de certificats de sécurité, notamment en ce qui concerne l'expulsion vers des pays pratiquant la torture, l'impunité et la détention.
La disposition qui prévoit un défenseur et qui cherche, de toute évidence, à améliorer l'équité, n'apporte qu'une amélioration marginale et ne fait pas grand-chose pour que le droit à un procès équitable soit bien protégé.
Les amendements proposés à l'égard du défenseur ressemblent de près au modèle existant au Royaume-Uni. Comme la Cour suprême l'a mentionné dans le jugement Charkaoui, le modèle britannique a été largement critiqué au Royaume-Uni par les commissions parlementaires, les tribunaux, les détenus et leurs avocats et même par les défenseurs qui ont parfois préféré démissionner que de continuer à donner un semblant de légalité à des dispositions fondamentalement défectueuses.
Je voudrais passer rapidement en revue certaines des faiblesses les plus flagrantes du régime proposé. Nos préoccupations sont décrites plus en détail dans le mémoire que vous recevrez plus tard.
Premièrement, le défenseur n'a pas le droit explicite d'avoir accès à tous les renseignements pertinents en la possession du gouvernement. C'est aggravé par le pouvoir qu'a le ministre de retirer des renseignements de l'instance. L'absence d'obligation clairement exprimée de la part du gouvernement de divulguer toute l'information pertinente a suscité de sérieuses préoccupations au Royaume-Uni où des défenseurs ont dit avoir été informés de cas où d'importants renseignements disculpatoires ne leur avaient pas été divulgués. Si des renseignements sont susceptibles d'être disculpatoires, le ministre doit avoir l'obligation de les divulguer et il ne doit pas être autorisé à les retirer de l'instance.
Deuxièmement, même si le projet de loi C-3 permet de nommer un défenseur pour un contrôle judiciaire ou un appel d'une décision rendue par le juge désigné, il ne prévoit aucun mécanisme permettant au défenseur d'entamer une procédure de contrôle judiciaire ou d'appel lorsqu'un problème surgit dans le contexte des délibérations à huis clos.
Le projet de loi C-3 n'établit pas de critères pour la nomination du défenseur. Il ne précise pas quelles sont les qualités ou les compétences requises du défenseur, laissant cela à la discrétion du ministre. Le projet de loi ne prévoit aucune disposition pour la formation et le soutien administratif du défenseur ou pour lui donner accès à des experts.
Le comité des affaires constitutionnelles de la Chambre des communes du Royaume-Uni a sévèrement critiqué le manque de ressources mis à la disposition des défenseurs au Royaume-Uni une fois qu'ils sont nommés. Par exemple, le manque de personnel arabophone a engendré des situations dans lesquelles des documents n'ont pas été communiqués à l'intéressé alors qu'ils étaient publics et accessibles sur Internet et qu'ils auraient pu l'aider à préparer sa défense.
Quatrièmement, la relation entre la personne en cause et son défenseur soulève des problèmes fondamentaux. Premièrement, l'intéressé ne joue qu'un rôle très minime dans la nomination de son défenseur et, deuxièmement, ses rapports avec ce dernier ne sont pas ceux qui existent entre un avocat et son client, ce qui nuit à la confiance qui est nécessaire entre le défenseur et la personne en cause.
Pour ce qui est de la nomination, c'est le juge plutôt que l'intéressé qui choisit le défenseur à partir d'une liste de personnes établie par le ministre de la Justice. Le juge peut également congédier le défenseur. L'intéressé ne joue qu'un rôle limité dans le processus de sélection.
Le fait que le défenseur est nommé par un juge sans que l'intéressé n'ait grand-chose à dire peut donner l'impression que le défenseur n'est pas l'avocat de l'intéressé et ce dernier peut considérer le défenseur comme un agent de l'État.
Le rôle du défenseur est également compromis parce qu'il n'est pas tenu au secret des communications entre l'avocat et son client. Le projet de loi reste silencieux au sujet du secret professionnel auquel un avocat est normalement tenu. Cette ambigüité va refroidir les communications entre l'intéressé et le défenseur.
La cinquième et dernière objection d'Amnistie Internationale au sujet du projet de loi concerne les restrictions quant à la capacité du défenseur de communiquer avec l'intéressé ou qui que ce soit d'autre après avoir obtenu la divulgation de renseignements secrets. Bien entendu, le défenseur peut demander l'autorisation du juge pour communiquer avec des gens de l'extérieur, y compris l'intéressé. Cette disposition est similaire à celle que l'on trouve dans le modèle de défenseur du Royaume-Uni où le juge a rarement donné cette autorisation et où celle-ci est rarement demandée, car les questions que le défenseur désire poser doivent être d'abord soumises au gouvernement.
Cette interdiction de communiquer avec l'intéressé après la divulgation de renseignements secrets a fait l'objet de vives critiques au Royaume-Uni, non seulement de la part des organismes qui défendent les droits de la personne et des défenseurs, mais aussi de la part des parlementaires. Les mêmes critiques s'appliquent au projet de loi .
On ne sait pas exactement si le défenseur peut faire comparaître des témoins pour témoigner en faveur de l'intéressé. La limitation de sa capacité de présenter d'autres preuves, telles que des preuves documentaires, en faveur de l'intéressé est moins ambiguë. Il ne peut le faire qu'avec l'autorisation du juge.
Quelle est la solution? Bien entendu, des amendements pourraient répondre, dans une certaine mesure, aux préoccupations que j'ai émises. Il est décevant que le projet de loi n'apporte pas ce genre d'améliorations dont la nécessité ressort clairement de l'expérience britannique et des déclarations publiques. Il s'agit de voir si le modèle du défenseur peut être amélioré au point d'éliminer ces graves faiblesses. Amnistie Internationale estime que non.
Les améliorations requises pour assurer l'indépendance réelle et apparente du défenseur, favoriser une relation de confiance, protéger la confidentialité des communications et le droit au secret professionnel et assurer la continuité des rapports tout au long de l'instance conféreraient au défenseur un rôle similaire à celui que l'avocat de l'intéressé devrait jouer. Par conséquent, reconnaissant l'importance fondamentale des rapports qui existent normalement entre l'avocat et son client dans tout procès équitable, ainsi que les droits importants qui sont associés au choix de son propre avocat, particulièrement dans une instance dans laquelle le secret peut être invoqué, Amnistie Internationale exhorte le comité à modifier le projet de loi en cherchant plutôt à permettre à l'avocat personnel de l'intéressé de défendre efficacement ce dernier.
Cette suggestion n'a rien de farfelu. La justice canadienne a déjà reconnu que pour préparer une défense efficace dans les causes portant sur des renseignements confidentiels comme celles qui portent sur la sécurité nationale, il est nécessaire de faire preuve d'imagination pour résoudre le problème de la divulgation. Par exemple, une solution qui a été utilisée consiste à demander à l'avocat de la défense de se soumettre à une enquête de sécurité pour avoir accès à la preuve, et de s'engager de façon limitée à ne pas divulguer certains éléments de cette preuve à son client.
Le meilleur exemple de solutions de ce genre qui ont été utilisées dans le contexte de la sécurité nationale se trouve dans des affaires criminelles comme le procès qui a récemment eu lieu au sujet d'Air India. Dans ce procès, la Couronne a donné à l'avocat de la défense un accès provisoire limité aux dossiers pertinents du SCRS en échange d'une promesse de ne pas divulguer la preuve à d'autres personnes, y compris son client. Reconnaissant qu'il aurait été trop long de demander l'autorisation d'un juge pour chaque document, les parties ont établi leur propre système pour négocier quels documents pouvaient être ensuite divulgués à l'accusé.
Le recours à ce genre d'engagement dans l'affaire Air India reposait sur des précédents relatifs à la confidentialité de l'identité d'un informateur, les écoutes faites par un tiers, les dossiers de renseignement de la police et les documents confidentiels. Ironiquement, étant donné les graves problèmes que soulève la nature du système de justice dont il est question ici, les modèles utilisés par les États-Unis relativement aux détenus de Guantanamo constituent un exemple à considérer également.
Un avocat militaire est attribué aux détenus traduits devant la commission militaire pour les défendre, en plus d'un avocat civil et dans les deux cas, les communications entre l'avocat et le client restent confidentielles. L'avocat militaire peut prendre connaissance des renseignements classifiés, mais il peut lui être interdit d'échanger ces renseignements avec le détenu et son avocat civil.
Les États-Unis se sont servis du droit pénal pour juger des personnes soupçonnées d'activité terroriste. Ahmed Ressam a été reconnu coupable d'avoir conspiré pour faire exploser l'Aéroport international de Los Angeles et son procès était un procès criminel qui a eu lieu en public. Lors du prononcé de la sentence, le juge John C. Coughenour a déclaré :
Nous n'avons pas besoin d'utiliser un tribunal militaire secret ou de détenir le défendeur indéfiniment en tant que combattant ennemi ni de lui refuser le droit à un avocat ou de le soumettre à une procédure qui va au-delà ou à l'encontre de celle que garantit la Constitution des États-Unis. (Traduction)
Pour résumer, le modèle du défenseur devrait être supprimé. Le projet de loi devrait plutôt proposer un processus pour attribuer une autorisation sécuritaire à l'avocat de la personne désignée dans un certificat de sécurité et demander à cet avocat de s'engager à ne pas divulguer certains des éléments de preuve auxquels il a accès. Il est également regrettable que le projet de loi ne cherche pas à résoudre les sérieux problèmes relatifs aux droits de la personne qui se posent dans ce genre de cas, notamment en interdisant le renvoi du détenu vers un pays qui pratique la torture, en s'assurant que les criminels n'échappent pas à la justice, en interdisant que les torts causés aux relations internationales soient invoqués pour retenir des preuves et en améliorant les dispositions régissant la détention dans le contexte des certificats de sécurité.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Je m'appelle Mohamed Boudjenane. Je suis le directeur général de la Fédération canado-arabe et je suis accompagné aujourd'hui de James Kafieh, notre conseiller juridique.
[Français]
Monsieur le président, j'aimerais remercier les membres du comité de nous avoir invités ici aujourd'hui. Je pense qu'il est crucial et très important pour les membres de ce comité d'entendre les communautés les plus affectées par ce genre de projet de loi, notamment la communauté arabe et musulmane de ce pays. Je vous remercie de nous avoir invités ici.
[Traduction]
La Fédération canado-arabe est l'organe national d'une des deux communautés minoritaires du Canada qui ont été les plus touchées par les stéréotypes résultant des événements du 11 septembre. Ce projet de loi ne protège pas contre les effets de ces stéréotypes et les perpétue par inadvertance. Chaque fois qu'un Arabe est détenu dans le cadre de ce régime, cela renforce le stéréotype social voulant que tous les Arabes sont des terroristes dans l'esprit de nombreux Canadiens. C'est un stéréotype raciste, bien entendu.
Les Arabes du Canada forment une communauté extrêmement diverse. Contrairement à la croyance populaire, la plupart des Arabes du Canada sont des chrétiens. En fait, vous en avez deux exemples devant vous aujourd'hui. Je suis originaire du Maroc. Je suis un Arabe musulman tandis que James Kalieh est un Canadien originaire de Palestine, qui est chrétien.
Les Arabes chrétiens et musulmans sont des membres pacifiques et productifs de notre société qui adhèrent à nos valeurs démocratiques. Ils s'inquiètent autant de la sécurité que tous les autres Canadiens. Malgré cela, dans la réalité sociale de la discrimination qui a suivi les événements du 11 septembre, les Arabes sont victimes de préjugés. Si vous voyagez alors que vous êtes Arabe, vous faites l'objet d'un profilage racial.
Pourquoi tous les Arabes ont-ils immédiatement été perçus comme des terroristes au lendemain du 11 septembre alors que les Écossais ou les Irlandais ne l'ont pas été après l'attentat à la bombe d'Oklahoma City? C'est en raison de la réalité sociale qui a précédé ces événements en ce qui concerne la discrimination et les stéréotypes.
En fait, une étude intéressante a été réalisée aux États-Unis par un chercheur arabe qui a parlé de la représentation des méchants dans la culture populaire américaine, dans les films, bandes dessinées, etc. Les Arabes et les musulmans sont toujours représentés comme des gens à qui vous ne pouvez pas faire confiance et qui sont des étrangers.
En réalité, Timothy McVeigh était une personne comme tout le monde alors que les pirates de l'air du 11 septembre étaient des gens différents. Comme je l'ai dit, c'est une perception favorisée par certains stéréotypes qui existaient déjà dans notre société.
Les Arabes forment une communauté à risque. Les Arabes du Canada vivent dans une société où les stéréotypes ont été réduits à une simple équation: Arabe égale musulman et musulman égale terroriste. Malheureusement, ce genre de projet de loi envoie un important message qui contribue au discours public actuel. Le discours public est celui de nos leaders d'opinion, de la classe politique, de nos médias et des gens qui ont une certaine influence sur la perception du public. Depuis le 11 septembre, bien entendu, les médias utilisent dans leurs titres des qualificatifs comme « barbares », « arriérés », « ne respectant pas les valeurs des Canadiens » lorsqu'ils parlent des Arabes et des musulmans.
Les leaders d'opinion et certains membres de la classe politique — et je me souviens d'avoir entendu récemment M. Harper déclarer, après l'arrestation des 17 jeunes accusés de terrorisme à Toronto, que c'est « nous contre eux ». Nous savons tous que la majorité de ces jeunes étaient des citoyens canadiens et qu'ils étaient tous nés ici, au Canada. Ce genre de message envoie un signal très clair et a une forte influence sur l'homme de la rue. Il a une forte influence sur la perception du public.
Les stéréotypes et ce projet de loi donnent également carte blanche à nos agents de sécurité et organismes de sécurité pour faire du profilage racial et harceler les membres de nos communautés. La Fédération canado-arabe a reçu des plaintes de personnes qui ont été détenues et interrogées à la frontière ou qui font régulièrement l'objet d'un profilage racial de la part des agents de sécurité.
Nous avons toujours des automobiles du SCRS et de la GRC stationnées devant les mosquées de Toronto, Montréal et des autres grandes villes pour espionner les gens, soumettre les membres de la communauté à un chantage en leur disant: « Si vous n'espionnez pas votre coreligionnaire vous ne pourrez peut-être pas obtenir la citoyenneté canadienne », ou « la demande que vous avez présentée pour faire venir votre famille ici sera peut-être retardée ». Telle est la réalité et nous avons été saisis de nombreux cas de ce genre…
Dans nos campus et nos universités, les femmes arabes sont attaquées. Les femmes musulmanes sont harcelées et nous sommes tous au courant du grand débat qui a lieu actuellement au Québec au sujet des accommodements raisonnables et où l'on fait une description assez négative des Arabes et des musulmans.
L'autre conséquence, bien entendu, c'est la marginalisation et l'ostracisme dont les membres de la communauté se sentent victimes. Les Canadiens arabes et musulmans ont maintenant l'impression d'être des étrangers. Ils ont le sentiment d'être considérés comme des ennemis. Cela se répercute clairement sur la façon dont ils se comportent dans la société. Cela a une forte influence sur la façon dont ils participent à la société civile. Je vais vous en donner quelques exemples.
Récemment, le Congrès du travail du Canada a publié une étude sur le taux de chômage des différents groupes raciaux minoritaires au Canada. Les Arabes et les gens originaires de l'Asie de l'Ouest sont ceux qui connaissent le taux de chômage le plus élevé à l'heure actuelle, même si c'est une des populations immigrantes les plus instruites du pays.
Alors que nous avions de nombreux organismes qui levaient des fonds pour aider les gens au Moyen-Orient ou dans d'autres régions du monde, en Afrique ou en Asie du Sud, cette capacité est maintenant limitée. Tous ceux qui lèvent des fonds ou essaient d'organiser des initiatives pour aider cette région du monde sont soupçonnés d'aider une organisation terroriste au Moyen-Orient. Cela a eu un impact important sur la façon dont nous nous comportons en tant que citoyens de ce pays.
Nous ne pouvons plus nous organiser, nous faire entendre ou exprimer nos opinions de façon régulière. Par exemple, la semaine dernière, un Arabe, ou plutôt un Canadien musulman… Il poursuit Air Canada auprès de la Commission canadienne des droits de la personne parce qu'il a fait l'objet d'un profilage racial. On l'a empêché de prendre l'avion. Il pense que c'est uniquement parce qu'il est musulman ou qu'il a vivement critiqué l'administration Bush. C'est un caricaturiste.
Nous nous demandons maintenant si notre propre liberté d'expression existe toujours étant donné que ce projet de loi nous vise.
Enfin, je crois que cela a de sérieuses répercussions sur les autres minorités raciales et immigrants. Hier, Statistique Canada a publié de nouveaux chiffres concernant le nouveau visage du Canada qui nous révèlent que maintenant, un Canadien sur cinq est né à l'étranger.
Le Canada est un pays d'immigrants. Nous avons besoin des immigrants. Le Canada a toujours été décrit comme un pays de possibilités et un pays de diversité, mais en réalité, nous créons maintenant avec ce projet de loi un système juridique à deux niveaux: un pour les immigrants à qui nous disons: si vous venez au Canada et si nous vous considérons comme une menace, vous pourrez être détenu indéfiniment; et un autre pour les citoyens canadiens. Cela ne fait pas partie de nos valeurs en tant que société juste et démocratique.
Nos recommandations sont simples et directes. Je ne vais pas répéter notre principal argument. Alex Neve en a parlé et je suis certain que Mme Hall en parlera également. Nous pensons que ce projet de loin n'a pas sa place dans notre société. Nous pensons que nous avons suffisamment de munitions dans notre système juridique pour lutter contre les criminels — et un terroriste est un criminel. Nous avons arrêté et détenu récemment les 17 jeunes de Toronto accusés de terrorisme sans recourir aux certificats de sécurité ou ni même au projet de loi C-36. Comme je l'ai dit, notre système juridique nous offre suffisamment de munitions pour être certains de pouvoir détenir, arrêter et punir les criminels.
Je voudrais conclure en disant que c'est intéressant, mais qu'à un moment donné, nous avons déclaré au Canada qu'il fallait sacrifier certaines de nos libertés civiles et les droits de la personne pour que nous puissions vivre en sécurité. En réalité, nous sommes prêts à sacrifier les libertés civiles et les droits humains d'un certain groupe de notre société. Ce n'est pas le genre de Canada que nous défendons.
Nous venons à vous, en tant que législateurs, pour vous rappeler que vous avez le devoir de veiller à ce que la société canadienne reste inclusive, qu'il n'ait pas de lois de ce genre qui puissent favoriser le profilage racial ou le racisme contre un groupe de notre société. Merci beaucoup.
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Merci, monsieur le président et je remercie également tous les membres du comité d'avoir invité Human Rights Watch à comparaître aujourd'hui.
Je crois que le comité envisage de faire comparaître des témoins supplémentaires et, bien sûr, nous nous en réjouissons également.
Je voudrais seulement dire, pour commencer, que Human Rights Watch partage les inquiétudes d'Amnistie Internationale au sujet du projet de loi , mais je voudrais vous ramener deux ans en arrière, au premier commentaire de Human Rights Watch concernant les certificats de sécurité. Dans un rapport d'avril 2005, nous recommandions qu'il fallait :
Abroger de toute urgence la section 9 (articles 76-87) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR), prévoyant l'utilisation de certificats de sécurité qui autorisent le gouvernement à détenir et expulser des gens sur la foi de preuves secrètes présentées à des audiences ex parte et sans garanties de procédure, parce qu'elles sont soupçonnées de représenter un danger imminent pour la sécurité du Canada, y compris la possibilité de les transférer dans des pays où elles risquent d'être torturées ou maltraitées.
Nous avions également fait remarquer à l'époque que même si la LIPR ne prévoyait pas expressément une détention pour une période indéfinie sans que les personnes visées par un certificat de sécurité ne fassent l'objet d'accusations ou d'un procès, en pratique, le régime de détention qui accompagne le certificat pourrait se traduire par une détention pendant une période indéfinie. Si un juge déterminait qu'une personne constitue une menace pour la sécurité nationale, s'il n'était pas possible de l'expulser, l'intéressé risquerait d'être incarcéré pour une période indéfinie étant donné les lacunes de la loi. Human Rights Watch a demandé que cette lacune soit éliminée étant donné que la détention pour une période indéfinie sans accusation ou sans procès est, par sa nature même, arbitraire et contraire au droit international relatif aux droits de la personne.
Un grand nombre de ces préoccupations ont été exprimées dans le mémoire que nous avons présenté, à titre d'intervenant désintéressé, dans la cause Charkaoui dont le jugement a invalidé certaines dispositions de la LIPR.
Nous comparaissons devant vous aujourd'hui pour parler du projet de loi , dont le but était de remédier aux déficiences de la LIPR mises en lumière par la Cour suprême dans l'affaire Charkaoui. Toutefois, nous regrettons vivement que le projet de loi C-3 ne fasse rien de tel. En fait, les critiques qui ont été portées à l'endroit de la LIPR avant l'affaire Charkaoui, en 2005, s'appliquent également au projet de loi C-3. Il n'est pas possible de remédier aux faiblesses que nous avions constatées en 2005 sur le plan du fond et de la forme en ajoutant simplement une tierce partie possédant l'autorisation sécuritaire voulue qui joue le rôle de défenseur. Malheureusement, le projet de loi C-3 ne permet toujours pas à une personne faisant l'objet d'un certificat de sécurité d'avoir accès aux preuves secrètes sur la foi desquelles elle est jugée constituer une menace pour la sécurité nationale, pas plus qu'aux preuves secrètes utilisées pour évaluer le risque qu'elle se fasse torturer à son retour. Une personne à qui un défenseur est attribué ne bénéficiera pas des rapports qui existent normalement entre un avocat et son client, ce qui veut dire que toute communication entre les deux risque d'être divulguée. Le gouvernement n'a toujours pas l'obligation expresse de divulguer la totalité de la preuve, y compris les renseignements disculpatoires, dans ce cas au défenseur, ce qui limite encore plus l'utilité de ce dernier.
J'ai comparu comme témoin expert devant la commission spéciale d'appel de l'immigration du Royaume-Uni dans la cause Abu Qatada. J'étais là pour parler du risque de torture et des assurances diplomatiques ou de ce qu'on appelle au Royaume-Uni des protocoles d'entente. J'ai pu voir personnellement, à plusieurs reprises, les défenseurs désignés pour cette affaire se plaindre au juge, en séance publique, que le gouvernement n'avait pas entièrement répondu à des demandes de divulgation remontant à plusieurs mois. Le juge en chef Ouseley avait alors demandé le huis clos pour discuter plus à fond de la question. Ceux d'entre nous qui se trouvaient dans l'auditoire ou qui témoignaient comme experts ont trouvé très intéressant de voir que les défenseurs ont jugé nécessaire, en séance publique, de dénoncer le manque de coopération du gouvernement à l'égard de la divulgation.
Enfin, aux termes du projet de loi , la détention pour une période indéfinie sans accusation ou procès demeure une véritable possibilité étant donné qu'un juge pourrait décider qu'une personne constitue une menace pour la sécurité nationale, mais reconnaître en même temps qu'il n'est pas possible de l'expulser parce qu'elle risque la torture à son retour. Vous constaterez également dans nos observations écrites que Human Rights Watch ne croit pas que les assurances diplomatiques, c'est-à-dire la promesse du gouvernement du pays qu'une personne ne sera pas torturée à son retour, soient suffisamment fiables pour réduire le risque de torture. Notre lecture du projet de loi nous a donné une certaine impression de déjà-vu.
Les déficiences de ce projet de loi ne répondent pas non plus aux critiques exprimées par d'autres organismes internationaux et je dois souligner que nous présentons, dans une mesure, un point de vue international sur le projet de loi.
En avril 2006, le Comité des droits de l'homme des Nations Unies s'est inquiété de ce que certaines personnes faisant l'objet de certificats de sécurité au Canada avaient été détenues pendant plusieurs années sans qu'aucune accusation criminelle ne soit portée contre elles, sans avoir été informées adéquatement des raisons de leur détention, avec un contrôle judiciaire limité et a demandé au gouvernement du Canada de préciser dans la loi la durée maximale de ce genre de détention.
Le paragraphe dans lequel le Comité des droits de l'homme des Nations Unies exprime ses préoccupations résume toutes nos réserves à l'égard du projet de loi . Ces propos sont très semblables aux recommandations que le Comité a adressées au gouvernement des États-Unis à l'égard des détentions à Gantanamo.
En décembre 2006, le Comité des droits de l'homme a demandé aux États-Unis de donner aux détenus accès à un avocat de leur choix et s'est dit préoccupé de ce que les détenus ne bénéficiaient pas d'une application régulière de la loi en raison des restrictions touchant leur droit de prendre connaissance de « la totalité des délibérations et de la preuve ».
L'utilisation de preuves secrètes et la désignation de défenseur a fait l'objet de nombreux commentaires, comme en témoignent les mémoires que le Comité a reçus, y compris ceux de Human Rights Watch. Je voudrais toutefois vous citer quelques extraits d'une conférence donnée par le juge Arthur Chaskalson, le président de la International Commission of Jurists et président du Eminent Jurists Panel de l'IJC. Cette conférence a été donnée à l'Université de Cambridge, en mai 2007 et elle s'intitulait: « The Widening Gyre: Counter-Terrorism, Human Rights and the Rule of Law ».
Premièrement, le juge Chaskalson félicite le Canada et la Cour suprême du Canada d'avoir invalidé les dispositions de la LIPR qui n'étaient pas conformes à la Charte ou aux obligations internationales en matière de droits de la personne. Mais il ajoute ceci :
Toutefois, la nomination d'un défenseur dans ce but [pour évaluer les preuves secrètes] n'est pas la panacée. On déclare aux personnes contre qui des accusations ont été portées que les preuves ayant permis de décider de prendre des mesures contre elles ne peuvent pas leur être divulguées. Le gouvernement qui a pris ces mesures nomme des avocats ayant l'autorisation de sécurité requise pour défendre leurs intérêts. Les avocats peuvent voir la preuve, mais sans pouvoir leur dire en quoi elle consiste. Ils doivent simplement faire de leur mieux, dans les circonstances, sans pouvoir obtenir des instructions détaillées des personnes touchées au sujet des renseignements qui ne peuvent leur être divulgués. Je ne sais pas ce qu'une famille anglaise dont un enfant serait détenu dans un pays étranger penserait d'un tel système ou ce qu'en penserait une famille anglaise ayant un enfant détenu en Angleterre. (Traduction)
Je dois avouer que j'ai énormément de réserves quant à l'équité de ce processus.
Pour conclure, je dirais que le défenseur proposé dans le projet de loi ne répond tout simplement pas à l'exigence de transparence qui est inscrite dans le droit international relatif aux droits de la personne pour ce qui est des garanties de procès équitable. Par conséquent, cette disposition du projet de loi ne donne pas à une personne qui fait l'objet d'un certificat de sécurité la capacité de préparer sa défense.
Human Rights Watch estime donc que le projet de loi et les dispositions relatives au défenseur devraient être rejetées catégoriquement.
Merci.
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Merci monsieur le président et je remercie les témoins d'être venus ici aujourd'hui.
Une des initiatives que notre gouvernement a lancée au cours de son dernier mandat par l'entremise de l'Agence des services frontaliers du Canada était l'Initiative en matière d'équité et nous avons lancé un processus de consultations. Je ne sais pas si vous êtes au courant, mai cela s'adressait aux personnes qui traversaient la frontière et estimaient être traitées de façon injuste. Une tierce partie objective devait étudier le dossier. Cette initiative s'adressait en partie aux personnes qui estimaient avoir été visées à cause de leur race, de leur religion ou de leur origine.
Je ne sais pas si le gouvernement actuel compte mettre ces mesures en oeuvre, mais je crois que vous devriez l'inciter à le faire. Même si les services frontaliers appliquent un modèle de gestion des risques, il y a certaines circonstances dans lesquelles les agents peuvent faire preuve d'injustice et cela offrirait une possibilité de contestation. Je vous suggère d'en parler avec le gouvernement, car c'est dans le site Web, mais c'est en train de disparaître graduellement.
Je m'adresse maintenant à Amnistie Internationale. J'ai une ou deux questions à vous poser, monsieur Neve.
Premièrement, une loi ne peut pas tout inclure. Je ne pense pas, mais je me trompe peut-être, que vous avez proposé d'inclure dans la loi la description de tâches du défenseur, les qualités requises, des précisions quant à savoir s'il doit être avocat et depuis combien d'années. Je sais que tout est important et nous aimerions que ce soit précisé dans la loi, mais en pratique, une bonne partie de ces renseignements figureront dans le règlement d'application. Peut-être pourriez-vous nous dire ce que vous en pensez.
J'ai une deuxième question à vous poser, monsieur.
Les personnes qui sont détenues en vertu d'un certificat de sécurité choisissent leur propre avocat. Je pense que cela pose certains problèmes pratiques en ce sens que cela nécessite une certaine formation et sensibilisation. Deuxièmement, il ne suffirait pas que l'avocat promette de ne rien dire à personne. Il faudrait qu'il s'engage sous serment à ne rien révéler jusqu'à la fin de ses jours, je pense.
L'idée d'avoir un groupe de défenseurs… En fait, dans le rapport de notre sous-comité, nous avons recommandé des défenseurs, non seulement pour les certificats de sécurité, mais aussi pour l'établissement de la liste d'organisations terroristes et la radiation des organismes de bienfaisance, pour lesquels il y a également une sorte de chambre étoilée, si je puis dire. Le gouvernement n'a pas fini d'évaluer ces recommandations.
Voilà donc mes deux questions. À quel point peut-on être précis dans un projet de loi? Deuxièmement, le processus d'autorisation de sécurité prend du temps. Il ne suffit pas de prendre le téléphone et de dire: « Nous aimerions engager cet avocat ». Une enquête de sécurité exige du temps. Et il faut que ces avocats s'engagent sous serment à ne jamais rien révéler, car la vie de certaines personnes est en jeu ainsi que nos secrets avec nos amis et nos alliés.
J'aimerais savoir ce que vous en pensez.