SNUD Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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SPECIAL COMMITTEE ON NON-MEDICAL USE OF DRUGS
COMITÉ SPÉCIAL SUR LA CONSOMMATION NON MÉDICALE DE DROGUES OU MÉDICAMENTS
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le mercredi 7 novembre 2001
La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)): Je déclare la séance ouverte.
Le comité se réunit conformément à l'ordre de renvoi adopté par la Chambre des communes le jeudi 17 mai 2001, examen de facteurs sous-jacents ou parallèles à la consommation non médicale de drogues ou de médicaments.
Nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui le Dr Eric Single, un professeur en sciences de la santé publique à la faculté de médecine de l'Université de Toronto.
Docteur Single, vous serez heureux de savoir que certains étudiants en criminologie de l'Université d'Ottawa sont également ici pour vous entendre.
Dr Eric W. Single (Témoignage à titre personnel): Merci de me recevoir aujourd'hui.
Si je comprends bien, je suis ici à titre de chercheur, et non comme représentant d'un organisme. Puisque nous tenons à utiliser au maximum le temps qui nous est imparti pour la période de questions et des échanges sur un grand nombre de questions, je me suis dit que j'allais dans un premier temps vous dresser une brève liste de certaines des recherches ou de certains des produits d'information auxquels j'ai été associé, du moins ceux qui semblent intéressants dans le contexte de nos travaux et pertinents compte tenu de votre mandat.
Cependant, je vais concentrer l'essentiel de mes propos sur l'administration des politiques de lutte contre la drogue en Australie par rapport à celle des États-Unis tout particulièrement de même qu'aux conséquences ou aux leçons qu'il convient de tirer du passé—en Australie et ailleurs—, sans oublier les erreurs contenues dans la première stratégie antidrogue du Canada, celle qui a vu le jour en 1997.
Je vais commencer par les recherches et les produits d'information auxquels j'ai fait allusion. D'abord, il y a le profil canadien. J'ai apporté avec moi et remis à la chef de votre équipe de recherche, Carol Chafe, une compilation bilingue de tous les travaux accessibles—faciles d'accès, en tout cas—des données nationales sur l'alcool, le tabac et les drogues. C'est un document volumineux. Nous espérons qu'il y aura un exemplaire pour chacun.
Depuis huit ans, je m'emploie à épurer ce document. Il est destiné aux décideurs, aux médias, aux chercheurs et aux agents d'exécution de la loi—essentiellement à toute personne qui s'intéresse aux questions touchant l'alcool, les drogues ou le tabac. Il s'agit simplement de réunir au même endroit des données provenant d'une diversité de sources. On y retrouve 12 sujets. De façon générale, le document renferme un grand nombre de tableaux pour chacun. Il y a aussi des résumés et même des points saillants portant sur trois ou quatre enjeux principaux. Cette présentation s'adresse aux décideurs qui n'ont pas le temps de lire plus d'une page. Je comprends le problème. Il s'agit donc, me semble-t-il, d'un outil relativement convivial.
• 1545
Depuis 1993, il a été mis à jour tous les deux ans, mais il
n'y a pas eu d'ajouts depuis 1999 et aucun ajout n'est prévu, faute
de données. Nous nous sommes dit que nous allions flouer les
clients puisque les données nouvelles sur la situation de la
toxicomanie au Canada n'étaient pas suffisantes pour justifier une
nouvelle édition.
Un deuxième produit d'information—la recherche à laquelle je participe—a trait à une vaste question, c'est-à-dire l'estimation. Il s'agit de mon principal champ d'intérêt. Il s'agit de l'estimation de la morbidité, de la mortalité et des coûts économiques imputables à la toxicomanie. En 1996, j'ai dirigé une équipe interdisciplinaire qui a réalisé la première étude majeure portant sur l'évaluation des coûts économiques de la toxicomanie. Les données avaient trait à l'année 1992 puisque, à l'époque, c'étaient les données les plus récentes que nous avions sous la main.
Pour estimer les coûts économiques, on doit d'abord estimer le nombre de décès et de séjours à l'hôpital imputables à l'alcool, au tabac et aux drogues. Il s'agit du volet principal. La qualité de l'estimation des coûts économiques est fonction de celle de la morbidité et de la mortalité, qui tiennent en quelque sorte lieu de données brutes.
La recherche n'a pas été mise à jour: les données dont nous disposons s'arrêtent donc en 1992. Trois semaines après la publication des résultats, l'unité de recherche du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies (CCLAD) a été démantelée à la suite de compressions budgétaires. Ce champ de recherche n'a reçu aucune aide soutenue de la part du gouvernement fédéral, et on ne dispose aujourd'hui d'aucune nouvelle donnée sur les coûts économiques.
Je mentionne en passant des résumés en français et en anglais qui figurent, si je comprends bien, dans vos cahiers d'information. J'ai apporté avec moi certains travaux dérivés. Voici un article du magazine Addiction où les résultats sont résumés qui fait la synthèse des résultats et que je vais laisser aux membres de votre personnel de recherche; voici un article de l'American Journal of Public Health sur la morbidité et la mortalité en 1992; voici enfin une mise à jour plus récente que certains collègues et moi avons produite. Nous avons en effet estimé le nombre de décès et de séjours à l'hôpital imputables à des drogues jusqu'en 1996. L'article est paru dans le Canadian Medical Journal. Le travail, soit dit en passant, a été effectué sans aide financière. Je tenais simplement à le mentionner. Essentiellement, nous l'avons réalisé le samedi matin dans la cuisine, faute d'aide financière.
Un autre produit d'information qui devrait vous intéresser renferme les nouvelles lignes directrices internationales sur l'estimation des coûts de la toxicomanie. Avant de réaliser l'étude sur les coûts, nous nous sommes en fait offert le luxe de réunir des économistes des quatre coins du monde qui avaient eux-mêmes réalisé des études sur les coûts. Si les résultats de ces études variaient considérablement, c'est, aux termes du consensus dégagé, que les modèles économiques sur lesquels elles s'appuyaient étaient eux-mêmes différents.
Nous avons organisé nos deux premiers colloques internationaux grâce à une aide financière provenant d'une diversité d'organismes nationaux, provinciaux et internationaux. Jusqu'ici, nous en avons tenu trois. Ils ont tous été au Canada. Nous avons en quelque sorte été des pionniers en ce qui concerne l'établissement d'un consensus sur la méthode à adopter dans ce domaine. Nous n'avons pas réglé tous les problèmes, mais nous sommes sur la bonne voie. Les résultats de nos travaux servent aujourd'hui de point de départ aux études sur les coûts réalisées aux États-Unis. L'étude récente menée aux États-Unis, la nôtre et les études australiennes ont toutes été réalisées à l'aide de ces lignes directrices.
Elles servent maintenant à la réalisation d'études en Europe de l'Ouest de même qu'en Amérique du Nord et du Sud: en effet, la CICAD, soit la Commission interaméricaine de lutte contre l'abus des drogues de l'Organisation des États américains a accepté d'inclure l'estimation des coûts des abus de drogue dans ces contrôles de routine—il faudra donc former les responsables. Je vais animer des ateliers au Chili et en Colombie, mais il faudra au préalable déployer des efforts considérables. En fait, le dernier colloque a porté sur les problèmes particuliers associés à l'estimation du coût de la toxicomanie dans les pays en développement et dans les pays producteurs de drogue.
Nous allons bientôt faire publier la deuxième édition, qui se trouvera dans le site Web du CCLAT, de concert avec les nouvelles lignes directrices internationales.
Cette activité fait donc partie intégrante des coûts économiques. Nous n'agissons pas seuls. En fait, nous travaillons en collaboration avec des chercheurs du monde entier. Nos résultats seront donc vraisemblablement plus comparables. De très nombreux problèmes se posent, et les auteurs des études en question sont très sensibles aux problèmes méthodologiques. Nous avons probablement nous-mêmes pris les devants en les portant à l'attention des chercheurs.
• 1550
À mon avis, il s'agit d'une évolution favorable. Nous en
sommes, je crois, là où le PIB en était il y a 35 ans. À l'époque,
on dénigrait les personnes qui soutenaient qu'il était possible
d'aboutir à une mesure unique de la valeur totale des biens et des
services des sociétés. Les problèmes méthodologiques paraissaient
alors insurmontables, mais il s'agit aujourd'hui de l'un des outils
d'analyse économique les plus utiles qui soient. Dans vingt ans, je
pense que les pays auront la capacité de suivre les coûts associés
à l'utilisation et à l'abus de drogues. Ils seront ainsi en mesure
d'évaluer l'efficacité des politiques et des programmes.
En avant-dernier lieu, je mentionne une étude que j'ai réalisée avec deux collègues australiens, soit une analyse comparative de l'impact des mesures de décriminalisation de la marijuana sur les deux pays. L'expérience des deux pays montre que l'élimination des peines d'emprisonnement comme sanction pour la possession de cannabis n'entraîne pas d'augmentation des taux d'utilisation, contrairement à ce que bon nombre de personnes craignaient jusqu'à tout récemment. En fait, la mesure se traduit par des économies substantielles au titre de l'exécution de la loi de même que par une réduction d'autres coûts sociaux.
Cependant, la mise en oeuvre doit sans cesse être perfectionnée. En Australie, en particulier, la mise en oeuvre a posé de nombreux problèmes, même si les citoyens ont vu dans la mesure une réussite totale.
Dans le cas des Américains, il n'y a eu aucun problème, et la réussite a été énorme, quelles que soient les mesures utilisées, mais les citoyens n'ont pas interprété les résultats comme une réussite. Voilà qui montre bien que les perceptions du public se fondent sur des recherches poussées...
On n'a pas affaire à une réussite absolue. Il faudra sans cesse apporter des ajustements. On doit concevoir un plan de recherche qui permette de mesurer les impacts de même qu'une stratégie de communication qui établit clairement que l'allégement des sanctions ne signifie pas que les citoyens se préoccupent moins de l'utilisation du cannabis.
Enfin, il y a l'évaluation de la stratégie nationale antidrogue de l'Australie. Au moment du démantèlement de l'unité de recherche, en 1996, le gouvernement de l'Australie m'a invité à évaluer sa stratégie nationale de lutte antidrogue en vertu d'un contrat. J'ai effectué le travail en collaboration avec Timothy Rohl, directeur de l'école de police du pays.
Le rapport est accessible. On le trouve sur Internet. Il a également été produit sur support papier, mais le tirage est épuisé. Je ne peux pas vous laisser le seul exemplaire que je possède, mais j'ai donné l'adresse Internet aux membres de votre personnel de recherche. On y trouve en détail les réalisations de la stratégie, et les préoccupations exprimées par les intervenants y figurent aussi. Nous avons mené un processus de consultation poussé, notamment des groupes de discussion sur des questions précises et des audiences publiques dans l'ensemble des États et des capitales territoriales, et ainsi de suite. Pendant ce temps, bon nombre d'intervenants nous ont fait part de leurs préoccupations. Nous avons tenu compte de ces préoccupations dans une série de sept recommandations stratégiques visant à rajeunir la stratégie et à lui conférer une meilleure orientation stratégique à la phase suivante.
Depuis, je n'ai pas été en mesure de suivre tous les faits nouveaux, mais je suis retourné dans ce pays à quelques occasions, et je dois dire que les résultats sont relativement gratifiants. L'Australie s'est engagée à renouveler sa stratégie antidrogue pour une période de cinq ans. À l'époque où nous avons présenté le rapport, l'engagement du pays ne portait que sur une période de trois ans. Le budget de la stratégie a été presque doublé. On a institué une unité spécialisée de la stratégie nationale antidrogue qui a pour but de gérer l'initiative de façon très efficace. Par le passé, elle l'a très mal été: la stratégie a en quelque sorte été une réussite malgré sa direction. Par ailleurs, on a arrêté des plans d'action à l'égard des autres recommandations du rapport.
Je vous ai donc donné un bref aperçu des sujets à propos desquels vous voudrez peut-être me poser des questions. Je me ferai un plaisir de revenir plus en détail sur l'un ou l'autre d'entre eux.
J'aimerais consacrer l'essentiel du temps qu'il me reste à comparer l'expérience de l'Australie à celle des États-Unis de même qu'à présenter certaines leçons qui peuvent être tirées des erreurs commises au cours de la dernière année. Pour ce faire, il suffit de tenir compte de l'expérience d'autres pays. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons nous doter d'une nouvelle stratégie nationale antidrogue, conformément à ce qu'on lit dans le Livre rouge. Je crois comprendre que le gouvernement s'y est engagé.
Il y a de nombreuses similitudes entre l'Australie et le Canada. Le moment venu d'examiner le traitement possible d'un enjeu social donné, nombreux sont ceux qui tendent à se tourner vers les États-Unis ou vers des pays européens, mais, pour ma part, je suis convaincu que l'Australie est le pays dont l'expérience, du point de vue des drogues, s'apparente le plus à la nôtre. Les taux d'utilisation sont similaires; quant aux problèmes, ils sont très semblables. La morbidité et la mortalité de même que les coûts sont les mêmes. Exactement comme le Canada, l'Australie déplore chaque année des centaines de décès, des milliers de séjours à l'hôpital et des coûts économiques considérables qui ont été documentés et qui peuvent être imputés.
L'Australie comme le Canada ont, en 1987, donné le coup d'envoi, pour une période de dix ans, à d'importantes stratégies nationales antidrogue dotées de fonds spéciaux. Comme celle du Canada, la stratégie nationale antidrogue de l'Australie visait à réduire les préjudices. La réduction des préjudices constituait son objectif principal.
• 1555
Comme la stratégie canadienne, la stratégie australienne porte
sur les problèmes de toxicomanie liés aux drogues licites et
illicites. Comme la stratégie canadienne, elle n'inclut pas le
tabac. Il s'agit d'une approche exhaustive visant à régler ces deux
questions dans un même cadre stratégique, ce qui permet de dégager
certains gains d'efficience.
Grosso modo, les Australiens mettent l'accent sur les mêmes choses que nous, par exemple l'importance des partenariats et d'une approche équilibrée. Ils entendent par là l'établissement d'un équilibre entre les divers ordres de gouvernement, l'équilibre géographique aux quatre coins du pays, l'équilibre entre les stratégies de réduction de l'offre et de la demande et, enfin, l'équilibre entre la recherche, la prévention et le traitement.
Enfin, malgré leurs nombreuses réalisations—peut-être plus en Australie qu'au Canada—, les deux stratégies, en 1997, n'occupaient plus une grand place sur l'échiquier politique, et on envisageait leur suppression. Dans les deux cas, c'était, je crois, à cause d'un manque de leadership et d'une mauvaise reddition de comptes dans la gestion des interventions.
Je pense que les similitudes ont été nombreuses jusqu'en 1997. À ce moment, elles ont véritablement pris fin. Songez à ce que les Australiens et nous avons fait depuis. Ces derniers ont retenu les services d'un expert-conseil de l'extérieur qui n'avait rien à craindre des recommandations issues d'une évaluation et qui avait des antécédents dans le domaine de la toxicomanie et de la politique s'y rapportant. Dans le rapport, l'administration de la stratégie et l'absence de reddition de comptes—un certain nombre de choses—ont fait l'objet de vives critiques.
Malgré les problèmes et la nature critique du rapport, les autorités ont donné suite. Elles ont renouvelé leur stratégie antidrogue pour une période plus longue que celle envers laquelle elles s'étaient engagées. Elles ont haussé le financement et créé une unité spéciale chargée de la gestion de la stratégie, et ainsi de suite.
Par comparaison, au Canada, nous avons retenu les services d'un cabinet d'experts-conseils privé, sans expertise dans le domaine, qui a été chargé de réaliser une évaluation des processus. En Australie, nous examinons les résultats. Il existe un volume d'accompagnement dans lequel on fait le suivi d'indicateurs du rendement défini pour la stratégie antidrogue au cours de la période de cinq ans visée par l'évaluation. La stratégie est ensuite cotée relativement à l'ensemble des éléments. L'évaluation canadienne n'a porté que sur les processus. Ses auteurs n'ont examiné aucun élément de preuve sur les résultats ni l'impact sur les préjudices liés aux drogues. Nous ne savons pas.
Lorsque l'évaluation a été commandée et réalisée, on avait en outre déjà pris la décision politique de mettre un terme à la stratégie. J'ai dû pour ma part démanteler l'unité et congédier mes employés, qui coûtaient certes un peu d'argent—mais beaucoup moins que l'évaluation. C'était quelque peu frustrant. Pourquoi se donner la peine de réaliser une évaluation lorsqu'on a déjà pris la décision politique de mettre un terme au programme dont elle fera l'objet? À ma connaissance, aucune modification n'a été apportée aux politiques ni aux programmes à la suite de cette évaluation.
Je pense que l'Australie a choisi de s'inspirer de ses points forts et de renouveler et de raviver la stratégie antidrogue, tandis que le gouvernement canadien a décidé de laisser la stratégie expirer. Depuis 1997, on n'a ici alloué aucun fonds spécial à l'étude de questions liées à la drogue.
En même temps, on a sabré dans les dépenses du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies (CCLAT), organisme indépendant créé par le Parlement en 1988 et chargé de mener des recherches, de créer des réseaux entre organismes responsables des toxicomanies et de faire office de point de convergence des efforts nationaux de lutte contre les problèmes liés à la drogue, au point où il a dû remercier la quasi-totalité de ses employés. À ce jour, le centre ne compte que deux employés à temps plein, le PDG et sa secrétaire. À l'époque, il avait pourtant reçu une évaluation très positive, évaluation sur laquelle il n'avait aucune emprise.
Par comparaison, les Australiens ont créé, à partir de presque rien, deux instituts de recherche de calibre mondial, qu'ils ont continué de soutenir. Ici, au Canada, les compressions budgétaires aux niveaux fédéral et provincial ont porté un coup dur aux infrastructures canadiennes de recherche sur les drogues d'aujourd'hui et l'ont presque détruite.
Près de cinq ans plus tard, nous faisons les frais de la décision de mettre un terme à la stratégie antidrogue du Canada et du défaut de financer adéquatement la recherche sur les toxicomanies ou l'organisme national créé pour servir de point de convergence aux efforts visant à lutter contre les problèmes liés à la drogue.
• 1600
La base de données dont nous disposons pour lutter contre la
drogue est grossièrement inadéquate. Des enquêtes provinciales et
certaines enquêtes régionales montrent que l'utilisation de drogues
augmente, en particulier chez les jeunes, mais nous ne disposons
pas de données de base sur les niveaux d'utilisation des drogues à
l'échelle nationale.
On continue de recourir à des interventions malgré une totale absence de données attestant leur efficacité. Le seul grand programme soutenu d'éducation offert dans les écoles a été le Programme de sensibilisation aux effets de la drogue (PSED) qu'exécute la GRC. J'ignore s'il entraîne une diminution de la consommation de drogues ou même s'il a un quelconque effet. À la lumière des résultats de certaines évaluations du même programme effectuées aux États-Unis, on peut craindre qu'il se traduise par une augmentation de la consommation.
Nous ne connaissons pas l'impact de l'exécution de la loi sur l'offre de drogue, les taux de consommation et l'importance du problème. Nous avons des données au sujet des saisies et des arrestations, mais quel est l'impact sur la collectivité? Nous ne savons pas combien de Canadiens consomment aujourd'hui des drogues. Nous n'avons aucune donnée à ce sujet. Depuis 1994, aucune enquête nationale à ce sujet n'a été menée. À ma connaissance, aucune n'est à ce jour prévue.
On dispose de certaines données à ce sujet. Il y a dix ans, soit en 1992-1993, le Canada consacrait en moyenne 12 cents par habitant à la recherche sur l'alcool et les autres drogues. La même année, le gouvernement australien a dépensé 27 cents par habitant, soit plus du double, et le gouvernement des États-Unis, 3,33 dollars par habitant, environ 30 fois plus. Depuis, le financement de la Stratégie canadienne antidrogue (SCA) a pris fin, tandis que les États-Unis et l'Australie ont augmenté les fonds alloués à la recherche.
Même si le gouvernement fédéral reçoit plus de 3 milliards de dollars par année en taxes sur l'alcool et le tabac seulement, le gouvernement des États-Unis affecte beaucoup plus d'argent à la recherche sur la toxicomanie au Canada—c'est-à-dire aux recherches effectuées par des Canadiens sur les problèmes de toxicomanie des Canadiens. Le gouvernement des États-Unis consacre six fois plus d'argent que le gouvernement du Canada à des recherches sur nos problèmes de toxicomanie.
Les compressions budgétaires ont produit des pertes considérables. La quasi-totalité de nos scientifiques de premier plan sont partis. Je me sens un peu seul. De jeunes chercheurs prometteurs sont partis travailler dans d'autres pays ou dans d'autres domaines. La situation a été présentée en détail dans un mémoire soumis aux IRSC l'année dernière, avec des noms et d'autres renseignements du genre.
Dans le domaine de la recherche sur les toxicomanies au pays, la coordination est très médiocre: on procède de façon fragmentée, ce qui se traduit par une uniformisation déficiente et d'autres facteurs d'inefficience. Dans les années 70 et 80, nous étions un des pays de pointe dans le domaine de la recherche sur les toxicomanies—peut-être le chef de file mondial. Aujourd'hui, à ce propos, nous sommes véritablement un pays du tiers monde.
Nous avons tracé la voie en créant un organisme indépendant chargé d'agir à titre de point de convergence national. Sur tous les plans, il a effectué de l'excellent travail. Je sais que je suis quelque peu partial à ce sujet parce que j'ai joué un rôle au sein du CCLAT. Cependant, le gouvernement n'a pas alloué les niveaux de financement promis. Le parlement de l'époque a indiqué que le niveau de financement minimal serait de deux millions de dollars par année. Il n'a jamais atteint ce niveau, et il se situe aujourd'hui à un demi-million de dollars par année seulement. À mes yeux, ce que le centre parvient à faire est étonnant. Qu'il obtienne autant de résultats avec un financement aussi incroyablement faible est tout à l'honneur de la direction et du conseil d'administration. Sur le plan international, la situation est embarrassante.
On note actuellement certains signes de changement prometteurs. Je ne crois pas que les problèmes liés aux toxicomanies aient disparu. Les citoyens le savent, et la nécessité de revenir sur les efforts que nous déployons pour faire face à ces problèmes et les revitaliser fait l'objet d'un consensus de plus en plus grand. Le gouvernement a annoncé son intention de créer une nouvelle stratégie nationale antidrogue.
Pendant le temps qu'il me reste, j'aimerais formuler certaines recommandations au sujet des leçons que nous pouvons tirer du passé et de l'expérience australienne, de façon à donner à la nouvelle stratégie antidrogue une orientation plus affirmée. Si elle a été déficiente, c'est notamment parce qu'elle était fondée sur l'idée de réduction des préjudices. En effet, il s'est agi du but explicite de la stratégie antidrogue du Canada pendant dix ans, et pourtant la notion de réduction des préjudices ne faisait pas consensus.
On utilise souvent cette idée dans deux sens différents, qui, d'une certaine façon se contredisent l'un l'autre. Il y a la notion traditionnelle qui a trait à des interventions fondées sur la tolérance à l'égard des usagers, comme les programmes d'échange de seringues et les centres d'injection sûrs, qui constituent à l'heure actuelle une question brûlante d'actualité. Ces mesures visent à inciter les toxicomanes, sur qui on ne peut compter pour cesser de consommer, à utiliser des drogues de façon plus sécuritaire. Ainsi, ils risquent moins de contracter le sida ou l'hépatite C et de se causer des torts à eux-mêmes, à leurs partenaires et à la collectivité.
• 1605
C'est là l'idée initiale de réduction des préjudices, à
laquelle s'opposent des politiques ayant pour but de réduire la
consommation de drogue en soi, c'est-à-dire une approche fondée sur
la tolérance zéro ou ce qu'on appelle parfois la guerre contre les
drogues.
À la base de la stratégie canadienne antidrogue, il y avait une autre notion. Il s'agit d'une conception tous azimuts de la réduction des préjudices. Elle est née du sentiment bien compréhensible des partisans des approches fondées sur l'abstinence, par exemple ceux qui travaillent dans les domaines de l'exécution de la loi et des soins thérapeutiques. Ce que disent ces personnes, c'est qu'elles travaillent elles aussi à la prévention des préjudices dans la mesure où elles préconisent la prévention de la consommation de drogues. Ce qu'on dit, en vertu de cette acception tous azimuts, c'est essentiellement que toute politique ou tout programme visant à réduire les torts causés par les drogues constitue une forme de réduction des préjudices. Dans ce cas-ci, on choisit simplement de passer par la réduction de l'utilisation.
Dans le contexte d'une stratégie nationale, une telle conception a des avantages. En effet, l'Australie était animée de la même détermination relativement à l'utilisation de l'expression «réduction des préjudices». Elle a cependant des avantages particuliers. Si toutes les politiques axées sur les blessures et les torts imputables aux drogues s'apparentent à la réduction des préjudices, qu'exclut-on? Je ne connais pas de politique antidrogue ni d'intervention menée dans le secteur de la lutte contre les drogues qui ne vise pas à réduire les préjudices liés aux drogues. On n'a donc aucune idée de ce qui est prioritaire et de ce qui ne l'est pas.
Il existe cependant une autre interprétation de la réduction des préjudices, et c'est la conceptualisation empirique. En vertu de cette dernière, on affirme essentiellement qu'il n'est pas suffisant de viser à réduire les préjudices liés aux drogues. On ne peut parler de réduction des préjudices que lorsque les données montrent que les préjudices sont bel et bien réduits. Une telle approche se fonde sur des preuves d'efficacité. En d'autres termes, on doit d'abord examiner les preuves d'efficacité puis déterminer si les mesures ont ou non pour effet de réduire les préjudices. Ne décidons pas a priori des mesures qui sont considérées comme des mesures de réduction des préjudices et de celles qui n'en sont pas.
L'approche a également des inconvénients. Nombreux sont ceux qui ne voient pas ainsi la réduction des préjudices. Il faut donc s'appuyer sur une solide stratégie de communication. Parce qu'il faut du temps pour que des interventions et des stratégies nouvelles et novatrices soient mises en oeuvre et évaluées, une telle approche risque de constituer un obstacle à l'innovation. Si toutes les priorités doivent s'appuyer sur des preuves strictement établies, on risque de ne pas pouvoir compter sur de l'innovation. Il faut donc prévoir des mécanismes particuliers pour pallier ces problèmes.
L'inconvénient majeur, c'est probablement que l'approche exige un investissement énorme dans la recherche et l'évaluation. En tant que chercheur, je prêche peut-être un peu pour ma paroisse. Néanmoins, les avantages surpassent simplement les inconvénients. Un avantage majeur, c'est qu'on ne précise pas a priori ce que la réduction des préjudices est et n'est pas, ce qui est prioritaire et ne l'est pas.
La réduction des préjudices au sens empirique comprendrait les responsables de l'exécution de la loi et des soins thérapeutiques. Elle comprendrait des centres d'injection sûrs, des programmes d'entretien, des programmes d'échange de seringues et ainsi de suite, dans la mesure où les données montrent que les initiatives en question ont pour effet de réduire les préjudices. Rien n'est exclu a priori. C'est un avantage important, du moins en ce qui me concerne.
Ce serait donc ma première recommandation. Si nous souhaitons mettre sur pied une stratégie nouvelle et différente qui soit viable et plus efficace à l'avenir, nous devrions la fonder sur la réduction des préjudices. Je pense qu'il existe un fort consensus à ce sujet. Nous ne voulons pas faire la guerre aux drogues, parce que, en faisant la guerre aux drogues, on finit toujours par faire la guerre aux toxicomanes. Ce que nous voulons, c'est une stratégie de réduction des préjudices qui soit fondée non pas sur des a priori à propos des mesures auxquelles il convient d'accorder la priorité, mais bien plutôt sur des données attestant l'efficacité.
Adopter comme objectif la réduction des préjudices au sens empirique constitue, à mon avis, une bonne stratégie à long terme aux fins de l'établissement de l'ordre de priorité. J'en ferais ma deuxième recommandation. Cependant, il faut savoir que, à court terme, nous ne disposons pas des données voulues pour savoir quelles interventions sont les plus efficaces.
Voici une autre recommandation: à court terme, nous devrions dégager un large consensus à l'amorce d'une stratégie au sujet de ce que devraient être les principes directeurs. On sera ainsi en mesure d'orienter l'élaboration de programmes et de politiques. Il devrait s'agir d'un processus consensuel auquel participeraient non seulement tous les ministères du gouvernement, mais aussi tous les ordres de gouvernement et l'ensemble des partenaires clés—les ONG. Je vais revenir dans un moment sur les moyens d'y parvenir.
Le genre de principes stratégiques que j'ai en tête—il ne s'agit là que de suggestions. Il faudrait que les solutions émanent du processus consensuel. On ne devrait pas les dicter.
Le premier principe consiste à éviter de causer des torts. Nous en sommes conscients parce que cela fait partie du serment d'Hippocrate, mais il s'agit également d'un principe sous-jacent de la réduction des préjudices au sens initial. Toute politique ou tout programme devrait avoir pour objectif principal de ne pas exacerber les effets du problème. Il s'agit de la toute première considération.
• 1610
Le critère ultime de la réussite n'est donc pas une sorte de
situation idéalisée comme l'abstinence. En fait, on mesurera plutôt
la réussite à la lumière de nos indicateurs de préjudices. En
pratique, ça suppose une sensibilisation aux conséquences
inattendues pouvant résulter d'interventions. Nous savons que bon
nombre de nos tentatives de réduction de la consommation ont des
effets inattendus—par exemple, la promotion de méthodes de
consommation dangereuses ou la création d'obstacles au traitement
des toxicomanes.
Un deuxième principe pouvant être retenu a trait aux préjudices et non à la consommation en soi. Les mesures de la réduction des préjudices axées sur la tolérance à l'égard des usagers, par exemple les programmes d'échange de seringues et ainsi de suite, pourraient bien comprendre un volet axé sur la réduction de l'usage, mais elles constituent des moyens d'arriver à une fin, et non une fin en soi. Elles ont cependant pour effet de mettre les utilisateurs en contact avec les autorités sanitaires.
La plupart des programmes de réduction des préjudices de cette nature—non pas la totalité d'entre eux, mais la plupart d'entre eux—ont, lorsqu'on en a fait l'essai en Europe, vous le constaterez en vous déplaçant, le cas échéant, eu des effets très positifs, en ce sens qu'ils ont contribué à la réduction de la propagation des maladies infectieuses sans entraîner d'augmentations des taux d'utilisation dans la population en général, comme de nombreuses personnes auraient pu le craindre et le craignent effectivement. Je pense qu'il s'agissait d'une crainte raisonnable. Si ça c'est produit, c'est parce qu'on a mis un grand nombre de toxicomanes en contact avec les autorités sanitaires, ce qui leur a permis de s'engager sur la route menant à l'abstinence.
Les stratégies de réduction des préjudices peuvent donc entraîner des réductions des taux d'utilisation, même si cela n'est pas leur objectif principal.
Un troisième principe consiste à optimiser les options qui s'offrent en matière d'intervention, pour tout le monde, me semble- t-il. Je ne fais pas ici référence qu'à la seule politique antidrogue. Nous devrions tous avoir pour but de donner aux professionnels de la santé qui travaillent en première ligne et aux agents d'exécution de la loi le plus grand éventail possible d'options dans leurs rapports avec les toxicomanes, les personnes aux prises avec des problèmes de consommation de drogue ou des problèmes liés aux drogues en soi.
Les responsables de l'exécution de la loi devraient recourir le plus souvent possible aux possibilités de déjudiciarisation, en faisant appel aux tribunaux qu'on s'est créés en matière de drogues ou à d'autres options. Les médecins qui traitent des toxicomanes devraient avoir accès à un large éventail d'options en matière de traitement, par exemple la substitution de drogues ou l'entretien, et des interventions capables d'aider les consommateurs à adopter des pratiques plus sûres et moins susceptibles d'avoir un impact non seulement sur eux, mais aussi sur leurs collectivités, lorsqu'on ne peut raisonnablement s'attendre à ce qu'ils cessent de consommer dans l'immédiat.
Définir des objectifs adéquats en matière de résultats et accorder la priorité à des programmes efficaces qui soient à la fois pratiques et réalisables constitue un autre principe directeur possible. Souvent, les mesures de réduction des préjudices sont celles qu'il convient de prendre en premier pour réduire et même cesser la consommation. Il n'y a donc pas ici de contradiction avec l'abstinence en tant qu'objectif éventuel.
Un autre principe consiste à donner la priorité à des programmes novateurs et nouveaux. Si, comme je l'ai indiqué, on adopte la conceptualisation empirique de réduction des préjudices, on peut créer par inadvertance un obstacle à l'innovation. Il faut donc prévoir des fonds spéciaux pour ce genre de situations.
Enfin, la restriction des droits des personnes aux prises avec un problème de consommation de drogues constitue un autre principe directeur qu'on pourrait envisager dans le cadre d'une procédure de consultation—afin de prendre le pouls des gens. Un principe sous- jacent de la réduction des préjudices est qu'on devrait traiter les toxicomanes comme des personnes normales, sans les marginaliser. On ne devrait pas les traiter comme des criminels. Si les personnes ont des problèmes, c'est en raison de leurs habitudes de consommation. Qu'on ait affaire à des alcooliques, à des fumeurs ou à des utilisateurs de drogues illicites, ces personnes devraient être acceptées et considérées comme faisant partie de la collectivité au sens large. C'est vraiment le seul moyen efficace de faire face aux problèmes à long terme.
C'est aux Pays-Bas que le problème trouve son illustration la plus éloquente. En effet, dans ce pays, on ne parle pas d'«utilisateurs de drogues». On parle plutôt de «citoyens néerlandais qui utilisent des drogues».
Ces principes ne feront pas nécessairement l'unanimité. Je ne prétends pas qu'il en soit ainsi, et je ne dis pas non plus que la liste est complète, tant s'en faut. Il s'agit de simples suggestions. Si nous nous dotons d'une nouvelle stratégie, je pense qu'il est très important de commencer par un processus consensuel et de définir un ensemble clair de principes directeurs, ce qui a véritablement fait défaut à notre dernière stratégie.
Si, enfin, nous passons à la dernière diapositive, le troisième et dernier moyen que je recommanderais pour améliorer une future stratégie antidrogue consisterait à donner à tous les partenaires la possibilité de participer vraiment. Si la stratégie antidrogue canadienne antérieure a échoué, c'est notamment parce qu'elle était dépourvue de toute orientation stratégique et qu'elle était essentiellement descendante. On a consulté les représentants des gouvernements provinciaux, mais on a confié à un ministère, essentiellement au gouvernement fédéral, le pouvoir décisionnel. Je sais qu'il y avait des comités de coordination, mais, foncièrement, c'est un ministère qui a pris les décisions en matière de financement et établi l'ordre de priorité des programmes. Les interventions qui se disputaient les fonds disponibles n'étaient donc pas ordonnées de façon claire. Les ONG et d'autres parties intéressées, les gouvernements provinciaux et les administrations municipales, n'ont pas joué un véritable rôle. On les tenait plus ou moins au courant, et on leur demandait des suggestions, mais on n'a pas confié à ces intervenants de véritables pouvoirs décisionnels.
Ce n'est pas la seule approche possible. D'autres pays ont procédé différemment.
• 1615
La stratégie antidrogue de l'Australie est dirigée par un
ensemble de comités, une structure de comités. Le comité
ministériel de la stratégie antidrogue vient au premier rang. Il se
compose en réalité du ministre responsable de la santé et de
l'exécution de la loi de chaque État et territoire et du
gouvernement du Commonwealth. C'est ce comité qui prend les
décisions clés. Le secrétariat, soit le comité national de la
stratégie antidrogue se compose de sous-ministres. Il s'agit d'un
commissaire de la police et du sous-ministre de la santé, ou
l'équivalent, selon la terminologie australienne, qui s'occupe des
questions liées aux drogues dans les États, les territoires et le
gouvernement du Commonwealth. Les deux principaux comités chargés
de prendre les décisions majeures au sujet de la stratégie
antidrogue nationale sont financés par le gouvernement fédéral,
mais ce n'est pas le gouvernement fédéral qui exerce la majorité
des votes. Il y a donc là un véritable partage des pouvoirs.
Une autre pratique australienne dont nous pourrions nous inspirer vient du fait que les pouvoirs décisionnels sont partagés d'autre façon. À l'amorce de chacune des phases de cinq ans de leur stratégie nationale antidrogue, les Australiens organisent une conférence nationale, et ils ébauchent et approuvent un document définissant les buts, les stratégies grâce auxquelles ils seront atteints, les principes directeurs aux fins de l'établissement des programmes prioritaires et des indicateurs de rendement précis grâce auxquels, cinq ans plus tard, on sera en mesure de déterminer si les objectifs ont été atteints ou non. Puis, ils élaborent un plan de recherche pour assurer le suivi des indicateurs de rendement. Tout indique, il me semble, que nous aurions intérêt à envisager un tel mode de fonctionnement.
Depuis 1989, on n'a pas organisé de conférence nationale réunissant les responsables de la santé et de l'exécution de la loi qui s'occupent de questions liées aux toxicomanies, et une bonne façon de donner le coup d'envoi d'une stratégie antidrogue nationale consisterait à le faire. Toutefois, il ne devrait pas s'agir simplement d'une séance d'expression libre que chacun mettrait à profit pour faire valoir ce qu'il fait et la qualité du travail qu'il accomplit. Il faudrait plutôt confier aux participants une tâche véritable. Demandons-leur de s'entendre sur les principes directeurs, les priorités et les indicateurs de rendement. Comment, en effet, allons-nous savoir dans cinq ans si nos interventions ont eu un impact?
Je ne souhaite pas prolonger mes remarques parce que je sais que vous aurez des questions à poser à ce propos au sujet des produits d'information auxquels j'ai fait allusion.
En résumé, je vais me contenter de dire que le Canada doit renouveler son engagement politique à déployer des efforts soutenus pour traiter de façon plus efficace des problèmes liés aux drogues, en se fondant plus que par le passé sur des recherches solides. Sur la foi de mon expérience à titre d'évaluateur de la stratégie antidrogue de l'Australie, j'ai formulé trois recommandations. Je pense qu'elles pourraient nous permettre d'adopter une stratégie antidrogue nouvelle et différente de la précédente, une stratégie qui pourrait se révéler plus efficace et plus autosuffisante.
Je pense que nous devrions nous donner pour objectif de réduire les préjudices, à la lumière, cependant d'une conceptualisation empirique—que nous nous entendions dès le départ sur une série de principes directeurs avec l'ensemble des partenaires et que nous élaborions la prochaine stratégie de façon que tous les partenaires puissent y participer vraiment.
J'ai vu les résultats d'une telle approche en Australie, et je pense que nous pouvons faire beaucoup plus pour assurer au Canada une stratégie antidrogue plus efficace et de meilleure qualité pour l'avenir.
La présidente: Merci, docteur Single.
Monsieur White.
M. Randy White (Langley—Abbotsford, Alliance canadienne): Je vous remercie, madame la présidente.
Pardonnez mon retard, docteur Single. Nous assistions à une autre réunion.
Ces jours-ci, j'entends des chercheurs nous dire que nous devrions multiplier les études. Le problème de la toxicomanie s'aggrave au pays, et nous multipliions les études. Ce que je voudrais savoir aujourd'hui, c'est le rôle principal que le gouvernement fédéral devrait jouer dans tout cet exercice. En fait, il suffit d'aller dans une collectivité pour trouver des services communautaires qui offrent de un à dix programmes différents sur la toxicomanie et l'alcoolisme. Les provinces peuvent participer ou non à ces programmes. À mon avis, elles sont omniprésentes. Quant au gouvernement fédéral, je n'ai pas la moindre idée de ce qu'il fait.
Quel est le rôle du gouvernement fédéral? Donner des fonds? Subventionner des recherches? Créer des établissements chargés de prendre des mesures efficaces? Réaliser des études?
Dr Eric Single: Je pense que c'est une bonne question.
Je sais que les chercheurs ont tendance à dire qu'il faut multiplier les études, mais, en ce qui concerne la toxicomanie, je ne pense pas qu'on puisse soutenir que les recherches réalisées jusqu'ici soient suffisantes. Nous ne savons pas combien de Canadiens consomment aujourd'hui des drogues. Nous effectuons des interventions sans avoir la moindre idée de leur efficacité.
Les sommes que nous consacrons à une vaste saisie...par exemple, des saisies ont été précédées d'enquêtes qui ont coûté jusqu'à 10 millions de dollars et qui ont obligé les agents d'exécution de la loi à courir des risques et à effectuer un travail difficile. Dans la démarche, je les considère non pas comme des adversaires, mais bien plutôt comme des partenaires. On voit des armes, des drogues et de l'argent sur la table. La véritable question, cependant, c'est la suivante: qu'arrive-t-il aux problèmes de consommation de drogues dans la collectivité? Qu'en est-il des taux d'infection au VIH, des taux d'infection à l'hépatite C? Qu'arrive-t-il des victimes autres que les toxicomanes?
Si le seul impact est qu'un autre fournisseur entre en scène peu de temps après pour remplacer celui qui a été arrêté et que, à titre temporaire, les prix des drogues augmentent, ce qui ne fait qu'aggraver le problème de la criminalité, nous devons nous demander si nous n'aurions pas intérêt à réévaluer nos secteurs d'intervention prioritaire.
Je ne suis donc pas d'accord pour dire que nous avons multiplié les études. Je pense que les données dont nous disposons aujourd'hui sont on ne peut plus déficientes.
Pour répondre à votre principale question, en ce qui a trait au rôle que le gouvernement devrait jouer, en Australie—il y a un sous-titre dans lequel je fais allusion à la cartographie de l'avenir. Je m'efforçais d'établir une analogie avec ce qu'une stratégie antidrogue devrait être. Je m'efforçais d'établir une analogie avec un cartographe pendant une période d'exploration. Lorsque les premiers explorateurs sont venus au Canada, Cabot et La Salle, ils ont réuni les données recueillies à un endroit précis. Ce n'est toutefois que lorsque les données ont été recueillies dans un centre et rassemblées par un cartographe qu'on a eu une idée de l'endroit où se trouvait le territoire inexploré. Dès lors, on a pu planifier adéquatement la phase suivante de l'exploration et déterminer les données additionnelles dont on avait besoin.
L'analogie, c'est que nous devrions considérer que la stratégie antidrogue sert d'une certaine façon d'outil de cartographie, de planification de l'étape suivante de l'exploration. On peut s'en servir pour évaluer les données et les intégrer à d'autres éléments d'information, et ainsi de suite.
Je pense que le rôle principal du gouvernement fédéral—puisque ce n'est plus le gouvernement fédéral qui assume les coûts, sauf en ce qui concerne l'exécution de la loi spécialisée, ce sont les provinces qui assument la majeure partie des coûts par l'entremise des services de santé de même que des forces de police et des organismes d'exécution de la loi ordinaires. Je pense que le meilleur rôle que le gouvernement fédéral puisse jouer consiste à assurer une coordination et un leadership au niveau national et à créer une base de données grâce à laquelle on pourra éviter les pertes d'efficience imputables au dédoublement des efforts partout au pays. Il pourrait également jouer un rôle au chapitre de l'uniformisation des mesures, par exemple, et définir essentiellement les prochaines étapes. Une stratégie antidrogue devrait mettre l'accent sur des programmes nouveaux et novateurs. C'est le timonier qui doit diriger le bateau, et non pas le bateau lui-même.
M. Randy White: Dans quelle mesure diriez-vous que c'est le cas aujourd'hui. Il n'y a pas eu d'étude nationale depuis, avez- vous dit, 1992 ou 1994.
Dr Eric Single: Oui, 1994, avec l'Enquête canadienne sur la consommation d'alcool et d'autres drogues. J'ai été l'un des auteurs du rapport technique. Je suis donc au courant.
M. Randy White: Dans quelle mesure diriez-vous que nous assurons un leadership national au Canada?
Dr Eric Single: Il n'y a pas actuellement de leadership significatif. C'est ainsi que je dirais les choses. Ce que je veux dire, c'est que le CCLAT est asphyxié au point où il a en fait résolu de fermer ses portes pour une période de six mois. S'il est parvenu à rester en vie, c'est parce que les employés ont accepté de travailler à temps partiel et de compléter leurs revenus à l'aide d'autres sources. Je tire moi-même la moitié de mes revenus de sources étrangères.
Il ne devrait pas en être ainsi. Nous avons besoin de ces renseignements. Nous avons désespérément besoin de recherches.
Le ministère de la Santé fait des efforts, mais il n'y a pas de fonds spéciaux. Je ne vois pas de leadership à l'horizon, et je pense qu'il y a là un besoin criant.
M. Randy White: Interrogé à ce sujet, un représentant du ministère de la Santé a dit—ne nous a-t-il pas dit que le ministère recevait 400 millions de dollars par année? C'était 200 millions de dollars ou 400 millions de dollars. Cependant, je n'ai pas eu l'impression que le ministère était doté d'un merveilleux programme grâce auquel on aurait pu nous dire: «Voici ce que nous faisons.» C'était plutôt: «Eh bien, nous avons ces sommes à notre disposition et—[Note de la rédaction: difficultés techniques]
Les représentants de Corrections Canada m'ont donné la même impression—ah oui, ils avaient 200 millions de dollars—et c'est eux, me semble-t-il, qui effectuent le pire travail au pays en ce qui a trait à la prévention de l'usage des drogues ou à la réadaptation des toxicomanes.
Dr Eric Single: Si on considère le passé, il s'agit, oui, d'une accusation justifiée, mais, à leur décharge, je dirais qu'ils ont renversé la vapeur. À mon avis, la création de la nouvelle unité de recherche à l'Île-du-Prince-Édouard constitue une excellente initiative. À l'avenir, cette initiative aura pour effet d'éclairer considérablement leurs efforts. Ils ont commis quelques graves erreurs par le passé, et ils en ont tiré les leçons qui s'imposaient, mais je pense qu'ils s'efforcent de corriger la situation.
M. Randy White: Pour résumer mon opinion à ce sujet, je pense que nous avons besoin non seulement d'une stratégie décente—et non d'un quelconque document rhétorique disant que nous devons nous inspirer de tel ou tel pilier—mais aussi d'une initiative qui donne des résultats dans la rue, qui fasse un peu de bien. À cet égard, je pense que notre moyenne est inférieure à 5 p. 100.
Dr Eric Single: Ce n'est pas en demandant aux bureaucrates de rédiger le document que vous y parviendrez. Ce n'est pas non plus en confiant à un expert-conseil comme moi le mandat de le rédiger que vous y parviendrez. Vous devrez plutôt vous adresser aux ONG, aux fonctionnaires municipaux et aux fonctionnaires provinciaux qui s'occupent de la question, sans oublier les groupes qui représentent les toxicomanes. Le moment venu de concevoir des politiques et des programmes relatifs aux drogues, les toxicomanes sont les meilleures personnes à qui s'adresser. En Australie, on les consulte régulièrement. On n'envisagerait jamais d'établir un comité chargé d'une question relative aux drogues auxquelles ne siégerait pas un représentant des groupes d'utilisateurs puisque ce sont les personnes qui pourront vous dire immédiatement si telle mesure fonctionnera ou non. Elles vous le diront sur-le-champ. Elles sont au courant. Elles connaissent la rue. Elles sont aussi motivées parce qu'il s'agit dans la plupart des cas de participants des programmes de méthadone qui ne consomment plus de drogue. Si ces personnes siègent à la table, c'est parce qu'elles veulent sauver la vie d'amis qui sont toujours dans la rue.
Elles sont donc extrêmement motivées, et nous ne devrions pas les repousser. Je pense que vous avez mis exactement le doigt sur les conditions à réunir, mais, pour y arriver, nous allons devoir ratisser beaucoup plus large que par le passé.
M. Randy White: Je vous remercie.
La présidente: Si je puis me permettre un éclaircissement, monsieur White, je vois dans mes notes que la somme de Santé Canada est de 33 millions de dollars.
M. Randy White: Je pense que j'ai confondu Santé Canada et Corrections Canada.
La présidente: Oui. D'ailleurs, l'utilisation faite de cet argent n'était pas des plus claires.
Monsieur Lee.
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Tout en m'associant aux travaux du comité, au fil des semaines ou des mois—et, en ce qui me concerne, peut-être des années—, je croyais savoir ce qu'était la réduction des préjudices. Je n'aurais pas cru qu'il s'agissait d'une notion aussi complexe. Maintenant que nous sommes tous ici, vous le savez, les préjudices sont relatifs, et tout dépend de l'auteur de la définition. Maintenant, je ne suis même plus certain de savoir ce que la réduction des préjudices est vraiment, et je fais preuve d'une très grande prudence en l'utilisant, parce que je ne sais pas comment mon interlocuteur percevra les choses. Il est possible qu'il ait une conception tout à fait différente de ce principe.
Heureusement, vous nous avez aimablement proposé de tenter de définir la réduction du préjudice—de la définir, de la cibler ou de l'articuler d'une façon ou d'une autre, en utilisant...
N'hésitez pas à m'interrompre. Vous avez utilisé le mot «empirique»...
Dr Eric Single: J'ai parlé de notion empirique, oui. De conceptualisation empirique.
M. Derek Lee: Oui, voilà, «conceptualisation empirique». Pour moi, c'est encore plus difficile à saisir que «réduction des préjudices, mais je comprends. Les lettres et les mots me donnent au moins une idée de ce dont il s'agit.
À cet égard, je suis certain que vos avis seront des plus précieux. Comment pouvons-nous adopter des concepts, des mots et des expressions plus terre-à-terre grâce auxquels nous disposerons d'une notion que les gens comprennent lorsque nous décrirons ce que nous croyons devoir faire du point de vue de la transformation des politiques gouvernementales?
Par exemple, la personne de la rue qui éprouve un problème de toxicomanie ou qui s'en est sortie saura-t-elle ce que signifient toutes ces expressions?
Dr Eric Single: Je suis sûr que non, et je suis sûr qu'elles s'en fichent.
Je ne suis pas un spécialiste des communications. Je compte parfois sur des collègues pour m'aider à faire passer certains de ces messages. Je sais qu'il m'arrive d'utiliser des mots compliqués, mais je pense qu'on peut expliquer très facilement la notion empirique de réduction des préjudices: nous allons considérer qu'il y a réduction des préjudices lorsque des données montreront qu'il y a eu réduction des préjudices imputables aux drogues. Il ne suffit pas que les mesures visent à réduire les préjudices; il faut qu'elles les réduisent effectivement. On ne peut donc pas affirmer a priori qu'un programme donné contribue à réduire les préjudices. Il faut auparavant avoir des données qui montrent que le programme en question donne les résultats attendus.
À mon avis, cela ne serait pas trop difficile à expliquer en langage clair.
M. Derek Lee: Je suis un législateur, et, au moins une fois par année, on me demande de voter et d'approuver l'octroi de milliards de dollars à diverses fins publiques très importantes. Au départ, je croyais qu'il y avait préjudice lorsque la société et le gouvernement devaient faire face à des coûts qu'ils ne pouvaient ni soutenir ni assumer. S'agit-il là d'une conceptualisation viable? Devrais-je renoncer à la mesure des coûts en tant qu'instrument de conceptualisation empirique?
Dr Eric Single: Non, je ne crois pas du tout qu'il faille y renoncer.
Vous avez parlé de coûts qui ne peuvent être «soutenus»—et je ne suis pas certain d'avoir compris, pas plus que vous n'avez compris de façon précise ce que le mot «empirique» voulait dire dans ce contexte.
Il y a des données essentielles que le décideur doit connaître. Premièrement, à combien se chiffre le coût d'un problème? Que faisons-nous pour réduire ce coût? Les investissements sont-ils efficients? S'agit-il de bons investissements? En tire-t-on des avantages? Les économies qu'ils permettent de réaliser sont-elles supérieures aux coûts qu'ils engendrent?
Voilà exactement le genre de données dont nous avons besoin pour soutenir notre stratégie antidrogue à l'avenir, de façon à ne pas avancer à l'aveuglette. Nous ne savons pas du tout si ce que nous faisons est utile ou non. Par ailleurs, nous ne faisons pratiquement rien dans le domaine de la recherche pour répondre à ces questions.
M. Derek Lee: Est-ce que les Australiens ont choisi un préjudice, puis l'ont défini, pour ensuite élaborer un mécanisme visant à le réduire et traduire la réduction en dollars d'économies?
Dr Eric Single: Voilà. C'est exactement ça.
M. Derek Lee: Est-ce bien ce qu'ils ont fait?
Dr Eric Single: Eh bien, certains indicateurs de rendement comportaient des montants qui pouvaient être traduits. Dans certains cas, il s'agissait de données intangibles, exprimées en nombre de décès, de séjours à l'hôpital et ainsi de suite. Il y avait donc la morbidité, la mortalité et d'autres indicateurs de cette nature. Le tout peut être très bien défini. Tous les cinq ans, les Australiens publient un document dans lequel ils présentent leurs indicateurs de rendement.
M. Derek Lee: Avez-vous en main une liste de ces préjudices, de façon que je n'aie pas à chercher un peu partout? Ils figurent probablement dans les documents que vous avez apportés.
Dr Eric Single: Oui, absolument. Je vais indiquer aux membres de votre personnel de recherche l'endroit précis où ils se trouvent.
En fait, il s'agit d'un document que vous pourrez prendre avec vous pour les remettre ensuite à vos attachés de recherche. Il contient une liste précise.
M. Derek Lee: Dans le document australien que vous venez tout juste de nous montrer, on isole et on définit des préjudices particuliers, n'est-ce pas?
Dr Eric Single: Exactement.
M. Derek Lee: Ils ont donc décidé de les réduire.
Dr Eric Single: Ils se sont peut-être donné pour but précis de réduire, par exemple, la prévalence des infections au VIH causées par l'utilisation de drogues injectables. Cela serait un objectif précis. Sont-ils parvenus à réduire le nombre d'infections au VIH imputables à l'usage de drogue au cours de la période? On cote, année après année, la tendance à la réduction du nombre de cas d'infections à l'hépatite C, etc., ou encore la proportion de personnes qui entreprennent un traitement et le suivent avec succès selon les normes préétablies, des normes touchant les résultats, et ainsi de suite. Les indicateurs de rendement sont relativement précis.
M. Derek Lee: À votre avis, il n'y a pas beaucoup d'indicateurs de ce genre au Canada, n'est-ce pas?
Dr Eric Single: Dans le domaine du traitement, la situation n'est guère reluisante. Il y a beaucoup de travail à faire dans ce domaine. Nous pouvons faire de nombreux emprunts auprès de nos riches amis américains. Ce n'est déjà pas si mal. Nous ne savons pratiquement rien de notre intervention principale, c'est-à-dire l'exécution de la loi. Nous n'en connaissons pas vraiment les impacts. Nous avons des indices. Il n'y a pas eu de réduction des prix ni de réduction de l'offre, bien au contraire. Cependant, personne n'a jamais étudié cette question d'une façon systématique.
Nous ne savons pas grand-chose à propos des programmes scolaires de sensibilisation. Nous ne savons pas ce qui fonctionne et ne fonctionne pas. J'ignore à quoi Santé Canada affecte 33 millions de dollars, mais je n'ai pas vu de résumé des programmes d'éducation offerts dans le monde—ce qui semble efficace, les caractéristiques principales des programmes efficaces, et, le financement éventuel de la conception d'un programme pilote, etc.
Nous n'avons pas évalué les résultats du PSED, le seul programme qui, au cours de la dernière décennie, a été soutenu et destiné aux jeunes Canadiens. Nous ne savons pas s'il est efficace. Je pense qu'il est raisonnable de craindre qu'il ne favorise un accroissement de la consommation chez les jeunes Canadiens.
Je ne tiens pas à singulariser ce programme. Ses responsables sont de bonnes personnes bien intentionnées. Je ne les critique pas, parce que ce n'est pas eux qui sont en cause. Naturellement, on doit avoir foi dans ce qu'on fait, mais, ce que je crains, c'est que le programme ne produise pas les effets escomptés.
L'un des problèmes que posent les programmes scolaires de sensibilisation, c'est qu'on pique l'intérêt des élèves en montrant des seringues et de nouvelles drogues et en commençant à discuter des effets de ces dernières.
On risque ainsi de faire connaître ces produits à certains jeunes qui, autrement, n'en sauraient rien. On produit alors ce qu'on appelle l'effet «boomerang» dans les programmes de sensibilisation, et on a raison de s'en inquiéter.
• 1635
Je ne dis pas que c'est ce qui arrive. Ce que je dis, c'est
que nous ne le savons pas. À mes yeux, il est insensé de continuer
de financer le programme sans savoir s'il donne de bons résultats.
La recherche est coûteuse, mais je pense qu'il est beaucoup plus
coûteux d'investir année après année, pendant une décennie, dans un
programme dont on ne connaît pas l'efficacité.
La présidente: Je vous remercie, monsieur Lee. Vouliez-vous ajouter quelque chose, ou avez-vous terminé?
M. Derek Lee: Non, j'ai terminé. J'ai d'autres questions, mais je vais laisser la chance aux autres députés.
La présidente: Monsieur Sorenson, puis monsieur LeBlanc.
M. Kevin Sorenson (Crowfoot, Alliance canadienne): Pardonnez mon retard.
Je suis l'un de ceux qui ont assisté à une réunion prévue en avril dernier. Nous avons eu l'occasion d'arrêter une date avec une personne difficile à rejoindre. Je suis vraiment navré d'avoir raté la première partie de votre exposé parce que j'ai aimé et apprécié ce que j'ai entendu.
Nous avons déjà entendu une bonne part de ce que vous nous avez dit. L'une des choses que vous avez dites, c'est que la guerre contre les drogues devient une guerre contre les toxicomanes. Vous nous avez dit que nous devrions simplement dire que nous sommes en guerre.
Lorsqu'elle a comparu devant nous, la dame qui est venue présenter la stratégie canadienne antidrogue—et il a assurément été question d'une somme de 33 millions de dollars—a dit la même chose que vous. Impossible de savoir si nous sommes en train de gagner ou de perdre. Il n'y a pas de mécanisme d'évaluation. Il n'y a pas de reddition de comptes.
Vous croyez pouvoir rendre des comptes à n'importe qui parce que la situation évolue dans un sens et dans l'autre. Comment savoir si nous sommes en train de gagner ou de perdre?
À mon arrivée au comité, je n'avais pas compris, dans un premier temps, qu'il s'agissait d'un terrible problème. Je n'en avais pas saisi l'ampleur.
Nous parlons de centres d'injection sûrs, d'endroits où les toxicomanes peuvent aller, de réduction des préjudices ou je ne sais trop quoi. On n'autorise pas les policiers à intervenir dans ces centres et à poursuivre les utilisateurs. Sinon il s'agirait simplement d'un endroit où ils peuvent aller pour procéder à des arrestations.
Dans ma circonscription, il y a une prison par laquelle nous avons un problème—je ne sais pas si vous avez abordé cette question ni même s'il s'agit d'un de vos champs d'intérêt. Je me rends à cette prison, et je suis à même de constater le problème de drogues qui sévit. Je parle à des gens qui me disent qu'ils ne consommaient pas de drogue à leur arrivée, mais qui, à leur sortie, le font.
Nous avons déjà parlé de cette question, et Dominic l'a également soulevée.
Lorsque vous parlez de réduction des préjudices, des projets et de tout cela, que faites-vous des personnes incarcérées? À leur arrivée, certains détenus sont toxicomanes. Ils s'injectent des drogues dures. J'ai vu certaines personnes en période de sevrage, et elles ne semblent pas répondre au traitement à la méthadone.
Que faire de toute la problématique des prisons? A-t-on prévu un endroit où les détenus peuvent s'injecter de l'héroïne? Quelque chose me dit que non, que c'est illégal et que c'est mauvais, qu'il faut éviter cela. Mais lorsqu'on constate l'angoisse de certaines de ces personnes...
Que pensez-vous du problème des drogues dans les prisons?
Dr Eric Single: Je n'ai moi-même jamais mené de recherche sur l'usage de drogue dans les prisons. Je ne me considère donc pas un spécialiste du domaine comme le sont, par exemple, Brian Grant et ses collègues du centre de l'Île-du-Prince-Édouard. Je pense qu'ils ont une compréhension raisonnable de la problématique.
Vous avez raison, la situation dans les prisons est tout simplement incroyable, cela ne fait aucun doute. Pour une personne à la fin de l'adolescence—entre 15 et 25 ans, disons—, je sais que le facteur de risque le plus important, en ce qui a trait à la toxicomanie, c'est de séjourner en prison, même si l'intéressé n'avait jamais consommé de drogue auparavant. C'est tout à fait remarquable. Comment cela est-il possible lorsqu'on songe aux fouilles à nu, à la surveillance vidéo et à toutes les mesures de ce genre? Comment peut-on penser que les policiers pourront gérer le problème dans les rues et dans la société en général quand on n'est même pas en mesure de le faire dans les prisons? Cette situation me stupéfie.
Cependant, il y a une chose que nous savons. Lorsqu'on tient compte de l'expérience d'autres pays, on constate qu'il existe un bon éventail de stratégies efficaces. Je pense que les responsables du centre de l'Île-du-Prince-Édouard sont bien au courant de ces choses.
• 1640
L'une des mesures qu'on a prises, c'est de permettre aux
personnes qui bénéficient d'un programme d'entretien à la méthadone
de poursuivre le traitement à leur arrivée en prison. Il y a
d'autres mesures de réduction des préjudices plus extrêmes qu'on
peut également envisager.
Il est certain que le simple contrôle des drogues ne fonctionne pas. Il faudrait pour ce faire miser sur un effectif trop important. Les personnes en question sont incarcérées. Pendant leur peine, se geler est le seul moyen dont ils disposent pour alléger leur sort, et les motivations sont simplement trop fortes pour qu'on puisse espérer mettre un terme au problème de l'usage de drogue dans les prisons.
Comme on ne pourra y mettre un terme, que pouvons-nous faire? Voulons-nous que les utilisateurs consomment de façon sécuritaire? Voulez-vous qu'ils partagent des seringues? Voulez-vous que, à leur retour dans la collectivité, ils infectent leurs petites amies ou leurs petits amis et transmettent l'infection à leurs enfants au moyen de la transmission néonatale?
On doit examiner les solutions possibles d'un point de vue pratique. Il existe un large éventail de mesures pouvant nous permettre de réagir de façon plus efficace. Nous pouvons faire beaucoup mieux, à condition d'accepter certaines de ces mesures. Jusqu'à un certain point, cependant, il y a toujours des limites en raison de l'usage de drogue dans la société en général d'où les détenus sont issus.
M. Kevin Sorenson: Vous avez dit que l'abstinence était l'un des buts poursuivis. Dans votre esprit, la prohibition représente toutefois un enjeu tout à fait différent, n'est-ce pas?
Dr Eric Single: Eh bien, le but des partisans de la prohibition serait l'abstinence totale, une société dépourvue de drogues. Naturellement, cela serait extraordinaire. Nous nous entendons tous là-dessus. Cependant, on entend tousser ici et là. Après la réunion, certaines personnes vont s'offrir une cigarette.
Que cela signifie-t-il en réalité? Il s'agit de débarrasser la société des drogues qui sont officiellement réprouvées. La partie est loin d'être gagnée.
M. Kevin Sorenson: Dans la société, nous en sommes aujourd'hui au point où, face à un problème aussi vaste que celui des drogues, nous disons d'abord: «Que pouvons-nous légaliser? Que pouvons-nous décriminaliser?» Dans ce cas, les chiffres diminueraient, et on aurait l'impression que le problème ne se pose plus. Si le fait d'être mêlé aux drogues ne constitue plus une infraction criminelle, on devra se tourner vers le taux de criminalité, qui accusera lui aussi un recul important parce qu'il s'agirait non seulement de légaliser, mais aussi de légitimer.
Je vous remercie.
La présidente: Vous avez des commentaires?
Dr Eric Single: Oui, c'est là le dilemme fondamental. On serait probablement mieux en mesure de faire face aux problèmes, mais, jusqu'à un certain point, on se trouverait à légitimer la consommation. Il faut rechercher l'équilibre. Il s'agit là de préoccupations et de craintes raisonnables, cela ne fait aucun doute.
Dans certains cas, les programmes de réduction des préjudices vont entraîner des réductions réelles des taux d'utilisation parce qu'un certain nombre de toxicomanes ont suivi des traitements et qu'un pourcentage d'entre eux—mais pas la totalité—ont fini par vivre sans drogue. Cette diminution annule l'augmentation qui peut être imputable à la création d'un climat d'acceptation autour de l'usage de drogues.
Certaines autres mesures de réduction des préjudices n'ont pas fonctionné. Les zones de tolérance ont été un échec universel, partout où on en a fait l'essai. Dans certains cas, par exemple au Vietnam, on a crié victoire avant de se retirer. On a dit: «Eh bien, nous allons régler le problème en fournissant des services et en déplaçant les toxicomanes vers les banlieues.
Malgré tout, je pense qu'il est révélateur que pas une seule tentative de zone de tolérance n'ait réussi ou ne se soit maintenue. Il est donc probable que cette solution ne fonctionnera pas.
La présidente: Je vous remercie, monsieur.
Monsieur LeBlanc.
M. Dominic LeBlanc (Beauséjour—Petitcodiac, Lib.): Je vous remercie, madame la présidente, et merci à vous, docteur Single.
À l'instar de mon collègue Derek Lee, qui s'inquiète des estimations de crédit et des dépenses chaque année, je me préoccupe de l'élection qui nous attend dans trois ans. L'une des difficultés que j'ai rencontrées—je viens d'une circonscription dans laquelle se trouve une bonne part du Nouveau-Brunswick rural—c'est d'essayer de faire comprendre aux commettants qui vivent dans une réalité tout à fait autre que ces «zones de tolérance»—j'ai entendu toutes sortes d'expressions autour de la table—des discussions, les leçons que j'ai tirées de ma présence ici et de certains des documents que j'ai eus sous les yeux.
Votre expertise est grande, et vos conseils relativement à la mise au point d'une façon de—par exemple, la question des centres d'injection sûrs supervisés a piqué ma curiosité. J'ai été frappé par vos commentaires au sujet de l'absence de recherche. Vous avez fait une révélation fort valable: malgré les sommes que nous avons dépensées, celles que nous aurions dû dépenser et le travail qui a été fait, on n'a pas réalisé les recherches empiriques qui auraient dû l'être. Cette situation est préoccupante.
Comment vous y prendriez-vous, par exemple, pour convaincre, au moyen d'une démonstration très simple, que les centres d'injection supervisés constituent une importante initiative en matière de recherche? Tout ce qu'ils voient, ce sont des toxicomanes assis à ne rien faire. L'usage de drogue est censé être illégal, et pourtant nous fermons les yeux.
Je suis convaincu de la nécessité de certaines de ces mesures de même que de la validité de certaines des recherches et de certaines des stratégies de réduction des préjudices. Je suis moi- même vendu à l'idée. Lorsque je me trouve au Tim Horton de ma circonscription, j'ai cependant un peu de mal à expliquer pourquoi nous devrions offrir des seringues dans les prisons. Le solliciteur général est un de mes amis, et quand je l'imagine répondre à une question de Randy au sujet de la prestation de seringues dans les prisons... Il est difficile d'aller plus loin.
• 1645
Quels conseils donneriez-vous donc à ceux parmi nous qui
songent à l'électorat? Très simplement, comment expliquons-nous
certaines de ces choses? Parlez-nous d'abord, par exemple, d'un
centre d'injection sans risque et de la valeur qu'il peut avoir à
vos yeux, dites-nous si vous croyez que cela pourrait avoir une
certaine valeur comme projet de recherche. Comment expliquez-vous
la réduction des méfaits au gars qui se trouve au Tim Horton du
coin?
Dr Eric Single: Au départ, vous présumez qu'il y aura certaines personnes qui vont consommer des drogues et qui vont s'injecter, quoi que vous fassiez. Vous n'allez pas pouvoir stopper tout le monde. Vous allez peut-être en arrêter tout un lot, mais il en restera encore. Bon, voulez-vous qu'ils se piquent dans une ruelle, qu'ils y laissent les seringues, là où l'enfant peut en ramasser une et se piquer par erreur, et contracter le VIH ou l'hépatite C, ou qu'ils s'échangent des seringues et s'injectent mutuellement? L'adolescent vient dans le Downtown Eastside de Vancouver pour expérimenter les drogues et, boum, voilà qu'il contracte l'hépatite C la toute première fois qu'il s'injecte de la drogue. Cela arrive. Ce n'est pas une situation imaginaire.
J'admets que l'on se préoccupe de ce que cela mène à un accroissement de la consommation des drogues et facilite la consommation des drogues pour les gens. À mes yeux, ce sont là des préoccupations réelles et tout à fait légitimes. Il faut étudier la situation et déterminer en quoi il est avantageux d'aménager un centre d'injection sans risque, de sorte que les jeunes seraient moins susceptibles d'en infecter d'autres et de nuire à la collectivité. Les avantages ainsi établis compensent-ils les inconvénients—c'est-à-dire: est-ce que cela conduit à une situation où la consommation est davantage acceptée et où un plus grand nombre de jeunes consomment des drogues, ce genre de choses?
Vous devez mesurer ce genre de choses et établir des comparaisons. La solution ne se trouve pas facilement et rapidement. Cette façon de faire a été appliquée dans le cadre de certaines études d'évaluation, mais seulement, à ma connaissance, en Suisse et en Allemagne. L'applicabilité de la démarche au Canada n'est donc pas établie. C'est une voie prometteuse. Dans l'ensemble, il pourrait s'agir d'une mesure judicieuse, mais j'admettrais ouvertement que, a priori, ce ne sera pas un succès. Ce n'est pas la seule et unique solution au problème. Ce n'est qu'une des nombreuses stratégies qu'il faut mettre en oeuvre. Elle ne devrait pas être appliquée en l'absence de toute autre stratégie.
M. Dominic LeBlanc: Merci. Voilà une façon concise de formuler la question avec laquelle je me débattais. Je vous remercie de cette réponse.
Kevin a parlé de certaines des difficultés des établissements pénaux fédéraux. Il y a une prison dans ma circonscription. Je m'y suis rendu l'été dernier en compagnie du solliciteur général et, comme Kevin, j'ai été frappé par les problèmes de toxicomanie qui s'y trouvent.
Encore une fois, pour dire les choses très simplement, si vous deviez vous adresser à quelqu'un qui n'est pas au courant de certaines des recherches ou de certaines des informations auxquelles nous avons eu droit, durant la courte période pendant laquelle nous nous sommes retrouvés à la table... D'abord et avant tout, si vous étiez solliciteur général, croyez-vous qu'il s'agirait d'une bonne idée d'avoir, par exemple, un programme d'échange de seringues dans une prison fédérale?
Cela m'a scandalisé de constater le nombre de personnes—c'est exactement comme vous l'avez dit—ayant l'hépatite et le VIH-sida dans le réseau des prisons fédérales. Ce n'est pas parce que ce sont des toxicomanes ou des consommateurs de drogues qu'ils doivent être condamnés à une vie marquée par la maladie comme ça. Dans vos propres termes, comment justifieriez-vous...? Si je comprends bien, dans certains cas, les détenus reçoivent maintenant une trousse de désinfection à l'eau de javel, mais ce n'est pas une pratique uniforme qui s'appliquerait à l'ensemble du réseau des prisons. Sinon, il s'agit d'un programme d'échange de seringues. À vos yeux, est-ce que cela a une quelconque valeur dans les prisons fédérales?
Dr Eric Single: Ah, sans nul doute, oui. Je crois que nous devrions avoir des programmes d'échange de seringues dans les prisons. Les trousses de désinfection sont utiles, mais ce n'est pas parfaitement efficace. On est en train de mettre au point aujourd'hui des seringues qui ne peuvent être réutilisées. Une des grandes difficultés, c'est que les gens peuvent réutiliser les seringues, les prêter à quelqu'un d'autre.
Quand j'affirme que je suis en faveur de tels programmes, c'est que je crois que nous devrions les mettre à l'essai et les contrôler, et déterminer si les avantages compensent les inconvénients.
M. Dominic LeBlanc: C'est un bon équilibre.
Une dernière question, docteur. Les médias et les gens qui se trouvent au café du coin semblent s'attacher à l'idée de la légalisation de la marijuana. C'est d'ailleurs le réflexe du comité. Quand la question surgit, il s'agit d'abord et avant tout de décriminaliser ou légaliser—il y a toute une distinction à faire—la marijuana.
• 1650
Que dit-on à la personne qui affirme—et je ne sais pas si
c'est vrai, mais c'est le réflexe des gens—que si vous légalisez
la marijuana ou, disons, décriminalisez la marijuana...? Selon moi,
la deuxième option a un certain mérite. L'argument que l'on fait
valoir, c'est que celui qui commence à consommer de la marijuana à
l'école secondaire ou au cégep ou au collège, ou qui en fait une
drogue récréative, est plus susceptible de se retrouver un jour
dans une ruelle à s'injecter des drogues par voie intraveineuse.
Je ne suis pas sûr que ce soit vrai. Qu'en pensez-vous?
C'est l'argument évident: on commence par la marijuana, puis on finit avec l'héroïne. Ou on est plus susceptible de finir avec l'héroïne. Sinon: tous les héroïnomanes ont commencé par consommer de la marijuana.
Je ne sais pas quoi dire à ces gens.
Dr Eric Single: Oui, c'est la théorie de l'escalade et la controverse qui existe depuis...enfin, je suis mêlé à tout cela, je commente la question depuis 30 ans maintenant. C'est une question qui est là depuis longtemps.
M. Dominic LeBlanc: J'avais trois ans dans ce temps-là.
Dr Eric Single: Essentiellement, il ne fait aucun doute que la consommation de marijuana est liée à la consommation d'autres drogues et de drogues subséquentes. Il y a une corrélation. Par contre, quant à savoir s'il existe un lien causal, c'est une question tout à fait différente, et les éléments de preuve à cet égard sont extrêmement faibles. Cela n'existe pas vraiment, et on trouve beaucoup d'éléments contraires qui démontrent l'absence de liens de causalité, mais qui en fait partagent un certain nombre de déterminants sous-jacents.
Par exemple, j'ai examiné une étude portant sur des étudiants de niveau secondaire qui consommaient des drogues dures, qui avaient passé l'étape de la marijuana pour prendre d'autres drogues, mais c'était uniquement les jeunes qui en faisaient l'achat et la vente. Plus on consommait de marijuana, plus on était susceptible de consommer du LSD, de l'héroïne et de la cocaïne. Cependant, si on tenait compte de ceux qui achetaient et vendaient la drogue, autrement que l'acheter seulement pour ses besoins personnels—le jeune achète des quantités de drogue, puis distribue cela à ses amis ou en vend pour toucher un profit, ce que font un faible nombre d'adolescents—, on s'aperçoit que ce sont seulement ceux qui s'adonnent au commerce qui sont susceptibles de passer à des drogues plus dures. Même là où le niveau de consommation est plus élevé, ceux qui ne s'adonnaient pas au commerce, qui achetaient simplement la drogue pour leur usage personnel, ne touchent pas à cela. Cela donne à penser que la criminalisation de la marijuana, qui pousse les utilisateurs vers un marché illicite, est ce qui favorise en fait l'escalade. C'est un élément de preuve.
L'autre chose que nous avons faite, c'est de recourir à ce qui s'appelle l'échelle cumulative, ou échelle de Guttman. Il s'agit essentiellement d'un procédé qui permet de voir une unidimensionnalité sous-jacente, un ensemble sous-jacent de causes, et, essentiellement, un même phénomène qui se rapporte à la consommation de divers types de substances. La consommation de marijuana se situe sur la même échelle que la consommation de drogues dures, mais, de la même façon, la consommation d'alcool se retrouve sur l'échelle e question, tout comme la consommation de produits pharmaceutiques.
S'il y a donc une progression dans la consommation des drogues, cela ne commence pas arbitrairement avec la marijuana, avec la première drogue illicite. Cela commence probablement par la consommation d'un grand nombre de pilules. Cela commence probablement par la volonté de changer son humeur en prenant une aspirine et quoi encore, quand on est petit, ou même, parfois, ce sont les parents qui en sont à l'origine.
On ne peut donc simplement dire que c'est la marijuana qui en est la cause. Cela s'inscrit dans une progression qui se présente chez certaines personnes, qui continuent de consommer les drogues et sont sujettes à devenir dépendantes. Il y a donc des liens, mais cela ne fait aucun doute, il n'existe pas de solides éléments de preuve qui démontrent un quelconque lien de causalité.
À l'électeur qui soulève la question, la réponse rapide et facile est la suivante: bien sûr, tous les héroïnomanes commencent par prendre de la marijuana, mais, en fait, ils avaient aussi pris des pommes de terre avant ça. Ils avaient consommé de l'alcool, et ils avaient pris ceci et cela. Qui dit corrélation ne dit pas causalité. On veut parler de croustilles aussi—n'importe quoi.
M. Dominic LeBlanc: C'est une distinction importante.
Merci beaucoup.
La présidente: Merci beaucoup.
C'était très intéressant. Pour les parents qui viennent d'un coin où on cultive la pomme de terre...
Monsieur White.
M. Randy White: Je vais avaler une autre pilule.
La présidente: C'est ça. Et, moi, je vais manger du chocolat.
M. Randy White: J'ai quelques petites observations à formuler. C'est moi qui ai découvert le projet pilote initial de distribution des trousses de désinfection dans une prison. Cela est arrivé dans mon coin, et j'ai porté cela à l'attention du public.
Ce qui me tracassait dans le cas du projet en question, c'était la contradiction. Nous avions là une prison où on pratique la tolérance zéro, mais on dit: voici un peu d'eau de javel, désinfectez cela et nous ne dirons rien. C'est le message qui est envoyé aux gens. Je suis ici parce que j'ai commis un acte qui est contre la loi et je sais que vous pratiquez la tolérance zéro, mais si je veux un peu d'eau de javel, vous allez faire semblant de ne rient voir. Je suis donc en désaccord avec cette idée.
Vous dites que certaines personnes vont prendre de la drogue, quoi qu'on fasse. Je suis d'accord avec vous sur ce point et je crois qu'il n'y a rien à faire pour arrêter certaines personnes. Allons donc directement au but et annonçons bien nos couleurs: voici notre marijuana et notre Ecstasy. Aménageons des centres d'injection sans risque et l'échange de seringues, et acceptons simplement le fait qu'il y aura 1 ou 2 p. 100 de la population qui s'adonnera à ça. Nous mettrons un peu d'argent de côté pour Santé Canada et pour les provinces, pour leur dire: occupez-vous de cela quand les gens vont vraiment mal ou qu'ils font une overdose—ou, comme cela se fait à Vancouver, installons-les à l'hôtel pour attendre qu'ils meurent. Parce c'est ce qui se passe vraiment.
• 1655
Je suis presque d'avis que c'est vers cela que se dirigent
certaines personnes. Si vous allez dans le Downtown Eastside de
Vancouver, ou dans Walley à Surrey, en fait...
Je comprends où Derek veut en venir; Je croyais savoir ce qu'était la réduction des préjudices jusqu'à ce que je m'adresse à diverses personnes dans la rue et à celui qui tire sa subsistance de la drogue—c'est-à-dire un bureaucrate, par exemple, qui s'occupe d'un centre d'échange de seringues, le directeur de l'échange de seringues, qui dispose de directeurs adjoints et de superviseurs, de préposés à l'échange des seringues, d'aides en tout genre et tout de suite. Ils pensent, oui, c'est de cette façon qu'il faut procéder, et je suis à moitié convaincu que la raison, c'est qu'ils en tirent leur subsistance.
Étant donné ce que je viens de dire, pourquoi ne pas stopper l'hémorragie financière et dire simplement: légalisons la chose et, pour ceux qui en veulent, nous allons mettre cela dans un paquet de cigarettes avec l'indication: «Ne fumez pas de la marijuana, ce n'est pas une idée extraordinaire—vous pourriez devenir toxicomane» et mettre fin à toutes ces mesures de surveillance et à tout le reste? Je suis convaincu que c'est là où veulent en vernir certaines personnes.
Dr Eric Single: Je comprends votre frustration. Je la ressens moi aussi. Je m'inquiète seulement que l'on jette le bébé avec l'eau du bain. Certains éléments de nos stratégies sont peut-être efficaces.
De même, je ne vois pas en quoi il est nécessaire d'aller jusqu'au bout et de légaliser la marijuana. Pourquoi ne pas adopter des mesures progressives et voir comment cela fonctionne, et si cela fonctionne, avant de passer à l'étape suivante—sinon, on peut revenir sur nos pas? N'allez pas modifier les politiques de manière irréversible, au cas où cela ne fonctionnerait pas. Voilà une chose qu'il faut éviter aussi.
Je ne prônerais pas qu'on vende de la marijuana sur les coins de rue dans des emballages portant un avertissement du ministère de la Santé, mais je crois que les éléments de preuve sont accablants: la réduction des peines d'emprisonnement n'entraînera pas d'autres problèmes, mais elle suscitera des économies extraordinaires et les avantages qu'elle comporte compensent amplement tout inconvénient, et cela ne représente qu'une mesure modeste. On appelle parfois cela discrimination, mais il ne s'agit pas d'éliminer l'infraction imposée en cas de possession; il s'agit simplement de réduire la peine, plutôt qu'une peine d'emprisonnement, cela devient une amende.
De fait, cela pourrait provoquer un plus grand effet de dissuasion, car les services policiers, en ce moment, comme nous le savons, hésitent beaucoup à se concentrer sur les crimes qui sont largement répandus, et cela minerait leur capacité de travailler de concert avec les collectivités, s'ils devaient vraiment s'attaquer sérieusement à une habitude que pratiquent des millions de Canadiens.
Quand on réduit donc la peine à une amende, parfois, comme cela est arrivé en Australie, on observe un accroissement important de l'activité policière. Les policiers décèlent un plus grand nombre d'infractions: la sanction est considérée comme étant proportionnelle au crime commis.
Je ne suis donc pas d'avis qu'il faille se lancer tout de go dans la légalisation. Adoptons d'abord des mesures progressives puis voyons comment cela fonctionne, et agissons de manière à toujours pouvoir battre en retraite et essayer autre chose si la formule ne fonctionne pas.
M. Randy White: Une dernière observation. Nous avons entendu dire qu'en 1997, je crois, quelque 1 000 comprimés d'Ecstasy ont été saisis. L'an dernier, il y en a eu plus de deux millions. Et c'est ce qui a été saisi; ce n'est pas ce qui circule. J'ai lu ce matin que, dans le cas de la Grande-Bretagne, c'est environ 500 000 comprimés par fin de semaine.
C'est sur ce point que je conviendrais de dire que la recherche fait défaut. Si nous en saisissons une telle quantité, c'est qu'il y a une croissance importante; cela me fout la trouille de penser aux quantités que nous ne saisissons pas et de penser à quoi ça sert la fins de semaine au pays, et je m'inquiète de l'éventualité que, une fois que le comité aura terminé son étude, nous n'aurons toujours pas une idée de l'ampleur du problème ou même de la nature de l'Ecstasy. Est-ce que l'Ecstasy crée une dépendance? Si elle est fabriquée dans les sous-sols des maisons, littéralement, sa puissance et sa qualité varieront d'un cas à l'autre et ainsi de suite.
Dr Eric Single: Oui, et il n'y a pas de contrôle de la qualité sur les produits illégaux.
M. Randy White: Je ne suis pas un partisan de légalisation, mais je crains que, durant une semaine donnée, c'est beaucoup plus que deux millions de comprimés qui circulent, quelles qu'en soient la force, la taille ou la proportion, et nous ne savons tout simplement pas à quoi cela s'élève. Je suis juste un peu frustré de constater que nous n'avons pas fait les recherches voulues et que personne ne s'emploie activement à étudier la question.
Je vous prie de nous faire part de vos observations.
Dr Eric Single: Le centre canadien compte le Réseau communautaire canadien d'épidémiologie des toxicomanies, dont vous avez peut-être entendu parler. Le Réseau essaie d'atteindre ses résultats, et il permet à des autorités policières, à des épidémiologistes et à des responsables de la santé de se réunir dans les villes pour sonder le terrain et brosser le tableau des nouvelles tendances en ce qui concerne la drogue.
Pour l'instant, les travaux reposent encore pour une bonne part sur des données contestables: des impressions, des reportages médiatiques et des renseignements sur les gens qui viennent à l'attention des autorités policières ou des responsables de la santé, dans le cas des salles d'urgence.
Nous pouvons faire beaucoup mieux. S'il s'agit d'un réseau bénévole; il n'y a pas vraiment de financement. Nous obtenons bien un peu d'argent de Santé Canada pour organiser de temps à autre une réunion nationale, mais pour ce qui est des heures que les gens y consacrent, permettez-moi de vous le dire: ils se réunissent, ils se rassemblent et font marcher le réseau à titre bénévole, toujours—ce sont des gens qui croient simplement qu'il faut prendre en main la situation. Ils ressentent le même genre de frustration que vous. Nous avons vraiment besoin d'un programme national concerté qui permettrait de contrôler ces phénomènes et de les mesurer de la meilleure façon possible. Or, cela n'existe pas en ce moment.
La présidente: Merci, monsieur White.
Monsieur Lee.
M. Derek Lee: J'ai remarqué qu'il était question de l'alcool et du tabac dans les rapports australiens; plus tôt, le comité a entendu parler de certains des coûts associés à la consommation intempérante d'alcool et de tabac, à la dépendance à cet égard.
Ma première réaction a été: mon Dieu, nous perdons notre temps à essayer de régler la question de la drogue. Le prix social et humain de l'alcoolisme et du tabagisme semble bien supérieur à celui de la consommation de drogues illicites ou aux toxicomanies. Ai-je raison? Si j'ai raison, dites-nous que nous ne perdons pas notre temps à privilégier cette voie à l'exclusion...eh bien, il est évident que nous menons cela de parallèle avec les stratégies de lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme. Est-ce que nous mettons l'accent sur la bonne enveloppe, pour ainsi dire, en insistant pour régler le programme de la drogue, plutôt que ceux du tabac et de l'alcool?
Dr Eric Single: Vous ne perdrez pas votre temps s'il y a quelqu'un d'autre au gouvernement qui s'occupe de ces questions. La question devient alors la suivante: est-il plus efficace d'adopter une approche globale, qui fait qu'on envisage sous une seule politique-cadre tous les problèmes liés à la consommation excessive de diverses substances, ou encore est-il plus efficace d'en faire des dossiers distincts? Or, les deux formules comportent des avantages et des inconvénients.
Dans certaines situations, par exemple dans le cas des programmes de prévention, il n'est pas logique de prévoir un programme scolaire dans le cas de l'alcoolisme et un autre programme scolaire, distinct, qui porte sur d'autres problèmes. Pour une bonne part, il est question des mêmes notions, qui, de toute manière, peuvent être intégrées à un seul et unique programme général de promotion de la santé. Il n'est pas logique d'établir des programmes distincts dans certains champs d'action. Du côté thérapeutique, le traitement des toxicomanies et le traitement de l'alcoolisme sont souvent regroupés parce que la plupart des gens qui consultent en rapport avec un problème de drogue ont aussi un problème d'alcool. Certes, une forte proportion des personnes dépendantes à l'alcool ont également consommé des drogues illicites. Cela va souvent ensemble; cela donne donc la possibilité de réduire les coûts.
Par ailleurs, le fait de les combiner présente parfois des inconvénients. Ce n'est pas clair. J'ai tendance à croire qu'il faut mettre cela sous le même...et, personnellement, j'ai toujours travaillé dans les trois domaines—l'alcool, le tabac et les drogues illicites—, parfois plus dans le cas de l'alcool, parfois plus dans d'autres.
M. Derek Lee: Cela m'amène à la deuxième partie de mon interrogation, et votre témoignage nous sera peut-être utile, pour le compte rendu. Dans la mesure où nous avons observé un lien entre le tabac, l'alcool et d'autres drogues, cela m'a frappé aussi de constater que, ces dernières années, il y a une moralisation apparente et une certaine stigmatisation appliquée à la consommation de certaines drogues, plutôt que d'autres. La consommation de tabac n'est pas tenue pour quelque chose de mal. On peut être dépendant du tabac, ce n'est pas aussi grave que d'être dépendant d'autres choses.
• 1705
Il y a cette moralisation du phénomène qui se produit, et cela
me frustre. Personnellement, j'ai réussi à «démoraliser» tout le
phénomène—une drogue, c'est une drogue. Mais comme M. LeBlanc le
souligne, il existe encore de nombreux segments de la société
canadienne qui ne parviennent tout simplement pas à le faire. Ils
ont une vision du monde qui n'est pas la même.
Pouvons-nous, devrions-nous peut-être supprimer entièrement la vision moralisatrice de l'ensemble des drogues, dans notre manière d'en rendre compte? Pouvons-nous faire cela? D'autres pays y sont- ils parvenus? Est-il nécessaire pour nous de le faire, afin de bien saisir la situation? Faut-il supprimer globalement le caractère moralisateur de l'exercice?
Question corollaire: sommes-nous liés par un traité, y a-t-il un traité international qui, d'une manière ou d'une autre, nous empêcherait d'étudier la question des drogues en dehors d'un cadre moralisateur, de faire échec à la moralisation? Par exemple, supposons que nous souhaitons opter non pas pour une prohibition globale, mais seulement pour une réglementation lourde et rigoureuse, plutôt que l'interdiction prévue dans le code pénal. À ce moment-là, celui qui souhaite se balader avec un sac d'héroïne pourrait le faire, mais il faudrait qu'il ait un permis. Ce ne serait pas un problème, mais celui qui le ferait sans permis, il serait foutu. Ce serait parce qu'il n'avait pas de permis et non pas parce qu'il aurait commis un acte criminel. Je crois que vous voyez où je veux en venir.
Dr Eric Single: Oui.
M. Derek Lee: Il y avait là trois ou quatre questions.
Dr Eric Single: On s'approche du coeur du problème. C'est vraiment le coeur du problème. C'est pourquoi, à mes yeux, les principes directeurs consistent à traiter les toxicomanes comme des gens normaux. Selon moi, nous ne devrions pas faire une grande distinction entre les drogues illicites et les drogues licites. Nous devrions vraiment nous concentrer sur les dommages causés et sur la meilleure façon de «gérer» les dommages en question. Pour presque n'importe quelle approche, il y aura toujours des avantages et des inconvénients. Évitons toute cette charge émotive qui accompagne la question.
D'une certaine façon, c'est la vision moralisatrice de la consommation des drogues illicites qui fait que, parfois, une part disproportionnée des efforts et des moyens de l'État sont consacrés à un seul problème, alors que la situation démontre que d'autres problèmes mériteraient tout au moins une attention égale. Je ne cherche pas du tout à minimiser le problème de la drogue en ce sens-là, mais cela me frappe de constater que le coût économique du tabagisme est nettement supérieur à celui de la consommation de drogues illicites. Néanmoins, le gouvernement en dépense moins—pour les politiques, la recherche et les programmes de prévention—dans la lutte contre les substances qui, et de loin, causent un plus grand nombre de décès et d'hospitalisations et qui entraînent beaucoup plus de coûts pour l'économie.
Voilà un des avantages d'une approche globale qui mise moins sur la moralisation. Chez les êtres humains, une certaine moralisation est inévitable. Quel que soit le champ d'action, il y aura toujours un jugement qui est porté.
À mon avis, un des domaines où nous avons agi correctement au Canada, c'est celui de l'utilisation médicinale de la marijuana, devenue une question distincte de la consommation à des fins non médicinales—et c'est bel et bien une question distincte. Quoi que vous fassiez pour faire en sorte que les gens aient accès à de la marijuana à des fins médicinales—j'admets que cela n'aurait pas que des effets positifs sur le plan médical, cela reste encore à voir—, vous pouvez le faire sans égard à la politique officiellement en place pour ce qui est de la consommation autre que médicinale. Nous devrions faire en sorte que ces questions demeurent distinctes.
Aux États-Unis, le mouvement de réforme en matière de drogues a plus ou moins saisi la question de la marijuana à des fins médicinales pour faire progresser sa cause. Ce que je n'aime pas de cette approche, c'est qu'elle encourage le public à croire qu'il existe deux genres de drogues—les bonnes et les mauvaises—, la marijuana étant une bonne drogue. La réalité n'est pas aussi simple. Les drogues licites comportent nombre d'aspects douteux, et il se peut que les drogues illicites présentent certains aspects bénins, voire avantageux.
Nous ne devrions pas nous imaginer une dichotomie—le bien contre le mal—au regard de l'intérêt public; nous devrions plutôt réfléchir à ce que peuvent être les dommages causés et à la meilleure façon de gérer les dommages en question.
Quant aux traités internationaux, j'ai étudié quelque peu la question, pour le compte du gouvernement de Victoria, en Australie, au moment d'exercer d'autres fonctions. Je peux signaler à l'intention de vos recherchistes un rapport qui résume les données dont on dispose quant à l'impact des traités sur les diverses options législatives en matière de contrôle du cannabis.
C'est très intéressant. La convention de Vienne sur les drogues, à l'origine, avait l'offre pour unique champ d'action. Les ministres de la Santé ne faisaient même pas partie des délégations; il n'y avait que les responsables de l'exécution de la loi. C'était voulu. Les Américains mettaient beaucoup de pressions sur les pays du tiers monde pour qu'il y ait toutes sortes de contrôles et de restrictions sur le plan de l'offre, et je crois que c'est la délégation sud-américaine, avec à sa tête le Mexique, qui, essentiellement, s'est révolté et a dit: eh bien, pour chaque transaction, il n'y a pas qu'un vendeur, il y a un acheteur aussi et vous devez faire quelque chose dans les pays occidentaux. On a prévu une disposition selon laquelle la possession d'une drogue nommée dans l'annexe, dans laquelle figurait le cannabis, devait être une infraction pénale.
• 1710
Ce qui est intéressant, par contre, c'est que la formulation
n'était pas parfaitement limpide. Ce n'est pas un modèle à suivre
pour les rédacteurs juridiques. Même les responsables du programme
des Nations Unies pour le contrôle des drogues, en quelque sorte
l'interprète officiel des traités internationaux, ont admis qu'on
pourrait interpréter la disposition en question de telle sorte
qu'elle s'applique uniquement à la possession d'une drogue en vue
de faire le trafic et non pas forcément à la possession de la
drogue en vue d'en faire un usage personnel. Les Néerlandais ont
choisi cette interprétation particulière.
Les traités internationaux exigent donc que cela soit assimilé à une infraction pénale, mais sans que la sanction soit forcément une peine d'emprisonnement. On dit très ouvertement que le traitement et la prévention et l'éducation doivent primer sur la criminalisation, dans la mesure du possible. C'est bien encouragé.
Il existe d'autres façons de contourner le problème, de toute manière. Les pays peuvent choisir de ne pas appliquer certains aspects d'un traité sans décider de ne pas adhérer au traité dans son ensemble. C'est la solution des Pays-Bas, qui conservent la loi, mais font semblant qu'elle n'existe pas. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une très bonne solution, pour le genre de raisons que vous venez d'évoquer. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, de manière générale, de laisser les politiques évoluer de cette façon, de manière ponctuelle. Dire qu'il s'agit là d'une politique, c'est presque une contradiction.
Il existe d'autres options, mais je crois que les options réalistes pour les décideurs du Canada devraient toutes...les traités internationaux ne posent pour nous aucune difficulté, et je crois qu'il s'agit d'éliminer les peines d'emprisonnement tout en maintenant l'infraction pénale et en continuant d'appliquer une forme quelconque de sanction. Je ne fais peut-être pas une lecture correcte de la situation politique, mais je ne crois pas que les gens proposent vraiment l'élimination totale de la disposition qui établit que la possession est une infraction.
Les traités ne posent donc pas vraiment de difficulté, à mon avis.
M. Randy White: Merci.
La présidente: J'ai quelques questions à poser.
Messieurs, mesdames les députés, nous devons poursuivre la séance jusqu'à 17 h 30. Je sais que certaines personnes ont peut- être d'autres choses à faire, mais nous sommes aux prises avec un grave problème budgétaire dont nous devons discuter avant que tous puissent quitter la pièce—c'est grave dans le sens où un budget, nous n'en avons pas.
Veuillez nous laisser un peu de monnaie pour le carré que vous avez pris, docteur Single.
Des voix: Oh, oh.
La présidente: Je ne faisais que blaguer.
Nous pourrions nous servir des cinq dernières minutes pour discuter de certaines stratégies à employer.
Docteur Single, vous avez parlé du fait d'insister sur les préjudices causés et non pas sur la consommation elle-même, et je me demande si cela est utile. Vous avez parlé des diverses classifications des drogues, et des perceptions, et de la moralisation et de tout le reste. Il me semble que les gens sont nombreux à penser que—eh bien, si je l'ai obtenu avec l'ordonnance d'un médecin, ça doit être correct. Néanmoins, il y a de très nombreux cas de consommation excessive de médicaments d'ordonnances.
Si vous avez lu l'édition de samedi du Globe and Mail, vous avez vu que le «pink panther», fixatif pour cheveux dont je n'avais jamais même entendu parler—est actuellement la drogue de choix dans certains coins de Saskatoon. La substance ne figurera comme drogue dans aucun traité international, mais les dommages causés sont les mêmes—ou, de fait, ils sont pires.
Je me demande si vous avez des observations à formuler à ce sujet. Le fait d'insister sur les dommages causés est-il vraiment utile dans le cas de toutes ces autres drogues ou substances dont on abuse?
Deuxièmement, vous avez dit qu'il faut accorder la priorité aux programmes nouveaux et novateurs. Je me suis demandé si cela veut dire qu'il faut exclure de dire: écoutez, je crois avoir trouvé la raison pour laquelle ce programme particulier, dans cette ville, ne fonctionne pas—les conditions suivantes n'y étaient pas rattachées. Sinon, c'est que c'est un climat nordique, ou cela se fait dans l'ouest ou cela se fait dans l'Est.
Existe-t-il à cet égard des différences d'un endroit à l'autre, et les recherches démontrent-elles quelles conditions il faut pour qu'un programme porte fruit, pour qu'il puisse être reproduit ailleurs? Se peut-il que certaines choses ne soient pas nouvelles et novatrices, mais qu'elles soient appliquées différemment dans des circonstances différentes? Et comment en tenir compte en ce qui concerne la recherche?
Vous avez mentionné un document que vous êtes en train de rédiger à l'intention des ICRS. Où en sont les ICRS pour ce qui est de financer la recherche sur les toxicomanies? En êtes-vous au processus de demande? Avez-vous de l'espoir? Y a-t-il quelque chose qui se passe? Vous pourriez nous en parler.
La dernière question est la suivante: qu'est-il arrivé en 1997, en Australie, pour que les gens s'agitent à ce sujet? Y a-t- il eu quelque chose de précis qui s'est passé?
Dr Eric Single: Permettez-moi de répondre d'abord à la dernière question, car ce sera plus rapide ainsi.
Les Australiens se sont engagés à procéder, tous les cinq ans, à une évaluation majeure de ce qu'ils ont fait depuis cinq ans, avant d'entamer la phase suivante de la stratégie. Quelle idée originale, d'envisager réellement...
La présidente: Nous faisons cela dans beaucoup de cas, mais ce n'est pas toujours...
Dr Eric Single: Pas ici. Pas dans ce champ d'action.
D'une certaine façon, c'était donc un examen périodique, déjà prévu, de la stratégie antidrogue australienne.
L'autre chose qui est survenue, je dois l'admettre, c'est que tout juste la semaine dernière, on a appris le décès par overdose de deux douzaines de personnes à Parramatta, banlieue de Sydney, l'équivalent de notre Downtown Eastside de Vancouver, où il y a un énorme problème de drogue. C'est donc un accident politique en quelque sorte: le grand public a accordé une très grande attention à ce rapport, avec les modifications qui y sont recommandées. Il s'agit d'une tragédie, et je ne souhaite pas minimiser les morts en question, mais cela a bien aidé à faire en sorte que le rapport soit mis en oeuvre.
Quant à l'application aux nouvelles drogues de l'approche de réduction des préjudices, les nouvelles drogues représentent un problème quelle que soit la situation, que l'on insiste sur la consommation ou sur les préjudices résultant de la consommation. C'est un problème qui, de toute manière, surviendra. Le phénomène des drogues de confection est tel qu'il y en a de nouvelles qui apparaissent tous les mois, pratiquement, et certaines d'entre elles deviennent populaires rapidement. Que l'on applique une approche dite de tolérance zéro ou de réduction des préjudices, il y aura cette difficulté.
Je crois que les perspectives d'une approche de réduction des préjudices sont peut-être meilleures. Cette approche peut être mise en oeuvre plus rapidement et nous permet de découvrir des choses immédiatement, par exemple les effets pharmacologiques des drogues et les manières de les contrer. Si nous avions su dès le départ que l'Ecstasy cause une déshydratation, nous aurions probablement sauvé des vies et instauré des programmes de réduction des préjudices aux raves et ainsi de suite. Cela a fini par se faire, mais il y a toujours un délai de réponse dans de tels cas.
Les nouvelles drogues, les drogues émergentes représentent donc un problème constant, et ce sera toujours un problème, quelle que soit la stratégie majeure que l'on décide d'adopter. À mon avis, la réduction des préjudices est un peu plus prometteuse, mais c'est de la conjecture de ma part; je ne saurais dire que c'est fondé sur des éléments de preuve incontestables.
La présidente: Je m'excuse de vous interrompre, mais le «pink panther» est un fixatif.
Dr Eric Single: Ou...il y a toutes sortes de choses que ces gens vont prendre pour s'éclater. Il y a les substances inhalées, il y a...
La présidente: La colle, les solvants—tout le tralala.
Dr Eric Single: Il y a des jeunes qui prenaient du Midol pour triper à Halifax, à un moment donné. J'imagine qu'ils devaient prendre tout le paquet.
La présidente: Cela vous brûlerait probablement l'estomac.
Dr Eric Single: C'est un peu dans la nature des choses: les gens vont trouver des façons de devenir intoxiqués.
M. Kevin Sorenson: Comment trouveriez-vous des façons de...?
Je m'excuse, Paddy.
La présidente: Sa dernière question portait sur les programmes, puis vous allez pouvoir poser des questions vous-mêmes.
Dr Eric Single: Pour ce qui est des différences d'un endroit à l'autre et de la manière d'en tenir compte, il est vrai que, très souvent, on n'est pas sûr que le programme qui a porté fruit à un endroit aura du succès ailleurs. Si on l'essaie ailleurs, on peut constater qu'il porte fruit, mais pas tout autant, ou encore qu'il ne fonctionne pas. Alors, il faut déterminer pourquoi. Quelles sont les caractéristiques de la collectivité qui expliquent le succès de la démarche à un endroit, par rapport à un autre?
Une chose importante, c'est d'avoir un plan de recherche bien conçu. Nombre d'évaluations—peut-être même la majorité pour certains types de programmes—ont d'abord pour objet les résultats. Il existe essentiellement deux formes d'évaluation: l'évaluation des résultats et l'évaluation du processus. Dans le cas des résultats, on se concentre sur certains indicateurs dont on a convenu d'avance. Dans le cas du processus, on ne fait que regarder les processus employés. A-t-on consulté? A-t-on fait ceci ou cela? Les bénéficiaires du programme en étaient-ils heureux, etc.? Mais il n'y a aucun résultat précis à mesurer.
Pour une grande part, la recherche sur les méthodes n'est pas utile, dans un sens très général. Elle peut être utile à certaines fins. Ce que je n'aime vraiment pas, c'est qu'elle devient souvent le prétexte à une véritable recherche sur les résultats. Aux termes de la période de cinq ans prévue pour une stratégie, on procède à une consultation à grande échelle.
Si on demande aux gens à qui on a donné de l'argent si leur donner de l'argent était une bonne idée, ils répondent tous: c'était une merveilleuse idée; on a consulté les bonnes personnes, on a fait ceci ou cela. Mais cela ne me suffit pas. Une bonne recherche est donc la première réponse à cette question. Nombre de ces études communautaires s'articulent autour de recherches sur les méthodes. Il nous en faut plus qui s'inspirent d'évaluations des résultats.
De même, il faut accumuler les données probantes. Souvent, il faut de nombreuses études. Alors, on peut commencer à trier les analyses des diverses situations.
• 1720
Vous allez peut-être constater que le facteur clé à l'endroit
en question, c'est qu'on avait créé un réseau, ou autre chose,
alors que cela ne s'était pas fait ailleurs. Si vous obtenez cette
donnée pour huit ou dix collectivités, cela est peut-être
suffisant. Il faut accumuler des données probantes pour jauger les
causes sous-jacentes. Vous n'allez jamais obtenir une réponse
parfaitement complète à la question, mais vous pouvez obtenir
certains degrés de probabilité, si vous accumulez des preuves
suffisantes.
Le financement du CCLAT reste à confirmer. Il y a un mémoire au Cabinet qui vise à accroître le financement pour qu'il atteigne 2,6 millions de dollars—il ne se situe qu'à 0,5 millions de dollars en ce moment. Cela permettrait au moins au CCLAT d'engager du personnel.
La présidente: Avez-vous également présenté une demande aux Instituts canadiens de recherche en santé?
Dr Eric Single: D'abord, je ne suis pas un employé du CCLAT.
La présidente: Je ne croyais pas que vous l'étiez.
Dr Eric Single: Je fais du travail pour eux à contrat, ils n'ont pas les moyens de m'engager à temps plein. C'est essentiellement cela. Je ne devrais pas faire comme je parlais au nom de l'organisation, à cet égard.
Je siège au conseil de l'un des instituts des ICRS, de sorte que je connais assez bien l'organisation. J'ai présenté une proposition et j'ai obtenu une subvention. J'ai proposé aux ICRS la création d'un institut autonome qui s'occuperait exclusivement des toxicomanies. Ils n'ont pas accepté cela. Ils ont inclus les toxicomanies dans le champ d'étude de l'institut des neurosciences et de la santé mentale. Par contre, nombre de questions liées aux toxicomanies entrent, en fait, dans le champ d'action des autres instituts membres.
L'institut qui compte le conseil dont je fais partie—l'institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies—s'applique très sincèrement à régler tous les problèmes terribles liés à la situation actuelle de la recherche dans le domaine des toxicomanies. Son mandat est large. Il doit aussi s'occuper de santé mentale, de neuroscience, de problèmes de la vue et de problèmes de l'ouïe. Je suis le seul membre du conseil, qui compte 15 personnes, qui évolue dans le domaine des toxicomanies. Je suis entouré de spécialistes des neurosciences et de la santé mentale. Il faut leur donner un certain temps, pour voir combien ils vont progresser, puis revoir l'idée.
Je n'ai toujours pas renoncé à l'idée qu'à un moment donné, dans un avenir pas trop éloigné, la prochaine fois que les décideurs se pencheront sur la composition des ICRS, ils vont envisager de créer un institut distinct qui ne s'occuperait que des toxicomanies. Je crois que les problèmes sociaux et sanitaires associés à la toxicomanie, étant donné leur ampleur, le justifient. C'est la cause approximative d'un décès sur cinq au Canada, et c'est la raison pour laquelle nombre des déterminants de la santé sous-jacents se rapportent à des niveaux peu élevés de la santé de la population.
Le taux de longévité relativement inférieur que présentent les Canadiens à faible revenu aujourd'hui, souvent cités en ce qui concerne le mouvement pour la santé de la population, peut être attribué presque entièrement au taux de tabagisme plus élevé. Ce n'est qu'un exemple de la mesure dans laquelle la toxicomanie se répercute sur les niveaux globaux de la santé de la population.
Voilà pourquoi je réserve toujours mon jugement et fais valoir qu'à moins que la situation ne soit vraiment corrigée—et je ne vois pas comment on pourrait y arriver de cette façon—, les décideurs auront, à un moment donné, à créer un institut distinct de recherche sur les toxicomanies. Mais nous verrons. Ils essaient sincèrement de faire le meilleur travail possible.
Pour l'instant, il faudra se concentrer sur le perfectionnement professionnel et la formation. Nous n'avons pas l'effectif voulu. Il existe un fossé énorme entre ma génération et celle de nos étudiants à l'Université d'Ottawa, là. Les jeunes qui oeuvrent dans ce domaine sont très rares en ce moment. Il y a bien quelques vieux comme moi qui traînent, mais nous avons perdu une génération de chercheurs en toxicomanie à cause de ce qui s'est passé depuis cinq ans.
La présidente: Comme nous allons nous concentrer sur les toxicomanies, peut-être que toutes les sommes d'argent qu'amassent l'ensemble des provinces grâce au jeu pourraient financer ce centre, aussi. Visiblement, il existe un lien entre ce genre de comportement compulsif et la drogue.
Dr Eric Single: J'essaie toujours. Je suis en train de réaliser, en ce moment même, une étude sur le jeu. Nous essayons toujours d'avoir une part de cet argent. Mais le jeu présente ses propres difficultés. Les chercheurs dans le champ d'action qu'est le jeu ne courent pas les rues. C'est une chose nouvelle, de sorte que l'infrastructure n'est pas encore en place.
Ce qui me dérange le plus dans le cas du jeu, c'est que toute somme d'argent actuellement consacrée à la recherche est contrôlée, pour une bonne part, par l'industrie du jeu ou par les gouvernements provinciaux qui ont intérêt à maintenir les taux d'activité élevés qui existent en ce qui concerne le jeu légal. Il y a donc cette possibilité très réelle d'empiéter sur l'intégrité scientifique des chercheurs.
La présidente: Bonne chance avec cela.
Si vous avez une question rapide à poser, monsieur Sorenson, nous l'entendrons.
M. Kevin Sorenson: De fait, je me demandais d'où viennent ces nouvelles substances, comme notre présidente...
La présidente: Comment les gens finissent par trouver que l'essence cause une dépendance.
M. Kevin Sorenson: Oui, et combien de fixatifs différents ils ont essayé...
La présidente: Tous les fixatifs fonctionnent.
M. Kevin Sorenson: ...ou combien de peintures différentes ils ont essayé avant de tomber sur la futée.
Mais l'Ecstasy, ce n'est plus tout à fait la même chose. Ce n'est pas un produit, c'est une drogue. Est-ce quelque chose qui a été conçu par le crime organisé?
Dr Eric Single: Ce pourrait l'être, mais j'en doute.
M. Kevin Sorenson: L'Ecstasy est-elle un produit pharmaceutique qui sert à quelque chose d'autre, ou est-ce simplement une drogue illicite? Dans beaucoup de ces autres cas, je crois que les jeunes sont à la recherche d'un trip facile, d'un trip bon marché.
M. Randy White: Quelque chose qu'ils n'ont pas à fumer.
M. Kevin Sorenson: Oui, peut-être, quelque chose qu'ils n'ont pas à fumer.
Dr Eric Single: Quand j'étais plus jeune, dans les années soixante, on fumait des pelures de banane. Enfin, qui aurait pensé à cela? Les êtres humains possèdent une faculté illimitée quand il s'agit de trouver des nouvelles façons de s'intoxiquer.
Je ne connais pas les origines de l'Ecstasy, mais je ne suis pas surpris de constater qu'elle existe. C'était prévisible—de choses du genre vont se produire encore et encore et encore.
La présidente: Eh bien, M. LeBlanc a été cité dans un article qui portait sur ses vices; nous pourrions peut-être ajouter cela à la discussion, en privé.
Docteur Single, merci beaucoup. Vous avez été tout à fait merveilleux aujourd'hui. Vous avez présenté toutes sortes d'éléments pour alimenter notre réflexion, et nous allons peut-être devoir recourir à vous de nouveau. Nous allons certainement étudier la situation australienne aussi. Cela a été vraiment merveilleux de vous accueillir, et j'espère que cela a valu la peine aussi pour vous de vous déplacer.
Merci beaucoup.
Dr Eric Single: Merci.
Pour que nous puissions poursuivre la séance à huis clos, je dois suspendre les travaux pendant quelques minutes, pour que les gens puissent sortir.
[La réunion se poursuit à huis clos]