Passer au contenu
;

SNUD Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

Pour faire une recherche avancée, utilisez l’outil Rechercher dans les publications.

Si vous avez des questions ou commentaires concernant l'accessibilité à cette publication, veuillez communiquer avec nous à accessible@parl.gc.ca.

Publication du jour précédent Publication du jour prochain

SPECIAL COMMITTEE ON NON-MEDICAL USE OF DRUGS

COMITÉ SPÉCIAL SUR LA CONSOMMATION NON MÉDICALE DE DROGUES OU MÉDICAMENTS

TÉMOIGNAGES

[Enregistrement électronique]

Le lundi 3 décembre 2001

• 0907

[Traduction]

La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)): Je déclare la séance ouverte.

Au nom du comité, je précise que nous sommes très heureux d'être à Vancouver et de vous compter parmi nous, même si vous avez probablement appris à la dernière minute que vous alliez témoigner aujourd'hui.

Nous sommes heureux de compter parmi nous Dan Reist de la Kaiser Foundation, Colin Mangham de Prevention Source B.C. et de l'Université de la Colombie-Britannique, le Dr Mark Tyndall et le Dr Julian Somers, du département de psychiatrie. À 9 h 30, le Dr Schechter viendra se joindre à nous. Nous allons finir par être un peu pressés par le temps.

Si vous n'y voyez pas d'inconvénients, nous allons procéder selon l'ordre dans lequel je vous ai présentés. À moins que vous n'ayez convenu d'autre chose? Cela vous va?

La parole est à vous, monsieur Reist.

M. Dan Reist (président, Kaiser Foundation): Merci, madame la présidente et membres du comité. C'est pour nous un privilège que de comparaître devant vous pour vous aider à vous acquitter de votre mandat, qui consiste à donner suite aux recommandations visant à réduire la dimension des problèmes associés à la consommation non médicale de drogues ou de médicaments au Canada.

Il s'agit d'un mandat important, et la Kaiser Foundation est d'avis que nous devons tous collaborer pour prévenir et réduire les torts causés par la toxicomanie. Vous avez un rôle important à jouer en veillant à ce que la stratégie antidrogue du Canada constitue un outil efficace pour la réalisation de ce but.

Faire la promotion d'une approche exhaustive et concertée du problème de la toxicomanie et exercer des pressions en faveur du renforcement de la capacité au titre de la recherche pratique comptent parmi les plus importantes contributions que le comité puisse apporter. Pour prévenir et réduire de façon efficace les problèmes associés à la toxicomanie, nous devons adopter un modèle exhaustif.

Cela dit, il n'y a rien là de nouveau. Nous répétons la même chose depuis que je m'intéresse au domaine. Une approche exhaustive suppose toutefois beaucoup plus qu'un éventail de services dans un continuum donné. C'est ce que nous avons eu tendance à proposer par le passé. À la façon d'une ligne unique dans un espace à trois dimensions, ce continuum n'a pas répondu aux besoins de familles, de collectivités et de particuliers nombreux.

• 0910

En outre, nous avons eu, à titre de professionnels tendance à débattre du positionnement des jalons d'enquête dans la définition de ce continuum de services. Bon nombre des débats—ou à tout le moins certains d'entre eux—ont rapport avec votre mandat, et il ne fait aucun doute que bon nombre des arguments qui seront invoqués devant le comité sont de cette nature. À la Kaiser Foundation, nous sommes d'avis que nous devons abandonner la notion d'un continuum de services unique et commencer à répondre au monde à trois dimensions de la consommation de drogue.

Permettez-moi de vous présenter brièvement les trois axes qui définissent cet espace. Le premier est un continuum de services conçus simplement pour sauver des vies, des services établis pour stabiliser des particuliers, les traiter et les guérir et, enfin, les services qui visent la réintégration de particuliers dans la société.

C'est ce continuum ou cet axe qui ressemble le plus au continuum de services traditionnel, même s'il s'en distingue de façons marquées. Il y a toutefois un deuxième axe. Il s'inscrit dans le cadre de la théorie des étapes du changement, qui vont de la précontemplation à la contemplation, à la préparation, à l'action et, enfin, à la consolidation. Ces deux dimensions sont illustrées dans le tableau fourni en annexe—que j'ai apporté pour vous—tiré du rapport intitulé Weaving Threads Together, qu'un groupe de travail nommé par le gouvernement de la Colombie- Britannique a produit l'hiver dernier.

La majorité des services traditionnels de lutte contre l'alcoolisme et la toxicomanie ont visé des clients aux stades de la préparation ou de l'action, dans l'axe du changement, qui souhaitaient être guéris ou traités. En revanche, on considérait souvent les personnes au stade de la précontemplation comme n'étant pas prêtes au traitement. Aussi leur refusait-on les services. Parfois, c'était une façon de dire que ces personnes n'étaient pas disposées à s'imposer l'abstinence comme objectif.

Ces deux dimensions permettent de définir un plan d'intervention. Un réseau exhaustif doit assurer des services à tous les particuliers, indépendamment de l'endroit où ils figurent dans ce plan.

Une troisième dimension, c'est-à-dire l'axe de la prévention, vient encore ajouter à la complexité de la situation. Souvent, on a interprété la prévention de façon trop étroite, de façon qu'elle désigne des activités conçues pour prévenir ou retarder le début de la consommation, en particulier chez les jeunes. Même s'il s'agit là d'un objectif louable, la prévention constitue bien davantage un continuum. Elle est importante à de nombreux points de transition tout au long de la vie du particulier. La prévention a également pour but de bloquer la progression d'une utilisation moins dommageable vers une utilisation plus dommageable. Certaines personnes qui fument de la marijuana commencent à s'injecter de l'héroïne, par exemple. C'est là le genre de transition qu'on veut empêcher.

La prévention porte également sur la promotion de l'épanouissement personnel et de l'adoption de modes de vie sains de même que sur l'élaboration de politiques tenant compte des déterminants clés de la santé, par exemple le logement et la stabilité économique. On ne devrait pas isoler la prévention des autres interventions comme s'il s'agissait de quelque chose d'entièrement différent. En fait, il s'agit d'une autre dimension de l'approche exhaustive de la toxicomanie.

Pour prévenir et réduire efficacement les torts associés à la toxicomanie, nous devons assurer la prestation de services dans l'ensemble de cet espace à trois dimensions. Dans le cadre de ce système exhaustif, il est essentiel que les fournisseurs de services se respectent mutuellement et que les clients puissent accéder aux services dont ils ont besoin quand ils en ont besoin. La capacité d'évaluer les programmes et de planifier des services en fonction de données est essentielle à la prise de bonnes décisions liées aux politiques et aux programmes, en particulier celles qui ont trait à l'utilisation de ressources limitées au réétablissement du modèle exhaustif auquel je fais référence.

Permettez-moi de dire un mot au sujet de la notion de «réduction des préjudices». Les services devraient tous avoir pour but de prévenir et de réduire les préjudices associés à la toxicomanie. À mon avis, il n'est pas utile d'employer l'expression «réduction des préjudices» pour décrire certains services offerts à la fin d'un continuum. Bien que de tels services constituent un volet essentiel d'un modèle exhaustif, la «réduction des préjudices»—ou ce que nous avons tendance à associer à la prévention et à la réduction des préjudices—devrait être considérée comme une philosophie sous-tendant l'ensemble du système

• 0915

Je vous prie donc instamment d'insister sur l'établissement de ce genre de réseau exhaustif complexe et pourtant réel dont on a besoin pour répondre aux problèmes de la toxicomanie. Je pense que c'est la simplification à outrance du problème et les solutions proposées pour y remédier qui expliquent les échecs répétés que nous avons connus dans ce domaine. Nous devons admettre la complexité et élaborer un système qui permette de rejoindre les clients, où qu'ils se trouvent.

Deuxièmement, c'est au moyen d'un système de prestation de services à multiples facettes et non d'un organisme unique spécialisé qu'on pourra le mieux assurer la prestation des services exhaustifs nécessaires à la prévention et à la réduction des préjudices imputables à la toxicomanie. Comme les problèmes liés à la toxicomanie transcendent de nombreux obstacles institutionnels et sectoriels, l'intervention la plus efficace est celle à laquelle participent de nombreux systèmes agissant en collaboration. La Fondation ne préconise pas la création d'un organisme dédié exerçant ses activités indépendamment d'autres ministères du gouvernement pour administrer la stratégie antidrogue du Canada. Cette approche est inefficiente et, en dernière analyse, irréaliste. À titre d'exemple d'échec d'une telle stratégie, on peut citer le cas de la tentative de la Colombie-Britannique d'établir un ministère unique chargé de toutes les questions relatives à l'enfance.

D'autres ministères du gouvernement continueront de jouer un rôle dans les questions relatives à la toxicomanie et devront continuer de le faire. La stratégie antidrogue doit s'accompagner d'un mécanisme d'harmonisation efficace de la politique entre divers ministères et ordres de gouvernements.

Deux facteurs sont essentiels à l'harmonisation de la politique. On ne saurait trop insister sur l'importance d'un leadership légitime. Pour que la stratégie antidrogue canadienne soit efficace, le premier ministre doit nommer un porte-parole national et ordonner aux dirigeants des principaux ministères de travailler en coopération sous la gouverne de cette personne. C'est ainsi qu'on pourra harmoniser la politique relative aux problèmes liés à la toxicomanie.

Le deuxième facteur n'est pas moins important. On doit, aux niveaux communautaire ou régional, établir des mécanismes qui permettent aux divers ministères et ordres de gouvernements de travailler en concertation pour répondre à ces problèmes. Un groupe de travail de la Colombie-Britannique a, plus tôt cette année, recommandé un mécanisme de planification en faisceaux analogues, à certains égards, au projet d'étalonnage de l'Oregon ou à certains mécanismes de développement régional.

Ces modèles sont fonction de l'harmonisation de la politique et de la capacité de mesurer les résultats à la lumière de critères prédéterminés qui rendent compte des intérêts des divers ministères ou organismes concernés. Je précise qu'il existe des modèles pour ce genre d'harmonisation et de collaboration. Nous devons simplement commencer à les appliquer au domaine à l'étude.

Le troisième secteur dans lequel je vous prie instamment d'intervenir est celui de la recherche et de l'évaluation. La fondation est d'accord avec l'observation du comité au sujet de «la nécessité absolue de disposer de données fiables sur lesquelles fonder la multitude de décisions nécessaires à l'élaboration et à l'administration d'une stratégie antidrogue cohérente et viable au Canada». En fait, dans le cadre des relations toujours complexes entre le gouvernement fédéral et les provinces ou territoires, ce serait l'une des plus importantes contributions que l'organisme fédéral pourrait apporter.

Notre fondation tient à souligner, cependant, que la recherche doit aller bien au-delà des tendances relatives à la consommation. Si ces données épidémiologiques et d'autres sont essentielles à l'élaboration d'une politique solide, la recherche sur les pratiques exemplaires et l'efficacité du programme l'est tout autant. Pour s'orienter vers un système fondé sur des données, les décideurs, les concepteurs de programmes et les bailleurs de fonds doivent tous avoir accès à des données de qualité.

Le mandat de l'Institut des neurosciences, de la santé mentale et des toxicomanies est extrêmement vaste. Cependant, l'organisme est en voie de définir l'ordre de priorité pour la recherche sur la toxicomanie. Un institut de recherche voué exclusivement aux toxicomanies ferait peut-être en sorte que ces priorités reçoivent l'attention qu'elles requièrent. Je ne suis toutefois pas convaincu que cela soit absolument nécessaire.

Peu importe l'organisation de la capacité de recherche, l'essentiel est que les priorités soient fonction des besoins du système et évitent les intérêts étroits qui revêtent une importance limitée pour l'élaboration de politiques ou de programmes. Une fois de plus, on doit utiliser les ressources limitées dont on dispose de manière à produire le plus grand impact possible sur notre capacité au titre de la prestation de services. C'est pour cette raison que le groupe de travail sur les toxicomanies de la Colombie-Britannique, en recommandant l'établissement d'un centre d'excellence sur les toxicomanies en Colombie-Britannique, a tenu à souligner que ce dernier devrait demeurer en prise sur le terrain et éviter de devenir une tour d'ivoire.

• 0920

En conclusion, je prie instamment les membres du comité de faire la promotion d'un système exhaustif conçu pour répondre aux besoins de l'ensemble des familles, des collectivités et des particuliers touchés par la toxicomanie. Nous devons nous efforcer d'aller au-delà de la rhétorique d'exclusion qui a souvent caractérisé le débat entourant la politique antidrogue.

La fondation prie les membres du comité de plaider en faveur de l'adoption d'une approche concertée et de la mise au point des mécanismes nécessaires pour assurer une harmonisation efficiente des politiques entre ministères et ordres de gouvernement. Par ailleurs, la fondation recommande un engagement envers un mécanisme de planification par faisceaux au niveau régional ou communautaire de façon à assurer la prestation efficace et efficiente de services.

Enfin, la fondation invite les membres du comité à exercer des pressions en faveur d'un renforcement de la capacité de recherche et d'évaluation. On disposera ainsi de données fiables sur lesquelles fonder les décisions relatives à la politique et à la pratique nécessaires à l'élaboration et à l'administration d'un système exhaustif et concerté pour prévenir et réduire les préjudices associés à la toxicomanie.

Merci beaucoup de votre attention.

La présidente: Merci, monsieur Reist.

Nous allons maintenant entendre le Dr Mangham.

M. Colin Mangham (directeur, Prevention Source B.C.): Je tiens à vous remercier de l'occasion que vous nous donnez de participer à la séance d'aujourd'hui. Vos considérations d'aujourd'hui sont très importantes dans la mesure où elles contribueront au façonnement de la stratégie et des politiques antidrogue du Canada de domaine.

Je vais soumettre un mémoire écrit contenant des arguments sociaux et scientifiques et une mise en garde au sujet de la reconduction de la réduction des préjudices comme philosophie motrice au-delà de la stratégie adjacente de soutien du traitement et des stratégies de réduction de l'offre et de la demande. Je le précise parce qu'elle c'est l'un des problèmes épineux dont vous avez discuté, et je sais que de nombreuses opinions sont véhiculées à ce sujet. C'est l'un des besoins auxquels on doit répondre au pays. Dans ce mémoire, je vais également m'intéresser plus en détail à la place de la prévention dans la lutte nationale antidrogue.

Aujourd'hui, cependant, j'aimerais faire porter mes propos liminaires sur la notion et la pratique de la prévention et la place qu'elle occupe dans la lutte antidrogue nationale.

On peut définir la prévention comme étant la mise en commun des programmes et des politiques visant la réalisation d'un triple objectif: réduire le nombre de personnes qui commencent à consommer des drogues, ralentir ou freiner la progression de la consommation vers des habitudes plus nuisibles et, enfin, réduire le nombre d'utilisateurs et de toxicomanes en général dans la société.

J'aimerais soulever quatre points clés au sujet de la prévention, lesquels ont trait à la tâche que vous vous êtes donnée d'examiner la politique et stratégie nationale antidrogue. Premièrement, dans toute intervention relative aux drogues, seule la prévention est susceptible de réduire la prévalence de la consommation de drogue elle-même, et c'est celle qui pourrait le mieux permettre de réduire les préjudices. Par conséquent, il s'agit d'un volet absolument vital de toute stratégie antidrogue. Toutes les autres mesures que nous prenons ne visent qu'à répondre au problème après coup. Dans ce contexte plus large, les autres volets font tous partie de la prévention. Par exemple, la réduction de l'offre permet d'abaisser la consommation en réduisant l'acceptabilité sociale et la disponibilité physique des drogues. Cependant, la prévention, ainsi qu'on la désigne communément, comprend l'éducation, le marketing social, l'action communautaire et d'autres modes d'influence qui favorisent des attitudes et des choix sains et rendent la consommation de drogue moins populaire. Parmi tous les volets de notre stratégie antidrogue, c'est le plus négligé. Pourtant, c'est celui qui est le plus susceptible d'améliorer la situation en ce qui a trait à la consommation et à l'abus de drogue.

Deuxièmement, la prévention est efficace. Des recherches sur les tendances relatives à la consommation de drogue montrent clairement qu'un message de prévention cohérent contribue de façon marquée à infléchir les normes sociales concernant la consommation de drogue. Pour le tabac et la conduite en état d'ébriété, par exemple, on a noté, au cours des dernières décennies, un déclin marqué de la prévalence, de l'ordre de près de 50 p. 100 dans les deux cas. Ce déclin correspond à de longues périodes—se mesurant en années—d'efforts cohérents dans le domaine de la prévention. En outre, nous disposons aujourd'hui de données considérables montrant que des politiques et des programmes de prévention fondés sur des pratiques exemplaires peuvent favoriser le changement et en produisent effectivement.

Ce qui, au Canada, fait aujourd'hui défaut dans la prévention de l'utilisation de drogues illicites, c'est la vigueur des trois secteurs clés qui génèrent l'efficacité de la prévention, soit l'exhaustivité, la durabilité et la cohérence. L'exhaustivité signifie que la prévention se compose de nombreux messages prenant de nombreuses formes. Il ne peut s'agir d'un programme unique, et on ne peut non plus s'attendre à ce qu'un seul et même programme puisse produire un changement de comportement. Si nous nous en remettons à des programmes uniques quels qu'ils soient pour réduire la prévalence du phénomène de la toxicomanie, nous allons être déçus, et des critiques adopteront le point de vue répandu, mais faux, selon lequel la prévention ne fonctionne pas.

• 0925

La deuxième qualité, soit la durabilité, signifie qu'on doit laisser les mesures de prévention en place pendant un long moment pour produire un impact. Il faut du temps pour induire du changement, les normes sociales étant les principales forces en cause. La prévention est tout particulièrement susceptible à l'incohérence découlant de défaut de mise en «uvre ou de tentative d'intégrer les mesures dans un mandat politique ou un projet pilote, la prévention étant un mécanisme qui exige du temps.

La troisième qualité, soit la cohérence, indique que nos messages de prévention devraient être clairs et uniformes; ils ne doivent pas non plus se contredire l'un l'autre. Au cours des dernières années, ils ont été incohérents en ce qui concerne les drogues illicites, en particulier la marijuana, ou je devrais peut-être plutôt dire qu'ils ont été constamment absents: il est certain que nous avons baissé notre garde, surtout relativement à cette substance. L'initiative Les drogues, on en parle, qui remonte à la fin des années 80, a été la dernière campagne antidrogue menée au pays par le gouvernement fédéral.

Troisièmement, la prévention a pour effet de réduire l'acceptabilité sociale générale et la disponibilité des substances. La consommation d'alcool, de tabac, de marijuana et d'héroïne, par exemple, tient en gros au niveau d'accessibilité sociale et de disponibilité économique et physique de chacun. Le tabac et l'alcool, parce qu'ils sont utilisés plus et par un beaucoup plus grand nombre de personnes, génèrent des coûts économiques et sanitaires apparents plus importants. On ne devrait pas en conclure que d'autres substances sont nécessairement moins nuisibles ni qu'il convient de les traiter de la même façon. La prévention exige du temps et passe par l'atteinte d'un seuil à partir duquel l'opinion publique et les attitudes s'orientent vers la responsabilité et s'écartent de l'utilisation et des pratiques nuisibles. Au fil du temps, l'absence de messages de prévention peut avoir un effet nuisible apparent à la fois sur la consommation et les attitudes.

Quatrièmement, la prévention doit s'inscrire dans un programme d'intervention, équilibré face aux drogues. La prévention, le traitement et la réduction de l'offre de drogues sont les piliers principaux d'une initiative de lutte antidrogue. La prévention indique le chemin vers des attitudes et comportements sains en augmentant les actifs individuels et collectifs, en corrigeant les informations erronées et en constituant une toile de fond solide pour d'autres volets d'une intervention, y compris le soutien de l'intervention en question par le public. Le traitement, pour peu qu'il soit adéquat, aide les toxicomanes à renoncer à leur habitude, ce qui, en dernière analyse, est l'objectif éthique que nous devions poursuivre dans nos interventions auprès des toxicomanes.

La réduction des préjudices, qui constitue un quatrième pilier, peut constituer une étape importante en vue de l'arrêt de la consommation en protégeant les toxicomanes contre des préjudices graves jusqu'à ce qu'on puisse mettre un programme de traitement et de réadaptation adéquat à leur disposition.

Récemment, cependant, la notion de «réduction des préjudices» est devenue une sorte d'expression à la mode ou d'euphémisme utilisé pour souligner la libéralisation de la politique relative aux drogues. Une telle politique aurait pour effet de dévaloriser la prévention et d'envoyer un mauvais message aux segments les plus vulnérables de la population. C'est assurément ce qui s'est produit partout où de telles politiques ont été adoptées. On n'aurait pas là une approche équilibrée, et nous devons miser sur une approche équilibrée faisant appel à tous les piliers.

La prévention est un élément vital de toute stratégie antidrogue. Nous devons adhérer à ses principes non seulement en paroles, mais aussi au moyen de mesures concrètes grâce auxquelles nous pourrons mettre des programmes en place de façon adéquate et cohérente, tout en sachant qu'ils exigent un engagement à long terme. La prévention constitue non seulement le volet le plus positif de toute stratégie antidrogue et de toute approche exhaustive des drogues, mais elle représente de surcroît le volet le plus efficient. J'invite les membres du comité à répondre avec vigueur à la nécessité du renforcement de la prévention au pays et à veiller à ce que d'autres volets de notre stratégie antidrogue nationale n'aillent pas à contre-courant.

J'attends vos questions. Merci.

La présidente: Merci beaucoup, docteur Mangham.

Nous allons maintenant passer au Dr Tyndall. Au profit des membres du comité, je précise que le Dr Tyndall doit nous quitter à 10 heures.

Dr Mark Tyndall (directeur de l'épidémiologie, B.C. Centre for Excellence, Université de la Colombie-Britannique): À 10 h 15.

La présidente: Quelle souplesse!

Dr Mark Tyndall: Merci de m'avoir invité à prendre la parole devant le Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments de la Chambre des communes. Je considère qu'il s'agit d'un enjeu extrêmement important, et je félicite les membres du comité de s'attaquer à lui. Je vous suis reconnaissant de l'occasion qui m'est donnée.

On m'a choisi pour prendre la parole ici ce matin à titre de chercheur intéressé par le phénomène de la consommation de drogues injectables dans le Downtown East Side de Vancouver et de médecin appelé à traiter des infections au VIH parmi des groupes marginalisés. En réalité, je suis ici ce matin à titre de citoyen préoccupé et sincèrement convaincu que notre approche des drogues illicites et de leurs utilisateurs est terriblement déréglée. Même si les observations que je ferai ce matin porteront principalement sur la situation à Vancouver, il est certain que les préoccupations qui entourent les préjudices causés par l'utilisation de drogues illicites sont de portée nationale.

• 0930

À titre de médecin, je fais quotidiennement face aux graves conséquences pour la santé de la consommation de drogues, de l'héroïnomane en sevrage au fumeur de crack au sortir d'un épisode de consommation excessive de 72 heures en passant par l'adolescente battue dont le rendez-vous a mal tourné. Il y a là quelque chose de terriblement mauvais. Je suis convaincu que les drogues ne sont pas seules en cause. Il y a dans notre lutte antidrogue des éléments qui ont pour effet de rendre une situation mauvaise nettement plus mauvaise que nécessaire.

Depuis deux ans, je dirige l'étude sur les consommateurs de drogues injectables menée à Vancouver. Dans le cadre de cette étude, on suit plus de 1 400 utilisateurs de drogues injectables vivant à Vancouver. Outre des tests de dépistage du VIH et de l'hépatite C, nous colligeons des données détaillées sur les comportements sexuels, les types de consommation, l'incarcération, le logement et l'utilisation des services de santé. L'étude a débuté en 1996 pendant l'épidémie de VIH qu'a connue le Downtown East Side de Vancouver. À l'heure actuelle, 35 p. 100 des participants à l'étude sont séropositifs pour le VIH, et plus de 90 p. 100 sont porteurs de l'hépatite C.

La vaste majorité des participants continue de consommer des drogues injectables en dépit des conséquences physiques et sociales manifestes. En fait, la plupart d'entre eux ont de très longs antécédents de toxicomanie. Souvent, ils ont commencé à consommer pour atténuer les souffrances imputables à la violence physique, à la violence sexuelle, à la dissolution de la famille et à la maladie mentale. Fait tragique, plus de 10 p. 100 des membres de la cohorte totale sont déjà morts, la moitié d'entre eux à la suite d'une overdose. Il est difficile de dire combien de ces overdoses ont en réalité été délibérées.

Comme l'étude porte sur le Downtown East Side, plus de 80 p. 100 des participants résident à proximité. Rares sont ceux qui travaillent, et la plupart d'entre eux vivent de prestations d'aide sociale ou d'invalidité, sans oublier une allocation de logement fixe qui les condamne essentiellement à vivre dans le quartier. La plupart d'entre eux habitent dans des maisons de chambres qui tombent en décrépitude, la plupart font appel aux banques alimentaires et à d'autres organismes de bienfaisance, et la majorité est profondément ancrée dans la culture de la rue et de la drogue.

Plus de 70 p. 100 d'entre eux ont été emprisonnés pour des activités liées aux drogues, et la plupart des femmes qui participent à l'étude se prostituent pour continuer de se droguer. De toute évidence, il s'agit d'une collectivité qui représente les personnes rejetées, dépossédées, marginalisées et, dans de nombreux cas, désespérées. Ce sont des victimes de la société, des drogues et de la négligence.

Il convient de mentionner clairement que l'épidémie de VIH que connaît Vancouver est principalement tributaire de l'utilisation de cocaïne sous forme injectable. Même si on a souvent affaire à des utilisateurs de multiples drogues, y compris l'héroïne, le crack, la marijuana, l'alcool et un éventail d'autres substances, c'est la consommation de cocaïne sous forme injectable qui représente le risque le plus élevé de transmission du VIH et de l'hépatite. La cocaïne est également associée à nombre de cas d'infections imputables aux injections.

Souvent, les consommateurs de cocaïne sous forme injectable passent par des périodes de consommation excessive au cours desquelles ils s'injectent 20 ou 40 doses consécutives, ou même plus, au cours d'une courte période. À chaque occasion, les risques de pratiques d'injection non sûre ou de partage de seringues par inadvertance sont amplifiées. Dans notre étude, les cocaïnomanes invétérés sont sept fois plus susceptibles que les toxicomanes qui ne s'injectent pas de cocaïne d'être infectés au VIH.

On a dit que les stratégies de réduction du préjudice ne feront qu'encourager les toxicomanes actuels à continuer de consommer et inciteront les autres à commencer. Rien, dans l'étude réalisée à Vancouver ou dans celles qui ont été réalisées dans d'autres villes ayant adopté une approche fondée sur la réduction des préjudices ne permet de l'affirmer. En fait, la commission Le Dain a cité le Downtown East Side comme la capitale de la drogue du Canada dès 1972, soit longtemps avant qu'on songe à la réduction des préjudices.

Dans nos études, nous constatons que les deux principales raisons qui font que les toxicomanes vivent dans le quartier sont les logements à bon marché et la disponibilité des drogues. Dans notre étude la plus récente, on n'a retrouvé aucun participant ayant affirmé avoir été attiré dans le quartier par le programme d'échange de seringues, et moins de 5 p. 100 des répondants ont fait état d'autres services qui les avaient attirés ou qui les incitaient à demeurer sur place.

Même si le Downtown East Side constitue une cible d'intervention critique qui va de soi, l'utilisation de drogues injectables est rapidement en voie de s'étendre à d'autres régions de la province. Dans d'autres villes et villages de plus grande taille, de nombreuses versions du Downtown East Side sont en voie d'apparaître. Il s'agit d'une situation particulièrement préoccupante étant donné l'absence des services sociaux et sanitaires les plus fondamentaux qui permettent de lutter contre le problème.

Les communautés des Premières nations sont particulièrement vulnérables à l'introduction et à la propagation de la dépendance à la cocaïne et à l'héroïne. Certains craignent, non sans raison, que l'épidémie de VIH et d'hépatite C aura un impact disproportionné sur les citoyens des Premières nations.

La ville de Vancouver a été l'hôte d'une horrible étude naturelle de la consommation de drogue et, plus récemment, de la transmission du VIH et de l'hépatite. Dans le cadre de rencontres internationales, on cite sans cesse Vancouver à titre d'exemple de ville n'ayant pas su se prémunir contre une grave épidémie de VIH. Si on continue de nous empêcher d'offrir les services et les interventions même les plus modestes, on présentera Vancouver comme la ville qui n'a rien fait une fois l'épidémie déclenchée.

• 0935

Il est ironique de penser que nous consacrons presque tous nos efforts et la quasi-totalité de nos ressources à la lutte contre la criminalité, à la réduction de la consommation de drogue (sociale), à la restriction de la prostitution et au traitement de maladies liées aux drogues, tout en négligeant pour l'essentiel les causes sous-jacentes du problème. Les coûts médicaux à eux seuls sont stupéfiants: en effet, nous continuons d'appliquer un modèle en vertu duquel on assure des soins tertiaires coûteux pour le traitement de maladies qui peuvent parfaitement être prévenues.

Vancouver et d'autres villes canadiennes ne sont pas les seules à tenter de réduire les préjudices associés à la consommation de drogues illicites. Nous pouvons nous tourner vers quelques villes européennes qui, au moyen de stratégies exhaustives de réduction des préjudices, ont obtenu des réussites remarquables dans le traitement des problèmes liés à l'utilisation de drogues à mauvais escient.

Francfort, en Allemagne, est peut-être l'exemple le plus probant de ville qui a transformé un milieu de la drogue important et ouvert en un environnement bien administré, contrôlé et relativement sûr. Il convient toutefois de noter qu'on n'a pas éliminé le phénomène de la consommation de drogues illicites.

Même si les toxicomanes et les non-toxicomanes de partout admettent que la consommation de drogue, comme on le constate dans le Downtown East Side, est une habitude non viable et mortelle, le sevrage passe uniquement par la prestation intégrée de services à long terme.

Dans ce débat, une chose ressort clairement: quelque chose doit changer. Il est dans l'intérêt de chacun d'aller de l'avant, en particulier les toxicomanes. Contrairement à la croyance populaire, la vaste majorité des toxicomanes préférerait se retrouver dans une autre situation. Ils ne sont pas des ambassadeurs d'une consommation plus grande.

Trop souvent, on présente les toxicomanes comme des êtres complaisants, moralement corrompus et, de façon générale, responsables des problèmes sociaux et économiques de nos centres urbains. Une telle recherche de boucs émissaires est tout à fait improductive et occulte le véritable problème. De façon plus précise, la toxicomanie est au premier chef un problème de santé publique qu'on devrait aborder au moyen de programmes de prévention et de traitement.

Qu'il s'agisse du marchand qui souhaite exploiter une entreprise, du groupe d'aînés qui tient à ce que les rues soient sûres, du gouvernement provincial qui tente d'équilibrer les budgets de la santé, des activistes politiques qui réclament la justice sociale, des policiers qui souhaitent réduire les taux de criminalité ou de la personne qui vit dans la rue et qui vient tout juste d'être témoin de l'overdose d'un ami, le statu quo n'est pas une option. On doit établir clairement auprès de tous les groupes touchés par la toxicomanie qu'une approche fondée sur la réduction des préjudices n'a pour but ni de promouvoir ni de légitimer la consommation de drogues. En fait, il s'agit plutôt d'une approche rationnelle qui profitera à tous.

À huit pâtés de maison de l'hôtel, on retrouve le quartier le plus pauvre du Canada, la concentration peut-être la plus forte d'utilisateurs de drogues injectables au monde et des taux de VIH qui se comparent à ceux de l'Afrique du Sud. A-t-on besoin d'être davantage convaincu de la nécessité du changement? Je ne peux penser à aucune intervention qui ferait en sorte que la situation soit plus mauvaise qu'elle ne l'est aujourd'hui.

Le débat actuel fait rage depuis longtemps. Les décideurs doivent prendre des mesures énergiques maintenant. Faire moins serait irresponsable et, à mon avis, répréhensible.

Un certain nombre de mesures précises s'imposent. Bon nombre d'entre elles figurent dans des rapports qui existent déjà et dans des recommandations qui ont été répétées à l'envi. On pense par exemple à de meilleurs programmes de prévention et de sensibilisation du public, à l'agrandissement des centres de désintoxication et de traitement, à des solutions de rechange aux peines d'emprisonnement, à l'établissement de salles d'injection sûre, à l'amélioration des programmes de distribution de seringues, à la multiplication des choix qui s'offrent dans le domaine des thérapies fondées sur la substitution de drogues, à des services de méthadone de meilleure qualité, à des programmes novateurs pour les cocaïnomanes et, enfin, à la prestation de traitements du VIH et de l'hépatite C. C'est non pas un manque d'idées qui perpétue l'épidémie, mais bien plutôt l'absence de leadership et de volonté politique.

Que nous soyons motivés par l'intérêt personnel, une compassion sincère ou quelque chose se situant entre les deux, nous devons réaliser des progrès dans le dossier. Des vies sont gâchées, le VIH se répand, les villes se détériorent, et des jeunes meurent pendant que cet interminable débat fait rage.

Les Canadiens bénéficient d'une excellente occasion de faire preuve d'un leadership mondial en adoptant une approche équilibrée, humaine et éclairée de la consommation de drogues illicites, laquelle se traduira, en dernière analyse, par une amélioration de l'état de santé et du bien-être de la société. Les administrations municipales, provinciales et fédérales doivent comprendre que les conséquences sociales et économiques de l'inaction dans le dossier des drogues illicites sont inimaginables.

Je vous remercie.

La présidente: Je vous remercie, docteur Tyndall.

Nous allons maintenant passer au Dr Somers.

M. Julian Somers (département de psychiatrie, Université de la Colombie-Britannique): Je vous remercie.

Je suis très reconnaissant de l'occasion qui m'est donnée de m'adresser ce matin aux membres du comité spécial. Ce n'est que très récemment que j'ai été invité. Je vais donc m'en tenir à des observations préparées relativement brèves, dans l'espoir d'ajouter d'autres éléments dans le cadre de la discussion et de la période de questions.

D'entrée de jeu, je tiens à reprendre à mon compte certains points qui ont déjà été soulevés. Un aspect qui revêt à mes yeux une très grande importance, c'est que la prévalence de la consommation de drogues illicites rend compte des thèmes généraux de la désintégration sociale et que la consommation de drogues, la dépendance ou la toxicomanie ne renvoient pas à l'intérêt personnel du toxicomane. En fait, le toxicomane a plutôt intérêt à surmonter les préjudices associés à la consommation. Je pense que c'est à nous qu'il incombe d'explorer les moyens de donner à ces personnes la possibilité de promouvoir leur intérêt personnel.

• 0940

Je vais dire un mot de trois enjeux précis qui ont été soulevés dans le document de travail qu'a fait circuler le comité spécial, notamment en ce qui a trait à la recherche, au rôle de la participation publique et du dialogue public et, enfin, de la réduction des préjudices.

On a soulevé un certain nombre de questions. On s'est notamment demandé si l'état actuel des données des connaissances de la recherche dont nous disposons est suffisant pour que nous puissions prendre des décisions stratégiques éclairées. Comme tout psychologue qui se respecte, je vais répondre par oui et par non.

Le «oui» est probablement le plus important. Je pense que les données dont nous disposons aujourd'hui au pays renferment des lacunes. La réglementation provinciale des questions relatives à la santé et à la toxicomanie est, pour une large part, ce qui explique les écarts dans les normes relatives à la collecte et à la gestion de données. Mieux intégrer nos bases de données constituerait indiscutablement un avantage. Cependant, je pense que le principal problème tient au fait que les connaissances issues de recherches dont nous disposons ne sont pas utilisées de façon efficace.

En ce qui concerne la consommation de drogues et les facteurs qui influent sur elles, l'historique est immense, et il existe dans d'autres pays de grandes quantités de données concernant la prévention, le traitement efficace et la politique gouvernementale relative à la consommation de drogues dont nous pourrions, je pense, nous inspirer. Le défi est le suivant: quel est le meilleur moyen de tirer des enseignements des leçons apprises ailleurs?

C'est ce qui m'amène à parler de la question de la participation du public. Les exemples d'autres pays qui viennent immédiatement à l'esprit, qu'il s'agisse de la Suisse, de l'Allemagne, des Pays-Bas, de l'Angleterre ou d'autres, sont tous pertinents. Lorsqu'on s'intéresse à ces exemples, on occulte souvent, me semble-t-il, l'évolution de chacun.

Les Suisses, par exemple, ont étudié et défait de nombreux référendums portant sur les dispositions législatives relatives à la consommation de drogues et les réformes des politiques s'y rapportant avant de finir par adopter ce qui, aux yeux du reste du monde, semble constituer des mesures relativement radicales. Tandis que toute notre attention se tourne vers le côté radical de ces mesures, je pense que les questions relatives à la participation du public, au débat public et à l'examen de solutions de rechange constitue un facteur qui contribue considérablement à la réussite ultime et à la tolérance à l'égard des erreurs, au moment où on réforme les politiques et les pratiques relatives à la consommation de drogues.

Ici, nous réalisons certains progrès. Des rencontres comme la nôtre sont de nature, me semble-t-il, à contribuer à l'information du public, mais il faut faire bien davantage.

M. Reist a présenté le modèle des étapes du changement, qu'on consulte massivement dans le contexte du traitement de la toxicomanie, étant donné que de nombreuses personnes entreprennent de changer sans vraiment y avoir réfléchi au préalable. Elles passent ensuite par un certain nombre d'étapes et rechutent souvent, auquel cas elles entreprennent une fois de plus le cycle du changement.

Je pense qu'on peut appliquer le même modèle au public: il suffit d'associer les membres des familles et des collectivités eux-mêmes touchés par la toxicomanie à l'étude de changements particuliers, par exemple l'introduction de centres d'injection sûre dans leur collectivité ou l'aiguillage des toxicomanes vers des centres de santé mentale ou des tribunaux consacrés aux drogues. Dans de nombreuses circonscriptions, ils se montrent d'abord très sceptiques relativement à l'efficacité de ce genre de mesures, ou encore ils se préoccupent davantage des risques de perturbations qui y sont associés.

• 0945

Je pense que l'expérience acquise au fil de l'introduction minutieuse de telles mesures, du point de vue des données et de l'évaluation soigneuse des stratégies adoptées, revêt une importance vitale. Des instituts comme les IRSC, dont l'un des instituts, il convient de le souligner, a pour mandat d'étudier les toxicomanies, ne sont pas idéalement positionnés pour fournir ce type de données non seulement importantes pour les législateurs, mais aussi cruciales pour les particuliers directement concernés par les changements. Ce type d'évaluation de programmes, comme on l'appelle fréquemment, est, c'est notoire, habituellement laissé pour compte dans le cadre des budgets et de la planification des programmes.

Le moment venu d'introduire des changements dans le domaine de la consommation de drogues, selon notre expérience, une fois de plus, des politiques faisant en sorte que ce type de recherches s'effectuent de façon crédible sont absolument essentielles à l'information du public et à sa participation stratégique. C'est ce qui m'amène au dernier point que je souhaite soulever, c'est-à-dire le problème de la réduction des préjudices.

Je suis d'accord avec M. Reist et le Dr Mangham pour dire qu'il vaut mieux voir dans la réduction des préjudices la description d'une philosophie plutôt qu'une mesure qui s'apparenterait davantage au sceau d'intervenants professionnels et que la réduction des préjudices doit s'inscrire dans un continuum de soins, comme une mesure partagée socialement s'inscrivant dans un continuum de soins. Cependant, une fois de plus, les expériences que nous avons cumulées à la suite de l'introduction de mesures aujourd'hui à l'étude devant des comités comme le vôtre, lesquelles visaient à répondre aux besoins des toxicomanes, constitue en réalité un point de départ.

Prenons par exemple le dossier de la méthadone: selon la documentation sur nos services actuels de planification des services de méthadone, que personne ne semble se donner la peine de consulter, la méthadone constitue pour de nombreuses personnes la porte d'entrée des services de traitement. Cependant, l'efficacité des programmes de méthadone semble dépendre dans une large mesure de l'intervention de services de counselling et d'autres formes de soins qui peuvent être annexés à un programme de traitement à la méthadone, par exemple la préparation au travail, les besoins en logement et la satisfaction d'autres besoins liés aux services familiaux et sociaux. L'efficacité des traitements à la méthadone, en marge de ce continuum plus vaste, semble nettement plus douteuse.

Grâce à un tel continuum de services, dans lequel les fournisseurs de services de traitement professionnel devraient à juste titre s'inscrire, on pourra, du moins je l'espère, commencer à intégrer les services à ceux d'autres organismes communautaires et au rôle des familles et des employeurs. Lorsque le continuum de services se déplacera des organismes et des fournisseurs professionnels vers les autres structures plus stables de nos collectivités, par exemple les familles, j'espère qu'on pourra remédier au problème de la toxicomanie, en tant que reflet de la désintégration sociale, et que, grâce à ce continuum, nos pourrons arriver à la réintégration sociale. Cependant, je ne crois pas que cela soit moins complexe—tant s'en faut, que le continuum complet que je me suis employé à dépeindre.

Je vous remercie.

La présidente: Merci, docteur Somers, et merci d'avoir comparu même si vous avez été prévenu à la dernière minute.

Nous avons du temps pour la période de questions, soit environ 40 minutes. Je vais donc commencer par M. White. Nous allons débuter par une ronde de sept minutes, puis nous allons revenir pour une ronde de trois minutes.

M. Randy White (Langley—Abbotsford, Alliance canadienne): Je vous remercie, madame la présidente, et merci à tous d'être venus ce matin. Vous avez abordé la question sous des angles différents, mais similaires.

Je voulais vous poser des questions au sujet de deux ou trois observations que vous avez faites. Docteur Tyndall, vous avez dit que le débat faisait rage depuis bien trop longtemps, et je suis d'accord avec vous sur ce point. Nous nous efforçons toujours de comprendre une situation qui existe depuis 20 ans au pays.

• 0950

L'un de vous a laissé entendre que le Downtown East Side est en quelque sorte devenu un site touristique. J'ajoute qu'il s'agit d'un très vaste site touristique. Malheureusement, les personnes souhaitent aller se rendre compte par elles-mêmes, mais nous ne semblons pas avoir les moyens de régler le problème.

J'aimerais inviter chacun d'entre vous à aller au coeur du problème, du point de vue de l'action du gouvernement fédéral, peu importe lequel, dans une perspective historique. Quels sont les rôles primaire et secondaire du gouvernement fédéral? C'est ma première question. Je ne dispose que de sept minutes. Je vous invite donc à me donner une réponse brève. J'ai quelques autres questions que je tiens à soulever.

Peut-être, Colin, pourriez-vous nous dire ce que sont, aujourd'hui, les rôles principal et secondaire du gouvernement fédéral.

M. Colin Mangham: Le rôle principal du gouvernement fédéral consiste à assurer le leadership et à donner les orientations. Si le pays doit faire preuve de leadership, je pense que le gouvernement fédéral fait preuve de plus de stabilité dans ce domaine que les gouvernements provinciaux, en particulier ici en Colombie-Britannique, où on observe un mouvement de balancier assez prononcé. Le gouvernement emploie l'essentiel de son temps à défaire ce que le gouvernement précédent a fait. Le moment venu d'établir l'orientation stratégique, la première étape consiste donc à décider ce que nous souhaitons accomplir au pays dans le dossier des drogues.

Les approches varient selon les pays. En Europe, continent auquel je me suis beaucoup intéressé dernièrement, on retrouve certaines approches fort différentes, mais elles ont au moins le mérite d'être claires. À titre d'exemple, la Suède a adopté une déclaration simple selon laquelle l'accès aux drogues ne devrait pas être facile. D'un programme axé sur la réduction des préjudices, on est revenu à une politique restrictive. Dans d'autres pays, on observe également les orientations très claires.

Je pense que le gouvernement fédéral d'ici doit veiller à la tenue de discussions et de débats ouverts. Les propos du Dr Somers au sujet de la nécessité d'un débat public m'ont plu. La question est trop importante pour qu'on s'en remette aux délibérations d'un comité ou aux personnes intéressées à soumettre un mémoire.

Voilà ma réponse. Je vous remercie.

M. Randy White: Dan.

M. Dan Reist: En ce qui concerne les toxicomanies, je pense qu'il est très important qu'on ne se contente pas de voir les problèmes et les solutions comme autant de modules distincts. C'est l'approche qu'on a eu tendance à préconiser par le passé: ajouter ce genre de programmes à ce genre de programmes, et mettre des éléments pêle-mêle dans le même panier.

Dans son approche du problème, le gouvernement fédéral peut donner l'exemple d'une approche exhaustive et concertée. Dans un premier temps, il peut montrer comment unir les efforts des organismes et des ministères touchés par les questions relatives à la toxicomanie et commencer à harmoniser les politiques et à associer les provinces et les territoires à ce processus axé sur la collaboration. En ce qui a trait à cette approche concertée et exhaustive, le gouvernement fédéral a un rôle de leadership et de modèle à jouer. Je pense que c'est la première et la plus importante contribution que le gouvernement fédéral puisse apporter.

En ce qui a trait à la prestation effective des services, le gouvernement fédéral dispose de certains leviers importants par l'intermédiaire de Santé Canada—la capacité d'effectuer des recherches et de réunir un ensemble de connaissances pour pouvoir ensuite les évaluer dans le contexte canadien. Puis, on créera l'ensemble des moyens de recherche et de soutien nécessaires au mécanisme de prestation, avec un peu de chance non seulement au niveau provincial, mais aussi au niveau communautaire et régional, de façon que le système de prestation de services dispose des mécanismes de soutien dont il a besoin.

Dr Mark Tyndall: Pour ma part, j'estime que le rôle principal du gouvernement fédéral consiste à ne pas créer des obstacles superflus au changement. Bon nombre de changements passent par des efforts déployés à la base, et il existe déjà un mouvement en ce sens. Le gouvernement fédéral a un rôle à jouer en facilitant les choses et en déblayant le chemin pour les intéressés. Il doit éviter d'établir de vastes programmes suivant une perspective descendante, dans l'espoir que les membres de ces groupes adopteront ses politiques.

Vancouver est un bon exemple de ville où la bureaucratie bloque un engagement communautaire très fort. Dans de nombreux cas, ce n'est peut-être pas le gouvernement fédéral qui est en cause. Si, en revanche, les gouvernements pouvaient s'écarter pour laisser les choses suivre leur cours...

• 0955

La vérité, c'est que seul un tout petit pourcentage de la population est touché directement par la consommation de drogues illicites. Même si cette situation a de graves conséquences sociales, sondez les Canadiens au sujet de la consommation de drogues illicite, et vous constaterez que l'opposition vient pour l'essentiel—les personnes touchées ne sont pas très bien informées. Les personnes très bien informées ont de bonnes idées, et le gouvernement fédéral doit leur permettre de mettre leurs solutions en valeur.

Deuxièmement, je pense que les interventions que nous effectuons doivent être évaluées adéquatement, ce qui exige des fonds. Le gouvernement joue un rôle dans ce domaine également.

La présidente: Merci.

Docteur Somers.

M. Julian Somers: Une fonction relativement importante consiste à donner, au bénéfice des Canadiens, une idée du contexte général dans lequel on doit comprendre le phénomène de la consommation de drogues. Dans d'autres pays, la consommation de drogues et les toxicomanies relèvent de la responsabilité d'un ministère également chargé du sport. Si j'en parle, c'est simplement pour donner un exemple de moyen qui pourrait être pris au niveau fédéral pour définir un contexte qui, dans ce cas, a trait à la consommation de drogues et au bien-être, suivant une certaine forme de continuum implicite. Il s'agit d'une fonction à mes yeux très importante.

Deuxièmement, pour reprendre les mots du Dr Tyndall, on doit définir un cadre exhaustif d'évaluation de nos efforts. Si on souhaite mettre en commun l'énergie et les initiatives entreprises dans diverses régions du pays, la responsabilité pourrait logiquement relever du gouvernement fédéral.

Troisièmement—ce qui va peut-être dans le sens des deux aspects de la formule—le cadre métaphorique et l'évaluation—, on doit entretenir des relations à long terme avec des conseillers capables de faire référence aux documents de recherche. On est peut-être déjà en mesure de le faire sous l'égide de Santé Canada. Je n'en sais rien.

Je travaille au sein d'une unité qui conseille depuis longtemps le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique. L'une des choses que nous avons apprises, c'est que la qualité des données dont nous nous inspirons n'est qu'une condition de notre efficacité. Par moments, la capacité d'entretenir des relations de confiance mutuelle entre notre unité—les chercheurs, les spécialistes des recherches appliquées—et les représentants du gouvernement joue un rôle beaucoup plus grand. L'existence de ce type de dialogue, pouvant s'incarner dans un porte-parole national—ainsi qu'on en évoque la possibilité dans le document de travail—, constituerait un élément vital de la réussite du gouvernement fédéral, dans les domaines du cadre et de l'évaluation.

La présidente: Je vous remercie, docteur Somers.

Pardonnez-moi, mais vous allez devoir revenir au moment de la deuxième ronde. Vous avez déjà disposé de près de neuf minutes.

Madame Davies.

Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): D'abord et avant tout, je vous remercie tous de votre présence aujourd'hui. Je suis heureuse que le comité se réunisse à Vancouver.

D'entrée de jeu, je tiens à préciser que, après de si nombreux rapports, je partage la frustration ambiante. L'étude consacrée aux utilisateurs de drogues injectables de Vancouver a joué un rôle très important en jetant un éclairage sur la réalité de ce qui est arrivé à Vancouver. Il y a toutefois eu de si nombreux rapports... Ils sont tous empilés sur nos bureaux, du rapport de John Miller aux rapports nationaux en passant par les rapports des conseils de la santé. J'ai l'impression qu'ils répétaient tous la même chose. Il y a aussi celui que la Kaiser Foundation a fait parvenir au gouvernement de la Colombie-Britannique il y a à peine quelques mois.

Si des signes de frustration se font sentir, c'est parce que nous en sommes toujours à débattre de la signification de la réduction des préjudices. Pour ma part, j'aimerais qu'on jette tout ce jargon par la fenêtre pour se concentrer sur le travail à accomplir.

À cet égard, je pense que Mark a soulevé un point très important en affirmant que l'initiative devait venir de la base. À maints égards, les bureaucrates qui passent pour des spécialistes ont défendu le statu quo. Pour leur part, les personnes qui travaillent au niveau local nous ont montré que le statu quo ne donnait pas de résultats.

• 1000

De ce point de vue, je sais que, samedi dernier, on a aménagé un centre d'injection sûre dans la First United Church, dans le cadre d'un projet de démonstration. Tout est prêt. En fait, il s'agit d'une solution relativement facile à adopter. Il s'agit d'une intervention à très faible niveau. À l'heure actuelle, quels sont, à vos yeux, les obstacles? C'est une question.

Deuxièmement, Dan, vous avez fait allusion au rapport intitulé Weaving Threads Together, que vous avez adressé au gouvernement provincial. Sur la quatrième de couverture, on trouve le modèle de continuum que vous proposez, lequel constitue à mes yeux une approche très bonne et exhaustive. Où en est-il aujourd'hui?

Si je me rappelle bien, le gouvernement antérieur l'avait adopté. Je n'ai aucune idée de l'état actuel des choses. Savez-vous si le dossier suit son cours ou si l'idée est morte de sa belle mort? Cela fait partie du problème, n'est-ce pas? Nous avons affaire à des représentants élus qui poursuivent un programme politique. Les enjeux font donc l'objet d'un brassage continu.

Je vous invite à répondre à ces questions.

La présidente: Qui veut parler en premier?

Dr Mark Tyndall: En ce qui concerne le centre d'injection sûre, je crois que la question est devenue un sujet brûlant d'actualité à Vancouver et sur la scène internationale. À l'occasion de conférences internationales sur la réduction des préjudices, on consacre des segments complets à cette question.

Dans certains cas, ces centres peuvent entraîner une véritable diminution du nombre de décès par overdose et d'injections risquées. On nous en a déjà fait la démonstration. De tels centres ont déjà été établis dans d'autres pays. Il ne s'agit donc pas véritablement d'une mesure audacieuse. Elle a fait ses preuves.

Dans un cas aussi désespéré que celui du Downtown East Side, où on retrouve un grand nombre de personnes qui s'injectent des drogues à côté des poubelles, l'établissement de tels centres constitue à mes yeux une approche raisonnable et humaine des graves problèmes auxquels les toxicomanes en question sont confrontés.

En marge d'une approche exhaustive, il s'agit toutefois d'une avenue importante qui permet de mobiliser les intéressés. Si on offre au jeune ramassé dans la rue le choix d'aller en prison ou de se rendre dans une salle d'injection sûre où il pourra avoir d'autres soins et être aiguillé vers d'autres services—avec un peu de chance vers les centres de traitement et de désintoxication, lorsqu'il sera prêt—je pense qu'il s'agit d'un élément crucial.

Ce qui nous retient, c'est, une fois de plus, me semble-t-il, la bureaucratie. En fait, je ne crois pas que l'idée suscite une vive opposition dans la collectivité. Je pense que l'administration municipale, le maire et les chercheurs y sont favorables; quant à la communauté, elle y est très favorable. Je pense donc qu'on devrait aller de l'avant, et on le fera probablement bientôt. J'ignore quels obstacles pourraient bien exister aujourd'hui.

Il y a même des embûches juridiques. Lorsque le projet de démonstration sera amorcé à Vancouver, le gouvernement aura peut-être un rôle à jouer dans la mesure où des modifications ou des mesures de clémence spéciales devront être prévues pour éviter que les intéressés ne soient arrêtés. Je pense toutefois qu'on devrait aller de l'avant.

La présidente: Nous allons entendre le Dr Reist puis le Dr Mangham.

M. Dan Reist: Vous avez posé une question au sujet de l'état des recommandations formulées dans le rapport Weaving Threads Together, lesquelles avaient été adoptées par le gouvernement provincial précédent. Ensuite, comme vous le savez, il y a eu une élection et un changement de gouvernement.

Au moment de l'élaboration du rapport, nous étions conscients de l'éventualité d'un changement de gouvernement. Nous n'avons pas eu besoin d'un devin. Nous avons donc collaboré le gouvernement provincial en place en ayant soin d'informer l'opposition d'alors tout au long du processus, et c'est ce que nous avons fait.

Après l'élection, comme vous le savez sans doute, la responsabilité des services aux toxicomanes est passée du ministère de l'aide à l'enfance et à la famille au ministère des services de santé. Le ministre actuel des services de santé a, à l'assemblée législative provinciale, fait référence au rapport, dont il a appuyé les recommandations. Dans le contexte politique actuel, il n'y a donc pas d'opposition; en fait, on semble favorable à la mise en «uvre des recommandations.

Le problème, c'est que dans le contexte d'une réorganisation et d'une restructuration massives comme celles qu'ont connues les ministères de la Colombie-Britannique, il a été très difficile de s'attaquer à la mise en «uvre. En résumé, on appuie les recommandations, mais aucun plan de mise en «uvre visant à y donner suite n'a encore été adopté. Nous continuons d'exercer des pressions en ce sens. Impossible de prévoir quand on ira de l'avant.

• 1005

La présidente: Madame Davies, il vous reste 30 secondes.

Mme Libby Davies: Avez-vous des données à jour sur l'état d'avancement des essais cliniques dans le domaine de l'entretien à l'héroïne? Y a-t-il des faits nouveaux dans ce dossier?

Dr Mark Tyndall: Je pensais que Martin Schechter allait être ici. Je ne suis au courant d'aucun fait nouveau, sinon qu'un projet en ce sens a été soumis aux IRSC et qu'on est toujours en quête d'un éventuel financement. Cependant, on n'a encore retenu aucun lieu, et personne n'a été embauché. Je ne me souviens d'aucun autre détail pour le moment.

Mme Libby Davies: S'agira-t-il d'un projet national plutôt que d'un projet pour la seule ville de Vancouver? Est-ce ainsi que vous comprenez les choses?

Dr Mark Tyndall: Oui, il s'agirait d'une initiative conjointe pour Montréal, Toronto et Vancouver.

La présidente: Je vous remercie. Merci aussi de vous en être tenus à la limite de temps.

Monsieur Owen, sommes-nous dans votre circonscription ou dans celle de Mme Davies? Ni l'une ni l'autre?

M. Stephen Owen (Vancouver Quadra, Lib.): Ni l'une ni l'autre. C'est celle de Hedy Fry. Cependant, nous sommes tous touchés par le problème, je peux vous en donner l'assurance.

Merci d'être ici aujourd'hui. En vous accordant si peu de temps, j'ai l'impression non pas de vous insulter, mais bien à tout le moins de nous priver d'occasions plus riches, étant donné l'expertise que vous représentez tous. Permettez-moi de poser quelques questions, une à chacun de vous, à propos de vos exposés.

Monsieur Reist, vous semblez plaider en faveur du besoin d'un modèle administratif matriciel complexe, d'un modèle de prise de décisions et de mise en «uvre. Je suis entièrement d'accord avec vous si c'est ce que vous proposez—tous les ordres de gouvernement, les groupes communautaires, les organismes chargés de l'exécution de la loi, tout le monde.

À la lumière du besoin que vous avez défini, je me demande comment vous mesurez l'Accord de Vancouver, du point de vue conceptuel ou de la façon dont les choses semblent se dérouler ou du déroulement éventuel. En regard du besoin de données que vous avez défini, je me demande comment vous voyez des programmes comme l'étude sur les utilisateurs de drogues injectables de Vancouver comme des programmes à long terme, des mécanismes de collecte de données longitudinales si c'est le genre de données dont nous avons un plus grand besoin.

J'ai été intéressé par la description du modèle à trois dimensions que vous avez faite dans votre tableau des stades d'intervention ainsi que des stades de changement. Vous avez dit que la prévention comporte trois dimensions, ce qui m'apparaît parfaitement sensé.

Dans votre présentation du problème de la prévention, docteur Mangham, je me suis demandé si, relativement à l'équilibre des piliers dont vous avez parlé, vous ne reteniez que trois de ces piliers et oubliiez sciemment la réduction des préjudices. En ce qui concerne l'accent que vous mettez sur la prévention, je me demande de même si vous êtes d'accord avec l'idée présentée par M. Reist selon laquelle la prévention, dans la mesure où elle compte trois dimensions, s'impose à tous les autres stades, et non seulement à titre de modèle préliminaire ou initial.

Docteur Tyndall, j'ai été pris par votre présentation des causes plus larges de la toxicomanie. Dans le même ordre d'idées, je me suis demandé si ce sont les jeunes femmes autochtones pauvres qui aboutissent dans le Downtown East Side et deviennent la proie de la violence, de la violence physique et sexuelle, de la toxicomanie, de la prostitution de rue et si c'est vraiment la consommation de drogue par injection qui est le problème ou s'il s'agit simplement d'une cause qui contribue à tout l'éventail des problèmes sociaux.

Lorsqu'on examine l'exemple d'autres pays et d'autres régions qui ont connu des réussites ou des échecs dont nous pouvons nous inspirer, nous tendons à nous tourner vers l'Europe. À vous entendre, j'ai toutefois l'impression que les expériences tentées en Afrique sont encore plus pertinentes en ce sens qu'on a là affaire à des mouvements de population au départ de villages autochtones pauvres, souvent des jeunes femmes, des hommes qui vont et viennent, des femmes acculées à la prostitution à cause de la pauvreté, agressées en raison de la position peu élevée qu'elles occupent dans la société et qui, par désespoir, deviennent toxicomanes et qui, peut-être, contractent le VIH et l'hépatite C en raison de causes sociales plus que d'une dépendance à des drogues.

En ce sens, docteur Somers, vous semblez, par rapport à l'approche en trois piliers présentée par le Dr Mangham, proposer une approche qui en compterait cinq, les questions relatives à la justice sociale constituant la cinquième. On en revient aux points soulevés par le Dr Tyndall. À moins qu'on adopte une approche à cinq piliers et qu'on fasse peut-être de la justice sociale la toute première approche, nous n'allons jamais, me semble-t-il, répondre à la question précise que nous posons, laquelle a trait au désespoir né de la consommation non médicale de drogues et de médicaments.

• 1010

Quoi qu'il en soit, ce sont les questions que je voulais adresser à chacun d'entre vous, et je pense que vous avez environ 30 secondes des sept minutes qui m'ont été allouées. Dominic m'a permis d'utiliser son temps.

La présidente: Nous allons d'abord entendre M. Reist.

M. Dan Reist: Vous avez posé quelques questions au sujet de mes observations. D'abord et avant tout, vous avez posé une question au sujet de l'accord de Vancouver, et je soutiendrais pour ma part qu'il s'agit d'un modèle valable de planification par faisceau au niveau communautaire et régional, à une exception près. Je fais ici référence au fait que l'absence de leadership légitimé de la part des gouvernements fédéral et provincial vis-à-vis de l'entente a freiné les progrès réalisés dans ce dossier.

Comparons l'efficacité de l'accord de Vancouver, simplement du côté provincial, à l'efficacité dont le gouvernement fait preuve dans la mise en commun du vaste et complexe réseau de services nécessaire à la résolution du problème de Gold River, par exemple. Dans ce dossier, le premier ministre a clairement investi un sous-ministre de la responsabilité et ordonné aux ministres responsables d'autres services de coopérer avec cette personne. Cet accord a évolué de façon très efficace et rapide.

Il suffit de comparer cette situation à l'Accord de Vancouver et à l'absence de leadership légitimé pour constater l'existence de problèmes. Je pense que les gouvernements fédéral et provincial ont fait preuve de négligence dans le dossier de la légitimation de leurs leaders dans le contexte de cet accord. Il faudra corriger la situation pour que l'accord soit efficace.

Comparez aussi avec l'Oregon, où l'établissement de comparaisons entre divers ordres de gouvernement et divers ministères s'est montré raisonnablement efficace, et, une fois de plus, c'est grâce à ce genre de leadership légitimé sous l'égide du gouverneur de l'État que...

M. Stephen Owen: Je veux bien comprendre. Dans le modèle de l'Oregon auquel vous faites référence, on utilise le modèle de planification de l'utilisation du territoire, le modèle de viabilité?

M. Dan Reist: Non, je faisais référence aux initiatives de planification sociale portant sur la planification sociale.

M. Stephen Owen: Dans cet État, on a commencé par un modèle de planification de l'utilisation du territoire, et il semble qu'on utilise le même.

M. Dan Reist: Ils utilisent le même modèle pour à peu près tout. Il est très efficace. Il y aurait certaines leçons à en tirer, mais je ne voudrais pas laisser entendre qu'il pourrait être transplanté ici dans son intégralité.

Deuxièmement, vous m'avez posé une question au sujet de la recherche, et j'applaudis les travaux du groupe chargé de l'étude sur les utilisateurs de drogue injectable de Vancouver. Ce que je dis, c'est qu'il nous faut bien plus d'études de ce genre de même qu'une approche plus exhaustive qui nous permette de faire face au problème lié à la recherche et à l'évaluation relativement à tous les aspects des services aux toxicomanes. C'est un bon exemple. Malheureusement, ils ne sont pas trop nombreux.

En ce qui concerne la prévention, je m'inquiète du fait que la discussion sur les piliers—dans la mesure où je comprends ce qui est dit—a parfois tendance à traiter les choses comme des éléments indépendants et distincts. Je pense que nous devons nous écarter de cette idée d'entités distinctes—les programmes qui portent sur la prévention, les programmes qui portent sur le traitement, les problèmes liés à l'exécution de la loi, les programmes liés à la réduction des préjudices, ou je ne sais quoi—et commencer à comprendre que tout ce que nous faisons comporte de multiples dimensions. Tous les programmes comporteront alors un volet axé sur la prévention, tout comme ils pourraient comprendre un volet axé sur le traitement. Il s'agit simplement d'insister sur tel ou tel aspect de divers continuums plutôt que de croire en l'existence d'entités distinctes.

La présidente: Je vous remercie.

Docteur Mangham.

M. Colin Mangham: Je vais répondre aux deux questions. D'abord et avant tout, je considère la justice sociale comme très importante, mais il ne s'agit ni d'un pilier ni du contexte de quoi que ce soit. Il s'agit d'une lutte de tous les instants et d'un problème constant. Il ne s'agit donc pas simplement d'un volet d'une réponse à un problème unique. Il s'agit donc du contexte dans lequel toutes nos interventions doivent s'inscrire.

De la même façon, je viens d'un monde très différent. Vous entendez des opinions disparates, je crois, mais vous devez vous rappeler que j'ai pour ma part affaire à la population en général et aux enfants. C'est l'image d'un enfant dans un lit avec un nounours qui est à l'origine de ma conception d'une politique nationale antidrogue. Quel est le monde dans lequel je souhaite que cet enfant grandisse? Que voudrais-je que le pays fasse pour venir en aide à cet enfant?

Entre-temps, une autre personne vivant dans un monde tout à fait différent s'interrogera peut-être sur ce qui pourrait être fait à l'angle de Main et de Hastings. Il s'agit d'une mentalité et d'un monde entièrement différents.

Dans ce contexte, le pilier de la réduction des préjudices—le volet ou le fil conducteur de la réduction des préjudices, devient extrêmement important. Ce que je dis, c'est qu'il ne s'agit pas du principal facteur national. C'est l'exception dont on a besoin pour répondre au problème qui est au fond du baril—je ne veux pas utiliser cette expression—ou plutôt aux graves problèmes qui se manifestent de façon plus apparente dans les populations dépossédées.

• 1015

J'observe la situation d'ensemble et je me dis: «Si nous utilisons cette approche, nous n'atteindrons pas les buts escomptés; nous n'allons pas nous engager sur la voie que nous souhaitons pour l'enfant au nounours.»

Deuxièmement, en ce qui concerne la prévention, ma seule préoccupation est de nature pragmatique—j'en ai parlé à Dan. À la table de négociation, chacun s'entend pour dire que oui, nous devrions faire de la prévention et en faire une priorité, qu'on parle d'une troisième dimension ou d'autres choses. Le problème, c'est que—et je parle davantage du point de vue de l'éducation—, c'est que les programmes scolaires parfaitement intégrés, élégants, magnifiques et harmonieux sont souvent des non-programmes. À la fin, personne ne s'en occupe parce que chacun est censé s'en occuper. Le programme se perd.

On ne peut plus perdre la prévention de vue. Si le présent exercice devait ne produire qu'un résultat, il faudrait que chacun s'entende pour dire... il s'agit de la deuxième phrase dans la stratégie antidrogue nationale, mais il suffit de jeter un coup d'oeil aux sommes et aux programmes pour constater que la prévention brille par son absence. C'est pourquoi je m'inquiéterais un peu d'une intégration trop poussée... nous agissons pour le compte de moins de 2 p. 100 de la population, de moins de 10 p. 100 de la marijuana. On ne peut axer la politique nationale antidrogue sur un quartier ne comptant que six pâtés de maisons. Nous devons adopter des politiques gouvernementales différentes pour répondre à des besoins différents. C'est là la marge de man«uvre dont nous avons besoin.

La présidente: Je vous remercie.

Docteur Tyndall.

Dr Mark Tyndall: Je suis d'accord. Il est très important de dissocier le milieu de la drogue dure et ghettoïsé de Vancouver de la politique nationale antidrogue si nous ne voulons pas que nos enfants deviennent cocaïnomanes et héroïnomanes. À mes yeux, il est clair que le déterminant précis à cause duquel des gens se retrouvent là-bas doit venir en tête de liste de nos priorités. Ce n'est qu'ainsi que nous pourrons prévenir la répétition du cycle.

En tant que clinicien, j'ai la possibilité d'interroger mes patients sur ce qui les a conduits là où ils en sont. La plupart d'entre eux ont une histoire personnelle horrible, et ils se sont tournés vers la toxicomanie pour de bonnes raisons. Il est certain que le parcours des personnes à qui nous avons affaire, c'est-à-dire à celles qui vivent dans le centre-ville de Vancouver, revêt certes une très grande importance. De la même façon, il est très important de rompre le cycle. Par ailleurs, la communauté des Premières nations doit occuper une place prééminente sur notre liste de priorités.

Le moment venu d'échapper à la situation, nous sommes par ailleurs confrontés à des personnes qui possèdent un bagage incroyable. Nous avons affaire non seulement à des personnes aux prises avec la toxicomanie, mais il est possible qu'elles soient en plus séropositives pour le VIH, qu'elles aient un casier judiciaire et qu'elles soient en rupture avec leur famille. On ne doit pas s'attendre à ce qu'une intervention, quelle qu'elle soit, fasse subitement d'elles des banlieusards occupant un emploi de neuf à cinq.

Pour certains, nous tentons de réduire les préjudices et de leur permettre de vivre le mieux possible au Canada, ce qui est notre rôle en tant que société compatissante. Compter sur la bonne intervention pour éliminer le problème de façon que chacun soit un citoyen droit, comme nous souhaiterions que chacun le soit, représente, me semble-t-il, une attente relativement inappropriée. Le VIH et l'hépatite C ont conféré une toute nouvelle dimension au problème, et nous faisons aujourd'hui face à des personnes qui sont malades et meurent à cause de leur consommation de drogue.

La présidente: Je vous remercie, docteur Tyndall.

Docteur Somers.

M. Julian Somers: Je vous remercie.

Peu importe le nombre de piliers qu'on jugera prudent d'adopter, chacun, à mon avis, doit être visible dans une stratégie nationale. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que les multiples dimensions et les considérations relatives aux nombreux déterminants de la consommation de drogue sont importantes, tout comme les solutions qui permettent de s'éloigner des problèmes.

Quel que soit le nombre final dont nous conviendrons ou dont le gouvernement conviendra, je pense qu'il est important de réaliser des progrès visibles relativement à chacun des éléments. Nous avons vu—c'est l'expérience que nous avons accumulée jusqu'ici—que les progrès irréguliers, c'est-à-dire lutter contre le problème de façon timide et utiliser des volets de traitement efficace—dessert les intérêts de chacun parce que les efforts en question avortent. Il en résulte une perte de confiance chez tous les intervenants, les fournisseurs de services et les bénéficiaires de services tout autant que chez les citoyens qui observent la situation.

J'ignore si, d'un point de vue stratégique, les tribunaux et la police constituent, d'une certaine façon et dans certaines collectivités, un auditoire plus réceptif devant lequel évoluer. Je fais ici référence à l'ampleur des mesures qui peuvent être prises, dans le domaine de l'exécution de la loi, de la prévention ou de l'un ou l'autre des piliers.

• 1020

Je tenais également à souligner que ces piliers et l'évolution de la stratégie ne devraient pas donner l'impression que la consommation de drogues est un problème qui se limite à un sous-ensemble donné de personnes touchées. De toute évidence, l'utilisation de drogues injectables et la propagation des maladies infectieuses préoccupent au plus haut point, mais les chiffres que vous connaissez déjà indiquent, si on considère le fardeau des maladies que doit assumer la population, que c'est l'utilisation à mauvais escient de drogues ou de médicaments licites qui constitue—et de loin—la préoccupation majeure.

Une fois de plus, on en revient à l'idée d'un continuum. Quel que soit le point de départ que nous adoptions, je pense que nous devons éviter de faire passer un message inexact ou altéré au public au sujet de ce que suppose la consommation de drogue ou la toxicomanie. Nous avons tous la situation d'ensemble en tête. Ça me paraît important, même si nous devons nous attaquer à un volet donné. Je vous renvoie à mes observations au sujet de la réintégration. Nous faisons tous partie du processus, et tous les témoins d'aujourd'hui ont fait ressortir ce thème.

La présidente: Je vous remercie, docteur Somers.

J'ignore, docteur Tyndall, si vous allez être avec nous, mais...

Dr Mark Tyndall: En fait, une conférence sur le traitement se déroule ici. Je vais laisser les...

La présidente: Ce serait merveilleux. Également—et je ne vais pas le répéter pour chacun—je vous invite, à supposer que vous ayez d'autres renseignements que vous aimeriez nous communiquer, à nous les faire parvenir après coup. Si, à la réflexion, vous vous rendez compte que vous avez oublié quelque chose, docteur Tyndall, n'hésitez pas à communiquer avec nous.

Nous allons maintenant passer à M. White pour environ deux minutes.

M. Randy White: Madame la présidente, nous avons devant nous certains spécialistes qui se sont frottés à la pire situation au Canada et peut-être à la pire situation en Amérique du Nord ou même dans le monde. Je ne suis pas de Vancouver, et bon nombre de députés ne le sont pas non plus.

Quand nous fréquentions l'école secondaire, les parents disaient: «Mon enfant va très bien. Il est en neuvième année ou en dixième année, et ses études secondaires vont bien. Il est promis à un brillant avenir.» De nos jours, la plupart des parents disent habituellement: «Mon enfant est à l'école secondaire. J'espère qu'il réussira à passer à travers sans devenir toxicomane ni être agressé», et ainsi de suite. Dans les écoles secondaires, les choses ont bien changé.

Il y a peu de temps, il n'y avait pratiquement pas de prostituées dans la vallée du Fraser, en particulier à Abbotsford, qui était une petite ville paisible. Au dernier décompte, la collectivité comptait plus de 40 prostituées, ce qui, naturellement est également un indice de toxicomanie.

Au chapitre des drogues dans la collectivité, nous avons chez nous la prison du pays dont la réputation est la plus défavorable. Dans les écoles, nous notons une augmentation marquée du phénomène de la toxicomanie. Récemment, j'ai discuté avec un jeune homme qui, au terme d'un vote, avait été désigné comme le meilleur candidat à la réussite. Il était dans un centre de réadaptation, très loin d'où il était venu.

On a mentionné ici que les centres d'injection sûre ou l'idée de réduction des préjudices ne suscitent peut-être pas beaucoup d'opposition. Je peux vous assurer qu'une telle opposition existe. Nous ne devrions pas sous-estimer le phénomène. Dans ma collectivité, cette opposition est très vive. En fait, dans ma collectivité, on s'oppose fortement, je le dis tout net, aux programmes d'échange de seringues, là où les services sont offerts. On se dispute à ce sujet et au sujet d'initiatives même mineures que vous considérez peut-être comme courantes.

Ce dont nous avons besoin, c'est d'une stratégie nationale antidrogue qui fonctionne non seulement dans la rue, mais aussi dans l'ensemble du pays. Croyez-moi, il est difficile de convaincre mes commettants qu'on doit partout aborder le problème comme on le fait dans le Downtown East Side.

Je me demande si l'un ou l'autre d'entre vous pourrait recommander une solution différente pour Vancouver que pour la vallée du Fraser ou une autre région du même type. Les drogues sont omniprésentes au pays. Ici, nous avons affaire à la situation la plus grave. Dans notre collectivité, les drogues représentent l'ennemi numéro un, mais la situation n'est pas aussi mauvaise qu'elle l'est pour le groupe très limité qu'on retrouve dans le Downtown East Side. Dans le contexte d'une stratégie nationale antidrogue donnant de bons résultats dans la rue, y avait-il des mesures qui donneraient de meilleurs résultats pour une région comme celle que j'ai décrite par opposition au véritable centre urbain dont il est ici question? C'est ma question.

• 1025

La présidente: Il ne vous a pas laissé beaucoup de temps.

Monsieur Reist.

M. Dan Reist: J'aimerais vraiment répondre à la dernière question. J'ai l'impression que le modèle élaboré par le groupe de travail sur la toxicomanie dans Weaving Threads Together répond précisément à ce besoin. Si nous espérons mettre au point une stratégie, c'est-à-dire un modèle de service qui devrait être offert dans toutes les collectivités du pays, nous allons perdre notre temps pendant des années à venir.

Ce que nous devons faire, c'est mettre au point une stratégie qui permette aux collectivités de répondre aux problèmes auxquels elles sont confrontées, sans devoir composer avec des obstacles artificiels ni l'étranglement des ressources dont elles ont besoin. C'est pourquoi le modèle de collaboration, qui réunit les intervenants de l'ensemble de l'infrastructure sanitaire et sociale doit s'appliquer au niveau communautaire. La collectivité pourra ainsi établir son ordre de priorité. Quels sont les problèmes auxquels nous devons remédier? Quelles sont les mesures qui nous permettront d'avoir l'impact le plus efficace possible sur les problèmes de toxicomanie que connaît notre collectivité? Les solutions varieront d'une collectivité à l'autre, selon la situation de chacune. Je pense qu'il importe que nous nous dotions d'un système qui s'adapte à chacune des collectivités.

Je tenais à soulever un autre point au sujet d'une information que vous avez faite un peu plus tôt dans votre préambule. Les récits tragiques abondent. Vous les avez entendus; nous les avons tous entendus. Nous savons que certaines personnes ont des habitudes tragiques. Je crois toutefois qu'on doit faire preuve de la plus grande prudence en ce qui a trait au message apocalyptique que les médias se plaisent à véhiculer. Le peu de données dont nous disposons indiquent que la tendance actuelle du niveau de consommation de drogues et de toxicomanie n'a pas beaucoup changé au cours des dernières années. La tendance est à peu près la même qu'à l'époque où je fréquentais l'école secondaire. Certaines choses ont changé, et il est certain que l'attention que les médias accordent à cette question a changé.

Au pays, nous aurions intérêt à canaliser l'attention des médias vers certains récits extraordinaires concernant les élèves de l'école secondaire. Toutes sortes d'excellentes choses se passent. Je vois des élèves des écoles secondaires, mes enfants et leurs amis, qui ont participé à certains projets dont j'aurais moi-même aimé faire partie. On leur propose certaines excellentes occasions de perfectionner leur leadership, et ainsi de suite. Je pense que nous devrions aussi faire la promotion de ces aspects. Cela ne veut pas dire qu'on doive minimiser... je serais le dernier à minimiser les problèmes liés à la toxicomanie, mais je pense que nous devons trouver un équilibre et montrer clairement qu'il y a aussi du bon dans la société.

La présidente: Madame Davies.

Mme Libby Davies: Je vous remercie.

Tous semblent s'entendre sur le fait que le statu quo ne fonctionne pas. En songeant à certains obstacles au changement, j'ai compris que la stigmatisation des utilisateurs de drogues injectables en particulier constituait un obstacle énorme. Il a été très facile de marginaliser ces personnes et de renforcer l'approche fondée sur l'exécution de la loi. Pourtant, plus on creuse la question, et plus on se rend compte que le problème est beaucoup plus vaste. Y a-t-il un moyen de briser certains de ces stéréotypes?

L'une des manifestations les plus intéressantes dont on ait été témoin à Vancouver, c'est qu'un groupe comme From Grief to Action, qui se compose de parents de la classe moyenne vivant dans l'ouest de la ville, dans la circonscription de M. Owen, je crois, se sont associés à des membres du groupe VANDU, qui travaillent dans le Downtown East Side, parce qu'ils ont compris qu'ils avaient énormément de points en commun. Pourtant, les stéréotypes entourant les consommateurs de drogue, en particulier ceux que véhiculent les médias, visent un élément criminel, les personnes qui vivent dans la rue. J'ai l'impression que c'est l'un des principaux obstacles que nous avons à surmonter. Je me demande simplement si vous avez des réflexions au sujet des moyens de combattre les stigmates.

La présidente: Qui veut répondre? Le Dr Somers y réfléchit.

Docteur Mangham, vous vouliez la parole?

M. Colin Mangham: En ce qui concerne les stéréotypes, l'un des principaux problèmes auxquels nous sommes confrontés vient du fait que nous faisons nôtre la représentation des problèmes par les médias, et nous nous en affligeons.

• 1030

Dans notre approche générale, nous perpétuons probablement une erreur grave en mettant l'accent sur les pires éléments du problème et en attirant beaucoup d'attention sur eux plutôt qu'en examinant la situation dans une perspective plus large et en insistant sur le fait que la prévalence est relativement limitée. Le problème est important, mais sa prévalence demeure relativement limitée.

Je ne sais pas comment lutter contre les stéréotypes, sinon en m'en remettant à la compassion humaine et à l'idée—que je partage—que les humains ne sont pas «jetables» et qu'on ne devrait pas les traiter comme s'ils l'étaient ou comme s'ils étaient des récidivistes. Nous devrions faire l'impossible pour leur venir en aide.

La présidente: Je vous remercie, docteur Mangham.

Docteur Somers.

M. Julian Somers: Pour dire les choses crûment, je pense qu'on doit faire preuve de courage pour combattre les stigmates et répondre aux besoins d'une communauté unique. En fait, c'est vers le gouvernement fédéral que je me tournerais pour obtenir qu'on désigne un particulier ou un groupe de particuliers courageux qui pourrait, au nom des toxicomanes dont il est question, rappeler à tous qu'ils font partie de nous. Nous avons déjà indiqué que nous avons affaire à des circonstances sociales dont les déterminants sont multiples. Nous sommes tous liés. Ces personnes font partie de nous.

Les collectivités, comme le Dr Tyndall l'a indiqué, mettent au point leurs propres solutions, et c'est très bien. Au gré des collectivités, on adoptera un point de vue ou des sentiments différents, précisément parce que le processus de réintégration doit faire appel aux ressources et à la volonté de donner des particuliers qui vivent dans des collectivités. Les capacités, les ressources et les besoins vont varier. Ils ont varié considérablement.

Comme je l'ai dit, on pourrait nommer un particulier courageux qui se rendrait dans des collectivités pour affirmer, de façon raisonnable, ce qui, selon les recherches et nos expériences, devrait être efficace et donner à chacun l'assurance que nous allons procéder à une évaluation minutieuse.

Je vais ici vous interpeller. Je vais m'inquiéter si les ICRS s'emparent du processus d'évaluation ou que ce dernier penche trop en faveur des ICRS ou de tout autre organisme de recherche subventionné par le gouvernement fédéral. Ces organismes de recherche ont pour mandat d'appuyer la recherche fondamentale, et ce n'est pas le genre de recherches auquel on a affaire ici. Il s'agit de l'évaluation d'une politique sociale. En tentant de souder de trop près ces différents éléments, on s'expose à toutes sortes de problèmes très difficiles.

Je pense que l'audience à laquelle nous faisons ici référence a besoin d'un champion—c'est une autre façon de désigner la personne en question—et que ce champion pourra beaucoup faire pour vaincre les préjugés et faciliter le changement.

La présidente: Merci, docteur Somers.

Monsieur Reist, vous vouliez ajouter un bref commentaire?

M. Dan Reist: Eh bien, en entendant les propos échangés ici, je me suis fait la réflexion qu'il était plutôt intéressant de remarquer qu'hier était le premier dimanche de l'Avent. Si vous êtes allés à la messe, hier, vous avez peut-être entendu la lecture d'un texte ancien dans lequel des épées se transforment en sociétés de charrue, ce qui fait penser à la merveilleuse statue qui trône face à l'édifice des Nations Unies.

Ce qui m'a frappé, c'est que l'image contenue dans ce texte ancien remonte à une époque où le métal était extrêmement précieux. Le moment venu de se débarrasser d'un morceau de métal, on ne se contentait pas de le jeter à la poubelle: on le transformait en quelque chose d'autre. Dans notre société, nous avons tendance à diviser les humains en bons et en mauvais, à valoriser les bons pour mettre les mauvais au rebut. En fait, nous devons transformer les gens, et je pense que c'est sous l'angle de la transformation que nous devons aborder des problèmes comme celui de la consommation de drogues, même dans les cas les plus extrêmes, notamment le Downtown East Side. Nous devons transformer cette collectivité, et non la mettre au rebut.

La présidente: Merci, monsieur Reist.

Les dernières minutes appartiennent à M. Owen.

M. Stephen Owen: Je vous remercie.

Ce matin, nous avons abordé un large éventail d'enjeux, et je vous en remercie.

L'un des aspects que nous n'avons pas abordés et qui concerne peut-être le domaine de recherche du Dr Somers en particulier, c'est le croisement des problèmes de santé mentale et de la toxicomanie. Peut-être vais-je vous adresser la question à vous, docteur Somers.

Quel rôle ont joué l'institutionnalisation et la trahison—car, même si chacun était favorable à la philosophie, nous n'avons jamais investi des ressources dans le projet d'intégration communautaire, de manière à lui donner ne serait-ce qu'une chance de réussite—dans l'échec de la mise en «uvre des principes sains de l'intégration communautaire? Dans quelle mesure cet échec est-il responsable du désespoir, en particulier celui qu'on observe dans le Downtown East Side, et quels enseignements peut-on tirer de cette situation?

• 1035

La présidente: Docteur Somers.

M. Julian Somers: Il y a un lien direct avec ce que nous observons dans la prévalence de la toxicomanie et de la maladie mentale concurrentes chez les personnes vivant dans des conditions de pauvreté extrêmes.

Les enseignements sont nombreux.

Le premier qui vient à l'esprit, c'est que la maladie mentale, à l'instar d'autres formes de vulnérabilité chez les particuliers, y compris les facteurs économiques et les facteurs imputables aux conditions dans lesquelles les intéressés ont grandi, aggrave considérablement les cas les plus désespérés de consommation de drogue. C'est l'un des facteurs aggravants, des facteurs de risque.

C'est donc un élément, et il nous rappelle qu'il s'agit généralement non pas d'une fonction uniquement liée à la vulnérabilité organique, mais bien plutôt, comme on l'a déjà mentionné, d'une fonction pour l'essentiel déterminée.

D'autres conséquences ou leçons montrent que la réintégration, à supposer que ce soit le but que nous poursuivons, doit impérativement s'inscrire dans le cadre de services concurrents. J'ajouterais les services de santé mentale à ceux qui visent à répondre expressément aux problèmes concurrents de toxicomanie. Et je ne m'arrêterais pas là. J'irais également dans le sens des services de logement et d'emploi, en plus de tous les autres services auxquels nous avons fait allusion.

Si on doit établir un ordre de priorité, je n'hésiterais pas à affirmer que l'attention à la gestion de la maladie mentale et de la consommation de drogue doit intervenir, dans la quasi-totalité des cas, aux stades les plus précoces. Il doit s'agir de l'une des premières phases d'intervention.

Comme vous le savez sans doute tous, la prestation concurrente de services est relativement rare. Vous pouvez notamment demander si des services d'intervention et de traitement adéquats étaient offerts dans le domaine de la toxicomanie. De toute évidence, ce n'est pas le cas. Si on devait s'employer à corriger certaines lacunes de façon systématique, je pense qu'on aurait raison d'intégrer les services de santé mentale aux mesures qui doivent être prises.

La présidente: Merci. Je remercie aussi tous les témoins. Faire le point sur la situation à Vancouver et en Colombie-Britannique constitue, pour le comité, une excellente façon d'amorcer la journée et même la semaine.

Nous vous sommes reconnaissants du temps et des efforts que vous avez consacrés à vos exposés pour nous faire part des meilleurs éléments de vos réflexions. Si vous avez autre chose à dire, nous vous encourageons à communiquer avec la présidente, qui veillera à ce que tout soit traduit et distribué. Nous vous sommes sincèrement reconnaissants de vos efforts.

Merci à vous, monsieur Reist, docteur Mangham, et docteur Somers. Nous vous souhaitons la meilleure chance possible dans vos entreprises.

Nous allons suspendre nos travaux jusqu'à 10 h 45.

• 1039




• 1053

La présidente: Nous allons maintenant reprendre nos travaux.

Nous avons maintenant avec nous le deuxième groupe de témoins de la journée, lequel comprend deux ou trois personnes qui devaient faire partie du premier.

Il s'agit d'une réunion du Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments, et nous sommes ici pour entendre les excellents conseils des habitants de Vancouver. Dans le cadre du deuxième groupe de témoins, nous aurons le plaisir d'entendre Larry Campbell, ex-coroner en chef de la Colombie-Britannique, Fred McMahon, directeur du Social Affairs Centre du Fraser Institute et Bruce Alexander du département de psychologie de l'université Simon Fraser.

Du premier groupe de témoins, nous allons également entendre le Dr Martin Schechter, chef de l'épidémiologie et de la biostatistique à l'Université de la Colombie-Britannique et le Dr Michael O'Shaughnessy, vice-président de la recherche, directeur du Centre of Excellence in HIV/AIDS et, depuis la semaine dernière, vedette médiatique—je vous ai vu partout.

Bienvenue au comité. Si vous n'y voyez pas d'inconvénients, nous allons procéder selon l'ordre dans lequel je vous ai présenté, à moins que vous n'ayez déjà convenu d'autre chose.

Je vous invite à resserrer votre exposé, de façon que nous ayons plus de temps pour la période de questions et de réponses. Je vous invite tous à nous faire parvenir des détails au sujet de votre présentation une fois que le comité aura terminé, mais nous allons maintenant commencer avec Larry Campbell.

M. Larry Campbell (témoignage à titre personnel): Je tiens à vous remercier de me permettre de comparaître devant vous aujourd'hui. Le groupe de témoins est plutôt impressionnant. En fait, je suis probablement le seul ici à ne pas être titulaire d'un titre officiel, si on excepte la maîtrise en administration des affaires que j'ai obtenue il y a longtemps.

Mon point de vue a quelque chose d'unique. Dans ma vie, j'ai fait un peu de tout. Au départ, j'ai fait partie de la GRC, et j'ai travaillé au sein de l'escouade de lutte contre la drogue ici à Vancouver. J'ai aussi effectué du travail comme agent d'infiltration. Dans certains cercles, dans l'ombre, j'ai fait le va-et-vient d'un côté à l'autre. J'ai été coroner à Vancouver pendant environ 16 ans, avant de devenir coroner en chef. J'étais en poste lorsque le nombre de décès imputables aux drogues a commencé à augmenter et, en fait, a connu une véritable explosion. Nous pensions que l'année 1993 avait été désastreuse. Le nombre de décès a diminué légèrement en 1994. Par la suite, l'ascension s'est poursuivie.

• 1055

Il est aussi intéressant, je crois, de souligner que j'ai des antécédents ruraux en ce sens que je retourne chaque année en Saskatchewan pour semer et récolter. J'ai écouté M. White, et il a parfaitement raison. À Dubuc, en Saskatchewan, on ne sait pas trop bien à quoi ressemble un toxicomane. Dans la Saskatchewan rurale, le problème ne se pose donc pas avec trop d'acuité. Les grandes villes de Regina ou de Saskatoon, où je me rends parfois, font cependant face à de graves problèmes auxquels il faut s'attaquer. Dans certains secteurs, les problèmes font en fait beaucoup penser à ceux qui se posent dans le Downtown East Side. Il est possible que seul un très petit pourcentage de la population est touché par la maladie, mais les ressources et les coûts sociaux sont si disproportionnés qu'on ne peut tout simplement plus en faire abstraction.

Un des aspects qui me gênent le plus, c'est que le débat entourant les mesures à prendre face à cette maladie s'est polarisé: d'un côté, il y a ceux qui croient au sevrage pur et simple; de l'autre, il y a ceux qui préconisent ce qui est peut-être considéré comme la solution plus radicale de la réduction des préjudices. En fait, le sevrage fait partie intégrante de la réduction des préjudices. Le sevrage se trouve à l'une des extrémités du continuum de soins. Dans un premier temps, on doit comprendre qu'il s'agit d'un problème de santé, et non d'un problème de criminalité. Lorsqu'on le comprend, on se rend compte que, chaque fois qu'on est confronté à une maladie, il existe, dans de nombreux cas, un continuum de soins qui va d'une extrémité à l'autre.

Dans un monde parfait, l'abstinence serait la solution idéale. Naturellement, c'est ce que nous voulons tous. Nous ne voulons pas que des gens soient malades. Dans la réalité, cependant, des personnes tombent malades et deviennent toxicomanes. Par conséquent, nous devons comprendre que le continuum de soins va du sevrage jusqu'à l'entretien à l'héroïne, même, à l'autre extrémité du spectre, en passant par les initiatives qui ont pour but d'aider les gens à dire non aux drogues et au programme en douze étapes. En fait, les personnes qu'on retrouve aux deux extrémités sont probablement la minorité. La plupart des autres vont se trouver au milieu du continuum de soins.

Je tiens à souligner la contribution de Mark Haden, des Addiction Services, c'est lui qui m'a communiqué la plupart des renseignements dont je vais vous faire part aujourd'hui.

À mes yeux, la réduction des préjudices semble la meilleure solution. Dans le contexte de la réduction des préjudices, on se pose la question suivante: comment pouvons-nous réduire les préjudices causés aux particuliers et à la société, étant donné que certains particuliers deviendront toxicomanes? Dans de nombreux domaines, nous faisons déjà appel à la réduction des préjudices. Des personnes se tuent en voiture. Par conséquent, nous offrons des cours sur la conduite préventive, il y a des ceintures de sécurité, des panneaux de sécurité, et nous imposons des limites de vitesse.

Dans un article de 1999, Eric Single étudie trois définitions de la réduction des préjudices. Selon la première, elle s'applique aux particuliers qui continuent de consommer des drogues. La deuxième, qui est complète, s'applique à tous les services aux toxicomanes de même qu'à tous les programmes visant à réduire les préjudices. La troisième, enfin, concerne les programmes dont la capacité de réduire les préjudices causés aux utilisateurs dans la société en général a été démontrée de façon empirique.

Dans ce contexte, tous les ordres de gouvernement ont conclu l'Accord de Vancouver. Quiconque a habité Vancouver sait que cela n'a pas été facile et qu'on a dû faire preuve de courage sur plusieurs fronts. À ce jour, l'accord n'est toujours pas accepté par tous les habitants de Vancouver.

Les campagnes dans lesquelles on incite les gens à dire non aux drogues n'empêchent pas la consommation. Qu'avons-nous à offrir aux personnes qui finissent toxicomanes? La plupart des services sont destinés aux personnes qui souhaitent cesser de consommer. Nous devons proposer une gamme de services axés sur les clients à l'intention des personnes qui en sont aux divers stades d'utilisation. Pour obtenir la participation des toxicomanes, nous devons les rejoindre là où ils sont. Je suis donc d'accord avec certains des propos qui ont été tenus ce matin par les témoins: nous avons besoin d'une stratégie nationale, mais elle doit s'appliquer au niveau communautaire. On doit permettre aux collectivités de décider des moyens d'aborder le problème puisque, dans ce cas, il n'y a assurément pas de solution uniforme.

• 1100

Je ne veux pas entrer dans les détails concernant les leçons tirées de l'expérience européenne et de l'étude menée en Suisse, ni de tout le reste, mais je tiens à dire un mot au sujet des centres d'injection sûre. À mes yeux, il s'agit de l'une des questions les plus difficiles. Au départ, je m'y opposais de façon catégorique. Après avoir examiné la question avec soin et avoir soupesé l'ensemble des tenants et aboutissants, j'en suis venu à la conclusion suivante: «On doit considérer que ces centres font partie du traitement et doivent s'inscrire dans le continuum.»

Nous savons qu'il existe de tels centres en Espagne, en Allemagne, en Suisse, aux Pays-Bas et en Australie. Je ne crois pas devoir entrer dans les détails, mais, jusqu'à maintenant, les évaluations font état d'une diminution du nombre de décès imputables à des overdoses et des cas de partage de seringues; il y a réduction du nombre de seringues abandonnées, ce qui préoccupe énormément les gens ici, à Vancouver; il y a réduction de l'activité sexuelle non protégée; il y a réduction du taux d'infection au VIH; la consommation baisse chez ceux qui s'injectent des drogues par voie intraveineuse; et l'espace public exproprié revient à ce qu'il était. Encore une fois, à Vancouver, c'est une question qui revêt une très grande importance. Circulez dans le centre-ville de Vancouver, vous allez finir par vous retrouver dans un marché de la drogue, au beau milieu du centre-ville.

En Europe, on appelle cela une nuisance. Au Canada, le phénomène est assimilé à un incident criminel. Lorsque la criminalité est réduite, la nuisance publique est réduite, les drogues ne pouvant plus circuler et être consommées librement; et les contacts avec les utilisateurs, les renvois en vue de l'intégration sociale et tout cela sont plus faciles que les contacts avec d'autres services comme le service d'échange de seringues, car les utilisateurs se détendent et cessent de courir çà et là.

Une des difficultés vient du fait que les toxicomanes, ceux qui souffrent de l'état mental dont il est question, ne vivent pas comme vous et moi. Aucun endroit n'est sûr pour eux. La vie est comme une bousculade constante. En plus d'être dépendants, ils sont mal nourris, ils peuvent être infectés au VIH, ils ont toutes les formes d'hépatite, et la vie n'est qu'une grande mêlée. Il n'est pas question d'un groupe de personnes qui s'installent tranquillement et qui se gèlent pour le plaisir. Ils s'injectent n'importe où, comme vous avez pu le voir au bulletin de nouvelles. Nous devons leur offrir un endroit où ils peuvent le faire en toute sécurité, où nous pouvons nous assurer qu'ils ne sont pas en train de mourir et où nous pouvons nous assurer que les seringues sont désinfectées et ainsi de suite.

Nous avons tenu un colloque sur les centres d'injection sûre. J'ai étudié les aspects juridiques de tels centres. Je peux vous dire que j'en ouvrirais un demain, car je ne crois pas que ce soit illégal. Il n'est pas illégal d'ouvrir simplement un tel établissement. Par contre, si la police venait sur les lieux, elle constaterait qu'il y a toutes sortes de gens qui consomment de la drogue. Cela est illégal. La police pourrait alors faire tout ce qu'elle veut, mais elle ne pourra rien contre moi. C'est la conclusion à laquelle nous sommes arrivés.

Autre aspect intéressant des centres d'injection sûre, c'est que, une fois qu'ils sont ouverts depuis quelques années, l'âge moyen des utilisateurs augmente. Si nous pouvons faire en sorte que ces gens demeurent en vie et en santé jusqu'à l'âge de 40 ans, habituellement, ils cessent de consommer. Il y a une idée qui circule selon laquelle ce sont les jeunes qui consomment; ce n'est tout simplement pas vrai. Simplement, les gens ne vivent pas très vieux à cause de toutes les autres choses qui se passent autour d'eux.

J'ajouterai une observation que je considère comme très intéressante. En Angleterre, on a fait une étude. Bien entendu, en Angleterre, les médecins pouvaient prescrire ce qu'ils voulaient avant 1965. Ensuite, il y a eu des cliniques qui se chargeaient particulièrement du cas des toxicomanes.

• 1105

Un médecin du nom de John Marks a pris en charge la clinique où on prescrivait de l'héroïne en vue d'en fermer les portes. Il a évalué la situation et constaté que les patients n'avaient pas le sida—il croyait que ce serait 15 à 20 p. 100—, qu'ils étaient en bonne santé et, dans la majorité des cas, avaient du travail. La police locale a retracé 100 de ses patients et constaté une diminution de 94 p. 100 du nombre de vols, de cambriolages et d'infractions contre des biens. La constatation la plus importante? Le nombre de condamnations pour possession illégale au sein de la collectivité a chuté tout de suite après l'ouverture de la clinique.

Le Dr Marks a conclu que, pour les drogues, la courbe de la demande a la forme d'un U majuscule. S'il est trop facile d'obtenir des drogues ou de l'alcool ou encore si les drogues et l'alcool sont frappées de prohibition, la consommation s'accroît. La partie inférieure du U majuscule semble se rapporter aux substances que l'on peut obtenir sur ordonnance.

Je sais que vous avez discuté de l'aspect économique du phénomène; je ne vais donc pas m'engager sur cette voie.

Plus particulièrement, dans le cas de Vancouver, qu'entend-on par réduction des préjudices? Cela veut dire: plus de méthadone et de méthadone à faible seuil, par exemple, les programmes de méthadone et de services connexes; l'élimination des tests d'urine; l'accroissement de l'accessibilité; la prescription de l'héroïne, de la cocaïne et des amphétamines—ce qui, encore une fois, représente l'extrémité du spectre; plus d'échanges de seringues; des centres d'injection sûre; une diminution de la honte liée au phénomène; l'accroissement des options de désintoxication et de traitement; un plus grand nombre de programmes de prévention; et l'indulgence des autorités policières pour certains aspects.

Quant aux conséquences de la réduction des préjudices pour les traitements, l'abstinence ne représente qu'un des buts visés. Réduire sa consommation et choisir des drogues ou des modes d'administration moins dangereux sont des buts légitimes; chercher à améliorer son fonctionnement social et professionnel; accorder plus d'attention à la normalisation ou à l'intégration sociale; accepter le fait qu'une rechute ne signifie pas que le traitement est un échec; et prévoir des services pour les utilisateurs qui souhaitent continuer de consommer. À un moment donné, ils vont vouloir arrêter, mais il y a ceux qui vont souhaiter continuer.

J'aimerais faire ici une distinction. Il existe des groupes qui affirment que consommer de la drogue est leur droit en tant que citoyens canadiens. Je ne suis pas d'accord avec cela, et je ne le comprends pas. On ne peut affirmer à la fois qu'il s'agit d'un trouble médical et d'une pratique légitime, d'un usage socialement normal. Je ne suis pas d'accord avec cela. Mais j'admets qu'il y a des gens qui ne se débarrasseront jamais de cette dépendance, et il y a ceux qui devront continuer à consommer de la drogue.

Je crois que l'exécution de la loi a sa place. Je ne crois pas que nous puissions, grâce à une baguette magique, faire disparaître tous ces problèmes, mais la réduction des préjudices a des conséquences du point de vue de l'exécution de la loi. Il faut reconnaître les torts que cause la marginalisation du toxicomane et agir en conséquence.

Je crois que, dans le cas de Vancouver, pour la plus grande part, les services policiers se donnent cela pour objectif et ils ont la volonté d'agir. Le personnel chargé de l'exécution de la loi doit situer le problème de la drogue dans le contexte de la santé publique et faire des liens avec l'appareil de la santé publique. Les autorités doivent se concentrer sur les actes dont l'auteur recourt à la force, par exemple les actes violents, les vols par effraction et ainsi de suite; la fraude, par exemple, le blanchiment de l'argent; sans oublier l'impact du problème de la drogue sur la sécurité publique, les seringues abandonnées en public et la conduite avec facultés affaiblies. La consommation individuelle de drogues n'est pas une préoccupation qui relève des autorités policières, car il faut inscrire cela dans le contexte de la santé publique, en appliquant les instruments propres à la prévention et au traitement.

J'ai parfois de la difficulté à comprendre pourquoi les gens ont tant de peine à concevoir qu'une seule et unique solution ne vaut pas pour tous les cas. Si j'étais atteint d'un cancer et que je consultais un médecin qui me disait: «Regardez, il y a dix traitements que nous pouvons employer, mais je ne vous autorise que celui-ci, et je ne suis pas sûr du taux de succès», le médecin se retrouverait devant le Collège des médecins et chirurgiens dans le temps de le dire. Néanmoins, pour ce qui est des autres affections qui font mourir les gens, ce qui nous coûte des milliards de dollars, nous ne semblons pas être en mesure d'accepter qu'il faut un continuum de soins. Tant et aussi longtemps que nous allons en faire fi, nous allons continuer à observer les décès qui se produisent, et nous allons continuer d'être aux prises avec les maladies qui y sont associées. Je vais continuer pour ma part à rencontrer le père et la mère, les frères et les soeurs de ces gens.

• 1110

Les gens aux prises avec une toxicomanie ne sont pas au ban de la société. Ils n'ont pas été chassés de notre cercle. Pour une raison ou une autre, quelle qu'elle soit, ils se trouvaient être aux prises avec cette maladie, et je ne crois pas que nous sommes placés pour les stigmatiser. J'espère donc qu'il y aura, tout au moins de mon vivant, une forme de traitement, une façon d'aider ces gens à s'en sortir, et une façon d'aider la société à se débarrasser de cette nuisance.

Merci.

La présidente: Merci beaucoup, monsieur Campbell.

Monsieur McMahon.

M. Fred McMahon (directeur, Social Affairs Centre, Fraser Institute): Merci beaucoup.

Il y a plusieurs mois, le Fraser Institute a publié un livre électronique intitulé Sensible Solutions to the Urban Drug Problem. Ce livre est l'«uvre de mon service. Je vous suis reconnaissant de m'avoir invité à présenter mes v«ux ici aujourd'hui.

Comme je l'ai mentionné à votre personnel, et il vous en a parlé, je suis généraliste. Je ne suis pas un spécialiste du domaine. Je vais donc adopter le point de vue d'un généraliste.

Depuis 50 ou 75 ans, les pays d'Occident prennent part à une expérience catastrophique. La politique catastrophique qu'ils ont adoptée, c'est de rendre illégales les drogues récréatives. Avant cela, les drogues récréatives n'étaient pas illégales, et on pouvait se les procurer plus ou moins librement.

Selon une critique de livre amusante parue dans The Economist cette semaine, même l'archipuritain Gladstone prenait de l'opium avant de prendre la parole à la Chambre des communes—de fait, c'était une drogue, si je prononce le nom correctement, qui s'appelait «laudanum». En fait, selon l'article en question, on pouvait pratiquement juger les relations professionnelles entre les divers ministres au nombre de gouttes de la substance qu'ils consommaient avant de se rencontrer. On pourrait presque appliquer la même formule aujourd'hui.

Il y a 75 ans environ, notre politique à l'égard de ces drogues a changé radicalement. Elles sont devenues illégales. À partir de ce moment-là, la guerre à la drogue était déclarée. La guerre contre les drogues mobilise maintenant des forces policières, des forces paramilitaires, des forces militaires et des gouvernements du monde entier. En parlant de mission, en voilà une qui a été pervertie.

Nous avons créé une industrie mondiale de lutte à la drogue qui se veut très sérieuse, mais qu'avons-nous accompli? À peu près rien pour ce qui est de la lutte contre les drogues. Pour ce qui est des questions d'accès, on constate que quiconque souhaite en obtenir peut en trouver assez facilement. Je pourrais me rendre tout de suite à Gastown et me procurer à peu près n'importe quelle drogue. Enfin, je voudrais peut-être changer de vêtements pour obtenir un meilleur prix sur les drogues vendues dans la rue, mais autrement, c'est une transaction qui se fait librement.

La plupart des difficultés que nous associons maintenant aux drogues ou à la guerre contre les drogues proviennent non pas des drogues elles-mêmes, mais du seul fait qu'elles soient illégales: les crimes commis par les toxicomanes pour assouvir leurs besoins; l'utilisation de seringues infectées; la criminalisation de tout un segment de la population. Ces problèmes ne proviennent pas de la consommation de drogues en tant que telle. Ce sont des problèmes qui proviennent de l'illégalité des drogues.

Les problèmes que nous créons au Canada et aux États-Unis sont de la petite bière si on les compare aux horreurs bien réelles qui sont créées dans les pays exportateurs de drogues, là où il y a des guerres civiles ou des conflits intérieurs larvés, les batailles entre deux groupes et où la corruption envahit jusqu'aux gouvernements—et je ne parle pas seulement de la Colombie, cela touche plusieurs autres gouvernements—et c'est une véritable tragédie. Le moment est venu pour nous de repenser la politique des drogues, de fond en comble.

Je vais défendre ici une position assez radicale, un point de vue assez radical. Qu'est-ce qui arriverait si nous choisissions simplement de faire que les drogues soient légales, comme c'était le cas auparavant? Bien entendu, avec la courbe en U majuscule dont M. Campbell vient de parler, il était difficile de s'en procurer. Selon moi, il n'y a vraiment pas grand-chose qui porte à croire que la légalisation causerait une ruée vers les drogues, mais cela aurait peut-être pour effet d'encadrer le phénomène et de réduire les préjudices secondaires tenant au fait que les drogues soient illégales. Il est difficile d'expérimenter dans ce domaine. Il est particulièrement difficile d'expérimenter quand on sait que là où l'expérience est fermée—disons qu'il s'agit de légaliser les drogues—les gens viendront de toutes les régions pour en essayer et s'intégrer à cette sous-culture.

• 1115

Le meilleur exemple est peut-être celui des Pays-Bas, où la marijuana est effectivement légale depuis un certain temps et légale en bonne et due forme depuis huit mois maintenant. La consommation de marijuana dans les Pays-Bas équivaut à peu près à la moyenne en Europe—c'est un peu plus élevé, mais l'écart n'est pas significatif. Je soupçonne que la même chose se produirait si les drogues dures étaient légalisées. Il y aurait une légère augmentation, quelque chose de peu important, et si une certaine difficulté d'accès était établie eu égard au bas de la courbe en U majuscule, on pourrait voir une diminution à long terme.

Permettez-moi de vous faire une proposition. Nous, économistes, nous nous intéressons beaucoup aux mesures d'incitation. En ce moment, vous avez créé un système où ceux qui font le commerce de la drogue sont fortement incités à recruter de nouveaux utilisateurs. Voilà d'où proviennent leurs profits. C'est comme cela qu'ils demeurent en activité, en dernière analyse. La politique à l'égard des drogues est telle que les gens sont fortement incités à mettre sur pied des groupes criminalisés, à organiser des réseaux de criminels et à «accrocher» une nouvelle génération de jeunes drogués. Tout cela disparaîtrait si on décidait que les drogues sont légales, mais difficiles d'accès sous un régime juridique particulier, ce qui pourrait être arrangé.

La question devient alors: pourrions-nous faire cela, et est-ce que les événements du 11 septembre auraient un impact là-dessus? Notre seule marge de man«uvre au Canada prend probablement la forme de diverses politiques de réduction des préjudices et, peut-être, de la légalisation ou de la décriminalisation de la marijuana.

Visiblement, les États-Unis ne toléreraient plus que nous devenions ce qu'ils percevraient comme étant un havre sûr pour la drogue du monde. Nous aurions des difficultés accrues à la frontière si nous poussions plus loin l'audace. Mais nous aurions tout de même une certaine marge de man«uvre pour ce qui est de choisir des politiques appropriées, par exemple des politiques de réduction des préjudices dans le cas des drogues dures et, peut-être, la décriminalisation en bonne et due forme de la marijuana.

Je m'en suis tenu à de brèves remarques, et je vais résumer tout aussi rapidement. Comme j'ai pu le noter, notre politique à l'égard des drogues est relativement récente. La société ne s'est pas écroulée quand Gladstone, un peu drogué, s'est adressé au Parlement. Elle ne s'est pas effondrée quand le roi George IV a décidé qu'il avait besoin de 100 gouttes de laudanum ne serait-ce que pour tolérer la présence de son ministre des Affaires étrangères.

Nous avons très peu de raison de croire que la consommation de drogue monterait en flèche si le régime changeait. Par contre, il y a toutes sortes de raisons de croire que les effets secondaires de la consommation pourraient être réduits sensiblement.

Merci.

La présidente: Merci, monsieur McMahon.

Monsieur Alexander.

Le professeur Bruce Alexander (département de psychologie, université Simon Fraser): Mesdames, Messieurs, c'est un honneur pour moi d'être invité à comparaître devant le Comité, et j'espère que les membres, et surtout ma députée à moi, Libby Davies, accepteront les compliments que je leur adresse: qu'ils font preuve de courage en s'attaquant à ce problème dangereusement complexe que représente l'utilisation non médicale de drogues, ici, à l'occasion de cette assemblée publique. De même, du fond du coeur, je vous prie d'accepter un souhait: que vos efforts connaissent un grand succès.

Quand j'ai reçu le document énonçant le mandat du comité, j'ai remarqué que pas moins de 42 questions y étaient sérieusement posées. De par sa nature même, chaque question doit aboutir à une réponse qui se fonde sur une analyse et une documentation fouillées. À ce moment-là, j'ai eu conscience du fait que le comité doit avoir voulu exprimer une confiance extraordinaire à l'égard de ces témoins en invitant chacun d'entre nous à traiter des 42 questions pendant un exposé de dix minutes, en présumant, visiblement, qu'il vous faudrait moins de 15 secondes pour régler chacune d'entre elles.

Quant à moi, je dois confesser que je ne suis pas à la hauteur de la tâche; je vais donc limiter mes observations à la seule et unique question que constitue la centralisation du pouvoir politique sur la question des toxicomanies dans le bureau des responsables de la stratégie antidrogue du Canada, possibilité qui est mise en valeur, jusqu'à un certain point, dans le mandat.

• 1120

De même, je passerai directement aux conclusions que j'ai tirées au sujet de cette question. Les sources documentaires sur lesquelles je m'appuie pour tirer chacune d'entre elles sont volumineuses—disons que j'articule mon travail autour de trois décennies de recherche, d'enseignement et de pratiques cliniques dans le domaine des toxicomanies. Certains des documents dont il est question sont passés en revue dans l'article qui est annexé au mémoire qui est le pendant écrit de mon exposé.

Ma première et principale conclusion, que je vous soumets respectueusement, c'est que tout effort fait pour centraliser davantage le pouvoir politique sur les drogues dans quelque bureau que ce soit des responsables de la stratégie antidrogue du Canada serait antiproductive. Je proposerai donc une forme différente de centralisation qui, selon moi, serait avantageuse.

Je crois que le comité a maintenant vécu sous tous ses aspects la folie de la décentralisation dans ce domaine. Les êtres valeureux et bien renseignés qui luttent courageusement, tous les jours, pour faire échec au problème des toxicomanies défendent avec passion nombre de démonstrations statistiques et de points de vue diamétralement opposés.

D'une part, les divergences d'opinions sont gênantes au sens où elles font qu'il est impossible pour le Canada de s'associer à une seule et unique stratégie cohérente. D'autre part, ces mêmes divergences représentent le meilleur atout que nous ayons. Le toxicomane que l'on n'arrive pas à aider en appliquant une vision particulière des choses peut bénéficier de l'apport d'une autre manière de voir.

À Vancouver, de l'avis général des gens, nous devons pouvoir compter sur les quatre «piliers» de la politique à l'égard des drogues—la surveillance policière, la prévention, le traitement et la réduction des préjudices—malgré les affrontements dramatiques qui surviennent parfois entre les défenseurs de chacune des options. Le rôle du gouvernement fédéral, à mon avis, consiste non pas à imposer une seule et unique manière de voir pour régler le problème des toxicomanies, mais plutôt à s'assurer qu'il y a l'espace nécessaire pour que tous les points de vue aboutissent, qu'ils aient du succès ou non, si incohérent que puisse devenir l'ensemble.

Il serait antiproductif d'imposer une manière de voir centralisée, mais je crois que le comité doit reconnaître une réalité incontournable: chacun des piliers, en lui-même et combiné aux autres, repose sur des antécédents très longs et très bien établis qui démontrent que ni l'un d'entre eux—ni même une combinaison bien concertée de ces piliers—ne nous laisse entrevoir vraiment une réduction sensible du problème tragique que représentent les toxicomanies. Il n'y a pas lieu de croire non plus que la nouvelle loi sur les drogues—si utile et humaine qu'elle puisse être, et ce sera probablement le cas—permettra mieux que les lois antérieures de réduire sensiblement le problème existant.

La question de la centralisation du pouvoir mène donc directement à une question plus fondamentale. Pourquoi les meilleures méthodes que nous ayons, mises à exécution par des praticiens et des parlementaires intelligents et pleins de compassion, n'ont-elles pas réglé le problème au bout d'un siècle?

À mon avis, cet échec est dû au fait que, pour des raisons politiques et historiques, nous n'avons jamais vu toute l'étendue du problème des toxicomanies qui nous fait damner. La toxicomanie, comme le précise le mandat du comité, sort continuellement du cadre que nous essayons de lui imposer. Le problème ne se résume pas au simple fait de s'injecter des drogues, ni à la question de drogues dures consommées de diverses façons, ni encore à la question de substances qui sont utilisées en dehors d'un contexte médical.

Nous savons maintenant qu'une dépendance grave à l'égard des médicaments d'ordonnance, de l'alcool, du tabac et de la marijuana peut avoir les mêmes conséquences tragiques et parfois mortelles, et la même dynamique causale, qu'une dépendance grave à l'égard de la cocaïne et de l'héroïne injectées par voie intraveineuse. Même si nous décidons d'inclure les médicaments d'ordonnance, l'alcool, le tabac et la marijuana dans notre étude des toxicomanies, le cadre de réflexion demeure artificiel et étroit.

Une dépendance grave à l'égard du jeu, du magasinage, de la nourriture, etc. peut avoir les mêmes conséquences tragiques et parfois mortelles, et la même dynamique causale, que les toxicomanies, quoique, à l'instar de la consommation de drogues, cela prend habituellement la forme de pratiques qui sont sans danger, voire bénéfiques. La dépendance à l'égard d'autres choses que les drogues est tout aussi tragique, et le phénomène est nettement plus fréquent que celui des toxicomanies.

Je vous en prie, n'imaginez pas que j'essaie, en disant cela, de banaliser les problèmes lugubres du Downtown East Side de Vancouver, là où je travaille depuis de nombreuses années. Soit dit en passant, je passe toujours par là en voiture avant d'aller prononcer une conférence, parce que je veux avoir le secteur à l'esprit. Venez marcher avec moi une bonne journée le long de la rue Hastings, au-delà du Downtown East Side, dans une direction ou dans l'autre, et je vous montrerai une multitude de dépendances qui, même si elles sont peut-être mieux cachées, sont tout aussi tragiques et insolubles.

• 1125

J'ai prononcé bon nombre de conférences publiques sur la question de la toxicomanie en Colombie-Britannique et ailleurs au Canada, au cours des trois dernières années, après avoir publié mon article sur la mondialisation de la toxicomanie. Durant mes déplacements, j'ai appris, à ma grande surprise, que nous, Canadiens, depuis les 30 ans où je travaille dans ce domaine, n'avons jamais été si près d'un consensus à cet égard. Respectueusement, je dis au Comité que la plupart des Canadiens ordinaires comprennent maintenant, peut-être mieux que certains professionnels du domaine, que les dépendances, dans le sens général du terme, sont près de représenter une épidémie au Canada et qu'il ne s'agit pas, fondamentalement, d'un problème de drogue. Comme il ne s'agit pas fondamentalement d'un problème de drogue, les Canadiens, il est triste de le dire, n'entrevoient pas avec beaucoup d'espoir une solution adéquate du côté des modifications des politiques ou des lois en matière de drogues. Bien entendu, cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas apporter des modifications du genre. Des améliorations sont toujours souhaitables.

Je dirais encore au comité que la plupart des Canadiens comprennent ce qui cause l'accroissement des toxicomanies dont ils sont les témoins. Ils savent que les gens s'enferment dans une dépendance quand ils ne peuvent s'aménager une façon adéquate de vivre dans la société «normale». Ils savent qu'il est de plus en plus difficile de s'aménager une vie adéquate au sein de la société générale, au fur et à mesure que les gens deviennent mobiles, que les familles se fragilisent, que les emplois deviennent moins sûrs et plus anonymes, et même que notre statut en tant que nation canadienne suprême et indissoluble devient vague.

Les dépendances font leur chemin dans la société canadienne parce qu'elles servent à combler un vide dans chaque personne, que les vides en question deviennent de plus en plus grands. Les toxicomanies vont s'accroître, quelles que soient les améliorations que nous apportons à nos politiques et à nos lois en matière de drogue. Par conséquent, je demande humblement au comité de recommander, dans son rapport à l'intention du Parlement, une forme de centralisation qui est différente de celle d'un bureau central pour la stratégie antidrogue du Canada. Je vous demande de signaler au Parlement que le pouvoir d'agir pour contrer les toxicomanies se retrouve bel et bien entre ses mains, mais seulement s'il se donne un champ d'action qui va au-delà du cadre artificiel de la consommation non médicale des drogues. La dépendance à l'égard des drogues et toutes les autres formes de dépendance ne connaîtront aucun déclin tant et aussi longtemps que la société canadienne ne trouvera pas de façon de fournir de la stabilité, de la sécurité, et d'abord et avant tout, une culture cohérente pour nos enfants et nos petits-enfants.

Pour prendre un exemple parmi tant d'autres du bon travail que le Parlement est habilité à mettre en oeuvre à cet égard, je mentionnerai la bataille que livre actuellement le gouvernement fédéral, aux côtés du gouvernement de la Colombie-Britannique, en vue de résoudre, d'une manière qui est sensible au contexte culturel, les revendications territoriales autochtones qui sont à l'origine d'une si grande part d'instabilité, d'insécurité et d'incohérence pour les peuples autochtones de la Colombie-Britannique, et, de ce fait, d'une si grande part de dépendances. Je crois que vous, les membres du comité, devriez demander au Parlement d'appliquer à tout son travail législatif la même détermination que celle qui est mise à profit pour protéger des aspects essentiels de la culture. Quand je m'adresse à des groupes de parents, je leur dis que la façon pour eux d'empêcher que leurs enfants deviennent toxicomanes, c'est de trouver, d'une manière ou d'une autre, le moyen d'être un bon parent à une époque difficile.

Il y a des années, quand j'ai commencé à dire cela, la plupart des parents ont soulevé une objection, disant qu'une meilleure éducation en matière de drogues et une meilleure présence policière dans les écoles pouvaient protéger leurs enfants contre la toxicomanie. Maintenant que nous avons mis à l'essai une éducation antidrogue à grande échelle et une plus grande présence policière dans les écoles, les mêmes parents comprennent ce que je veux dire, et sont beaucoup plus nombreux à être d'accord avec moi.

De même, j'espère pouvoir me tourner aujourd'hui vers les membres du Parlement du Canada, qui, bien entendu, sont non pas des parents, mais plutôt des voisins, élus pour exercer des pouvoirs au nom de mes enfants et mes petits-enfants. J'espère que les parlementaires de mon pays comprendront que le rôle qu'ils doivent jouer, pour combattre la toxicomanie, c'est de s'appliquer encore davantage à gouverner dans l'intérêt de tous, en se rappelant toujours que les gens ont besoin d'une place sûre dans la société, ce qu'ils respectent bien davantage que l'accroissement du PIB, la libéralisation des échanges commerciaux et les grandes manoeuvres sur l'échiquier du monde.

• 1130

C'est grâce à une centralisation de la détermination canadienne quant à la nécessité de solidifier la base culturelle du pays que, selon moi, nous pourrons adopter une approche réaliste de la consommation non médicale des drogues et de tous les problèmes qui y sont associés, au niveau parlementaire.

Merci.

La présidente: Merci, monsieur Alexander. Je demanderais maintenant au Dr Martin Schechter de prendre la parole.

M. Martin Schechter (directeur du département d'épidémiologie et de biostatistique, Université de la Colombie-Britannique): Merci beaucoup de m'avoir invité à comparaître et d'avoir tenu compte d'un problème d'horaire. Je tiens à féliciter le comité de s'attaquer à un problème incroyablement complexe et difficile et, de même, je vous souhaite la meilleure des chances dans vos travaux.

J'ai cru bon de peut-être faire valoir un point de vue personnel, comme Larry Campbell l'a fait, et de décrire comment j'en suis venu à m'attacher à cette question; c'est dû au VIH. Je vais donc parler d'abord et avant tout de la question du VIH et de la consommation de drogues. Nous savons qu'il existe une myriade de problèmes associés aux toxicomanies, mais je vais me concentrer sur ceux-là pour l'instant.

J'ai commencé à composer avec la question du VIH en 1983, au tout début de l'épidémie; à ce moment-là, la question du VIH chez les consommateurs de drogue par voie intraveineuse n'était pas un problème important au Canada. Notre épidémie, aux premiers stades, touchait d'abord et avant tout les hommes qui avaient des relations sexuelles avec d'autres hommes.

Au cours des dix années qui ont suivi, le monde a été le témoin de plusieurs flambées dévastatrices de cas de VIH chez ceux qui s'injectent des drogues par voie intraveineuse. Quand je parle d'une flambée explosive, je parle d'une situation où la collectivité ou la population passe d'un taux de fréquence du VIH de 1 ou 2 p. 100 à 30 à 40 p. 100 en un an. C'est ce que j'appelle une épidémie explosive.

Tout au long des années 80 et au début des années 90, des épidémies explosives chez les utilisateurs de drogues par voie intraveineuse ont été observées à Édimbourg, à Milan, à Bangkok, à New York, dans le Manipur, en Inde, et, il y a moins longtemps encore, à Odessa, en Ukraine, ainsi que dans plusieurs centres du monde. Au Canada, nous nous inquiétions de la situation des consommateurs de drogue par voie intraveineuse, et il y a eu nombre de discussions et d'avertissements au gouvernement à ce sujet. Nos pires craintes se sont réalisées quand Vancouver—ô infamie!—a connu une des plus importantes flambées de cas de VIH que l'on ait jamais vues chez les consommateurs. Je parle du Downtown East Side de Vancouver et des années 1996, 1997 et 1998.

Je sais que le Dr Tyndall, qui fait partie de notre effectif, était ici ce matin, et j'espère que je ne vais pas répéter ce qu'il a dit, mais nous savons maintenant que 40 p. 100 des consommateurs de drogue par voie intraveineuse dans le secteur sont infectés par le VIH et que 90 p. 100 d'entre eux ont le virus de l'hépatite C—ce qui veut dire que la grande majorité des personnes ayant contracté le VIH ont également contracté l'hépatite C. Si bien que le traitement des deux infections conjuguées est infiniment plus compliqué, notre utilisation des médicaments étant compromise par la présence des deux infections.

Je dois dire aussi que nous avons été témoins de flambées relativement moins grandes chez les consommateurs de drogues par voie intraveineuse à Ottawa. Récemment, dans les nouveaux États indépendants de l'ex-Union soviétique, en Chine, en Inde et en Indonésie, il y a eu des flambées explosives de ces cas chez les consommateurs de drogue par voie intraveineuse.

C'est donc par cette porte que je suis entré dans le domaine des toxicomanies; dans une vie antérieure, j'étais médecin épidémiologiste. Mon travail consistait à étudier les données médicales. En étudiant la question des toxicomanies et de leur traitement, il m'est apparu clairement que, au vu de la documentation médicale, la panoplie actuelle de traitements que l'on applique aux opiomanes est tout à fait inadéquate.

Au cours des deux dernières années, j'ai eu l'occasion de faire partie d'un groupe de travail de spécialistes nord-américains en toxicomanie, ce qui a servi à m'éclairer sur la question. Pour ce qui est de la toxicomanie opiacée, nous disposons d'une thérapie efficace, c'est-à-dire le traitement à la méthadone. Quand on compare le traitement à la méthadone et l'absence de traitement, il est clair que le traitement à la méthadone porte fruit chez certains opiomanes.

• 1135

Par contre, le problème est le suivant: visiblement, le traitement à la méthadone ne fonctionne pas chez un nombre important d'héroïnomanes et d'opiomanes. La documentation médicale le démontre de façon tout à fait claire. Par conséquent, à mon avis, ceux qui affirment que le traitement à la méthadone est tout ce qu'il faut pour supprimer le problème, dans le contexte du pilier de traitement, exagèrent. Pour prendre l'analogie de Larry Campbell, c'est comme si je disais que, à l'heure actuelle, nous pouvons traiter 30 ou 40 p. 100 des cancéreux avec cela. Il y a un nombre important de personnes chez qui nos chimiothérapies ne portent pas fruit, mais arrêtons-nous là et ne cherchons plus de thérapies, ne faisons plus de recherche. C'est visiblement une position intenable.

J'avancerais donc que, du point de vue de la recherche médicale et des traitements, nous devons nous pencher d'urgence sur des traitements de rechange. Ce qui suscite de l'intérêt à l'heure actuelle, ce sont la prescription médicale d'héroïne et la prescription médicale d'autres substances. Je crois que cela devrait faire l'objet d'une enquête scientifique. Nous ne devrons pas dire dès le départ que cela ne fonctionnera pas; de même, nous ne devrions pas adhérer immédiatement à toutes formes de traitements sans les avoir étudiés adéquatement.

Ailleurs dans le monde, on observe des résultats encourageants qui donnent à penser que d'autres stratégies, par exemple la prescription d'héroïne, peuvent être un complément efficace du traitement à la méthadone, particulièrement chez les gens qui ne répondent pas au traitement à la méthadone et pour qui il n'existe aucune autre solution. Ce sous-groupe tend à être à l'origine du plus grand nombre de problèmes publics associés à la toxicomanie opiacée. Par conséquent, le fait de les rejoindre et d'obtenir qu'ils se plient à une thérapie et ont accès à des soins de santé et à toutes sortes de services connexes, une fois qu'on est en communication avec eux, peut donner lieu à des avantages incroyables sur le plan social.

Je dis aussi cela en tant que résidant de Vancouver qui est fatigué de subir des vols par effraction dans son auto et sa maison.

Je suis d'accord avec M. Alexander quand il dit que l'opinion publique a changé au pays. Je crois que les gens sont fatigués du Donwtown East Side et que ce fléau les gêne. C'est un affront à ce que nous considérons comme étant précieux au sein de la société canadienne. Comme eux, je crois que nous devons étudier des solutions de rechange et penser à de nouvelles façons d'influer sur le problème.

La dernière chose que je souhaite dire, c'est que, dans le contexte du VIH, il y a une question que les gens oublient souvent. Le VIH cause le sida. Si vous n'avez pas le VIH, vous n'aurez pas le sida. Par conséquent, chaque fois qu'on prévient un cas d'infection au VIH, on prévient, de façon absolue, un cas de sida. À l'inverse d'autres maladies, le sida est une maladie qu'il est possible de prévenir à 100 p. 100. Chaque fois que nous prévenons un cas d'infection au VIH, nous économisons 200 000 $ en coûts médicaux qu'il faut assumer plus tard. Chaque année, au Canada, environ 4 000 personnes sont infectées au VIH, dont la moitié sont des consommateurs de drogue par voie intraveineuse. L'hypothèque que doivent donc assumer actuellement nos enfants, dans le cas du VIH, s'élève à 800 millions de dollars par année, dont 400 millions de dollars se rapportent aux consommateurs de drogue par voie intraveineuse qui sont infectés au VIH. Par conséquent, si ce n'est pas pour avoir une bonne politique sociale, pour des raisons économiques, il est tout à fait indispensable que nous essayions de prévenir tous les cas possibles d'infection au VIH, en raison des avantages énormes que cela apporte sur le plan économique et social.

Merci.

La présidente: Merci, docteur Schechter.

Enfin, nous accueillons le Dr O'Shaughnessy.

M. Michael O'Shaughnessy (vice-président, directeur chargé de la recherche, Centre d'excellence en VIH-sida, Université de la Colombie-Britannique): Merci de l'occasion que vous m'offrez de m'adresser à vous aujourd'hui.

Martin a mentionné l'optique dans laquelle il voit les choses. J'aimerais rappeler à tous que, cette fin de semaine, la vedette de Through a Blue Lens est morte d'une overdose. Nous avons travaillé avec la dame en question à plusieurs reprises, mais elle n'arrivait tout simplement pas à résister à la tentation de s'injecter des drogues, et elle est morte en fin de semaine.

J'aborde la question d'un point de vue différent. Martin et moi essayons de résister et de nous assurer qu'il y a des essais dans le cas de l'héroïne. Vous allez peut-être vous demander pourquoi quiconque voudrait faire cela. Je peux vous dire qu'il y a toute une controverse qui entoure cette question...

• 1140

Si je le fais, c'est pour plusieurs raisons. D'abord, à l'été et à l'automne 1997, 2 500 personnes dans le Downtown East Side ont contracté le VIH. Nous allons tous mourir, mais eux, ils vont mourir du VIH. Environ 9 000 ont contracté l'hépatite C pendant la même année. De ceux-là, 3 000 vont mourir. En un été, donc, nos politiques ont aidé à susciter une flambée qui est à l'origine de 5 500 décès supplémentaires. En fait, si on regarde le Donwtown East Side, on s'aperçoit que l'espérance de vie baisse. C'est un des rares endroits au pays où le phénomène peut être observé.

Comme nous l'avons dit, je représente le centre d'excellence en VIH-sida, et nous fournissons tous les médicaments prévus à toutes les personnes séropositives. Pensez-y: mon programme coûte 10 000 $ par personne en ce moment. Si nous envisageons donc de traiter 2 500 personnes de plus, à 10 000 $ chacune, ça fait une énorme somme d'argent. De fait, je crois que si nous insistons pour regarder le côté argent, nous perdons un élément de l'équation: les humains eux-mêmes.

Martin et moi, nous nous sommes adressés au groupe parlementaire, et quelqu'un, le représentant d'une région rurale, est venu me voir et m'a dit: «Je ne vous aurais pas écoutés avant, mais ma fille est là-bas. Elle est dans la rue, alors je vais écouter ce que vous avez à dire.» Nous parlons de beaucoup de gens. La situation se reproduit à plusieurs endroits, partout au Canada.

Votre comité est un comité fédéral. En plus de donner forme à la politique en la matière, je crois que vous devez étudier les politiques à l'égard des drogues pour les populations dont vous vous occupez en particulier. À mes yeux, le problème de la toxicomanie dans la communauté autochtone est ahurissant. Compte tenu de ce qui va arriver dans la communauté autochtone en raison du VIH et de l'hépatite C, le gouvernement fédéral doit se lever et dire: il nous faut étudier des façons de régler ces problèmes. Quand les dirigeants autochtones aborderont la question, ce sera un facteur dans tous les pourparlers sur les traités, car ce sont des maladies dont le traitement est très coûteux. Ils vont dire: un instant, vous nous donnez l'autonomie gouvernementale, mais il faut que quelqu'un s'occupe de ces questions.

Une des choses que j'ai entendues, c'est la question suivante: quelle est la réponse? Je crois que Larry Campbell a bien formulé cela en disant qu'il n'y a pas vraiment de réponse. Je crois qu'il a raison. Il n'y a pas de réponse.

En tant que scientifique, et c'est ce que je suis, j'étudie toujours les problèmes et je me dis: si j'applique des méthodes bonnes ou ingénieuses, à quoi cela aboutira-t-il? C'est le point où nous en sommes aujourd'hui avec l'essai en ce qui concerne la prescription d'héroïne.

J'ai été témoin de la catastrophe. Vingt pour cent des patients en soins actifs qui arrivent à notre hôpital sont des toxicomanes. Qu'allons-nous faire, laisser simplement le chiffre augmenter? Je peux vous dire que maintenant, les traitements ne sont pas très efficaces. Nous voyons les mêmes têtes, toujours. Ils arrivent; ils sont admis, disons, en psychiatrie; trois mois plus tard, ils sortent; quatre mois plus tard, les revoilà. Souffrant d'endocardite ou ayant contracté le VIH, ils se présentent à l'hôpital. Ils entrent à l'hôpital, ils obtiennent leur congé, puis ils reviennent.

Étant quelqu'un de pratique, je me dis qu'il est temps de briser le moule et d'étudier certaines des innovations qui ont été mises au point. Essayez-donc un essai à l'héroïne, parce que le statu quo n'est pas acceptable. Chaque semaine, une personne meurt du VIH à notre hôpital. Étant donné l'histoire naturelle de la maladie chez les consommateurs de drogues par voie intraveineuse, nous allons revenir au point où nous en étions quand je suis entré dans le domaine il y a dix ans, et il y a une personne par jour qui va mourir du VIH à mon hôpital, et ce sera presque toujours un toxicomane.

Merci.

La présidente: Merci, docteur O'Shaughnessy.

Merci à tous de nous avoir présenté des témoignages aussi éloquents.

Nous allons maintenant passer au volet des questions. La question peut s'adresser à une personne en particulier, et si quiconque est intéressé, faites-moi signe, et je vais m'assurer que vous puissiez prendre la parole. Nous allons essayer de nous en tenir à des questions courtes pour que les témoins aient une bonne marge pour répondre.

• 1145

M. White, vous disposez de sept minutes.

M. Randy White: Je ne sais pas. Cela me déprime. J'ai lu le texte initial de la stratégie nationale antidrogue, publiée par les conservateurs en 1989, je crois, et j'ai étudié la stratégie nationale antidrogue qui a été mise de l'avant par le gouvernement en place, qui est très semblable à celle des conservateurs. Après les avoir étudiées toutes les deux, je me suis posé la question suivante: cette stratégie antidrogue fonctionne-t-elle? Quelqu'un sait-il même qu'elle existe? Qu'est-ce que je peux faire concrètement avec ce document pour me convaincre qu'elle fonctionne? Je n'ai pas encore réussi à trouver quoi que ce soit de concret, pour être franc.

Avant vous, quelqu'un a affirmé que le problème ne s'aggrave pas vraiment. Le problème de la toxicomanie ne diminue pas. Vous ne pourriez pas convaincre les gens dans mes collectivités d'Abbotsford et de Langley, ça, c'est sûr.

Dans tout cela, la question que je me pose est la suivante: que doit faire un gouvernement fédéral pour remplacer une stratégie qui ne semble pas fonctionner? En fait, j'ai voyagé dans tout le pays pour en parler, et les gens n'étaient même pas conscients de l'existence de cette stratégie.

Les gens affirment souvent que le pire cas est celui du Downtown East Side, et je suis d'accord. Par contre, cela va mal à Walley en ce moment. Cela va mal à Langley et à Abbotsford, les collectivités que je représente. Avant votre arrivée, j'affirmais que nous avons entendu dire, l'autre soir, qu'il y a maintenant 40 prostituées à Abbotsford, qui n'en avaient jamais vu auparavant, pour être très franc. À Abbotsford et à Langley, on ne peut parler d'échange de seringues ou de centre d'injection. Cela ne passe tout simplement pas.

Je suis perdu. J'essaie de me figurer, tout comme vous semblez le faire, comment cela fonctionne vraiment. Quelle serait une stratégie antidrogue concrète qui fonctionnerait?

Voici certaines des suggestions que j'ai jusqu'à maintenant. Nous avons le rôle primaire qui consiste à fournir du leadership, à établir une orientation, à adopter un modèle qui repose sur une approche globale axée sur la coopération, ne pas créer d'obstacles, ne pas créer de programmes bureaucratiques d'envergure et établir une politique et un concept globaux. Ce qui est assez paradoxal, personne ne nous a encore dit: donnez-nous de l'argent—pas encore.

Voulez-vous m'aider un peu? J'ai tendance à être probablement le plus conservateur des gens qui sont ici, mais je suis ouvert à ce chapitre. Je suis perdu pour ce qui est d'une stratégie nationale. Que peut faire un gouvernement fédéral pour donner forme à ce que vous disiez dans votre exposé, pour que nous puissions dire, enfin, que nous avançons dans ce dossier? Qu'est-ce que cela serait?

La présidente: M. Campbell a indiqué qu'il avait quelque chose à dire, puis, je crois, le Dr Schechter s'est avancé.

M. Larry Campbell: En 1976, j'ai mis sur pied la Section antidrogue à Langley, en Colombie-Britannique. Je peux vous dire qu'il y a toujours eu des problèmes de drogue à Langley. Walley a toujours eu des problèmes majeurs. J'ai déjà vécu à Abbotsford, et il y avait des problèmes à Abbotsford à ce moment-là. Il y avait des prostituées à Abbotsford à ce moment-là. Elles n'étaient probablement pas aussi faciles à repérer qu'elles le sont aujourd'hui.

Le fait est qu'aucune société, aucune collectivité n'est à l'abri. Abbotsford était la petite ville tranquille par excellence, mais les choses changent. Les populations changent.

J'ai donc deux réponses à votre question: que faudrait-il faire? La première réponse, c'est qu'il faut être courageux. C'est la première réponse. Rien de tout ce dont nous avons discuté est de l'ordre général des choses, même si cela est de moins en moins vrai. Je me souviens d'une conférence où un membre de l'auditoire m'a dit que les toxicomanes aimaient la drogue et méritaient leur sort. Maintenant, je crois que les choses ont changé.

Deuxièmement, je vous proposerais de tirer profit des succès connus et de ne pas vous mettre dans une position d'échec. Si Abbotsford et Langley souhaitent se battre contre des idées fructueuses comme l'échange de seringues désinfectées, c'est très bien. Ils vont devoir en subir les conséquences et, en dernière analyse, la collectivité finira par l'admettre. Mais ils vont devoir subir les conséquences. Cela ne fait tout simplement aucun doute. N'allez pas essayer des choses qui ne marchent pas. C'est la beauté de la situation où nous nous retrouvons maintenant. Nous pouvons jeter un coup d'oeil autour de nous. Mais en jouant à l'autruche ou en s'en remettant simplement à une abstinence fondée sur la foi, Langley et Abbotsford vont vivre exactement la même chose que ce qui a été vécu à Vancouver. S'il n'y avait pas d'échange de seringues à Vancouver, je frémis à la pensée de ce qui ce serait passé—les événements catastrophiques dont Marty a parlé. Cela aurait été tout simplement incroyable.

• 1150

Soyez donc courageux et mettez à l'essai des mesures qui, nous le savons, fonctionnent. Dire que l'échange de seringues crée des toxicomanes, c'est comme dire que les ordures créent des mouches.

La présidente: Docteur Schechter.

M. Martin Schechter: J'aimerais seulement ajouter un bref commentaire. Je constate une évolution énorme de l'opinion publique à Vancouver. Évidemment, vous connaissez mieux vos commettants que nous, mais je prédirais que cette évolution gagnera du terrain, car, au cours de ma carrière, j'ai assisté à la volte-face de notre approche et de l'attitude des banlieusards de Vancouver, à l'extérieur du Downtown East Side, à l'égard de l'usage de drogues injectables. Les gens peuvent voir que notre stratégie actuelle ne fonctionne pas. Par conséquent, je prédis que l'opinion des gens à l'égard de cette question changera si on fait un effort pour les informer.

Je ne connais pas les stratégies en détail, mais, si on envisage le Canada au moyen d'une approche heuristique, notre stratégie actuelle est fondée sur le système de justice pénale. Donc, à votre grande question sur les solutions possibles, je répondrais que les parlementaires doivent user de tous les moyens possibles pour changer notre façon d'aborder ce problème, de façon à ce que notre démarche soit surtout fondée sur la santé, au lieu du système de justice pénale. Je crois que nous irons de l'avant lorsque notre stratégie nationale se fondera sur ce principe global.

La présidente: Merci.

Nous écouterons maintenant M. Alexander, M. McMahon et le Dr O'Shaughnessy.

M. Bruce Alexander: Votre question m'interpelle, en partie parce que j'envisage de prendre ma retraite de l'université. J'ai passé de nombreuses années dans ce secteur, et j'ai vu tellement de personnes intelligentes tenter de répondre à cette question au cours des 30 dernières années. Je crois qu'il est maintenant évident—du moins, pour moi—qu'il n'y a pas de réponse à cette question, sous sa forme actuelle. Il n'y a pas de réponse possible, car la question est mal formulée. Si nous nous demandons comment résoudre le problème de la toxicomanie, nous sommes perdus. Je crois qu'un examen de la documentation dans le domaine révélera que les spécialistes s'entendent sur ce fait. Ils disent que nous pouvons améliorer un peu la situation, mais que nous ne pouvons résoudre le problème. La raison pour laquelle nous ne pouvons résoudre le problème, c'est que le cadre dans lequel il s'inscrit est mal défini.

Ce que j'ai tenté de dire dans le cadre de mon exposé, c'est que si nous changeons le cadre du débat et envisageons l'ensemble du problème de la toxicomanie et des types d'échecs que connaissent actuellement un si grand nombre de personnes, alors nous pourrons faire quelque chose. Alors, il est plutôt clair que le gouvernement a effectivement un rôle à jouer pour ce qui est d'offrir une meilleure forme de subsistance culturelle pour les gens dans notre culture. Bien sûr, c'est ce que fait le gouvernement de toute façon. Mais cela veut dire que le gouvernement doit revenir aux aspects fondamentaux. Il doit faire mieux, sans quoi toute mesure adoptée ne sera que superficielle. Il n'y a rien de mal à cela. De nombreuses personnes sont très efficaces lorsque vient le temps de fournir d'excellentes solutions de ce genre, et elles sont très importantes aussi. Mais si on envisage l'ensemble de la question, je crois qu'on ne peut trouver une solution que si on la reformule.

La présidente: Merci.

Monsieur McMahon.

M. Fred McMahon: Je crois que votre confusion tient partiellement au fait que la question s'inscrit généralement dans le contexte d'une politique qui a échoué. Nous savons que cette politique est un échec depuis 20 ou 30 ans maintenant, et on se dit constamment que s'il y avait plus de ressources... comme vous l'avez souligné, tout s'est immobilisé, plus personne ne demande de l'argent. Eh bien, si ce n'est pas une question de ressources, alors nous changerons ceci ou cela ou autre chose.

• 1155

L'un de nos principaux problèmes, que j'ai mentionné plus tôt, tient au fait que, grâce à cette politique—je vous rappelle que je parle en mon nom seul—le gouvernement a indirectement embauché une armée de recruteurs talentueux, qui sont allés dans la rue, qui ont établi des réseaux criminels et qui ont recruté de nouveaux toxicomanes pour répandre le problème. Toutes les personnes assises à cette table, sauf moi, ont été sur la ligne de front. Eh bien, nous avons envoyé des gens au front, mais l'adversaire est immensément plus riche, a immensément plus de gens sur le terrain, et peut repérer ces nouvelles recrues. Tant que nous n'aurons pas réglé ce problème, toutes les autres questions seront secondaires.

Vous avez mentionné que vous vous réclamez d'une tradition conservatrice. Un certain nombre de penseurs conservateurs sont arrivés à la conclusion que notre politique en matière de drogue devrait être non pas remaniée, mais bien changée de fond en comble. Milton Friedman, William F. Buckley, la liste est longue. Nous devons renvoyer cette armée de recruteurs et recourir à certaines solutions utilisées dans le passé. Cela constituerait une volte-face importante, mais je crois que nous devrions envisager cette option.

La présidente: Merci.

Docteur O'Shaughnessy.

M. Michael O'Shaughnessy: Pendant que le gouvernement fédéral tente de déterminer ce qu'il faut faire, il doit élaborer un mécanisme redditionnel avec ses partenaires. J'ai un bon exemple à soulever. Je parlerai du programme d'échange de seringues d'Abbotsford, et je l'appliquerai à l'endroit où je vis.

Je réside à Maple Ridge; nous n'avons pas de programme d'échange de seringues. Le conseil dit que nous n'avons pas de toxicomanes, alors nous n'avons pas de programme d'échange de seringues. Alors, les toxicomanes de Maple Ridge se rendent à Vancouver, la zone rouge. Ils s'y rendent, y achètent leur drogue, y partagent leur drogue, deviennent infectés et retournent chez eux. Pourquoi? Parce que tout le monde refuse d'accepter l'importance de l'échange des seringues. Vous n'avez qu'à vous rendre à Chilliwack et à demander combien de seringues on y distribue. C'est une localité plutôt rurale, dont la population est religieuse, et je peux vous dire que la demande y est importante.

Quoi que fasse le gouvernement fédéral, il ne doit pas laisser ses partenaires quitter le bateau. Lorsque la province dit qu'elle n'encouragera pas les collectivités à offrir des programmes d'échange de seringues, elle ouvre la porte à une grande débandade. C'est ce qui se produit. Nous avons mené une étude sur l'incidence du VIH le long de l'aérotrain. Cela tient au fait que les gens se rendent dans le Downtown East Side pour obtenir des services.

Par conséquent, il faut vraiment que le gouvernement fédéral agisse comme chef de file. Il faut que vos partenaires se demandent «ce que les politiques sont en train de créer». Certes, l'échange de seringues était simple à établir. La décriminalisation et tous les autres aspects sont de plus gros enjeux, mais il y a des aspects fondamentaux que certains ordres de gouvernements sont arrivés à occulter, ce qui, selon moi, ne fait qu'accroître le mal.

La présidente: Merci, docteur O'Shaughnessy.

Madame Davies, vous avez, en théorie sept minutes.

Mme Libby Davies: D'accord, si vous le dites.

Premièrement, je tiens à remercier tous les témoins qui ont comparu ce matin. Vos témoignages ont été percutants, et j'aimerais quasiment vous amener avec nous aux quatre coins du pays.

J'aimerais commencer par raconter une rencontre, avec vous, docteur Schechter, à l'époque de ma première élection. Vous vous en souvenez peut-être, j'étais dans mon bureau avec Bud Osborne. Vous m'aviez dit que, compte tenu de ce que nous savions sur la commission Krever et de ce qui était arrivé aux réserves de sang du Canada—le fait que le public était au courant, qu'on lui avait divulgué l'information, qu'il savait ce qui se passait—, le gouvernement fédéral, ou toute autre personne ayant le pouvoir d'agir, serait capable de négligence criminelle en omettant d'agir. Je crois que ce sont les mots que vous avez utilisés. Ces paroles m'ont vraiment interpellé. Je vous avais promis que je retournerais à la Chambre des communes et que je soulèverais cette question auprès du ministre de la Santé, ce que j'ai fait; il l'a en quelque sorte éludée.

• 1200

Mais c'est un point crucial. Lorsque nous sommes au courant des répercussions de l'échec d'une politique gouvernementale, quelles sont les conséquences si nous omettons d'agir en fonction de l'information dont nous disposons?

Cette question, je vous la pose à tous. Croyez-vous que nous ayons vraiment réalisé des progrès pour ce qui est de mettre fin au déni de personnes en position de pouvoir? Dans l'affirmative, il faudra déterminer si notre réaction sera d'envergure nationale ou si elle peut être plus locale. Histoire de prendre un exemple plus spécifique, songeons aux essais de prescription d'héroïne. Comme vous le savez, j'appuie fortement de telles initiatives, et j'appuie l'idée selon laquelle de tels essais devraient être effectués à l'échelle nationale. Mais je suis aussi inquiète: que faire si nous n'obtenons pas l'appui nécessaire partout au pays?

Les témoins que nous avons entendus aujourd'hui nous ont fourni une quantité appréciable de preuves selon lesquelles nous devrions mettre l'accent sur des initiatives communautaires, fondées sur ce que nous savons de chaque collectivité. Si nous sommes prêts à bouger, nous devrions bouger. Toutefois, je me demande jusqu'où cela pourrait aller, en ce qui concerne la création de lieux d'injection sûre et la tenue d'essais de prescription d'héroïne. Si nous sommes prêts à aller de l'avant à Vancouver, je ne veux pas que les initiatives soient retardées par des tentatives de convaincre Toronto ou Montréal ou une autre ville. Avez-vous tendance à conseiller une telle démarche, ou êtes-vous toujours d'avis qu'il faut lancer une initiative d'envergure nationale?

M. Martin Schechter: En réalité, le Dr O'Shaughnessy et moi-même avons publié dans le Journal de l'Association médicale canadienne un article provocateur intitulé «Krever 2008». Essentiellement, l'article disait que j'étais membre de la commission Krever, un comité composé de gens des milieux médicaux, et que je connaissais le travail qu'on faisait dans le domaine.

À l'époque, j'ai été frappé par le grand nombre de personnes invitées à rendre compte de la distribution en connaissance de cause de produits sanguins contaminés, et qui n'ont pas fait tout leur possible pour empêcher que cela ne se produise. Si, dans une collectivité, un politicien dit qu'il n'y aura pas d'échange de seringues, alors qu'il connaît les bienfaits de l'échange de seringues au chapitre de l'infection à VIH... Je vois là un parallèle évident, car cette personne devrait être tenue de rendre compte de la même façon que les administrateurs ont dû rendre des comptes devant la commission Krever. Alors, c'était simplement un article provocateur.

Votre deuxième question est compliquée, car nous sommes à la croisée de la science et de la pratique. Lorsque nous parlons d'essais et d'expérience, l'une des questions fondamentales qui sera soulevée consistera à déterminer si un essai mené à Vancouver sera applicable à Toronto et à Montréal. À l'heure actuelle, par exemple, les Suisses et les Hollandais font des essais, et les gens en Amérique du Nord qui s'y opposent déclarent que cela ne montre pas que l'expérience serait concluante dans notre contexte. Donc, la tenue de ces essais dans plusieurs contextes contribue à démontrer la généralisabilité de l'expérience.

En ce qui a trait spécifiquement aux essais touchant l'héroïne, Toronto et Montréal sont prêts à aller de l'avant. Il ne nous reste plus que quelques exigences à respecter avant de lancer l'initiative. Toronto et Montréal sont prêts, et Vancouver aussi. L'enjeu, maintenant, c'est le financement. Il n'y a donc aucun obstacle au lancement de cette initiative dans trois provinces—je suppose qu'on ne pourrait la qualifier de nationale—, si ce n'est de la question du financement.

Mme Libby Davies: D'où vient ce financement? Provient-il du protocole qui a été établi? J'oublie comment on l'appelle.

M. Martin Schechter: NAOMI. Oui.

M. Larry Campbell: Je crois que nous devrions nous demander non pas si nous réussissons ou échouons, mais si nous allons de l'avant. Certes, un aspect important soulevé par le Dr O'Shaughnessy tient au fait que si on refuse de voir la vérité en face à Surrey, ce qui est le cas, il n'y a aucun moyen de déterminer l'ampleur du problème.

Je peux vous dire que, probablement, environ 40 p. 100 des personnes décédées à Vancouver ne résidaient pas à Vancouver. Elles provenaient de New Westminster, de Surrey, de Vancouver-Nord, d'Abbotsford. Elles se sont rendues à cet endroit parce que c'est un marché de la drogue et qu'il n'y a vraiment pas de risque. Comme je l'ai dit, il ne s'agit pas d'une drogue à usage récréatif; ils ne s'installent pas dans leur salon pour regarder un match de hockey pendant qu'ils se piquent. Ils se trouvent une ruelle, se piquent, et meurent.

• 1205

L'une des mesures que nous devons prendre—et j'abonde dans le même sens que le Dr Schechter à cet égard—tient au fait qu'il n'est pas utile à Vancouver d'être éclairée si les localités qui l'entourent refusent de voir la réalité en face. Cela ne fonctionne tout simplement pas. Que ce soit une réussite ou un échec, je n'en sais rien. Il y a des régions où de telles initiatives ont réussi, mais c'est ce que j'ai conclu à titre de coroner en chef. Lorsqu'on s'adresse à ces municipalités, elles réagissent comme si les problèmes étaient à Vancouver, dans le Downtown East Side. Mais ce n'est pas vrai.

La présidente: Merci.

Madame Davies.

Mme Libby Davies: Je suis d'accord avec vous, mais je ressens un sentiment d'urgence concernant cette question, j'ai le sentiment que nous devons aller de l'avant. Je comprends ce que vous dites au sujet des essais nationaux, mais lorsque nous nous rendons aux centres d'injection sûre... nous en avons eu la démonstration samedi. C'était très convaincant, car cela montre vraiment comment une intervention à faible seuil peut tout de même être très efficace.

Je me demande seulement comment vous pensez y arriver, si nous sommes prêts à nous lancer et que personne d'autre ne l'est. Devrions-nous continuer d'avancer là-bas et au moins obtenir des résultats dans la collectivité la plus touchée? J'aimerais que d'autres quartiers, voire d'autres municipalités, y prennent part, mais si cela suppose d'attendre encore un an ou deux—nous avons déjà attendu trop longtemps—, que pensez-vous de cela?

La présidente: Docteur Schechter.

M. Martin Schechter: Je crois qu'il faut établir une distinction entre le besoin de procéder à un essai multicentre en matière d'héroïne et l'évaluation des centres d'injection sûre. Je crois que vous avez absolument raison. L'évaluation en vue de déterminer si un centre d'injection est plus sûr tient largement au contexte, et les types d'analyse permettant de faire de l'évaluation sont différents de ceux qu'on appliquerait aux essais médicaux de plusieurs centres, qui visent à examiner les résultats cliniques individuels. Dans le cas des centres d'injection sûre, nous tenterons de déterminer l'impact sur le quartier et l'effet sur les personnes qui utilisent les centres, et je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas faire cela localement. J'établirais une distinction entre les deux.

La présidente: Monsieur Campbell.

M. Larry Campbell: L'un des aspects qui m'intéressent particulièrement des centres d'injection sûre est lié aux statistiques sur les utilisateurs. Ce sera incroyablement intéressant, car nous serons en mesure de recueillir des données permettant de déterminer où les utilisateurs résident. Ensuite, nous pourrons utiliser ces données pour aller de l'avant. Je le répète, nous avons déjà attendu trop longtemps. Il y a des gens qui meurent, et c'est inacceptable. C'est tout simplement inacceptable.

Nous devrions aller de l'avant. Certains avancent que l'initiative attirera tous les toxicomanes à Vancouver. Mais c'est évident! Ils viennent déjà à Vancouver, et la situation ne changera pas. Mais, maintenant, nous pouvons au moins montrer aux autres collectivités des statistiques qui reflètent la réalité. Ils doivent comprendre la réalité.

La présidente: Docteur Schechter.

M. Martin Schechter: J'aimerais seulement ajouter un point crucial en ce qui concerne ce thème de «l'aimant» qu'on soulève constamment. Les gens diront: «Eh bien, nous ne pouvons offrir ce type de service, car les toxicomanes se rendront dans cette localité.» C'est une excuse qu'on utilise constamment dans un grand nombre d'endroits.

Nous avons mené une étude à Vancouver, dont le Dr Tyndall a parlé ce matin. Nous avons demandé aux répondants de l'étude VIDU, 1 500 utilisateurs de drogues injectables provenant de partout dans la partie continentale intérieure, pourquoi ils se rendaient dans le Downtown East Side. Est-ce pour l'échange de seringues? Est-ce en raison des services offerts? Est-ce pour l'une de ces choses? Ce n'était jamais pour ces raisons. Ils s'y rendent parce que c'est à cet endroit que se trouve la drogue, et c'est l'unique raison.

Je tiens donc à signaler à toute administration qui refuse d'offrir ces services par crainte d'attirer les toxicomanes dans ses collectivités, qu'aucune preuve scientifique ne soutient ce point de vue.

La présidente: Merci.

Puis-je seulement poser une question secondaire à celle de Mme Davies?

Est-ce qu'une partie de vos préoccupations tient au fait que si les collectivités avoisinantes ne prennent aucune mesure, comme c'est le cas, par exemple, dans celle du Dr O'Shaughnessy, la population toxicomane se rendra dans une zone où elle perdra les autres appuis dont elle peut bénéficier? Craignez-vous qu'un éventuel déplacement de ce genre complique davantage la réintégration de ces personnes ou leur passage à une autre étape de leur vie? Est-ce que cela fait partie de vos préoccupations, la crainte que ces personnes s'éloignent de leur réseau de soutien pour se rendre dans une autre localité?

M. Michael O'Shaughnessy: Votre question a plusieurs dimensions. Premièrement, si on n'offre pas, disons, d'échange de seringues à Maple Ridge, où je réside, savez-vous ce qui se produira? Ils réutiliseront les seringues. Ils les partageront. Si nous n'offrons pas de traitement pour la toxicomanie, par exemple, une clinique de méthadone, comment arriverons-nous à aider ces personnes à se défaire de la dépendance? Je suis d'accord avec Martin et Larry: ce qui attire les gens dans le Downtown East Side, c'est qu'il n'y a aucun autre endroit où l'on peut se procurer une dose d'héroïne pour dix dollars. C'est dans le Downtown East Side que cela se trouve, alors c'est là qu'on se la procure.

• 1210

Mais en même temps, lorsque les collectivités rurales et moins centrales n'offrent pas le service, on prive ces personnes d'une porte de sortie. S'ils veulent utiliser le service d'échange de seringues, ils doivent se rendre dans cette zone rouge, et c'est de la folie. La plupart du temps, savez-vous ce qui se produit? Les toxicomanes n'utilisent pas le service, car ils veulent jouir d'un accès immédiat au service. Si on ne peut leur offrir des soins ou d'autres services, ils se contenteront de continuer de faire ce qu'ils font déjà. La fenêtre est assez petite.

La présidente: Monsieur Campbell.

M. Larry Campbell: Ils reviennent dans votre collectivité, et ils transmettent la maladie dans votre collectivité. Par exemple, si je vivais à Abbotsford, je me rendrais probablement au centre-ville quand même pour obtenir mes drogues, mais si on offrait un service d'échange de seringues à Abbotsford, je m'y rendrais afin d'obtenir une seringue propre. Cela ne me coûterait rien. Je me rendrais au centre-ville pour trouver de la drogue et la consommer, mais je reviendrais quand même dans ma collectivité. Je reviendrais quand même à Abbotsford. Comme l'a signalé Michael, le service est là, il suffit d'y recourir. Si je n'ai pas accès à ce service, au bout du compte, je ne m'en soucierai pas et je partagerai mes seringues.

La présidente: Docteur Schechter.

M. Martin Schechter: Du point de vue de la santé, si vous êtes, par exemple, un préposé aux soins de santé à Abbotsford, où la séroprévalence chez les toxicomanes est d'environ 1 p. 100, 2 p. 100 ou 3 p. 100, vous ne tenez absolument pas à ce que les toxicomanes se rendent dans le Downtown East Side, où la séroprévalence est de 40 p. 100, et partagent une seringue. Vous voudrez offrir des services sur place, par exemple, un centre d'injection sûre, qui permettra d'éviter les comportements plus à risque. Sinon, ils se rendront au centre-ville, deviendront infectés et retourneront chez eux. C'est de cette façon que l'épidémie se répand à l'extérieur des grands centres urbains.

La présidente: Monsieur McMahon.

M. Fred McMahon: J'aimerais seulement poser une brève question. À quoi bon établir une politique de prohibition si n'importe qui peut embarquer dans l'aérotrain, se rendre à Vancouver-Est pour s'approvisionner? De fait, ce phénomène apparaît dans toutes les grandes villes canadiennes, et, dans une certaine mesure, il aggrave le problème, car on attire les toxicomanes dans un ghetto de drogue, et on crée des recruteurs. Donc, à quoi bon établir une politique de prohibition si on peut emprunter l'aérotrain, prendre l'autobus ou tout autre moyen de transport pour se procurer de la drogue?

La présidente: Monsieur Owen, s'il vous plaît.

M. Stephen Owen: Merci. Je tiens à vous remercier tous d'avoir témoigné aujourd'hui, et du travail important que vous faites au sein de notre collectivité.

J'aimerais formuler quelques commentaires et poser quelques questions. Vince Cain, John Miller, Larry Campbell et Terry Blythe, des piliers de notre collectivité dans les domaines de la santé et des forces de l'ordre, clament haut et fort, depuis plus de dix ans, que notre approche actuelle ne fonctionne pas. Il est possible que l'opinion publique soit en évolution à Vancouver—et les discussions relatives à l'entente de Vancouver laissent croire que c'est le cas—, mais on ne perçoit pas cette évolution dans l'ensemble de la société. Notre rôle consiste en partie à diffuser plus efficacement ce message, et j'espère que nous y parviendrons.

Si l'on diffuse ce message, l'ensemble de la collectivité canadienne reconnaîtra le besoin d'offrir ce type de service. De plus, au-delà de l'effet de triage propre au Downtown East Side, nous diffuserons la solution d'une façon plus efficace. Vous avez déjà partiellement répondu à cette question, mais comment pouvons-nous diffuser ce message à grande échelle?

En ce qui concerne le commentaire de M. McMahon, il est assez intéressant de signaler que, il y a environ huit ans, j'ai lu un article du Fraser Institute qui défendait de façon très exhaustive l'argument économique, que vous venez de soulever, contre la politique de guerre contre la drogue. Lorsque Gladstone a déclaré que Disraëli mourrait par la potence ou une maladie vénérienne, ce dernier lui a répondu: «Selon que j'embrasse vos principes ou votre maîtresse.»

• 1215

Des voix: Oh, oh!

M. Stephen Owen: Eh bien, nous pourrions peut-être ajouter ceci: «... ou que je me permette d'essayer votre laudanum.»

Ma question concerne le crime organisé—il semble que la difficulté à décrire exactement ce phénomène constitue une part importante du problème. Le problème, lorsqu'il est question de crime organisé, c'est qu'il réside tout juste à l'extérieur des limites établies par une politique, quelle qu'elle soit. En assouplissant l'approche en matière de drogue douce, le crime organisé se situera tout juste de l'autre côté des limites établies par la politique. Cela s'applique à la prostitution, aux drogues, aux armes à feu, bref, à presque tout.

Alors, un argument économique ne nous aide pas à composer avec le problème du crime organisé ou érigé en entreprise. Est-ce que cela ne va pas seulement déplacer leur participation au commerce de la drogue en aval?

Monsieur Alexander, vous affirmez que l'adoption d'un objectif centralisé devrait être axé sur la cohérence. Je suis d'accord avec vous. J'aimerais connaître votre opinion en ce qui concerne l'accord de Vancouver à titre de modèle favorisant la cohérence qui miserait sur l'expérience locale et la réalité, d'une certaine façon. Est-ce un exercice que nous pouvons reproduire, du moins à titre de modèle de processus, partout au pays?

Docteur Schechter, votre intervention s'attachait—et je sais que votre expérience est beaucoup plus large—aux utilisateurs de drogues injectables, car ces derniers constituent l'objet de votre travail dans le Downtown East Side. La consommation de drogues injectables est-elle le principal facteur de transmission du VIH et de l'hépatite C, ou s'agit-il uniquement d'un élément dans une série de conditions sociales, comme la pauvreté, l'inégalité entre les sexes ou la maladie mentale, qui contribuent à créer un contexte malsain dans le Downtown East Side?

Vous soulevez la question des victimes autochtones de la maladie. J'ai l'impression que les taux de prévalence que vous décrivez ressemblent beaucoup à ceux qu'on trouve en Afrique, ce qui laisse croire que le phénomène n'est pas unique, que la pandémie qui sévit là-bas est non pas quelque chose de différent de ce que nous avons ici, mais bien quelque chose de plutôt comparable, et cela devrait orienter notre façon d'aborder le problème.

À cet égard, docteur O'Shaughnessy, je m'intéresse à l'approche du gouvernement fédéral en matière de santé des Autochtones. Je me demande si la situation des Autochtones n'est pas analogue à l'expérience africaine de la pauvreté, de l'inégalité des sexes et du déplacement des populations. Est-ce que nous nous pencherons sur la situation des Autochtones en région rurale? Nous savons que les taux de prévalence sont énormes dans le Downtown East Side. Arrivons-nous à rejoindre les nomades autochtones qui proviennent de collectivités rurales pauvres qui se rendent dans les grands centres urbains de Winnipeg et de Vancouver, et est-ce que le cycle se répand en milieu rural?

La présidente: Concernant la première question, celle qui touche le crime organisé, messieurs McMahon et Campbell souhaitent ajouter quelque chose. Ensuite, nous passerons à messieurs Alexander et Schechter, qui aborderont la question de la cohérence. Et je crois que MM. Campbell et O'Shaughnessy aimeraient se prononcer sur la question des toxicomanes et de la situation malsaine des Autochtones.

Monsieur McMahon.

M. Fred McMahon: Avec une telle liste de questions, je suppose que nous pouvons fermer les portes pour le reste de l'après-midi.

Des voix: Oh, oh!

M. Fred McMahon: Sur la question du crime organisé, il faut tout simplement enlever à ces gens le plus de territoire possible; ainsi, en ramenant plus d'activités du côté légal, on leur enlève des occasions. Par exemple: si on devrait rétablir la prohibition, un nouveau marché s'ouvrirait au crime organisé. On constaterait un accroissement des gangs criminalisés et des pathologies sociales qui en découlent. Cela dit, si nous devions légaliser toutes les drogues demain matin, on mettrait beaucoup de temps à démanteler ces groupes criminels, car ils ont mis du temps à... de fait, les groupes criminels qui sont nés à l'époque de la prohibition ne sont jamais vraiment disparus, mais on a grandement réduit leur nombre et leur influence.

• 1220

Il faut simplement chercher à limiter le plus possible les occasions qui s'offrent au crime organisé de faire de l'argent.

Quant aux pertes économiques qui accompagnent ce problème, elles sont pratiquement incalculables, car il faut tenir compte du coût direct des services de police—certains estiment cette somme à environ 2 milliards de dollars—, et nous n'avons aucune idée des pertes économiques découlant de vies ruinées par la guerre menée contre les drogues, le recrutement, etc. De nombreuses personnes pourraient mener une vie plus saine et se trouver un emploi si la drogue était légale et s'ils pouvaient se maintenir à un faible niveau de dépendance—et obtenaient de l'aide pour s'en défaire. C'est un immense problème.

Les problèmes sociaux et les crimes secondaires découlant de la guerre contre la drogue occasionnent, encore, des coûts astronomiques, mais personne n'en connaît le montant. Enfin, il y a, de l'autre côté de la loi, de très bons entrepreneurs qui pourraient stimuler énormément notre économie. C'est une bonne chose que Joe Kennedy ait cessé de vendre de l'alcool de contrebande et ait commencé à travailler du côté de la loi. Sam Bronfman s'est bien tiré d'affaire. Nous avons un certain nombre d'entrepreneurs en marge de la loi qui pourraient contribuer à l'économie.

Donc, les coûts économiques de cette guerre contre la drogue sont astronomiques et, selon moi, incalculables, même si les économistes, comme toujours, trouveront une réponse à un nombre incalculable de questions.

La présidente: Merci.

Je crois que M. Campbell voulait aussi commenter cette question.

M. Larry Campbell: La collaboration avec les entrepreneurs de l'autre côté de la loi dépasse les bornes.

Je regrette, mais je ne suis pas d'accord avec la décriminalisation. Je comprends exactement ce dont il est question ici, mais si nous n'arrivons même pas à établir des échanges de seringues, je crois que la décriminalisation constituerait un bond énorme. Il m'arrive de me réveiller la nuit et de constater que je suis du même côté que le Fraser Institute, et je suis à l'aise avec cette idée. J'aime cette idée.

Je crois que vous allez, évidemment, entendre le point de vue des forces de l'ordre, et je dois vous dire que l'interdiction et toutes ces choses, bien qu'importantes, ne constituent pas un facteur significatif dans le monde de la criminalité, surtout lorsqu'il est question de drogue. Nous avons une côte qui, à l'heure actuelle, n'est protégée par aucune force policière, et la drogue entre ici comme s'il y avait un énorme pipeline—je vous le garantis. Si je suis l'entrepreneur, je peux aller à l'étranger—et laissez-moi vous le dire maintenant, en raison de la guerre contre l'Afghanistan, préparez-vous, car tout cela va repartir de plus belle.

L'une des raisons qui expliquent l'énorme hausse de la quantité de drogues, c'est que les cultivateurs savent ce qu'ils font. Les drogues sont abondantes sur le marché, et n'importe qui peut s'en procurer. Si je suis un bon entrepreneur, j'engage quatre passeurs, je les envoie chercher des drogues et si l'un d'eux arrive à passer, je touche un million de dollars. Et vous savez quoi? Je me fous de ces passeurs. Je me fous d'eux, et je me fous des 3 000 $ que je leur ai donnés pour transporter les valises.

L'élément criminel se contentera de trouver une autre activité. M. Owen a raison: ils sont toujours tout juste de l'autre côté de la légalité. Si je suis un agent de police, le criminel n'est pas tenu de respecter mes règles, et il ne les respecte jamais. Si je fonctionne selon les règles du criminel, je me retrouve soudainement avec ce dernier, dans une cellule. Je suis certain que la police soulèvera cet aspect de la question.

Vous entendrez aussi que la marijuana est une drogue d'introduction. C'est de la foutaise. Si la marijuana était une drogue d'introduction, les trois quarts de la population canadienne seraient dépendants. Ce n'est pas une drogue d'introduction. Les facteurs qui mènent à la toxicomanie sont la pauvreté, le chômage, l'itinérance et, fait surprenant—aspect auquel on ne pense pas—l'ostracisme, les gens qui n'entrent pas dans le moule. Ils n'ont pas été victimes d'abus, ils sont tout simplement différents. Pour cette raison, ces personnes vont où on les acceptera. C'est tout ce que j'ai à dire.

La présidente: Merci.

Monsieur Alexander.

M. Bruce Alexander: Je crois que l'accord de Vancouver est un exploit merveilleux—un exploit incroyable, vraiment, si on envisage tout le travail qu'il a fallu mettre pour le conclure. Certains des principaux artisans de l'accord sont ici, et je crois que nous devons leur attribuer énormément de mérite pour ce qu'ils ont fait.

• 1225

Selon moi, cela répond aussi à la question qu'a posée Libby Davies plus tôt: «Avons-nous réalisé des progrès?» La réponse est oui, à l'échelon de la ville, nous avons réalisé des progrès énormes. À l'échelon fédéral, par contre, je crois que la réponse est non, nous n'avons pas fait de progrès, car... eh bien, je ne répéterai pas mon témoignage, mais j'aimerais, si vous le permettez, vous raconter une anecdote qui illustre peut-être mon point de vue.

Si nous envisageons Vancouver il y a 125 ou 150 ans, on n'y trouvait, évidemment, que des Autochtones. Je ne compte pas ressortir la théorie du bon sauvage. Il s'agissait d'êtres humains ordinaires, dont la vie était compliquée, et qui avaient beaucoup de problèmes. Ils avaient des esclaves, beaucoup de guerres, et de démence—bref, toutes sortes de problèmes. Toutefois, ils n'avaient pas à composer avec la toxicomanie. On ne trouvait rien de cela, d'après mes recherches, et j'ai travaillé très dur pour le découvrir. Cela ne faisait pas partie de leur réalité.

Ils ont ensuite fait l'objet d'une politique fédérale, en quelque sorte, et ce peuple est arrivé au point où la presque totalité avait développé une dépendance; maintenant, le gouvernement fédéral, dans toute sa sagesse, tente de rétablir une partie de ce qui a été perdu. Évidemment, ces gens ne peuvent rétablir le contexte dans lequel ils vivaient avant leur contact avec la civilisation—ils ne peuvent pas le faire—mais une partie de ce passé peut être rétabli. Un sentiment d'appartenance culturelle peut être rétabli, et je crois que les gouvernements fédéral et provincial font preuve de délicatesse et travaillent dur pour rétablir la situation.

Je crois que la compréhension liée à ce travail doit s'appliquer à tout ce que fait le gouvernement fédéral. Je crois que c'est à ce moment-là que le gouvernement fédéral joua son rôle, à l'égard non seulement du type de dépendance dont il est question dans le Downtown East Side, mais aussi, d'une manière plus générale, de la dépendance et du malaise qui nous entourent.

La présidente: Merci.

Docteur Schechter.

M. Martin Schechter: Vous soulevez un excellent point lorsque vous parlez des facteurs sociaux déterminants. J'en prends bonne note. La seringue—qu'elle mène au VIH ou à l'overdose—n'est qu'une voie finale commune pour une foule de problèmes sociaux, et vous en avez mentionné quelques-uns. Notre étude, VIDUS, nous a permis de constater que de nombreux participants ont été victimes d'abus sexuels dans le passé. Dans la collectivité autochtone, on peut remettre en question le rôle de l'internat dans le contexte actuel, et ainsi de suite.

Comme l'a signalé Larry, ces personnes qui se piquent dans la ruelle ne regardent pas le match de hockey pendant qu'ils se sentent bien. Ces personnes tentent de s'anesthésier, en raison d'une foule de problèmes antérieurs. On peut donc s'attendre à une hausse de la toxicomanie si nous ne tentons pas de résoudre ces problèmes par d'autres moyens.

J'ai mis l'accent sur le VIH et la voie finale commune, car, dans le domaine des soins médicaux d'urgence, il existe un principe selon lequel si on se retrouve devant un patient qui saigne, dont le coeur s'est arrêté, et qui n'arrive pas à respirer, il faut tenter d'abord de rétablir la respiration. Pourquoi? Parce que c'est l'élément qui mènera le plus rapidement au décès, et une fois ce problème réglé, on peut se tourner vers le saignement et l'arrêt cardiaque.

De même, nous nous retrouvons devant des gens dont la vie est brisée, et nous devons chercher à les stabiliser avant qu'il n'y ait des répercussions irréversibles, comme le VIH, l'hépatite C ou l'overdose. Ensuite, on peut, du moins on l'espère, offrir d'autres services afin de résoudre les problèmes sous-jacents qui sont à la source de tous ces tourments.

Vous avez raison. Nous devons examiner simultanément toutes nos politiques qui créent ces existences de misère. L'inégalité entre les sexes, le sentiment d'impuissance et la violence sont autant de facteurs qui font partie du milieu.

La présidente: Docteur O'Shaughnessy.

M. Michael O'Shaughnessy: Vous avez posé une question concernant la collectivité autochtone. C'est intéressant, car, plus tôt, Martin a fait référence à la commission Krever. La commission Krever a été créée parce que 1 100 personnes qui ont bénéficié de produits sanguins ont été contaminés par le VIH.

Nous parlons maintenant d'un phénomène beaucoup plus étendu que cela, même dans le Downtown East Side. Mais dans la collectivité autochtone, l'une des difficultés liées à la prise de mesures en matière de VIH et de toxicomanie tient au partage des responsabilités. Lorsqu'on travaille dans le secteur communautaire, on peut voir les fissures, car les gouvernements ont tendance à se rendre dans les réserves, à faire leur travail et à quitter la réserve. Mais, dans le Downtown East Side, on assiste à un phénomène de recyclage, où les Autochtones quittent la ville pour retourner sur leur territoire ancestral pour se rétablir. Nombre d'entre eux quittent le Downtown East Side, remettent de l'ordre dans leur vie, abandonnent les drogues, se rétablissent en quelque sorte, reprennent du poil de la bête, et retournent à Vancouver. Il y a donc un effet de recyclage.

• 1230

Toutefois, les programmes sont discrets. On trouve un programme fédéral ici, aucun programme là—peut-être un programme provincial—, mais au bout du compte, ce que le gouvernement fédéral devrait faire, c'est communiquer avec les autres ordres de gouvernement.

Avec les problèmes que connaît cette collectivité, comme les dépendances, de l'alcool jusqu'aux drogues, et, ensuite, le VIH, je crois qu'elle est sur une trajectoire catastrophique. Une partie de cela tient au fait que les membres de la collectivité qui ont une dépendance ne se manifestent pas, car on les ostracise. Je connais ce problème. Nous avons un endroit dans le quartier, et des personnes séropositives, des Autochtones, viennent me parler, car ils n'ont personne à qui parler dans leur réserve. Le gouvernement fédéral a donc un rôle exemplaire à jouer à ce chapitre, car il y a trop de fissures entre les programmes.

La présidente: Monsieur Owen, avez-vous des commentaires pour terminer?

M. Stephen Owen: Non, ça va. J'ai pu faire inscrire beaucoup d'informations importantes au dossier, merci.

La présidente: Merci, messieurs. Vous nous avez certainement fourni matière à réflexion, vous nous avez laissé tirer avantage de votre expérience, et nous sommes vraiment encouragés par le mandat que vous nous avez donné.

Merci beaucoup. Nous vous souhaitons la meilleure des chances dans vos travaux, ici à Vancouver, et, dans le cas des Drs Schechter et O'Shaughnessy, partout au pays.

Merci beaucoup, monsieur Owen, d'avoir comparu ce matin. Nous sommes heureux d'avoir pu profiter de votre expertise.

Encore une fois, si vous voulez nous acheminer quelque chose après la réunion, ou à la lumière de quelque chose que vous avez vu au cours de la semaine, veuillez l'acheminer à la greffière, qui se chargera de le diffuser à tout le monde, dans les deux langues officielles.

La séance est levée jusqu'à 14 heures, et nous entendrons ensuite un autre groupe de témoins.

Haut de la page