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SNUD Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 1re SESSION

Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 19 février 2002




¾ 0840
V         La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.))
V         M. Walter Cavalieri (représentant, The Canadian Harm Reduction Network)

¾ 0845
V         

¾ 0850
V         

¾ 0855
V         
V         La présidente
V         Dr David Marsh (directeur des services cliniques aux toxicomanes, Centre de toxicomanie et de santé mentale)

¿ 0900
V         
V         La présidente
V         Mme Koshala Nallanayagam (coordonnatrice pour l'hépatite C, Prisoners with HIV/AIDS Support Action Network)
V         La présidente
V         Mme Koshala Nallanayagam

¿ 0905
V         

¿ 0920
V         
V         La présidente
V         Mme Koshala Nallanayagam
V         La présidente
V         Mme Koshala Nallanayagam
V         La présidente
V         Mme Koshala Nallanayagam
V         La présidente

¿ 0925
V         M. Toby Druce (coordonnateur de programme, Seaton House)
V         M. Chris Gibson (superviseur des programmes, Seaton House)

¿ 0930
V         

¿ 0935
V         
V         La présidente
V         M. Glenn Betteridge (membre, Réseau juridique canadien VIH-SIDA)

¿ 0940
V         

¿ 0945
V         
V         La présidente

¿ 0950
V         
V         M. Glenn Betteridge
V         La présidente
V         M. White (Langley--Abbotsford)

¿ 0955
V         Dr David Marsh
V         M. Randy White
V         Dr  David Marsh
V         M. Randy White
V         La présidente
V         M. Chris Gibson

À 1000
V         
V         La présidente
V         M. Toby Druce
V         La présidente
V         Dr David Marsh

À 1005
V         
V         La présidente
V         Dr David Marsh
V         M. Lee
V         La présidente
V         Mr. Lee
V         Dr David Marsh
V         Mr. Lee
V         La présidente
V         M. Randy White
V         M. Walter Cavalieri

À 1010
V         
V         M. Randy White
V         La présidente
V         Dr David Marsh
V         La présidente
V         Ms. Davies
V         La présidente

À 1015
V         M. Walter Cavalieri
V         La présidente
V         M. Toby Druce
V         La présidente
V         M. Toby Druce
V         La présidente

À 1020
V         M. Chris Gibson
V         La présidente
V         M. Chris Gibson
V         La présidente
V         M. Chris Gibson
V         La présidente
V         M. Chris Gibson
V         M. Toby Druce

À 1025
V         
V         La présidente
V         Ms. Davies
V         La présidente
V         Dr David Marsh

À 1030
V         Ms. Davies
V         Dr David Marsh
V         Ms. Davies
V         La présidente
V         Dr David Marsh

À 1035
V         
V         La présidente
V         M. Toby Druce
V         La présidente
V         M. Walter Cavalieri
V         La présidente
V         Mme Koshala Nallanayagam

À 1040
V         
V         La présidente
V         M. Glenn Betteridge
V         La présidente
V         M. Toby Druce
V         La présidente
V         M. Chris Gibson

À 1045
V         
V         La présidente
V         Dr David Marsh
V         La présidente
V         La présidente
V         Ms. Fry
V         
V         La présidente
V         M. Toby Druce
V         La présidente
V         Mme Koshala Nallanayagam
V         
V         La présidente
V         Dr David Marsh
V         La présidente
V         M. Walter Cavalieri
V         La présidente
V         M. Glenn Betteridge
V         
V         La présidente
V         Mr. Lee
V         M. Glenn Betteridge
V         M. Lee
V         Dr David Marsh
V         La présidente
V         M. Chris Gibson
V         La présidente
V         Mme Koshala Nallanayagam
V         La présidente
V         Mr. Lee
V         M. Toby Druce
V         La présidente
V         Dr David Marsh
V         
V         La présidente
V         M. Walter Cavalieri
V         La présidente
V         Mr. Lee
V         M. Glenn Betteridge
V         La présidente
V         Mr. Lee
V         La présidente
V         M. Toby Druce
V         M. Chris Gibson
V         
V         La présidente
V         Dr David Marsh
V         M. Walter Cavalieri
V         La présidente
V         Mme Koshala Nallanayagam
V         
V         La présidente
V         Mme Koshala Nallanayagam
V         M. Glenn Betteridge
V         La présidente
V         M. Glenn Betteridge
V         La présidente
V         M. Glenn Betteridge
V         La présidente
V         M. Glenn Betteridge
V         La présidente
V         Mme Koshala Nallanayagam
V         
V         La présidente
V         Mme Koshala Nallanayagam
V         La présidente
V         Dr David Marsh
V         La présidente
V         Dr David Marsh
V         La présidente
V         M. Toby Druce
V         
V         La présidente
V         Ms. Davies
V         Dr David Marsh
V         Ms. Davies
V         Dr David Marsh
V         La présidente
V         Mme Koshala Nallanayagam
V         
V         La présidente
V         M. Walter Cavalieri
V         La présidente
V         Mme Koshala Nallanayagam
V         La présidente
V         Dr David Marsh
V         La présidente
V         Mr. Glenn Betteridge
V         La présidente
V         M. Lee
V         Mme Koshala Nallanayagam
V         M. Derek Lee
V         Mme Koshala Nallanayagam
V         M. Derek Lee
V         La présidente
V         Dr David Marsh
V         La présidente
V         Mme Hedy Fry
V         La présidente
V         Dr David Marsh
V         La présidente
V         Dr David Marsh
V         Mme Fry
V         Dr David Marsh
V         La présidente
V         M. Randy White
V         Dr David Marsh
V         M. Toby Druce
V         M. Chris Gibson
V         M. Glenn Betteridge
V         M. Walter Cavalieri
V         Mme Koshala Nallanayagam
V         La présidente
V         
V         Dr David Marsh
V         La présidente
V         M. Chris Gibson
V         La présidente










CANADA

Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments


NUMÉRO 024 
l
1re SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 19 février 2002

[Enregistrement électronique]

¾  +(0840)  

[Traduction]

+

    La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)): La séance est ouverte.

    Nous sommes les membres du Comité spécial sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments. Nous sommes ici à Toronto pour poursuivre notre enquête. Jusqu'à maintenant, nous nous sommes rendus à Vancouver et à Abbotsford. Hier, nous avons passé la journée à Toronto, et nous avons aussi entendu des témoins à Ottawa—pardon, nous sommes aussi allés à Montréal, où nous avons fait des visites de sites.

    Je vais vous présenter les députés qui sont ici aujourd'hui. Je vous indiquerai la formation politique qu'ils représentent, mais je tiens à vous dire que nous travaillons ici de façon tout à fait non partisane. Il est toutefois utile pour certains de savoir qui est qui.

    Je m'appelle Paddy Torsney. Je représente la circonscription de Burlington. Voici Randy White, député d'Abbotsford, en Colombie Britannique. Il est vice-président du comité et membre de l'Alliance canadienne. Libby Davies est de Vancouver Est; elle représente le Nouveau Parti démocratique. Derek Lee est de Scarborough—Rouge River, et Hedy Fry représente Vancouver Centre. Nous sommes tous les trois membres du Parti libéral.

    Nous sommes accompagnés ce matin de nos attachées de recherche, Chantal Collin et Marilyn Pilon. Carol Chafe est notre greffière. L'excellente équipe que vous voyez derrière moi verra à ce que vos microphones soient allumés afin que tout ce que vous dites puisse être transmis à Ottawa et consigné dans le compte rendu officiel. Pour ceux d'entre vous qui n'auraient pas déjà participé à un exercice comme celui-ci, sachez que nous faisons de notre mieux pour vous faciliter les choses.

    Nous accueillons ce matin, du Canadian Harm Reduction Network, Walter Cavalieri. Soyez le bienvenu, Walter.

    Du Centre de toxicomanie et de santé mentale, nous entendrons le docteur David Marsh. Bienvenue, Dr. Marsh.

    Du Prisoners with HIV/AIDS Support Action Network, nous accueillons Koshala Nallanayagam—bienvenue—qui coordonne le programme relatif à l'hépatite C.

    Toby Druce est coordonnateur de programmes à Seaton House et Chris Gibson y est surveillant de programmes. Bienvenue à tous les deux.

    Nous accueillons, du Réseau juridique canadien VIH-sida, Glenn Betteridge—bienvenue Glenn—qui travaille comme avocat auprès de ce groupe.

    À moins que vous ayez prévu autre chose, je vais vous inviter à nous présenter vos témoignages dans l'ordre où j'ai lu vos noms. Si possible, tâchez tous de vous en tenir à une dizaine de minutes. Je vais vous donner un signal quand vous serez rendu à neuf minutes—je lèverai un doigt—donc veuillez lever la tête de temps en temps.

    Si vous avez l'intention de prendre plus que dix minutes, vous pourriez peut-être me dire combien de temps au juste il vous faut. Personne ne nous a remis son texte par écrit, alors je ne sais pas combien de temps supplémentaire il vous faudra, mais si vous pouviez vous en tenir à dix minutes, tout ce que vous n'aurez pas eu le temps de nous dire pourra être abordé dans les réponses que vous ferez aux questions que vous poseront mes collègues.

    Walter Cavalieri, à vous la parole.

+-

    M. Walter Cavalieri (représentant, The Canadian Harm Reduction Network): Merci beaucoup. Merci de m'avoir invité ici. C'est un grand honneur et un grand privilège pour moi d'avoir cette occasion de m'entretenir avec vous tous.

    Je devrais vous dire un peu qui je suis. Je suis un des fondateurs du Canadian Harm Reduction Network, association qui réunit des particuliers et des organismes voués à la réduction des effets nuisibles socio-économiques mêlés aux drogues et aux politiques relatives aux drogues au Canada.

    Je porte aussi un certain nombre d'autres chapeaux. Je fais partie du Toronto Harm Reduction Task Force. Je suis chercheur à la faculté de médecine de l'Université de Toronto, où j'effectue des recherches qualitatives sur le sida et la consommation de drogues, ce qui m'amène à m'intéresser tout particulièrement à une étude sur l'injection de crack portant sur plusieurs villes. Je joue aussi le rôle de conseiller auprès des étudiants de l'Université Ryerson.

    Au fil des ans, j'en suis venu à connaître des centaines de personnes qui consomment des drogues. Les premiers utilisateurs que j'ai rencontrés étaient des professionnels qui travaillaient et qui réussissaient bien, car j'ai travaillé pendant bien des années dans le domaine du théâtre. La drogue la plus dangereuse qu'on y consommait, celle qui était une véritable plaie pour bien des gens, était l'alcool, qui a ruiné plus d'une carrière.

    Quand j'ai commencé à travailler sur la ligne de front comme travailleur social, d'abord auprès des jeunes, puis auprès des adultes qui vivaient dans la rue, j'ai constaté que les drogues de toutes sortes étaient une réalité omniprésente, et les décès liés à la consommation de drogues venaient immanquablement m'interpeller dans mes fonctions. C'est au moment où j'ai commencé à élaborer et à offrir des informations et des services relatifs au sida qui dépassaient la simple distribution de condoms ou l'échange de seringues, que je me suis vraiment rendu compte de la complexité de la consommation des drogues et que j'ai commencé à comprendre le rôle que jouent les drogues dans la vie des utilisateurs.

    Quand on fait du travail social, on part du principe que les personnes auprès de qui on travaille font les meilleurs choix possibles dans les circonstances et avec les connaissances qu'elle ont.

¾  +-(0845)  

+-

     Étant donné les circonstances dans lesquelles vivaient les personnes que je rencontrais dans la rue, je comprenais qu'elles aient recours aux drogues. J'en étais venu à trouver naturel qu'elles consomment de la drogue. Mais où est le vrai problème? Que se passe-t-il? Bien souvent, le fait de consommer les aide vraiment, les aide dans les moments difficiles. Souvent aussi, quand elles étaient moins exposées à des circonstances difficiles elles consommaient moins de drogues et parfois même cessaient totalement. C'était le cas même quand elles consommaient des drogues dures comme la cocaïne, l'héroïne ou l'alcool.

    Les recherches que je fais en ce moment, comme je l'ai dit, m'amènent à être en contact étroit avec des gens qui s'injectent de la cocaïne crack. J'ai interviewé ces gens à fond sur l'usage de cette drogue, et je les ai même vus se piquer. J'ai donc une connaissance directe de ce qui se passe lorsque les gens se droguent.

    J'ai été surpris, je dois l'avouer, de voir à quel point le crack pouvait calmer et satisfaire ceux qui le consomment—légère euphorie, soulagement des maux et des douleurs de tous les jours et sérénité étaient le plus souvent ce qui résultait de leur consommation. À bien y penser, peut-on blâmer ceux qui vivent dans la rue de rechercher ce genre d'euphorie, même si, en l'occurrence, elle est très éphémère? L'effet de la cocaïne crack ne dure qu'une quinzaine de minutes. Puis, le consommateur revient à la réalité de son quotidien, où, bien souvent, la dépression n'est jamais bien loin.

    En dépit de tout ce qu'on raconte au sujet de ceux qui divaguent après avoir consommé de la drogue—et je sais que c'est parfois ce qui se produit—le plus souvent, ceux qui venaient de s'injecter allaient se promener ou fumer un joint afin de prolonger le plus possible la sensation d'euphorie.

    Les soi-disant faits qu'on rapporte au sujet du danger des drogues sont souvent des demi- vérités, ou au pire, des mensonges et des fictions dangereuses qui sont entretenus par ceux qui veulent maintenir le statu quo de l'interdiction—ou vendre leurs journaux—peu importe le coût.

    Les gens qui consomment des drogues le font pour bien des raisons. Bien souvent, leur motivation est exactement la même que celle des gens qui consomment de l'alcool, mais chez ceux que nous avons observés dans la rue, il s'agit le plus souvent d'une forme d'automédication.

    La question qu'il convient donc de se poser est de savoir pourquoi ils consomment de la drogue de façon à se causer du tort? Cela s'explique en partie par le coût. Les consommateurs préfèrent s'injecter parce que les drogues coûtent cher, et elles coûtent cher parce qu'elles sont illégales et qu'on ne peut les obtenir que sur le marché noir. Le prix est en ainsi gonflé, les gens recherchent les façons les plus efficientes de consommer, et s'injecter, c'est beaucoup plus efficient que de fumer. On en a plus pour son argent, comme on dit dans les publicités.

    Il y a bien sûr des risques à s'injecter, mais dans l'ensemble, les consommateurs font de leur mieux pour atténuer ces risques. Fait intéressant, la plupart des risques pourraient être éliminés si les consommateurs pouvaient se piquer dans des endroits propres, bien éclairés, ou ils auraient accès à des seringues neuves, de qualité, et s'ils connaissaient aussi, bien sûr, la qualité et la puissance des drogues qu'ils consomment. Or, ils ne peuvent pas le savoir parce que nos lois rendent les drogues illégales. Si non, la plupart des drogues pourraient être consommées sans présenter plus de risques que la consommation d'alcool ou de tabac. Je ne veux pas en minimiser les risques ou les effets, mais la plupart des drogues ne sont pas plus nocives que l'alcool ou le tabac.

    Je veux simplement souligner qu'un des éléments qui contribue le plus aux méfaits associés à la consommation de drogue, ce sont les lois elles-mêmes, tout comme le climat d'ignorance, d'apathie, de négligence et de crainte qu'elles engendrent.

    Nos lois et les attitudes qui en découlent dénigrent et diabolisent les consommateurs de drogue. Elles ont également pour effet de créer un climat où il est difficile de discuter honnêtement des drogues. Aussi, on a vu apparaître au fil des ans de nombreux mythes et mensonges au sujet tant des drogues que de ceux qui les consomment, surtout les pauvres, à tel point que, dans l'esprit du public, les utilisateurs deviennent des êtres souillés qui ne méritent pas notre considération. Je cite là les propos d'un de nos grands théoriciens, Irving Goffman. Les utilisateurs se trouvent ainsi stigmatisés, dit-il.

    Qui plus est, ils se mettent à intérioriser cette perception qu'on a d'eux et finissent pas croire qu'ils sont effectivement des êtres souillés. Leur expérience à ce chapitre est très semblable à celle des homosexuels et des malades mentaux. Des lois ont toutefois été élaborées et adoptées pour protéger ces deux groupes. Les stigmates d'infériorité qui les marquaient s'estompent graduellement et non seulement ils commencent à avoir droit à de meilleurs services ainsi qu'au respect et à la compréhension, mais ils reconnaissent eux-mêmes leur valeur et donnent de plus en plus leur pleine mesure. Les consommateurs de drogue n'en sont pas encore rendus là, sauf s'ils ont une certaine situation sociale.

¾  +-(0850)  

+-

     Si seulement la compréhension dont Noelle Bush et sa famille ont bénéficiée était accordée au même titre à ceux qui se font prendre avec des drogues ou qui ont recours à la duperie pour en obtenir et qui vivent dans la pauvreté. C'est vraiment une question de situation sociale.

    Il y a aussi une contradiction entre les lois qui sont prévues et la capacité à fournir les services. Même si les fournisseurs et les utilisateurs des services d'échange de seringues ne sont plus soumis au même harcèlement qu'auparavant, celui-ci est loin d'avoir disparu. Les programmes d'échange de seringues ont survécu et ont fait leur preuve, mais ils sont toujours un objet de mépris dans bien des endroits, et ils ne sont certainement pas universels. Ils devraient l'être.

    On tarde toujours à mettre en place certains services fondamentaux et essentiels dont l'efficacité est avérée, comme la prescription d'héroïne et les piqueries contrôlées, et ce, pendant que certains hésitent et que d'autres meurent.

    Ce n'est pas là un sujet de discussion théorique. Je vois chaque jour les méfaits directs et indirects sur le terrain, les conséquences des mauvaises lois, la maladie, la souffrance, la mort. L'expérience m'a beaucoup changé.

    Même si nous prétendons que notre politique relative aux drogues s'inspire d'une approche visant à en réduire les méfaits, elle n'en demeure pas moins totalement fondée sur l'interdiction. Par conséquent, les taux d'infection au VIH et à l'hépatite C chez les Canadiens qui consomment des drogues sont beaucoup plus élevés qu'ils ne le sont parmi la population générale en raison de nos mauvaises lois. Criminalité et incarcération sont donc forcément le lot des consommateurs. Ils meurent, et ils continuent à mourir prématurément à cause de nos mauvaises lois.

    Ils ne rêvaient pas d'une vie comme celle-là, pas plus que nous. Ce n'était pas là la vision ni l'espoir qu'ils avaient pour l'avenir, mais l'avenir pour eux, c'est ça.

    Il y a des preuves abondantes selon lesquelles la soi-disant guerre contre les drogues, une des expériences sociales les plus longues et les plus coûteuses de l'histoire de la civilisation, n'a pas donné, ne donne pas et ne donnera sans doute pas les résultats escomptés, et pourtant elle ne cesse de prendre de l'expansion.

    Depuis que l'on a déclenché cette guerre, la consommation de drogues a augmenté. La gamme des drogues qui sont offertes s'est élargie. La criminalité liée aux drogues s'est accrue. L'incarcération des utilisateurs de drogues a augmenté.

    Comment peut-on, en bonne conscience, soutenir que cette guerre est l'approche la plus prudente et la plus responsable?

    Sur quoi se fonde-t-on pour rejeter sur la drogue le blâme pour notre système correctionnel coûteux, pour présence accrue du crime organisé, la propagation des maladies et la montée du terrorisme? Maintenir la législation actuelle sur les drogues, c'est rendre un mauvais service à notre pays, à ses citoyens et à l'humanité toute entière. Cette législation ne fait que donner à certaines personnes un sentiment de supériorité morale.

    L'opinion publique est en train de changer radicalement. La position du Canada sur l'utilisation de la marijuana à des fins médicales reçoit une excellente presse partout, notamment aux États-Unis. Le Cato Institute, le Fraser Institute et le magazine The Economist se sont tous prononcés en faveur d'une légalisation des drogues qui serait assortie de contrôles sociaux semblables à ceux qui sont imposés dans le cas de l'alcool et du tabac. Il s'agit là d'une solution censée que nous pourrons mettre en place avec le temps.

    Toujours selon The Economist, les lois qui imposent un seuil de tolérance zéro s'attirent la défaveur de l'opinion, même dans le pays qui les a vus naître, les États-Unis.

    Je vous implore de ne pas vous contenter d'assister en spectateur à cette transformation. Même si vous n'avez pas d'affinités avec les consommateurs de drogues, pensez aux répercussions sur leurs familles et les vôtres. Pensez aux problèmes de santé qu'engendrent les lois de prohibition: la propagation de l'hépatite C et du sida. Pensez au fardeau financier énorme que représentent à eux seuls les systèmes d'application de la loi et de justice pénale. Sachez reconnaître votre intérêt, qui n'est pas sans mérite, et faire preuve d'initiative.

    Entre-temps, il faut d'abord que nous cessions de trembler devant l'autorité morale des États-Unis. Leur législation en matière de drogue est un modèle à éviter à tout prix. Tournons-nous plutôt vers l'Europe et l'Australie, où l'on a mis en place des programmes humanitaires, efficaces, efficients et complets de réduction des méfaits et tâchons d'adapter leurs idées et leurs principes à notre réalité. Nous devons sans tarder mettre en place le cadre juridique qui permettra des interventions novatrices pour réduire les méfaits, comme la prescription d'héroïne et les piqueries contrôlées. Ces deux types d'intervention sont absolument nécessaires et doivent devenir aussi omniprésentes que l'est la consommation de drogues.

    Il n'est pas suffisant d'établir des programmes comme ceux-là uniquement dans les grandes villes. La consommation de drogue n'est pas simplement un phénomène urbain. Nous devons faire en sorte que les utilisateurs et les réseaux qui les aident participent à l'élaboration des mesures visant à réduire les méfaits liés à la consommation de drogues. Nous devons veiller à étendre à tout le Canada les services de réduction des méfaits et de traitement des toxicomanies qui donnent des résultats.

¾  +-(0855)  

+-

     Enfin, permettez-moi de vous inviter à revenir et à venir rencontrer avec moi certaines des personnes à qui nos lois ont causé tous ces torts directs et indirects, afin de les entendre vous dire elles-mêmes ce qu'elles ont à dire. Je vous invite à venir les rencontrer, non pas en observateurs curieux, mais en tant que concitoyens canadiens préoccupés par leur situation et prêts à apprendre. Cela a suffi, dans mon cas, pour changer ma vie et lui donner un sens. Je suis persuadé que l'humanité de ces gens, auprès desquels je travaille et que j'ai vraiment appris à connaître, aura un effet profond sur vous et sur vos délibérations.

    Merci.

+-

    La présidente: Merci, monsieur Cavalieri.

    Dr David Marsh.

+-

    Dr David Marsh (directeur des services cliniques aux toxicomanes, Centre de toxicomanie et de santé mentale): Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, bonjour. Je n'ai malheureusement pas de mémoire à vous présenter, mais je dois vous dire que je n'ai pas eu beaucoup de temps.

    Je veux essentiellement vous présenter trois points ce matin. Premièrement, les décisions que prennent les consommateurs de drogues se fondent sur des considérations tout aussi complexes que celles qui motivent la population en général. Qu'il s'agisse d'un jeune de 14 ans qui décide de consommer du cannabis pour la première fois, d'un homme de 65 ans qui choisit de fumer des cigarettes après avoir eu une crise cardiaque ou d'une personne de 35 ans qui s'injecte à l'héroïne tous les jours depuis 20 ans, chaque jour chacun d'eux décide de consommer ou de ne pas consommer de drogues et de la façon de le faire. Ces décisions se fondent sur des considérations aussi diverses et complexes, engendrées par leur passé, leurs sentiments et leur présent, que celles qui nous motivent dans nos décisions quotidiennes.

    Il convient de souligner par ailleurs que le fait de consommer de la drogue peut avoir un effet sur leurs motivations. Nous savons que les drogues ont un effet sur le cerveau qui, dans certains cas, peut être un effet de renforcement, c'est-à-dire que la personne est plus susceptible de consommer la drogue à nouveau à l'avenir. Les recherches commencent aussi à montrer que certaines drogues ont une influence telle sur le cerveau que l'utilisateur est contraint de se concentrer davantage sur des objectifs à court terme ou sur les influences à court terme plutôt qu'à long terme. L'effet des drogues sur le cerveau n'est toutefois pas le seul facteur. L'utilisateur est aussi influencé par son passé et par le milieu dans lequel il vit.

    Deuxièmement, comme nous vivons dans un monde qui n'est pas celui des utilisateurs, nous n'avons qu'une capacité limitée à influencer leurs décisions, que notre rôle soit celui de fournisseur de soins de santé ou de décideur. Ainsi, le jeune de 14 ans qui décide de consommer du cannabis pour la première fois peut être très peu influencé par le fait que la possession de cannabis est illégale.

    J'en veux pour preuve les résultats d'un récent sondage sur la consommation de drogues qui a été réalisé en Ontario et qui montre que les jeunes, et ce, pour chaque groupe d'âge, de la septième à la douzième année, consomment du cannabis depuis plus longtemps qu'ils ne fument des cigarettes. La conclusion qui se dégage de ces données, il me semble, c'est que le fait que le cannabis soit interdit n'a qu'un effet préventif limité sur les jeunes.

    La position officielle du centre sur la politique des pouvoirs publics en matière de cannabis est que la politique actuelle fait plus de tort que de bien. Je sais que vous allez entendre d'autres représentants du centre, si vous ne les avez pas déjà entendus, sur cette question.

    Étant donné que nous n'avons que très peu d'influence sur les décisions que prennent les gens en matière de consommation de drogues, et étant donné que le recours à des substances psychoactives fait partie de notre société depuis toujours, je pense qu'il en sera toujours ainsi. L'idée d'imposer une abstinence complète à notre société est un objectif irréaliste à mon avis. Cette idée part du principe que tous ceux qui consomment de la drogue suivront un traitement ou que tous les utilisateurs qui suivent un traitement pourront rapidement atteindre l'abstinence.

    Il nous faut donc tenir compte de ces réalités dans l'élaboration de nos politiques ou des méthodes de traitement. Il faut se rendre à l'évidence et accepter le fait que certains parmi ceux qui suivent un traitement, vont vouloir continuer à consommer certaines drogues.

    Enfin, je tiens à vous dire que, comme notre capacité à influencer les décisions des utilisateurs est restreinte, nous devrions essayer de faire en sorte que notre influence soit le plus efficace possible. Il faudra donc définir l'effet que nous souhaitons obtenir, puis en montrer l'efficacité.

¿  +-(0900)  

+-

     L'un des principaux éléments de la réduction des méfaits est la capacité ou l'importance d'évaluer l'efficacité de nos mesures. Cela s'applique autant aux décideurs qu'aux dispensateurs de soins de santé aux autres intervenants auprès des toxicomanes.

    Comme l'a mentionné Walter, l'échange des seringues est une intervention qui a été évaluée et jugée efficace. Chaque jour des gens décident de s'injecter des drogues ou choisissent une façon de le faire, et s'ils disposent d'accessoires propres, nous savons que cela contribuera à ralentir la propagation de maladies. Il est donc important que des services d'échange ou de distribution de seringues soient offerts d'un bout à l'autre du pays, y compris dans les établissements correctionnels où nous savons que des détenus s'injectent des drogues.

    Je vous donne aussi l'exemple du traitement d'entretien à la méthadone. Depuis six ans, je suis très actif dans les efforts qui sont faits en vue d'accroître la disponibilité de l'entretien à la méthadone en Ontario. En 1995-1996, à notre centre, il y a avait trois fois plus de personnes qui attendaient de suivre un traitement que nous ne pouvions en accueillir, et ce, malgré le fait que notre centre existe depuis 30 ans. Des toxicomanes ont fait des tentatives de suicide et pris des surdoses ou sont tombées enceintes ou ont contracté le VIH intentionnellement afin d'obtenir ce traitement. La situation était désespérée.

    Depuis que le Collège des médecins et chirurgiens de l'Ontario s'intéresse activement à la méthadone, depuis avril 1996, nous avons pu multiplier par 10 et même davantage, notre capacité de traitement dans toute la province. Il n'y a pas de liste d'attente à Toronto et nous poursuivons nos efforts en vue d'offrir ce traitement dans plus de régions rurales de la province.

    Mais il ne suffit d'offrir ce traitement. Il faut s'assurer que le traitement est efficace et que le patient le suivra jusqu'au bout; cela sous-entend des doses suffisantes. Le traitement d'entretien à la méthadone n'est pas toujours offert dans toutes les régions du pays d'une façon qui se fonde sur les meilleures preuves ou qui comprenne les doses les plus efficaces.

    L'héroïne sur ordonnance peut aussi être efficace dans certaines circonstances. Récemment, les Néerlandais ont rendu public un rapport sur leurs essais de l'héroïne, c'est l'évaluation la plus rigoureusement scientifique à ce jour sur l'héroïne d'ordonnance. J'estime que l'héroïne d'ordonnance est une option qui s'inscrit tout à fait dans la réduction des méfaits, car vous prescrivez des injections quotidiennes d'héroïne à quelqu'un qui s'injecte déjà. Les expériences suisse et hollandaise nous ont prouvé qu'en fournissant aux héroïnomanes une dose connue d'héroïne de première qualité qu'ils peuvent s'injecter dans un environnement sûr, on prévient les surdoses et la propagation de maladies et on améliore les chances de santé et d'emploi des héroïnomanes. À long terme, certains des participants à l'expérience suisse, en fait, bon nombre d'entre eux, ont choisi d'abandonner graduellement l'héroïne ou d'y ajouter de la méthadone et de s'injecter moins souvent, ce qui a grandement amélioré leur qualité de vie.

    Je serai heureux de répondre à vos questions sur ces interventions; je n'ai pas d'autres remarques à faire pour l'instant.

+-

    La présidente: Merci, docteur Marsh.

    Koshala, voulez-vous prendre la parole?

+-

    Mme Koshala Nallanayagam (coordonnatrice pour l'hépatite C, Prisoners with HIV/AIDS Support Action Network): Bonjour. Nous avons eu peu de temps pour nous préparer.

+-

    La présidente: Oui, je m'en excuse. Malheureusement, la façon de procéder avec la Chambre rend les préparatifs de voyage difficiles et retarde l'envoi de préavis, mais nous savons gré à tous de leurs efforts.

+-

    Mme Koshala Nallanayagam: Je suis un peu nerveuse, car je prends rarement la parole devant un comité comme le vôtre. J'aimerais d'abord vous parler un peu de PASAN car j'ignore si vous connaissez notre organisation. C'est le Prisoners' HIV/AIDS Support Action Network ou Réseau d'appui aux détenus ayant le sida ou le VIH. Nous existons depuis plus de 10 ans. Notre mandat est la sensibilisation, le soutien et la défense des droits des détenus et ex-détenus, ainsi que des jeunes contrevenants vivant avec le VIH, le sida ou l'hépatite C.

    Les statistiques nous indiquent qu'il y a dix fois plus de personnes séropositives dans les établissements carcéraux que dans la population en général et que l'hépatite C y est, je crois, 40 fois plus présente.

¿  +-(0905)  

+-

     C'est attribuable à bien des motifs, comme d'autres l'ont indiqué. Beaucoup de détenus sont incarcérés pour avoir commis des infractions liées aux drogues, la consommation de drogues étant encore considérée comme une question criminelle et non pas une question de santé. Certains détenus s'injectent des drogues pour la première fois après leur arrivée en prison. Parfois, ils s'étaient contentés de fumer de la marijuana auparavant. Lorsqu'ils entrent dans le système carcéral, du point de vue de la réduction des méfaits, bien des détenus croient probablement qu'il est préférable de s'injecter que de fumer des drogues, car il est alors moins probable qu'ils se fassent prendre.

    Par ailleurs beaucoup de détenus consomment des drogues parce qu'ils vivent dans des conditions intolérables et que les drogues les gardent sains d'esprit et les empêche de se suicider.

    Il est certain que le VIH et le virus de l'hépatite C sont transmis par les seringues et, dans le cas du VIH, lors de relations sexuelles sans protection. Mais le tatouage est aussi très populaire en prison. On y trouve des tatoueurs extraordinaires. Malheureusement, les détenus partagent aussi l'équipement de tatouage, ce qui contribue considérablement à la transmission de maladies telle que l'hépatite C. Même en partageant de l'encre on peut transmettre le virus et beaucoup de détenus qui se font tatouer contractent ainsi l'hépatite C. Le tatouage reste une infraction disciplinaire; bien des choses pourraient donc changer à cet égard.

    PASAN a rédigé un mémoire en 1992 intitulé «HIV/AIDS in Prison systems: A Comprehensive Strategy», qui a été remis au ministre des Services correctionnels et au ministre de la Santé. Il contient beaucoup de bonnes recommandations sur la sensibilisation des détenus et du personnel des établissements carcéraux et sur la distribution de condoms, d'eau de javel, de seringues et de méthadone.

    Les condoms sont maintenant disponibles, surtout dans les établissements fédéraux. Toutefois, cette disponibilité n'est pas constante et uniforme. Il arrive que les détenus doivent aller à l'infirmerie pour obtenir des condoms et qu'ils ne puissent en avoir que deux. Sinon, encore une fois, c'est une infraction disciplinaire. L'eau de javel, comme vous le savez sans doute, peut tuer le VIH, mais pas le VHC à moins que la seringue utilisée soit bien nettoyée et qu'elle ait trempé dans l'eau de javel pendant dix minutes.

    Cependant, le genre de matériel artisanal et de seringues dont on se sert dans les prisons est utilisé à répétition et se dissoudrait probablement dans l'eau de javel. Il arrive qu'une seringue soit utilisée pendant deux ou trois mois; vous pouvez donc vous imaginer le genre d'infections qui se transmettent ainsi. Une femme m'a même dit qu'elle avait été aspergée d'eau de javel servant à désinfecter les seringues, mais que cela n'avait eu aucun effet sur la couleur de ses vêtements. Manifestement, cette eau de javel est tellement diluée qu'elle est très peu efficace.

¿  +-(0920)  

+-

     En ce qui concerne le tatouage, nous avons proposé que cela relève des passe-temps ou de l'artisanat, et qu'on enseigne aux détenus comment se tatouer convenablement. Ce serait préférable, car c'est une activité très populaire dans les prisons.

    En ce qui concerne l'échange de seringues, certains prétendent, comme lorsqu'on a pris ces mesures pour les toxicomanes en général, que l'échange de seringues ne fait qu'encourager la consommation de drogue par voie intraveineuse. Mais cette pratique ne cessera pas et, sans seringue propre, les toxicomanes se font du mal. C'est ce qui est à la base même du concept de la réduction des méfaits. L'emploi de seringues usagées accroît la propagation de maladies. Il est facile de penser que les détenus ne font pas partie de notre société ou de notre collectivité. Mais tous les détenus finissent par être libérés, même ceux qui purgent une peine de prison à vie. Voilà donc une bonne raison de s'occuper des détenus avant leur libération.

    De plus, ils sont censés recevoir les mêmes soins médicaux que le grand public, ce qui n'est pas le cas. Les programmes d'échange de seringues dans les prisons fonctionnent bien en Europe et en Australie. Au début, on craignait que les gardiens ne soient blessés, mais cela n'a pas été le cas. Les seringues n'ont pas été utilisées comme armes, car elles sont trop précieuses pour ceux qui les utilisent. Si on garde les seringues là où elles sont visibles, elles sont moins nuisibles pour les gardiens. À l'heure actuelle, lorsqu'un gardien fouille une cellule, il peut se piquer accidentellement sur une seringue qui y aurait été cachée.

    Pour ce qui est de la méthadone, il est pratiquement impossible pour un prisonnier de commencer un traitement à la méthadone dans un pénitencier. Nous continuons de les aider à obtenir ce genre de traitement, car c'est une autre façon efficace de réduire les méfaits. Pour les détenus qui prennent déjà de la méthadone, c'est plus facile.

    Nous collaborons avec HALCO et un autre groupe dont j'ai oublié le nom. Beaucoup de gens nous ont aidé à rédiger notre mémoire en 1992.

    Ce que je tiens à dire au nom de PASAN et des détenus, c'est qu'on peut prendre bien des moyens pour réduire l'incidence du VIH, du VHC et de bien d'autres choses nocives comme les blessures, les infections et les abcès résultant des injections à répétition.

    Je m'arrête ici.

+-

    La présidente: Merci. Pourrais-je vous poser une seule question?

    Vous avez dit que les prisonniers ont droit à deux condoms seulement et que lorsqu'ils en obtiennent d'autre, c'est...

+-

    Mme Koshala Nallanayagam: C'est de la contrebande, oui.

+-

    La présidente: Combien de fois par jour ou par semaine peuvent-ils obtenir ces deux condoms?

+-

    Mme Koshala Nallanayagam: Probablement chaque jour.

    Cependant, ce n'est pas uniforme. Cela dépend de l'endroit et de la façon dont les condoms sont distribués. À certains endroits, on garde les condoms dans un endroit central où il est facile d'aller les prendre. Ailleurs, il faut les demander à l'infirmière.

    C'est un autre problème. Même la distribution de l'eau de Javel n'est pas uniforme.

+-

    La présidente: Vous voulez dire qu'il n'y a pas uniformité entre les établissements carcéraux provinciaux et fédéraux, ou seulement dans les pénitenciers fédéraux?

+-

    Mme Koshala Nallanayagam: Les deux. Les établissements provinciaux ont encore moins de mesures en place et les différences entre les établissements sont encore plus prononcées que dans le système fédéral.

+-

    La présidente: Merci beaucoup.

    Je cède maintenant la parole aux représentants de Seaton House.

¿  +-(0925)  

+-

    M. Toby Druce (coordonnateur de programme, Seaton House): Merci. Je vous sais gré de m'avoir invité à témoigner ce matin.

    Je m'appelle Toby Druce. Je suis coordonnateur des programmes à Seaton House. J'aimerais vous parler un peu de Seaton House qui offre des services aux sans-abris à Toronto. Puis, je cèderai la parole à Chris Gibson, le superviseur de notre programme de réduction des risques qui travaille surtout avec des cocaïnomanes consommateurs du crack.

    Seaton House est un établissement de 690 lits, destiné aux hommes seuls. Il est administré par la ville de Toronto. Nous dispensons des services à environ 4 000 personnes chaque année. Nos 690 lits sont occupés tous les soirs et, depuis 1953, certains de nos clients sont consommateurs de drogues.

    En 1997, nous avons entrepris d'importantes rénovations de nos installations et, dans le cadre de ce projet, nous avons tenté de déterminer les besoins des hommes seuls qui ont recours au système d'hébergement de la ville afin de déterminer quels changements il faudrait apporter à l'immeuble pour répondre à leurs besoins. Cela nous a permis de constater qu'environ 50 p. 100 des 4 000 hommes qui viennent à Seaton House chaque année, restent moins d'une semaine; ils s'en vont ensuite et nous ne les revoyons plus. Soixante-quinze pour cent de ces hommes restent moins d'un mois. Par conséquent, le roulement est très élevé et les séjours sont de courte durée, pour des soins d'urgence.

    La présence des toxicomanes avait un effet important sur les autres clients lorsque nous n'avions que deux programmes. Nous avions un programme pour les hommes plus frêles et âgés et un autre programme pour les autres. Dans un centre d'hébergement d'urgence comme le nôtre, qui dispense des services à la majorité des clients, il est certain que la consommation de drogues est un enjeu important. Le comportement des toxicomanes était parfois perçu comme un problème, surtout leurs allées et venues. Nous imposons un couvre-feu à minuit parce que beaucoup de ceux qui consommaient des drogues ou cherchaient des drogues, entraient ou sortaient après minuit et protestaient contre le couvre-feu. Ce qui était à la source du problème, ce n'était pas le fait qu'ils prenaient de la drogue, mais plutôt qu'ils ne respectaient pas les règles du centre.

    Quand est venu le moment de concevoir nos nouvelles installations, nous nous sommes demandés comment nous pourrions dispenser des services différents et loger séparément les consommateurs de drogues. Nous avons exploré différentes options avec la police, options qui étaient toutes assez compliquées à mettre en oeuvre. Nous avons envisagé la possibilité de faire faire un examen des chambres par des chiens détecteurs de drogues. Cela aurait été assez importun et n'aurait pas correspondu à notre philosophie qui veut que nous dispensions des services aux sans-abris. Nous avons aussi discuté de la possibilité d'avoir sur place des agents rémunérés prêts à déposer des accusations contre ceux qui seraient trouvés en possession de drogues ou d'un attirail pour l'injection de drogues. Encore une fois, nous nous y sommes opposés car ceux qui nous accueillons viennent chez-nous parce qu'ils sont désespérés. Nous ne voulons pas leur rendre la vie plus difficile parce qu'un petit groupe de clients consomment des drogues.

    La police nous a donc suggéré de confiner le plus possible ces hommes.

    Par conséquent, toujours conformément à notre définition de la réduction des méfaits, lorsque nous avons commencé à conceptualiser O'Neill House, notre intention était de réduire les méfaits pour ceux qui ne consommaient pas de drogues. Il ne s'agissait pas de réduire les méfaits pour les utilisateurs de drogues. Plutôt, nous voulions que ceux qui viennent chez-nous pour une courte période et qui constituent 75 p. 100 de nos clients soient le moins possible assujettis aux risques liés à la drogue. Nous avons donc créé le programme O'Neill House qui existe depuis environ 18 mois et qui comprend un centre de 60 lits.

    C'était là un aperçu de Seaton House. Je cède maintenant la parole à Chris qui vous parlera plus précisément de O'Neill House et de la réduction des méfaits.

+-

    M. Chris Gibson (superviseur des programmes, Seaton House): Merci beaucoup.

    J'aimerais revenir sur deux ou trois points. Walter a touché quelques mots de la criminalisation et j'estime que, comme pour toute autre loi, la criminalisation des drogues reflète le point de vue moral de la société sur la consommation de drogues. L'utilisation de drogues comme telle s'est alors vu accorder une dimension morale: ceux qui consomment des drogues sont mauvais et voilà pourquoi il y a des lois contre la consommation de drogues.

¿  +-(0930)  

+-

     Je le dis, parce qu'il y a encore des substances et des modes de vie qui n'ont pas été criminalisés mais qui sont tout aussi dangereux que la consommation de ces substances criminalisées. J'ai jeté un coup d'oeil à certaines des questions sur lesquelles le comité se penche. J'ai été frappé par la question: « Dans quelle mesure la criminalisation multiplie-t-elle les méfaits de la consommation de drogues. » À mon avis, la criminalisation les empirent énormément. Si une loi vise à dissuader les gens de s'adonner à une certaine pratique considérée néfaste pour la société dans son ensemble ou les membres de cette société, cet effet dissuasif est beaucoup moindre dès qu'on franchit la frontière qui nous sépare du comportement criminel. Si on vous considère comme un criminel parce que vous consommez des drogues, il est beaucoup plus facile, ayant déjà été étiquetté, de poursuivre le comportement criminel. L'effet dissuasif est de beaucoup affaibli.

    Comme l'a dit Walter, étant donné que la plupart des drogues proviennent uniquement du marché noir, elles sont extrêmement coûteuses. Pour s'adonner à une pratique qui doit nécessairement être clandestine—et pour en avoir les moyens—, il faut faire partie de ce marché noir et de cette activité criminelle et se livrer à des crimes contre les biens, surtout de petits vols.

    Pour nos clients—comme l'a indiqué Toby, il s'agit d'hommes seuls—et pour ceux qui ont recours aux refuges en général, être consommateur de drogues, c'est quelque chose qu'on est encouragé à cacher, même si cette utilisation régulière et importante de drogues contribue à l'itinérance de ces personnes qui ne sont pas encouragées à la reconnaître et à en discuter ouvertement.

    La plupart des services offerts aux sans-abris ne sont pas offerts aux sans-abris qui avouent consommer des drogues. L'hébergement, qu'il est très difficile d'obtenir pour toute personne sans abri, est presque impossible pour celui qui avoue utiliser des drogues—ce qui ne serait pas le cas s'il cachait ce fait. On encourage donc les sans-abris toxicomanes à cacher leur dépendance, à consommer des drogues clandestinement car c'est un comportement jugé criminel. C'est pour des raisons comme celle-ci que, comme l'a mentionné Toby, la très grande majorité des clients de Seaton House n'y reste que peu de temps.

    Nous avons aussi constaté que plus la durée du séjour d'une personne est longue, plus il est probable qu'elle restera au centre d'hébergement. Il y a une espèce de point de non retour après six ou neuf mois; à ce moment, il devient extrêmement difficile de partir. C'est vrai pour tous nos clients, qu'ils soient consommateurs de drogues ou non. S'ils sont toxicomanes, c'est deux fois plus difficile, car pour avoir droit à quelques services pouvant les aider à se tirer d'affaire, ils doivent d'abord accepter une forme ou une autre de traitement. Encore une fois, s'ils sont honnêtes à propos de leur consommation de drogues, c'est un autre obstacle qu'ils doivent surmonter avant de pouvoir se prévaloir de quelque service que ce soit.

    D'après ce que nous racontent nos clients, le succès dépend de notre volonté de reconnaître les consommateurs de drogues. Encore une fois, Walter l'a mentionné, ceux qui prennent de la drogue le font pour de bonnes raisons. Je n'ai rencontré personne qui s'est mis à consommer de la drogue parce qu'il croyait qu'il deviendrait ainsi pauvre et sans-abri et vivrait une vie misérable. C'est absurde, je suis certain que vous en conviendrez. Les drogues suscitent un sentiment de bien-être; voilà pourquoi on commence à en prendre au départ.

    En général, pour qu'un toxicomane puisse réintégrer la société, on lui demande de surmonter plusieurs obstacles. Soyons honnêtes: il serait absurde de dire à un homme de 40 ans, qui n'a pas de diplôme d'études secondaires, qui est un consommateur chronique de drogues depuis 20 ans et sans-abri depuis 10 ans—ceux avec qui je travaille vivent dans la rue depuis 10 ou 15 ans—que tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes dès qu'il cessera de prendre de la drogue. Il n'a pas d'instruction. Il n'a pas d'expérience de travail. Il est institutionalisé parce qu'il n'a pu vivre de façon autonome depuis 10 ans.

¿  +-(0935)  

+-

     Cesser de consommer de la drogue va leur permettre de se réveiller chaque jour et d'être parfaitement conscients du fait qu'ils n'ont pas d'instruction, qu'ils n'ont pas de toit et qu'ils n'ont que peu de perspectives, ce qui semble être de bonnes raisons pour se droguer.

    Pour nous, avec le groupe de clients dont nous nous occupons, qui je le répète sont des itinérants chroniques, nous considérons l'itinérance comme le principal problème; ce n'est pas la consommation de drogues. Parce que les drogues sont illicites, il y a des limites à ce que nous du réseau des centres d'accueil, des centres qui dépendent du gouvernement, pouvons faire. Nous ne pouvons pas offrir un espace permettant la consommation de drogues sans danger. Personnellement, je crois que ce serait très utile mais c'est illégal, et nous ne pouvons certainement pas permettre la consommation de drogues sur les lieux.

    Ce que nous pouvons faire, en offrant le service, c'est de supprimer l'élément drogue de l'équation. Pour les clients, pour les 60 hommes que nous accueillons à ce programme, c'est un fait qu'ils prennent de la cocaïne épurée. Nous n'exigeons pas qu'ils s'inscrivent à un programme de traitement. Nous comptons parmi le personnel différents employés qui ont l'expérience de modèles de traitement conventionnel et qui sont très au courant. Si des clients décident d'opter pour cette voie, nous ne les décourageons pas. Nous voulons donner le choix aux gens plutôt que de les inciter à commencer un traitement. Les taux de réussite des programmes de traitement conventionnel ne sont pas de toute façon très élevés. Quand on force quelqu'un à se faire traiter, le taux de réussite est encore plus bas. Si quelqu'un choisit cette voie, ce doit être de son plein gré et à dessein.

    Nous avons certainement connu des gens qui ont eu recours à notre programme dans les dix-huit derniers mois et qui ont décidé de cesser de prendre de la drogue. C'était parce qu'ils avaient eu l'occasion de faire face aux questions sous-jacentes, de reprendre contact avec la famille ou de se poser la question de l'éducation ou de l'emploi. Ce sont là les choses que nous visons. Ce sont là les questions que nous examinons. D'une certaine façon, la consommation de drogues est assez secondaire pour nous.

    Si nous voulons que ce groupe client ait une véritable chance de réintégrer la société, je pense que si l'on continue à les punir parce qu'ils consomment de la drogue, nous ferons certainement en sorte qu'ils n'y arriveront jamais. Ils auront constamment affaire au système de justice pénale, ils se retrouveront infailliblement dans des abris, et enfin, à mesure que leur santé va se détériorer, ils finiront infailliblement dans les salles d'urgence et les hôpitaux, tant parce qu'ils n'ont pas de domicile que parce qu'ils ne trouvent pas de soutien dans la communauté.

    Compte tenu de la façon dont nous nous y prenons actuellement à l'égard de ceux qui consomment beaucoup de drogues ou le font de façon chronique, mon poste, à ce que je peux voir, ne risque pas de disparaître avant longtemps, et subsistera bien après mon départ.

+-

    La présidente: Merci, monsieur Gibson.

    Le dernier témoin est le représentant du Réseau juridique canadien VIH-SIDA, M. Glenn Betteridge.

+-

    M. Glenn Betteridge (membre, Réseau juridique canadien VIH-SIDA): Bonjour.

    Tout d'abord, je remercie le comité d'avoir invité le Réseau juridique à comparaître aujourd'hui.

    Deuxièmement, je tiens à préciser que je suis membre du Réseau juridique mais que je ne suis pas un de ses employés. Je suis ici parce que des employés du réseau sont à Ottawa pour comparaître à un autre comité permanent. Je vous parlerai de mon expérience de travail dans une clinique juridique en Ontario pour des gens ayant le VIH et le sida, certains d'entre eux étant des détenus.

    Le Réseau juridique a remis un mémoire au comité, 25 exemplaires ont été remis à la greffière. On y expose essentiellement la position du Réseau juridique et on y traite de la question exposée par le comité dans sa demande.

    J'aimerais vous présenter un bref aperçu du Réseau juridique canadien sur le VIH-SIDA. C'est une organisation nationale qui s'occupe d'analyse en matière d'éthique, d'affaires juridiques et d'éthique, ainsi que d'élaboration de politiques. Nous avons 250 membres dans tout le Canada, la moitié d'entre eux étant des organisations communautaires préoccupées par les questions liées au VIH et au sida. Depuis sa création, le réseau s'intéresse, entre autres, aux deux grandes questions que sont la consommation de drogues par injection et le VIH et les prisons et le VIH.

    Il existe diverses publications, que je remettrai à la greffière du comité à l'intention des attachés de recherche; la première, rédigée en 1996, s'intitule HIV/AIDs in Prisons: Final Report. C'était un rapport complet ainsi qu'un suivi au rapport du Comité d'experts sur le sida et les prisons qu'avait demandé le Service correctionnel du Canada.

    Il y a divers documents portant sur le VIH et le sida et l'hépatite C dans les prisons. Je vais vous les laisser aussi.

¿  +-(0940)  

+-

     L'autre grand rapport que j'aimerais laisser au comité s'intitule Injection de drogues et le VIH/sida: questions juridiques et éthiques. Il a comme vous le voyez directement trait au mandat du comité.

    Différents documents d'étude ont été commandés pour le rapport, et je vais vous en laisser des exemplaires. Divers documents ont aussi été produits à partir de rapport.

    Bien que le comité l'ait probablement déjà, je vais vous laisser un exemplaire du document de Santé Canada intitulé Injections de drogues et le VIH/sida, qui était une réponse au rapport du Réseau juridique. Et dans un esprit tout à fait légaliste, je remets au comité la réponse à la réponse, qui n'est pas je l'espère le dernier mot en la matière.

    Le travail effectué par le réseau dans ces domaines est reconnu internationalement et lui a valu des félicitations. Notamment, le programme des Nations Unies sur le VIH/sida mentionne les activités du réseau parmi les pratiques qu'il juge exemplaire.

    Le comité sollicite des opinions sur une vaste gamme de questions. J'ai déjà mentionné que le mémoire du Réseau juridique portera sur deux grandes questions: la réduction des méfaits et l'injection de drogues au Canada, dans la mesure où ces questions sont liées à la transmission du VIH/sida et de l'hépatite C.

    Au début des années 90, le Canada a traversé une crise de santé publique concernant le VIH/sida et l'hépatite C, en raison surtout de l'injection de drogues. La propagation du VIH et d'autres infections par voie sanguine comme l'hépatite C chez les consommateurs de drogues par injection au Canada nécessite une attention sérieuse et immédiate.

    Le problème de l'injection de drogues et de l'infection par le VIH et l'hépatite C concerne tous les Canadiens. Toutefois, certains segments de la population sont particulièrement touchés ou même dévastés par l'injection de drogues et les méfaits qui en découlent. Je pense aux femmes qui se droguent, aux jeunes de la rue, aux détenus et aux membres des communautés autochtones—essentiellement des gens qui sont déjà à bien des égards marginalisés et qui connaissent déjà dans leur vie personnelle des difficultés autres que celles liées à la consommation de drogues par injection et qui ont des maladies chroniques comme le VIH et l'hépatite C. Je pense que les autres membres du groupe ont déjà fait part des expériences personnelles et professionnelles qu'ils ont vécues face à cette catastrophe.

    Jusqu'à maintenant, la réponse du Canada face à cette crise suscitée par l'injection de drogues et le VIH et l'hépatite C est loin d'avoir été concertée ni même efficace. Nous pouvons et nous devons faire beaucoup plus pour contrer la propagation du VIH et d'autres infections parmi les consommateurs de drogues par injection et fournir des soins, un traitement et un soutien à ces gens. Pour reprendre certaines idées déjà exprimées par d'autres, on peut faire plus sur le plan pratique au sein des régimes juridiques existants pour mettre en place des mesures de réduction des méfaits et contrer la propagation de ces infections.

    Toutefois, il est tout aussi important de réinsérer ces gens pour qu'ils participent aux réseaux de soins, de traitement et de soutien auxquels tous les Canadiens devraient pouvoir avoir accès et qui sont considérés comme typiquement canadiens—soit un accès universel et égal aux services de soins de santé en fonction de nos besoins.

    Il faut faire beaucoup plus étant donné que les méthodes actuelles ne résistent pas à un examen sur le plan éthique. Cette dernière question fait l'objet de divers documents d'étude issus de l'enquête sur la consommation de drogues par injection.

    Pourquoi la réponse n'a-t-elle pas été efficace jusqu'à maintenant? L'une des grandes raisons, pour reprendre ce qu'a dit Chris, c'est que les lois et les politiques en matière de drogues, loin de réprimer la consommation de drogues, ont ajouté aux méfaits qui en découlent, et plus particulièrement aux méfaits qu'entraînent la consommation de drogues eu égard au VIH et à l'hépatite C.

    À propos de ces deux questions sur lesquelles portent les mémoires du Réseau juridique—la réduction des méfaits et l'injection de drogues—, sur le plan de la réduction des méfaits, le Réseau juridique analyse dans quelle mesure la criminalisation accroît en fait les méfaits liés à la consommation de drogues et fait ressortir la nécessité de programmes d'éducation.

¿  +-(0945)  

+-

     Pour ce qui est de la consommation de drogues injectables, le document examine les programmes d'échange de seringues, le traitement d'entretien à la méthadone, les essais cliniques d'héroïne sous ordonnance, les installations d'injection supervisée et les particularités de ces programmes en milieu carcéral.

    Comme il reste peu de temps, je vais insister sur les recommandations dans deux domaines: la réduction des méfaits et la consommation de drogues injectables. Pour ce qui est de la réduction des méfaits, je parlerai des programmes d'information. Pour la consommation de drogues injectables, je m'attarderai sur les programmes d'échange de seringues.

    Les recommandations relatives à l'action pédagogique se trouvent à la page 11 du document. La première, qui porte le numéro 8, est que les autorités fédérales, provinciales et territoriales de la santé financent la confection et la diffusion de renseignements justes, impartiaux et neutres sur la drogue à l'intention du personnel soignant, des consommateurs de drogues et du grand public.

    Ici aussi, la recommandation reprend les thèmes formulés par les témoins aujourd'hui, à savoir que le point de départ doit être l'honnêteté et l'information en matière de drogue, sa nature et ses méfaits, pour que le citoyen et la société fassent leurs choix face au phénomène.

    Au numéro 9, il est recommandé que les autorités provinciales et territoriales, les administrations et les associations de proximité élaborent des programmes d'information axés sur la réduction des méfaits.

    Numéro 10. Il est recommandé que les ministères provinciaux et territoriaux de l'éducation et de la santé entreprennent une évaluation des programmes scolaires sur la drogue. Le message, c'est tout simplement que les ministères de l'Éducation et de la Santé collaborent. Je sais que le comité permanent s'intéresse tout particulièrement à la question de la coordination des services. Tout au long du mémoire et du dépliant sur les drogues injectables, nous rappelons qu'il faut mieux coordonner l'effort entre les divers pouvoirs publics et au sein des administrations fédérales et provinciales—par exemple, la collaboration entre Santé Canada et le Service correctionnel du Canada.

    Numéro 11. Il est recommandé que les universités et collèges veillent à ce que les programmes d'études des professionnels de la santé comprennent des documents, exposés et débats exacts, impartiaux et neutres sur la drogue, sa consommation ainsi que les méthodes de réduction de ses méfaits. Je crois pouvoir dire à juste titre que les témoins qui sont devant vous aujourd'hui ont plusieurs longueurs d'avance sur nombre de leurs collègues pour ce qui est des perceptions, des connaissances et du rôle qu'ils ont à jouer dans la prestation de services aux consommateurs de drogues injectables. La grande majorité des professionnels de la santé et des prestataires de services sont toujours ancrés dans une attitude prohibitionniste dans leur façon d'exercer.

    Il me reste moins d'une minute, et je vais donc me contenter de vous signaler les recommandations relatives aux programmes d'échange de seringues, à la page 15.

    Nous recommandons au numéro 12 que les autorités fédérales, provinciales, territoriales et municipales s'assurent que les programmes d'échange de seringues soient faciles d'accès pour les consommateurs de drogues injectables partout au pays.  

    La recommandation suivante porte sur l'allégement ou l'élimination des interdictions pénales qui frappent la possession d'attirail d'injection de drogues ou de seringues souillées, essentiellement des seringues contaminées par des drogues ou autres substances réglementées.

    Notre dernière recommandation est que les associations de pharmaciens et autres professionnels de la santé participent davantage aux programmes de fourniture et d'échange de seringues.

    Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

+-

    La présidente: Merci beaucoup, monsieur Betteridge, et merci d'être comparu au nom du réseau.

¿  +-(0950)  

+-

     Je voudrais toutefois apporter une précision: le reste du réseau est à un comité permanent; nous sommes un comité spécial.

+-

    M. Glenn Betteridge: Merci de la précision.

+-

    La présidente: Nos audiences sortent un peu du cadre normal, ce qui pose parfois des difficultés.

    Monsieur White, vous disposez de 10 minutes.

    Une autre précision. N'importe quel député peut vous poser une question et celle-ci peut s'adresser à quelqu'un en particulier. Mettons que quelqu'un pose une question à M. Druce. Si vous voulez intervenir également, faites-moi signe, et j'en prendrai note. Espérons que chaque député disposera d'une dizaine de minutes.

    Monsieur White.

+-

    M. Randy White (Langley--Abbotsford, Alliance canadienne): Merci. Vous avez tous fait d'excellents exposés.

    J'aimerais savoir si l'un d'entre vous sait combien de temps—et je comprends que cela prend plus de temps pour certains à s'accoutumer, mais combien de temps, environ, cela prend-t-il avant que quelqu'un qui tâte de l'héroïne, par exemple, ou du crack, développe une accoutumance? Quelqu'un le sait-il?

¿  +-(0955)  

+-

    Dr David Marsh: Le premier élément de la réponse, c'est qu'il faut comprendre que la majorité des gens qui consomment des substances psychoactives ne sont jamais dépendants de ces drogues, à une seule exception près: la nicotine. Environ 89 p. 100 de ceux qui consomment de la nicotine acquerront une dépendance, mais dans le cas de l'alcool, de l'héroïne, du cannabis et de la cocaïne, la plupart des gens ne deviennent pas dépendants. Ceux qui le deviennent le deviennent après une durée variable.

+-

    M. Randy White: Ce n'est pas ce que les toxicomanes me disent.

+-

    Dr  David Marsh: Les consommateurs de drogues ne sont peut-être pas les mieux informés des données épidémiologiques concernant la population dont ils font partie.

+-

    M. Randy White: Beaucoup des problèmes dont on parle autour du phénomène de la drogue se ramènent à une question d'argent, n'est-ce pas? J'ai eu vent ce matin d'un des problèmes qu'a Gordon Campbell aujourd'hui en Colombie-Britannique. Il va déposer un budget déficitaire d'environ 4,5 milliards de dollars. Il y aura un programme d'austérité. Il est donc fort probable que peu ou pas de fonds seront consacrés au problème de la drogue.

    Au moment où tous les pouvoirs publics sont aux prises avec des questions d'argent, comment justifie-t-on de nouvelles piqueries protégées, de nouveaux centres de sevrage et du personnel supplémentaire, et ainsi de suite? Il s'agit d'une situation difficile, et vous, qui dirigez ce centre, faites sans doute face à des compressions du même ordre. Comment cela pourrait-il se réaliser faute de moyens financiers? Peut-être que Chris ou Toby pourrait répondre.

+-

    La présidente: J'ai sur ma liste M. Druce, M. Gibson et M.  Marsh.

+-

    M. Chris Gibson: Dans mon cas, et c'est aussi relié aux consommateurs de drogues, au début le programme pour lequel je travaillais se consacrait aux alcooliques itinérants, l'image même du sans-abri. Le programme était assez radical en ce sens qu'on leur fournissait de l'alcool buvable à la place du genre d'alcool qu'ils consommaient.

À  +-(1000)  

+-

     Nous tenions à avoir le feu vert pour montrer l'efficacité de cette action. Nous avons bien étudié le coût du service traditionnel à cette population. La même chose vaut pour le consommateur de drogues, je crois. Le coût des méthodes actuelles d'intervention auprès des consommateurs de drogues est aberrant. Le seul contact avec un médecin qu'a le gros consommateur qui ne fait pas partie d'un programme d'entretien de méthadone est la salle d'urgence, ce qui est exorbitant.

    Subir une évaluation psychologique à l'occasion d'un procès coûte aussi énormément cher. L'incarcération coûte plus cher qu'un lit dans un refuge. Et ce lit coûte plus cher que de faire vivre quelqu'un en autonomie dans un logement.

    Les services que nous fournissons actuellement coûtent une fortune. Le moindre gain d'efficacité se soldera forcément par une économie. Ouvrir un centre de santé accessible aux consommateurs de drogues coûte beaucoup, beaucoup moins cher à l'appareil de santé que de les forcer—parce qu'il n' a rien d'autre—d'obtenir des soins en s'adressant à la salle d'urgence, qui coûte une fortune.

+-

    La présidente: Monsieur Druce.

+-

    M. Toby Druce: Je veux tout d'abord dire que je suis d'accord avec Chris. L'une des choses que j'ai constatées à Seaton House et lors de mon travail à O'Neill House, c'est que les habitants de la localité s'inquiètent beaucoup des effets de la toxicomanie. Nous travaillons dans un milieu résidentiel et les membres de l'association des résidents locaux réclament depuis longtemps une plus grande présence policière sur la rue George et sur les rues près de notre centre d'hébergement parce qu'ils ont l'impression que les sans-abri et les toxicomanes ont tendance à commettre certains crimes. Cependant, nous avons de notre côté constaté dans le cadre de notre travail que le plus grave problème au niveau local, et je ne veux pas, bien sûr, parler des sans-abri, a trait aux activités qui entourent le trafic de drogues.

    Quant aux mesures d'austérité possibles, et cela devient certainement une préoccupation à notre époque, la question qu'il faut poser, c'est comment on peut fournir les meilleurs services au coût le plus faible possible. Pour nous, cela veut dire s'assurer que les toxicomanes ne constituent pas une menace pour la société. Ceux qui s'adonnent à une activité illégale au coin d'une rue sont mêlés à des activités criminelles parce qu'ils achètent de la drogue, pas parce qu'ils sont toxicomanes. Selon nous, lorsqu'on élimine l'achat et la consommation de la drogue, le coût direct de notre programme devient beaucoup plus faible.

    Certains ont l'impression que si l'on prend 60 toxicomanes endurcis et qu'on les met tous dans un même immeuble, ce sera la pagaille et il y aura beaucoup de bagarres et d'interventions policières. Pourtant, ce n'est pas ce que nous avons vu.

+-

    La présidente: Docteur Marsh.

+-

    Dr David Marsh: Il importe tout particulièrement selon moi en période d'austérité que le gouvernement investisse son argent et ses ressources dans des programmes qui peuvent être efficaces et qui permettront au gouvernement de respecter son mandat pour garantir la santé et la sécurité de la population.

    Je voudrais mentionner trois choses qui touchent les investissements dans les mesures de traitement et de prévention de la toxicomanie et de réduction des méfaits. La première est une étude appelée Étude CALDAT menée en Californie par les quatre principales organisations de soins de santé intégrés. Les économistes qui ont mené ces études m'ont dit que les OSSI avaient demandé l'étude parce qu'elles voulaient radier de la liste les traitements pour la toxicomanie et qu'elles avaient supposé dès le départ que ces traitements étaient inefficaces et pouvaient donc être radiés de la liste des services assurés. L'étude a au contraire établi que, pour chaque dollar dépensé par l'OSSI pour le traitement de toxicomanes, le centre économisait 7 $ en soins de santé l'année suivante. C'est donc un bon investissement.

    Deuxièmement, je voudrais parler des traitements d'entretien à la méthadone en Ontario. Ron Wall est un économiste des soins de santé qui travaille à notre centre. Il a pris les données d'une étude de toxicomanes qui s'injectent un opiacé et qui ne reçoivent aucun traitement et il a calculé qu'en dollars de 1992 à Toronto, un de ces toxicomanes coûtait en moyenne environ 45 000 $ par année à la société.

À  +-(1005)  

+-

     Ce coût comprend environ 5 000 $ en frais de soins de santé. La plus grande partie des coûts sont reliés aux coûts de la criminalité ou aux frais juridiques, mais il y a aussi 5 000 $ en soins de santé parce que ces toxicomanes visitaient leurs médecins deux fois par mois en moyenne. Nous pourrions fournir un traitement d'entretien à la méthadone pour moins de 5 000 $ par mois. Le coût des soins de santé serait le même, mais les autres coûts de 40 000 $ par année reliés au crime et au système de justice disparaîtraient presque entièrement.

    La dernière chose que je veux signaler, c'est puisqu'il s'agit de faire un investissement efficace, environ 70 p. 100 de ceux qui sont déclarés coupables d'infractions reliées aux stupéfiants au Canada sont déclarés coupables de simple possession de cannabis. A-t-on des preuves que c'est un moyen efficace de prévenir la toxicomanie ou d'améliorer la santé? On pourrait réinvestir beaucoup d'argent dans des mesures plus efficaces.

    Merci.

+-

    La présidente: Docteur Marsh, pourriez-vous demander un exemplaire de cette étude à votre collègue, M. Wall?

+-

    Dr David Marsh: Certainement.

+-

    M. Derek Lee (Scarborough--Rouge River, Lib.): Puis-je demander une précision?

+-

    La présidente: Oui, je pense qu'il y a une erreur au sujet du coût de la méthadone.

+-

    M. Derek Lee: Est-ce 5 000 $ par mois ou 5 000 $ par année?

+-

    Dr David Marsh: Je m'excuse. C'est le coût par année.

+-

    M. Derek Lee: Merci.

+-

    La présidente: Le total semblait un peu curieux.

    M. White.

+-

    M. Randy White: Je voudrais poser une question à Walter au sujet des priorités et de la réduction des méfaits par opposition à ce que d'autres appelleraient l'augmentation des méfaits si l'on fournit de l'héroïne à un toxicomane au lieu d'essayer de le traiter, de le débarrasser de son accoutumance à l'héroïne et d'avoir une piquerie contrôlée par opposition à un centre de réadaptation. Ceux qui ne connaissent pas bien la question de la toxicomanie peuvent sans doute comprendre facilement l'utilité d'un centre de réadaptation, alors que l'idée d'une piquerie contrôlée les effraie.

    Est-ce que cela constitue une priorité vu que l'on manque de ressources?

    Je ne veux pas laisser entendre que nous allons donner la priorité à une piquerie contrôlée par opposition à un centre de réadaptation, mais comme notre comité doit formuler des recommandations pour le gouvernement, le fait est que nous n'avons pas vraiment de système cohérent de réadaptation dans toutes les provinces du Canada. Doit-on donner la priorité à l'une de ces deux choses?

+-

    M. Walter Cavalieri: Je voudrais tout d'abord parler de l'augmentation des méfaits. C'est la première fois que j'entends quelqu'un parler d'une telle chose. Je dois y réfléchir un instant.

    Selon moi, les piqueries contrôlées ne constituent pas une augmentation des méfaits. Il réduisent les méfaits parce que même si les toxicomanes continuent de consommer de la drogue, et au Canada il s'agit surtout d'opiacé, quoi que beaucoup de toxicomanes consomment aussi de la cocaïne, ces piqueries réduisent les méfaits parce que la drogue est injectée dans un milieu sûr et propre.

    C'est difficile de déterminer quelles sont les priorités. Je serais ravi s'il existait une politique cohérente au Canada sur l'utilisation ou la consommation illicite de drogues. Entre-temps, je pense cependant que l'on devrait se pencher de plus près sur les piqueries contrôlées parce qu'on a constaté qu'elles étaient très utiles en Europe. Sauf pour le traitement d'entretien à la méthadone, qui pose lui aussi des problèmes, comme même le Dr Marsh le reconnaîtra, les traitements que nous fournissons maintenant ne sont pas tellement efficaces.

    Il me semble donc que l'un des grands avantages des piqueries contrôlées, c'est que le personnel puisse établir de bons rapports avec les toxicomanes et les aider à s'attaquer aux problèmes qui les poussent à consommer de la drogue, les orienter vers les services qu'ils ne connaissent peut-être pas ou dont ils pourraient peut-être mieux se servir pour améliorer leur condition générale, que ce soit pour le logement, l'éducation ou autre chose, pour que l'usage de la drogue cesse d'être considéré comme le principal problème. Ces gens pourraient alors recommencer à vivre normalement. On peut consommer de la drogue et mener une vie tout à fait normale et productive.

À  +-(1010)  

+-

     Je pense qu'il faut le signaler. Les piqueries contrôlées peuvent nous donner le moyen d'aider ceux qui décident de continuer à consommer de la drogue à contribuer à la société et à se sentir mieux dans leur peau.

+-

    M. Randy White: Merci.

+-

    La présidente: Dr Marsh.

+-

    Dr David Marsh: Merci. J'ai déjà entendu parler de l'augmentation des méfaits. Je pense que ce que vous entendez par là c'est que, si l'on supprime certains des problèmes qu'il y a à consommer de la drogue, les toxicomanes pourraient continuer à en consommer plus longtemps que si l'on maintient les obstacles qui existent maintenant. Je dirais de mon côté qu'il faut évaluer quelles sont les conséquences réelles de ces mesures.

    Par exemple, des chercheurs australiens ont mené une étude auprès des toxicomanes à leur sortie de prison. Il y a 15 fois plus de chances qu'ils meurent d'une surdose les deux premières semaines après leur sortie de prison qu'à n'importe quel autre moment de l'année. Le fait de mettre les toxicomanes en prison constitue un très grand obstacle pour la consommation de la drogue et l'on pourrait croire que cela incite les toxicomanes à arrêter, mais d'après les données de l'étude, la prison ne les motive pas à cesser de prendre de la drogue, elle ne fait qu'augmenter la probabilité qu'ils meurent d'une surdose.

    Il y a aussi l'étude menée en Hollande qui portait sur les héroïnomanes dont j'ai parlé tantôt et qui vient d'être publiée il y a quelques semaines. J'espère que le comité pourra l'obtenir. On a choisit au hasard parmi les sujets de cette étude ceux qui recevraient un traitement d'entretien à la méthadone, qui est maintenant le traitement le plus efficace pour les héroïnomanes, ou bien l'entretien à la méthadone plus une ordonnance d'héroïne. Les sujets de l'étude avaient tous déjà suivi le traitement d'entretien à la méthadone et avaient les meilleures chances de succès, mais continuaient à avoir des problèmes. Ceux qui avaient reçu une ordonnance d'héroïne ont d'autre part réussi à réduire leur consommation de drogues à la longue.

    Le fait de prescrire de l'héroïne ne pousse donc pas les toxicomanes à consommer de l'héroïne plus longtemps.

+-

    La présidente: Merci.

    Je vais donner maintenant la parole à Mme Davies pour environ 10 minutes.

+-

    Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Merci, Paddy.

    Nous pourrons peut-être obtenir l'étude hollandaise parce qu'elle semble très intéressante. Je sais que nous avons obtenu l'étude suisse, mais vous disiez que l'étude menée en Hollande est celle qui est la plus rigoureuse sur le plan scientifique pour ce qui est de l'évaluation des résultats.

    Tout d'abord, je vous remercie d'être venus aujourd'hui. Vous avez tous fait d'excellents exposés.

    Pour poursuivre dans la même veine que Randy et parler d'argent ou de considérations économiques pour commencer, j'ai visité un endroit à Vancouver où l'on a mis sur pied un projet pilote de piquerie contrôlée. C'était la Journée mondiale du SIDA, le 6 décembre, et le site était à l'Église First United dans le quartier est du centre-ville. Ce qui m'a frappée, c'est la simplicité du concept. Il s'agit seulement d'une petite pièce où il y a quelques tables, une infirmière des services de santé publique et quelques membres du personnel. Ce service est très simple et économique si on le compare au coût d'une surdose dans une ruelle ou sur un pas-de-porte quand on doit faire venir les travailleurs paramédicaux, amener le toxicomane à l'urgence et le reste. Il me semble qu'une telle approche est tout à fait raisonnable et nécessaire.

    Je sais, Glenn, que vous n'avez pas eu le temps de parler de cette question dans votre exposé, mais on parle beaucoup de piqueries contrôlées, des essais de NAOMI et des essais d'ordonnance d'héroïne, et il me semble que ce genre de programme reçoit pas mal d'appui du public, surtout à Vancouver, à Toronto et peut-être dans certaines autres villes. J'ai l'impression qu'on refuse parfois d'appliquer de tels programmes parce qu'on les considère comme trop radicaux et qu'ils deviennent donc des cas isolés. Il me semble pourtant que ce genre de programme fait partie de la gamme de services qui comprend les traitements. Ce n'est pas parce qu'on vise la réduction des méfaits qu'on doit oublier toutes les possibilités de traitement.

    Je voudrais donc savoir si vous considérez que l'opinion publique a évolué relativement à la nécessité d'avoir des piquerie contrôlées à Toronto ou des essais d'entretien à l'héroïne. Si vous jugez que le public appuie maintenant de tels programmes, qu'est-ce qui constitue aujourd'hui le principal obstacle à mettre ces programmes sur pied?

+-

    La présidente: Jusqu'ici, j'ai M. Cavalieri et M. Druce sur ma liste.

À  +-(1015)  

+-

    M. Walter Cavalieri: Une des choses que je veux signaler, Libby, c'est qu'il faut d'abord cerner le segment de la population que l'on vise. Dans le cadre de nos recherches à l'Université de Toronto, nous avons interviewé bien des gens qui consomment de la drogue et qui vivent dans la rue ou près de la rue et, soit dit en passant, il y en a beaucoup qui participent à des programmes d'entretien à la méthadone et qui continuent de s'injecter de la drogue. Les toxicomanes eux-mêmes appuient ces programmes pour la plupart et disent qu'ils seraient prêts à y avoir recours. À mon avis, c'est très important. Ce n'est pas quelque chose qu'on leur imposerait, mais c'est un service qu'ils veulent vraiment. Ce groupe de la population de Toronto est donc en faveur de ces programmes.

    L'un des conseillers municipaux, Kyle Ray, a proposé d'avoir ces services dans tous les centres de santé communautaires. Je ne pense pas que ce soit nécessairement une bonne idée parce que bon nombre d'administrateurs de ces centres ne seraient pas d'accord et jugeraient qu'on essaie de leur imposer quelque chose. Cela montre cependant qu'il y a des gens sur la scène politique qui sont tout à fait en faveur de ces programmes. Quant aux associations de quartier, je pense que la plupart refuseraient, comme elles refusent tout d'emblée.

    L'une des choses qu'il faut faire, c'est discuter de la question avec le grand public, expliquer ce que cela comporte et voir ce qu'il en pense. Les gens sont tellement mal renseignés sur cette question qu'il me semble que l'une des choses les plus importantes à faire c'est d'informer le grand public. Malheureusement, cela prend du temps et de l'argent et ce sont des choses qui nous manquent. Nous ne faisons que parer au plus pressé.

    C'est tout ce que j'ai à dire là-dessus pour l'instant.

+-

    La présidente: Merci.

    M. Druce.

+-

    M. Toby Druce: D'après les contacts que nous avons eus avec les associations de quartier près de notre centre, le public s'inquiète beaucoup du trafic de la drogue dans leurs quartiers. C'est une chose qui nous inquiète aussi parce que nous fournissons des services aux toxicomanes et nous faisons aussi partie de la collectivité.

    Quand j'ai assisté à ma première réunion avec l'association de quartier, je m'attendais à faire face à beaucoup d'hostilité. Quand j'ai commencé à parler du travail que nous faisons, les membres de l'association ont signalé qu'il y avait toute une différence entre le travail que nous faisons au centre public... Ils m'ont dit: «D'accord, il y a 60 toxicomanes chez vous et c'est très bien; ce qui nous inquiète, ce sont les autres toxicomanes.» Les membres de l'association avaient l'impression que ce n'était pas la même chose.

    Les membres de l'association approuvaient donc sans réserves ce que nous pouvions faire pour éviter qu'ils aient à côtoyer des trafiquants de drogues ou qu'ils aient à s'inquiéter d'actes de vandalisme contre leurs automobiles et pour qu'il y ait moins de seringues hypodermiques dans la rue, par exemple. Ils ne savaient pas exactement ce que nous faisions, mais ils étaient tout à fait d'accord pour que nous le fassions. Ils considéraient que nous étions prêts à rendre des comptes.

    Bien entendu, notre groupe de clients a les mêmes activités que les toxicomanes qui ne sont pas des clients de Seaton House, mais pour les membres de l'association, il était très important d'avoir quelqu'un qu'ils pouvaient tenir responsable des services fournis à ces gens.

    Je pense donc que si nous pouvons prouver que nous surveillons bien ce qui se passe, les membres de la collectivité seront tout à fait prêts à nous appuyer, même dans le cas d'associations de quartier, qui n'ont pas jusqu'ici eu l'habitude d'appuyer vraiment les centres d'hébergement d'urgence.

    De notre côté, nous considérons qu'il faut avoir des quartiers mieux éclairés, plus de patrouilles policières et plus de choses pour inciter ceux qui font beaucoup d'argent à cause du trafic de la drogue à aller au moins ailleurs que dans notre quartier pour faire leur commerce. Bien entendu, cela veut dire qu'un autre quartier héritera du problème. Nous devons aussi travailler de près avec les services policiers.

    Nous n'appuyons pas d'autres activités illégales que l'usage de la drogue. Nous savons tous que nos clients consomment de la drogue, mais nous n'avons ni le temps, ni l'argent, ni l'énergie nécessaires pour les pousser à cesser de consommer de la drogue. D'un autre côté, nous faisons comprendre très clairement à nos clients que s'ils violent une autre loi, cela aura certaines conséquences. S'ils font du vol à l'étalage pour s'acheter de la drogue et sont arrêtés, personne n'ira les défendre en disant qu'on doit excuser le vol à l'étalage à cause de leur problème de toxicomanie.

    L'achat de la drogue est un acte illégal et cela force les toxicomanes à faire toutes ces autres choses. Si l'on peut décriminaliser cette partie du problème, on pourra éliminer beaucoup de problèmes qui inquiètent ceux qui ne travaillent pas dans le milieu et je pense que ce serait très utile.

+-

    La présidente: Avant de donner la parole à M. Marsh, je pourrais peut-être interrompre Libby un instant.

    Je ne pense pas que vous ayez effectivement décrit la maison O'Neill. Elle compte 60 lits. Les gens peuvent consommer de la drogue, mais peuvent-ils le faire à l'intérieur des installations? Je ne comprends pas bien. Je ne sais pas d'ailleurs si quelqu'un d'autre comprend.

+-

    M. Toby Druce: Vous pourriez venir y faire une visite.

+-

    La présidente: Il conviendrait sans doute d'aller faire un tour.

À  +-(1020)  

+-

    M. Chris Gibson: À l'intérieur des installations de Seaton House, cela se trouve dans un petit immeuble à l'extrémité sud de notre ensemble réparti sur deux étages. Comme Toby l'a mentionné, nous avons au total 60 lits. Tous nos résidents ont reconnu consommer régulièrement de la cocaïne épurée. La plupart, je pense, reconnaîtraient aussi qu'ils en consomment beaucoup.

    Pour la plupart, il s'agit de gens qui depuis longtemps ont fait l'expérience de la vie dans le réseau des abris ou dans des milieux institutionnels, des prisons surtout, et à plusieurs reprises ils en sont sortis et y sont revenus. Les gens à Seaton House sont habituellement là depuis assez longtemps. Je dirais que la plupart de nos clients font appel au refuge depuis bien des années.

+-

    La présidente: Qu'y a-t-il de différent? Sont-ils autorisés à venir et à repartir? Est-ce qu'il n'y a pas un couvre-feu? Les laisse-t-on prendre de la drogue la fin de semaine?

+-

    M. Chris Gibson: Nous ne pouvons pas. Il ne nous est pas possible de leur permettre de prendre de la drogue. C'est une activité illégale, et nous sommes une entité financée et gérée par le gouvernement.

    Personnellement, si je pouvais réserver un espace que mon groupe de clients pourrait utiliser et qui ne se trouverait pas dans la rue, je serais tout à fait d'accord pour le faire. Nous aimerions beaucoup pouvoir le faire. Cela réduirait le taux d'utilisation dans la rue. Le client se sentirait en fait beaucoup plus à l'aise. Ils n'auraient pas à se cacher dans l'arrière-cour des maisons pour fumer parce qu'ils craignent d'être vus par des policiers en patrouille ou d'autres. C'est cela consommer de la drogue dans la rue. Quand vous vivez dans la rue, vous prenez de la drogue en public.

+-

    La présidente: Mais, monsieur Gibson, je ne vois toujours pas en quoi c'est différent sauf qu'il y a 60 lits dans une installation à l'extrémité sud. Est-ce qu'il y a un couvre-feu? Y a-t-il des pièces réservées à la consommation de drogues? En quoi cela diffère-t-il des pièces ordinaires qu'on a maintenant? Je ne m'y retrouve pas.

+-

    M. Chris Gibson: Il y a un couvre-feu. C'est beaucoup plus tard. Nous acceptons le fait que quand on prend de la drogue la plupart des activités qu'on a se déroulent la nuit. Le couvre-feu est à 3 heures du matin. Nous avons une politique très libérale en ce qui concerne les arrivées tardives; pour ce qui est de la consommation de cocaïne, un grand pourcentage de nos clients en consomment de façon abusive. Quand ils en prennent beaucoup, ils peuvent ne passer que très peu de temps au refuge. Ils peuvent venir seulement le matin pour se changer. Nous ne les renvoyons pas du refuge, alors que c'est la norme dans les refuges de la ville, ou si l'on n'occupe pas son lit à un moment donné, on est renvoyé. Il faut alors se soumettre à nouveau au processus d'admission ou être privé de lit la nuit suivante.

    Nous nous montrons beaucoup plus souples à ces égards. Nous avons en fait constaté que la grande majorité de nos clients... demeurent inscrits à notre programme, là où leur consommation de drogues est acceptée... et cela peut sembler bien insignifiant, mais dans la communauté des usagers des refuges, c'est énorme. Il y a beaucoup de refuges qui interdisent l'entrée à quiconque a consommé de la drogue, si bien que quand on admet en avoir consommé on risque d'être renvoyé du refuge pour cette raison.

+-

    La présidente: Alors on peut s'y présenter quand on est très drogué et être quand même admis?

+-

    M. Chris Gibson: Oui. Tout à fait.

+-

    M. Toby Druce: En fait il faut être très drogué pour pouvoir entrer.

    Nous avons eu un problème au début. Le fait de posséder l'outillage du drogué ou des drogues dans le refuge principal pouvait vous valoir une interdiction maximale de six mois, mais ce n'est pas le cas chez nous. Nous avons la possibilité de dire que ceux pour qui il est compliqué de rester dans les refuges d'urgence et qui peuvent en avoir été exclus parce qu'ils prennent de la drogue ou parce qu'ils sont en possession de drogue ou parce qu'ils sont arrivés après le couvre-feu et qu'ils se sont emportés et ont dit des choses déplacées au personnel... il y a toutes sortes de raisons pour lesquelles vous pouvez être évincés d'un abri. Dans tous ces cas-là, nous ne portons aucun jugement qui serait de nature à priver quelqu'un des services de nos installations. Oui, vous êtes en possession d'un attirail de consommation de drogue. Nous n'allons pas vous exclure pour autant. Vous ne pouvez pas être accueilli au refuge d'urgence. Vous pouvez venir ici et rester chez nous. Nous essayons de nous montrer un peu plus souples en ces matières.

    Nous travaillons aussi de concert avec le tribunal de déjudiciarisation des stupéfiants, et nous réservons quelques lits pour eux. Nous savons qu'en moyenne nos clients passaient dix jours dans un refuge d'urgence avant l'ouverture de la maison O'Neill. Ils y passent maintenant jusqu'à 365 jours, et c'est vraiment très efficace pour nous, parce que nous pouvons offrir à ces gens un endroit où ils se sentent acceptés et où ils viennent quand ils ne sont pas incarcérés. Ce n'est pas la consommation de drogues mais les activités qu'ils ont pour se procurer ces drogues qui sont la cause de leurs démêlés avec la justice.

    Nous y voyons une relation très positive pour nous, c'est-à-dire que si nos clients sont arrêtés, nous pouvons recommander qu'ils soient jugés par le tribunal de déjudiciarisation des stupéfiants, après quoi ils nous sont renvoyés après cautionnement, et nous pouvons leur accorder un soutien au jour le jour.

À  +-(1025)  

+-

     C'était énorme, je pense, pour nos clients aussi, parce que souvent c'est une fois qu'ils se trouvent sur la banquette arrière de la voiture de patrouille de police qu'ils se rendent vraiment compte qu'ils doivent faire quelque chose au sujet de leur habitude de consommation de drogue. À ce moment-là il n'y a pas beaucoup de possibilités pour eux. Le tribunal de déjudiciarisation des stupéfiants est maintenant une possibilité—à laquelle tout le monde ne recourt pas, mais certains clients le font bel et bien.

+-

    La présidente: Et nous irons voir ça cet après-midi, pour nous situer un peu mieux.

    Je regrette, Libby, mais je ne voyais pas vraiment en quoi c'était différent.

+-

    Mme Libby Davies: Puis-je poser une autre question?

+-

    La présidente: Oui, quand M. Marsh aura répondu à la première.

    Il vous reste encore trois minutes.

+-

    Dr David Marsh: Comme l'honorable député de Vancouver-Est a parlé de l'initiative NAOMI, je dirai d'abord que j'ai collaboré aux travaux de ce groupe. Il s'agit de l'initiative nord-américaine de traitement aux opiacés, et ce mois-ci nous célébrons le cinquième anniversaire de la première réunion que nous avons eue pour concevoir une initiative pour les ordonnances d'héroïne en Amérique du Nord.

    Pour l'instant, j'ai tout à fait confiance qu'on saura mettre en place au Canada une initiative rigoureusement scientifique de prescription de l'héroïne.

    Pour ce qui est des obstacles, ils sont de nature économique. Le jour où cette initiative deviendra réalité, elle sera vraisemblablement l'essai clinique le plus coûteux jamais financé au Canada.

À  +-(1030)  

+-

    Mme Libby Davies: [Note de la rédaction: Inaudible]

+-

    Dr David Marsh: Vous avez présenté il y a un an une demande de subvention aux Instituts de recherche en santé du Canada, et le budget présenté dépassait les 8 millions de dollars pour l'ensemble de l'essai clinique. Beaucoup des coûts sont reliés à la recherche, et si cela devait finir par faire partie de l'arsenal de traitement régulier, ce serait moins cher. Mais il est coûteux de mener un essai de ce genre.

    Il peut y avoir aussi d'autres obstacles relatifs à la réglementation concernant l'obtention des drogues. Comme il n'y a pas de source d'héroïne au Canada, nous devons obtenir des permis d'importation et d'exportation, par exemple.

+-

    Mme Libby Davies: Si je peux ajouter quelque chose, j'aimerais parler un peu de la réduction des méfaits. Je pense qu'on travaille dans ce domaine. C'est une chose à laquelle on ne songe même plus parce que c'est intégré à l'approche qu'on a. Mais cela suscite encore tout un débat. Même au sein du comité, il y a des membres qui ne voient pas la chose d'un bon oeil. Pourriez-vous nous parler un peu plus de la façon dont nous devons revoir toute cette question du traitement?

    J'ai noté avec intérêt que vous avez dit, David, qu'au Centre pour la santé mentale et les toxicomanies, vous ne faites plus de l'abstinence la règle d'or. Mais je connais beaucoup d'autres endroits, il suffit d'en parler aux usagers, où le principal obstacle au traitement tient au fait que les règles sont si strictes qu'il faut à toutes fins utiles s'abstenir déjà de toute consommation de drogue avant même d'être inscrit au programme.

    Il me semble que les choses évoluent, mais pour moi la réduction des méfaits s'inscrit dans une approche continue qui inclut des options de traitement. Une chose ne contredit pas l'autre. Il m'apparaît très important de ne pas faire de l'abstinence l'ultime objectif. Je me demande quelle a été votre expérience dans la promotion de la réduction des méfaits.

+-

    La présidente: Après M. Marsh nous entendrons M. Druce, M. Cavalieri et Mme Nallanayagam.

+-

    Dr David Marsh: Merci. Je tâcherai d'être bref. J'ai ainsi l'occasion de répondre un peu à certaines des choses que Walter a mentionnées quand il a parlé des gens qui prenaient de la méthadone et qui continuaient à s'injecter des drogues.

    À mon sens, cela doit arriver, parce qu'il est irréaliste de s'attendre que des gens cessent automatiquement de prendre de la drogue quand on leur administre de la méthadone. Une fois qu'on a une dose stable, si c'est au-delà de 75 milligrammes, le taux de mortalité diminue de 90 p. 100. Ils vont rester en vie. Leur taux de criminalité diminue nettement au début du traitement, mais leur consommation de drogue prend beaucoup plus de temps à diminuer, surtout s'il s'agit de cocaïnomanes.

    Mais l'expérience nous montre—et je regrette, mais ce sont là des données non publiées, et je ne peux donc pas les remettre officiellement au comité—selon l'évaluation de notre programme, que sur le nombre de gens qui prennent de la méthadone depuis quatre ans et demi ou plus, 80 p. 100 ne consomment pas d'opiacés ni de cocaïne ni de benzodiazépines.

À  +-(1035)  

+-

     Ainsi, si les gens restent en traitement assez longtemps, leur consommation de drogue diminue.

    Une autre façon d'étendre la portée du traitement consiste à permettre aux gens de prendre de la méthadone et d'être admis dans des installations de traitement résidentielles. Nous sommes parvenus à le faire au centre, si bien que le programme de 28 jours qu'on offrait à l'installation Don-wood avant la fusion, qui misait largement sur l'abstinence, accepte maintenant des gens qui prennent de la méthadone et qui peuvent en prendre pendant qu'ils sont en traitement et s'occupe d'autres aspects de la consommation de drogue.

+-

    La présidente: Merci.

    Monsieur Druce.

+-

    M. Toby Druce: Je dirais que même parmi les prestataires de services de première ligne qui travaillent dans le contexte de la réduction des méfaits, les avis sont très partagés. On ne s'entend pas généralement à Seaton House pour dire que la réduction des méfaits est une intervention indiquée pour tous les toxicomanes. Seulement, personne ne connaît rien d'autre qui soit plus efficace.

    À Seaton House, quand nous devons expliquer la réduction des méfaits aux nouveaux employés des deux programmes fondés sur cette approche parmi les six que nous avons, ou à ceux qui oeuvrent dans d'autres programmes mais qui ont des objections à ce que nous faisons, nous leur disons que, pour nous, la réduction des méfaits, c'est du bon travail social. Il s'agit de reconnaître que la consommation de drogues est un problème pour certains clients mais qu'elle ne constitue pas leur seul problème et que l'abstinence est un objectif pour bien des gens, mais qu'elle n'est pas nécessaire pour mener une vie productive.

    Y a beaucoup de gens faisant un usage non médical de drogues qui sont propriétaires de leur maison, qui ont un emploi, qui entretiennent des relations stables, qui pratiquent une religion. Leur mode de vie est celui qu'on considère généralement comme l'apanage des abstinents. Or, ces personnes consomment des drogues.

    C'est là le message que nous voulons faire passer au sein de notre organisation, car c'est un concept qui n'est pas généralement bien accepté. Nous faisons valoir qu'il s'agit simplement d'une forme de travail social efficace pour ce groupe de clients et que, un jour, certains d'entre eux cesseront peut-être de consommer des drogues. Mais s'ils peuvent mener une vie productive tout en consommant des drogues, tant mieux pour eux, car il y a bien des gens qui se retrouvent dans un centre d'hébergement et dont la vie est un échec, même s'ils ne consomment pas de drogues.

    Il s'agit donc de gérer sa vie d'une façon qui n'aura aucune incidence négative sur les autres. C'est là l'objectif. C'est à chacun de choisir ce qui lui convient le mieux, mettre fin à l'utilisation de drogues ou continuer à en consommer.

+-

    La présidente: Monsieur Cavalieri, vous avez la parole.

+-

    M. Walter Cavalieri: Je voudrais faire deux remarques. Premièrement, j'aimerais revenir à ce qu'a dit Toby, que la réduction des méfaits, c'est du travail social. Dans le contexte du travail social, si vous remplacez le mot «client» par «consommateur de drogues», vous faites de la réduction des méfaits, car celle-ci est centrée sur le client et c'est ça qui compte. Le travail social nous enseigne de travailler avec la personne qui a besoin de notre aide, peu importe où elle se trouve dans son cheminement. C'est ça la réduction des méfaits.

    Deuxièmement, j'aimerais vous parler de ce qu'un chercheur néerlandais du nom de Jean-Paul Grund a dit à une conférence où je l'ai entendu présenter une communication. Il nous a montré un stylo à bille et nous a demandé ce qu'il avait à voir avec la réduction des méfaits. Ne me répondez pas que la plume est plus forte que l'épée, même si c'est vrai. On lui a donné toutes sortes de réponses farfelues. Il a ensuite retiré le bout du stylo et a soufflé dedans. Il a dit: «Comme vous le remarquez, l'air passe par le stylo. Saviez-vous que les premiers stylos à bille n'étaient pas troués à ce bout-ci? On voulait que la pointe reste sèche et que l'encre dure plus longtemps. Mais les enfants avalaient ces choses, et mouraient à l'hôpital, incapables de respirer. Il est impossible d'empêcher un enfant de mettre toutes sortes de choses dans sa bouche, car c'est ainsi que les enfants apprennent et c'est aussi une façon pour eux de défier leurs parents. On a donc poussé des trous dans les stylos pour les enfants qui n'étaient pas encore assez vieux pour comprendre qu'il est dangereux d'avaler ce genre de choses.» À mon avis, cela illustre bien la réduction des méfaits. C'est composer avec les problèmes qu'on ne peut faire disparaître.

+-

    La présidente: Et maintenant, nous vérifions tous nos stylos. Qui fabrique les meilleurs stylos?

    Merci. Avant de vous céder la parole, je vais permettre à Mme Nallanayagam de répondre.

+-

    Mme Koshala Nallanayagam: Comme l'a indiqué Toby au sujet de la réduction des méfaits, tous les professionnels des services sociaux et communautaires ne sont pas nécessairement d'accord avec cette philosophie. Toutefois, l'abstinence n'est manifestement pas la voie vers la réadaptation pour tous les intéressés, et la réduction des méfaits ne signifie pas seulement la réduction des méfaits de la drogue pour le toxicomane. Il y a d'autres préjudices, tels que contracter le VIH ou le VHC. Si un toxicomane s'injectera des drogues de toute façon, il ne fait qu'accroître les risques pour lui-même et les autres s'il utilise une seringue malpropre. Ce n'est qu'un exemple de la réduction des méfaits.

À  +-(1040)  

+-

     Les gens ont beaucoup de mal à comprendre cela. Ils n'ont qu'une idée en tête, c'est d'amener les toxicomanes à réduire leur consommation de drogues. Il est certain que cela aussi est important, mais ce n'est pas nécessairement la seule chose qui compte. Il ne faut pas oublier tout ce qui est lié à la consommation de drogues.

+-

    La présidente: Merci.

    Monsieur Betteridge, vous avez la parole.

+-

    M. Glenn Betteridge: Votre question vise essentiellement à déterminer quelles sont les perceptions sociales de la réduction des méfaits, ce qu'elle est et ce qu'elle n'est pas, et comment surmonter les obstacles que constituent les conceptions erronées. La sensibilisation est un volet crucial du mouvement vers des politiques plus rationnelles. Le Canada a reconnu que la consommation de drogues injectables est avant tout une question de santé. Or, la réduction des méfaits s'inscrit très bien dans notre nouvelle conception des soins de santé qui se fonde non seulement sur le traitement des maladies après que les symptômes se soient manifestés. Les personnes les plus conscientisées reconnaissent dorénavant que la promotion de la santé et la prévention des maladies sont la clé de la prestation des soins de santé, surtout dans un système universel comme le nôtre, et ce, pour une grande raison, c'est que c'est plus efficient. De même, la réduction des méfaits est très efficiente. Plutôt que d'insister sur l'abstinence et l'interdiction, mettons l'accent sur la réduction des méfaits. C'est une méthode efficiente et efficace qui mène à une population en santé. Il en va de même pour tout système de soins de santé qui met l'accent sur la promotion et la protection de la santé. Un tel système est plus efficient, plus efficace, et donne une population en santé.

    La réduction des méfaits cadre tout à fait avec le modèle de la protection et de la promotion de la santé. C'est ainsi qu'on devrait vendre ce concept. C'est plus acceptable, plus rationnel. C'est tout à fait conforme aux perceptions et conceptions qu'ont les Canadiens de leur système de santé et de l'orientation qu'on devrait lui donner.

+-

    La présidente: Merci.

    M. Druce voudrait intervenir de nouveau.

+-

    M. Toby Druce: Lorsque je parle du travail qui se fait à Seaton House et de la réduction des méfaits, je constate que les gens craignent surtout que nous fassions abstraction de la consommation de drogues pour ne pas avoir à prendre des mesures correctives. Au contraire, nous sommes très actifs dans nos discussions avec nos clients sur leur consommation de drogues, sur ses conséquences autant pour eux-mêmes que pour le quartier où ils vivent.

    C'est un processus très actif qui amène les consommateurs de drogues à parler de leur toxicomanie; dans ce contexte, les discussions sont beaucoup plus fructueuses que si on force le toxicomane à cesser de consommer de la drogue. Nos conversations sont plus productives et donnent de meilleurs résultats.

    En général, ce qui me déçoit le plus comme fournisseur de services, c'est que nous n'en faisons pas assez pour sensibiliser le public. Nous ne parlons pas assez de ce qui a été fait. Si vous recommandez la création d'une stratégie de coordination nationale quelconque, c'est là une des mesures qu'elle devrait inclure. Il faut déterminer ce qui a été fait et ce qui a été fructueux. Je peux vous dire que ce que je fais est très efficace, mais comment puis-je vous le prouver? Que devez-vous savoir pour être convaincus que je ne crée pas, à Seaton House, un environnement qu'on voudra fuir croyant y être à risque parce que c'est un endroit rempli de toxicomanes qui consomment activement de la drogue sans que personne ne s'y oppose?

    Il faut dire au public que la situation s'améliore et lui donner des preuves compréhensibles et mesurables. Vous pourriez bien dire que, moi, je ne peux que vous affirmer que la situation s'améliore, que ce soit le cas ou non. Il faut vraiment s'attaquer à ce problème, car notre timidité nous empêche de vanter nos réalisations.

+-

    La présidente: Je cède la parole à M. Gibson.

+-

    M. Chris Gibson: Lorsque je parle de la réduction des méfaits à d'autres prestataires de services qui oeuvrent dans un contexte plus traditionnel d'abstinence, je fais face à l'idée erronée qui veut que ces deux concepts s'excluent mutuellement.

À  +-(1045)  

+-

     Nous sommes heureux d'appuyer toute mesure qui aide une personne en particulier, y compris l'abstinence.

    Le groupe de clients avec lequel nous travaillons est constitué surtout de gens qui ont été forcés de cacher leur consommation de drogues le plus possible afin d'accéder aux services offerts aux sans-abri qui de toute façon, sont limités. En permettant à ses clients d'être ce qu'ils sont et en refusant de les punir pour leur consommation de drogues, nous leur avons assuré un meilleur accès à ces services.

    Je n'ai pas de fait précis à vous donner, mais je n'hésite pas à vous dire que la majorité de nos clients décident de leur propre gré de suivre un traitement quand ils sont chez nous. Nous ne le demandons à personne. Nous ne laissons pas entendre à nos clients qu'ils doivent suivre un traitement pour rester au sein du programme. C'est un choix qu'ils font de leur propre initiative.

    Pour en arriver au point où ils pourront choisir ce qui est le mieux pour eux—cesser de consommer de la drogue—, il leur faut être dans un milieu où ils peuvent reconnaître au départ qu'ils sont toxicomanes. Bon nombre de nos clients n'ont jamais eu accès à un traitement parce qu'ils ne pouvaient avouer au départ qu'ils consommaient de la drogue.

+-

    La présidente: Merci.

    Le Dr Marsh fera une dernière observation.

+-

    Dr David Marsh: Merci. C'est tout à fait compréhensible, et peut-être même une bonne chose, que votre comité ait du mal à comprendre le concept de la réduction des méfaits. Même chez les praticiens et les promoteurs de la réduction des méfaits, on continue de discuter de ce qu'est précisément la réduction des méfaits.

    Eric Single, dont vous avez peut-être entendu parler, a récemment publié un article sur la question de savoir ce qu'est et ce que n'est pas la réduction des méfaits. J'estime que la réduction des méfaits est un concept important et qu'il serait bon d'avoir une définition commune de ce concept, mais je ne suis pas certain que ce soit nécessaire. Ce qui compte, c'est de comprendre que les consommateurs de drogue sont des personnes et qu'elles doivent être traitées comme telles.

    Je pratiquais la réduction des méfaits depuis quelques années quand j'ai entendu ce terme pour la première fois. Lorsque j'ai commencé à pratiquer la médecine de la toxicomanie, je traitais mes patients toxicomanes comme mes patients de pratique générale. Je n'aurais pas dit à un diabétique qui refusait de cesser de manger du chocolat: «Partez; vous reviendrez quand vous respecterez votre régime.» Je n'aurais pas non plus dit à mes patients souffrant de troubles psychologiques: «Parce que vous avez encore une fois tenté de vous suicider, je vous donne votre congé; vous devez vous abstenir de tout comportement semblable, sinon, je ne vous donnerai plus de soins.»

    Le médecin de famille travaille avec ces patients en fonction de ce qu'ils sont et de ce qui est possible pour eux en vue de les aider à réduire graduellement les préjudices. Si le patient continue de manger du sucre, vous prescrivez d'autres médicaments qui réduiront les effets nocifs du sucre sur les reins ou les yeux.

    C'est bon de discuter de ce qu'est la réduction des méfaits et de diverger d'opinion à ce sujet tant qu'on continue d'envisager toute la gamme des interventions possibles et de les évaluer en fonction de leur efficacité à aider les gens là où ils sont, tels qu'ils sont.

+-

    La présidente: Merci.

    Chers collègues, avant de céder la parole à Mme  Fry et à M. Lee, je propose une courte pause de cinq minutes. Nous poursuivrons notre séance jusqu'à 11 h 30; il nous reste encore du temps. Prenons donc une pause de cinq minutes pour permettre à chacun de prendre sa petite dose.

    Je suspends les travaux.

  +-10 h 48  


  -10 h 53  

+-

    La présidente: Nous reprenons nos travaux. M. White nous a quittés pour une demi-heure; il sera de retour.

    Je cède maintenant la parole à Mme Fry.

+-

    Mme Hedy Fry (Vancouver-Centre, Lib.): Merci beaucoup, madame la présidente.

    J'allais vous demander de faire le point sur le projet NAOMI, mais je crois que cela a déjà été fait, alors, passons à autre chose.

    J'aimerais aborder avec vous le concept des tribunaux spécialisés dans les affaires de drogues. Hier, nous en avons entendu parler un peu. Certains d'entre vous, Toby et Chris, comptaient parmi ceux qui dispensent des services en première ligne. J'aimerais savoir ce que vous pensez des tribunaux spécialisés en matière de drogues. Sont-ils utiles, sont-ils efficients, sont-ils efficaces? C'est ma première question.

+-

     Ma deuxième question s'adresse à Koshala. Le Service correctionnel du Canada a-t-il répondu à votre rapport de 1992 sur la toxicomanie et la réduction des méfaits dans les pénitenciers? Cela me préoccupe beaucoup car il me semble que c'est un groupe pour lequel nous pourrions faire beaucoup puisque les détenus font forcément partie d'un milieu circonscrit. Nous devrions saisir cette occasion de les conscientiser, de pratiquer de bonnes techniques de réduction des méfaits. Or, les pénitenciers sont un vaste trou noir ou rien ne se fait.

    À votre avis, y a-t-il eu un peu de mouvement? A-t-on répondu à votre rapport et, dans l'affirmative, que vous a-t-on répondu? C'était il y a déjà dix ans, en 1992.

    Ce sont là mes deux questions.

+-

    La présidente: Merci. Qui aimerait commencer, monsieur Gibson? Non? Allez-y, monsieur Druce.

+-

    M. Toby Druce: Notre relation avec le tribunal de la drogue s'est engagée dans l'enthousiasme. Nous voulions passer le plus de temps possible à faire arrêter les clients qui n'étaient pas au tribunal de la drogue pour qu'ils puissent y aller et que nous puissions ensuite les faire sortir sous caution. Cela nous donnait de l'influence auprès d'eux pour discuter de régimes de soins et de solutions possibles.

    On n'y est pas encore, mais c'est notre objectif. Cela leur offre une issue qu'ils n'avaient pas avant, et c'est important. Le tribunal de la drogue de Toronto est vraiment une aide à ceux qui font l'effort de faire des changements dans leur vie. C'est excellent.

    À l'échelle du système, il y a des problèmes de communication chaque fois que deux organisations doivent coopérer. Quand nous voyons quelqu'un en difficulté et ayant des comportements qui nous inquiètent, il ne relève peut-être pas du tribunal. Ou alors le tribunal peut constater des comportements qu'il trouve inquiétants, mais nous, nous voyons quelqu'un qui fait des progrès et nous avons une divergence de vues sur ses chances de réussite. Mais je pense que cela donne une option aux gens. Mais comme je l'ai dit, c'est souvent après avoir été arrêté que le client voit la lumière.

    J'ai eu affaire à des gens dont les chances de réussite paraissaient très minces et qui s'en sont tirés grâce au tribunal de la drogue.

+-

    La présidente: Merci.

    Mme Nallanayagam.

+-

    Mme Koshala Nallanayagam: Après le rapport il y a eu le comité d'experts. Le Service correctionnel a fait sa propre étude et est arrivé aux mêmes résultats. À peine quelques mesures ont été mises en oeuvre, comme les préservatifs et l'eau de javel; mais, comme je l'ai dit, ce n'est pas toujours fait de la manière la plus acceptable qui soit.

    Pour ce qui est de beaucoup d'autres de nos recommandations, qui sont à la page 4 du mémoire, pour ce qui est du tatouage ou de l'échange de seringues, la méthadone, tout ça, ça prend beaucoup de temps. Comme vous l'avez dit, cela pourrait se faire facilement, mais on trouve toujours quantité d'excuses ou de raisons qui n'ont pas joué ailleurs où cela s'est fait.

    Mme Hedy Fry: De quelles raisons parlez-vous?

    Mme Koshala Nallanayagam: On invoque par exemple que les seringues pourraient servir d'armes et que c'est une façon de cautionner une activité illégale. Pour ce qui est de servir d'armes, dans les études que nous avons faites, et dans les essais qui ont été réalisés dans les prisons en Europe et en Australie, elles n'ont pas servi d'armes. De fait, comme je l'ai dit, les conditions sont devenues plus sûres pour les gardes qui fouillent les cellules et les résultats ont été acceptables pour le personnel de la prison et pour les détenus.

    Pour ce qui est du fait qu'il ne devrait pas y avoir d'activités illégales dans les prisons, pour ce qui est de la drogue, c'est une réalité. Les détenus font preuve de beaucoup d'imagination et arrivent à se procurer de la drogue de diverses façons, y compris grâce au personnel carcéral. Ça ne tient donc pas debout, d'autant plus que les détenus sont censés avoir accès en prison aux mêmes soins de santé que s'ils étaient en liberté. Ce n'est le cas.

+-

     Les programmes d'entretien à la méthadone pourraient faire beaucoup, mais là aussi c'est l'inertie. Beaucoup des détenus que nous défendons aimeraient participer à ce programme, mais ça prend du temps, quelque chose comme deux ans, ou jusqu'à ce qu'ils se piquent de la saloperie. C'est fou. Les gens passent à deux doigts de se tuer avant qu'on se décide. Vous en avez sûrement assez de l'entendre, mais les infections au VIH et à l'hépatite C, c'est une véritable épidémie.

    Alors, oui, certaines mesures ont été appliquées d'une certaine façon... Le tatouage, par exemple; pourquoi est-ce que ça n'entrerait pas dans la catégorie de l'artisanat? C'est encore illégal, tout comme les rapports sexuels consensuels en prison.

    Voilà.

+-

    La présidente: Merci.

    M. Marsh puis M. Cavalieri.

+-

    Dr David Marsh: Je vais d'abord parler du tribunal de traitement de la toxicomanie. Je dois d'abord dire que notre centre offre le Programme judiciaire de traitement de la toxicomanie prévu par le tribunal, même si moi-même je n'y participe pas de façon régulière.

    Ces tribunaux ont un rôle à jouer dans l'éventail des traitements tant que la possession et la consommation de drogues relèveront du pouvoir judiciaire. Si ce n'était pas le cas, il n'y aurait pas place pour un tribunal de traitement de la toxicomanie. Avant de créer ce genre de tribunaux, il faudrait d'abord offrir un vaste éventail de traitements volontaires, pour que les gens n'aient pas à passer par les tribunaux, avec toutes les limitations des libertés civiles que cela suppose.

+-

    La présidente: Merci.

    M. Cavalieri.

+-

    M. Walter Cavalieri: Madame Fry, je voulais moi aussi parler des tribunaux de traitement de la toxicomanie. Ce qui compte, c'est que c'est une option parmi d'autres et qu'il en faut une multiplicité au lieu de la même solution pour tous, ce qui a été le cas jusqu'à tout récemment.

    J'aimerais répéter ce que j'ai entendu à une conférence. Je suis un accro des conférences. Je pense que c'est le directeur de l'American Civil Liberties Union qui a comparé le traitement des toxicomanes à l'holocauste et qui a dit que le tribunal de la toxicomanie, pour eux, c'était comme Schindler. C'est une analogie très juste. Puis il a dit, ce qu'il nous faut, c'est un Eisenhower.

    Il faut un changement en profondeur. Comme succédané, c'est excellent, mais à long terme, j'espère que ces tribunaux deviendront inutiles et périmés.

+-

    La présidente: Enfin—vraiment enfin—M. Betteridge.

+-

    M. Glenn Betteridge: J'aimerais revenir sur ce que vous avez dit à propos des prisons. Le silence du Service correctionnel du Canada est assourdissant. On peut même affirmer qu'il a été négligent. La comparaison avec la filière du sang est frappante, en ce sens que ce n'est sans doute qu'au moyen d'une poursuite judiciaire que le SCC sera amené à bouger. Un petit nombre de détenus qui se sont vu refuser le traitement à la méthadone ont réussi à l'obtenir après avoir intenté un procès, mais très peu sont capables de le faire.

+-

     Je ne sais pas si les membres du comité le savent, mais une action de 25 millions de dollars a été intentée contre le Service correctionnel du Canada pour contamination délictueuse au VIH et à l'hépatite C et négligence dans la prestation de soins. Le détenu allègue qu'ayant consommé de la drogue par le passé, il a demandé de suivre un traitement d'entretien à la méthadone, qui lui a été refusé. Par la suite, il a séroconverti au VIH et à l'hépatite C. Son traitement subséquent a été négligent sur le plan des thérapies antirétrovirales VIH. L'affaire est devant les tribunaux. Il poursuit pour 25 millions de dollars. Cela se résume donc à payer aujourd'hui ou payer demain.

    C'est aussi une question morale. Comme vous l'avez dit, cette population existe et il y a des choses relativement peu coûteuses qui peuvent être faites pour empêcher une catastrophe d'hygiène publique, mais rien n'est fait. Le plus paradoxal, c'est que c'est le Service correctionnel qui a financé le rapport du Comité d'experts sur le sida et les prisons, qui contenait un certain nombre de recommandations, qui ont presque toutes été ignorées.

    Moi-même—et d'autres avocats—participons aux enquêtes sur la mort de détenus fédéraux porteurs du VIH et c'est la croix et la bannière quand on essaie de promouvoir un programme de réduction des méfaits ou de changement systémique. C'est renversant. La population ne sait rien de l'administration des systèmes correctionnels au pays.

+-

    La présidente: Merci beaucoup, et merci à vous, madame Fry, de ce tour de 11 minutes, 18 secondes.

    Des voix: Oh! oh!

    Mme Hedy Fry: Touché.

    La présidente: Monsieur Lee.

+-

    M. Derek Lee: Merci.

    La séance de ce matin a été fascinante. Je n'ai pu m'empêcher de constater la différence de perspective entre ce que vous avez dit aujourd'hui et ce que nous ont déclaré les forces de l'ordre hier. Leur point de vue est tout à fait différent. Ils nous appellent lecomité de la drogue illicite alors que nous nous donnons le nom de Comité sur la consommation non médicale de drogues ou médicaments. Différence de terminologie.

    C'est M. Betteridge, je crois, qui a dit tout à l'heure qu'à son avis la majorité de vos collègues dans votre profession sont plus prohibitionnistes que réformistes, si vous me passez l'expression. Dans votre domaine, diriez-vous tous que c'est une sorte d'indicateur politique? Moi aussi. Il y a beaucoup de résistance. On ne penche pas en faveur de la réforme, pas plus que de la réduction des méfaits. Parmi les prestataires de services que vous représentez, diriez-vous que vous constituez une minorité?

+-

    M. Glenn Betteridge: C'est peut-être le cas pour les avocats membres du Barreau de l'Ontario. Sont-ils en faveur de la réduction des méfaits? Eh bien, pour commencer, je pense que l'immense majorité d'entre eux n'ont aucune idée de quoi il s'agit. Ils voient la drogue par le prisme des médias et de ce qu'ils savent d'expérience, ce qui n'est sans doute pas différent de la situation de beaucoup de parlementaires ou de la grande majorité des citoyens. C'est pourquoi il faut absolument faire oeuvre pédagogique si on veut s'engager sur la voie de la réforme. C'est une des difficultés qu'a soulignée le comité spécial dans son mandat.

    Pour réussir, toute mesure pratique devra reposer sur une stratégie de communication destinée à vaincre cette résistance. Au fond, la réduction des méfaits et la réforme relèvent du simple bon sens. Je ne parle pas du bon sens à l'ontarienne, qui a perdu de son lustre, mais il s'agit de bon sens dans la mesure où ce sont là des principes rationnels et éthiques axés sur l'individu. Ce sont des choses que la population, les médecins et les avocats comprennent: des principes éthiques adaptés aux besoins de l'individu par opposition à une politique prohibitionniste qui ne comble en rien les besoins du client et est contraire à l'obligation du médecin, avant tout, de ne pas faire de tort.

+-

    M. Derek Lee: Madame la présidente, il faudra peut-être que je place les témoins sous mon autorité. Quand je pose une question, plusieurs d'entre vous veulent répondre. Comme vous êtes six, tous bien informés chacun dans son domaine, j'hésite à vous interrompre. J'ai vu que M. Marsh voulait dire quelque chose et je viens de voir une main se lever.

    Pourriez-vous être bref? Je voulais seulement établir qu'à votre avis la majorité de vos confrères sont moins réformateurs. Si vous pouviez vous en tenir à cela, monsieur Marsh, je vous en saurais gré. Merci.

+-

    Dr David Marsh: Je dirais que la majorité de mes confrères travaillent dans des organisations. Il n'appartient pas à chaque employé d'une organisation de s'aventurer dans des zones grises, comme nous le faisons maintenant.

    C'est donc une occasion pour certains d'entre nous, qui sont à l'aise là où c'est un peu flou, de se dire que nous nous trompons peut-être tout à fait sans le savoir. Nous pensons faire ce qu'il faut mais nous n'en sommes pas sûrs. Ce serait sans doute trop demander à tous ceux qui fournissent des services sociaux de prendre les mêmes mesures.

    Oui, la plupart d'entre eux ne soutiennent sans doute pas ce que nous faisons actuellement, et ils voudront voir si nous réussissons avant, je l'espère, de nous emboîter le pas.

+-

    La présidente: Merci. Je donne la parole à M. Gibson puis à Mme Nallanayagam.

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    M. Chris Gibson: Mon point de vue est un peu différent de celui de Toby. Pour moi, la grande majorité de ceux avec qui j'ai travaillé dans son domaine ne sont pas contre, ils n'en savent rien. Presque tous ceux avec qui j'ai pu travailler ces modèles, quelle que soit leur opinion au début, ont finit par y souscrire tout à fait, même ceux qui étaient d'irréductibles prohibitionnistes. La question incontournable à laquelle le prohibitionniste le plus irréductible doit répondre c'est: à partir de quand exigera-t-on des comptes de cette démarche? Si elle n'a pas eu de succès jusqu'ici, qu'est-ce qui me fait croire qu'elle en aura dorénavant? En quoi la situation est-elle différente d'il y a 50 ans?

+-

    La présidente: Mme Nallanayagam.

+-

    Mme Koshala Nallanayagam: Je pense que la plupart des services d'aide arrivent à la conclusion que la réduction des méfaits a du sens.

    Comme nous sommes d'abord et avant tout une organisation d'aide aux détenus, nous sommes uniques en notre genre. Il n'y a personne d'autre comme nous au pays. Notre organisation est donc tout à fait en faveur.

+-

    La présidente: Merci. M. Lee.

+-

    M. Derek Lee: Ma question sera courte. Je l'ai déjà posée et M. White aussi.

    Que vous le sachiez ou non, il existe au Canada ce que l'on appelle une stratégie nationale antidrogue. Y a-t-il un élément de votre travail qui à votre avis en fait partie? Répondez par oui ou par non.

    Oui. Très bien. Pouvez-vous nous le décrire?

+-

    M. Toby Druce: Il y a certaines choses à propos de notre organisation. Le travail que nous faisons sert les objectifs que tous les citoyens attendent des services assurés par le gouvernement. Même si le gouvernement fédéral ne nous a pas donné cette mission, notre contribution fait partie de ce que le pays aimerait voir faire pour lutter contre la drogue.

+-

    La présidente: Dr Marsh.

+-

    Dr David Marsh: J'ai participé au projet CREATE qui a aidé à élaborer un programme de formation du personnel médical pour la reconnaissance des troubles liés à la toxicomanie et son traitement. J'espère que dans 30 ans la réponse à votre dernière question sera non, parce que la plupart des médecins n'ont pas été formés, de sorte que leur attitude reflète celle de la société et non pas celle de gens informés.

+-

     En outre, je pense que le travail que nous avons fait pour agrandir le programme d'entretien à la méthadone en Ontario est conforme à la stratégie canadienne antidrogue.

+-

    La présidente: M. Cavalieri.

+-

    M. Walter Cavalieri: Je pense que nous le faisons en offrant une information impartiale grâce au réseau et à d'autres organisations dont la mission cadre avec la stratégie et en donnant une voie à ceux qui consomment de la drogue. Nous cadrons avec cela parce que cela aussi est mentionné. Alors, oui, je pense qu'on le fait et je veux aussi dire que mon organisation est financée par les États-Unis et pas par le Canada.

+-

    La présidente: M. Lee.

+-

    M. Derek Lee: J'ai une ou deux courtes questions, enfin, dans un cas il s'agit d'un avis.

    J'aimerais parler de O'Neil House et le fait qu'elle loge une soixantaine de cocaïnomanes version crack. J'imagine que la plupart d'entre eux ne travaillent pas. Pour satisfaire cette toxicomanie, il faut de la drogue; j'imagine donc que pendant le jour ils font ce qu'ils doivent faire pour obtenir de la drogue. Ils ne livrent pas des circulaires de porte-à-porte; ils essaient de se financer. Ils s'adonnent sans doute à la délinquance; c'est ainsi qu'ils financent leur toxicomanie. Je sais que ce n'est pas à vous de vous occuper de ce qu'ils font lorsqu'ils partent pour la journée, mais je ne peux m'empêcher de vous le signaler. Libre à vous de me donner vos commentaires.

    Deuxièmement, et je pose la question à M. Betteridge, s'il y avait une piquerie contrôlée—il n'y en a pas beaucoup—, j'imagine qu'il faudrait signer un désistement ou quelque chose de ce genre. Fait-on signer un désistement quand quelqu'un vient échanger sa seringue, ne serait-ce que pour éviter une action en justice plus tard? Le préposé fournit un produit et, en droit de la responsabilité délictuelle, cela peut avoir des conséquences. À votre connaissance, faut-il remplir des papiers quand on s'adresse à une piquerie contrôlée ou à un centre d'échange de seringues?

    Puis M. Druce voulait parler de O'Neil House.

+-

    M. Glenn Betteridge: Que je sache, il n'y a pas de papiers à remplir dans un centre d'échange de seringues ou dans une piquerie contrôlée. En droit de responsabilité délictuelle, le devoir de venir en aide l'emporte sur le risque de négligence. Certes, surtout dans le cas d'une piquerie, vous offrez un lieu où des gens viennent se livrer à une activité à laquelle ils ne s'adonneraient pas autrement. Vous ne les aidez pas à se piquer. Il est clair qu'aux piqueries contrôlées qui existent actuellement, aucun des employés n'aide ceux qui viennent à consommer de la drogue. Ils sont là pour les encadrer et intervenir en cas de danger.

+-

    La présidente: Monsieur Lee, sur ce point, nous pensons qu'à Dopamine à Montréal les gens doivent peut-être signer quelque chose. Nous vérifierons pour vous.

+-

    M. Derek Lee: D'accord. J'étais seulement curieux.

+-

    La présidente: Nous entendrons maintenant M. Druce.

+-

    M. Toby Druce: Je pense que vous avez raison. On ne peut pas tenir pour acquis que la plupart des gens commettent des délits pour financer leur toxicomanie, dans notre clientèle en tout cas. Bien sûr, nous nous inquiétons de ce que nos clients font quand ils partent, mais nous n'y pouvons grand-chose. Nous faisons quand même tout notre possible.

+-

    M. Chris Gibson: Oui, c'est certain. La raison en serait que les drogues sont extrêmement chères, et je ne parle pas de leur coût de production; c'est le coût du recours à une économie souterraine pour leur importation. Ce n'est pas parce qu'il s'agit d'une économie souterraine qu'on ne s'en tient pas aux mêmes principes que pour l'économie visible. Avant que la drogue parvienne aux mains de l'utilisateur, plusieurs intermédiaires ont déjà imposé leur marge de profit et, vendue au détail, la drogue est alors extrême chère.

    Si la vente de drogue était tout à fait légale, le coût en serait réduit d'autant et on ne serait plus poussé à commettre des crimes pour s'en procurer.

+-

     Pendant des années j'ai travaillé avec de grands alcooliques, et il n'est arrivé que dans de très rares cas qu'ils commettent des crimes pour boire parce que le coût de l'alcool est très faible. Je pense qu'il en irait de même pour les consommateurs de drogues illicites. Le fait est que leur consommation de drogues fait d'eux des criminels, et qu'une fois qu'on est considéré comme un criminel, on fait son entrée dans ce mode de vie. Qu'est-ce qui vous encourage à y renoncer?

+-

    La présidente: Dr Marsh, suivi de M. Cavalieri.

+-

    Dr David Marsh: J'aimerais ajouter deux ou trois choses pour répondre à vos deux questions. D'abord, on a peut-être raison de le supposer dans le cas des résidents de la maison O'Neill, mais on ne peut pas supposer que dans l'ensemble les consommateurs de drogues sont sans emploi. Parmis le gens qui consomment des drogues, il y en a beaucoup qui travaillent.

    Pour ce qui est de la question du désistement, nous avons bel et bien un service de distribution et d'échange de seringues, pour les patients dont nous devons prendre soin. Nous ne leur faisons pas signer de désistement. En fait, nous estimons leur offrir les meilleurs soins possible par ce programme d'échange de seringues, parce que l'expérience montre qu'on contribue ainsi à la prévention de maladies. Notre but est de les maintenir à l'intérieur du système de soins de santé, même s'ils continuent de commettre des crimes ou s'injectent des drogues, afin qu'avec le temps nous puissions les aider à atténuer les conséquences négatives de leur comportement ou même à y mettre fin.

+-

    M. Walter Cavalieri: Pour répondre aux deux questions, tout d'abord, j'ai dirigé un programme d'échange de seringues dans un centre de santé communautaire pendant huit ans et nous ne faisions pas signé de disistement. Notre but était exactement le même que celui que vient de mentionner Dr Marsh. Il n'y avait pas besoin de désistement.

    Deuxièmement, je connais pas mal de gens qui sont de grands consommateurs de drogues et qui ne se livrent à aucune activité criminelle, quoique je doive avouer que la plupart le font, pour les raisons qu'a mentionnées Chris. Je connais des gens qui ne sont pas à la maison O'Neill et des gens qui ont des abris de fortune—souvent des cabanes, sous des ponts, dans des fossés ou à d'autres endroits—qui vivent de mendicité, ce qui est illégal je suppose mais certainement inoffensif, ou qui vendent des journaux qui traitent de l'itinérance. Des gens peuvent très bien s'en tirer ainsi.

    La plupart des gens ne veulent vraiment pas se livrer à des activités criminelles, mais ils y sont poussés parce la drogue coûte cher. Les coûts sont élevés pour les diverses raisons qu'a mentionnées Chris: l'illégalité.

+-

    La présidente: Merci, monsieur Lee.

    J'ai quelques questions à l'intention de Mme  Nallanayagam. Hier, un de nos collègues était invité au Michael Coren Show et a parlé du Club Fed et de la vie douillette qu'on peut mener dans nos prisons. Vous avez parlé du modèle européen et du modèle australien d'échange de seringues ainsi que de ce que vous offrez. Il me semble, pour avoir siégé au comité de la justice dans le passé, que la plus forte résistance vient en fait des travailleurs, si bien que nous devons faire quelque chose pour essayer de collaborer avec eux ou essayer de les informer quant à l'existence des autres modèles.

    Que fait votre groupe pour tenter de remédier à ce problème et pour faire savoir aux gens ce qui se passe, compte tenu du fait surtout que beaucoup de gens parlent du Club Fed? À quoi tient sa réussite? Quelles méthodes a-t-on employées pour rallier les travailleurs en Europe et en Australie?

+-

    Mme Koshala Nallanayagam: Je pense qu'on a beaucoup fait en matière d'éducation. On a effectué des sondages pour tenir compte des besoins, des questions et des craintes.

    Comme je le disais, pour ce qui est du programme d'échange de seringues, quand quelqu'un entre dans le système, on lui remet une seringue, qu'il ou elle en ait besoin ou pas. En outre, il y a un endroit précis où l'on conserve la seringue dans la cellule, de sorte que les gardiens savent où elle se trouve. Bien qu'il ait pu y avoir certaines craintes avant la mise en oeuvre du programme d'échange de seringues, après coup les gens étaient satisfaits de la façon dont les choses se déroulaient, et les craintes se sont dissipées parce que les seringues n'étaient pas utilisées comme armes, ce qu'on avait le plus redouté.

+-

     Pour ce qui est de l'éducation, nous avons tendance à nous adresser à diverses organisations pour les informer sur les prisons en général: qu'est-ce qu'on offre et qu'est-ce qu'on n'offre pas, et qu'est-ce qui est vraiment nécessaire et devrait être mis en place. Nous travaillons à différents niveaux, individuellement avec les responsables des soins de santé, puis aussi au niveau systémique. Le débat se poursuit toujours sur la question de savoir pourquoi l'échange de seringues est une bonne idée et pourquoi l'entretien à la méthadone l'est aussi.

    Comme l'a dit Glenn, cela dure depuis longtemps. Entre-temps, des gens meurent. C'est vraiment décourageant.

+-

    La présidente: Avez-vous des contacts directs avec les organisations syndicales des prisons, à l'échelle fédérale ou dans les provinces?

+-

    Mme Koshala Nallanayagam: Vous parlez des syndicats?

    La présidente: Oui.

    Mme Koshala Nallanayagam: Je n'en suis pas certaine, en fait.

    Glenn, pensez-vous pouvoir répondre?

+-

    M. Glenn Betteridge: J'ai assisté à diverses consultations du Service correctionnel du Canada sur des questions comme la confidentialité et je n'y ai jamais rencontré de membres du syndicat, qu'on les ait invités ou pas.

    Je pense qu'il y a un grand fossé entre l'administration du Service correctionnel et le syndicat des employés, et il faut franchir ce fossé. Je pense qu'il incombe au Service correctionnel, et non pas à la communauté, de jeter ce pont. La communauté peut certainement jouer un rôle en matière de médiation et d'éducation, mais je ne pense pas qu'il lui revienne d'amener les employés et l'employeur à se rapprocher.

+-

    La présidente: Si l'on veut faire valoir son point de vue, autant réfléchir à tous les moyens de s'y prendre. Si la résistance aux efforts que fait la direction pour apporter des changements tient à ses relations avec ses travailleurs, il faut certainement trouver un autre moyen d'amener ces travailleurs à accepter ce que la direction aimerait faire, si c'est bien ce qu'elle veut faire.

+-

    M. Glenn Betteridge: Je ne suis pas du même avis que vous sur un point, et c'est un point crucial: c'est quand vous parlez de la résistance des travailleurs à ce que la direction essaie de faire. Vous supposez que la direction essaie de faire quelque chose, c'est-à-dire d'assurer la réduction des méfaits. Je pense que cette supposition est fautive au départ.

    On peut soutenir que, dans une entreprise ou dans un milieu d'affaires—et je pense que c'est dans un cadre d'équité en matière d'emploi que cette question a été le plus étudiée—, si la direction n'est pas entièrement favorable aux mesures d'équité en matière d'emploi et à une orientation progressiste et n'en fait pas la promotion, il n'y a pas moyen que le reste de l'organisation emboîte le pas.

    C'est la même chose pour la réduction des méfaits. Si la haute direction du Service correctionnel du Canada ne fait pas preuve d'engagement dans ces dossiers, n'en discute pas, n'en traite pas ouvertement, je pense qu'il y a très peu d'espoir que les subalternes considèrent ces questions comme viables et importantes. Jusqu'à maintenant, il n'y a pas eu d'engagement.

+-

    La présidente: Mais, monsieur Betteridge, vous venez tout juste de dire que vous traitez constamment avec la direction et que cela ne mène à rien. Ne pensez-vous pas que parfois les choses commencent à changer par la base? C'est votre choix, mais si vous n'êtes pas content de votre sort, je pense qu'il vous faut envisager toutes les possibilités pour apporter un changement. Nous pouvons ne pas être d'accord là-dessus. Je pense que vous faites erreur si vous ne vous donnez pas la peine de pousser dans un sens et que vous ne faites que pousser dans l'autre alors que vous pensez qu'il n'y a même pas de rencontre possible.

+-

    M. Glenn Betteridge: Nous n'estimons pas que nous n'avons rien tenté dans la communauté; c'est essentiellement une question de ressources. Franchement, quand les gens de la communauté sont invités à des événements sous l'égide du Service correctionnel du Canada, ils s'organisent, ils se préparent, ils paient ce qu'il y a à payer. Le syndicat ne nous a pas pressentis. Nous n'avons pas pressenti les subalternes parce qu'en vérité, nous sommes trop affairés à répondre aux besoins de nos clients individuels et que l'infrastructure ne nous permet pas d'entretenir ces relations.

    Le Réseau juridique canadien VIH-SIDA a entrepris des études et effectué des sondages auprès des syndicats pour évaluer leurs attitudes et leurs opinions sur ces questions. Ce n'est pas qu'aucun effort n'a été déployé dans ce sens. On commence toutefois à relever les attitudes et les opinions et voir où sont les obstacles. Je ne voulais pas donner l'impression que nous ne sommes pas disposés à entamer un dialogue de ce genre. Veuillez m'excuser si c'est l'impression que j'ai donnée. C'est simplement que...

+-

    La présidente: Pourrions-nous consulter ces études?

+-

    M. Glenn Betteridge: Certainement.

+-

    La présidente: Écoutons Mme Nallanayagam, et ensuite M. Marsh.

+-

    Mme Koshala Nallanayagam: Comme l'a dit Glen, nous, le groupe PASAN, sommes la seule organisation de ce genre au Canada. Aujourd'hui, enfin, nous avons six employés. Nous acceptons aussi des appels à frais virés de détenus de tout le Canada.

    Je le redis, notre mandat consiste à assurer la défense des droits, mais nous nous occupons aussi d'éducation et de soutien. Tous nos clients sont séropositifs et la plupart d'entre eux sont porteurs du virus de l'hépatite C. Nous nous rendons également dans les prisons et les installations réservées aux jeunes contrevenants pour mener à bien nos programmes, pour donner de l'information sur la transmission de ces maladies et expliquer comment rester en santé même si l'on est atteint par l'hépatite C et le VIH. C'est donc une partie très importante de ce que nous faisons, la défense des droits. Malheureusement, cela dépend beaucoup de l'effectif que nous avons, du personnel, du soutien que nous recevons, qui est minime.

    En Ontario, nous sommes maintenant une organisation. Je pense qu'il est question que nous nous donnions une dimension nationale, mais nous ne savons pas ce que cela représente, car à moins que nous puissions compter sur beaucoup plus d'employés...

+-

     Comme je vous le disais, nous faisons quand même déjà des choses d'envergure nationale; on se tourne vers nous pour proposer des choses, et nous essayons d'être présents en autant d'endroits que possible. C'est vraiment difficile parce que nous avons plus de 300 clients, et la plupart d'entre eux sont des détenus.

    C'est difficile parce que souvent nous faisons des efforts de défense des droits pour une personne qui ne reçoit pas ses médicaments. La confidentialité joue beaucoup dans ce que nous faisons, je pense notamment à la divulgation de l'identité de quelqu'un. Parfois, le personnel des prisons agit sans avoir vraiment réfléchi. Dans une prison, tout le monde sait que le jeudi le médecin de soins primaires vient. Eh bien, une infirmière avait affiché les noms de tout le monde à la porte afin que tout le monde sache que ces gens étaient tous séropositifs. Il se produit des choses de ce genre.

+-

    La présidente: Simplement pour savoir, qui vous finance?

+-

    Mme Koshala Nallanayagam: Nous avons un financement de la santé: de Santé Canada, de la ville de Toronto, du Bureau du sida. Il y a un an et trois mois, j'ai été embauchée grâce à des fonds de Santé Canada, de la division de l'hépatite C. Nous espérons obtenir des fonds pour quelques années encore, mais nous n'avons pas encore eu de nouvelles à ce sujet.

+-

    La présidente: Merci.

    Dr Marsh.

+-

    Dr David Marsh: Dans les dernières années, l'un des changements encourageants qui s'est produit tient au fait que dans les installations correctionnelles fédérales et provinciales, les gens qui prennent de la méthadone au moment de leur incarcération peuvent continuer d'en prendre pendant qu'ils purgent leur peine. J'ai participé à la formation du personnel médical et d'autres professionnels de la santé et au cours de certaines séances de formation nous avons aussi accueilli des directeurs et d'autres responsables des installations du service correctionnel. À ce propos, une des choses qui m'a frappée, c'était que nous pouvons supposer que les personnes qui sont dans les installations du service correctionnel ont droit au même niveau de soins de santé que ceux que reçoivent les autres citoyens du Canada. Cela ne m'est pas apparu comme une prémisse de travail généralement acceptée par les gens du service correctionnel, ni chez les professionnels de la santé ni chez d'autres.

+-

    La présidente: Que voulez-vous dire?

+-

    Dr David Marsh: Je veux dire que dans certains cas, à propos de la confidentialité ou de l'accès aux soins, on part de l'hypothèse que «ces gens-là ne le méritent pas».

+-

    La présidente: Merci.

    Monsieur Druce.

+-

    M. Toby Druce: Nous employons directement 300 personnes. Pour ce qui est des difficultés que nous avons à amener les gens des services de première ligne à accepter le travail qui se fait, je dirais que ce qui m'a toujours frappé, c'est qu'aux endroits où l'on a de bonnes pratiques de réduction des méfaits, à savoir un bon travail social, les relations ont tendance à ne pas être très hiérarchisées. Nos superviseurs à Seaton House ont pour rôle de s'assurer qu'on rende compte du travail qui se fait, mais en fin de compte ce travail est fait par tout le monde, et tout le monde le fait pour les mêmes raisons. Les gens qui appliquent de bonnes mesures de réduction des méfaits et qui aboutissent dans des programmes de réduction des méfaits dans notre centre sont des gens qui ont fait preuve de leur désir d'explorer certains domaines qui ne sont pas bien définis. Il n'y a pas de guide des politique ni de manuel de procédure pour faire ce travail, et cela leur convient.

    La seule préoccupation du syndicat, c'est que si nous entreprenons des choses qui ne correspondent pas à la norme pour tous les employés de cette classification, qu'est-ce qui se produirait si quelque chose tournait mal? Comment s'occupera-t-on de cet employé?

+-

     Il vous faut donc vraiment jeter des fondements pour montrer qu'en tant qu'organisation vous souscrivez aux principes et que vous allez soutenir les gens qui en fin de compte auront à exécuter le travail. Quand vous avez ce genre d'appui, le malheur c'est que les employés de première ligne ont tendance à exceller dans ce qu'il font de sorte qu'ils deviennent d'excellents candidats aux postes de superviseurs et qu' ils sont tous cooptés par la gestion. C'est pour nous le seul inconvénient.

+-

    La présidente: Merci.

    Nous allons entreprendre un autre tour rapidement. Mme Davies, Mme Fry, M. White et M. Lee.

    Madame Davies.

+-

    Mme Libby Davies: Je n'ai que deux petites questions. Je change un peu de propos, mais toujours dans le même esprit.

    Vous avez tous parlé d'éducation. Je suppose qu'il s'agit d'éducation pour votre propre groupe-client et les gens avec qui vous travaillez, mais il y a aussi la question de l'éducation générale. Elle se pose de temps à autre, surtout chez les jeunes. Il me semble que tout le domaine de l'éducation est laissé aux policiers, par l'intermédiaire de ces programmes DARE et d'autres encore. J'ai toujours trouvé contradictoire qu'il y ait des policiers qui parlent d'éducation en matière de drogue, quand en réalité nous devrions plutôt faire la promotion de la santé et diffuser des messages sur la santé.

    Je pose la question à chacun de vous. Obtenez-vous effectivement des fonds aux fins d'éducation dans le cadre de vos programmes? À votre avis, que faut-il faire à ce propos?

    Koshala, pour ce qui est du système carcéral, on entend constamment dire qu'on y vit dans un milieu douillet, que c'est un Club Med et ainsi de suite. D'après ce que vous avez dit aujourd'hui, il semble qu' énormément de méfaits existent au sein de l'institution et que la santé des gens se détériore en fait. Est-ce que par l'intermédiaire du service correctionnel du Canada vous êtes en mesure d'accéder à des données et de les évaluer? Dans quelle mesure pensez-vous que le système permette véritablement de mesurer ce qui s'y passe eu égard à la santé et au bien-être des êtres humains qui s'y trouvent, qu'ils soient détenus ou non?

+-

    Dr David Marsh: Notre organisation obtient des fonds pour ses activités de prévention et de promotion de la santé dans le cadre du budget général de l'hôpital. Par exemple, le programme de consommation illicite des drogues pour les jeunes Canadiens d'origine africaine et antillaise, qui est offert dans les écoles à Toronto. Il y a un programme de récupération dans le cadre duquel on repère les jeunes à risque et où l'on essaie de renforcer leur autonomie afin qu'ils puissent prendre de meilleures décisions. Ce n'est toutefois pas un programme qui se concentre sur l'éducation en matière de drogue, à proprement parler.

    En fait, l'expérience tirée des efforts de prévention auprès des jeunes montre que les interventions qui renforcent cette autonomie et la prise de décisions des jeunes sont plus efficaces que des interventions comme le programme DARE. Des données révèlent que dans les écoles aux États-Unis où on a appliqué le programme DARE, les taux de consommation de drogue chez les étudiants s'avèrent supérieurs à ceux des écoles où l'on n'applique pas le programme DARE.

+-

    Mme Libby Davies: [Note de la rédaction: Inaudible] ...information qui nous montre cela au Canada?

+-

    Dr David Marsh: Je ne pense pas que l'éducation en matière de drogues qui est offerte par les responsables de l'application de la loi au Canada ait été évaluée rigoureusement, mais elle devrait certainement l'être.

+-

    La présidente: À ce propos, on nous a dit en Colombie-Britannique, et les forces policières me l'ont dit aussi, qu'on commence à mettre la pédale douce et qu'on a des réserves au sujet du programme DARE. Dans certains cas, on opte plutôt pour d'autres modèles.

    Koshala.

+-

    Mme Koshala Nallanayagam: À l'heure actuelle, nous avons en fait deux de nos employés qui travaillent à un projet dans les pénitenciers pour femmes, dans les pénitenciers fédéraux. Il s'agit d'une enquête d'envergure qui leur permettra de déterminer ce qui est offert actuellement, ce qu'on sait au sujet de certains éléments, en matière d'éducation, des connaissances, etc. Nous avons donc des fonds pour faire cette enquête.

    Oui, nous recevons généralement des fonds pour l'éducation. Comme je l'ai dit, nous tentons de nous rendre dans le plus grand nombre possible de prisons, de pénitenciers, de centres de détention et de centres pour jeunes délinquants afin d'y offrir des programmes d'éducation. Nous allons aussi dans les écoles. Notre coordonnateur des services aux jeunes délinquants se rend dans les centres pour jeunes délinquants, dans les centres de garde ouverte et dans ceux qui s'apparentent à des prisons.

+-

     C'est là quelque chose qui est vraiment nécessaire à mon avis, et nous avons besoin de moyens financiers supplémentaires et de ressources humaines accrues pour faire ce travail. Comme vous l'avez dit, quand l'éducation est faite uniquement par les policiers, la question n'est présentée que d'un point de vue.

    En ce qui concerne la réduction des méfaits, je ne crois pas qu'ils présentent ce point de vue du tout mais, selon moi, il est vraiment nécessaire de le faire car les jeunes ont des rapports sexuels, ils prennent de la drogue, et tout le reste. Ce n'est pas comme s'ils ne faisaient pas tout cela.

+-

    La présidente: Merci.

    Et, enfin, monsieur Cavalieri.

+-

    M. Walter Cavalieri: Très brièvement, le Canadian Harm Reduction Network reçoit des fonds aux fins d'éducation, et nous organisons chaque année environ six activités d'éducation à l'occasion de conférences. Un certain nombre de ces activités ont été parrainées par le Bureau du sida de la province. Jusqu'à maintenant, nous n'en avons qu'organisées qu'en Ontario.

    Nous avons aussi fait du travail d'éducation auprès de groupes communautaires de l'Ontario rural lorsqu'ils nous ont invités. Il y a une toute petite ville, Woodbridge, qui m'a invité à deux reprises, parce que la population s'intéressait vraiment à la réduction des méfaits.

    Le Toronto Ham Reduction Task Force a reçu des fonds de l'IPAC à des fins d'éducation. Grâce à une enquête qu'il a réalisée auprès des organismes communautaires de la région torontoise, le groupe a conclu à l'existence d'une demande importante d'éducation relative à la réduction des méfaits. Il y aura donc une multiplication des activités d'éducation sur le sujet au cours de l'année à venir.

    Pour ce qui est de l'éducation des jeunes, ce qui se fait de mieux à cet égard à Toronto, nous le devons au TRIP, Toronto Raver Info Project. J'espère que vous aurez l'occasion de rencontrer ces jeunes qui font un travail d'éducation dynamique et efficace à des «raves», mais pas seulement là; je me suis emplyé à les faire venir à Ryerson deux fois et aussi à l'Ontario College of Art and Design, avec lequel j'ai des liens depuis plusieurs années, afin qu'ils puissent faire l'éducation tant du personnel que des étudiants. Ils sont incroyables.

+-

    La présidente: Merci.

    Koshala, un dernier point, rapidement?

+-

    Mme Koshala Nallanayagam: Oui, j'ai oublié de parler du Club Fed.

    Tout à fait, les prisons et les pénitenciers, ou la plupart en tout cas... Prenons les centres de détention—la prison Don, le West Detention Centre et le East Detention Centre. Ce sont des endroits affreux. On les met à trois dans une cellule conçue pour une seule personne. Deux d'entre eux couchent dans un grand lit et l'autre doit coucher par terre. Pour nos clients, surtout ceux qui sont séropositifs et qui ont carrément le sida, ce sont là des conditions affreuses où ils ont du mal à survivre—même pas à rester en bonne santé, mais simplement à maintenir leur santé à un certain niveau.

    Je n'ai jamais vu aucun de ces lieux de villégiature. Tout cela tient vraiment de la fiction. Cela cause beaucoup de tort aux prisonniers, parce que les prisons sont des endroits affreux.

    Comme l'a dit Toby, je crois, nombre des employés des prisons se disent que les détenus sont des criminels, qu'ils ont commis des actes horribles. Pourquoi se préoccupe-t-on tant de leur sort? Pourquoi tenons-nous tellement à ce qu'ils soient bien traités, à ce qu'ils restent en bonne santé et à ce qu'ils soient éduqués? À quoi diable cela sert-il?

+-

    La présidente: Et enfin, sur ce point, docteur Marsh.

+-

    Dr David Marsh: Madame la présidente, j'aurais moi aussi quelque chose à dire sur la question du Club Fed. Tout député ou toute personne qui pense qu'il en est ainsi devrait, la prochaine fois qu'il ou elle envisage d'aller à Cuba ou aux Antilles, faire plutôt un don de 2 000 $ au gouvernement du Canada et aller faire séjour dans un Club Fed. Il ou elle saura alors de quoi il retourne.

+-

    La présidente: C'est original comme suggestion.

    M. Betteridge, puis ce sera vraiment la fin de ce tour de table.

+-

    Mr. Glenn Betteridge: Comme dernier point, je tiens à signaler aux membres du comité que cela pourrait intéresser que les établissements sanitaires de Service correctionnel Canada ne sont pas accrédités comme les autres établissements sanitaires qui servent la population générale. Ces établissements de Service correctionnel Canada ne sont soumis à aucun droit de regard ni aucune surveillance. La seule façon de les amener à se conformer à leurs obligations professionnelles est de faire appel aux organismes professionnels de reglementation comme, par exemple, le Collège des médecins ou l'Ordre des infirmières—ou encore aux tribunaux. Les détenus n'ont à peu près aucune chance de pouvoir obtenir de l'aide juridique ou d'avoir les moyens nécessaires pour intenter une poursuite pour négligence relativement aux soins de santé qu'ils reçoivent.

+-

    La présidente: Merci.

    Monsieur Lee.

+-

    M. Derek Lee: J'espérais qu'on éviterait de faire porter beaucoup d'attention sur le Service correctionnel du Canada. Je considère bien sûr le Service comme un morceau du casse-tête, mais...

    J'ai une question pour Mme Nallanayagam. J'ai eu l'impression d'après vos réponses antérieures que le traitement d'entretien à la méthadone n'est guère présent dans le système pénitentiaire fédéral. Est-ce bien ce que vous dites?

+-

    Mme Koshala Nallanayagam: Oui. Quand un détenu prend déjà de la méthadone, parce qu'on la lui avait déjà prescrite avant son arrivée, il lui est plus facile de poursuivre son traitement, mais quand il s'agit d'un détenu qui veut suivre ce traitement pour la première fois, il est très très difficile, sinon impossible, de l'obtenir.

+-

    M. Derek Lee: Si je pose la question, c'est seulement parce que, dans son rapport, le vérificateur général s'était intéressé tout particulièrement aux dépenses au titre des programmes de traitement au CSC, qui consacre quelque 4 millions de dollars par an au traitement à la méthadone. C'est du moins le programme qu'il citait en exemple, même s'il y en a peut-être d'autres. Il y en a d'autres, mais...

+-

    Mme Koshala Nallanayagam: Oui, quand un détenu en prend déjà, c'est plus facile, mais c'est extrêmement difficile pour quelqu'un qui veut suivre ce traitement pour la première fois.

+-

    M. Derek Lee: J'essaie simplement, madame la présidente, de déterminer s'il est nécessaire de braquer les projecteurs sur le Service correctionnel du Canada relativement à cette question, mais les propos que nous avons entendus de la part des témoins aujourd'hui soulèvent certainement des questions.

+-

    La présidente: Dr Marsh a quelque chose à dire en réponse à votre question, avant que je ne donne la parole à Mme Fry.

+-

    Dr David Marsh: Oui. Je crois savoir que le système correctionnel fédéral a un plan d'action pour la mise en oeuvre de programmes de traitement à la méthadone dans les établissements fédéraux. Dans un premier temps, il était prévu de maintenir le traitement à la méthadone pour les détenus qui le suivaient déjà avant d'être incarcérés, et c'est chose faite. Dans un deuxième temps, on devait offrir le traitement à ceux qui ne l'avaient jamais suivi, mais on attend toujours que cela se fasse, même s'il y a déjà au moins trois ans que c'est prévu.

    Par ailleurs, en ce qui concerne le rapport du vérificateur général, d'après ce que je sais de la façon dont les fonds sont utilisés, le Service correctionnel pourrait utiliser les fonds à meilleur escient s'il faisait appel à des gens qui comprennent les détails du traitement à la méthadone.

+-

    La présidente: Merci.

    Madame Fry.

+-

    Mme Hedy Fry: Merci, madame la présidente.

    Il me semble que, étant donné le pourcentage élevé de prisons et d'établissements correctionnels où les détenus consomment de la drogue, c'est une question dont nous devons nous occuper. Nous ne pouvons pas la passer sous silence. C'est un morceau du casse-tête.

    Je voudrais qu'on aborde la question sous un angle un peu différent. Hier, certains des témoins que le comité a entendus ne s'entendaient pas sur la nature de la toxicomanie, à savoir s'il s'agissait simplement d'une habitude ou s'il y avait vraiment une dépendance pharmacologique et physiologique.

    En tant que médecin, je sais qu'il s'agit d'une dépendance physiologique et pharmacologique et non pas simplement d'une habitude dont on peut se débarasser à condition d'avoir assez de volonté. Certains considèrent que les toxicomanes manquent tout simplement de volonté et qu'ils sont en fait moins forts ou moins dignes de considération que les autres.

    Étant donné que le Dr Marsh est parmi nous, et qu'il est spécialiste des toxicomanies, j'aimerais lui demander s'il ne pourrait pas parler brièvement de la toxicomanie comme dépendance physiologique et pharmacologique et comme accoutumance, afin que nous en comprenions mieux la nature.

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    La présidente: Vous avez parlé d'«addictionologist» en anglais. Ce terme existe-t-il vraiment?

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    Dr David Marsh: Oui, il existe.

    Merci, madame Fry.

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    La présidente: J'ai vraiment appris quelque chose de nouveau.

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    Dr David Marsh: En bref, la réponse à cette question revient à quelque chose que j'ai dit tout à l'heure, à savoir que les drogues qui créent une accoutumance ont un effet sur le cerveau qui fait en sorte que la personne—ou dans les expériences sur les animaux, l'animal—est plus susceptible de consommer la drogue de nouveau à l'avenir. C'est ce que appelle le «renforcement».

    Certains des travaux révolutionnaires de recherche en neuroscience dans ce domaine ont en fait été amorcés au Canada, et cette tradition de recherche continue à être très forte chez nous. Jane Stewart, de l'Université Concordia est une spécialiste mondiale en la matière. Ce qui se passe, c'est que, quand une personne consomme de l'héroïne, de la cocaïne, de la nicotine, de l'alcool ou n'importe quelle autre drogue qui peut créer une accoutumance, la drogue a généralement pour effet de produire de la dopamine dans le noyau accumbens— une partie du système limbique, qui est en quelque sorte la base du cerveau mammifère primitif—qui dit essentiellement au cerveau que la drogue est essentielle à la survie. C'est le même type de phénomène qui se produit quand on a faim et qu'on mange ou quand on a soif et qu'on boit de l'eau.

    Si ces drogues créent une accoutumance, c'est—en partie—à cause de l'effet qu'elles ont sur le cerveau; elles dupent le cerveau et lui font croire que la consommation de la drogue est un comportement essentiel à la survie.

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    Mme Hedy Fry: Y a-t-il des gens qui ont une espèce de barrière qui entrave l'action de la dopamine sur les neurotransmetteurs, si bien qu'ils développe une plus grande accoutumance que d'autres? C'est là une idée qui circulait dans les milieux médicaux il y a cinq, six ou sept ans.

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    Dr David Marsh: Il y a une certaine variabilité génétique, notamment une variabilité du risque de développer une toxicomanie. La plupart des recherches sur le sujet ont porté sur l'alcoolisme. Environ 40 p. 100 du risque de devenir alcoolique est sans doute déterminé par les gènes. Plusieurs gènes sont en cause, et certains des facteurs de risques génétiques sont liés à la présence plus faible de neurotransmetteurs dans certaines voies qui sont le siège du système de récompense.

    Mme Hedy Fry: Merci.

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    La présidente: Monsieur White, avez-vous une brève question?

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    M. Randy White: Nous aurons peut-être bien beaucoup de recommandations à faire à la Chambre des communes pour la première fois depuis 30 ans. La dernière fois qu'on s'est penché sur cette question, c'était avec la Commission Le Dain vers 1972. Ceux qui sont ici présents ont donc une lourde responsabilité pour ce qui est à tout le moins d'influencer la façon dont les choses vont se passer pendant les 20 prochaines années sans doute, d'ici à ce qu'on se remette à étudier la question.

    J'inviterais chacun de vous à me dire ce qui, d'après vous, devrait être au tout premier rang de notre liste de recommandation. Je ne vous demande pas d'écrire le rapport à notre place, mais j'aimerais que vous nous disiez quelle est la recommandation essen tielle que le comité devrait formuler et sur laquelle il devrait vraiment insister. Je soupçonne qu'il y aura peut-être des recommandations différentes.

    J'aimerais bien pouvoir discuter avec vous du Service correctionnel, mais il vous faudrait au moins une semaine pour me convaincre qu'il n'y a pas lieu d'apporter des changements à ce service. J'aimerais toutefois avoir vos recommandations.

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    Dr David Marsh: Vous pourriez recommander que le Parlement mette en oeuvre les recommandations de la Commission Le Dain.

    M. Randy White: C'est ça votre réponse?

    Dr David Marsh: Oui, c'est ma réponse. La grande majorité de ces recommandations sont toujours valables et n'ont jamais été mises en oeuvre, y compris étudier la prescription d'héroïne par les médecins et faire en sorte que le traitement à la méthadone soit largement accessible dans tout le pays. Bien entendu, M. Le Dain n'avait pas recommandé l'échange de seringues, mais il avait parlé de décriminaliser la possession de cannabis. Toutes ces idées sont excellentes.

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    M. Toby Druce: Je mettrais moi aussi l'accent sur la décriminalisation des drogues.

    La présidente: De toutes les drogues?

    M. Toby Druce: Je dirais pour ma part qu'il faudrait lancer le processus. Il faudrait commencer par celles qui sont déjà acceptables. Au bout du compte, si nous arrivons à décriminaliser les drogues, nous pourrons nous attaquer au vrai problème.

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    M. Chris Gibson: Je me contenterai de réitérer que je n'ai toujours pas entendu d'argument convaincant en faveur de la criminalisation des drogues. Les arguments invoqués n'ont aucun fondement logique. Il s'agit simplement d'une prise de position morale: il est immoral de consommer des drogues et ce type de comportement est donc punissable. Or, cette activité n'est certainement pas pire que beaucoup d'autres activités auxquelles nous nous livrons et qui sont permises ou même encouragées.

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    M. Glenn Betteridge: Je vais simplement vous lire un extrait du résumé des recommandations du réseau juridique qui se trouve à la page 37. On y dit ce qui suit:

...les gouvernements devraient établir une solution de rechange plus constructive que le cadre juridique actuel, et offrir les programmes de recherche, d'éducation ainsi que les programmes sociaux nécessaires pour réduire les méfaits de la consommation de drogue.

    Donc, essentiellement nous recommandons d'adopter un modèle de réduction des méfaits sur tous les fronts.

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    M. Walter Cavalieri: Je suis tout à fait d'accord avec ces propositions. Je tiens à dire que celle sur laquelle je mettrais surtout l'accent consiste à envisager l'option de la légalisation, assortie d'une certaine mesure de contrôle social comme nous le faisons dans le cas des autres substances susceptibles d'entraîner une accoutumance. Il ne fait aucun doute que l'expérience de la prohibition de l'alcool par le passé indique clairement que cette mesure est inefficace et qu'elle cause de nombreux méfaits. Donc, tenons compte de cette expérience dan s le cas d'autres substances pouvant entraîner une accoutumance.

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    Mme Koshala Nallanayagam: En ce qui concerne le système carcéral, je proposerais les recommandations tirées du mémoire présenté en 1992. Mais j'aimerais proposer une mesure immédiate, à savoir un programme d'échange de seringues dans les prisons.

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    La présidente: Je vous remercie, monsieur White.

    Juste avant de partir, docteur Marsh, nous n'avons pas beaucoup parlé des médicaments d' ordonnance.

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     D'après ce que M. Druce et M. Gibson ont dit à propos de la décriminalisation, je pars du principe que vous exerceriez au moins certains mécanismes de contrôle sur la distribution des drogues.

    Dr David Marsh: Bien sûr.

    La présidente: Les médicaments délivrés d'ordonnance sont assujettis à des contrôles et pourtant il y a de toute évidence des gens qui en abusent. C'est peut-être plus acceptable socialement. Pourrait-il y avoir un programme, outre la distribution de l'héroïne et de la méthadone? Le médecin pourrait-il de bonne foi prescrire de la cocaïne ou du crack? Y a-t-il d'autres substances qu'il pourrait prescrire plutôt aux gens qui ont besoin de leur dose de dopamine? Comment cela fonctionnerait-il?

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    Dr David Marsh: Une étude qui vient tout juste d'être publiée a examiné la possibilité de prescrire de la dextroamphétamine par voie orale à ceux qui s'injectent des stimulants. Il existe beaucoup moins de preuves concernant la prescription d'agonistes pour l'accoutumance à l'égard des stimulants que pour celle à l'égard des opiacés, mais je crois que c'est un domaine où il faut faire de la recherche, car il existe des possibilités de traitement.

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    La présidente: Je vous remercie.

    M. Gibson et M. Druce, on aurait ce système parallèle où des personnes s'adresseraient à l'équivalent d'une régie des alcools ou quelque chose du genre dans notre province. Est-ce que cela serait considéré satisfaisant par certains des voisins avec qui vous travaillez? Nous avons entendu leurs témoignages, mais je ne crois pas leur avoir posé cette question précise hier. Je tiens à vous informer qu'ils ont reconnu que vous faisiez de l'excellent travail dans le quartier. Mais il y a encore de toute évidence certaines difficultés.

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    M. Chris Gibson: Jetons un coup d'oeil à certaines des questions que le comité a formulé dans le document que j'ai ici... «L'interdiction n'élimine pas la toxicomanie. Est-ce qu'elle décourage la consommation de drogue chez le grand public?» Nous n'avons aucun moyen scientifique de le savoir parce que le public n'a jamais eu l'occasion d'avoir accès à ces drogues légalement. Donc aucune comparaison n'est possible.

    Je pense que des services comme ceux que nous dispensons continueront d'être nécessaires. J'avais dit que j'avais commencé avec des personnes qui consommaient de fortes quantités d'alcool et qui avaient un long passé de clochards. Mais l'alcool est une substance légale. Il nous a donc été plus facile de faire des études plus approfondies en la matière.

    Je ne crois pas que la toxicomanie disparaitrait de notre société si on légalisait la drogue mais on n'assisterait pas non plus à une augmentation marquée du nombre de gens dont la santé est exposée à de graves conséquences. En fait je crois--mais je n'ai pas de preuves pour le documenter-- que les gens seraient plus enclins à vouloir subir un traiement pour l'usage abusif de n'importe quelle substance s'ils étaient confrontés à la perspective d'une sanction pour avoir consommé cette substance de toutes façons.

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    La présidente: Je tiens à remercier chacun d'entre vous pour vos exposés de ce matin et pour le travail que vous accomplissez partout au Canada et dans nos collectivités. Vous êtes de toute évidence des gens très dévoués et dont le travail a une énorme importance. Nous vous souhaitons beaucoup de succès dans votre tâche.

    Notre comité entendra des témoins probablement jusqu'à la fin juin. Si vous avez connaissance de faits intéressants, s'il y a du nouveau dans la recherche ou si vous avez une évaluation d'un nouveau programme que vous voulez nous communiquer, veuillez transmettre cette information à notre greffière, Carol Chaffe. Elle s'assurera de la faire distribuer dans les deux langues officielles. Nous pouvons nous occuper de cet aspect.

    Nous vous remercions vraiment d'avoir pris le temps d'être des nôtres aujourd'hui. J'espère que vous n'aurez pas à calculer les heures facturables, monsieur Betteridge. Nous vous sommes très reconnaissants du travail que vous faites et nous vous souhaitons beaucoup de succès dans vos entreprises.

    Chers collègues, il y a des autobus au niveau inférieur qui nous attendent pour nous amener au tribunal de la drogue. S'il y a des documents que vous voulez renvoyer à Ottawa, nous pouvons le faire. La séance est levée. Je vous remercie.