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Bonjour. Je vous remercie de nous accueillir ici aujourd'hui.
[Français]
Le Regroupement des distributeurs indépendants de films du Québec existe depuis 2008. Il a été formé par des distributeurs indépendants de films du Québec à la suite de la fermeture temporaire du Cinéma Excentris — le Cinéma Parallèle à l'époque —, qui a engendré une crise chez les distributeurs québécois.
À l'époque, nous avons réalisé que les distributeurs indépendants avaient beaucoup de choses en commun et qu'ils pouvaient discuter entre eux ainsi qu'avec les différents paliers de gouvernement, les télédiffuseurs et l'industrie en général.
Nous représentons neuf distributeurs indépendants au Québec, soit la majorité des distributeurs québécois. Nous sortons aussi la majorité des films québécois au Québec.
Depuis la mise sur pied de notre regroupement, nous avons avancé sur plusieurs dossiers. Nous avons négocié des ententes avec la Société de développement des entreprises culturelles — la SODEC — au Québec et avec Téléfilm Canada au fédéral. Nous avons rencontré des représentants du gouvernement provincial et de différents paliers de gouvernement. Nous avons proposé plusieurs ententes à ces différents paliers.
Nous avons aussi passé beaucoup de temps à réfléchir aux questions qui préoccupent notre industrie en ce moment. Dernièrement, la fusion d'Entertainment One et d'Alliance Films a créé le plus grand distributeur au Canada. C'est une compagnie massive qui contrôle la majorité des activités de distribution au pays. Cela nous inquiète énormément, surtout parce que nous considérons que ce n'est pas une compagnie canadienne. Elle est basée aux îles Jersey et elle est cotée en bourse en Angleterre. Ce sont des entités à l'extérieur du Canada qui contrôlent une portion importante de notre industrie.
La majorité des films financés au Québec le sont par cette entité ou par ses subdivisions — Christal Films, Films Séville ou eOne. Elles font toutes partie de la même famille.
La majorité de l'argent public va dans une compagnie basée dans un abri fiscal, ce que nous trouvons tous un peu ironique. Cela a rendu difficile le travail de distribution et le modèle économique de la distribution au Québec pour les distributeurs indépendants, qui représentent quand même beaucoup de films.
Je vais donner un exemple extraordinaire. Tout le monde nous dit qu'eOne a sorti Mommy, le film de Xavier Dolan dont nous sommes tous très fiers. Ce film a fait le tour de la planète. Cependant, il ne faut pas oublier que Louis Dussault, mon collègue de K-Films Amérique, a distribué J'ai tué ma mère. S'il n'avait pas distribué ce film, il n'y aurait jamais eu Mommy. C'est un point très important.
Dans l'industrie, il y a de grands changements par rapport aux plateformes numériques, qui ont pris énormément de place et changé les habitudes de consommation du public. Le public n'est plus autant lié à la télévision. Une des grandes sources de revenus pour la distribution et pour le financement des films a historiquement été la télédiffusion, les licences télé. Le nombre de ces licences diminue à cause de la place importante qu'occupent des plateformes comme iTunes et Netflix. Actuellement, ces plateformes ne sont pas gérées par le CRTC, tant en ce qui a trait au contenu canadien qu'au réinvestissement dans le cinéma canadien. Nous trouvons qu'il est important de reconnaître ces faits. À mon avis, le fédéral a du travail à faire par rapport à cela.
Nous avons préparé un mémoire qui vous sera présenté plus tard. Nous l'avons rédigé en français, mais il faut le faire traduire en anglais avant de vous le présenter, ce qui sera fait incessamment. En attendant, Louis va vous en présenter un résumé.
J'aimerais simplement compléter le préambule d'Andrew. En effet, il est assez ironique de constater que Entertainment One, qui a fusionné trois compagnies québécoises et ontariennes de cinéma, contrôle 90 % des fonds publics, en plus de constituer un abri fiscal. Cette compagnie s'arrange pour ne pas payer d'impôts. Elle est contrôlée par les actionnaires de la Bourse de Londres.
Actuellement, on échappe au contrôle de Netflix, qui n'a aucun cahier des charges, ne paie ni taxes ni impôts, n'a pas d'obligations, ne réinvestit pas ses profits et empêche les compagnies légales — qui paient leurs taxes et leurs impôts —, comme Super Écran, par exemple, d'acheter des films parce que Netflix exige l'exclusivité.
Deux types de compagnies contrôlent actuellement notre industrie. En pratique, ce sont des abris fiscaux. C'est une image, une figure de style.
Je suis désolé d'avoir à vous imposer une lecture.
Le mémoire trace d'abord un bilan de la situation actuelle. Le paysage de la distribution, de l'exploitation et de la diffusion de films au Québec a considérablement changé ces dernières années. La consolidation des grandes sociétés de distribution — dont nous venons de parler — qui s'est effectuée par différentes fusions ou acquisitions, ainsi que différents bouleversements technologiques, ont nettement accéléré ce phénomène qui laisse de moins en moins de place au cinéma d'auteur.
Le cinéma d'auteur est celui qui représente le Canada partout dans le monde. Xavier Dolan n'est pas né avec Mommy. Il est né avec J'ai tué ma mère, qui a connu un succès phénoménal au Festival de Cannes en 2009. Sans J'ai tué ma mère, il n'y aurait pas eu de Mommy. Le cinéma d'auteur, que les membres du Regroupement des distributeurs indépendants de films du Québec représentent, est le cinéma qui représente le Québec et le Canada partout dans le monde, actuellement et dans les années à venir.
Je pourrais parler d'un film qui vient d'être sélectionné pour un important festival, mais puisqu'il y a embargo, je ne pourrai pas en parler avant la première semaine de juin. Vous allez en entendre parler. C'est un film d'auteur, un premier film, financé par la SODEC et Téléfilm Canada. C'est ce que l'on représente, c'est-à-dire le cinéma qui fait rayonner le Québec et le Canada dans le monde entier.
Nous avons tout de même des solutions, que nous avons d'ailleurs précédemment proposées au gouvernement du Québec. Nous nous adressons maintenant à vous, puisque vous êtes des représentants du gouvernement fédéral. En ce qui concerne les champs de compétence fédérale, nous souhaiterions l'installation d'un système de taxation pour financer l'industrie du cinéma et donner les moyens, entre autres, d'appuyer la capitalisation des distributeurs indépendants avec une taxe de 1 % sur le chiffre d'affaires de détail des différents opérateurs de télécommunication par lesquels transite une part croissante de l'offre cinématographique: fournisseurs d'accès à Internet, câblodistributeurs et opérateurs de téléphonie mobile.
La plupart des opérateurs de télécommunication proposent d'ailleurs les trois services à la carte ou combinés. Une portion de cette somme d'argent doit nécessairement être allouée au fonds de capitalisation pour les distributeurs indépendants. Ce fonds entraînera un bénéfice direct pour toute l'industrie du cinéma québécois et canadien: un meilleur financement des avances aux producteurs, un meilleur financement des activités de mise en marché des films en salle...
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Je m'appelle Virginia Thompson et je suis une productrice indépendante. Je suis connue pour ma carrière à la télévision et pour mon premier long métrage, que j'ai produit, distribué et commercialisé. Il s'agit de
Corner Gas: The Movie. Les choses se sont réellement bien passées pour nous.
Je vais m'en tenir aux questions auxquelles vous nous avez demandé de répondre aujourd'hui. Tout d'abord, en ce qui a trait à l'efficacité du financement du gouvernement, il s'est révélé très efficace pour Corner Gas: The Movie. Le projet a été financé par Téléfilm Canada, le Fonds des médias du Canada, Bell Média, les crédits d'impôt fédéraux et provinciaux, Tourisme Saskatchewan, le Fonds Bell ainsi qu'une campagne de financement participatif menée sur Kickstarter.
Les résultats ont dépassé nos attentes. Nous avons projeté notre film dans 100 cinémas, à guichets fermés, partout au pays. Le film a rejoint sept millions de Canadiens à la télévision. Il a généré 220 millions d'impressions sur le Web. Il a créé une tendance sur Twitter à l'échelle nationale, le soir de la première projection au cinéma et aussi le soir de la première à la télévision. Ces événements ont même pris une ampleur mondiale. Plus de 55 000 DVD/Blu-ray ont été vendus jusqu'à maintenant et ce n'est pas terminé.
Ensuite, dans quelle mesure l'industrie cinématographique a-t-elle changé depuis 2005? À l'instar de mes collègues, je dirais que tout a changé. En 2009, lorsque la série Corner Gas a pris fin, sachez que 3,2 millions de Canadiens ont regardé la dernière émission. Il s'agit d'un record de cotes d'écoute pour une émission canadienne-anglaise. En 2009, le visionnement en ligne et Facebook étaient nouveaux, et Twitter n'existait pas encore. En l'espace de seulement cinq ans, nous sommes passés d'un monde linéaire à un monde numérique. Ce sont désormais les téléspectateurs, et non plus les distributeurs, qui contrôlent ce qu'ils regardent, et leur comportement est clair. Ils regardent des films au cinéma, à la télévision, sur leurs ordinateurs, leurs tablettes et leurs téléphones. Ils paient pour voir des films, trouvent le moyen de regarder des films gratuitement et partagent des films illégalement en ligne. La bonne nouvelle, c'est qu'ils veulent être interpellés par des films et les gens qui les produisent.
Parlons maintenant de ma réussite. En avril 2009, lorsque la série Corner Gas était diffusée à la télévision, elle a réuni plus de 3,2 millions de téléspectateurs — ce qui est un record au Canada. Toutefois, en décembre 2014, lorsque nous avons lancé le film, nous avons plus que doublé notre auditoire dans ce nouvel espace numérique. Ce sont donc de bonnes nouvelles, et j'estime qu'il y a moyen de connaître du succès à l'avenir. Ce que j'ai appris, c'est que l'important aujourd'hui est de mobiliser les gens. Si les producteurs de films interpellent les Canadiens à la maison, leurs films auront une portée mondiale. Je considère que les recettes au box-office prennent beaucoup trop d'importance lorsqu'il s'agit de mesurer le succès d'un film. Il y a un changement de paradigme qui s'effectue actuellement au sein de l'industrie du long métrage et, de mon point de vue, le cinéma n'est aujourd'hui qu'un outil de promotion; les véritables revenus proviennent des autres écrans qui suivent la projection en salle.
Mais revenons à l'efficacité du financement du gouvernement. C'est une histoire intéressante, et je vais m'efforcer d'être brève.
En 2013, Corner Gas: The Movie n'a pas pu être financé au Canada. En 2014, après avoir sondé le marché, j'ai proposé une nouvelle approche pour financer, promouvoir et diffuser le film en collaboration avec Carolle Brabant, de Téléfilm. Téléfilm a dû enfreindre ses propres règles et a créé un programme pilote afin que notre projet puisse aller de l'avant. C'était risqué pour toutes les parties, mais cela a fonctionné.
Par conséquent, qu'est-ce qui s'est passé en 2013, la mauvaise année? Nous avons préparé nos arguments. Nous étions dans une nouvelle ère. Les producteurs avaient élaboré un plan solide pour mobiliser l'auditoire. Nous allions rafraîchir cornergas.com et lancer une page Facebook et Twitter. Nous allions compter sur les 80 000 abonnés de Brent Butt sur Twitter pour faire passer le message. Nous allions lancer une campagne de financement collectif sur Kickstarter afin de faire participer le public, puis mener différentes activités en ligne.
Nous avions une marque, une bonne histoire et un bon plan de commercialisation. Toutefois, nous n'avions aucun appui financier pour le développement. Il s'agissait de notre premier long métrage. J'avais fait mes preuves à la télévision, mais je n'avais jamais produit de film, alors dans le système actuel, il n'y avait tout simplement pas d'argent pour moi. Évidemment, le système accorde la priorité aux producteurs bien établis — et c'est normal —, mais il reste très peu d'argent pour les nouveaux producteurs ou les gens comme nous. Nous n'avions donc pas notre place dans le système.
Il y a très peu de distributeurs au Canada anglais. eOne a beaucoup de pouvoir et il était le seul distributeur en mesure de gérer un projet comme le nôtre. Nous avons également rencontré d'autres distributeurs. Selon eux, il y avait un problème avec le film. Il serait difficile de le positionner sur un créneau et de le commercialiser, même si nous étions disposés à le faire avec eux, puis à trouver du financement. De leur point de vue, nous sortions un peu trop des sentiers battus, et ils nous ont offert le tiers des fonds dont nous avions besoin pour produire le film.
Par conséquent, il y avait un énorme manque à combler. Nous nous sommes adressés à CTV, qui nous a opposés une fin de non-recevoir. Pourquoi? Parce qu'il n'était pas prêt à attendre 18 mois pour que le film soit présenté sur son réseau. C'est ainsi que fonctionne le système. J'ai ensuite demandé ce qui arriverait si nous lancions le film au cinéma, puis que nous le diffusions tout de suite après sur tous les écrans. On nous a dit que ce serait bien, mais que cela ne s'était jamais vu auparavant au Canada.
Nous nous sommes ensuite tournés vers Cineplex, tout de suite après le lancement du film Veronica Mars. Les choses s'étaient très bien passées pour eux, alors nous leur avons demandé de faire exactement la même chose pour Corner Gas. Ils ont accepté.
N'empêche que nous avions toujours un gros problème. Nous n'avions pas de distributeur canadien. Nous avions maintenant Cineplex, les écrans, le diffuseur, mais nous nous trouvions à enfreindre une règle fondamentale. J'ai présenté une demande à Téléfilm, et on nous a donné la possibilité de distribuer nous-mêmes le film. Comme vous le savez, le film a connu un franc succès.
Si vous me le permettez, j'aimerais vous présenter brièvement quelques recommandations.
Téléfilm et le FMC sont essentiels et ont besoin d'être soutenus à l'ère numérique. Les producteurs qui ont fait leurs preuves dans le métier mais qui n'ont pas nécessairement fait de long métrage auparavant devraient avoir accès à des fonds de développement. Les créateurs de contenu produisent maintenant du contenu pour tous les écrans; nous devons tous... De toute façon, je pourrais y revenir plus tard.
Les producteurs qui ont essuyé un refus ou qui ne sont pas en mesure d'accéder aux fonds des distributeurs canadiens, mais qui peuvent démontrer qu'il existe un marché et une source de financement crédible pour leurs films devraient pouvoir être admissibles au financement de Téléfilm. C'est ce que nous avons fait et cela a fonctionné. Ce serait très utile si Téléfilm avait un petit département qui appuyait les producteurs du berceau au tombeau, c'est-à-dire aux étapes du financement créatif, de la commercialisation et de la distribution.
Le gouvernement devrait examiner les restrictions entourant le crédit d'impôt fédéral lorsqu'il s'agit des nouvelles formes de financement telles que Kickstarter. En ce qui nous concerne, le jeu n'en valait pas la chandelle, mais nous l'avons fait à des fins de commercialisation.
Durant la production, Téléfilm devrait permettre aux producteurs de recevoir une compensation pour la commercialisation, puisqu'ils doivent commercialiser leurs films pendant le tournage, autrement ils perdent une belle possibilité de pouvoir faire connaître leurs histoires au public.
Je considère que le financement de la commercialisation versé aux distributeurs canadiens devrait être réparti — je suis désolé, messieurs — entre le distributeur et le producteur afin que nous puissions rejoindre de vastes auditoires. Ceux-ci veulent parler aux créateurs. Je crois en la distribution, mais j'estime que nous devons travailler ensemble.
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Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs les députés, au nom de l'Union des artistes, je tiens à vous remercier de votre invitation à témoigner dans le cadre de votre examen de l'industrie canadienne du long métrage.
Comme le président l'a indiqué, je suis présidente de l'Union des artistes, communément appelée l'UDA. L'UDA est le syndicat professionnel qui représente les artistes qui travaillent en français au Canada et les artistes oeuvrant dans une langue autre que l'anglais et le français au Québec.
Nous représentons 12 700 artistes membres qui exercent le métier d'acteur, de chanteur, d'animateur ou de danseur. Nos artistes membres exercent leur métier dans plusieurs disciplines, dont la production de longs métrages. Ils sont par exemple acteurs, cascadeurs, doubleurs et directeurs de plateau de doublage.
Le rôle de l'UDA est de défendre les intérêts sociaux, économiques et moraux de ses membres, qui sont pour la plupart des travailleurs autonomes. La négociation de conditions minimales de travail et la rémunération des artistes dans les secteurs de notre compétence est au coeur de nos activités. Notre rôle consiste également à représenter nos membres auprès d'instances politiques comme celle-ci.
D'emblée, je tiens à souligner la pertinence de l'examen que vous avez entrepris. L'industrie cinématographique canadienne et québécoise joue un rôle primordial dans la promotion de notre identité culturelle, et elle fait face aujourd'hui à des défis considérables. Étant moi-même une actrice oeuvrant dans l'industrie cinématographique, je pourrais en témoigner directement.
Je sais que plusieurs témoins que vous avez reçus jusqu'ici vous ont exposé les défis de l'industrie et ont proposé des solutions concrètes. C'est pourquoi j'aimerais concentrer mon intervention sur un enjeu en particulier qui n'a pas été abordé jusqu'à présent, c'est-à-dire l'avenir de l'industrie du doublage d'oeuvres cinématographiques et télévisuelles en langue française.
Le doublage joue un rôle important dans notre industrie cinématographique. Il permet au public de visionner des oeuvres canadiennes anglaises et étrangères dans une langue de proximité. Le doublage fait au Canada procure aux Canadiens francophones une expérience de grande qualité. En effet, les oeuvres doublées ici tiennent mieux compte des particularités linguistiques et culturelles du public d'ici. À cet égard, plusieurs autres publics ailleurs dans le monde privilégient eux aussi le doublage comme mode d'adaptation linguistique.
Au Québec seulement, le doublage, c'est environ 800 professionnels et artistes. Cela comprend des comédiens et des directeurs de plateau qui sont membres de l'Union des artistes, mais aussi des centaines d'artistes et d'artisans tels que des techniciens ou des adaptateurs, qui sont des auteurs qui traduisent de l'anglais au français.
L'Association nationale des doubleurs professionnels, ou l'ANDP, qui représente 14 principales entreprises de doublage au Québec, évaluait en 2012 le chiffre d'affaires annuel de cette industrie à 23 millions de dollars.
Je tiens aujourd'hui à vous sensibiliser au fait que l'industrie québécoise du doublage vit présentement une crise. On observe depuis plusieurs mois déjà un ralentissement qui perdure dans le volume d'activité, ce qui a mené à plusieurs mises à pied. L'UDA vient d'ailleurs de renouveler son entente collective avec l'ANDP et a consenti à une réduction des cachets des artistes de 15 à 25 % selon le type de production. Cette mesure extraordinaire témoigne de l'ampleur de la gravité de la situation actuelle.
Nous avons procédé à un vote et je ne vous cacherai pas qu'une majorité s'est prononcée en faveur de cette réduction dans une proportion de 5 pour 1. Évidemment, ce fut épique. Notre syndicat vise à protéger la qualité du travail de nos artistes et nous avons dû négocier des tarifs à la baisse. Pour des travailleurs autonomes, cela a pris beaucoup de courage. Ils l'ont fait avec toute mon admiration, sincèrement, parce que ce sont des familles et des travailleurs autonomes qui se trouvent déjà dans une situation précaire. Dans leur cas, des baisses de 15 à 25 %, c'est énorme. Je les salue et j'admire leur courage.
Le gouvernement du Québec, conscient lui aussi que cette crise menace la pérennité de l'industrie, est également revenu sur sa décision de 2014 de réduire de 20 % la valeur du crédit d'impôt pour le doublage. En effet, Québec a rétabli ce crédit d'impôt dans son budget de mars dernier.
En ce qui concerne la crise actuelle, trois principales raisons l'expliquent. Premièrement, la concurrence augmente.
La France reste notre concurrent traditionnel, auquel se sont ajoutés de nouveaux joueurs tels que la Belgique, l'Espagne, l'Italie et le Maroc, qui ont fait leur entrée sur le marché avec une offre extrêmement concurrentielle.
Deuxièmement, notre secteur du doublage se retrouve dans une situation de concurrence inégale. Plusieurs des pays que je viens de nommer sont en mesure d'offrir des tarifs et des conditions de financement plus attrayants pour les producteurs locaux et étrangers. De plus, la France maintient toujours une réglementation exigeant que les longs métrages qui sortent en salle soient doublés chez elle, c'est-à-dire en France. L'inégalité de taille des marchés, la structure de marché et les conditions de financement qui sont offertes font en sorte que, trop souvent, on réalise un doublage outre-Atlantique en se disant que les diffuseurs canadiens vont l'acheter de toute façon.
Troisièmement, l'émergence de nouveaux modes de diffusion virtuels — on en a parlé tout à l'heure — contribue aussi à la crise actuelle. Les films projetés en salle reste le secteur où la proportion d'oeuvres doublées ici est la plus élevée. L'industrie nous dit qu'environ 80 % des films projetés dans nos salles ont été doublés chez nous. Il est surtout question de productions étrangères, principalement américaines.
Par contre, ce qui nous échappe de plus en plus, c'est le marché des productions cinématographiques qui ne sont pas projetées en salle, par exemple les DVD, ainsi que le marché des productions télévisuelles comme les téléséries et des productions destinées à la diffusion virtuelle. On parle ici de Netflix, d'Internet et d'Illico chez nous. Le changement des habitudes de visionnement du public vers le virtuel, donc vers des oeuvres qui ne sont pas doublées ici, contribue à la crise actuelle.
L'Union des artistes a longuement réfléchi et discuté de ces enjeux avec ses membres et avec divers instances gouvernementales québécoises à l'occasion de forums et de consultations. Nous estimons qu'il est maintenant temps de passer à l'action.
Concrètement, voici trois principales recommandations destinées au gouvernement fédéral dont nous souhaitons vous faire part.
Premièrement, nous proposons que le programme du Fonds des médias du Canada — le FMC — pour le doublage et le sous-titrage soit amélioré, afin de tenir compte de l'évolution du marché et de mieux atteindre son objectif d'accroître l'accessibilité de la programmation actuelle. Par amélioration, j'entends la simplification et l'élargissement de l'accès au programme et sa bonification.
Deuxièmement, nous proposons que le gouvernement modifie ses règles d'octroi de subventions aux producteurs canadiens de longs métrages et de contenu télévisuel, afin d'exiger que les productions canadiennes financées à même les fonds publics réalisent leur doublage au Canada. Nous estimons par exemple que le doublage de 25 % des séries canadiennes entièrement financées au Canada nous échappe présentement. Il est aberrant de constater que des productions d'ici, qui sont financées par notre propre gouvernement et que nous voulons rendre accessibles à toute la population d'ici, viennent alimenter nos concurrents.
Troisièmement, nous proposons de réviser les règles liées au contenu canadien, afin que les diffuseurs de télévision francophones privilégient les doublages canadiens lorsqu'ils existent et qu'ils soient tenus d'augmenter la part des doublages d'ici dans l'ensemble de leur grille de programmation.
Nous sommes d'ailleurs un peu inquiets des effets qu'aura la nouvelle politique réglementaire de radiodiffusion du CRTC dévoilée le 12 mars dernier...
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Je vais résumer le mieux possible.
Nous avons avancé des propositions pour améliorer le sort des distributeurs indépendants de films au Québec, qui constituent la majorité des distributeurs. Ils dégagent les fonds en production pour les films d'auteur, qui constituent la majorité des films produits au Québec, même si on ne leur alloue pas la majorité des fonds.
Nous proposons une mise en place d'enveloppes permettant à ces distributeurs de participer au développement des projets, des enveloppes en capitalisation. D'ailleurs, cela aurait dû être une condition pour permettre la fusion des compagnies Christal Films, Séville et Alliance et qui a créé ce monopole immense qui canalise actuellement 90 % des fonds destinés à la production et à la distribution. Aucune condition n'a été imposée à cette fusion. Normalement, on aurait dû permettre le développement d'enveloppes d'aide à la capitalisation des entreprises laissées pour compte, la majorité des entreprises qui constituent ceux qui développent le cinéma d'auteur au Québec.
Nous souhaitons aussi une aide financière pour développer un agrégateur de contenu. Les détails de ce qu'est un agrégateur de contenu se trouvent dans le document. Nous souhaitons aussi une réglementation des plateformes VSD et SVSD pour s'assurer qu'ils investissent dans les productions canadiennes, ce qui n'est pas le cas en ce moment. Ce l'est encore moins pour Netflix.
Nous voulons aussi la création d'un réseau de salles d'art et d'essai subventionné pour offrir au public québécois dans toutes les régions du Québec l'accès à son cinéma national. Je pourrais même ajouter que ce devrait être le cas encore plus au Canada anglais puisqu'il n'y a aucune salle indépendante en dehors des circuits, comme Cineplex, par exemple.
C'est l'ensemble des propositions que nous avions préparées et dont vous trouverez les détails dans notre mémoire.
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Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur Weston, d'avoir permis aux gens de terminer leur témoignage. C'est bien pertinent. J'espère que nous aurons l'occasion de revenir à votre question. De mon côté, j'avais des questions qui me brûlaient la langue, précisément sur le cinéma québécois, qui est si prolifique et dont tous les Canadiens sont très fiers, je crois.
Madame Prégent et monsieur Charron, deux grands enjeux ressortent de votre témoignage, selon moi, notamment la traduction. Comme vous l'avez fait valoir plus tôt, c'est un aspect majeur. Vous avez aussi parlé de la visibilité du contenu réalisé au Québec et fait allusion aux changements apportés par le CRTC.
On a ici l'exemple d'un syndicat de travailleurs, d'acteurs et de comédiens qui décide de subir une baisse de salaire de 15 à 20 % — ce qui, dans ce cas, est tout aussi exceptionnel que pragmatique — pour faire face à la concurrence internationale.
Avez-vous le sentiment que les ordres de gouvernement saisissent l'ampleur de votre effort?
Les structures sont souvent très lourdes, très difficiles à bouger. Quand ça devient fréquent, c'est dangereux. Les membres du comité se demandent souvent s'il y a moyen d'être plus proactif, plus vif face aux changements technologiques. Lorsque nous avons été élus en 2011, personne n'avait de iPad, mais aujourd'hui, tout le monde en a un.
Avez-vous l'impression que les gouvernements bougent assez rapidement, en ce qui concerne les changements technologiques?
Les annonces publicitaires, par exemple, me semblent différentes. Dans le cas de celles qui sont diffusées à la télévision, par exemple, je perçois de plus en plus un genre de dérive. J'entends des gens que je ne reconnais pas, qui ont un drôle d'accent, et je me demande si ce sont des gens du Québec qui ont effectué la traduction vers le français.
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Je regarde la façon dont le système est conçu en ce moment, et c'est intéressant. Nous tombons entre les mailles du filet, en gros... Si un jeune réalisateur de talent n'a qu'un microbudget qui l'empêche d'embaucher des vedettes, il peut recevoir du financement de Téléfilm. C'est très bien. Cela donne une belle chance aux jeunes talents. Mais il faut souligner aussi que si un réalisateur a produit plus d'un long métrage (de sorte que je vais encore tomber entre les mailles du filet l'an prochain), il n'a pas non plus accès au fonds de développement.
Je pense simplement que nous vivons dans un monde où notre public peut choisir librement ce qu'il veut regarder. Il y a du talent. Il y a des talents canadiens sur YouTube qui s'attirent 8 millions de visionnements. Il y a des talents télévisuels qui pourraient avoir des choses à offrir à l'industrie du cinéma. Il y a de jeunes talents prometteurs.
Je crois que les règles strictes et rigides nuisent à l'innovation. Je recommanderais à Téléfilm d'essayer de trouver une façon de s'ouvrir davantage aux personnes intéressantes qui viennent frapper à sa porte. C'est délicat, je le sais. Je comprends pourquoi ce système est en place: parce qu'on veut appuyer et renforcer les sociétés de production.
Je n'ai pas vraiment de solution à proposer, sauf peut-être d'augmenter un peu le financement, de prévoir un fonds pour des circonstances exceptionnelles et de permettre à l'industrie de tirer des leçons et d'évoluer parce qu'il y a beaucoup d'exceptions en cette nouvelle ère du numérique. En ce moment, il n'y a pas d'argent pour les cas exceptionnels, il faut toujours demander si l'on peut contrevenir à une règle ou la modifier.
Il faudrait que ce soit plus officiel, qu'on prévoie peut-être un peu d'argent, pas tout l'argent mais un petit peu, qui serait gardé dans un fonds à part afin de permettre l'innovation.
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Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, de nous permettre de vous faire part aujourd'hui de l'expérience de notre entreprise au sein de l'industrie canadienne du long métrage. Si l'on pouvait diviser de façon très simpliste cette industrie en trois catégories, soit la production, la distribution et la diffusion, je vous dirais que nous occupons l'espace production, et c'est de quoi j'aimerais vous entretenir aujourd'hui.
Notre société, Cinespace Film Studios, existe depuis 28 ans. Il s'agit d'une entreprise familiale de télévision et de cinéma établie à Toronto, qui y a trois studios cinématographiques, plus un grand à Chicago.
À la fin des années 1980, mes aînés, Nick, Larry et Steve Mirkopoulos, ont fait partie des fondateurs du quartier des studios dans l'est de Toronto. Nous étions tous très enthousiastes à l'idée de participer à l'industrie bourgeonnante de la production télévisuelle et cinématographique de l'Ontario et de contribuer à la production nationale de films et d'émissions de télévision de qualité. Il faut dire que le dollar de l'époque, à 67 ¢, nous assurait une demande constante des États-Unis pour les services de production offerts dans nos installations, et certains de nos premiers projets comme la série Road to Avonlea de la CBC et le film Mr. Butterfly de David Cronenberg ont montré que les Canadiens excellaient pour raconter leurs propres histoires et qu'elles étaient assez attrayantes pour porter des étrangers à les acheter.
Plus récemment, nous avons participé à des projets comme la série de grande qualité Flashpoint, en plus de poursuivre notre collaboration cinématographique avec David Cronenberg pour ses films Cosmopolis et Maps to the Stars. En parlant de ces films, pour vous donner un exemple de notre empreinte nationale, vous allez bientôt entendre le témoignage de l'actrice canadienne Sarah Gadon, qui est parmi nous aujourd'hui et qui a déjà travaillé dans nos installations une dizaine de fois dans sa jeune carrière, dont huit pour des projets canadiens.
Je m'en voudrais de ne pas souligner que la grande variété des projets télévisuels et cinématographiques canadiens que nous avons produits au fil du temps découle directement des programmes fédéraux de crédits d'impôt et d'initiatives comme celles de Téléfilm et du Fonds des médias du Canada, pour lesquels je vous félicite, et je vous remercie d'ailleurs d'appuyer cette industrie fantastique.
Cinespace a toujours réussi à accueillir à la fois des clients américains et des clients canadiens dans ses studios. En effet, je crois que le haut degré de qualité et de service exigé par nos clients américains pousse nos techniciens locaux comme nos fournisseurs de services à rehausser la barre, de sorte que quand les mêmes personnes ont l'occasion de travailler à des films canadiens, elles ont les mêmes compétences poussées pour rendre ces films toujours meilleurs. Chez Cinespace, nous trouvons toujours des moyens d'accommoder les projets cinématographiques canadiens, tant sur le plan de la disponibilité que des prix. Nous avons établi des modèles de prix subventionnés qui font économiser aux réalisateurs canadiens des coûts de démarrage, afin de leur permettre d'investir davantage dans la qualité à l'écran et d'être plus concurrentiels dès le départ, ce qui augmente leur potentiel d'exportation et leur solidité financière. Ce modèle de prix subventionnés nous assure une grande fidélité des réalisateurs canadiens.
Cependant, notre industrie a subi des transformations profondes au cours des dernières années. Auparavant, le long métrage représentait 80 % de nos activités, contre 20 % pour les séries télévisuelles. Aujourd'hui, 90 % de nos activités sont consacrées à la production épisodique et seulement 10 %, à la production de long métrage. C'est la même chose dans nos installations de Chicago, où nous produisons quatre séries télévisuelles de prestige comme Chicago Fire pour la NBC et Empire pour Fox, mais où nous n'avons actuellement aucun projet de long métrage. C'est un changement radical dans le volume de la création de contenu. La part du lion va maintenant aux séries plutôt qu'aux longs métrages, ce qui est fortement lié à la hausse de popularité de Netflix et d'autres plateformes numériques et aux coupes effectuées dans les grands studios de Hollywood pour s'adapter aux entrées beaucoup moins prévisibles qu'on enregistre au guichet.
Ce changement met en péril notre pouvoir de continuer d'accommoder les projets cinématographiques, parce que plus nous acceptons de séries télévisuelles et plus elles connaissent du succès, plus elles renouvellent leurs contrats pour d'autres saisons et plus elles laissent leurs décors dans nos studios. Il est donc plus difficile de louer nos studios à des clients canadiens ou américains pour des longs métrages. Selon toute probabilité, cependant, la situation est encore pire pour les cinéastes canadiens, puisque leurs budgets plus modestes et leurs ententes financières habituellement convenues à la dernière minute les empêchent de réserver de l'espace studio très à l'avance.
Même si on laisse de côté toute la question des budgets souvent inférieurs au Canada, compte tenu de notre habitude de subventionner les projets canadiens, la pénurie récente d'espace studio attribuable à la vague de popularité des séries nous empêche même d'envisager toute négociation du prix des studios. Il n'y a plus beaucoup de moments où nos studios sont libres, parce que notre taux d'occupation est actuellement de 90 %, comparativement à environ 65 % à l'époque où nous pouvions accommoder les projets canadiens quand nous avions des studios vacants sans nous exposer à de grandes pertes attribuables au refus de projets américains.
Bref, le problème est tel, actuellement, que nous n'avons pas assez d'espace studio disponible pour produire des films canadiens et que beaucoup de cinéastes canadiens n'ont pas les ressources ou la certitude nécessaires pour réserver de l'espace studio à l'avance. Et même quand un cinéaste veut faire une réservation à l'avance, il n'est plus viable économiquement pour Cinespace de continuer de subventionner les films canadiens sans engagement ferme de participation financière ou mécanisme de recouvrement déjà prévu dans la structure de financement. C'est dans ce contexte que j'aimerais faire quelques recommandations en toute humilité à l'égard de Téléfilm, d'après notre expérience et celle de nos clients réalisateurs.
Pour développer notre industrie nationale du cinéma, il y a deux groupes de cinéastes que Téléfilm essaie d'aider: les cinéastes de la relève et les cinéastes établis. Dans la situation actuelle, Cinespace trouve malheureusement difficile de les aider à l'aide de son modèle de prix de studio subventionné, parce que nous n'avons pas d'espace disponible et parce que nous ne pouvons pas prévoir une location de studio en nature très à l'avance qui aurait au moins un potentiel de rendement financier grâce à une participation financière au projet.
Il faut améliorer tout l'écosystème de manière à ce que nous puissions aider davantage le cinéma canadien et à ce que le cinéma canadien connaisse plus de succès, pour que les autres principaux fournisseurs et investisseurs puissent à leur tour l'aider davantage.
Ma première recommandation serait que Téléfilm négocie directement avec les principaux fournisseurs de services qui subventionnaient en silence les projets cinématographiques afin qu'ils envisagent un partenariat public-privé officiel. De cette façon, on pourrait réserver à l'avance du temps de studio, de l'équipement et toutes sortes de ressources pour les projets cinématographiques canadiens en gestation, en échange d'une participation financière au projet. Cinespace et les autres principaux fournisseurs de services pourraient alors justifier économiquement une réservation subventionnée malgré les grands volumes d'affaires américaines qui paient le plein tarif.
Selon le témoignage présenté devant le comité par la réalisatrice Jennifer Jonas, le 23 mars, on pourrait créer un groupe de travail public-privé qui serait chargé de se pencher sur les crédits d'impôt fédéraux et provinciaux. Je recommanderais que ce groupe essaie également de dresser la liste des participants susceptibles de se joindre à un partenariat pour solidifier l'infrastructure du long métrage canadien et accroître notre capacité. Cinespace serait sûrement le premier à vouloir participer à ce genre de partenariat afin de poursuivre sa fière tradition de contribuer à la production de films canadiens.
Ma deuxième recommandation vise particulièrement le groupe des cinéastes émergents que Téléfilm veut aider. Ce sont les jeunes leaders culturels du Canada, qui ont des idées inspirantes mais des ressources limitées. Chez Cinespace, nous en avons aidé beaucoup au fil du temps. Bien que certains projets aient connu plus de succès que d'autres, le point commun entre tous, c'est qu'ils étaient tellement sous-financés que leurs chances de succès en salle était toujours minime. D'après l'impression générale des réalisateurs en émergence qui font partie de ma clientèle, tout comme les studios d'Hollywood ont réduit leur financement en faveur des grands succès commerciaux, Téléfilm devrait envisager d'appuyer un moins grand nombre de projets cinématographiques canadiens, mais d'en analyser plus attentivement la viabilité commerciale en amont, puis d'augmenter les sommes consenties pour produire et commercialiser chacun de ces projets. L'industrie du cinéma a toujours été mondiale, mais avec l'explosion actuelle des plateformes numériques, il y a tellement de choix qu'il faut absolument que les films canadiens ressortent du lot. La portée et la qualité sont les clés du succès.
Ma troisième et dernière recommandation concerne particulièrement le groupe des réalisateurs établis, que Téléfilm cherche à aider. Il s'agit des leaders culturels d'expérience du Canada, qui ont réussi à faire connaître l'art et la culture canadienne dans le monde, et dont le prestige attire des investissements privés, que Téléfilm peut déployer ou compléter grâce à ses enveloppes. Nous avons absolument besoin que ces réalisateurs connaissent du succès, parce qu'on peut miser sur eux pour recouvrer de l'argent et obtenir un rendement sur l'argent des contribuables canadiens. Cependant, les changements récents apportés au système de financement de Téléfilm obligent ces réalisateurs à dépenser 100 % de leur enveloppe sur un seul et même projet cinématographique, et cette enveloppe ne doit représenter que 30 % du budget total. Pour certains réalisateurs canadiens, cette exigence fait passer les budgets de leurs films à plus de 10 millions de dollars, ce qui est considéré comme une « zone morte » pour tout projet de studio non hollywoodien. Ce terme signifie que pour rembourser leurs investisseurs, ces réalisateurs devront dépenser une somme substantielle à la sortie du film et donc dépenser de 2 à 3 millions de dollars en publicité à la sortie du film au Canada et 40 millions de dollars à la sortie du film aux États-Unis. Les dépenses promotionnelles obligatoires vont augmenter, si bien qu'elles pourraient dépasser la valeur même du film et créer une impasse qui irait à l'encontre de l'objectif même du système d'enveloppes.
L'impression générale dans ma clientèle établie, c'est que Téléfilm devrait laisser les limites de dépenses de l'enveloppe à leur discrétion. Nous parlons ici de réalisateurs chevronnés, qui ont des dizaines d'années d'expérience dans l'industrie, donc ils savent exactement comment réussir à produire un film canadien. Il faut simplement leur laisser la marge de manoeuvre nécessaire pour le faire, sans lourdeur bureaucratique, mais avec tout l'appui du principal organisme chargé de les aider à produire des films.
Pour terminer, j'aimerais vous remercier encore une fois de m'avoir permis de m'exprimer devant vous aujourd'hui. Surtout, j'aimerais remercier notre gouvernement encore une fois de son soutien inconditionnel à l'industrie de la production télévisuelle et cinématographique canadienne. Les systèmes qui sont en place sont louables, mais comme je l'ai expliqué dans mon exposé, il reste considérablement de place à l'amélioration.
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Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, de nous permettre de comparaître devant vous aujourd'hui dans le cadre de cet examen de l'industrie canadienne du long métrage.
Je m'appelle Stephen Waddell. Je suis directeur exécutif national de l'ACTRA, l'Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists. Je comparais en compagnie d'une membre de l'ACTRA, Sarah Gadon, qui va nous parler de Montréal. Non seulement a-t-elle été nommée parmi les vedettes montantes au Festival international du film de Toronto, dans le cadre de la première version du programme des vedettes montantes, en 2011, mais Sarah a également participé à divers films et téléséries, dont Cosmopolis, Antiviral, A Dangerous Method, Maps to the Stars et la prochaine télésérie 11/22/63, qui va être tournée cet été à Toronto.
Sarah et moi sommes ici aujourd'hui en tant que porte-parole des membres de l'ACTRA, qui rassemble 22 000 artistes professionnels anglophones du Canada. Depuis presque 70 ans, nous représentons des artistes qui vivent et travaillent dans toutes les parties du pays, des artistes contribuant au premier chef à donner vie aux histoires canadiennes dans les films, à la télévision, dans des enregistrements sonores, à la radio et dans les médias numériques. Récemment, nous avons comparu devant le CRTC dans le cadre de ses consultations intitulées Parlons télé. Comme tous les intervenants du milieu des médias enregistrés du Canada, l'ACTRA a parlé des défis auxquels notre industrie est confrontée et de la nécessité de concentrer nos ressources là où elles sont susceptibles d'avoir le plus d'effet. Les sujets abordés pourraient différer un peu des audiences d'aujourd'hui, mais le moteur à la base de ces deux entreprises est le changement.
Sarah.
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Nous, les interprètes professionnels, nous connaissons trop bien ce danger. C'est directement que nous avons vu et senti les changements spectaculaires subis par notre secteur. Qui n'avance pas recule. Nous le savons bien.
Au beau milieu du changement des habitudes des auditoires, des bouleversements technologiques et de la volatilité du marché globalisé, le contenu canadien n'est pas seulement indispensable à notre identité nationale. Il joue un rôle de plus en plus important dans le mieux-être financier du Canada.
La création de contenu est l'essence de notre économie numérique. D'après le Conference Board du Canada, les industries culturelles canadiennes contribuent à hauteur de 85 milliards de dollars, c'est-à-dire 7,4 %, à notre PIB et elles procurent plus de 1,1 million d'emplois à notre économie. De plus, d'après un rapport publié plus tôt cette année par l'Association canadienne de la production médiatique, la valeur des productions de films à contenu canadien a totalisé, en 2013 et en 2014, 376 millions de dollars et pourvu à 8 100 emplois équivalents temps plein. Pendant la même période, celle de films étrangers au Canada s'est élevée à 857 millions et elle a représenté un peu plus de 18 000 emplois équivalents temps plein.
Il est évident que la culture n'est pas du superflu. C'est une industrie très importante, basée sur des ressources renouvelables. Avec les bons outils, les créateurs de contenu canadien et les industries culturelles continueront de jouer un rôle de premier plan dans l'innovation et la croissance de l'économie, la création d'emplois et la mise au point de nouvelles technologies numériques.
Stephen.
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Aujourd'hui, notre exposé portera principalement sur trois points: d'abord la nécessité d'un investissement soutenu, à long terme, dans les instruments de financement public; ensuite la nécessité de maintenir le caractère canadien des longs métrages canadiens; enfin, les difficultés qu'affrontent les Canadiens qui veulent voir des films canadiens.
Nos industries culturelles ont absolument besoin de financement public pour attirer des investissements privés. Le gouvernement doit poursuivre son investissement dans les biens culturels canadiens en s'engageant à financer à long terme les moteurs économiques de l'industrie.
En sa qualité de société d'État vouée à la promotion de l'industrie audiovisuelle au pays, Téléfilm Canada appuie le développement, la production, la distribution et la commercialisation des longs métrages canadiens. Cette société gère aussi les traités de coproduction du Canada et les programmes de financement du Fonds des médias du Canada. De plus, elle aide à la création et à la promotion des longs métrages par son Fonds du long métrage du Canada. L'esprit et l'intention de ce fonds sont d'encourager la promotion des longs métrages canadiens susceptibles d'avoir un gros succès au box-office, tout en appuyant une large gamme de genres de productions, de budgets, de sociétés et les régions. Tout aussi important, chaque dollar que fournit le fonds apporte deux dollars de financement supplémentaire aux projets de médias numériques et trois aux projets de longs métrages. Ce fonds, visiblement, est une importante locomotive économique qu'il vaut la peine d'appuyer.
Malheureusement, comme ses crédits parlementaires ont été comprimés de 10 % en 2012, Téléfilm Canada s'est efforcé de faire plus avec moins. Nous voulons rejoindre les opinions formulées par les autres témoins que le comité a entendus sur le besoin urgent de rétablir entièrement ses crédits parlementaires.
Sarah.
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Les longs métrages canadiens doivent être canadiens. Il est indispensable que le gouvernement maintienne les exigences en vigueur relatives au contenu canadien qui régissent le financement public pour la création de longs métrages canadiens, par exemple le crédit d'impôt pour la production de films ou de vidéos canadiens, les traités de coproduction signés avec d'autres pays, le financement des longs métrages par Téléfilm Canada et le Fonds des médias du Canada
Des producteurs et des distributeurs ont proposé, pour attirer le financement, d'abaisser les exigences relatives au contenu canadien pour les interprètes principaux. Ce serait commettre une erreur absolue. Il est impossible de construire un secteur canadien dynamique de production de longs métrages en donnant tous les premiers rôles et les rôles intéressants à des interprètes étrangers. La dilution des lignes directrices sur la distribution des rôles de premier plan à des interprètes étrangers nuirait au secteur cinématographique canadien et empêcherait de lui donner une identité nettement canadienne.
Le Québec a réussi à mettre sur pied un système pour l'exploitation de ses talents qu'on voit à l'écran et qui travaillent derrière la caméra. Il s'ensuit que les réalisateurs québécois sont de plus en plus recherchés à l'étranger. Par exemple, la prochaine séquelle du classique Blade Runner sera réalisée par le Canadien Denis Villeneuve, lauréat de nombreux prix, avec qui j'ai eu le bonheur de travailler.
Le Canada doit adopter cette approche pour la promotion de ses propres artistes et créateurs. Il est indispensable que nous, les interprètes canadiens, ayons la possibilité de créer nos propres images de marque, ce qui contribuera à la création d'un cercle vertueux qui, soudainement, par le fait d'avoir comme principal interprète un Canadien qu'on peut reconnaître aidera à obtenir tous les financements importants.
La conservation de l'échelle de pointage du Bureau de certification des produits audiovisuels canadiens est un rouage important de la création d'un vedettariat canadien, mais ce n'est qu'une petite partie de toute la machine. Il est impératif pour nous de commercialiser les longs métrages et en faire la promotion convenablement, ici et à l'étranger. Si les Canadiens sont tenus dans l'ignorance de notre excellent travail, comment peut-on s'attendre à ce qu'ils le regardent?
L'emploi de talents créateurs, formés ici, dans notre pays et dans les productions nationales doit être la norme, non seulement parce que c'est la chose à faire, mais parce que nous devons continuer à raconter des histoires canadiennes.
Stephen.
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Le financement des longs métrages au Canada doit insister davantage sur la commercialisation et la promotion. Il ne suffit pas de créer des histoires canadiennes, si on les laisse dormir sur les tablettes. Il faut les faire connaître au monde entier. Cela signifie qu'il faut appuyer les longs métrages canadiens ici même et à l'étranger et trouver de nouvelles méthodes innovantes pour aider les productions canadiennes à se distinguer de la masse et à se faire voir. Le Canada est collé sur le premier producteur mondial d'oeuvres de divertissement en langue anglaise. Notre proximité physique avec les États-Unis et la disproportion entre les populations des deux pays, tout cela signifie que, trop souvent, les Canadiens sont inondés de productions qui viennent du sud de la frontière.
À l'extérieur du Québec, faire voir des films canadiens représente un défi monumental. D'après son profil de l'industrie publié en 2013, la Société de développement de l'industrie des médias de l'Ontario a montré que, en 2012, les longs métrages canadiens en anglais et en français ont produit des revenus de 27 millions de dollars, soit 2,5 % du total de 1,9 milliard de ventes nationales au box-office. Sur le marché des productions de langue anglaise, cependant, les longs métrages canadiens ont correspondu à seulement 1,5 % des ventes totales au box-office, par rapport aux longs métrages américains, qui constituaient 82,4 % des ventes.
Une belle occasion nous passe sous le nez. Les créateurs canadiens produisent des longs métrages primés et, malheureusement, les Canadiens n'ont jamais la chance de les voir, parce que nos cinémas sont dominés par les produits américains. Le CRTC n'a été d'aucune aide. En diluant ses exigences en matière de diffusion d'émissions canadiennes, il a démotivé les diffuseurs canadiens. Ils diffusent peu les longs métrages canadiens. Notre industrie des longs métrages a souffert de cette décision. Plutôt que d'être exposé à des histoires canadiennes, qui trouvent un écho chez nous, le Canada est à peine plus qu'un embryon de pensée qui vient après coup à l'esprit du monstre américain des divertissements, qui l'annexe simplement à son propre box-office américain. Tant que le Canada ne réclamera pas, ne célébrera pas et ne fera pas la promotion activement du travail réalisé à l'intérieur de ses propres frontières, les Canadiens continueront de voir leur propre patrimoine culturel traité comme un pis-aller et ils n'auront pas la chance de visionner des films distinctement canadiens. Il est indispensable que nous réformions les secteurs de la distribution et de la télédiffusion des films canadiens et que nous donnions aux Canadiens la possibilité de connaître leur propre patrimoine culturel, qui est riche et diversifié.
Nous demandons au comité de tenir compte de nos modestes propositions d'amélioration du financement et de la distribution des longs métrages canadiens, qui mettent en vedette des interprètes canadiens dans les premiers rôles et des rôles intéressants, pour créer des films nettement canadiens que les Canadiens et les auditoires étrangers voudront voir.
Merci beaucoup, monsieur le président.
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Comme vous le dites, les techniques numériques ont eu un impact considérable sur la production nationale. En fait, on produit moins de longs métrages, ces temps-ci et, évidemment, beaucoup plus de réalisations numériques.
Dans son exposé, Jim vous dira que la production télévisuelle a sensiblement augmenté. Ici, nous produisons beaucoup plus pour la télévision, mais il y a aussi une production nouvelle, originale, pour Netflix, qu'on voit de plus en plus maintenant, notamment à Toronto, une production excellente à voir, et d'autres points de service de vidéo à la demande avec abonnement, le service VàDA.
Nous constatons aussi une démocratisation, si on peut dire, des termes de production. Si je peux parler un peu comme Marx l'aurait fait, les moyens de production, dans de nombreux cas, sont détenus par le prolétariat. Avec une petite caméra numérique qui coûte entre 3 000 $ et 5 000 $, on peut réaliser une production majeure, un grand long métrage.
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Je vous remercie, monsieur le président.
Monsieur Mirkopoulos, je voulais vous remercier et vous féliciter de votre médiation auprès des jeunes en vue de bâtir la relève.
Cela dit, j'aimerais m'adresser d'abord à Mme Gadon et à M. Waddell, de l'ACTRA.
Madame Gadon, c'est un privilège de vous recevoir. Nous savons à quel point vous êtes occupée. Vous interprétez de nombreux rôles et agissez également à titre de réalisatrice, si je ne me trompe pas.
Je vous remercie pour votre engagement et je remercie l'ACTRA d'avoir une fois de plus amené un témoin qui est lui-même un intervenant direct dans le milieu. Mme Gadon est comédienne. Ce genre d'exemple est toujours très concret.
[Traduction]
J'apprécie vraiment...
Madame Gadon, ...
... je vous ai vraiment remarquée pour la première fois dans Ennemi, qui donne de Toronto une image poétique. C'était clairement une coproduction. Je tiens à vous entendre tous les deux. Quelle est votre position sur les coproductions? Devrait-il y en avoir plus? Visiblement, pour vous et pour Denis Villeneuve, c'était un moment à voir, et cette ambiance si poétique montrait une Toronto à l'allure très patrimoniale.
Quelle est votre position sur les coproductions?
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Les diverses coproductions dans lesquelles j'ai tourné, au Canada et à l'étranger, m'ont permis d'avoir une carrière bien remplie.
J'ai fait mon premier film, Une méthode dangereuse, avec David Cronenberg. C'était une coproduction canado-allemande. Après, Cosmopolis a été une coproduction canado-française. Puis, bien sûr, j'ai travaillé avec Denis Villeneuve. C'était son premier film en anglais et, aussi, une coproduction.
Je pense qu'il est important de tourner des coproductions au Canada, parce que notre industrie est répartie sur de si grandes distances. Nous possédons de brillants interprètes et techniciens, d'un océan à l'autre, et nous avons besoin de travailler les uns avec les autres.
C'est particulièrement important pour moi, parce qu'elles nous propulsent sur la scène internationale. Si je n'avais pas tourné dans Ennemi, je n'aurais pas pu assister à des festivals internationaux du film. Ni travailler avec David. Je ne serais jamais allée au festival de Venise ni à Cannes. Grâce à elles, je me suis fait connaître et j'ai pu travailler avec des réalisateurs de partout dans le monde.
Ç'a été incroyable pour moi, et je pense que c'est l'avenir de notre industrie.
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Je ne suis pas nécessairement en désaccord avec mon collègue, mais je serais prêt à discuter de ce qui définit le contenu canadien, tout simplement parce que dans cette industrie, trop de gens trouvent qu'ils ne reçoivent pas d'appui. La coproduction, dont Sarah a parlé, est un excellent moyen d'augmenter le nombre de possibilités pour les artistes canadiens, qu'ils travaillent derrière ou devant la caméra.
Dans le monde de la télévision, la créativité nous a donné ce qu'on appelle la coentreprise canadienne. Dans nos studios situés sur l'avenue Kipling, deux de mes clients font des séries télévisées financées par CBS qui sont présentées par un réseau aux États-Unis: CW Network. Or, on parle ici de coentreprises canadiennes, c'est-à-dire que les séries sont produites par des Canadiens, que l'acteur principal ou le deuxième acteur doit être un Canadien, et que le réalisateur de chaque épisode doit être un Canadien.
Le Canadian Film Centre, qui décerne des diplômes à je ne sais combien de réalisateurs tous les ans, a maintenant un grand bassin de réalisateurs pour des émissions qui sont regardées aux États-Unis. Je dirais toutefois que ces réalisateurs canadiens n'auraient jamais eu la possibilité de réaliser tous les épisodes de ces séries télévisées, Beauty and the Beast et Reign si cela n'avait été de cet arrangement unique.
Je crois que la créativité peut faire des choses merveilleuses. Dans le cas des deux émissions, l'acteur principal ou l'acteur numéro 2 est Canadien, mais chacun des réalisateurs de ces épisodes — le nombre total d'épisodes dépasse présentement 80, je crois — est Canadien. Combien de fois des réalisateurs canadiens ont-ils la chance de présenter leurs oeuvres dans des marchés aussi énormes?