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Bonjour. Je vous remercie de me donner l'occasion de parler au Comité de ce sujet important.
Je suis le conseiller aux affaires humanitaires de Médecins Sans Frontières, ou MSF, dont les bureaux sont ici, à Ottawa. Je suis aussi inhalothérapeute, et je possède une expérience clinique et une expérience en santé publique au Canada et à l'étranger. Je détiens un doctorat en santé de la population et j'ai aussi été nommé comme chercheur clinique dans un hôpital d'Ottawa.
MSF est une organisation humanitaire médicale internationale qui offre une assistance médicale impartiale à des populations victimes de conflits armés, de catastrophes naturelles, d'épidémies, de famines et d'autres types de situations d'urgence. L'an dernier, nos équipes ont reçu en consultation plus de 10,6 millions de patients externes, traité plus de 2,5 millions de cas de malaria et ont fourni des soins à plus de 200 000 personnes suivant un traitement antirétroviral de première ligne pour le VIH. Nous sommes aussi le plus grand fournisseur non gouvernemental de traitement de la tuberculose au monde et nous avons commencé l'an dernier plus de 18 000 traitements de première ligne pour la tuberculose et 3 600 traitements pour la tuberculose pharmacorésistante. Nous exerçons des activités dans plus de 70 pays.
Pour fournir des soins de santé de qualité, MSF a besoin d'un accès abordable aux médicaments et à d'autres produits de santé, comme des produits diagnostiques, des vaccins et des appareils médicaux, en plus d'une grande innovation dans ces domaines. Depuis des dizaines d'années, nous réclamons un accès plus abordable à ces produits ainsi que des systèmes de recherche en santé qui mettent l'accent sur les besoins en matière de santé publique.
J'aimerais d'abord souligner que l'étude M-132 pourrait aller au coeur de certains des autres enjeux que le Comité étudie ou a étudiés, y compris l'accès à des traitements pour des maladies rares, la résistance aux antimicrobiens et même l'assurance-médicaments.
Bien que chacun de ces enjeux soit complexe, la question fondamentale est souvent la même: quelle est la meilleure façon de mettre au point et de fournir de nouveaux médicaments nécessaires et autres produits de santé et de s'assurer que les patients au Canada et dans le monde puissent y accéder en temps opportun et de façon abordable?
La question fondamentale, ce ne sont pas juste les prix élevés. Les prix élevés sont le symptôme d'un système de recherche et d'innovation en santé brisé. La question fondamentale consiste à savoir comment le système fonctionne et quels résultats il produit.
Le problème est clair. Le modèle opérationnel qui sous-tend notre système de recherche et d'innovation en santé ne fournit pas de médicaments et autres produits de santé qui sont abordables et qui tiennent compte des priorités mondiales en matière de santé publique. Si nous voulons obtenir des résultats différents, notre modèle doit être différent.
Je vais donner au Comité quatre « P » dont il faut tenir compte pour mieux harmoniser le système de recherche en santé du Canada avec les besoins des patients et l'accès: le premier, c'est la priorité aux besoins en santé; le deuxième, c'est l'utilisation de partenariats pour concevoir et fournir les produits afin de les combler; le troisième, c'est de mettre en place des politiques pour assurer l'accès aux nouveaux produits de santé élaborés avec des fonds publics, et le quatrième, c'est de payer pour cela.
Le Canada a les moyens d'accorder la priorité à une recherche en santé qui répond aux besoins en santé publique, et ce, grâce à un certain nombre de moyens différents. Toutefois, même si ces priorités sont susceptibles d'ouvrir des voies de financement pour la découverte de nouveaux produits de santé, le principal mécanisme qui permet aux découvertes de médicaments de sortir des laboratoires et de se rendre jusqu'à la filière de développement de produits, c'est la commercialisation.
On le fait généralement en utilisant des licences exclusives ou en les vendant au secteur privé contre des redevances, mais avec peu de mesures de protection, voire aucune, pour s'assurer que les Canadiens et d'autres patients dans le monde sont en mesure d'accéder au produit final, même quand le public a payé pour la découverte. Durant l'étude sur les maladies rares, le Comité a entendu un témoin souligner que, parce que le Canada n'a pas l'infrastructure nécessaire pour soutenir la recherche et le développement, nous sommes devenus des « acheteurs nets » plutôt que des contributeurs nets à la mise au point de médicaments.
La mise au point de médicaments est une entreprise coûteuse. Toutefois, même si l'industrie pharmaceutique dit qu'il en coûte des milliards de dollars pour mettre au point un nouveau médicament, ce n'est pas ce qu'a vécu MSF. En 2003, MSF, accompagnée de cinq établissements de recherche publique, a fondé l'initiative Drugs for Neglected Diseases, ou DNDi, organisation internationale de recherche et développement sans but lucratif qui a été créée pour réagir à la frustration qui découle du besoin de consommer des médicaments inefficaces, hautement toxiques ou inaccessibles, ou qui n'ont simplement jamais été mis au point, malgré un besoin en santé publique. DNDi a été une expérience au chapitre de l'innovation, tant par rapport à ce qu'elle a permis de faire — mettre au point de nouveaux traitements pour les populations négligées — qu'à la façon dont elle l'a fait — en mettant à l'essai un modèle de mise au point de médicaments qui était alimenté par les besoins des patients, et non pas par la maximisation des profits.
À ce jour, avec des dépenses totales de 375 millions de dollars canadiens, DNDi a fourni sept nouveaux traitements pour quatre maladies — la malaria, la maladie du sommeil, la leishmaniose virale, la maladie de Chagas et l'infection au VIH chez les enfants — qui sont abordables, adaptés au lieu de résidence des patients et non brevetés. En outre, DNDi a créé une filière robuste de 30 produits de R et D qui couvrent six catégories de maladies, y compris 15 possibles substances chimiques nouvelles ou nouveaux médicaments.
En tenant compte des taux d'attrition habituels dans le domaine des maladies infectieuses, DNDi estime qu'elle peut mettre au point un traitement amélioré, par exemple en réutilisant un médicament — ce dont le Comité a parlé mardi — pour un montant allant de 14 à 58 millions de dollars canadiens et qu'elle peut mettre au point une substance chimique nouvelle pour une somme pouvant aller de 144 à 216 millions de dollars canadiens. C'est beaucoup moins cher que les milliards de dollars que l'industrie pharmaceutique dit débourser.
Comment est-ce possible? Grâce à des partenariats, à la collaboration et à des principes directeurs, le modèle DNDi est ce qu'on connaît sous le nom de partenariats de développement de produits, ou PDP. DNDi n'a pas ses propres laboratoires ou usines de fabrication. L'initiative s'appuie sur des partenariats pour intégrer les capacités du milieu universitaire, des établissements de recherche publique, d'organisations non gouvernementales, d'organismes de bienfaisance dans le domaine de la santé, de gouvernements et des plus de 20 sociétés pharmaceutiques avec lesquelles elle s'est associée dans le cadre de recherches à un stade précoce, du développement clinique et de la mise en oeuvre. Ce modèle crée un cadre de collaboration entre les acteurs concernés, pour qu'on puisse mieux tirer parti des investissements en recherche afin de réagir plus efficacement aux priorités en matière de santé publique. Le travail est guidé par les principes d'accès et d'abordabilité, pour qu'on s'assure que les produits finaux sont accessibles aux patients qui en ont besoin.
L'approche à l'égard du partenariat de développement de produits, guidée par les principes d'accès et d'abordabilité, pourrait être adaptée au contexte canadien et utilisée pour concevoir et fournir de nouveaux produits dont les patients canadiens ont besoin et qui servent le bien public mondial. On pourrait l'appliquer pour régler des problèmes pressants de santé publique, par exemple mettre au point de nouveaux traitements oraux de brève durée pour la tuberculose qui, comme le Comité l'a entendu dire durant son étude sur la résistance aux antimicrobiens, font cruellement défaut au Canada et aux pays à faible et à moyen revenu.
Notre première recommandation stratégique est de cerner les priorités en matière de recherche et de développement en santé qui tiennent compte des besoins mondiaux en santé publique. Une fois que nos priorités seront cernées, les bailleurs de fonds publics devraient réfléchir aux étapes nécessaires pour élaborer et fournir des outils qui permettent d'y répondre du début à la fin; agir comme coordonnateur de l'innovation nécessaire et mettre à l'essai des modèles canadiens de partenariats de développement de produits qui tirent parti de l'expertise et des investissements du gouvernement, des universités, de l'industrie et de la société civile, afin de mettre au point de nouveaux médicaments et produits de santé qui répondent à ces priorités.
Bien sûr, on doit mettre en place des politiques pour assurer l'accès aux innovations conçues à l'aide des fonds publics. Le Canada a besoin de politiques qui définissent non seulement le désir, mais aussi les façons dont les bailleurs de fonds de la recherche en santé optimisent l'utilisation des fonds publics pour fournir des biens publics. Les Instituts de recherche en santé du Canada, ou IRSC, soit les principaux bailleurs de fonds de la recherche biomédicale au Canada, ont le mandat de soutenir la création et l'application des nouvelles connaissances dans l'amélioration de la santé des Canadiens et de l'efficacité des services et des produits de santé.
Bien que ce mandat comporte une référence à la mise au point de nouveaux produits de santé nécessaires, il manque un engagement clair pour s'assurer que les Canadiens et d'autres patients auront accès aux produits qui sont mis au point à l'aide des fonds fédéraux consentis à des chercheurs et à des établissements de recherche. Le fait d'assurer la rentabilité de l'investissement public devrait être un principe directeur de la recherche en santé financée par l'État. Dans le contexte de la mise au point de médicaments, d'appareils, de vaccins et d'autres produits de santé, cela devrait se traduire par un accès opportun et abordable à des produits conçus en tout ou en partie à l'aide des fonds publics canadiens. La rentabilité pour les instituts de recherche, les chercheurs ou le gouvernement du Canada, ne devrait pas être un principe directeur qui sous-tend les décisions liées à la façon ou à l'opportunité de mettre au point ou de commercialiser des produits de santé.
Notre deuxième recommandation stratégique, c'est que les organismes de financement fédéraux, comme les IRSC et d'autres, devraient exiger des bénéficiaires de fonds publics qu'ils établissent des politiques sur l'accès et l'abordabilité pour les découvertes qui sont faites à l'aide des fonds publics. Ce pourrait être un des critères d'admissibilité des établissements concernant la réception des fonds fédéraux et cela pourrait comprendre des plans et des principes institutionnels facilement applicables, afin de guider la façon dont les universités gèrent leurs découvertes. On pourrait ainsi s'assurer que les découvertes financées par l'État sont abordables, accessibles mondialement et enregistrées dans des pays qui en ont besoin, et que la science utilisée pour les faire est mise à la disposition d'autres personnes qui pourront s'en inspirer.
Enfin, il faut payer. Les mécanismes de financement et d'incitation doivent être durables et renfermer des incitatifs bien conçus qui séparent ou, comme on l'a dit mardi, qui dissocient les frais de R et D du prix des médicaments. L'établissement de priorités et la création d'un cadre pour coordonner l'élaboration de produits grâce à un modèle de partenariat axé sur des principes est une mesure pour y arriver, mais il importe aussi de créer les incitatifs appropriés pour y participer. Un exemple, c'est l'utilisation de prix pour récompenser les chercheurs qui atteignent certains jalons dans le développement de produits — par exemple, l'enregistrement d'un essai clinique ou d'une substance chimique nouvelle — et qui acceptent d'accorder des licences à des développeurs de produits qui vont assurer des prix et un enregistrement abordables et accessibles. Plutôt que de miser sur les redevances comme moyen de génération de revenus, le Canada pourrait simplement remplacer l'incitatif des redevances et récompenser les chercheurs et les instituts qui atteignent certains jalons, au moyen, par exemple, de prix en argent, de bourses ou d'autres subventions.
Notre dernière recommandation stratégique, la troisième, c'est d'utiliser différents incitatifs et mécanismes de financement qui séparent le coût de la R et D du prix final des nouveaux produits de santé. Imaginez comment les organismes de financement pourraient récompenser des chercheurs en santé qui atteignent des jalons pour avoir élaboré de nouveaux outils de santé et qui acceptent les mesures de protection à l'égard de l'accès et de l'abordabilité. Pour toutes les récompenses offertes, on devrait exiger des récipiendaires qu'ils mettent en place une stratégie pour le produit afin qu'il soit accessible et abordable pour les patients.
Merci beaucoup de m'avoir reçu ici aujourd'hui. J'aimerais insister sur le fait que si les membres du Comité ont des questions supplémentaires ou veulent obtenir des précisions, ils sont invités à communiquer avec moi.
J'aimerais aussi encourager le Comité à envisager de tenir d'autres audiences sur cette question afin d'entendre d'autres organisations qui ont de l'expérience et une expertise dans ce domaine et qui voudraient, je le sais, s'entretenir avec vous.
Merci.
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Bonjour. Merci de nous avoir invités à nous adresser à votre comité.
J'aimerais d'abord remercier le député de tout le travail incroyable que son bureau et lui ont fait pour mettre en lumière cette étude. Je vous en suis très reconnaissante.
Cela fait de nombreuses années que je travaille sur des questions d'accès aux médicaments. J'ai participé au Régime canadien d'accès aux médicaments en 2002-2003 et j'ai été légèrement déçue de voir qu'il n'a jamais vraiment décollé. Je crois que nous devons trouver de nouvelles façons d'aborder ces enjeux et les questions de l'accès aux médicaments ici, au Canada.
En guise de contexte, je travaille avec Médecins Sans Frontières depuis 25 ans. Je suis membre du comité international de Médecins Sans Frontières et également professeure à l'Université McGill en développement international. J'ai été la présidente fondatrice des Universités alliées pour les médicaments essentiels, qui est un groupe mondial d'étudiants qui essaient de s'assurer que leur université remplit sa mission sociale, particulièrement en ce qui concerne la recherche et le développement biomédicaux.
J'ai vécu et travaillé dans de nombreux pays du monde où les gens n'ont pas accès aux médicaments dont ils ont besoin.
Ma première expérience avec MSF, c'était au Rwanda, durant le génocide, où j'ai dû regarder des gens mourir parce qu'ils ne pouvaient pas se payer les médicaments pour le VIH/sida dans ce pays. À l'époque, les médicaments coûtaient 10 000 $ par patient par année. J'ai aussi vu des enfants mourir de la malaria au Congo, parce que leurs médicaments ne sont plus efficaces et que personne n'avait envie de créer de meilleurs médicaments. J'ai aussi observé des enfants en Bolivie souffrir de la maladie de Chagas, parce qu'il n'y avait pas d'intérêt, sur le marché, à l'égard des médicaments dont ces enfants avaient besoin.
Nous savons aujourd'hui qu'une personne sur trois dans le monde ne peut accéder à des médicaments essentiels de base. Bon nombre de ces personnes souffrent et meurent tout à fait inutilement juste parce qu'elles n'ont pas accès aux médicaments dont elles ont besoin.
Ce sont tous des signes que le système, le modèle que nous avons actuellement ne fonctionne tout simplement pas. Même ici, au Canada, nous regardons nos populations inuites souffrir 300 fois plus de la tuberculose que notre population non autochtone née au Canada.
La crise nationale que nous connaissons au Canada aujourd'hui concernant la tuberculose reflète aussi une crise mondiale: elle tue deux millions de personnes par an. Des personnes qui souffrent aujourd'hui de la tuberculose multirésistante meurent parce qu'elles n'ont pas accès au traitement dont elles ont besoin.
Le traitement qui existe depuis plus de 63 ans et nécessite 14 000 comprimés et plusieurs injections, qui laisse une personne sur deux sourde, c'est celui que la plupart des gens souffrant de tuberculose multirésistante utilisent aujourd'hui. Il existe un nouveau médicament, un incroyable nouveau médicament qui pourrait vraiment changer les choses, mais il coûte juste trop cher; il est hors de portée de la plupart de ces gens.
Pourquoi cela arrive-t-il? Comme Jason vient de le montrer clairement, cela arrive parce que le modèle actuel qui est le nôtre, le modèle de recherche et de développement biomédicaux — ou le modèle de R et D, comme nous aimons l'appeler — n'est tout simplement pas adapté à cet objectif. Il ne répond pas aux attentes des patients à l'échelle mondiale. Il ne répond pas aux attentes des patients ici, au Canada. Même les Nations unies, à de très nombreuses occasions, ont exprimé très clairement que nous devons faire les choses différemment. Nous en parlons devant les Nations unies depuis le début des années 2000, si ce n'est avant.
Nous pouvons faire les choses différemment. Ce qui est vraiment intéressant, c'est que les Universités alliées pour les médicaments essentiels ont fait une étude sur tous les autres modèles de recherche et développement qui existent. Nous en avons découvert 81. Ce que Jason a mentionné — DNDi — n'est qu'un de ces modèles, mais il y en a de nombreux autres. Nous savons que nous pouvons le faire. Il ne s'agit que de donner à ces modèles l'espace, le financement et la capacité nécessaires pour faire ce qu'ils savent faire. Il y a des façons de le faire qui sont différentes de ce que nous faisons aujourd'hui.
Ce que nous voulons faire aujourd'hui — et je vais céder la parole à ma collègue Louise — c'est proposer un modèle pratique qui pourrait faire partie d'une nouvelle approche de R et D biomédicaux et sur laquelle les UAME travaillent depuis plus de 10 ans maintenant.
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Bonjour à tous. Je m'appelle Louise Kyle et je suis étudiante en droit à l'Université d'Ottawa et membre des Universités alliées pour les médicaments essentiels, ou UAME.
Dans mes temps libres, j'aime profiter des grands espaces de notre pays avec mon conjoint et ma famille. Pour pouvoir le faire, je dépends d'un médicament essentiel qui a été conçu ici, au Canada.
Je suis ici aujourd'hui pour vous raconter mon histoire. Je vis avec le diabète de type 1 depuis 25 ans. Par un simple accident de naissance, j'ai été assez chanceuse de pouvoir avoir un accès constant à de l'insuline toute ma vie. En comparaison, 99 % des enfants qui ont le diabète de type 1 et vivent dans l'Afrique subsaharienne mourront dans les six ans suivant le diagnostic — six ans.
Un accident de naissance me sépare d'un jeune homme qui a environ mon âge et qui est mort l'année dernière aux États-Unis parce qu'il avait rationné son insuline après avoir été retiré de l'assurance de ses parents.
Comme vous le savez peut-être, l'insuline a été découverte ici, au Canada, par des chercheurs de l'Université de Toronto, une université financée publiquement. Après avoir vu un nombre incalculable de personnes mourir du diabète de type 1, sir Frederick Banting a souhaité voir une production et une distribution de masse de l'insuline pour les personnes qui en avaient besoin. Il a choisi de vendre les droits de brevet de l'insuline à l'Université de Toronto pour un montant symbolique de un dollar. Il a dit cette phrase célèbre: « L'insuline ne m'appartient pas. Elle appartient au monde entier. » C'était en 1921. Je trouve incroyable que, aujourd'hui, ce médicament qui sauve des vies soit inaccessible à une personne sur deux qui en a besoin. Permettez-moi de le répéter — une personne sur deux.
Comme des témoins précédents l'ont souligné, nous devons continuer de soutenir la recherche dans le domaine public. Cela constitue le fondement sur lequel reposent tous les médicaments qui sont découverts.
Vous avez entendu M. Nickerson parler des IRSC. Les IRSC investissent 1 milliard de dollars par année dans la recherche en santé, et je paie des impôts qui contribuent à ces dollars. Le gouvernement canadien a la capacité, et je dirais la responsabilité, de s'assurer que les médicaments découverts grâce à l'argent des contribuables canadiens sont accessibles à ceux qui en ont besoin.
De nombreux médicaments sont conçus en tout ou en partie à l'aide de fonds publics dans des universités. Les universités ont des buts à orientation sociale; pourtant, elles accordent, de façon exclusive, des licences à des sociétés privées pour des recherches prometteuses. Le problème, c'est que ces sociétés privées n'ont pas les mêmes buts que les universités. Par conséquent, les sociétés privées ne rendent pas ces médicaments financés par l'État accessibles à tous ceux qui en ont besoin. La licence donnant un libre accès éliminerait l'exclusivité consentie à une seule société, et les universités conserveraient donc le droit d'accorder des licences à d'autres établissements.
Prenez l'exemple du sofosbuvir. Il a permis de traiter plus de 90 % des cas d'hépatite C, mais à un coût. Un comprimé coûtait 1 000 $. C'était 84 000 $ pour un traitement complet. Ce modèle ne tient pas compte du but des universités. Alors qu'une société pharmaceutique privée est responsable devant ses actionnaires, les universités relèvent du public.
La licence donnant un libre accès vise à changer la dynamique actuelle. Il s'agit de licences non exclusives qui permettent à plusieurs sociétés ou établissements d'accéder à des recherches prometteuses. La licence donnant un libre accès est une solution en deux parties. D'abord, un organisme de financement fédéral comme les IRSC ont besoin d'une disposition sur la licence donnant un libre accès pour tout financement qu'il fournit; ensuite, l'université est en mesure d'accorder une licence à plusieurs sociétés ou établissements en vue de la recherche. Cet octroi de licence est non exclusif, ce qui veut dire qu'il permet la compétition. Ça signifie que des versions du nouveau médicament ou de la technologie peuvent être rendues accessibles à un prix abordable. Pour assurer l'accès à des populations au-delà des frontières du Canada, les fonds fédéraux pour la recherche biomédicale devraient comprendre des obligations de vendre les produits finaux au prix coûtant, ou d'autres dispositions touchant l'accès.
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On peut voir que c'est en fait une proposition très simple. Essentiellement, si ce sont des médicaments financés par le public, ils devraient être accessibles au public.
La proposition des UAME est aussi très simple. C'est une solution très élégante et éthique. Elle nécessite seulement un changement de politique. C'est facile à régler. En réalité, elle n'exige pas de changement législatif majeur, mais elle pourrait avoir une incidence sur des gens au Canada et partout dans le monde.
Qui plus est, la solution dont Louise vient de parler existe déjà en pratique, tant au pays qu'à l'étranger.
D'abord, elle a été adoptée comme recommandation par le Groupe de haut niveau sur l'accès aux médicaments des Nations unies en 2016. En outre, plus de 10 grandes universités d'Europe ont adopté la licence donnant un libre accès. Sur notre continent, au moins 20 universités l'ont adoptée, y compris l'Université Harvard, Yale, Johns Hopkins et l'université fédérale de Rio de Janeiro.
Ici, au Canada, une université l'a également adoptée, soit l'Université de la Colombie-Britannique, qui s'est révélée une vraie pionnière pour l'adoption, en 2007, de la licence donnant un libre accès. Elle a montré que cela pouvait se faire.
Ce que nous essayons de faire dans le cadre de l'examen de cette motion, c'est donner au gouvernement fédéral la chance d'adopter cette approche à l'échelon national, pour en faire un enjeu systémique. Cela représenterait un grand pas en avant pour assurer l'abordabilité systématique des technologies médicales financées par l'État.
Comme champion de la licence donnant un libre accès, le Canada peut prendre la tête à l'échelle mondiale pour ce qui est de promettre des avantages publics issus de la recherche en santé financée par l'État.
Depuis la découverte de l'insuline, en 1922, jusqu'à la production d'un vaccin contre le virus Ebola, en 2014, nous avons vu à quel point les laboratoires et les chercheurs canadiens ont une longue tradition pour ce qui est de mener des recherches révolutionnaires. Pour qu'ils contribuent à ce corpus toujours croissant, nous devons faire en sorte que le travail de ces scientifiques aide tout le monde, pas seulement les personnes qui ont le luxe de se le permettre.
Ce sont nos médicaments, ce sont nos laboratoires et, au final, c'est notre responsabilité.
Merci beaucoup.
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Un bateau aurait été plus rapide ce matin pour venir de Halifax, monsieur le président.
Merci.
Bonjour. Je m'appelle Benjamin Davis et je suis vice-président national des Relations gouvernementales pour la Société canadienne de la sclérose en plaques. Je suis accompagné de ma collègue, la Dre Karen Lee, vice-présidente nationale de la Recherche.
Nous sommes heureux de parler de la motion 132 et de l'importance de l'investissement dans la recherche en santé, du rôle unique que les organismes de bienfaisance dans le domaine de la santé et les patients jouent dans l'écosystème de la recherche en santé ainsi que de l'accès accru aux médicaments. Ce sont toutes des priorités clés pour les Canadiens touchés par la sclérose en plaques.
Permettez-moi de vous donner un peu de contexte au sujet de la sclérose en plaques au Canada.
Le Canada a un des taux de sclérose en plaques les plus élevés au monde, car on estime qu'un Canadien sur 385 vit avec la maladie. La sclérose en plaques est une maladie chronique, souvent invalidante, du système nerveux central. Comme celui-ci englobe le cerveau, la moelle épinière et le nerf optique, la sclérose en plaques peut nuire à la vision, à la mémoire, à l'équilibre et à la mobilité.
Les femmes sont trois fois plus susceptibles de recevoir un diagnostic de sclérose en plaques que les hommes.
La sclérose en plaques est la maladie neurologique la plus courante qui touche les jeunes adultes au Canada.
Au total, 60 % des adultes ayant reçu un diagnostic de sclérose en plaques sont âgés de 20 à 49 ans.
En moyenne, 11 Canadiens reçoivent un diagnostic de sclérose en plaques chaque jour.
Pour les Canadiens qui vivent avec la sclérose en plaques et leur famille, la recherche est essentielle aux nouveaux traitements, à une meilleure qualité de vie et, au final, à la découverte d'un remède.
Je vais maintenant céder la parole à la Dre Lee.
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Le Canada demeure à l'avant-plan de la recherche sur la sclérose en plaques dans le monde. Grâce à des contributions généreuses fournies par des donateurs, des sociétés commanditaires et de fervents collecteurs de fonds, la Société canadienne de la sclérose en plaques a investi plus de 170 millions de dollars dans la recherche depuis ses débuts, en 1948.
Cet investissement a débouché sur d'importants résultats pour les personnes touchées par la sclérose en plaques. Plus précisément, les études financées par la Société de la sclérose en plaques ont fait un bon bout de chemin dans des domaines comme l'imagerie, le diagnostic, la génétique, la réparation tissulaire et la réadaptation.
Permettez-moi de vous raconter l'histoire d'une jeune femme qui a reçu un diagnostic il y a 20 ans, à 20 ans, à une époque où très peu d'options de traitement lui étaient offertes. Son invalidité a rapidement progressé, elle a dû être confinée à un fauteuil roulant et elle était incapable de continuer de travailler. Aujourd'hui, je suis heureuse de vous dire que nous avons assisté à son mariage, où elle a notamment marché dans l'allée en talons hauts, et qu'elle est de retour au travail comme membre contribuant à l'économie du Canada. Cette histoire a un dénouement heureux, parce que la Société de la sclérose en plaques a financé, au début des années 2000, un essai clinique sur les cellules souches dont elle a fait partie.
Même si nous avons pu observer directement les avantages concrets du financement de la recherche pour la personne vivant avec la sclérose en plaques et sa famille, la Société de la sclérose en plaques continue de financer des recherches fondamentales, car nous ne savons toujours pas ce qui cause la sclérose en plaques ni comment nous pouvons la prévenir dans l'avenir.
Fait plus important encore, nous avons besoin de plus de traitements pour la sclérose en plaques progressive. L'année dernière, nous avons annoncé le financement d'un essai clinique international dans le cadre duquel le chercheur principal est établi ici, au Canada. L'essai reposait sur l'apport d'une intervention immédiate chez des gens qui vivent avec la forme la plus invalidante de sclérose en plaques — la sclérose en plaques progressive.
Nous reconnaissons que nous sommes incapables de le faire tout seul. C'est pourquoi la Société de la sclérose en plaques croit fermement aux vertus de l'investissement dans la recherche grâce à la collaboration et à des partenariats ici, au Canada, et à l'étranger. Toutefois, nous estimons que des améliorations importantes peuvent être apportées à la recherche financée par l'État afin de fournir de meilleurs résultats aux Canadiens.
Nous recommandons que la recherche financée par l'État comprenne la recherche fondamentale, et cela comprend des organismes de bienfaisance dans le domaine de la santé comme partenaires clés du gouvernement, des universités et l'industrie privée.
De plus, nous recommandons la création d'un cadre pour assurer une coordination accrue entre ces quatre groupes afin de mieux tirer profit des investissements dans la recherche des organismes de bienfaisance dans le domaine de la santé, grâce à des fonds publics et privés supplémentaires pour la recherche.
Enfin, comme élément de la voix collective de la Coalition canadienne des organismes bénévoles en santé, nous recommandons que les organismes de bienfaisance nationaux dans le domaine de la santé ne fournissent pas de financement concernant les coûts indirects de la recherche, comme ce qu'il en coûte aux établissements pour mettre sur pied des programmes et des laboratoires de recherche. Nous croyons que c'est le rôle du gouvernement.
Les Canadiens comptent sur les percées dans la recherche fondamentale pour explorer la façon dont une maladie évolue, pour déterminer si un nouveau traitement pourrait se révéler efficace et pour aider à cerner les soins optimaux. Les investissements consentis dans la recherche servent l'objectif double qui consiste non seulement à agir sur les résultats de santé et à promouvoir l'innovation, mais aussi à stimuler l'économie grâce à des débouchés qui entraînent la commercialisation des produits et le développement de la propriété intellectuelle.
Pour la Société de la sclérose en plaques, la transformation des découvertes de recherche en résultats qui sauvent la vie des gens qui vivent avec la sclérose en plaques est une priorité essentielle. C'est pourquoi nous nous sommes récemment associés à la Fondation Brain Canada et à Biogen Canada dans le cadre d'une étude de plusieurs millions de dollars afin de comprendre la population de la sclérose en plaques au Canada au fil du temps. C'est seulement grâce à ces partenariats novateurs importants entre des secteurs différents que nous pourrons mieux comprendre ce qu'est la sclérose en plaques et comment les traitements peuvent agir sur les Canadiens qui vivent avec la sclérose en plaques dans la communauté.
L'étude de cohorte canadienne relative à la progression de la sclérose en plaques fournira des solutions de recherche qui donneront de l'espoir aux personnes qui vivent non seulement avec la sclérose en plaques ici, au Canada, mais partout dans le monde. Pour nous assurer de maintenir le rythme de la recherche sur la sclérose, nous devons investir dans la prochaine génération de chercheurs oeuvrant dans ce domaine. La Société canadienne de la sclérose en plaques investit annuellement dans de jeunes chercheurs en fournissant des fonds de subventions pour leurs recherches de niveau maîtrise et de troisième cycle. Le fait de financer les chercheurs et de leur fournir des possibilités d'éducation dans l'ensemble du spectre universitaire et clinique permet la formation de la nouvelle génération de chefs de file de la sclérose en plaques tout en renforçant leur passion dans le domaine.
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L'investissement dans la recherche en santé est non seulement crucial et essentiel pour augmenter les avantages pour le public, mais nous recommandons aussi que la recherche financée par l'État mobilise de façon utile les patients afin d'établir des politiques en matière de recherche en santé. Nous croyons que les programmes fédéraux de financement de la recherche devraient être guidés par les points de vue des patients, de leurs fournisseurs de soins et des fournisseurs de soins de santé.
La recherche en santé est essentielle pour répondre aux besoins non comblés des patients tout en renforçant notre compréhension des maladies, de la façon de guérir les personnes qui vivent avec elles et de leur fournir des soins. Grâce à leur expérience de vie, les patients offrent un point de vue unique sur l'état actuel des soins cliniques qui doit façonner le programme en santé dans l'avenir. Par conséquent, la perspective des patients devrait être intégrée dans le programme en santé.
Nous recommandons que le gouvernement fédéral mette en oeuvre des mécanismes de détermination des objectifs prioritaires en matière de recherche qui intègrent les patients et les organismes de bienfaisance dans le domaine de la santé dans l'ensemble des programmes de subventions. Les organismes de bienfaisance en santé sont les chefs de file dans ce domaine et ils ont une vaste expérience de l'utilisation de divers mécanismes pour aider à définir les priorités, y compris une participation directe auprès des patients et des collaborations internationales.
La Société de la sclérose en plaques a fait de grands pas pour tenir un dialogue avec divers intervenants dans la communauté de la sclérose en plaques afin de déterminer des objectifs prioritaires en matière de recherche. Cela s'est fait grâce à une série de discussions qu'on a tenues dans l'ensemble du pays dans le but de comprendre leurs expériences et leur perspective. Cela a été crucial pour nous permettre de cartographier nos priorités de recherche, et nous poursuivons cette collaboration continue aujourd'hui.
En même temps, nous continuons de dialoguer directement avec la communauté de la sclérose en plaques dans nos programmes de recherche, notamment en la faisant participer au processus décisionnel de la recherche. C'est par l'intermédiaire de cette tribune que nous avons assisté à des discussions réfléchies sur l'importance de la recherche par des personnes qui ont vécu l'expérience. Pour le scientifique, c'est un rappel que le travail qu'il fait a des répercussions directes sur les personnes qui vivent avec la sclérose en plaques et leur famille. Les discussions auxquelles nous avons assisté ont apporté une richesse à notre processus d'examen et ont été inestimables pour le scientifique et la personne touchée par la sclérose en plaques.
Comme nous l'avons mentionné plus tôt, les Canadiens touchés par la sclérose en plaques estiment que la recherche est essentielle aux nouveaux traitements et, au final, à la découverte d'un remède. Par conséquent, il est impératif que les personnes aient accès à de nouveaux traitements qui peuvent améliorer les résultats de santé ou même guérir des maladies. Aujourd'hui, il existe 14 traitements de fond approuvés au Canada pour les personnes ayant une forme récidivante de sclérose en plaques. Ocrevus, un traitement pour la sclérose en plaques progressive primaire à un stade précoce, a été approuvé conditionnellement au Canada en février 2018. C'est la première fois qu'un traitement qui cible la sclérose en plaques progressive est mis à la disposition des Canadiens.
La Société de la sclérose en plaques croit fermement que la perspective de santé de la population ne reflète peut-être pas les besoins des patients individuels, particulièrement en ce qui concerne une maladie unique comme la sclérose en plaques. Dans la sclérose en plaques, deux personnes n'ont pas la même évolution de la maladie ou ne réagissent pas de la même façon aux mêmes médicaments. Nous savons aussi que l'intervention précoce est essentielle pour éviter bon nombre des coûts économiques et personnels à long terme qui résultent d'un handicap irréversible non nécessaire. Littéralement, pour la santé du cerveau, le temps compte pour les gens atteints de sclérose en plaques.
Ces percées dans la recherche doivent se traduire par de meilleurs résultats pour les Canadiens qui vivent avec la sclérose en plaques ainsi que leurs amis et leur famille. Nous recommandons que le gouvernement fédéral assure un accès opportun et abordable à tous les traitements approuvés par Santé Canada pour la sclérose en plaques. En outre, nous croyons que les gens qui vivent avec la sclérose en plaques et leur point de vue unique doivent être sollicités proactivement dans le cadre du processus d'examen des médicaments, de Santé Canada jusqu'à l'Alliance pancanadienne pharmaceutique.
Pour terminer, j'aimerais rappeler l'importance d'investir dans des recherches financées par l'État tout en reconnaissant le rôle unique que les organismes de bienfaisance dans le domaine de la santé et les patients ont à jouer dans l'écosystème de la recherche en santé. Si nous travaillons tous ensemble, nous pouvons obtenir de meilleurs résultats pour que les Canadiens puissent accéder aux médicaments.
Merci de m'avoir donné l'occasion de prendre la parole.
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Ça me va aussi en français.
Le Dr Nickerson a parlé du modèle DNDi, qui existe à l'international. En fait, ce sont des partenariats établis avec des compagnies pharmaceutiques comme Sanofi pour réaliser des projets ensemble.
La clé du succès de la DNDi est qu'il s'agit d'une compagnie pharmaceutique virtuelle. Cela veut dire qu'elle peut utiliser l'expertise des scientifiques et de gens de partout dans le monde. Cette initiative a été fondée par six organismes partenaires, dont le gouvernement de la Malaisie, le gouvernement de l'Inde et différentes organisations. Je trouve que c'est vraiment un beau modèle. Il démontre que, en regroupant tous ces gens, on peut créer quelque chose à un prix beaucoup moindre.
En réponse à la deuxième question, je vous dirais que cela existe ailleurs. Par exemple, il y a des compétitions de prix. Nous concevons des prix et les gens font des demandes pour les obtenir. C'est une autre manière de faire. C'est vrai qu'on a toujours besoin d'argent pour faire de telles choses. Comment faire pour que cet argent soit disponible?
Du côté du gouvernement, il faudrait qu'il examine quels avantages de telles choses présentent comparativement à ce qu'on paie pour les médicaments. Ici, une grande partie du budget de la santé va aux médicaments. Si on payait moins pour les médicaments, on pourrait faire plus dans les autres domaines de la santé. Au bout du compte, c'est une question de coûts-avantages.
Selon ce que j'ai vu pendant plusieurs années, un investissement dans d'autres modèles entraîne des avantages pour la population parce qu'elle peut avoir accès aux médicaments. C'est également avantageux pour le Canada. Nous avons un merveilleux système de santé, qui offre à la population un meilleur soutien que ce qui est offert par le système en place dans d'autres parties du monde, où les gens n'ont pas ce filet de protection. Au Canada, si nous payions moins pour les médicaments, cela laisserait davantage d'argent pour faire d'autres choses, et cet investissement servirait à financer cet autre modèle, ce qui peut aussi avoir des répercussions mondialement.
[Traduction]
Jason, aimeriez-vous ajouter quelque chose?
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Certaines personnes excellent dans l'art de changer des discours et des histoires pour servir leurs propres intérêts. C'est ce que je dirais très brièvement. Durant mes 20 années de travail sur la question de l'accès aux médicaments, ce que nous avons vu et vécu, c'est un changement du paysage dans l'industrie pharmaceutique en ce qui concerne la façon de réagir à la compréhension grandissante selon laquelle, moralement et éthiquement, nous faisons fausse route pour ce qui est de s'assurer que les gens de partout dans le monde peuvent avoir accès aux traitements dont ils ont besoin.
J'aimerais aussi souligner que les compagnies pharmaceutiques ont fait des pas considérables dans la bonne direction. C'est vrai. Nous devons le reconnaître. De plus, nous devons reconnaître que le rôle que les sociétés pharmaceutiques sont appelées à jouer est très important. Nous devons le reconnaître aussi, mais nous sommes toujours incapables de faire tomber cet obstacle selon lequel les compagnies pharmaceutiques sont là pour faire des profits.
C'est le but d'une société. Elle a des parties prenantes ou des actionnaires. Ce dont nous parlons, c'est d'un objectif humanitaire qui consiste à s'assurer que les gens peuvent avoir accès aux médicaments dont ils ont besoin. Ces deux objectifs sont en conflit l'un avec l'autre. Nous ne devrions pas nous attendre à ce qu'une compagnie pharmaceutique soit une organisation humanitaire, tout comme je n'aimerais pas que mon organisation soit à but lucratif.
La question que nous nous posons, c'est comment pouvons-nous trouver une solution? Cette question — nous ne devrions pas parler du coût au détriment de l'accès et commencer à nourrir une obsession à cet égard — n'est en réalité qu'une autre façon de dire la même chose. Nous avons plutôt vu que l'accès est devenu le terme du jour. Ces jours-ci, c'est vraiment un terme politiquement correct.
Cessons de parler de l'argent. Parlons plutôt de la façon de rendre les choses accessibles aux gens. Le problème, c'est qu'il y a beaucoup de poudre aux yeux, parce que, au final, ça ne sera jamais accessible. La bédaquiline est un exemple éclatant.
Nous avons ce nouveau traitement pour l'hépatite C, le sofosbuvir, un nom que je ne peux jamais prononcer. Ces choses sont... Nous pouvons parler des programmes d'accès des compagnies pharmaceutiques, mais ce n'est pas une réponse systémique à une crise. Ce qui nous intéresse ici, c'est comment obtenir quelque chose qui est systémique, qui est vraiment intégré à l'intérieur de notre système, pour nous assurer que ces médicaments sont accessibles.
Je suis désolée de dire que je crois que c'est juste une autre contorsion du discours pour servir les intérêts de gens préoccupés par les profits.
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Je pense que vous pouvez peut-être diviser les priorités en deux types. Vous pouvez parler de vos priorités nationales, puis de vos priorités mondiales — notre contribution, en tant que pays, au monde plus vaste. Si vous parlez de priorités mondiales sur lesquelles nous devrions nous concentrer, nous pouvons examiner l'Organisation mondiale de la Santé, qui a très bien défini certains des principaux enjeux, certaines des principales maladies, les principales lacunes, les domaines clés pour lesquels on doit désespérément faire de nouvelles recherches et innover. C'est un aspect à examiner.
Je crois que vous devez aussi examiner ces partenariats de développement de produits internationaux — comme DNDi, par exemple, qui cerne les priorités essentielles, beaucoup liées à ce qui arrive aux patients sur le terrain dans tous ces pays, et qui le fait de façon très authentique, sans que ses décisions par rapport à ce qu'elle fait soient motivées par la politique ou les profits. L'initiative s'intéresse vraiment aux maladies les plus négligées.
Par exemple, elle travaille maintenant sur l'infection au VIH chez les enfants. C'est fou, parce que nous travaillons sur le VIH/sida depuis des années. Il a fallu attendre très longtemps avant de voir les formules pédiatriques apparaître, et pourtant, les enfants sont un des segments de la population les plus grandement touchés, donc elle s'est dit: « Nous devons travailler là-dessus. » C'est la même chose avec mon exemple au sujet de la maladie de Chagas. Il n'y avait pas de formule pédiatrique, et c'était un des segments les plus touchés de la population, donc DNDi a décidé de produire une version pédiatrique, ce qui a complètement transformé la vie d'un très grand nombre de personnes. Je crois que, à l'échelle mondiale, nous pouvons examiner ces types de priorités.
Puis, comme Jason l'a dit, à l'échelle nationale, nous devons juste examiner les principaux enjeux qui touchent notre population canadienne. Je travaille dans le Nord, au Nunavut, et je crois que la tuberculose devrait figurer tout en haut du programme du gouvernement canadien. Dans notre pays, des gens souffrent et meurent de la tuberculose, ce qui est absolument inacceptable pour un pays aussi riche que le Canada.
Je pense que nous pouvons établir des priorités en observant la santé de notre population ici, au Canada. Vous parlez de la sclérose en plaques. Vous parlez de l'insuline. Je pense qu'il y a quelques aspects clés qui touchent vraiment notre population ici.
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Merci à vous tous d'être venus ici ce matin.
Avant de poser mes questions, j'aimerais d'abord faire référence à quelque chose que M. Nickerson a dit dans sa déclaration liminaire qui est, à mon avis, très important. Il a dit qu'il coûtait entre 144 et 216 millions de dollars pour mettre au point une substance chimique nouvelle.
D'après quelques études que j'ai lues, particulièrement de l'Université Tufts, qui a tenu un registre continu, j'imagine, du coût des nouveaux médicaments en ce moment, cela peut osciller entre 1,6 et 2,6 milliards de dollars. Toutefois, cela tient compte du coût des échecs. Ce que vous donnez, c'est un prix plus précis du coût de développement, plutôt que la prise en considération du fait que les médicaments, dans de nombreux cas, 90 % d'entre eux, ne franchissent pas la première phase des essais cliniques.
M. Lobb a posé une bonne question pour ce qui est de savoir s'il y a ou non assez d'argent et ce qu'est le coût. Je pense qu'il y a assez d'argent. Je pense que c'est juste la façon dont nous utilisons cet argent qui cloche. Il n'est pas affecté de façon adéquate. Mme Kiddell-Monroe a mentionné la tuberculose, dont, en tant que pharmacien, je sais... Je veux dire, nous distribuons les mêmes choses que ce que je lisais à l'école de pharmacie. Je ne vais pas vous dire à quel moment j'ai obtenu mon diplôme, mais ce n'est pas bon signe lorsque les médicaments au sujet desquels vous lisiez des articles à l'école de pharmacie continuent d'être utilisés.
Y a-t-il moyen de coordonner la recherche nationale et internationale? Même dans mes propres lectures — je ne m'en étais pas rendu compte — je vois qu'il y a beaucoup de philanthropie mondiale, beaucoup d'argent qui est versé, mais j'ai l'impression que cet argent est versé à des organisations ou à des silos individuels qui ont reçu comme mandat d'utiliser l'argent à une fin particulière. C'est bien, mais il n'y a pas de dialogue entre les différentes organisations et universités ou d'autres membres de l'écosystème.
Je pose la question à M. Nickerson et à Mme Kiddell-Monroe: y a-t-il moyen de coordonner la recherche à l'échelle nationale et internationale? Une des choses que je défends ardemment, c'est la science ouverte et le fait de s'assurer qu'il y a des collaborateurs. Y a-t-il un moyen?
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Je crois absolument qu'il y en a un. Je crois que vous avez vraiment frappé dans le mille, car l'un des problèmes que nous constatons, c'est que tout fonctionne en vases clos. Nous avons un manque complet de transparence entre les différents établissements.
J'aimerais parler de l'Institut neurologique de Montréal. Il a lancé une initiative extrêmement intéressante. Le chef de l'Institut était tellement fâché par le lent développement qu'il a dit qu'il allait tout ouvrir à tous. Il allait ouvrir toutes les données pour que tout le monde puisse essayer d'accélérer les choses. Le résultat, c'est qu'ils ont vu des changements vraiment radicaux dans leur capacité. Nous appelons cela l'approche de la « science ouverte ». Les données ouvertes ont déjà permis d'apporter de grandes transformations en ce qui concerne la vitesse à laquelle vont les choses.
Il faudrait songer à l'appliquer à plus grande échelle. Imaginez seulement ce que nous pourrions faire. Je reviens sans cesse à DNDi, mais je crois que c'est un des meilleurs exemples de la façon dont l'ouverture et la communication, ainsi que la séparation des vases clos, ont permis de produire, dans un très court laps de temps, si on parle de développement de médicaments pharmaceutiques, de nouveaux médicaments incroyablement importants, que ce soit des combinaisons de médicaments existant sous une nouvelle forme, ce qui a été une des premières choses qu'on a faites pour la malaria avec l'artémisinine, puis la combinaison... ou de tous nouveaux médicaments, comme celui produit pour la maladie du sommeil.
Je pense que la collaboration exige l'ouverture. Elle nécessite la communication de données, la collaboration entre les établissements universitaires. Encore une fois, c'est pourquoi je reviens aux universités et à leur importance. De plus, du point de vue fédéral, il ne faut pas oublier l'importance des fonds publics qui sont fournis par le gouvernement fédéral à ces établissements. Vous pouvez y associer des conditions. Vous pouvez dire: nous vous donnerons les fonds fédéraux, mais vous devez prévoir la licence donnant un libre accès et faire preuve d'ouverture et de transparence à l'égard de vos données.
Vous savez tous à quel point il est difficile d'obtenir des données sur des recherches. Si je vais dans une université et que j'essaie de découvrir ce qu'elle fait comme recherche, c'est pratiquement impossible pour moi de le faire.
C'est pourquoi je suis tout à fait d'accord. Je crois qu'il existe des possibilités de collaboration. Je pense que nous devons les rechercher, et aussi en créer de nouvelles.
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Oui, absolument. J'ai parlé brièvement de notre expérience en ce qui concerne la maladie du sommeil, ou de l'expérience des responsables de l'initiative Médicaments contre les maladies négligées à l'égard de cette maladie.
La maladie du sommeil est l'une des maladies qui ont été terriblement négligées pendant des années. Le traitement qui était disponible il y a 13 ans consistait, en réalité, à dissoudre un dérivé d'arsenic dans quelque chose de semblable à de l'antigel et à l'injecter aux gens. C'était le traitement disponible pour lutter contre cette maladie qui touchait des milliers de personnes. L'industrie pharmaceutique privée ne souhaitait pas mettre au point d'autres traitements, et une personne sur 20 qui a reçu ce traitement en est décédée.
Passons maintenant à l'expérience des responsables de la DNDi, initiative qui a, une fois de plus, suscité l'intérêt d'acteurs de l'industrie, du monde universitaire et de différents domaines. Ils ont trouvé un composé, le fexinidazole, qui était resté sur une tablette et qu'on avait abandonné sans pousser les recherches jusqu'au bout, pour une raison quelconque. Ils ont obtenu les droits relatifs à ce composé et l'ont perfectionné. Vous savez quoi? Il fonctionne.
Sur une décennie ou plus, les responsables de la DNDi ont réussi à transformer radicalement la gamme de traitements disponibles en perfectionnant le fexinidazole, qui avait été simplement abandonné, en réalisant des essais cliniques et en rassemblant des partenaires de la société civile, du monde universitaire, de l'industrie et ainsi de suite. Ils ont effectué cela à l'intérieur d'un cadre qui prévoyait des mesures de protection relatives au processus de perfectionnement et ont dit: « D'accord, si cela fonctionne, nous avons besoin que toutes les personnes qui participent aux travaux s'engagent à ce que le produit final soit abordable et accessible pour tous. »
Les résultats de l'essai clinique ont été publiés au cours de la dernière année, je crois, dans la revue The Lancet. Le médicament est efficace. Nous sommes passés d'un traitement qui tuait une personne sur 20 à un médicament oral qui guérit efficacement la maladie en 10 jours.
Ce sont des modèles qui renforcent la collaboration, qui sont assujettis à des mesures de protection et qui permettent de mettre au point et d'offrir des traitements. Il n'y a aucune raison valable pour laquelle nous ne pourrions établir les mêmes priorités par l'intermédiaire d'organismes de financement fédéraux, pour signifier qu'il y a un besoin... Je vous l'accorde, nous avons eu une discussion au sujet de l'établissement des priorités. C'est compliqué, mais il n'y a aucune raison pour laquelle nous ne pouvons affirmer qu'il y a un besoin. Nous allons investir les ressources nécessaires à l'étape initiale de la découverte; nous allons gérer le processus du début jusqu'à la fin; et chaque personne qui y participe doit accepter les paramètres du processus de façon à ce que nous puissions mettre au point et fournir des traitements abordables en temps opportun.
Cela se fait, cela fonctionne, et il est temps pour nous de simplement mettre ce modèle à l'essai dans d'autres catégories de maladie. Il est possible de le faire à l'intérieur des cadres existants, mais nous avons besoin de nouveaux programmes qui rassemblent toutes les personnes concernées durant les étapes subséquentes de l'élaboration et de la mise en marché du médicament.