Je suis la conjointe d'un militaire depuis 20 ans. Mon mari souffre d'un choc post-traumatique grave et d'une dépression majeure en comorbidité. Il a des pensées suicidaires et homicidaires. Je témoigne aujourd'hui en tant que famille qui subit les répercussions d'un système de prise en charge qui est, à mon avis, peu efficace. Je suis mère de trois enfants. Mon mari a été envoyé à deux reprises en terrain opérationnel. Nous avons aussi été mutés à l'extérieur du Canada. Malgré le fait que les symptômes étaient déjà présents, il a réussi le test de dépistage haut la main.
En 2007, à son retour, il était volontairement allé chercher de l'aide en montant les fameuses marches qu'on appelle encore aujourd'hui, malheureusement, « les escaliers de la honte ». Nous avons vite compris que, si nous poursuivions le processus, il y aurait des répercussions sur sa carrière, c'est-à-dire qu'il aurait moins de promotions et qu'il n'y aurait plus de mutations. Il serait impossible pour lui de retourner sur le théâtre des opérations, ce qui était très important pour lui.
Comme pour la majorité des membres des Forces armées canadiennes, l'identité de la personne devient un peu celle d'un membre des Forces. Mon mari a donc eu peur de perdre son identité. En fait, il a même obtenu de la psychologue des séances sans qu'aucune note soit inscrite à son dossier. Il a demandé de ne pas recevoir de médication ou de drapeau orange si jamais il recevait une promotion, ce qui lui a d'ailleurs été accordé. Ce n'est pas normal que les gens qui ont besoin de soins doivent choisir entre la honte de se faire pointer du doigt et des soins pour se sentir mieux avec leur famille et avec eux-mêmes.
Ensuite, les symptômes ont empiré: cauchemars, irritabilité, dissociation, agressivité verbale, retours en arrière, migraines, dépression, hypervigilance, isolement, et le reste. Je pourrais continuer, mais je vais m'arrêter là. On va essayer de nous faire croire que c'est moins tabou, mais c'est faux.
Le temps a passé et les répercussions sur ma famille ont été dérangeantes. J'ai donc amené mon conjoint à l'hôpital militaire. Il avait des symptômes physiques qui m'ont permis d'avoir une porte d'entrée. Une fois sur place, il a été vu à l'urgence. J'en ai profité pour me rendre en haut, aux services en santé mentale, pour demander de l'aide. De prime abord, on a refusé de m'aider parce que je n'étais pas un membre militaire actif. Il fallait que mon conjoint donne son consentement pour que je puisse parler de ce qui se passait chez moi. J'ai donc dit que je me dégageais de toute responsabilité si quelque chose se passait, parce que je parlais de risques pour sa vie. On a finalement pris mon conjoint en charge, bien qu'il n'ait pas donné son consentement.
Finalement, ce que je pensais être salvateur était le début de la fin, dans notre cas. Il y a eu confrontation au sujet de ses symptômes et, tout de suite, dès la première journée, il a craqué de façon impressionnante. On a dû nous sortir de l'endroit. Des bureaux ont volé. Bref, nous sommes retournés à la maison avec un petit pamphlet sous le bras qui nous expliquait que mon conjoint était atteint d'un choc post-traumatique — c'était du jargon pour nous — sans nous donner d'autres indications.
Mes enfants ont subi plusieurs dommages collatéraux. Quand j'ai demandé du soutien, on nous a dirigés vers un endroit qui était à plus d'une heure de route de mon domicile. Je vous rappelle que je suis mère de trois enfants et travailleuse sociale à temps plein dans le milieu de la santé. De plus, on nous disait que nous devions chacun avoir un intervenant différent, ce qui m'obligeait donc à faire trois fois trois heures de route dans la même semaine. C'était impossible pour moi.
Comme il n'y a pas d'universalité des services dans toutes les régions, c'est difficile pour les gens qui ne vivent pas près des grandes bases d'y avoir accès. Ici, je parle des familles. C'est certain qu'il y a une prise en charge du militaire, mais pour la famille, les proches, les parents et les enfants, c'est plus difficile. De plus, il est très difficile, autant pour le membre des forces que pour la famille, d'avoir un service dans sa langue maternelle. C'est un élément auquel il faudrait vraiment travailler. Mon conjoint devait raconter son histoire dans une langue qui n'est pas la sienne. Ce n'est pas toujours évident d'essayer d'exprimer des émotions dans une langue qui n'est pas la sienne. Certaines choses étaient parfois mal comprises.
On a donné beaucoup de médicaments à mon conjoint, mais on n'a jamais vraiment abordé le problème. C'était comme si on voulait étouffer les symptômes du membre des forces pour qu'il demeure fonctionnel jusqu'à sa libération pour raisons médicales, afin que le système civil le prenne en charge d'une façon un peu plus exhaustive.
Les gens qui sont atteints du trouble de stress post-traumatique, ou TSPT, ne sont plus nécessairement utiles dans leur milieu de travail, alors on les met un peu de côté. D'ailleurs, il est arrivé quelque chose d'un peu choquant dans notre cas. Mon conjoint a fait plusieurs séjours en psychiatrie. Nous sommes allés au centre de Bellwood, à l'Institut Douglas et à Saint-Anne-de-Bellevue, dont on nous avait dit qu'il s'agissait d'un hôpital spécialisé pour les vétérans atteints de troubles de santé mentale.
Lors d'une crise, on m'a appelée en pleine nuit pour me dire que le cas de mon conjoint était trop lourd pour le centre spécialisé en santé mentale. La solution qu'on m'a proposée était qu'on le renvoie à la maison. Selon eux, mes trois enfants et moi étions mieux outillés que le centre, qui devait pourtant prendre le relai parce que son cas était trop lourd pour moi. Aujourd'hui, je l'ai encore un peu sur le cœur. La thérapie n'a jamais été complétée. On a renvoyé mon conjoint à la maison pendant la phase de stabilisation. Il n'y a jamais eu de traitement ou de phase de psychothérapie au cours de cette hospitalisation.
Comment se fait-il que les familles ne soient pas au centre des plans de soins? Il faudrait au minimum tenir une consultation après un déploiement pour vérifier si le militaire présente des symptômes inhabituels ou des comportements anormaux. Comment se fait-il que, pendant les interventions, nous ne soyons pas vraiment consultés, alors que nous pourrions aider à dresser un portrait beaucoup plus réaliste de la situation?
Parfois, la personne malade ne veut pas ou ne peut tout simplement pas faire comprendre l'importance de ses symptômes. De plus, ce genre de situation n'est pas toujours adaptée à la réalité des familles. On donne beaucoup de médicaments pour essayer de maintenir un niveau fonctionnel, comme je le disais tout à l'heure, mais il y a d'importantes conséquences sur l'entourage. Mon mari, par exemple, a développé un diabète. Nous avions consulté le psychiatre militaire, qui avait fait interagir des médicaments. La pharmacienne avait noté qu'un diabète pourrait en résulter, mais on nous a dit que non. Finalement, le diabète s'est déclenché. Après une hospitalisation dans un autre centre de psychiatrie, on a cessé cette médication et le diabète a disparu.
En juillet 2020, mon mari n'allait vraiment pas bien. J'ai pris contact par courriel avec son médecin traitant, qui travaille au centre situé dans la région où nous vivons présentement. Je lui ai écrit que, bien que n'étant pas militaire — en effet, j'essaie en temps normal de ne pas m'immiscer là-dedans, étant donné que nous n'y avons pas vraiment de place —, j'exigeais qu'on me réponde, parce que je craignais vraiment pour la vie de mon conjoint. J'ai écrit ce courriel le 19 juillet et je n'ai reçu une réponse que plusieurs jours plus tard. Sans avoir vu mon conjoint, on m'a demandé si une augmentation de sa médication me convenait. C'est la solution qui a été proposée.
Le 27 juillet, mon mari a fait une tentative de suicide. Il a voulu mourir. Il a été sauvé in extremis par des policiers alors qu'il allait sauter d'un pont de notre ville. À côté du pont i, y avait du matériel militaire qu'il avait apporté. Il avait plié ses vêtements, et sur la pile de vêtements, il avait déposé sa carte d'identité militaire. Pour lui, sortir en tenue de service no 3B était en effet inacceptable.
Le lieutenant du service de police de mon secteur a voulu rejoindre les Forces canadiennes au téléphone pour faire un rapport, parce que les policiers avaient été déstabilisés par la détresse et les propos de mon mari. Bien sûr, cela n'a pas fonctionné. De mon côté, j'ai donné mon accord et le numéro de matricule de mon mari, mais le lieutenant n'a jamais pu faire de rapport à qui que ce soit.
On a donc envoyé mon mari dans un centre civil pendant quatre mois, étant donné que personne chez les militaires ne pouvait nous aider à le diriger vers un autre centre. Il était trop en crise pour aller à Sainte-Anne-de-Bellevue. Il a donc fallu rester du côté civil, alors que ces gens ne sont pas du tout outillés pour traiter un choc post-traumatique de ce genre.
J'ai demandé de l'aide psychologique pour mes enfants et moi. Or, après deux séances, on m'a annoncé qu'en fin de compte, vu que mon mari n'était pas encore un vétéran, je n'avais pas accès à des soins remboursables. On a exigé que je les rembourse et que je revienne pour une consultation lorsque mon mari serait un vétéran. Malheureusement, je n'ai pas choisi la date de la tentative de suicide de mon conjoint. Bien entendu, je me suis vraiment sentie seule, laissée à moi-même.
Ce qui est plus choquant encore, c'est que j'ai découvert par la suite, après avoir fait une demande au Programme d'aide aux employés, qu'on n'avait pas permis à la travailleuse sociale qui avait reçu notre dossier de nous donner des soins parce que son mari fait partie des Forces canadiennes. Justement, elle connaissait un peu notre réalité. Elle a demandé une exemption pour pouvoir nous traiter, mais les gestionnaires la lui ont refusée. On lui a dit préférer que les services soient dispensés par des gens connaissant un peu moins la réalité militaire, de façon à maintenir l'impartialité. Selon moi, c'est un non-sens, parce que les intervenants du milieu régulier n’ont aucune idée de ce que sont la réalité militaire et celle des familles.
En décembre dernier, j'ai signalé à l'équipe de mon mari, lequel devait être libéré sous peu en vertu du paragraphe 3(b), qu'il soupçonnait avoir subi une agression à caractère sexuel pendant un déploiement en théâtre opérationnel. On m'a répondu que je devais désormais m'adresser à son médecin civil, parce que sa prise en charge n'était plus de leur ressort. On parle ici d'une agression à caractère sexuel. J'étais un peu abasourdie par cette réponse.
Le nouveau médecin n'avait bâti aucune relation de confiance avec mon conjoint. C'était une nouvelle transition. J'ai trouvé cela complètement absurde. Ils s'en lavent les mains alors qu'ils ont détruit une vie et une carrière.
Le retour à la vie civile est un enfer, spécialement pour les gens malades. Ils ne reçoivent pas assez de soutien. Mon conjoint est complètement invalide, et il ne peut pas remplir les 88 formulaires nécessaires pour passer d'une étape à l'autre. Nous n'avons pas d'aide, et je ne m'y connais pas du tout en ce qui a trait aux formulaires militaires. Cette démarche s'est révélée très laborieuse et difficile.
Pendant le congé de maladie de mon mari, on a voulu le forcer à utiliser ses vacances. Il était inapte à prendre des congés, mais on n'a pas voulu les lui rembourser. Nous avons dû nous battre, et nous avons finalement gagné.
Il faut toujours se battre. Il faut se battre avec Anciens Combattants Canada et les Forces armées canadiennes. Il faut se battre pour obtenir des médicaments. Il faut se battre pour obtenir des soins dans un institut axé sur les chocs post-traumatiques militaires. C'est très fatigant et cela pèse lourd sur les épaules des proches.
Aujourd'hui, mon mari n'est plus un militaire, mais un ancien combattant depuis le mois de décembre. Or il avait voulu mourir parce qu'il avait honte de ne pas pouvoir poursuivre sa carrière militaire, ce n'est pas peu dire.
La transition est difficile même pour les gens qui ne sont pas atteints d'un choc post-traumatique. Essayez de vous imaginer comment cela peut être difficile pour quelqu'un qui perd toute son identité en raison d'un trouble aussi sévère.
Nous, les familles, devons impérativement participer davantage au processus de soins. C'est nous qui vivons avec les conséquences au quotidien. Nous sommes les yeux et les oreilles. Nous sommes de proches aidants.
Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais le ou la conjointe du membre des Forces doit donner son autorisation avant que ce dernier puisse recevoir un service. À Valcartier, ils vont même jusqu'à demander au membre d'inscrire son ou sa conjointe en vue de sa participation aux soins. Pensez-vous vraiment que ceux qui souhaitent cacher leur trouble de santé, les conjoints violents ou tous ceux qui ont une quelconque indépendance vont donner leur accord au risque d'être démasqués? C'est non, évidemment.
Je tiens cependant à mentionner qu'il existe un excellent service de soutien par les pairs, soit le groupe de psychoéducation sur la blessure de stress opérationnel, ou GBSO.
La détresse au sein des familles est présente et tout aussi importante que celle des militaires. L'accès aux services doit être facilité. Parfois, la continuité des services est aussi un enjeu, que ce soit en matière de réaffectation ou de libération. Le choc post-traumatique, c'est comme un tsunami, cela entraîne tout le monde.
Cette année, j'ai décidé de créer, sur les réseaux sociaux, un groupe de femmes qui vivent avec des conjoints aux prises avec des chocs post-traumatiques. Cinq minutes après la création du groupe, nous étions déjà 65 membres. Ce sont des femmes qui, comme moi, n'ont trouvé de services nulle part ailleurs. Nous nous sentons vraiment seules.
Le manque de service, de soutien, d'accès et de concertation a raison de beaucoup trop de gens. Malheureusement, dans notre cas, les troubles de santé mentale de mon conjoint auront eu raison de 20 ans de vie commune. Sans être en conflit, nous sommes présentement en processus de séparation et il en comprend les raisons. Je ne peux plus continuer à supporter toute seule le poids du lourd travail qu'il doit faire sur lui-même.
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Bonjour, madame la présidente, membres du Comité.
Je m’appelle Hinesh Chauhan. J’ai passé 18 ans et demi dans les Forces armées canadiennes, la moitié à plein temps et la moitié à temps partiel, comme sapeur de combat puis comme officier du génie. J’ai une vaste expérience des différentes opérations. J’ai appris beaucoup pendant toutes ces années.
Ensuite, je suis entré dans la fonction publique fédérale, d’abord comme analyste de programme principal au Secrétariat du Conseil du Trésor, où j’étais chargé de superviser le portefeuille défense des organisations, les projets haut risque, les achats, les acquisitions et les pratiques de gestion. À l’heure actuelle, j’occupe un poste de directeur au ministère des Pêches et des Océans, et à ce titre, je supervise les investissements et les projets d’acquisition de biens immobiliers ruraux.
Je connais très bien la bureaucratie et la culture du ministère de la Défense et de la fonction publique fédérale. J’adore ce que je fais, surtout lorsqu’il s’agit de s’assurer que les deniers publics sont dépensés à bon escient.
Comme responsabilité secondaire, je dirige un programme de mieux-être qui a permis d’accroître de 120 % en deux ans le niveau de satisfaction des employés, selon les résultats du sondage auprès des fonctionnaires fédéraux. Je suis fermement convaincu que l’évaluation influe sur le comportement et que les résultats doivent être quantifiés.
Je suis ici aujourd’hui pour discuter des circonstances qui ont entouré la mort de mon frère unique. Adjudant, Sanjeev Chauhan s’est donné la mort le 17 octobre 2020. Il avait disparu la veille au soir, et on a retrouvé son corps le lendemain, sur un terrain de la base de Petawawa.
Mon frère était un père, un mari et un opérateur des services de renseignement de l’armée, qui a participé à quatre missions des forces d’opérations spéciales en Afghanistan, à Bali, en Lettonie et en Irak. Il adorait l’armée. Il adorait ce qu’il faisait. Plus que n’importe quel autre militaire, il était fier de porter l’uniforme.
Les circonstances qui ont conduit à son suicide ne sont pas complètement une surprise, quand on y regarde de près. Ce que savait la chaîne de commandement et ce qui était documenté dans les dossiers des RH auraient dû déclencher la sonnette d’alarme. En toute objectivité, je pense que le système l’a laissé tomber.
Quand je lis le Rapport de 2019 sur la mortalité par suicide dans les Forces armées canadiennes, je constate que mon frère présentait la plupart des signes que le ministère considère comme des causes de suicide. Il avait participé à un grand nombre de missions en un court laps de temps. Il faisait partie des forces d’opérations spéciales. Il avait été blessé et avait une lésion au cerveau. Il souffrait de stress post-traumatique et d’autres problèmes psychologiques. On lui avait attribué une catégorie médicale. Il avait commencé à boire et avait eu plusieurs incidents liés à l’alcool. Il venait de se séparer. Il avait eu des problèmes disciplinaires et devait comparaître en cour martiale. Il avait déjà fait une tentative de suicide. Un membre de sa famille s’était suicidé. Après l’incident, il avait été mis en isolement, à l’écart de son unité, en attendant sa comparution en cour martiale.
Cette comparution en cour martiale, suite à un incident en juin 2019, était comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête de mon frère. Plusieurs fois reportée, elle était par conséquent loin de contribuer au règlement rapide et efficient du problème, comme le recommandait le vérificateur général dans son rapport de 2018 intitulé L’administration de la justice dans les Forces armées canadiennes.
Le système de justice militaire a pour vocation de maintenir la discipline, l’efficience et le moral dans les Forces armées canadiennes. Ce qui est arrivé à mon frère est exactement le contraire. Je m’inquiète pour les autres militaires qui souffrent de la même négligence et des mêmes retards, contrairement à ce que recommande le Bureau du vérificateur général. L’évaluation influe sur le comportement.
Sa chaîne de commandement avait aussi ordonné aux autres membres de son unité de ne pas communiquer avec lui, ce qui l’éloignait de tout ce qui constituait pour lui un but et une identité. Plusieurs études examinent l’impact de cette perte d’identité sur les militaires démobilisés. La mise à l’écart est un autre facteur important qui augmente les risques de suicide. Cette décision était à mon avis tragique et inexcusable, et elle allait à l’encontre de tous les principes de leadership. Elle a entraîné son ostracisation et l’aggravation de ses troubles mentaux. Elle l’a privé de sa dignité et je pense qu’elle a porté atteinte à ses droits humains.
Pour essayer de comprendre cette décision, j’ai adressé une lettre au ministre de la Défense nationale dont j’ai fait parvenir une copie à votre comité. La réponse n’abordait pas le sujet, et une réfutation immédiate a été opposée à un journaliste qui avait écrit pour demander la même chose.
Qu’un chef militaire puisse donner un tel ordre dépasse l’entendement. En tout cas, cela va à l’encontre de l’éthique militaire canadienne et de notre Charte des droits et libertés. Qu’un chef militaire puisse donner un ordre pareil et que cet ordre puisse être exécuté révèle l’existence d’une culture délétère au sein de l’organisation.
Tous les facteurs que j’ai énumérés sont considérés par le ministère de la Défense nationale et celui des Anciens Combattants comme des risques accrus de suicide. À partir de quel moment déclenchent-ils une sonnette d’alarme dans les services de santé et dans la chaîne de commandement? La majorité de ces facteurs figuraient dans son dossier personnel et dans le système des RH. Leur accumulation aurait dû déclencher une sonnette d’alarme dans la chaîne de commandement et dans les services de santé, pour qu’ils prennent des mesures.
Une autre question se pose: à partir de quel moment la consommation abusive d’une substance, à cause de troubles psychologiques, déclenche-t-elle un examen plus poussé afin d’éviter des incidents plus graves? C’est une question qu’il faudrait examiner d’un point de vue causal, par opposition à un point de vue symptomatique. Un système de détection précoce, qui déclencherait proactivement ou automatiquement une sonnette d’alarme dès l’apparition de ces facteurs, permettrait de prévenir des suicides. Il permettrait au moins de détecter les militaires qui sont sur le point de basculer et qui ont besoin d’une attention immédiate.
J’en ai parlé à des collègues de l’armée qui ont reconnu, dans leur grande majorité, que la santé mentale était encore un sujet tabou dans l’armée. Qu’on considérait encore cela comme une faiblesse et un fardeau pour l’organisation. Ceux qui souffrent de psychoses doivent attendre avant d’avoir accès à des services appropriés, à des soins médicaux et à une aide psychologique.
À en juger par ce que j’ai lu dans le plan ministériel de la Défense nationale, les passages portant sur la santé mentale, qui n’est mentionnée qu’une seule fois et le suicide, deux fois, ne contiennent aucun indicateur précis, aucun objectif mesurable et clair. Même si c’est une priorité du greffier du Conseil privé, la santé mentale n’est mentionnée qu’une seule fois dans le plan ministériel, ce qui est très révélateur de l’importance qu’elle a pour l’organisation. De la même façon qu’il y a une vingtaine d’années on a commencé à faire suivre à tout le monde des cours sur le harcèlement, on devrait en faire autant avec des cours de premiers soins en santé mentale. De la même façon qu’on fait suivre aux employés des cours de premiers soins physiques — avec une remise à niveau chaque année —, on devrait en faire autant avec les cours de premiers soins en santé mentale, et cela devrait être intégré dans les évaluations de rendement des gestionnaires. Encore une fois, l’évaluation influe sur le comportement.
J’aimerais vous faire part d’un constat très intéressant que j’ai fait. Les pays qui bordent la Méditerranée et la mer Rouge, ainsi que les pays d’Asie du Sud-Est et du Sud Pacifique enregistrent les taux de suicide les plus faibles. Qui plus est, l’armée israélienne a pris des mesures pour réduire son taux de suicide, à telle enseigne qu’il est maintenant inférieur au taux de suicide dans la population civile, ce qui n’est pas du tout la tendance dans les pays occidentaux ou dans les pays disposant d’une armée moderne.
Quand un soldat est porté disparu, les Forces israéliennes de défense n’ont qu’à appuyer sur un bouton pour localiser le soldat. Elles estiment qu’au cours des 12 derniers mois, cela leur a permis de sauver la vie de quatre soldats. Si un tel système était appliqué au Canada, mon frère serait peut-être encore en vie et il aurait accès aux soins dont il avait besoin, mais la culture est une chose difficile à changer. Comme le dit l’adage, la stratégie s’appuie sur la culture.
Le soldat est confronté à une redoutable dichotomie: faire la guerre et exécuter des actions qu’aucun autre Canadien ne veut accomplir, et ensuite, rentrer chez lui et se comporter comme tout le monde. Passer d’une persona à l’autre cause un stress mental considérable. Pouvoir en parler avec d’autres personnes, partager des expériences, aide grandement à gérer cette dichotomie. Mais il faut dire que les lieux d’échanges sont avant tout les mess et les légions, où l’on consomme beaucoup d’alcool.
Bon nombre d’études montrent que le fait de se droguer pour oublier est à la fois contre-productif et très courant, et que l’exercice physique et les interactions sociales positives sont les moyens les plus simples et les plus efficaces d’atténuer les symptômes de la dépression et de l’anxiété, et d’améliorer la santé mentale et la résilience.
Je suis fermement convaincu que votre comité, le ministère des Anciens Combattants, le ministère de la Défense nationale et les Forces armées canadiennes devraient se pencher sur les façons d’encourager des interactions sociales plus saines, qui mettent en valeur la bonne forme physique et le mouvement. Cela contribuerait à infléchir la culture guerrière, afin que la maladie mentale soit considérée comme n’importe quelle autre maladie physique, qu’elle suscite moins d’ostracisme, et que les membres des forces armées et leur famille puissent appliquer des stratégies plus saines d’adaptation et de résilience. Le dialogue doit se poursuivre. Le travail de sensibilisation doit se poursuivre.
Il faut aussi quantifier les objectifs et les résultats. Les chefs doivent être tenus responsables. Les rapports doivent se fonder sur des évaluations précises. Encore une fois, l’évaluation influe sur le comportement.
Merci, madame la présidente, de m’avoir invité.
Je vous remercie de me donner l'occasion de vous faire part de mon expérience.
Je suis militaire. Je suis vétérane, actuellement. J'ai travaillé pendant 12 ans dans les Forces armées canadiennes à titre de technicienne en approvisionnement, où j'ai touché à plusieurs départements.
Je souffre aujourd'hui du trouble de stress post-traumatique à cause de harcèlement psychologique. Au début, on m'a dit que j'avais un trouble d'adaptation, mais on voulait me faire suivre des programmes pour le trouble de stress post-traumatique. Je leur ai demandé pourquoi je ferais partie de tels programmes, si je ne souffrais pas de ce trouble. Il a fallu trois ans avant qu'on reconnaisse que j'en souffrais. J'ai subi du harcèlement psychologique pendant mes 12 ans de carrière.
Quand on entre dans l'armée, on nous dit qu'on travaille toujours en binôme. On doit toujours se préoccuper de son partenaire. Mon partenaire a vécu un incident à la veille de la graduation, à la suite d'une manifestation de pouvoir du caporal-chef. Par la suite, c'est moi qui ai aidé ses parents à pouvoir faire reconnaître que l'incident impliquant mon partenaire avait été causé par les Forces armées.
Après deux ans, un adjudant-maître est arrivé en face de moi et m'a dit que, si je voulais que ma carrière aille bien, je ferais mieux de laisser la famille de Plamondon tranquille et de m'en éloigner. Je me suis dit que cela allait à l'encontre de ce qu'on nous apprenait dans les forces et du principe du binôme. Il me demandait de m'éloigner de cette famille et de mon partenaire, que je soutenais, et je ne l'ai pas fait. Aujourd'hui, après 12 ans, je considère encore JP comme mon petit frère.
Par ailleurs, au début de ma carrière, je me suis blessée au tendon d'Achille. En tant que recrue, on n'a pas le droit de se blesser. En fait, dans l'armée, on n'a pas le droit d'être blessé. Si vous n'étiez pas au courant, je vous en informe. C'est mal vu. Je n'étais pas une coureuse, parce que j'étais blessée à un tendon d'Achille. Dans l'armée, si l'on n'est pas un coureur, on est un moins que rien. C'est ainsi que j'étais perçue, même si j'étais capable de lever un poids de 200 livres sur le banc de musculation.
Pendant ma carrière, on a saisi toutes les occasions de me harceler mentalement. Au début, je me disais que la personne n'allait pas bien et qu'on me tombait sur le dos. Quand on finissait à midi, le vendredi, il devait y avoir quelqu'un de garde. On décidait que j'allais rester et on me disait: que, comme j'avais un rendez-vous en physiothérapie le matin, je devais rester jusqu'à 15 heures l'après-midi. Je me demandais pourquoi j'étais pénalisée à cause d'un traitement de physiothérapie. Ce fut le cas pendant presque toute ma carrière, et ce, jusqu'à la fin, où l'on a vraiment tenté de m'atteindre dans mon estime personnelle. On m'a mentionné que cela me prenait 35 minutes à me rendre de la base à l'endroit où je devais travailler, alors que l'adjudant et un autre membre des forces le faisaient en 32 minutes. Il y avait une différence de trois minutes. On m'a dit que je prendrais dorénavant ma douche sur place plutôt qu'à la base après mon entraînement. Ce ne sont que quelques exemples qui ont eu lieu.
En dernier, on écrivait de faux rapports à mon sujet. Je les ai contestés jusqu'au moment où j'ai été obligée de porter plainte. Vous savez, dans l'armée, on nous dit de belles paroles. Tous les ans, on doit participer à des programmes obligatoires qui nous parlent de santé mentale et de harcèlement. On nous dit qu'il faut le mentionner, lorsqu'on a des problèmes. C'est ce que j'ai fait, mais cela n'a pas été pour le mieux, dans mon cas. Le harcèlement a continué et il a empiré.
On me refusait mes vacances. Mon major a refusé que j'aille visiter ma famille, alors que c'est ce que recommandaient mon médecin et la psychologue. À un certain moment, j'ai mentionné que j'allais faire de la magie, puisque c'était ce que voulait mon major. La personne-ressource du système de santé a demandé ce que je voulais dire par « faire de la magie ». Il faut savoir qu'on ne peut pas mentionner qu'on a des idées suicidaires, parce qu'on va nous enfermer ou nous tasser dans un coin. À Valcartier, c'est ce qu'on appelle « aller au deuxième étage ».
Aller au deuxième étage, c'est mal vu. Encore aujourd'hui, aller chercher de l'aide, c'est mal vu dans les Forces. J'ai quitté les Forces en 2019, c'est tout récent.
Je me bats tous les jours. Tous les matins, c'est un combat pour moi de me lever. J'ai 43 ans. Je prends 11 pilules tous les soirs pour prévenir les cauchemars et l'anxiété, pour pouvoir dormir.
Je me suis fait harceler. On n'a jamais pu prouver que c'étaient eux, mais des gens de la base m'appelaient trois fois par jour, après que le major a refusé la demande du médecin de me laisser passer du temps avec ma famille. On passait dans ma rue. Je reste dans un quartier où il faut vraiment vouloir venir chez moi pour trouver ma maison. J'en fais encore des cauchemars. On calculait mon temps...
Je suis sortie des Forces canadiennes parce qu'on nous dit qu'il faut se soigner et avancer. Une de mes collègues a malheureusement encore des problèmes avec Manuvie. Le 31 décembre, elle s'est défoulée avec moi.
J'ai acheté le café félin Ma langue aux chats, à Québec. C'est ma troisième thérapie. Il y avait déjà quatre chats et nous avons acheté 10 chats de race de plus pour nous distinguer des autres cafés. La chatte que vous venez de voir s'appelle Karine. Cinq de nos chats portent le nom de six de nos amis décédés au combat ou par suicide, dont Karine, en hommage à Karine Blais, morte au combat en Afghanistan.
J'essaie aujourd'hui de me payer une troisième thérapie. Je veux partager mon café et mes chats et offrir de la zoothérapie à mes amis militaires et vétérans, de même qu'aux gens de la société, pour les aider à surmonter leurs problèmes de santé mentale. On n'en parle pas assez et c'est encore trop mal vu. Depuis le mois de juin, je parle de mon vécu au café en disant que c'est un combat de tous les jours.
C'est très exigeant pour moi de vous parler, mais je suis fière de le faire pour faire avancer la cause. Le café est fermé maintenant, malheureusement, mais quand il était ouvert, j'y parlais tous les jours de l'expérience que j'avais vécue. Cela me motivait à me lever chaque matin. Je prends des pilules, mais je ne suis pas une toute croche de la vie.
Aller chercher de l'aide, c'est ce qui est important. Dans l'armée, on n'en a pas. Ils ont beau dire ce qu'ils veulent, il n'y en a pas. Même quand on sort de l'armée, on n'est pas guidé. Je me suis fait dire par l'ombudsman que, quand on sort de l'armée, on ne nous prend plus par la main comme l'armée le fait. Je suis sortie de l'armée avec un post-traumatisme.
Il y a des millions de formulaires à remplir et j'ai besoin d'aide. On n'est pas capable de le faire et on est laissé à soi-même. Si de l'aide existe, on nous envoie d'un endroit à l'autre. Tout le monde se relance la balle, que ce soit ACC, les Forces canadiennes ou Manuvie. Cette compagnie me demande de rembourser 27 000 $ parce que j'ai acheté une entreprise pour améliorer ma santé mentale et celle des gens.
Je vais faire une parenthèse. Il semble que, quand on sort des Forces canadiennes, il faut s'occuper de faire une demande à ACC. Je viens d'apprendre que cela fait un an et quelques mois que j'ai perdu 15 % de mon salaire. On se demande maintenant qui va autoriser ACC à me rembourser mon année de salaire. Dans cette année de salaire, on inclut les 27 000 $ que je dois à Manuvie. ACC m'a dit que si j'avais fait partie du programme de réadaptation, il m'aurait remboursé ces 27 000 $ et on n'aurait pas amputé mon salaire de 15 % pendant un an.
J'étais censée savoir tout cela. On me dit que j'ai pourtant suivi une formation. Effectivement, j'ai suivi une formation au mois de mars et je suis sortie de l'armée en septembre.
Je ne sais pas si vous le savez, mais quand on souffre du trouble de stress post-traumatique, on oublie des choses. On n'est pas tout à fait présent. La dame qui parlait de son conjoint, tantôt, en sait quelque chose. Aujourd'hui, j'ai des notes parce que, même si je sais ce que je veux vous dire, cela ne sort plus. Dans ma maison, c'est le fouillis. Je sais ce que j'ai à faire, mais je ne suis pas capable de l'appliquer.
C'est ce qui arrive aux gens atteints du trouble de stress post-traumatique. Nous avons des idées suicidaires et notre famille essaie de nous comprendre, mais elle n'y arrive pas. Nous sommes méfiants et nous éprouvons une anxiété grave. Moi, je n'ai plus confiance en qui que ce soit. J'essaie de faire confiance aux autres de nouveau, mais j'en suis incapable. Je suis détruite à l'intérieur. On me dit que je dois me battre et avancer. C'est facile à dire, mais ce n'est pas facile à faire.
Je me suis enrôlée dans l'armée en tant que technicienne en approvisionnement. J'ai un baccalauréat en psychologie, en français et en soins infirmiers. Pour moi, un leader, c'est quelqu'un qui essayait d'élever les autres. Je voulais m'enrôler dans l'armée en tant que soldate pour éventuellement devenir officière, parce que je voulais d'abord apprendre la base de l'armée. Cependant, ce que j'ai appris, c'est que l'armée est loin d'être ce qu'on pense. Des leaders, ce n'est pas ce qu'on trouve dans l'armée. Dans l'armée, ce sont des bandes. Si on ne fait pas partie de la bande, on t'écrase et on te tasse dans un coin. C'est cela, la réalité, dans les Forces armées canadiennes.
Les problèmes de santé mentale ne sont pas bien vus. Aller au deuxième étage, ce n'est pas bien vu. C'est cela que les membres des Forces armées canadiennes vivent. On se fait pointer du doigt, on se fait tasser, on se fait regarder de travers et on se fait harceler. On parle beaucoup du harcèlement sexuel dans les Forces, mais on ne parle pas du harcèlement psychologique.
Quand j'ai porté plainte, on m'a donné raison relativement aux six allégations. Tout ce que j'ai reçu des Forces armées canadiennes, c'est une lettre, qui ne m'a même pas été donnée par mon commandant. On me l'a envoyée dans une enveloppe. Elle disait qu'on avait tranché en ma faveur relativement aux six allégations et que je pouvais contester la décision si je n'étais pas contente. Personne ne m'a présenté des excuses de la part des Forces armées canadiennes pour le traitement que j'ai subi. Je n'en ai jamais reçu. On m'a pointée du doigt.
Par la suite, quelqu'un a dit que j'allais me rendre là où les autres ne s'étaient pas rendus. Le harcèlement a donc continué, même après que j'ai eu gagné ma cause. C'est comme cela que ça se passe. Je n'ai donc pas voulu déposer de nouvelles plaintes contre les personnes qui continuaient de me harceler, parce que cela ne donnait rien. On a beau dire qu'on reçoit des programmes mandatés, qu'on est informé et qu'on encourage les membres à porter plainte, ce ne sont que des blablas. On a beau porter plainte, cela ne donne absolument rien.
Quant au 5e Bataillon des services, à Valcartier, malheureusement, ces gens sont les champions du harcèlement. Ils prennent les gens pour des imbéciles et ils détruisent la vie de militaires et de familles. Ce sont des champions à cet égard.
C'est difficile pour moi d'être ici aujourd'hui, mais je suis fière de pouvoir enfin le dire, et j'espère que vous m'aurez bien écoutée.
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Merci, madame la présidente.
J’aimerais tout d’abord remercier nos trois témoins de leurs déclarations et de leurs réponses particulièrement émouvantes.
Je voudrais me présenter brièvement pour vous dire que je suis député depuis un an et qu’auparavant, j’étais maire de la collectivité qui abrite la base de Borden, l’un des plus grands centres d’instruction militaire au Canada. À ce titre, j’ai eu l’occasion de travailler en étroite collaboration avec la base et j’ai constaté, comme beaucoup d’autres habitants de notre collectivité, que certaines des situations qui ont été dénoncées aujourd’hui sont bien réelles.
La police militaire doit parfois intervenir hors de la base. Un grand nombre de soldats ne vivent plus sur la base. Ils se sont intégrés dans notre collectivité, et c’est fantastique. Ils sont entraîneurs de hockey, entraîneurs de soccer ou autres. Très souvent, ils quittent la base pour toutes sortes de raisons. Dans certains cas, malheureusement, il y a des suicides, mais il peut s’agir également de bagarres ou autres. Vous parliez tout à l’heure de toxicomanie, d’alcoolisme, etc. Même moi, en tant que maire, je n’étais pas informé quand il y avait des suicides, à moins que l’hôpital ne me le dise. Nous n'étions pas vraiment au courant dans la collectivité.
La semaine dernière, nous avons eu la journée Bell Cause pour la cause. Il s’agissait essentiellement de discuter des problèmes mentaux dont souffrent les gens. En tant qu’ancien maire, je me demande comment nous pourrions être plus efficaces. Qu’en pensez-vous?
Nous avons la stratégie de prévention du suicide de 2017, avec Anciens Combattants, et je remercie M. Garrison d’avoir posé la question, parce que c’est quelque chose qui m’intéresse beaucoup: où en sommes-nous? Est-ce que la situation s’améliore? Va-t-on atteindre les objectifs? Faut-il que nous trouvions une méthode pour mieux sensibiliser les autorités militaires aux difficultés de leurs soldats? Voilà pour ma première question.
Je vais vous poser la deuxième en même temps, car nous n’avons que cinq minutes. Vous pourrez répondre aux deux.
Ma deuxième question concerne le fait que vous avez dit avoir été souvent obligée d’aller loin pour trouver de l’aide. De chez moi, il faut compter 1 h 30 pour se rendre à Toronto, avec le trafic. Et quand on souffre de troubles mentaux, ce n’est pas une solution satisfaisante. Pensez-vous qu’on devrait faire appel à l’entreprise privée, par exemple, pour assurer une liaison avec la base?
On pourrait investir dans des agences ou des institutions pour aider les soldats immédiatement, et les anciens combattants par ricochet, car un grand nombre d’entre eux continuent de vivre dans notre région. Pensez-vous que ce serait une solution qui pourrait contribuer à sauver des vies et sauver des relations également?
J’ai été prévenu immédiatement. Je me trouvais à Ottawa, tout comme mes parents, et ma belle-soeur était à Petawawa où se trouvait aussi mon frère. Son chef de corps et ma belle-soeur m’ont téléphoné pour me prévenir aussitôt après la découverte de son corps. Cela a été rapide et une équipe a été envoyée pour informer mes parents de ce qui s’était passé. Je me suis précipité chez mes parents pour leur dire ce qu’il était advenu avant que l’équipe n’arrive chez eux. C’est sans aucun doute la chose la plus dure que j’ai jamais eu à faire.
Le lendemain, je me suis rendu à Petawawa pour aider ma belle-soeur. J’ai été accueilli par des représentants du ministère ou des forces armées, qui se sont révélés fantastiques. Ils se sont occupés de la paperasserie, de la bureaucratie, des procédures… C’était difficile. Ce n’était pas comme si quelqu’un nous avait dit de nous asseoir et nous avait donné la liste des choses à faire. Ce n’est que parce que j’étais moi-même militaire, et bureaucrate, et que je savais que la présentation des sites Web et des informations qui s’y trouvent n’est pas toujours très claire que je suis parvenu à trouver ce dont j’avais besoin en m’adressant à un ami pour obtenir un livret d’information sur la question, ce qui m’a permis de guider ma belle-soeur dans ses démarches.
Nous avons été passablement frustrés par la difficulté à savoir où se trouvait son corps. Mon frère était décédé sur la base. C’est la police militaire qui était intervenue. Comme cela était de son ressort, elle aurait dû être en mesure de me répondre, mais personne n’a pu le faire.
Venons-en maintenant aux procédures. La première chose que j’ai demandée, le premier jour, était les formulaires à remplir par ma belle-soeur pour qu’elle et ses enfants continuent à bénéficier du régime d’assurance-maladie. Il a fallu que j’écrive au bureau du ministre pour qu’elle reçoive ces formulaires, plus d’un mois plus tard. Nous n’avons à aucun moment trouvé un interlocuteur en mesure de nous guider dans tout ce processus et de s’assurer que tout était fait comme il se devait. Comprenez-moi bien; c’est le rôle des assistants qui avaient été désignés pour nous aider, mais il s’agissait de collègues de mon frère faisant le même genre de travail que lui. Ce ne sont pas des spécialistes de l’administration. Ils ne savent pas comment se déroule la remise d’un corps. Ils ont simplement un rôle d’intermédiaire. C’est difficile et frustrant. Lorsque j’ai moi-même été libéré des forces armées, pour des raisons médicales, on m’a rapidement montré la porte. Lorsqu’on a su que j’avais un emploi rémunéré, j’étais alors dans la Réserve, on m’a dit, grosso modo, « Oh, vous avez un bon emploi, alors nous vous disons adieu. »
Dans le cas de mon frère, les choses se sont déroulées passablement de la même façon. Il y a eu d’autres complications. À titre d’exemple, il attendait de passer en cour martiale et n’avait donc pas été condamné. Son dossier ne s’était pas rendu jusqu’à la cour. J’ai demandé à ce qu’il puisse être enterré au Cimetière militaire national. On m’a répondu que ce n’était pas possible parce qu’il attendait de passer en cour martiale, mais il n’avait pas été condamné. Une fois encore, j’ai dû me battre pour qu’il y ait accès.
Il n’y a pas vraiment d’interlocuteur, de personne-ressource à qui s’adresser, quelqu’un qui soit en mesure de vous remettre une liste des choses que vous devez faire, vous indiquant qui appeler. Pour telle question, vous devez vous adresser à l’Agence du revenu du Canada, pour telle autre au salon funéraire, pour telle autre encore à Anciens Combattants Canada, au Centre de transition pour la suivante. Vous devez vous adresser à tellement d’organismes différents… Il devrait y avoir au sein de l’administration fédérale un service auquel on pourrait s’adresser, connaissant bien les procédures à suivre. Cela résoudrait bien des difficultés.
Désigner une personne pour vous aider est un pas dans la bonne direction, mais il faudrait en faire plus. Il n’y avait pas de travailleurs sociaux ni de psychologues qui auraient pu venir en aide à ma belle-soeur et à mes neveux. L’aumônier nous a accompagnés dans toutes nos démarches et, lui aussi, a fait preuve d’une extrême sollicitude, comme les assistants mis à notre disposition.
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Comme je vous l'ai expliqué plus tôt, la zoothérapie est vraiment une troisième thérapie que je me suis payée. En 2015, lorsque le harcèlement était à son sommet, un petit chien, un Yorkshire-terrier est entré dans ma vie. C'est lui que je remercie tous les jours de m'avoir sauvé la vie. Mon chien me suit partout. Il me permet d'aller magasiner et de faire quelques sorties.
Ouvrir un café où il y a des chats était une belle occasion. C'est le seul café où il y a un chien parmi 14 chats. La zoothérapie nous a permis d'honorer nos amis qui ont perdu leur combat en se suicidant. Pour moi, il était très important d'offrir une pensée à mes amis ayant perdu leur combat en se suicidant ou en combattant en Afghanistan. Ils n'ont pas su ou pu trouver l'aide nécessaire au moment où ils en avaient besoin et ils ont alors commis l'irréparable.
À mon avis, la zoothérapie devrait faire partie de la vie de tout le monde. Tous les gens devraient avoir dans leur communauté un café où il y a de la zoothérapie. De plus, nous donnons à de jeunes autistes l'occasion de faire des stages en travaillant avec nous. Nous donnons aussi à des vétérans qui sont en transition l'occasion de faire du bénévolat. Par la zoothérapie, nous prônons beaucoup l'absence de jugement. Dans notre café, vous avez le droit de tenir un chat dans vos bras et de pleurer si vous en avez besoin. L'important, c'est d'être vraiment ce que vous êtes et d'arriver à laisser aller vos émotions. C'est ce que nous prônons. Vous pouvez aussi prendre votre café, votre panini, votre soupe ou votre dessert, assis dans un coin.
L'atmosphère que nous avons créée dans notre café ressemble un peu à celle d'un chalet. Il n'y a pas seulement des tables, comme dans un café ordinaire, mais aussi des causeuses, des chaises berceuses et des tables basses assorties de coussins. Quand vous entrez dans notre café, vous enlevez vos chaussures pour vous sentir comme chez vous. Déjà, on vous déstabilise pour que vous soyez encore plus vous-même, en contact avec vous-mêmes. Dans notre café, les horloges indiquent toujours 11 h 11. Pour quelle raison? C'est très important pour nous. Le 11 novembre à 11 heures, nous devons observer une minute de silence pour honorer les gens qui se sont battus pour nous. Dans notre café, vous pouvez donc voir deux horloges qui indiquent toujours 11 h 11.
Il y a aussi une étoile lumineuse. Elle nous rappelle qu'une étoile brille pour nous au ciel. Quelqu'un est là pour nous, que ce soit nos confrères qui ont perdu leur combat ou encore des membres de notre famille. Elle peut aussi représenter simplement la petite lumière dont nous avons besoin pour continuer. C'est ce que nous voulons offrir dans notre café. Les gens aiment le fait que nos chats portent le nom de nos amis. Ils ont une histoire. Ce sont des chats de race, ce qui n'est pas le cas ailleurs. C'est bien de sauver des chats, mais il est difficile de faire correctement de la zoothérapie avec des chats qui viennent d'un refuge. Nous avons sauvé une chatte, qui s'appelle Karine. Karine souffre un peu du trouble de stress post-traumatique. Elle a vécu des choses difficiles et a un côté anxieux. J'aime bien faire le lien entre elle et nous. Nous pouvons nous identifier à elle. Nous pouvons voir en elle ce que nous ressentons nous-mêmes. Quand les gens viennent à notre café, ils peuvent créer un lien entre les chats et leurs émotions.
Nous essayons de procurer un peu plus de paix, de soutien et de liberté aux gens qui viennent à notre café. Nous sommes connus dans plusieurs régions du monde, ce qui nous fait plaisir. Quand c'était permis, nous avons accueilli des gens de l'Australie, du Brésil et de bien d'autres endroits. Les gens venaient au café parce que c'était un concept vraiment hors du commun. Il existe beaucoup de cafés où il y a des chats, mais nous sommes fiers de dire que notre concept, notre mission et ce que nous faisons, c'est vraiment unique. C'est de la zoothérapie.
Par contre, puisque notre café est considéré comme un restaurant, nous n'avons pas le droit d'aller chercher les fonds nécessaires, c'est-à-dire des ressources gouvernementales, que ce soit en ce qui concerne la santé mentale ou autre chose, parce que nous n'avons pas encore créé de fondation ou d'organisme à but non lucratif. C'est un peu frustrant. Puisque notre café est considéré comme un restaurant, nous devons subvenir à nos propres besoins. Mes revenus de pension sont donc investis dans mon café, dans ma thérapie et dans la thérapie de mes clients.