:
Je déclare la réunion ouverte.
Je vous souhaite la bienvenue à la 59e réunion du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international. La réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride.
J'informe le Comité que tous les témoins ont effectué les tests de connexion requis avant la réunion.
J'aimerais rappeler aux participants les consignes suivantes: veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole; tous les commentaires doivent être adressés à la présidence. Je demande aux membres du Comité de lever la main s'ils souhaitent intervenir, qu'ils participent à la réunion en personne ou au moyen de l'application Zoom. Le greffier du Sous-comité et moi ferons de notre mieux pour maintenir l'ordre de parole.
Avant de donner la parole aux témoins, j'aimerais prendre un moment pour attirer l'attention de mes collègues sur les quatre budgets ayant été distribués aux membres du Sous-comité ce matin et autorisant les dépenses pour les études que le Sous-comité a décidé de lancer cet automne.
Premièrement, le ciblage de la société civile au Venezuela; deuxièmement, les modèles de migration forcée dans les différentes régions du monde; troisièmement, la mise en œuvre de l'examen périodique universel du Canada; et quatrièmement, la répression transnationale dans les démocraties en développement.
Si les membres du Sous-comité sont prêts à adopter ces quatre budgets, nous pouvons le faire maintenant. Toutefois, si les membres du Sous-comité souhaitent avoir plus de temps pour étudier les budgets, nous pourrons le faire la semaine prochaine.
Le Sous-comité est-il prêt à adopter les budgets?
Des députés: D'accord.
:
Je déclare les budgets adoptés.
Je vous remercie.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Sous-comité le 24 septembre 2024, nous reprenons notre étude sur les modèles de migration forcée dans les différentes régions du monde.
J'aimerais souhaiter la bienvenue au premier groupe de témoins. Nous accueillons, M. Daniel Di Martino, boursier d'études supérieures du Manhattan Institute, ainsi que M. Emmanuel Rincón, juriste. Tous deux témoignent à titre personnel, par vidéoconférence. D'Oxfam Canada, nous recevons Mme Lauren Ravon, directrice générale, Oxfam-Québec.
Un maximum de cinq minutes vous sera accordé pour vos allocutions, après quoi nous procéderons à une série de questions.
Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Di Martino, monsieur Rincón et madame Ravon. Je vous invite à faire votre déclaration d'ouverture. Vous disposez de cinq minutes chacun.
Madame Ravon, vous avez la parole.
:
Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Je vous remercie de m'avoir invitée aujourd'hui à parler d'un sujet auquel je réfléchis chaque jour.
Je m'appelle Lauren Ravon. Je suis directrice générale d'Oxfam Canada.
Tous les jours, partout dans le monde, des familles sont contraintes de quitter leur foyer à la recherche d'un endroit sûr et d'une vie meilleure. Ces gens risquent tout pour échapper aux conflits, aux catastrophes naturelles, à la violence ou à la faim, n'emportant souvent avec eux que les vêtements qu'ils ont sur le dos. Depuis 10 ans que je travaille pour Oxfam, j'ai constaté une augmentation considérable des déplacements forcés.
Le mois dernier, je suis allée en Somalie, où j'ai rencontré des familles ayant fui leurs terres et qui vivent désormais dans des tentes de fortune à la périphérie de villages. Leurs conditions de vie sont extrêmement précaires, mais ces gens savent qu'ils ne pourront jamais retourner sur leurs terres. Au terme de quatre années de sécheresses intenses, ces terres sont devenues inhabitables.
Je me suis également rendue à la frontière entre le Soudan et le Soudan du Sud. Sur la route principale qui relie les deux pays, j'ai vu des centaines de personnes à l'heure traverser la frontière sous un soleil de plomb. Presque toutes ces personnes étaient des mères et des grands-mères avec leurs enfants. Beaucoup avaient déjà été déplacées par deux fois. Elles avaient d'abord cherché refuge au Soudan lorsque la guerre civile a éclaté dans leur pays, puis elles sont revenues lorsque la violence a éclaté à Khartoum, sachant très bien que la situation ne garantissait par leur retour en toute sécurité, mais sans autre alternative.
La migration forcée n'est pas un phénomène nouveau, mais, dans les dernières années, il s'est considérablement amplifié. Le nombre de personnes déplacées de force dans le monde est effarant: 120 millions. Les raisons de cette augmentation sont complexes et multiples. Que ce soit en raison de la dévastation causée par les conflits violents, des persécutions ou de l'aggravation des effets des changements climatiques, partout dans le monde, les populations chassées de leur foyer sont de plus en plus nombreuses.
Au Soudan, plus de 10 millions de personnes ont été déplacées depuis le début du conflit. C'est la pire crise mondiale de déplacements internes. En RDC, 6,8 millions de personnes sont déplacées à l'intérieur du pays. Il y en a 2,9 millions au Myanmar. Environ 1,9 million de Palestiniens ont été déplacés dans la bande de Gaza, et beaucoup d'entre eux ont dû fuir à plusieurs reprises. Dans toutes ces circonstances, la cause du déplacement est un conflit. Ceux qui en paient le prix sont les civils.
Les Syriens représentent près d'un réfugié sur cinq dans le monde, avec 6,5 millions de personnes accueillies dans 131 pays. Plus de 7,7 millions de Vénézuéliens ont quitté leur pays depuis 10 ans. C'est l'exode le plus important de l'histoire récente de l'Amérique latine et l'une des plus importantes crises de déplacement au monde.
En Amérique centrale et en Amérique du Sud, le crime organisé, les difficultés économiques et la corruption politique font en sorte que d'innombrables personnes sans alternative entreprennent un dangereux voyage vers le nord. Pendant ce temps, dans certaines régions de l'Afrique subsaharienne, les sécheresses, les inondations et d'autres catastrophes environnementales anéantissent tous les moyens de subsistance et provoquent les déplacements à grande échelle de collectivités en quête de sécurité et de subsistance. En Asie du Sud, les inondations de 2022 au Pakistan ont entraîné le déplacement de huit millions de personnes.
Oxfam, qui travaille depuis longtemps dans le domaine de l'aide humanitaire, est à l'avant-garde de la lutte contre la migration forcée. Nos programmes permettent de répondre aux besoins fondamentaux des personnes déplacées, comme l'accès à de l'eau potable, à de la nourriture et à de l'hébergement et la possibilité de vivre en sécurité. Nous nous attaquons aux causes sous-jacentes de la migration forcée en réduisant la pauvreté, les conflits et les inégalités. Cela témoigne de la nécessité de trouver des solutions à long terme au‑delà des mesures humanitaires immédiates.
La migration forcée est un problème mondial qui exige une réponse mondiale. Le Canada joue un rôle de premier plan dans l'accueil des réfugiés. Son engagement à fournir un refuge sûr aux personnes dans le besoin est une source de fierté nationale, mais nous pouvons faire plus collectivement. J'aimerais proposer quatre recommandations au gouvernement du Canada.
Premièrement, le Canada devrait augmenter son aide humanitaire. Il faudrait élargir notre soutien aux pays aux prises avec d'importantes crises de déplacement interne, ainsi qu'aux pays qui accueillent eux-mêmes un grand nombre de réfugiés, en fournissant des ressources financières et une assistance technique pour les aider à répondre aux besoins de ces populations.
Deuxièmement, le Canada devrait prendre acte et tenir compte du fait que les changements climatiques sont un facteur de déplacement de populations. Les changements climatiques forcent de plus en plus les gens à quitter leur foyer, et le Canada devrait préconiser une action mondiale en matière de migration climatique et appuyer des politiques garantissant la protection des réfugiés climatiques.
Troisièmement, le Canada devrait promouvoir la coopération internationale et collaborer avec ses partenaires de l'étranger pour améliorer le processus de réinstallation, améliorer les voies légales de migration et veiller à ce que les droits de toutes les personnes déplacées soient respectés.
Enfin, la seule façon d'endiguer la vague de migrations forcées est de promouvoir le développement durable. En investissant dans des programmes de développement à long terme dans des régions sujettes à la migration forcée, on peut s'attaquer à certaines des causes profondes et réduire ainsi la nécessité de fuir.
La migration forcée n'est pas seulement une crise humanitaire. Elle éprouve notre humanité collective.
Je vous remercie de m'avoir invitée.
:
Je vous remercie de me permettre de témoigner sur cette question très importante.
Je viens du Venezuela, le pays qui a produit le plus grand nombre de réfugiés et de personnes déplacées au monde, soit neuf millions aujourd'hui. C'est un fait troublant, parce que le Venezuela était auparavant au quatrième rang des pays les plus riches et qu'il a accueilli des millions d'immigrants dans la seconde moitié du XXe siècle, dont mes quatre grands-parents.
C'était le premier exportateur de pétrole au monde, et le voilà qui est maintenant le premier exportateur de gens au monde. C'est le pays où l'on trouve les plus grandes réserves de pétrole de la planète, mais il n'y a pas d'essence. J'ai dû faire la queue pendant des heures pour me procurer de la nourriture, des médicaments et d'autres produits de première nécessité, puisque c'est le gouvernement qui dit quand je peux aller à l'épicerie et ce que je peux y acheter. L'inflation a détruit le revenu de ma famille et nous a rendus extrêmement pauvres. Il manquait souvent d'électricité et d'eau chez moi, et mon enfance a été marquée par la peur du vol, de l'enlèvement et du meurtre dans un contexte de criminalité croissante.
Contrairement à d'autres crises de réfugiés, celle du Venezuela n'a pas été causée par une invasion étrangère, un conflit ethnique ou religieux, ou une catastrophe naturelle. Ce qui a été la plus grande crise de réfugiés au monde a été causée par le socialisme. Les politiques socialistes d'un gouvernement d'abord élu démocratiquement, comme la nationalisation des entreprises, le contrôle des prix et des devises, et les dépenses et les déficits illimités de l'État, ont transformé mon beau pays en un endroit affreux et dangereux. C'est pour cela que les Vénézuéliens fuient.
Il n'y a pas que les Vénézuéliens, il y a aussi les Cubains, les Nicaraguayens, les Érythréens et les Nord-Coréens. Des millions d'autres personnes, aujourd'hui et dans le passé, sont mortes, ont souffert et ont fui le socialisme. Et pas seulement le socialisme. L'augmentation du nombre de réfugiés s'explique par la fuite devant des régimes autoritaires aux idéologies multiples et leurs actions. Pensez à la Syrie, à la Russie et à la Chine. La question est maintenant de savoir ce qu'il faut faire.
J'aimerais proposer deux séries de mesures.
La première consiste à s'attaquer aux causes de la crise des réfugiés, et cela veut dire prendre position contre le mal. Cessez de laisser des régimes autoritaires profiter de vous et s'enrichir. Par exemple, le Canada continue de commercer avec le régime cubain et de l'enrichir en espérant que ce soit la meilleure façon d'agir avec la dictature la plus ancienne et la plus condamnable de la région. Au lieu d'entretenir des relations normales avec Cuba, il vaudrait mieux, du point de vue stratégique et éthique, prendre position contre le mal et soutenir le peuple cubain — et non le régime — en contribuant, par exemple, à fournir gratuitement l'Internet par satellite sur l'île et en finançant la résistance démocratique.
Cela revient à une question toute simple: si vous appreniez que votre voisin a été kidnappé dans sa maison, que feriez-vous? Appelleriez-vous la police? Essaieriez-vous de le sauver s'il n'y avait pas de police? C'est la situation qui afflige plus d'un milliard de personnes dans le monde. Elles sont kidnappées par des tyrans, et c'est notre devoir moral de les aider.
La promotion de la liberté à l'étranger est d'autant plus importante qu'on ne peut tout simplement pas accueillir tous les réfugiés du monde et qu'ils préfèrent rester dans leur pays d'origine, en toute liberté, plutôt que de venir au Canada.
Deuxièmement, vous devez avoir une politique rationnelle et efficace en matière d'asile, pour choisir le nombre et le type de réfugiés appropriés et pour aider ces réfugiés à réussir. Mes recherches à l'institut de Manhattan sur l'assimilation des immigrants et ses répercussions financières aux États-Unis ont permis de tirer des conclusions qui sont applicables au Canada.
Premièrement, les immigrants qui sont le plus susceptibles de réussir sur le plan économique sont ceux qui parlent la langue du pays d'adoption et qui sont plus instruits, ainsi que les enfants et les jeunes adultes. Ce sont aussi les immigrants qui ont tendance à payer plus d'impôts qu'ils reçoivent de prestations gouvernementales. En choisissant des réfugiés plus jeunes, parlant l'anglais ou le français, et plus instruits, on peut en accueillir un plus grand nombre sans rien débourser.
Le Canada a un programme de parrainage de réfugiés qui fonctionne bien et qui est géré par le secteur privé, mais l'explosion récente du nombre de demandes d'asile et de parrainage de réfugiés financé par le gouvernement menace le modèle d'immigration canadien que l'on admire depuis longtemps. Un nombre extrêmement élevé d'immigrants moins sélectionnés exerce une pression sur les ressources publiques et sur le logement, ce dont les Canadiens sont désormais conscients et dont ils se plaignent.
Le Canada a déjà pris une bonne mesure pour corriger la situation en imposant de nouveau un visa aux Mexicains, mais vous pourriez continuer en limitant le parrainage de réfugiés financé par le gouvernement et en comptant davantage sur le parrainage privé.
Distingués membres du Sous-comité, j'ai rencontré d'innombrables réfugiés, surtout dans le cadre de mon rôle de fondateur du Dissident Project, l'organisation que j'ai créée pour envoyer des immigrants de pays dirigés par des tyrans parler dans des écoles secondaires américaines et raconter leur histoire. Les réfugiés sont, à mon avis, un atout pour la démocratie. Les témoignages des milliers de personnes qui ont fui la tyrannie peuvent servir à sensibiliser les jeunes Canadiens au privilège de vivre dans un pays libre. La meilleure chose que vous puissiez faire pour les réfugiés est d'honorer la promesse de liberté au Canada, pour vous et pour le monde, et de ne pas laisser votre pays se transformer en un autre endroit qu'il faudrait fuir, comme ce fut le cas pour le mien.
Merci.
:
Merci, monsieur le président.
Merci aux témoins. Nous sommes heureux de vous revoir, madame Ravon.
J'ai vu un rapport de l'ONU il y a quelques jours. On y explique que, dans les guerres sans discrimination comme celles dont nous sommes témoins en ce moment, 40 % des personnes tuées sont des femmes.
Est‑ce une observation habituelle? En tout cas, c'est une nouvelle tendance. Je crois que le rapport indique que le nombre de femmes qui meurent dans le monde en raison d'une guerre sans discrimination a doublé en l'espace d'un an.
À votre avis, quelles en seront les ramifications et comment régler ce problème?
:
Merci de la question. C'est effectivement ce que nous observons.
Le fait que des guerres se livrent de plus en plus dans des zones urbaines densément peuplées, avec un impact énorme sur les civils, est carrément un manque de respect pour le droit humanitaire international. Cela veut dire que les civils sont plus nombreux parmi les victimes. Ce ne sont pas seulement les femmes. Ce sont les civils en général, mais les femmes et leurs enfants sont en effet les victimes les plus nombreuses.
On en parle moins, mais il y a quelque chose de tout aussi inquiétant: beaucoup plus de femmes que d'hommes meurent dans des catastrophes humanitaires et naturelles. Je ne crois pas que ce fait soit bien connu. À mesure que les catastrophes humanitaires découlant de catastrophes naturelles causées par les changements climatiques vont augmenter, les femmes, notamment, seront de plus en plus nombreuses à mourir. La raison en est qu'elles sont souvent moins mobiles que les hommes. Ce sont elles, par exemple, qui sont le moins susceptibles de quitter la maison. Elles sont les premières à prendre soin de leur père âgé ou de leurs enfants, et elles n'arrivent pas à se mettre en sécurité à temps. À mesure que le nombre d'inondations, d'ouragans et de tempêtes violentes augmente, de plus en plus de femmes meurent.
Ce que nous souhaitons vraiment, c'est qu'on investisse davantage dans la capacité des femmes à préparer les collectivités aux pires scénarios pour qu'elles participent effectivement. Nous constatons que, quand les femmes ne se préparent pas au pire, c'est à elles que le pire arrive en premier. Comme elles ne participent pas aux plans nationaux de préparation aux catastrophes, les décisions sont prises en fonction de la capacité des hommes à fuir ou à se préparer, et non de celle des femmes.
Ce sont les femmes qui sont le plus durement touchées par les conflits et les catastrophes naturelles.
:
Il va de soi que, quand les gens ont de bonnes conditions de vie, sont moins exposés aux catastrophes naturelles et ont accès à des emplois, ils veulent rester dans leur pays. La plupart des gens n'ont pas envie de quitter leur maison. Ils n'ont pas envie de partir, mais on voit bien que, avec la multiplication des conflits et des catastrophes climatiques, une grande partie de l'aide internationale est consacrée à l'intervention humanitaire.
Ce qui préoccupe Oxfam et ce que nous constatons nous-mêmes, c'est que le financement des mesures de développement est au plus bas. Nous passons d'une situation d'urgence à l'autre, mettant un pansement ici et nous précipitant ailleurs. Au final, les programmes d'investissement dans la création d'emplois, la formation technique et professionnelle, l'autonomisation des femmes, l'agriculture adaptée au climat — tout cela — ne sont plus financés, parce que nous passons notre temps à courir pour transporter de l'eau par camion, offrir de l'aide alimentaire d'urgence et distribuer de l'argent. Nous n'investissons pas dans ce qui assure la sécurité, la santé et la stabilité des gens.
Je suis inquiète des tendances que je constate. Premièrement, la solidarité mondiale avec les pays touchés par des catastrophes est soumise à rude épreuve. Les budgets de développement n'augmentent plus partout dans le monde, loin de là, mais, en plus, le nombre des urgences est tel que l'argent va surtout aux causes humanitaires. Et nous en avons effectivement besoin, mais, si on ne fait pas les deux en même temps, on ne fait que tourner en rond.
On parle depuis longtemps — et je crois que j'en ai déjà parlé à beaucoup d'entre vous — de la nécessité de financer à la fois le développement et la paix. Cela veut dire qu'il faut faire des liens et, quand on va dans une collectivité touchée par une urgence, non pas seulement transporter de l'eau par camion pour aujourd'hui, mais aussi construire, par exemple, des usines de dessalement à panneaux solaires pour que cette collectivité ait accès à de l'eau à long terme. Cela veut dire aussi qu'il faut cesser de considérer les mesures d'autonomisation des femmes comme des activités non vitales et qui, par conséquent, n'ont pas lieu d'être financées dans le cadre des programmes humanitaires, comme c'est le cas actuellement.
Les définitions associées aux programmes humanitaires sont très étroites, de sorte que le travail lié à l'égalité des sexes ou à l'autonomisation des femmes n'y entre pas et ne peut donc pas être financé. Si on élimine ces barrières strictes entre ce qu'on considère comme de l'intervention humanitaire, du développement à long terme et, ensuite, des mesures de consolidation de la paix, on pourrait intégrer plus harmonieusement le travail que nous faisons.
Pour vous donner un exemple dont je vous ai peut-être déjà parlé, Oxfam a soutenu un programme vraiment intéressant financé par le gouvernement du Canada, à savoir un programme de promotion de la représentation et du leadership des femmes au Pakistan. L'objectif en était de consolider la capacité des groupes locaux de femmes à faire progresser leurs collectivités, que ce soit par le biais du développement économique, de la justice ou de la participation politique des femmes. Quand les inondations ont frappé le Pakistan, beaucoup des organisations avec lesquelles nous travaillions nous ont dit qu'elles voulaient participer à l'intervention humanitaire, mais nous n'avons pas pu utiliser les fonds des programmes destinés à ces organisations pour leur permettre de prendre des mesures humanitaires. Les définitions sont tellement strictes qu'il aurait fallu renégocier complètement notre programmation. La raison en est le mode de financement du développement généralement établi et sa délimitation claire, de sorte qu'on ne peut pas passer d'un programme à l'autre.
En fait, nous recommandons deux choses à Affaires mondiales Canada: d'abord un financement accru du développement et de l'aide humanitaire, et ensuite, ce que nous appelons des « modificateurs de crise ». À la base, quand on élabore un projet, on sait d'emblée que quelque chose va probablement mal tourner, et on l'anticipe. Dans un pays sujet aux inondations, par exemple, il doit y avoir, dans un programme de développement, des modificateurs de crise qui prévoient que, si les inondations frappent la région où se déroulent les programmes, il faudra se tourner vers ce genre de mesures plutôt que de devoir tout reprendre à zéro.
:
Merci beaucoup de nous avoir fait part de votre point de vue.
Monsieur Di Martino, j'aimerais parler un peu de ce que votre collègue d'Oxfam a soulevé. Elle a dit que, dans votre patrie, 1,7 million de Vénézuéliens sont déplacés à l'intérieur du pays et que la criminalité et la corruption, dans l'ensemble des Amériques, entretiennent une crise des réfugiés. J'aimerais consacrer un peu de temps, monsieur, au genre d'acteurs qui alimentent cette crise des réfugiés.
Vous nous avez un peu parlé de l'expérience socialiste ratée au Venezuela. J'aimerais savoir comment, dans les relations de pays comme le Canada avec le Venezuela, Cuba et d'autres régimes autoritaires des Amériques, on pourrait le mieux défendre les principes de la liberté, de la démocratie, des droits de la personne et de la primauté du droit pour limiter la crise des réfugiés au lieu de l'exacerber?
:
En général, on croit à tort que des pays comme Cuba ou le Venezuela ont été appauvris par les sanctions, alors que, en réalité, ces économies ont été ruinées par leurs propres gouvernements. Le meilleur exemple en est ce qui s'est passé au Venezuela. Quand l'ensemble du monde occidental a sanctionné le Venezuela et son gouvernement, celui‑ci a été contraint de dollariser l'économie — et la majorité de la population utilise maintenant des dollars américains ou des pesos colombiens —, et l'inflation a chuté. Elle n'a pas augmenté en raison des sanctions internationales.
Les sanctions devraient viser à déloger un gouvernement ou à limiter sa capacité à causer du tort. Quelle est cette capacité? Il se sert de devises étrangères pour acheter des armes qui serviront à la répression sociale. Il utilise la monnaie internationale, le commerce avec la Chine et les liens avec d'autres régimes autoritaires pour financer des organisations terroristes. Le Hezbollah entretient des liens avec le gouvernement vénézuélien, tout comme avec le gouvernement cubain. Des groupes de guérilla de la Colombie et du Venezuela sont financés par le régime vénézuélien. Ces groupes terroristes, ces groupes de guérilla, déclenchent d'autres mouvements de réfugiés d'autres pays.
Vous voulez priver ces gouvernements de financement pour qu'ils cessent de faire du mal. Comprenez qu'il ne s'agit pas de gouvernements, mais d'organisations criminelles qui occupent un territoire.
Pour aider la population, c'est différent. Par exemple, dans le cas du peuple vénézuélien, le Canada a fait beaucoup pour permettre à des Canadiens de parrainer des Vénézuéliens pour faciliter leur entrée au Canada comme réfugiés, comme d'autres pays l'ont fait aussi. On peut aussi aider la population intérieure grâce à l'aide humanitaire, dont certains ont déjà parlé. Je pense que le meilleur moyen est de faciliter les transactions internationales.
Comment permettre aux Vénézuéliens d'avoir accès au dollar américain plutôt qu'à la monnaie nationale pour échapper à l'inflation? Comment donner accès à Internet et à l'information pour que les dirigeants démocratiques du pays puissent apporter des changements?
C'est le genre de réflexion qu'il convient de poursuivre.
:
Le plus gros problème, c'est que le Canada continue de faire du commerce avec Cuba et que les Canadiens continuent de visiter Cuba comme s'il s'agissait d'un pays normal, en pensant que cela va stimuler son économie. Je parle plus particulièrement de Cuba parce que les sanctions et les relations du Canada à l'endroit de Cuba sont très différentes de celles qui ont cours à l'endroit du Venezuela. Le Canada a adopté une position ferme en faveur de la liberté au Venezuela, mais pas à Cuba.
C'est important, parce que ce sont les espions cubains et l'appui du régime cubain qui maintiennent le régime vénézuélien au pouvoir. C'est la même organisation transnationale. Les Cubains reçoivent du pétrole, et les Vénézuéliens reçoivent des espions cubains. C'est connu et reconnu.
C'est important, parce que beaucoup de gens croient, par exemple, que les touristes canadiens à Cuba vont aider le peuple cubain alors que, en réalité, le gouvernement cubain garde tous les profits et paie un salaire misérable d'un dollar par jour aux travailleurs cubains de ces hôtels. Vous ne stimulez pas l'économie de Cuba. Vous alimentez le régime, et c'est parfaitement contraire à l'éthique. Cela va au‑delà de l'économie, c'est une question d'éthique.
:
En ce moment même, des millions de personnes quittent leur pays d'origine, leur maison et leur famille, en quête de liberté, d'emploi, de justice et, surtout, de la possibilité d'avoir une vie.
On nous dit que la seule raison pour laquelle ces gens partent, c'est l'absence d'avenir — et c'est vrai. Mais on ne nous parle pas, du moins, pas comme il le faudrait, des causes de cette situation.
Je viens du Venezuela, un pays qui a déjà été l'un des plus riches au monde. En fait, au siècle dernier, nous étions parmi les cinq premiers pays au PIB par habitant le plus élevé, bien plus élevé qu'au Canada, et nous sommes aujourd'hui l'une des économies les plus lamentables au monde. Plus de 80 % de notre population vit dans la pauvreté. Le salaire minimum est de 3,50 $ par mois. Cela veut dire qu'il y a des enseignants, des médecins et d'autres professionnels qui gagnent moins de 50 $ par an, et tout cela était censé être le moyen d'atteindre l'équité grâce au socialisme.
Si on veut parler des causes de la migration de masse et des réfugiés, il faut parler des systèmes politiques qui sont à l'origine de l'effondrement de divers pays partout dans le monde. Selon l'Organisation des États américains, d'après les données des Nations unies, le Venezuela est actuellement le pays qui compte le plus grand nombre de réfugiés dans le monde. Il y a plus de gens qui fuient le pays qu'en Ukraine, en Syrie et même en Afghanistan, des pays qui sont actuellement aux prises avec des invasions et des guerres civiles.
Cela veut dire que de plus en plus de gens quittent en ce moment un pays qui était l'un des pays les plus prospères au monde, et ce, à cause d'un système socialiste qui donne tous les pouvoirs à l'État, censément pour le bien-être du peuple, et qui s'est transformé en dictature. Ce n'est pas la première fois que cela se produit dans l'Histoire.
Le Venezuela compte actuellement huit millions d'habitants en dehors de son territoire. Cela représente plus de 25 % de notre population. Nous pourrions peupler deux fois un pays comme l'Uruguay avec ce nombre. Que faire maintenant? Il faut bien sûr éliminer toutes les guerres dans le monde et aussi lutter contre tous les régimes totalitaires qui font éclater nos sociétés.
La semaine dernière, le régime Maduro a tué un chef de l'opposition, Edwin Santos. Celui‑ci était père de deux enfants. Le régime totalitaire l'a tué uniquement parce qu'il était l'un de ceux qui ont veillé à ce que tous les bulletins de vote soient dûment comptés aux dernières élections du Venezuela. Aujourd'hui, sa femme est seule avec deux enfants dans un pays où il n'y a pas d'avenir, pas d'emploi, pas de salaires convenables et pas de primauté du droit. Dans un environnement comme celui‑là, comment s'attendre à ce que les gens n'essaient pas de prendre la fuite?
Si on veut vraiment lutter contre la migration de masse, contre l'accumulation de millions de réfugiés vulnérables, il faut lutter contre les causes profondes de cette crise, du moins dans notre hémisphère. On parle actuellement du Venezuela, mais on peut dire la même chose de Cuba ou du Nicaragua.
Le 28 juillet dernier, des millions de personnes ont voté pour un changement au Venezuela, malgré les violations et les abus de pouvoir. Des millions de personnes ont dit qu'elles voulaient un Venezuela libre, un système démocratique. Nous avons prouvé au monde que nous avons gagné. Nous avons présenté les bulletins de vote qui prouvent qu'Edmundo González a remporté l'élection présidentielle. Et pourtant, de nombreux pays refusent actuellement d'accepter et de reconnaître González comme président élu. Entre autres, le Canada.
Je prie ce pays souverain, immense et respecté, s'il veut vraiment lutter contre la dictature, les migrations massives et la souffrance de millions de personnes dans le monde, de reconnaître González comme notre président, et, non seulement de le reconnaître, mais aussi de diriger une coalition de pays pour s'assurer que le vote du peuple vénézuélien est respecté.
Si vous optez pour la neutralité dans une situation d'injustice, vous choisissez de facto le camp de l'oppresseur. Si vous regardez votre voisin torturer ses enfants, tuer sa famille et que vous ne faites rien, vous êtes complice du crime. Pardonnez-moi, je vous en prie. Je ne veux pas avoir l'air de manquer de respect, mais, si cette réunion doit aboutir à quelque chose, il faut vraiment songer à agir, pas seulement faire semblant. Nous pouvons vraiment changer le monde.
Le Canada, les États-Unis et l'Union européenne peuvent vraiment faire quelque chose pour changer la vie de millions de personnes partout dans le monde. La seule chose dont nous ayons besoin est d'avoir la volonté politique de le faire. Si les pays développés veulent vraiment aider les peuples des pays du tiers monde à avoir la possibilité de mieux vivre, la réponse n'est pas de tous les accueillir. La vraie solution, c'est de lutter pour protéger la liberté et la démocratie dans ces pays et de veiller ainsi à ce que les gens n'aient jamais à quitter leur patrie.
Je sais que ce n'est pas facile et que tous les pays ne sont pas dans la même situation, mais, dans le cas du Venezuela...
:
Merci beaucoup de la question.
[Traduction]
Les déplacements de populations sont attribuables à un certain nombre de causes. Le dirigeant politique au pouvoir, autoritaire ou non, en est une, mais c'en est une parmi beaucoup d'autres. Pour nous, il y a une sorte de triangle composé de la pauvreté, de la stabilité du processus démocratique et des catastrophes climatiques. C'est ce que nous constatons, et les conflits s'ajoutent à cela.
On ne peut pas réduire le phénomène à une seule cause, mais on sait que les pays qui offrent stabilité politique, stabilité économique, filet de sécurité sociale, possibilités d'emploi et sentiment de sécurité créent les conditions pour que les habitants y restent. C'est pour cela que les gens restent chez eux et ne fuient pas. Tout n'est pas causé par les dirigeants politiques du jour, mais une société démocratique où les gens ont leur mot à dire sur les décisions et sur les dépenses publiques, notamment en matière de services publics, fait une énorme différence.
C'est pourquoi nous préconisons d'investir dans les services publics. C'est évidemment beaucoup plus facile à faire dans un régime démocratique, mais je ne dirais pas que tout est politique. Aujourd'hui, les catastrophes climatiques peuvent frapper n'importe où. Nous le sommes au Canada. Il y a des feux de forêt, de la fumée polluante et des inondations au Québec, où j'habite. Nous vivons en démocratie et nous sommes quand même frappés par des crises climatiques qui finiront par provoquer des déplacements dans notre propre pays.
Il faut comprendre que les causes de la crise migratoire sont complexes, mais la seule façon d'y répondre est d'investir dans le développement durable. Et, dans certains contextes, cela veut dire investir dans une agriculture adaptée au climat. Dans d'autres contextes, ce sont les codes du bâtiment qui permettent de résister aux catastrophes naturelles, et, dans d'autres encore, c'est la formation professionnelle des jeunes, quand la proportion de jeunes est énorme et qu'il n'y a pas suffisamment de possibilités d'emploi. Et, quels que soient les contextes, il faut investir dans l'égalité des sexes. On sait que les pays où l'égalité entre les sexes est plus grande sont également plus stables et moins susceptibles de contribuer aux crises mondiales de déplacement.
C'est une réponse compliquée, mais c'est un problème compliqué. Si on veut s'y atteler, on doit examiner l'interaction entre le développement démocratique, le développement durable, l'aide humanitaire — au besoin — et la consolidation de la paix.
Une dernière chose au sujet de la consolidation de la paix: nous entendons très peu de voix de femmes dans les activités de consolidation de la paix. Si les femmes ne participent pas à ces processus, elles seront moins susceptibles de tenir le coup à long terme, et cela contribuera à alimenter le cycle des crises, des guerres et des déplacements.
:
Le monde a certainement besoin de dirigeants démocratiquement élus prêts à s'exprimer sur les questions de droits de la personne et de sécurité mondiale. Il en faut plus. Peu de voix se font entendre.
Je ne dirais pas que le Canada n'est pas suffisamment à l'avant-garde. Je dirais qu'on n'entend pas tant de dirigeants que cela sur la scène mondiale qui fassent effectivement avancer les droits de la personne et le droit humanitaire international. Peu de voix se font entendre.
On se méfie des systèmes multilatéraux. On se méfie de plus en plus des processus de l'ONU. On a besoin que plus de voix se fassent entendre sur ces questions. Il manque de discours sur les principes fondamentaux concernant l'égalité entre les sexes, les droits de la personne et les droits des réfugiés. Il est vraiment essentiel de ne pas diaboliser les gens en fuite, mais plutôt de les défendre.
Le Canada pourrait effectivement faire mieux entendre sa voix. Actuellement, dans les pays du G7 et du G20, peu de dirigeants défendent vraiment les principes auxquels, à mon avis, la plupart des Canadiens tiennent et dans lesquels ils croient. Nous nous considérons comme un pays issu de diverses vagues de migration et comme un pays accueillant. C'est l'image que nous projetons à une époque où la xénophobie est en hausse et où des tendances populistes alimentent la peur des gens qui se présentent à nos frontières. Cela fait beaucoup de tort.
Oui, le Canada a une place à prendre, tout à fait.
:
Tout d'abord, je tiens à remercier tous les témoins de leurs témoignages.
Tout à fait, madame Ravon, merci pour le travail que fait Oxfam et merci à tous les gens qui y travaillent pour le travail humanitaire qu'ils font chaque jour pour sauver des vies. J'en suis vraiment reconnaissant.
Je vais poursuivre dans la même veine que M. Brunelle‑Duceppe. Il a parlé du rôle important que le Canada a joué en matière de stabilité, de sécurité, de droits de la personne et de consolidation de la paix. Pensons à Lester B. Pearson. Il a remporté le prix Nobel de la paix.
En fait, un groupe de Peace Train Canada part de la côte Ouest pour venir à Ottawa en novembre. Il réclame la restauration d'un Centre Pearson pour le maintien de la paix — pour qu'il rouvre ses portes. Ce centre a joué un rôle important dans le renforcement des capacités et la tenue de conversations. Des gens d'aussi loin que Bamfield et Port Alberni, dans ma collectivité, viennent. Leur vision est la suivante:
Que le Canada devienne une puissance indépendante, intermédiaire [de nouveau] qui s'investit dans [...] la promotion d'une culture de la paix et la résistance à la culture de la guerre...
Ils citent quelques faits:
reconnaître la participation historique et actuelle du Canada à l'injustice, au colonialisme et aux structures de pouvoir asymétriques, ici et à l'étranger, et travailler à une véritable réconciliation;
cerner les causes sous-jacentes de [conflits humains et] conflits violents;
assurer le respect de la Déclaration des droits de l'homme des Nations unies: les principes de justice, d'égalité, de liberté, de sécurité et de bien-être pour tous, comme cruciaux pour prévenir les conflits violents et les guerres;
élargir le rôle du Canada dans les activités de maintien de la paix des Nations unies...
accorder la priorité à un débat public et parlementaire ouvert et éclairé...
Ils demandent au gouvernement:
... de mettre sur pied et de financer un centre d'excellence pour la paix et la justice dont les activités seront axées sur la recherche, la sensibilisation et la formation dans le domaine de la résolution des conflits, de même que la diplomatie et les opérations de paix pour les civils, les policiers et les militaires canadiens et la communauté internationale.
Pensez-vous qu'il serait important que nous nous penchions là‑dessus?
Je ne suis pas au courant de cette initiative précise, alors je n'en parlerai pas.
Je pense que ce qui est important pour le Canada, c'est de mieux faire le lien entre les différentes façons que nous agissons dans le monde et la manière dont nous nous présentons — la façon dont nous faisons du commerce et de la diplomatie, l'aide humanitaire, le travail de développement et la défense. En ce moment, on se sent très déconnectés. Reliez les points. Nous savons que nous sommes plus en sécurité si la communauté mondiale est en meilleure santé. Notre diplomatie peut faire avancer une partie de ce travail. Il ne s'agit pas seulement de le faire par le biais d'une aide financière ou d'une aide humanitaire.
Ce que je veux, c'est que le Canada soit plus cohérent sur le plan du commerce, de la diplomatie, du développement et de l'aide humanitaire.
:
On peut faire beaucoup plus. Oxfam est préoccupée par la façon dont l'aide humanitaire est acheminée.
Comme je l'ai déjà mentionné, tout ce qui a trait à la promotion des droits des femmes et de l'égalité des sexes — comme des programmes précis axés sur les femmes dans le cadre d'une intervention humanitaire — n'est généralement pas considéré comme admissible à un financement, parce qu'il n'est pas perçu comme sauvant des vies. Nous devons soit élargir notre définition ou notre compréhension de l'aide humanitaire, soit adopter une approche conjointe, c'est‑à‑dire mettre en place des programmes favorisant l'autonomisation et l'égalité des femmes ainsi que des initiatives humanitaires. À l'heure actuelle, les interventions humanitaires sont très étroitement axées sur la protection, mais cela ne permet pas de bâtir une société plus égalitaire après l'intervention humanitaire. Élargissez cela.
À Oxfam, nous travaillons sur le genre et les situations d'urgence. Cela peut permettre aux femmes de participer aux comités locaux qui déterminent comment l'aide sera dépensée. Il peut s'agir d'une formation professionnelle permettant aux femmes de participer à des initiatives liées à l'eau ou d'apprendre comment entretenir des puits après qu'une organisation internationale comme Oxfam les a construits afin qu'elles puissent participer à l'entretien à long terme. Tout cela est tellement déconnecté, à l'heure actuelle, de la façon dont nous finançons le travail humanitaire, et nous n'obtenons pas tous les résultats que nous pourrions obtenir. Le Canada est un généreux donateur en matière d'aide humanitaire. Cependant, en divorçant les deux, nous courons après notre queue. Nous passons d'une urgence à l'autre.
Qu'il s'agisse d'une catastrophe naturelle ou d'une guerre, les droits des femmes cèdent le pas. C'est systémique. Nous perdons du terrain sur le plan de l'égalité des sexes. Par conséquent, dans le monde dans lequel nous vivons aujourd'hui, nous assisterons probablement à un recul important si nous ne faisons pas ces investissements.
:
Merci d'avoir parlé du Liban en particulier.
Premièrement, je dirais que le gouvernement du Canada a été très utile en offrant une contribution équivalente aux membres de la Coalition humanitaire dont Oxfam fait partie et à la Croix‑Rouge. Il s'agit d'un jumelage des dons des Canadiens à l'aide humanitaire au Liban. C'est fantastique.
Je tiens à souligner à quel point l'appariement est efficace. À l'heure actuelle, on constate que les gens au Canada ne sont pas au courant de la crise que vivent les gens au Liban. Je peux vous dire, en toute franchise, qu'il s'agit de l'une des urgences humanitaires les plus difficiles à financer dans l'histoire récente d'Oxfam. La raison en est que les gens ont tendance à donner moins pour une intervention humanitaire lorsqu'un pays est touché par la guerre. Nous avons tendance à donner plus généreusement lorsque les gens sont aux prises avec des sécheresses, des inondations, des ouragans ou toute autre catastrophe naturelle. Les gens ont tendance à n'entendre parler aux nouvelles que de la belligérance, des bombes et des militants. Nous entendons parler de l'aspect géopolitique de l'histoire — la politique qui sous-tend le conflit au Liban —, mais nous n'entendons pas beaucoup parler de la mère qui essaie de garder ses enfants en vie ou des gens qui vivent littéralement dans des parcs publics à Beyrouth aujourd'hui parce qu'ils n'ont nulle part où se mettre à l'abri.
Que votre famille soit frappée par une sécheresse ou une guerre, si vous ne pouvez pas nourrir vos enfants, vous ne pouvez tout simplement pas les nourrir. Je pense que le fait que le gouvernement aide des organisations comme Oxfam à faire passer le message — à dire aux Canadiens à quel point les Libanais souffrent aujourd'hui — est très utile, parce que nous avons du mal à obtenir cette attention. Il y a de toute évidence la fatigue des donateurs. Les gens ont l'impression que le monde est en feu, et il est difficile de savoir où et quand donner. Cependant, la souffrance est réelle. Que ce soit à cause de la guerre ou d'autre chose, si vous avez perdu un membre, si votre enfant est mort de faim ou si vous n'avez nulle part où dormir la nuit, le problème est le même pour vous.
Le gouvernement doit nous aider à passer le mot. La contribution équivalente pour les membres de la Coalition humanitaire nous est extrêmement utile, et j'en suis reconnaissante.
:
Nous reprenons la séance.
Je souhaite la bienvenue à notre deuxième groupe de témoins.
D'abord, nous accueillons M. Alexander Waxman, expert de la protection des personnes déplacées internes et des réfugiés, depuis plus de 12 ans, en Afrique subsaharienne, en Afrique du Nord, au Moyen‑Orient, en Asie du Sud et en Europe du Sud‑Est avec les agences humanitaires des Nations unies. Il témoignera à titre personnel.
Nous recevons également Mme Lauren Lallemand, codirectrice générale du Conseil canadien pour les réfugiés, qui participe à la réunion par vidéoconférence.
Finalement, nous accueillons M. Jason Nickerson, représentant humanitaire de Médecins sans frontières au Canada.
Je vous souhaite la bienvenue à tous. Un maximum de cinq minutes vous sera accordé pour vos déclarations d'ouverture, après quoi nous procéderons à une série de questions.
Monsieur Waxman, vous avez la parole pour cinq minutes.
[Traduction]
La parole est à vous.
:
Excusez-moi. Pas de problème. Ils ont également une copie de ma déclaration.
C'est mon point de vue à titre d'expert en protection et protection de l'enfance qui travaille en première ligne dans le cadre d'interventions humanitaires majeures depuis plus de 12 ans pour l'UNICEF et le CDH.
Il y a trois principaux facteurs concernant les mouvements de PDIP et de réfugiés. Premièrement, les conditions socioéconomiques délétères et la mauvaise gouvernance générale dans les pays du Moyen‑Orient et de l'Afrique du Nord, de l'Afrique subsaharienne et de l'Asie poussent les gens à chercher à améliorer leur situation économique, ce qui, à son tour, est lié à la demande d'asile et au statut de réfugié dans les pays d'accueil favorables comme le Canada, en Europe de l'Ouest et en Scandinavie.
Une crise prolongée est une autre cause de mouvements internes et externes, car la plupart des crises sur la carte mondiale sont causées par l'homme, durent des années, des décennies, voire des générations. La Somalie, le Soudan du Sud, le Nigeria et le Yémen sont de bons exemples de ces conflits.
Les changements climatiques sont un moteur de plus en plus important. La désertification, les vagues de chaleur plus longues et plus violentes et le manque d'infrastructures d'approvisionnement en eau sont des facteurs de motivation à cet égard et continueront de l'être à mesure que les changements climatiques s'aggravent. La crise du bassin du lac Tchad en est un exemple.
La migration, comme je l'ai dit, est un « horizon d'événements » pour nous, un terme emprunté pour décrire le point où rien n'échappe à la force gravitationnelle d'un trou noir. De même, une pluralité de crises s'aggravera en raison des changements socioéconomiques dans les pays vulnérables et de la détérioration du climat, ce qui incitera d'autres pays à bouger. La capacité de réagir agilement aux mouvements sera perdue avec le fardeau économique qui pèse de plus en plus sur des pays comme le nôtre.
Le financement humanitaire des agences des Nations unies est un financement annuel connu sous le nom de « cycle du programme humanitaire » que les pays donateurs comme le nôtre financent. Il est aussi démodé que les documents d'après-guerre qui ont créé de nombreux organismes de l'ONU. Presque toutes les crises d'aujourd'hui sont prolongées. Des flux de financement durables doivent être déployés avec un personnel expert pour mettre en œuvre un changement structurel visant à transférer les réponses, en particulier les situations de PDIP, aux autorités locales pour qu'elles les gèrent. Trop souvent, les gouvernements locaux ne font pas grand-chose côté intervention, laissant aux Nations unies et aux ONG internationales le soin de s'occuper de l'alimentation humanitaire, des abris, de la protection, etc.
En raison de la nature du cycle du programme humanitaire, des experts techniques sont embauchés une fois le financement obtenu, puis déployés dans le pays après des mois de bureaucratie digne de Franz Kafka. Si on a de la chance, on a six ou huit mois pour répondre à la crise sur le terrain. Cela amène les acteurs locaux et le gouvernement à considérer les agences des Nations unies comme inconstantes. Entretemps, les organismes des Nations unies utilisent des projets à moitié lancés ou mal conçus comme des succès statistiques en ce qui concerne les résultats qu'ils atteignent pour justifier d'autres prolongations du financement.
Il en va de même pour les tributaires d'ONG locales et internationales sur le terrain qui exécutent le travail ingrat des projets de l'ONU. La plupart d'entre eux sont mal dotés en personnel ou mal gérés et attendent de voir s'ils obtiendront des fonds des organismes des Nations unies pour conserver leur personnel ou non. Trafiquer les livres — excusez le terme — pour donner l'impression qu'il y a de grands besoins est un incitatif pour assurer la prolongation des contrats.
Les stratégies visant à changer ce paradigme, comme la stratégie de localisation du grand compromis, sont très problématiques, car elles favorisent le financement direct aux ONG locales. Ces dernières sont gérées par des personnes qui ont peu ou pas de connaissances financières, qui changent constamment de personnel et qui ne sont pas bien formées aux pratiques humanitaires internationales. Le risque de gaspillage de l'argent des donateurs est élevé à cet égard.
Il y a d'importantes duplications de mandats au sein du système des Nations unies. Je vais prendre l'exemple de la protection de l'enfance. Un seul sous-ensemble de la protection de l'enfance, appelé recherche de la famille et réunification familiale, relève simultanément de l'UNICEF, du CDH, de l'OIM et du CICR. Chaque organisme a sa propre base de données interne sur les cas et ne la partage pas avec les autres, invoquant la confidentialité des données. En réalité, chacun essaie de maintenir la domination du domaine pour justifier le maintien du financement. Sur le terrain, cela signifie que les familles et les enfants ne savent souvent pas qui s'occupe d'un cas. Le processus de recherche s'embourbe dans la bureaucratie des Nations unies et la rivalité entre les organismes. Les familles et les enfants se tournent vers des canaux informels, comme les passeurs, comme solution, ce qui les rend plus vulnérables.
Il y a des lacunes importantes dans les ressources humaines de l'ONU, surtout au CDH et à l'UNICEF. Au CDH, les arbitres chargés de la détermination du statut de réfugié sur le terrain n'ont souvent pas de diplôme en droit, mais ils évaluent les demandes d'asile ou de réinstallation qui, en fin de compte, arrivent chez nous en se fondant sur de piètres entrevues, des recherches périmées sur le pays d'origine et peu de surveillance.
:
J'ai seulement quatre autres points, monsieur, si vous n'y voyez pas d'inconvénient. Ce serait bien.
De plus, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés peut confier et confie effectivement son mandat de détermination du statut de réfugié à d'autres organismes qui ont encore moins d'expertise et de surveillance, comme le Conseil danois pour les réfugiés.
Les évaluations des besoins fondées sur des données, qui sont manifestement des exercices statistiques nationaux, sont incomplètes. Par exemple, au Global Education Cluster de l'UNICEF à Genève, un entrepreneur qui n'a qu'un diplôme en littérature anglaise et qui vit au Panama a été désigné pour diriger des formations mondiales sur les exercices statistiques parce qu'il était le conjoint d'une agente principale d'éducation de l'UNICEF. Comment pouvons-nous nous attendre à ce que les données soient exactes lorsque des scientifiques non spécialisés en données sont à la barre en raison du népotisme?
Je vais conclure avec mes deux derniers points. La plupart des demandes d'asile sont de nature socioéconomique et ne sont pas fondées sur les motifs de la Convention de 1951, qui prévoit l'octroi du statut de réfugié aux personnes qui craignent avec raison d’être persécutées du fait de leur race, leur religion, leur nationalité, leurs opinions politiques, leur appartenance à un groupe social en particulier. Par conséquent, les demandeurs d'asile ici au Canada et ceux à l'étranger dont les demandes sont traitées par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés maquillent leurs demandes de façon à inclure des éléments dans des rapports de pays d'origine couramment accessibles afin de justifier leur cas comme s'il s'agissait de cocher la case.
Je vais m'arrêter ici. J'ai transmis ce document.
:
Merci, monsieur le président, et merci aux membres du Comité de m'avoir invitée, ainsi que mes collègues, à prendre la parole devant vous aujourd'hui.
Le Conseil canadien pour les réfugiés est le principal organisme-cadre national du Canada qui représente 200 organisations de première ligne au pays qui travaillent auprès des réfugiés et des migrants. Pour cette raison, je concentrerai mes observations sur la réponse du Canada et sur l'accueil des réfugiés.
Chaque année, des millions de personnes sont forcées de quitter leur foyer en raison de conflits, de violence, de violations des droits de la personne, de persécutions, de catastrophes et des répercussions des changements climatiques. Le nombre de personnes déplacées de force a atteint des sommets sans précédent en 2024. Il s'élève maintenant à plus de 122 millions de personnes, soit le double de ce qu'il était il y a 10 ans. Compte tenu de ce besoin sans précédent de protection, le Canada a pris la décision troublante, la semaine dernière, de réduire ses niveaux d'immigration. Il s'agit notamment de réductions du nombre de réfugiés parrainés par le gouvernement, de réfugiés parrainés par le secteur privé et de mesures d'urgence spéciales.
Étonnamment, le nombre de personnes protégées et de leurs personnes à charge à l'étranger a été réduit de 31 %, passant de 29 000 à 20 000. Compte tenu de l'arriéré actuel de plus de 100 000 demandes actives dans cette catégorie, les données pour 2025 indiquent que seulement un réfugié sur cinq et les membres de sa famille obtiendront le statut de résident permanent et pourront reprendre leur vie en main. De plus, le nombre de réfugiés parrainés par le gouvernement passera de 23 000 à environ 15 000. Le nombre de réfugiés parrainés par le secteur privé sera réduit de 5 000.
Les réfugiés réinstallés de l'étranger doivent souvent attendre plus de trois ans avant que leur demande soit traitée au Canada. Ces compressions feront en sorte que les réfugiés seront obligés d'attendre dans des situations où leur vie est en danger au quotidien. Le gouvernement fédéral a conçu ces compressions dans le contexte d'une économie en évolution. Cependant, le Canada n'a pas été à l'abri d'une tendance mondiale à la montée du sentiment et de la rhétorique anti-immigration qui déshumanisent les migrants vulnérables. Il est particulièrement troublant de constater à quel point les demandeurs d'asile sont politisés et étiquetés à tort comme une crise dans notre pays.
Nous savons que le Canada a une capacité remarquable de réétablir et d'accueillir des réfugiés, et il est essentiel de veiller à ce que les politiques d'immigration ne soient pas supplantées par des discours xénophobes afin de s'assurer que le gouvernement fédéral continue de planifier des niveaux adéquats d'immigration humanitaire.
J'aimerais prendre un moment pour souligner les préoccupations que le Conseil canadien pour les réfugiés a incluses dans son appel à l'équité en réponse aux crises.
Les Canadiens s'attendent à ce que le gouvernement fasse preuve de leadership en offrant aux personnes touchées par des catastrophes majeures des voies d'accès à l'immigration. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada élabore actuellement un cadre d'intervention en cas de crise. Ce cadre doit être élaboré en tenant compte de la négligence de longue date des crises sur le continent africain.
Le Canada a démontré qu'il a la capacité d'accueillir les personnes déplacées des zones de conflit grâce aux mesures adoptées en réponse aux situations en Ukraine et en Afghanistan. Entretemps, des crises comme celle qui s'est produite dans la région éthiopienne du Tigré au cours des dernières années, par exemple, n'ont pas fait l'objet de mesures spéciales. Malgré l'ampleur de la crise qui sévit actuellement au Soudan, l'attention des médias et des politiciens a été limitée et l'intervention d'urgence n'a été qu'une fraction de ce qui a été offert dans d'autres situations.
L'histoire du Canada avec le colonialisme et les effets du racisme systémique sont renforcés de multiples façons par les systèmes d'immigration, ce qui exacerbe la marginalisation actuelle. L'équité et la transparence doivent être au cœur de la réponse du Canada aux crises.
Je vais maintenant conclure en parlant brièvement de l'Entente sur les tiers pays sûrs entre le Canada et les États-Unis, qui a été élargie...
Bonsoir et merci de m'accueillir.
Médecins Sans Frontières, ou Doctors Without Borders, offre des soins médicaux humanitaires aux personnes qui ont été forcées de fuir leur foyer à cause de la violence, des conflits, de la persécution et, de plus en plus, des changements climatiques. Nos équipes fournissent des soins médicaux essentiels à chaque étape du parcours périlleux des personnes déplacées, y compris la chirurgie et les soins en traumatologie, les services de santé maternelle et d'obstétrique, les campagnes de vaccination, les activités de santé mentale, l'approvisionnement en eau potable...
Nous sommes à un moment alarmant. Il y a plus de personnes déplacées de force dans le monde aujourd'hui qu'à toute autre époque de l'histoire moderne. Bon nombre des personnes qui sont prises dans des situations impossibles de violence aiguë et d'intensité élevée doivent fuir pour survivre. Pourtant, même si un plus grand nombre de personnes ont besoin d'une aide humanitaire vitale que jamais auparavant, nous sommes également témoins de lacunes alarmantes dans les réponses aux grandes crises de déplacements forcés.
Je vais vous parler de trois crises précises liées aux déplacements forcés, soit celles du Soudan, de l'Est de la République démocratique du Congo et des Rohingyas. Chacune est une crise distincte, mais toutes sont caractérisées par une action mondiale inadéquate malgré des besoins humanitaires massifs.
Ce mois d'avril a marqué le début du conflit qui a ravagé le Soudan, déplaçant de force des millions de personnes à l'intérieur du pays et dans des pays voisins comme le Soudan du Sud et l'Est du Tchad. Aujourd'hui, la situation est pire que jamais. Des centaines de milliers de personnes sont confrontées à d'immenses souffrances, notamment la malnutrition, les traumatismes et le manque d'accès aux soins de santé de base.
Plus tôt ce mois‑ci, MSF a été forcée de mettre fin aux soins ambulatoires de 5 000 enfants souffrant de malnutrition aiguë dans le camp de Zamzam pour les personnes déplacées dans le Nord du Darfour parce que les belligérants bloquaient les livraisons de nourriture, de médicaments et d'autres fournitures essentielles. Il y a 2 900 de ces enfants qui ont moins de cinq ans et qui souffrent de malnutrition aiguë sévère. Leur vie est désormais en danger immédiat.
Pendant ce temps, dans la province du Nord-Kivu, en République démocratique du Congo, des centaines de milliers de personnes déplacées à l'intérieur du pays ont un besoin urgent de nourriture, d'abris, d'eau potable et de protection contre la violence sexuelle dans le contexte de conflits violents entre de multiples groupes armés, dont les forces gouvernementales. En 2023, les cliniques soutenues par MSF ont fourni des soins à 20 556 survivants de violence sexuelle, soit environ deux survivants de violence sexuelle chaque heure.
Cette situation alarmante s'est encore détériorée. Les équipes de MSF ont traité près de 70 % du nombre total de survivants de violence sexuelle en 2023 au cours des cinq premiers mois de 2024 seulement. En septembre, l'Est de la RDC était également l'épicentre de l'actuelle épidémie de mpox en Afrique, un virus qui sera impossible à contenir à moins que des efforts ne soient déployés pour améliorer les conditions de vie épouvantables avec lesquelles les personnes déplacées sont aux prises depuis trop longtemps.
MSF est le principal fournisseur de services de santé dans les camps de réfugiés rohingyas clôturés de Cox's Bazaar au Bangladesh, où vivent environ un million de personnes. À cet endroit, les personnes qui ont fui la violence et la persécution se retrouvent enfermées et se voient interdire l'accès à l'éducation ou à l'emploi. Pas plus tard que cet été, une enquête de MSF a révélé que près d'une personne sur cinq testées pour l'hépatite C avait une infection active, mais le manque de capacité dans les camps signifie que de nombreux Rohingyas ne recevront pas de soins et ne seront pas guéris.
Il y a sept ans, le Canada a joué un rôle de chef de file dans la réponse mondiale à la crise des Rohingyas, mais aujourd'hui, il semble que le Canada n'ait pas renouvelé sa stratégie à l'égard des Rohingyas après son expiration en mars 2024. Le Canada doit honorer l'engagement qu'il a pris à l'égard du peuple rohingya et de la communauté humanitaire et renouveler immédiatement sa stratégie et y affecter les ressources nécessaires.
La vie des gens est encore plus menacée par les tentatives des États et d'autres acteurs de contenir, d'expulser et de dissuader les gens de chercher la sécurité dans d'autres pays. Les politiques nuisibles ne dissuadent pas les gens de fuir la violence et de chercher la sécurité, mais elles les forcent à se retrouver dans des situations impossibles, comme faire des voyages périlleux sur des mers dangereuses où des milliers de personnes meurent régulièrement.
Le Canada devrait non seulement réagir à ces crises humanitaires et politiques, il devrait aussi dénoncer les politiques qui empêchent les gens d'échapper à des situations de violence et de privation et qui accroissent leur vulnérabilité.
Je tiens à remercier le Comité d'avoir pris le temps d'examiner ces questions et le rôle que le Canada peut jouer pour faire face à ces urgences. En RDC, au Soudan, au Bangladesh et ailleurs, les minutes comptent pour les personnes qui sont forcées de fuir leur foyer...
:
Nous pensons que les changements climatiques sont un multiplicateur de crise dans bon nombre de ces situations. Nous essayons de comprendre et de démêler exactement ce que cela signifie.
Dans le cadre de certains de nos projets, nous constatons que les changements climatiques ont des répercussions médicales très manifestes, par exemple, en modifiant l'évolution des maladies. Dans certains cas, les maladies comme le paludisme suivent une routine ou une évolution saisonnière, mais nous voyons des pics de paludisme plus intenses. Nous voyons des cas de paludisme saisonnier survenir à divers moments. Du point de vue médical, les changements climatiques modifient dans certains cas l'évolution des maladies et rendent ces dernières plus imprévisibles.
En ce qui concerne la migration forcée, ce que nous entendons de la part des gens, en particulier de ceux qui vivent de l'agriculture, c'est que lorsque les sols deviennent impraticables, l'agriculture devient en quelque sorte une intégration complexe de multiples choses. Si la viabilité économique d'une personne dépend d'une industrie sensible au climat économique et si cette personne vit dans un contexte de conflit, cela exacerbe le niveau de stress que subit cette personne.
Nous entendons de plus en plus de gens dire que le climat influe sur leur capacité à subvenir à leurs besoins fondamentaux, ce qui les incite à fuir leur pays, sans parler de la violence sous‑jacente, des conflits et d'autres problèmes.
En fait, pas plus tard qu'en septembre dernier, le flux migratoire à travers le fossé du Darién que les gens franchissent au Panama pour se rendre aux États‑Unis, a bondi de 60 % depuis que Maduro a volé les élections. Les pays du monde nient les vrais résultats obtenus par l'opposition.
À l'heure actuelle, nous traversons une crise majeure parce que Maduro expulse certains membres du gang criminel Tren de Aragua, qui étaient en prison. Ces gens se cachent parmi les citoyens ordinaires qui tentent de migrer et entrent dans les pays voisins. C'est ce qui se passe actuellement au Pérou, en Colombie, en Équateur, au Chili et aux États‑Unis. Un jour, cela pourrait peut‑être se produire au Canada également.
Le problème, c'est que ces gens‑là sont en train de voler et de tuer des gens. La semaine dernière, ils se sont aussi attaqués à des agences immobilières et ils essaient de trouver un moyen d'accaparer toutes ces propriétés. Ils sont en train de semer la pagaille dans toute la région.
Comme je le disais au début, je pense que les pays développés ont la mission non seulement d'offrir un refuge aux migrants, mais aussi de lutter pour la démocratie dans tout l'hémisphère. Le Canada doit se donner comme mission d'instaurer la démocratie dans notre pays. Il ne doit pas essayer d'accueillir tous les réfugiés ici, parce que c'est exactement ce que veut le dictateur.
:
C'est une bonne question, je vous en remercie. En fait, je n'ai rien vu de tel au sein du système des Nations unies, à part promouvoir la nécessité de mener... Je vais donc parler précisément de la détermination du statut de réfugié. Il s'agit du processus par lequel les demandeurs d'asile, après avoir franchi une frontière internationale, affirment avoir des motifs de craindre de retourner dans leur pays d'origine. Elles doivent le prouver. Pour le meilleur ou pour le pire, un agent doit les interroger pour savoir d'où viennent ces personnes et si elles répondent ou non aux critères de la convention.
Ce système est intrinsèquement faible, parce que le fardeau de la preuve est le plus léger possible. Ce n'est pas une norme pénale, ni une norme civile. Le demandeur profite du bénéfice du doute. Peu importe ce qu'affirme le demandeur, l'agent qui mène l'entrevue doit le croire sur parole, en quelque sorte. Une fois l'entrevue terminée, le demandeur fait l'objet d'un rapport d'Amnistie internationale ou de Human Rights Watch. Il s'agit bien souvent de rapports recyclés.
À titre d'exemple, disons qu'il y a un conflit en cours en Somalie. Le demandeur doit prouver qu'il vient du centre‑sud de la Somalie. Comment puis‑je savoir, en tant que fonctionnaire responsable de l'entrevue, s'il est vraiment originaire de cette région de la Somalie? Le demandeur pourrait être un Somalien kényan qui se fait passer pour un ressortissant du centre‑sud de la Somalie. Il lui suffit de connaître quelques faits. Il parle la même langue, l'Af Soomaali. Il peut prouver verbalement qu'il appartient à tel clan, et il n'a qu'une simple feuille de papier imprimée en anglais. Ensuite, s'il a appris à déchiffrer quelques lignes d'un rapport de Human Rights Watch ou d'Amnistie internationale, bingo, il ne peut pas être expulsé ou refoulé. Il entre donc dans la filière de la réinstallation.
Je n'ai jamais vu quoi que ce soit du genre dans le système du Haut‑Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. De plus, j'ai vu de prétendues réformes au sein du HCR visant à transférer le service de détermination du statut de réfugié, ou DSR, de sa propre unité à d'autres organismes, par exemple au Conseil danois pour les réfugiés, par exemple.
:
Merci, monsieur le président. On s'habitue.
Monsieur Nickerson, dans votre allocution, vous avez ciblé trois crises, celle du Soudan, celle de la République démocratique du Congo et celle des Rohingyas.
Je ne suis pas un expert comme vous. Par contre, j'ai l'impression que ces trois conflits ont quelque chose en commun. Selon l'angle canadien de la chose, il y a le financement de l'aide humanitaire. Depuis plusieurs années, l'ONU demande à des pays comme le Canada d'investir jusqu'à 0,7 % de leur PIB dans l'aide humanitaire. Nous en sommes à 0,30 % présentement. C'est en deçà de ce qu'investissait le gouvernement de Stephen Harper, alors que les libéraux disaient qu'il avait réduit le pourcentage de l'aide humanitaire.
Cela affecte-t-il le travail sur le terrain de Médecins sans frontières?
:
Je vais vous répondre en anglais.
[Traduction]
J'ai quelques points à soulever.
Premièrement, nous avons entendu dire à plusieurs reprises aujourd'hui que les besoins en matière d'aide humanitaire sont sidérants. Selon l'ONU, 300 millions de personnes ont besoin d'une aide humanitaire essentielle à leur survie et sont couvertes par un plan d'intervention humanitaire. Cela se répercute sur Médecins sans frontières de diverses manières. D'abord, nous intervenons dans un très grand nombre de crises humanitaires dans près de 70 pays. L'an dernier, nous avons effectué 16,5 millions de consultations externes dans le cadre de nos programmes. Les besoins sont immenses.
Pour ce qui est du financement humanitaire en particulier, je tiens à souligner que nous sommes un organisme d'aide humanitaire financé en grande partie par le secteur privé. En fait, le Canada est l'un des trois seuls donateurs gouvernementaux auprès desquels nous demandons du financement. Le fait d'être financés principalement par le secteur privé nous permet d'intervenir très rapidement en cas d'urgence.
Il n'en reste pas moins que le système d'aide humanitaire est à bout de souffle. Des besoins criants ne sont toujours pas comblés. Cela est en partie dû à un manque d'efficience ou à d'autres facteurs. Une partie du problème, pour être très honnête, c'est carrément un manque de financement. Pour la crise des Rohingyas, par exemple, les rations du Programme alimentaire mondial ont été réduites à 10 $ US par personne, par mois. Le financement fait simplement défaut dans un grand nombre de crises migratoires partout dans le monde.
:
Je vais commencer par la crise des Rohingyas, parce que je pense que c'est un très bon exemple d'une crise où le Canada a fait preuve d'un solide leadership.
Au début de la crise, en 2017, le Canada a nommé Bob Rae envoyé spécial pour la crise des réfugiés rohingyas. Un rapport a été produit avec des recommandations. Cette nomination a été importante non seulement en raison des mesures prises, mais aussi parce que le capital politique qu'elle a mobilisé à un haut niveau a permis au Canada d'intervenir au Bangladesh, où il y a eu une importante mobilisation en faveur de l'intervention humanitaire et des Rohingyas. D'autres pays ont emboîté le pas. La stratégie du Canada à l'égard des Rohingyas a permis de faire de l'excellent travail. Hélas, ce financement n'a pas été reconduit dans le cadre du budget. Nous pensons qu'il aurait dû l'être. Ce travail doit se poursuivre.
Je mentionne cela parce que c'est un important rappel que le Canada peut jouer un rôle de premier plan dans certaines de ces crises. Je ne veux pas nécessairement dire que la désignation d'un envoyé spécial sera toujours la solution; je veux plutôt dire que la mobilisation d'un soutien politique de haut niveau à une intervention canadienne pouvant mobiliser des fonds pour des projets humanitaires, les efforts diplomatiques, la promotion des droits de la personne, la politique humanitaire et d'autres mesures peuvent être très efficaces lorsque toutes ces ressources sont utilisées en réponse à une situation de crise.
Le simple fait de financer une intervention humanitaire ne suffit pas à régler les problèmes sous‑jacents à l'origine de la crise ni la myriade de problèmes qui surgissent lorsque les organisations essaient d'intervenir et de négocier l'accès à un pays, particulièrement dans les situations de conflits violents.
:
Je vous remercie à nouveau pour le travail que vous accomplissez et pour vos témoignages éclairants.
M. Brunelle-Duceppe a parlé du déclin de l'aide fournie par le Canada.
Monsieur Nickerson, vous avez dit qu'environ 300 millions de personnes ont besoin d'une aide essentielle à leur survie. C'est un nombre sans précédent.
Ici, au Canada, actuellement... Mme Lallemand — et je vais lui donner l'occasion de revenir là‑dessus — nous a exprimé ses préoccupations concernant le plan du gouvernement visant à réduire les niveaux d'immigration à un moment comme celui‑ci. Il est vrai que nous constatons une montée du sentiment anti‑immigration partout dans le monde et ici au Canada.
Le Réseau des droits des migrants vient de publier une lettre ouverte à l'intention du et de notre propre sur la question. À ce jour, 143 organisations l'ont signée.
En voici un extrait:
Les migrants ne sont pas responsables de la crise du logement au Canada, de la pénurie d'emplois, de l'insuffisance des soins de santé ou d'autres services publics. Ils vivent souvent dans les pires conditions de logement, sont victimes d'exploitation extrême au travail et se voient refuser l'accès aux services essentiels. La couverture médiatique récente et les déclarations publiques les reliant à la crise de l'abordabilité visent à détourner l'attention des politiques fédérales et provinciales en vigueur depuis des décennies qui ont sous‑financé et privatisé les services publics. L'objectif de réduire le nombre de migrants repose sur ces idées xénophobes, ce qui a pour effet de miner la confiance du public dans les politiques d'immigration et d'exacerber le racisme.
Madame Lallemand, êtes‑vous d'accord pour dire que les réfugiés et les migrants sont actuellement des boucs émissaires à cause de l'échec des politiques?
Que peut‑on faire pour contrer ce discours?
:
Merci beaucoup pour votre question.
À diverses occasions, nous avons essayé de nous attaquer à ce que nous considérons comme des mesures très troublantes de la part des dirigeants fédéraux et provinciaux concernant les migrants et, parfois, les étudiants étrangers, qui les associent aux différentes crises d'abordabilité que vous venez de mentionner.
Je fais remarquer que durant la pandémie de COVID‑19, quand le Canada n'acceptait personne et que nos frontières terrestres étaient fermées, nous avons connu des hausses de loyers parmi les plus fortes. C'est une indication très claire que cela n'a rien à voir avec le nombre de migrants qui arrivent au pays. Il s'agit plutôt de problèmes structurels sociaux de longue date.
Nous encourageons les décideurs et les médias à s'interroger sur ces allusions et ces propos. Ils doivent se garder de tomber dans le piège de la propagande de la part de groupes de droite et éviter la réaction que nous observons de plus en plus dans de nombreux pays à l'égard des migrants, en particulier des personnes racisées.
Je crois vraiment que les fonctionnaires ont un rôle à jouer et qu'ils doivent être très prudents dans leur façon de parler de ces populations très vulnérables, tout en s'assurant que les médias ne répandent pas inutilement ces propos, ni même qu'ils en fassent mention.
:
Les programmes de santé mentale sont devenus un élément essentiel de notre intervention médicale humanitaire. Dans un conflit armé intense, les gens sont exposés à un niveau de violence considérable. La violence est imprévisible et frappe sans discernement. Les gens sont exposés à des niveaux très élevés de stress psychologique et ils ont besoin d'aide et de soutien en santé mentale.
Il y a encore d'énormes lacunes dans ces programmes. Je dirais également que pour les troubles de santé mentale et les troubles psychiatriques plus graves, cet aspect est à peine, voire jamais, pris en compte dans le cadre de nombreuses interventions humanitaires. Le besoin est donc énorme.
Quant aux interventions qui tiennent compte de ces traumatismes, nous sommes justement en train de les intégrer à un ensemble de soins psychosociaux. Je dirais qu'il est très important que ces besoins soient pris en compte.
Nous sommes une organisation humanitaire médicale. Nous intégrons ces éléments dans nos programmes et, en particulier, dans un ensemble de services comme les soins en cas de violence sexuelle et fondée sur le sexe. Nous offrons des services médicaux et psychosociaux intégrés. Mais les gens continuent d'avoir besoin d'aide juridique, d'un logement, d'un abri et de protection.
Il est vraiment nécessaire de tenir compte de l'ensemble des services dont les gens ont besoin dans ce genre de crise humanitaire aiguë.