:
Je déclare la séance ouverte.
Bonjour à tous.
Bienvenue à la 19e réunion du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
[Traduction]
Je remercie tous les témoins et tous les députés de leur présence.
Cette réunion se déroule sous forme hybride, conformément à l'ordre de la Chambre adopté le 23 juin 2022.
Les membres participent en personne et par Zoom à la réunion.
Voici quelques consignes à l'intention des témoins et des députés. Avant de prendre la parole, veuillez attendre que je vous nomme. Nous avons un très bon système au Comité, qui fonctionne bien, mais pour les témoins qui sont ici, voici comment nous fonctionnons.
Les témoins présents dans la salle qui souhaitent entendre l'interprétation n'ont qu'à utiliser cette petite chose que j'ai devant moi. Ceux qui participent à la séance par Zoom n'ont qu'à cliquer sur l'icône du globe. Vous avez le choix entre l'anglais ou le français, selon votre préférence.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement et à la motion adoptée le mardi 26 avril 2022, le Sous-comité reprend son étude de la situation actuelle en Haïti. Chaque témoin aura cinq minutes pour sa déclaration préliminaire, après quoi il y aura une série de questions et des échanges avec les députés.
[Français]
Aujourd'hui, nous recevons M. Frédéric Boisrond, sociologue, ainsi que Mme Andréanne Martel, consultante en évaluation de programmes humanitaires et chercheuse. Tous les deux comparaissent à titre personnel et Mme Martel participe par vidéoconférence.
[Traduction]
Nous accueillons également, par vidéoconférence, Michèle Asselin, directrice générale de l'Association québécoise des organismes de coopération internationale.
Sans plus tarder, nous allons commencer par M. Boisrond, qui est ici en personne, pour cinq minutes.
[Français]
Merci d’être avec nous.
:
Merci beaucoup, monsieur le président.
Bonjour, tout le monde.
Comment parler des droits de la personne alors qu'Haïti est à l'an zéro de la démocratie?
Depuis la chute du régime des Duvalier en 1986, Haïti n'a connu que de très courts épisodes démocratiques, trop courts pour que s'installe une culture démocratique. Aujourd'hui, nous assistons à l'échec de l'implantation de la démocratie. C'est la continuité d'une dictature qui ne porte pas son nom.
Après la chute du régime Duvalier, les Haïtiens ont adopté une Constitution leur garantissant la liberté d'expression, la justice, la liberté d'association, le droit à l'éducation et le droit à la vie. Pourtant, on ne compte plus le nombre de journalistes, de militants, de juges, d'avocats, d'opposants politiques, de syndicalistes, d'étudiants, de leaders d'opinion et de simples citoyens qui, depuis 1987, ont été contraints à l'exil ou exécutés.
Cependant, la plus grande déception des Haïtiens est sûrement de s'être fait voler leur droit de vote. Le diplomate chilien Juan Gabriel Valdes, membre de la Global Leadership Foundation, disait que la crise que vit Haïti est le résultat d'une décision prise par le Core Group en 2010. Cette décision, c'est la fabrication des résultats des élections présidentielles pour donner le pouvoir à Michel Martelly, candidat du parti haïtien PHTK.
Ce vol du droit de vote a été confirmé par Pierre‑Louis Opont, président du Conseil électoral provisoire haïtien. Ricardo Seitenfus, qui était représentant de l'Organisation des États américains, OEA, en Haïti, entre 2009 et 2011, a dit avoir perdu son poste parce qu'il s'était opposé à la falsification des résultats. Selon l'envoyé spécial américain Daniel Foote, Haïti ne s'en sortira jamais si le Core Group continue à voter à la place des Haïtiens. Bref, en plaçant son laquais au pouvoir, le Core Group a mis Haïti sous sa curatelle.
Pendant tout son mandat, Michel Martelly, que le Canada a aidé à voler le pouvoir, n'a réalisé aucune élection et a géré son pays par décret. Il a reçu toute l'aide nécessaire de ses commanditaires pour remettre le pouvoir à son poulain Jovenel Moïse, qui a poursuivi les mêmes politiques que Michel Martelly et utilisé les mêmes tactiques que les Duvalier.
Comme les Duvalier, comme Michel Martelly et comme Jovenel Moïse, l'actuel premier ministre d'Haïti Ariel Henry, lui aussi du PHTK, dirige le pays sans contre-pouvoirs. Le PHTK s'est assuré de n'avoir aucun opposant et il a réussi à faire taire la rue par l'entremise de ses tactiques mafieuses.
Comme l'ont fait les tontons macoutes des Duvalier, le PHTK a financé et armé des fiers-à-bras pour protéger sa mainmise sur le pays. Ce sont ces mêmes vauriens qui se sont retournés contre le régime, qui ont formé des gangs et qui créent une crise sécuritaire qui alimente les crises humanitaire, économique, sociale et sanitaire. Ils font tout pour transformer l'idéal d'une démocratie en voyoucratie.
Pour parler de droits de la personne en Haïti, il faudrait que l'article 149 de la Constitution de la République d'Haïti soit respecté. Selon cet article, la personne remplaçant un président qui est dans l'incapacité de remplir ses fonctions dispose de 90 jours pour remettre le pouvoir à des élus. Après plus de 17 mois en poste, Ariel Henry n'est en fait qu'un usurpateur du pouvoir et un dictateur.
Pour parler de droits de la personne en Haïti, il faudrait que le pays ait des organes de l'État qui permettent à chacun d'exercer sa citoyenneté. Or, le régime d'Ariel Henry ne peut garantir ni l'approvisionnement en eau potable et en nourriture, ni l'accès à des soins de santé, pas plus qu'il ne peut permettre aux enfants d'aller à l'école et à la population active de gagner sa vie sans se faire humilier.
Si les droits des femmes et des fillettes restent un problème crucial, c'est surtout parce que Michel Martelly, qui est aussi un chanteur populaire, a endoctriné toute une génération avec son discours misogyne, violent et haineux, ainsi qu'avec son apologie du viol. C'est pour éviter qu'il répande son idéologie ordurière que le Canada, les États‑Unis et la France ont interdit ses spectacles sur leur territoire respectif.
Haïti est à l'an zéro de sa transition vers la démocratie.
Pour démarrer, il faudra un vaste programme d'éducation populaire, entre autres pour assurer la compréhension des droits, des devoirs et des responsabilités qui viennent avec la citoyenneté.
Pour décoller, il faut un renouvellement de la classe politique, qui est aujourd'hui composée majoritairement de vieux hommes déphasés, déconnectés, fossilisés et limoneux, qui n'ont rien connu d'autre que la culture duvaliériste.
Pierre‑Louis Opont, président du Conseil électoral provisoire haïtien, avait ajouté que la supercherie par laquelle le Core Group avait nommé Michel Martelly au poste de président d'Haïti a pu se réaliser parce que personne n'avait contesté les faux résultats.
Si le Canada et le Core Group sont responsables de cette crise, la classe politique haïtienne, dans son rôle de collaboratrice à rabais, docile et affamée, a trahi ses compatriotes et doit assumer la pleine responsabilité de la mise en place de cette dictature néo-duvaliériste.
En terminant, je tiens à rappeler que, en 2010, au moment de voler le droit de vote des Haïtiens, le Canada, membre du Core Group, fut le premier à enclencher le processus. Le Canada est le premier à avoir infligé cet affront à la démocratie représentative. Celui qui a initié cet accroc à une valeur canadienne fondamentale, c'est le ministre des Affaires étrangères de l'époque, M. Lawrence Cannon.
De plus, je déplore que l'actuelle , Mélanie Joly, ait tout fait pour légitimer Ariel Henry et en faire son seul interlocuteur dans la recherche d'une solution à la crise haïtienne. Comment le Canada, un pays qui est fondé sur la primauté du droit, peut-il mettre Ariel Henry, un dictateur, au coeur de la solution à une crise qui prive les Haïtiens de leurs droits fondamentaux?
Merci.
Monsieur le président, membres du Sous-comité, je vous remercie du temps de parole que vous m'accordez aujourd'hui.
Mon témoignage s'appuie sur plusieurs années de recherche sur la coordination de l'aide internationale en Haïti et sur divers mandats à titre d'évaluatrice de projets humanitaires et de reconstruction pour des organisations internationales œuvrant en Haïti.
Alors que le pays fait face à une crise politique, économique et humanitaire particulièrement difficile, et que le Canada se questionne sur son rôle, je vais dans un premier temps faire quelques réflexions et vous parler des leçons tirées des interventions récentes en Haïti. À la lumière de ces réflexions, je vais dans un deuxième temps faire des recommandations quant aux possibilités d'une intervention militaire, politique ou humanitaire en Haïti.
Je vais commencer par les conséquences des interventions récentes, particulièrement la réponse post-séisme sur ce qui se passe aujourd'hui et sur ce qu'on peut apprendre de celle-ci.
Lors de la réunion précédente, d'autres témoins ont dit que les 20 dernières années d'intervention étrangère en Haïti n'avaient pas permis d'éviter ce qui se passe aujourd'hui. J'ajouterais que la façon dont les interventions internationales ont été menées dans le passé, particulièrement dans les années qui ont suivi le séisme, a parfois eu comme effet d'exacerber les problèmes, voire de fragiliser à la fois les institutions haïtiennes et certains secteurs de la société civile, plutôt que de les appuyer.
Je vais brièvement faire deux constats.
Premièrement, le renforcement des institutions augmente lorsque l'appui de la communauté internationale se base sur une vision à long terme, et que cet appui se concentre sur un soutien financier et logistique. De plus, l'expertise concernant le secteur, sa coordination et la régulation sur le territoire doivent rester entre les mains des Haïtiens et des Haïtiennes qui œuvrent au sein de ces institutions. Lorsque, au contraire, l'appui de la communauté internationale se fait en marge des autorités locales, et parfois en concurrence avec elles, comme ce fut le cas dans le secteur de la santé en Haïti entre 2010 et 2015, ces secteurs s'en trouvent affaiblis.
Un deuxième constat est que la société civile haïtienne a trop souvent été mise de côté, avec des conséquences très importantes sur la compréhension des dossiers et la justesse des interventions. L'un des exemples notoires est celui de la lutte contre les violences sexuelles à la suite du séisme. Les analyses et les orientations sur la façon de répondre aux violences sexuelles ont été prises à l'époque par la communauté internationale sans consulter les féministes haïtiennes et les organisations de femmes qui tiennent à bout de bras la lutte contre les violences fondées sur le sexe dans le pays. Cela a eu pour effet de mener à des constats erronés qui ne prenaient pas en compte des décennies de lutte.
En conséquence, l'afflux massif d'aide internationale en Haïti au cours de la dernière décennie a eu des conséquences souvent négatives sur les structures locales, déjà sous-financées, et sur les initiatives de développement à long terme. Cela nous porte à réfléchir dans les termes suivants: plutôt que de se demander si on doit intervenir en Haïti, il faut se questionner sur la manière d'être des alliés pour la population haïtienne, qui vit des moments extrêmement difficiles.
Cela m'amène à la deuxième partie de mon témoignage, soit le rôle du Canada.
Devant la crise à laquelle Haïti fait face aujourd'hui, le Canada a au moins trois avenues possibles pour soutenir Haïti: l'avenue militaire, comme il en est question ces temps-ci, l'avenue politique et l'avenue humanitaire. Je vais clore ma présentation en proposant une réflexion sur chacune de ces avenues.
L'option du recours à une intervention militaire, comme l'ont mentionné plusieurs témoins, est rejetée par une partie de la société civile haïtienne. Elle n'est pas la solution, selon les organismes québécois membres de l'Association québécoise des organismes de coopération internationale — l'AQOCI — qui travaillent en Haïti et leurs partenaires haïtiens.
Force est d'admettre que les missions internationales de l'ONU des dernières années et les efforts de réforme du secteur de la sécurité dans lequel le Canada s'est particulièrement investi n'ont pas réussi à sortir le pays de l'insécurité et à éviter la crise actuelle. Au contraire, la présence militaire étrangère et l'impunité accordée aux militaires dans les cas d'abus sexuels ou dans l'intégration du choléra n'ont fait qu'attiser la méfiance et la colère. Cependant, cela n'implique pas que le Canada n'a pas un rôle à jouer, mais ce rôle passe davantage par la voie politique ou humanitaire.
En ce qui concerne la voie politique, comme M. Boisrond vient de le mentionner, la grogne est de plus en plus grande à l'égard des gouvernements étrangers du Core Group, dont fait partie le Canada, qui appuient le gouvernement d'Ariel Henry, gouvernement que la société civile haïtienne conteste ouvertement. Un point de départ serait d'écouter la société civile haïtienne et de reconnaître l'accord de Montana pour la mise en place d'un gouvernement de transition.
L'appui du Canada passe également par une lutte contre l'impunité, puisque les gangs agissent dans un environnement où règne l'impunité. Comme le suggère dans ses recommandations le regroupement Concertation pour Haïti, le Canada pourrait notamment appuyer une commission internationale pour enquêter sur l'assassinat de Jovenel Moïse et, plus largement, appuyer la justice haïtienne dans sa lutte contre l'impunité.
Finalement, en ce qui concerne l'aide humanitaire et la solidarité internationale, une longue histoire de solidarité existe entre les organisations au Canada, particulièrement au Québec, et la société civile haïtienne. Ces organismes travaillent de pair dans le respect de l'expertise haïtienne et de la souveraineté des institutions, notamment dans les domaines de l'agriculture durable, du renforcement du système de justice, de l'éducation, des droits des femmes et des personnes LGBTQ+. Ce soutien à la société civile est essentiel, particulièrement durant la crise actuelle qui exacerbe d'autres besoins primaires...
L'Association québécoise des organismes de coopération internationale, l'AQOCI, regroupe 70 organismes québécois, dont 34 sont actifs en Haïti depuis de très nombreuses années, voire des décennies. L'AQOCI est aussi un membre actif de Concertation pour Haïti, un regroupement d'organismes québécois de solidarité et de coopération et de groupes issus de la diaspora haïtienne au Québec.
Mon témoignage est basé sur l'analyse de la situation partagée par les membres de l'AQOCI et de Concertation pour Haïti et, surtout, par nos partenaires haïtiens.
Haïti fait face actuellement à l'exacerbation d'une crise multidimensionnelle. L'insécurité due aux gangs armés est croissante. Les gangs agissent avec une extrême violence dans leurs affrontements avec les membres de groupes rivaux. Ils ont recours à des kidnappings et à des assassinats cruels. Selon l'ONU, les gangs utilisent notamment les violences sexuelles comme arme pour terroriser la population et ainsi conquérir des territoires et y asseoir leur contrôle.
Près de 100 000 personnes ont été déplacées après avoir fui les violences qui frappent le pays depuis juin 2021. À la fin du mois d'octobre dernier, des enlèvements, des assassinats et des tentatives d'assassinat de personnalités politiques et de la presse ont marqué l'actualité. Les territoires contrôlés par les gangs prennent de plus en plus d'expansion. Il n'existe presque plus de quartiers ou de régions de la capitale et des environs qui ne sont pas touchés directement ou indirectement par les actions des groupes armés.
L'explosion du prix du carburant est aussi une dimension très importante de cette crise actuelle. Le pétrole est la seule source d'énergie disponible en Haïti. Une grave pénurie d'essence a perturbé l'approvisionnement en eau, en plus de bloquer l'ensemble de l'économie. La Police nationale d'Haïti a annoncé le vendredi 4 novembre avoir repris le contrôle du plus important terminal pétrolier, qui était sous la coupe des gangs armés depuis la mi-septembre. Cependant, l'approvisionnement demeure toujours problématique, ce qui continue d'aggraver la crise.
L'insécurité alimentaire est grandissante et alarmante. Selon l'ONU, 4,7 millions de personnes, soit près de la moitié de la population, connaissent des niveaux élevés d'insécurité alimentaire, alors que 19 200 personnes sont touchées par le niveau d'insécurité alimentaire le plus élevé, une première dans l'histoire récente du pays.
Toutefois, l'aide humanitaire ne suffit pas pour Haïti. Les organismes de coopération et de solidarité le savent bien. Il faut soutenir les Haïtiennes et les Haïtiens dans la production des aliments qui pourront leur permettre de subsister et de planifier leur avenir. Pour l'instant, cette production est mise en péril par les difficultés de déplacement et d'accès à des intrants.
Qui plus est, l'inaccessibilité du carburant a provoqué une pénurie aiguë d'eau potable, qui a entraîné une éclosion de choléra après plus de trois ans sans cas rapporté. Les Nations unies ont lancé mardi un appel visant à récolter 145 millions de dollars pour soutenir le pays, car 1,4 million de personnes vivent dans des zones très touchées.
Le vendredi 14 octobre, l'AQOCI a tenu une rencontre d'urgence avec les organismes membres de notre association actifs en Haïti. Plusieurs partenaires haïtiens étaient présents. Ils ont livré de vibrants témoignages sur les conditions de vie de la population haïtienne.
Ce que je veux vous dire, c'est que toutes et tous s'opposent fermement à une intervention étrangère armée sur leur territoire. Pour eux, il faut une solution haïtienne à une crise haïtienne. C'est pourquoi le Canada doit raffermir sa position de ne pas envoyer de force internationale en Haïti, et convaincre l'ONU et les autres pays qui sont toujours tentés de choisir cette solution...
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Merci de votre question.
D'abord, nous pourrions poursuivre notre appui de la société civile, qui s'est organisée d'une manière extraordinaire. Mme Martel a parlé de l'accord de Montana. Je veux vous rappeler que cet accord, signé le 30 août 2021, comporte les signatures de 418 organisations de la société civile, de 105 organisations populaires, de 85 partis et regroupements et de 313 personnalités.
Le Canada doit appuyer cet accord, lequel propose un gouvernement de transition qui se donne deux ans pour préparer des élections démocratiques. Il existe déjà une instance de transition paritaire, qui regroupe des organismes de la société civile et des partis politiques et qui représente un modèle de consensus et de travail. Un effort a donc été fourni par Haïti. On sait que, dans ce pays, les points de vue sont très diversifiés.
J'espère donc que le Canada va appuyer l'accord de Montana. C'est le cri du cœur que nous entendons de nos partenaires, parce que cette crise démocratique doit se régler. Le Canada pourrait donc entendre des signataires de cet accord pour les appuyer plus directement.
Nous pourrions dès maintenant appuyer la police haïtienne, qui a besoin de ressources pour pouvoir jouer son rôle. Nous pouvons certainement continuer d'appuyer l'aide humanitaire, et même l'augmenter, et continuer d'appuyer la coopération internationale. En fait, quand le Canada appuie la coopération internationale, il appuie directement des ONG haïtiennes.
Merci.
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Je pense que le mot clé dans votre intervention est « feuille de route ». Le gouvernement d'Haïti a demandé au Canada — enfin, l'ONU a demandé au Canada — de prendre le leadership d'une intervention militaire en Haïti. En fait, je crois que le Canada a déjà pris ce leadership. Le problème, c'est que le Canada n'a fait, jusqu'à maintenant, aucune proposition, qu'il n'a proposé aucune feuille de route, de sorte que les gens ne savent pas de quoi il s'agit.
Quant à l'intervention militaire, je suis bien sûr d'accord avec les autres intervenants à ce sujet. L'intervention militaire n'a jamais produit de résultats bien positifs, non seulement en Haïti, mais aussi en Libye, en Afghanistan et en Irak. C'est évident pour tout le monde.
La situation actuelle en Haïti est inacceptable, il faut en convenir, mais, en même temps, se débarrasser des gangs n'est pas une solution en soi. Il faut plutôt éliminer les conditions qui poussent les gens à se joindre à des gangs. La feuille de route ou toute autre proposition du Canada doit contribuer à prévenir ce genre de situation, faute de quoi le Canada se déploiera sur le terrain avec ses alliés pendant six mois, et six mois plus tard, les gangs seront de retour.
Je pense que c'est de la feuille de route dont nous devrions discuter, et non de qui peut s'en occuper. En même temps, j'aimerais répéter ce que j'ai déjà dit: il n'y a pas de gouvernement en Haïti en ce moment. Il n'y a pas de gouvernement, il n'y a pas d'état de droit. Il faut trouver une solution globale à la situation et non une solution qui se limiterait à une seule chose, soit à une intervention militaire.
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La première partie de votre question consistait à savoir s'il s'agissait d'une demande ou d'une commande. Je voudrais vous rappeler qu'avant que le gouvernement d'Ariel Henry ne remplisse la commande, le secrétaire général de l'Organisation des États américains, Luis Almagro, a été la deuxième personne à dire qu'Haïti avait besoin d'une aide militaire étrangère et qu'il tenait à ce que cela se fasse. C'est Pamela White, ancienne ambassadrice américaine à Haïti, qui a été la première à dire que c'est ce que cela prenait.
C'est le 3 novembre que M. Almagro a fait sa demande, et Ariel Henry s'est exécuté le 4 novembre. Le dimanche suivant, le 6 novembre, sur France 24, le secrétaire général des Nations unies a dit que c'était effectivement ce que cela prenait. Il a donc confirmé qu'il avait bel et bien reçu cette commande passée par les deux autres.
Maintenant, je n'ai pas dit que le Canada avait accepté. J'ai dit que le Canada avait pris l'initiative sur la question haïtienne, ce qui lui avait été demandé. Je n'ai qu'à regarder l'ensemble des consultations que vous faites, y compris celle-ci. J'ai participé à une consultation avec vous, monsieur Dubourg. Pour sa part, M. Trudeau a eu une rencontre à l'ONU sur Haïti, et Mme Joly a eu différentes rencontres. Tout cela me laisse croire que le Canada a, de toute évidence, pris cela au sérieux.
Je ne crois pas que le secrétaire général américain, M. Blinken, serait venu à Ottawa pour demander à Mme Joly de prendre cette initiative si cela n'avait pas été discuté avant. Par conséquent, oui, je suis convaincu que le Canada a déjà assumé cette direction. Pour moi, c'est une bonne nouvelle, parce que cela donne, entre autres à nous, de la communauté haïtienne de Montréal, l'occasion d'avoir une certaine influence sur les choses.
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Merci, monsieur Boisrond.
Vous avez parlé tous les trois de l'accord de Montana. Vous avez parlé aussi du Core Group, dont le Canada fait partie.
Madame Martel, on déplore le fait que le Core Group a choisi un président ou un premier ministre en Haïti. Vous nous parlez maintenant de l'accord de Montana, que le Canada devrait appuyer. Or, même si je reconnais qu'ils ont fait des efforts, les signataires de cet accord sont en train de s'entredéchirer. De plus, le Canada a imposé des sanctions à deux des membres du Core Group.
Comment s'en sortir? Comment voyez-vous la situation? Pourquoi nous dites-vous que le Canada doit appuyer cet accord?
Je voudrais aussi rappeler que cet accord prévoit une transition. J'ai toujours dit que cet accord ne permettrait pas une sortie de crise, parce qu'il ne vise que l'instauration d'un gouvernement de transition pour remplacer le premier ministre et trouver un président, c'est tout.
Qu'est-ce qui vous fait croire que la situation actuelle ne va pas continuer, quelle que soit la formation politique qui assurerait le gouvernement de transition?
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Si nous voulions éliminer les chefs de gang en Haïti, nous n'aurions besoin d'envoyer personne sur place puisque j'ai vu aux nouvelles qu'on était capable d'éliminer des gens d'Al-Qaïda du confort de son balcon.
Quand je regarde la situation en Ukraine, je constate que ce n'est pas vraiment l'armée ukrainienne qui est en train de gagner la guerre. Pourtant, le pays reçoit de l'aide, notamment en matière de renseignement. Je laisserais aux militaires le soin de commenter la chose, mais, d'après ce que je vois dans l'actualité et ce que j'ai appris de l'histoire, il est possible d'aider la police haïtienne sans nécessairement envoyer des bottes fouler le sol haïtien. C'est assez évident.
Pour tout ce qui concerne l'aide générale, il faut qu'elle soit structurante, afin d'aider le pays à redémarrer et faire que ce genre de situation ne se reproduise pas.
Tantôt, M. Dubourg parlait de mes livres. J'ai toujours soutenu que l'avenir d'Haïti passe par le renforcement de ses capacités commerciales. Si on n'aide pas ce pays à développer sa présence dans l'économie de marché ou capitaliste, il est condamné à la pauvreté.
Pour cela, un ensemble de projets était en place, dont le fonds PetroCaribe. Je crois que c'est Mme Asselin qui a parlé tantôt de ce projet, qui devait servir au développement de l'industrie agroalimentaire en Haïti. Si on avait développé cette industrie agroalimentaire, si le parti politique PHTK n'avait pas dilapidé cet argent, Haïti ne connaîtrait pas un tel niveau de pauvreté aujourd'hui. Quand les gens entrent dans des gangs et que des enfants le font aussi, c'est parce qu'ils sont trop pauvres et qu'ils n'ont plus de perspectives.
Il faut donc une aide structurante qui renforce les capacités commerciales du pays.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
C'est un grand plaisir pour moi d'accueillir nos témoins parmi nous aujourd'hui. Je vous remercie de votre témoignage.
J'ai eu le privilège et le plaisir de travailler avec Mme Martel comme avec Mme Asselin pendant ma carrière antérieure, avant d'être élue.
Madame Martel, je vais commencer par vous, si vous le voulez bien.
Je suis très intéressée par la façon dont vous parlez de la réponse humanitaire et de ce à quoi elle devrait ressembler. Chacun d'entre nous est horrifié par ce que nous voyons en Haïti en ce moment et nous essayons de trouver des moyens de fournir de l'aide de la façon la plus efficace possible.
J'entends des choses telles que la moitié de la population souffre d'insécurité alimentaire. Nous avons entendu tout ce que vous avez dit sur la nécessité de trouver des solutions ancrées dans la réalité locale et d'offrir un financement prévisible à long terme.
Nous trouvons-nous dans cette situation parce que les interventions de la communauté internationale pour aider Haïti dans le passé n'étaient pas dirigées par des Haïtiens, à long terme, prévisibles et déployées en collaboration avec la société civile? Est‑ce la raison pour laquelle nous sommes ici?
Y a‑t‑il un risque que cela se reproduise et que nous n'offrions qu'un système de développement de fortune?
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Je vous remercie de votre question.
Avant d'y répondre, je tiens à préciser que je ne parle pas au nom des féministes haïtiennes. Elles mènent leur propre combat et elles le présentent sur la place publique.
Je peux cependant répondre que ce sont les groupes de la société civile, incluant les groupes de femmes, qui contestent le gouvernement. Ce sont elles qui ont le plus milité et qui se sont beaucoup mobilisées à l'époque contre la MINUSTAH, lorsqu'il y avait eu des cas d'agressions sexuelles. Ce sont vraiment les groupes de femmes en Haïti qui ont dénoncé la situation et qui ont décrié l'impunité accordée aux soldats et aux militaires qui étaient renvoyés chez eux sans devoir se soumettre à la justice haïtienne.
Dans ce contexte, il est sûr qu'une intervention militaire internationale comme celles qu'on a vues dans le passé n'est vraiment pas la solution aux violences sexuelles qui ont cours présentement. Il y a des organisations en Haïti qui existent depuis des décennies. D'ailleurs, le mouvement des femmes est l'un des premiers à s'être vraiment soulevé et mobilisé à la suite de la dictature. Le mouvement des femmes en Haïti est extrêmement solide. Il y a des organisations qui travaillent pour la santé des femmes et contre la violence conjugale.
Malheureusement, les dernières fois que la communauté internationale est intervenue, elle n'a pas pris en compte cette expertise. Aujourd'hui, nous espérons que ce sera fait différemment. Comme l'a mentionné Mme Asselin, il y a beaucoup de cas de violence sexuelle. Il faut absolument travailler avec ces organisations, parce qu'elles savent comment répondre, elles savent quoi faire pour soutenir les survivantes.
J'espère que cela répond à votre question, madame Vandenbeld.
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Il s'agit effectivement d'une question très complexe.
Nos partenaires haïtiens disent connaître les chefs des gangs. Si les gangs sont armés, c'est parce que des armes entrent en Haïti. Si on est en mesure de contrôler les frontières, on devrait être capable de mettre fin au trafic d'armes en provenance de Miami, entre autres. Cela choque beaucoup les organismes et ils veulent qu'on agisse à cet égard. S'il n'y a plus d'armes qui entrent au pays, cela va permettre de réduire l'explosion de la violence des gangs.
Selon nous, il ne faut pas une intervention militaire, mais plutôt un renforcement de la police haïtienne. D'ailleurs, le Canada avait commencé à le faire en formant les policiers en Haïti. Maintenant, nous devrions redoubler d'efforts, afin que les policiers en Haïti puissent jouer leur rôle et arrêter les responsables. L'impunité qui leur est accordée ne fait que renforcer leur pouvoir. Si l'on veut s'occuper des victimes, il faut lutter contre la pauvreté. On le fait au moyen de l'éducation, mais il est très difficile de reprendre l'école présentement parce que les routes sont entravées et qu'il y a trop de dangers.
Il faut donc appuyer la transition politique et appuyer la police, afin qu'elle joue son rôle sans être menacée, mais ce n'est pas simple.
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Depuis plusieurs années, les organismes québécois de coopération ont mis sur pied des projets dont le soutien est assuré par des travailleurs haïtiens. Malheureusement, il y a peu de travailleurs humanitaires de la coopération québécoise qui sont sur le terrain. Il est très difficile maintenant de participer à des missions et d'être accueillis par nos partenaires, car ils sont menacés.
Il y a toute une panoplie de règles liées à la sécurité, particulièrement en ce qui a trait aux déplacements. Nous avons besoin d'assurer le transport de matériel humanitaire de toutes sortes. Je parlais de l'agriculture, qui pose d'énormes défis. Nous sommes obligés de prendre des moyens de transport de rechange, comme de petits avions, parce que nous n'arrivons pas à nous déplacer d'une région à l'autre. C'est très préoccupant.
Il est quand même impressionnant que nous puissions encore organiser des rencontres. Grâce à la technologie et à Zoom, nous sommes capables de parler à nos partenaires régulièrement. Nous nous rendons compte qu'ils continuent de faire le travail.
Je disais tout à l'heure qu'il y avait 100 000 personnes déplacées. Ces dernières sont déplacées dans les campagnes et dans leur lieu d'origine, et cela crée une énorme pression. C'est pour cette raison qu'il y a une crise alimentaire, que vivent également les agricultrices et les agriculteurs. Il y a quand même de grandes capacités en Haïti, mais, pour l'instant, les gens n'ont pas ce qu'il faut pour produire. Il est clair que l'insécurité menace toutes les personnes en Haïti, y compris le personnel de tous les organismes avec lesquels nous travaillons.
Sur le plan humanitaire, il existe quand même de grandes organisations sans but lucratif, comme celles qui sont en train d'organiser la lutte contre le choléra. Je ne pourrai pas m'étendre là-dessus, mais je pense que ce sont des organismes qui ont de grands moyens, comme les Nations unies, qui s'affairent à apporter une réponse immédiate au choléra et à la crise humanitaire.
Nous allons distribuer de la nourriture, mais c'est du très court terme. Notre principale préoccupation est d'assurer la sécurité des agricultrices et des agriculteurs pour qu'ils puissent répondre aux besoins de la population. Ils sont capables de le faire, mais il faut qu'ils aient les intrants, qu'ils puissent travailler en sécurité et que les denrées puissent circuler dans le pays.
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C'est ce que je demande depuis de nombreuses années: que le Canada participe à ce projet. J'en ai parlé avec M. Carrière, qui est notre ambassadeur en Haïti. Ce dont Haïti a besoin, en ce moment, est que l'on éduque la population sur la démocratie.
Du jour au lendemain, nous sommes passés d'une dictature à une démocratie, mais ce qui s'est en fait passé est que le peuple n'a qu'un seul pouvoir réel, celui de voter. Le droit de vote a été volé immédiatement. Dès le départ, il a été volé. Les Haïtiens n'ont aucune idée de ce que signifie vivre dans une démocratie, parce qu'ils n'en ont pas fait l'expérience — du moins, pour l'instant — depuis près de 60 ans. J'ai 65 ans. Je suis né en 1958, l'année où Duvalier est arrivé au pouvoir, donc toute personne de mon âge n'a connu que la dictature et seulement quelques épisodes de démocratie. Dans ce pays, les gens n'ont jamais été exposés à ce qu'est la démocratie.
J'encourage le Canada et je demande, une fois de plus, que nous contribuions à l'éducation du peuple à la démocratie, non seulement de la classe politique, mais aussi des citoyens ordinaires, afin qu'ils comprennent ce qui est juste et quelles sont leurs responsabilités.
La démocratie est bâtie sur la confiance que nous avons les uns envers les autres. Lorsque vous vivez, depuis 65 ans, dans un pays dans lequel vous ne savez pas à qui vous pouvez faire confiance... vous vivez dans une dictature. La dictature n'est pas seulement une structure, mais aussi une culture. Si nous n'aidons pas les Haïtiens à se débarrasser de cette culture, nous ne ferons que reproduire ce phénomène à l'infini.