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Je déclare la séance ouverte.
Nous sommes aujourd'hui le 1er février 2023. Il s'agit de la 24e réunion du Sous-comité des droits internationaux de la personne. La réunion d'aujourd'hui se déroule dans un format hybride, conformément à l'ordre de la Chambre du 23 juin 2022. Les membres participent par Zoom et en personne.
J'ai seulement quelques observations à faire avant de commencer. Avant que quiconque prenne la parole, le président doit vous avoir nommé. Pour ceux qui participent par Zoom, il y a une icône de globe au bas de votre écran. Vous pouvez écouter soit la langue originale en anglais et en français, soit l'interprétation.
Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, notre sous-comité étudie la question des pensionnats et des écoles préscolaires du gouvernement chinois dans la région autonome du Tibet et dans toutes les régions et comtés autonomes tibétains.
Nous avons quatre témoins avec nous, deux en personnes et deux qui participent par Zoom.
À titre personnel, nous recevons Mme Chemi Lhamo, organisatrice communautaire et militante des droits de la personne, et Mme Gyal Lo, chercheuse universitaire et sociologue spécialisée en éducation. Elles sont ici en personne.
De l'organisme Human Rights Watch, nous accueillons Mme Sophie Richardson et, de Tibet Action Institute, nous recevons Mme Lhadon Tethong, directrice. Elles participent à la réunion avec vidéoconférence.
Merci d'être ici aujourd'hui.
Chaque témoin disposera de cinq minutes. Nous commencerons avec les témoins qui sont ici en personne. Je vous ferai signe de la main lorsqu'il restera une minute et 30 secondes, et vous devrez conclure vos remarques.
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Monsieur le président, merci beaucoup de me recevoir au nom de Human Rights Watch. Nous vous sommes reconnaissants de nous donner l'occasion de participer à cette étude. Je tiens également à vous féliciter pour l'adoption extraordinaire du projet de loi M‑62 la semaine dernière, qui a été un effort merveilleux à voir.
Human Rights Watch a commencé à suivre les questions d'enseignement en langue dans les régions tibétaines il y a plus de 10 ans, lorsque des propositions visant à supprimer progressivement l'enseignement de la langue tibétaine dans les régions tibétaines de la province de Qinghai ont suscité des protestations qui ont été étouffées. L'arrestation en janvier 2016 de Tashi Wangchuk, un militant de la langue, a porté à croire que les autorités chinoises adoptaient une approche plus ferme sur la question.
Néanmoins, il était extrêmement difficile de documenter les changements stratégiques. Toutefois, en mars 2020, nous avons pu publier des recherches montrant que, conformément à la vaste et vigoureuse campagne assimilationniste de sinisation du secrétaire général du Parti communiste chinois Xi Jinping, les affirmations des autorités chinoises selon lesquelles elles offraient une éducation soi-disant bilingue aux enfants tibétains étaient carrément un mensonge.
Nos recherches ont montré que cette politique, mise en œuvre au cours de la dernière décennie dans ce que les autorités chinoises appellent la région autonome du Tibet et dans les zones tibétaines d'autres provinces, avait en fait augmenté la scolarisation en chinois à tous les niveaux, sauf pour l'étude de la langue tibétaine.
En prétendant vouloir améliorer l'accès à l'éducation, les autorités chinoises ont créé des jardins d'enfants bilingues obligatoires pour immerger les enfants tibétains dans la langue chinoise et la propagande d'État à l'âge de 3 ans, au nom du renforcement de l'unité des nationalités. Elles ont également engagé des milliers d'enseignants qui ne parlent pas le tibétain dans d'autres régions de la Chine dans le programme Aid-Tibet et ont encouragé les classes ethniquement mixtes dans lesquelles, si un seul enfant qui parle le chinois est présent, toute la classe sera enseignée en chinois plutôt qu'en tibétain.
En septembre 2019, des parents et enseignants dans six cantons ruraux de la municipalité de Nagchu, dans le nord de la Région autonome du Tibet, RAT, ont déclaré à Human Rights Watch que, depuis mars 2019, leurs écoles primaires locales étaient passées à l'utilisation du chinois comme langue d'enseignement. Il s'agit de violations du droit international des droits de la personne et de la constitution chinoise.
La Convention relative aux droits de l'enfant des Nations unies et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipulent qu'il faut respecter l'enseignement dans la langue maternelle. Les comités des Nations unies chargés des droits de l'enfant, des droits économiques, sociaux et culturels, et de l'élimination de la discrimination raciale ont tous exprimé leur inquiétude quant au droit des Tibétains à recevoir un enseignement dans leur propre langue et culture dans toute la Chine.
La constitution chinoise garantit les droits des minorités linguistiques. De plus, ces politiques vont à l'encontre des meilleures pratiques en matière d'éducation, qui suggèrent fortement la maîtrise de la langue maternelle avant l'apprentissage d'autres langues. Il convient de noter que de nombreux parents tibétains à qui nous avons parlé ont souligné qu'ils souhaitent que leurs enfants apprennent les deux langues, mais pas au détriment de l'apprentissage d'une seule d'entre elles. Ces politiques constituent une menace profonde pour l'identité des Tibétains.
Le gouvernement canadien devrait non seulement faire part de ses préoccupations concernant ces pratiques lors de réunions bilatérales et de forums internationaux, mais aussi soutenir activement la préservation de l'enseignement de la langue tibétaine, y compris le matériel pédagogique et les enseignements.
Je serai ravie de fournir plus de recommandations, mais je veux m'assurer de ne pas dépasser mon temps de parole.
Je vous remercie.
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J'ai été trop efficace. Je m'en excuse. Le Congrès est très strict.
Je peux peut-être fournir quelques détails.
Nous pensons que le gouvernement chinois a mis en oeuvre ces politiques en partie grâce à une ambiguïté très délibérée sur ce que les enseignants et les écoles étaient censés faire, mais souvent, lorsqu'elles étaient confrontées, par exemple, à l'accès à du matériel pédagogique uniquement en chinois, les écoles n'avaient pas d'autre choix que d'utiliser ce matériel puisque le matériel en tibétain n'était tout simplement pas disponible.
De même, les restrictions concernant les langues que les enseignants recrutés étaient capables d'enseigner ont fait pencher le balancier dans de nombreuses circonstances différentes.
Je pense que le fait que nous ayons observé les autorités persécuter — pas seulement poursuivre, mais persécuter — les personnes qui se sont exprimées pour défendre l'enseignement en langue tibétaine montre très clairement que ce qui pourrait être considéré comme une question académique pas terriblement incendiaire dans d'autres contextes fait partie d'une campagne politique plus vaste. Cela correspond également à ce que nous avons documenté concernant d'autres composantes essentielles de l'identité tibétaine, notamment l'empiétement extraordinaire sur le droit des Tibétains à la religion et à sa pratique.
Nous avons constaté des changements semblables dans la politique et la gestion de la religion par les autorités chinoises, qui empiètent effectivement sur la capacité des personnes à vivre leur identité comme le droit international des droits de la personne leur en garantit le droit.
Merci de me donner l'occasion de comparaître devant vous. Je vais lire mes remarques et me chronométrer. Il est préférable que je m'aide à respecter le temps imparti.
Mon père est né dans un Tibet libre et indépendant en 1934. Mon frère aîné est né dans un camp de réfugiés tibétains en Inde. Je suis née sur les terres traditionnelles des Nations Songhees et Esquimalt à Victoria sur l'île de Vancouver.
En tant que Tibétaine et Canadienne, mes deux mondes se sont malheureusement heurtés il y a quelques années lorsque mon organisation, Tibet Action, a commencé à rechercher des informations selon lesquelles des parents tibétains étaient forcés, contraints, d'envoyer leurs enfants, y compris ceux âgés d'à peine quatre ou cinq ans, dans des pensionnats. Dans le cadre de nos recherches, nous avons découvert que la Chine avait mis sur pied un énorme système de pensionnats colonial au Tibet, qui menace la survie même du peuple tibétain et de la nation, car ils ont entièrement et complètement ciblé l'avenir du Tibet, de nos enfants, et même les plus jeunes.
Ce système scolaire est la pierre angulaire d'un effort plus vaste pour anéantir la résistance actuelle et future de notre peuple tibétain extrêmement fier en éliminant notre langue, notre religion et notre mode de vie. Le système de pensionnats colonial rationalise et accélère ce plan génocidaire en arrachant les enfants tibétains à leurs racines, en leur volant leur langue et en essayant de les transformer en quelque chose qu'ils ne sont pas.
J'ai quelques conclusions de haut niveau tirées de notre rapport. Au moins 800 000 enfants tibétains dans l'ensemble du Tibet historique — pas seulement la région autonome du Tibet ou ce que la Chine appelle le Tibet — représentant 78 % de tous les écoliers tibétains âgés de 6 à 18 ans, sont maintenant séparés de leur famille et vivent dans des pensionnats coloniaux. Ce chiffre n'inclut pas les enfants de quatre et cinq ans qui doivent vivre dans des pensionnats dans les régions rurales, car la Chine s'efforce activement de cacher l'existence de ce système.
Ces enfants n'ont pas le droit de pratiquer la religion. Ils sont coupés de l'authentique culture tibétaine, au‑delà, bien sûr, de ce que le Parti communiste chinois approuve et de ce que vous verrez dans la propagande, à savoir des gens qui portent des vêtements tibétains et qui font la danse en cercle tibétaine.
Ces enfants reçoivent un enseignement presque entièrement en chinois, avec peut-être une classe de langue tibétaine, par des enseignants principalement chinois, ou de plus en plus d'enseignants chinois, et à partir de manuels chinois qui reflètent la vie, l'histoire, la culture et les valeurs chinoises tout en niant complètement la riche histoire et la culture ancienne du Tibet, de nos histoires.
En outre, ils sont soumis à un endoctrinement politique intense. Comme Mme Richardson l'a dit dans le passé, même les plus jeunes enfants reçoivent un endoctrinement politique intense comme la « pensée Xi Jinping », qui dit qu'ils doivent être loyaux envers le Parti communiste chinois et la nation chinoise d'abord et avant tout.
Bien entendu, les parents tibétains n'ont pas d'autre choix que d'envoyer leurs enfants dans ces écoles, car les autorités ont fermé les écoles de village locales ainsi que la plupart des écoles tibétaines privées ou des écoles de monastère. C'est sans compter que les Tibétains, qui ont vécu 70 ans sous l'occupation chinoise et qui ont été confrontés à une violence intense de la part de l'État, savent qu'il est impossible de résister à ce genre de directives du gouvernement central sans encourir de très graves conséquences. Les parents qui résistent ou refusent sont menacés d'amendes et d'autres conséquences graves. Bien sûr, les enfants n'ont pas le choix.
Une personne du Tibet a décrit la situation ainsi: « Je connais des enfants âgés de quatre ou cinq ans qui ne veulent pas être séparés de leur mère. Ils sont obligés d'aller dans des pensionnats. Dans certains cas, les enfants pleurent pendant des jours, en se collant aux genoux de leur mère... Tant les enfants que les parents ne veulent pas. »
Cette politique insidieuse visant à isoler les enfants de leur famille afin d'effacer leur identité tibétaine et de la remplacer par une identité chinoise a été élaborée aux plus hauts niveaux du Parti communiste chinoise. Il s'agit d'une politique carrément raciste.
Tout comme les parents tibétains ne veulent pas devoir envoyer leurs enfants ailleurs, les Chinois ne veulent pas non plus envoyer leurs enfants ailleurs. En fait, une réaction contre les politiques de regroupement des écoles en Chine a mené le Conseil d'État à décréter en 2012 que tous les niveaux d'enseignement devraient, en principe, ne pas être dans des pensionnats, plus particulièrement pour les jeunes enfants de la 1ère à la 3e année. Ce même Conseil d'État a décrété en 2015 que, dans les zones dites minoritaires, les responsables doivent renforcer la construction de pensionnats et atteindre l'objectif que les élèves de toutes les minorités ethniques étudient dans une école, vivent dans une école et grandissent dans une école.
Depuis la publication de ce rapport, de nombreuses personnes nous ont demandé pourquoi le monde n'est pas au courant de cela. Comment cela a‑t‑il pu passer inaperçu? Je veux simplement dire que le blocage total de l'information et le confinement dans lequel le Tibet a été placé ont fait en sorte que nous ne recevons à peu près plus d'informations de ce pays; les médias étrangers n'y sont plus présents. Les Tibétains ne peuvent ni entrer ni sortir du pays. Il y a une répression transnationale et des mesures punitives contre les entreprises qui pourraient citer le dalaï-lama, évoquer notre gouvernement ou parler en faveur du Tibet.
Le silence actuel mis en place à dessein. Ce qui se passe au Tibet est une crise qui menace notre ancienne civilisation. D'une certaine manière, il s'agit d'un génocide d'un genre nouveau, car il se produit en temps réel, en ce moment même, mais avec très peu d'images, pas de vidéos et personne sur le terrain pour nous dire ce qui se passe, contrairement à ce que l'on peut voir partout ailleurs sur la planète.
Je demande au gouvernement canadien, à vous tous, de nous aider à dénoncer ce système, car le gouvernement chinois essaie de le cacher. Je demande au gouvernement canadien de redoubler d'attention afin d'évoquer le Tibet de toutes les manières possibles auprès de Pékin, et de continuer à faire pression sur le gouvernement chinois — ce gouvernement met tout en œuvre pour nous faire disparaître, non seulement au Tibet, mais dans le monde entier — pour qu'il respecte les droits de la personne et les libertés du peuple tibétain.
Je vous remercie.
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Merci à vous tous de me permettre de vous parler du système des pensionnats coloniaux au Tibet.
Je suis ici pour vous faire part des résultats de mes recherches et vous parler de ce dont j'ai été témoin au sujet des pensionnats préscolaires. Il s'agit d'une politique totalement cachée du gouvernement chinois. En me fiant aux 50 internats préscolaires et plus que j'ai vus de mes propres yeux, j'estime qu'au moins 100 000 enfants tibétains de 4 à 6 ans vivent désormais séparés de leurs parents, de leur famille et de leur collectivité.
Après avoir obtenu mon doctorat à l'Université de Toronto, je suis retournée au Tibet en 2015. J'ai alors commencé à enseigner à l'Université normale de Yunnan. L'année suivante, mon frère m'a appelé, car il s'inquiétait du comportement de ses deux petites-filles. Je suis retournée chez moi pour les voir. C'était ma première expérience avec les pensionnats coloniaux préscolaires.
Je suis allée chercher mes deux petites-nièces — l'une âgée de 4 ans et l'autre de 5 ans — dans leur pensionnat préscolaire le vendredi soir, puis je les ai observées attentivement lorsqu'elles étaient à la maison. J'ai clairement vu qu'elles ne faisaient pas de câlins à leurs grands-parents et qu'elles n'avaient pratiquement aucun échange émotionnel avec les membres de leur propre famille. Elles se sont assises un peu en retrait de nous, les membres de la famille, presque comme si elles étaient des invitées ou des étrangères dans leur propre maison. Elles ne conversaient entre elles qu'en mandarin, la langue chinoise. Cela s'est passé après seulement trois mois dans le nouveau pensionnat préscolaire de notre localité. Avant cela, elles ne parlaient pas le mandarin et elles avaient grandi dans un environnement entièrement tibétophone.
J'ai réalisé que le cas de ma famille n'était pas unique. Le gouvernement chinois s'affairait à mettre en œuvre une politique d'éducation préscolaire obligatoire dans tout le Tibet. Pendant les trois années suivantes, durant les vacances d'été, j'ai effectué un travail de terrain à ce sujet dans une perspective universitaire. J'ai visité des pensionnats préscolaires dans tout le Tibet oriental, dans ce que la Chine appelle maintenant le Qinghai, le Gansu, le Yunnan et le Sichuan. J'ai parlé aux enfants, aux parents, aux enseignants et aux autres intervenants du village, et ma conclusion a été la même qu'avec mes deux petites-nièces.
Il est très important de comprendre que les parents tibétains n'ont pas vraiment le choix d'envoyer leurs enfants dans ces endroits. Même les très jeunes enfants des zones rurales du Tibet — des enfants de 4 à 6 ans seulement — doivent fréquenter un pensionnat préscolaire. Les écoles locales ont été fermées dans les villages tibétains. Les écoles privées ont été fermées aussi. Il n'y a pas vraiment d'alternative locale, et il n'y a pas d'alternative tibétaine pour les parents qui ne veulent pas envoyer leurs enfants dans les pensionnats préscolaires de l'État.
Tout cela a été conçu à dessein. Le gouvernement chinois investit d'énormes quantités de ressources et s'appuie sur une rhétorique savamment élaborée pour « déraciner » les enfants tibétains et les priver de notre culture et de leur famille. Il le fait en enseignant presque exclusivement en mandarin, la langue chinoise, et en transformant l'ensemble de l'environnement d'apprentissage en un environnement entièrement chinois.
Même l'approche pédagogique est très sophistiquée. Par exemple, on montre aux élèves des objets culturels chinois, puis on leur demande de fermer les yeux et d'imaginer ces objets. On leur demande ensuite de dessiner ce qu'ils ont imaginé. Plus tard, on leur demande d'expliquer en mandarin ce qu'ils ont dessiné. Il s'agit d'une méthode qui vise de façon très volontaire à faire passer l'ensemble des fondements psychologiques des enfants du tibétain au chinois.
La Chine se sert délibérément du système scolaire comme d'une arme pour perpétrer un génocide. Je suis profondément inquiète pour le bien-être de ces enfants, pour celui de leurs parents et pour la survie de l'identité et de la culture tibétaines. Si cette politique de pensionnats coloniaux se poursuit pendant plus de 20 ans — et en particulier la politique des pensionnats préscolaires —, je crains que la Chine réussisse à mettre fin à notre civilisation et à causer des torts irréparables à notre peuple.
Merci beaucoup.
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Tashi delek.
Anee. Bonjour à tous. Je m'appelle Chemi Lhamo.
Avant de commencer, je tiens à exprimer ma reconnaissance et ma gratitude aux premiers gardiens de cette terre, aux anciens d'hier et d'aujourd'hui et à tous ceux qui devraient être ici en ce moment et qui le sont peut-être physiquement, mentalement et spirituellement.
Je suis née apatride dans un camp de réfugiés tibétains dans le sud de l'Inde. Jusqu'à l'âge de 11 ans, je n'avais pas de passeport, mais un certificat d'identité délivré par le gouvernement indien, que je devais renouveler chaque année pour maintenir mon existence politique précaire en tant que personne sans patrie.
À 11 ans, j'ai émigré à Toronto dans un quartier appelé Parkdale. Parkdale abrite l'une des plus grandes communautés tibétaines en exil en dehors de l'Inde et du Népal. C'est l'un des rares endroits où les Tibétains ont pu reconstituer à la fois leur identité nationale et leur communauté culturelle. C'est un lieu sûr où nous avons le droit d'être qui nous sommes, où nous pouvons célébrer notre culture et apprendre notre langue. Dans ce milieu, nous sommes en mesure d'étudier nos écritures et de transmettre notre riche patrimoine ancien à la prochaine génération. Tous les mercredis, nous nous réunissons à un endroit qui s'appelle « Little Tibet » pour célébrer les éléments de notre identité et de notre culture qui sont interdits et criminalisés au Tibet.
La culture est souvent désignée comme le mode de vie d'une société entière. C'est « la programmation collective de l'esprit ». Pour une communauté, c'est la culture qui guide les actions, les pensées et les sentiments collectifs. C'est ce qui nous rend uniques, humains. C'est une partie de ce qui fait notre dignité et donne un sens à nos vies.
Cependant, la domination coloniale de la Chine sur le Tibet a ciblé et attaqué sans relâche chaque aspect de cette culture: la langue, la foi, la musique, la littérature, notre mode de vie nomade et les branches ancestrales de notre savoir qui nous ont permis de vivre en tant que gardiens bienveillants de l'un des écosystèmes les plus fragiles de la planète.
Essentiellement, le parti communiste chinois a divisé notre nation en deux: il y a ceux qui sont à l'extérieur, qui ne peuvent pas entrer au pays parce que les visas leur sont refusés, et ceux qui sont à l'intérieur sans pouvoir sortir parce qu'ils n'ont pas de passeport. C'est une réalité de la vie tibétaine qui dure depuis longtemps, et aujourd'hui, l'attaque du gouvernement chinois contre les Tibétains a atteint un point de rupture. Les autorités chinoises s'en prennent aux trois piliers fondamentaux de notre identité — la religion, la langue et notre mode de vie nomade — afin de les éliminer complètement.
Ce projet d'éradication est mis en œuvre partout: dans les monastères, sur les lieux de travail, dans les écoles primaires et les maternelles, dans les prairies et dans les villes, dans les quartiers et les maisons privées. Désormais, aucun espace tibétain n'échappe à l'emprise intrusive de l'État chinois.
Des millions de nomades ont été déplacés des prairies vers des projets de logement qui ressemblent à des réserves. Ils se retrouvent donc au milieu de nulle part, avec peu ou pas d'accès à l'emploi. Les jeunes n'ont aucune perspective de survie ni même d'épanouissement. Dans les monastères, les moines et les nonnes sont lentement étranglés par des règles et des règlements qui les poussent vers la sortie et empêchent les nouveaux de se joindre à eux. Pour ceux qui restent, il n'y a pas de temps pour les études religieuses, car ils sont trop occupés à étudier les pensées de Xi Jinping et la dernière propagande que Pékin leur impose.
Pour quiconque y prête attention, il ne fait aucun doute que le Parti communiste chinois s'acharne à essayer d'éradiquer notre identité fondamentale en transformant les Tibétains en Chinois. C'est là l'objectif ultime de ce projet d'assimilation forcée du berceau à la tombe, et cela commence par l'inscription obligatoire des enfants de 4 à 6 ans dans des pensionnats préscolaires, sans parler de près d'un million d'enfants arrachés à leurs parents et forcés ou contraints d'apprendre, de penser et même d'imaginer en chinois plutôt qu'en tibétain.
Je suis ici aujourd'hui en tant que Tibétaine et Canadienne pour vous demander de vous prononcer en faveur du Tibet.
Notre silence enhardit le Parti communiste chinois. C'est pour cela que nous le voyons envoyer de façon éhontée des ballons-espions dans le monde entier. C'est pour cela qu'il installe des postes de police dans nos pays démocratiques, qu'il s'ingère dans nos élections et qu'il menace et intimide les Canadiens sur leur propre territoire. Il est impératif que nous prenions position et que nous agissions.
Certains diront peut-être que le Canada n'a pas à s'exprimer en raison de son propre héritage, mais je dis que c'est exactement pour cela que le Canada doit s'exprimer. C'est précisément la raison pour laquelle nous avons un devoir et une obligation encore plus grands de nous exprimer. Nous connaissons par nos propres erreurs le traumatisme intergénérationnel et le chagrin causés par ces types d'écoles et les relents génocidaires que ces écoles laissent derrière elles pour les générations à venir. Nous devons parler de nos expériences et de ce qui pourrait être fait différemment et veiller à ce que cela ne se reproduise plus jamais, ni ici ni ailleurs.
Il y a tant de choses que nous pouvons faire pour aider le Tibet.
Premièrement, il faut publier une déclaration qui se fait l'écho des préoccupations des quatre rapporteurs spéciaux de l'ONU et presser la Chine de fermer ces systèmes de pensionnats coloniaux au Tibet. Cela inclut le Kham et l'Amdo.
Deuxièmement, le Comité peut assurément mener une étude afin d'enquêter sur la politique des pensionnats coloniaux préscolaires du Parti communiste chinois, à propos de laquelle il n'existe aucune information. Il est clair que le gouvernement chinois cherche à la cacher et il fait tout ce qu'il peut en ce sens, car même lui sait que c'est mal. Nous devons nous assurer que les gens comme Mme Lo et les experts qui risquent leur vie pour être ici devant vous aujourd'hui afin de vous dire la vérité sur ces politiques cachées du gouvernement chinois sont pris au sérieux.
Troisièmement, il faut imposer des sanctions aux fonctionnaires chinois et aux architectes qui supervisent ces pensionnats coloniaux en vertu de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus.
Enfin, je tiens à vous remercier, ainsi que chaque personne qui nous écoute aujourd'hui, car ensemble, nous pouvons faire les choses correctement et nous assurer que cela ne se reproduira plus jamais.
Merci.
Je remercie les témoins d'avoir comparu aujourd'hui devant le Comité.
Madame Lhamo, vous avez répondu à certaines des questions que j'allais poser en décrivant la finalité de la stratégie du régime chinois ou du Parti communiste chinois pour la région du Tibet et la population tibétaine. Cependant, j'aimerais savoir quand la communauté internationale et le Canada ont appris l'existence de ce problème des pensionnats. Quand ce problème a‑t‑il été porté à notre attention?
Vous dites que dans 20 ans, il y aura probablement une transformation complète de la culture, du système d'éducation et de l'avenir dans lequel grandiront ces générations. Je pense qu'il serait important de savoir à quel moment cette question a été portée à la connaissance de la communauté internationale et du Canada. Qu'avez-vous entendu de la part de la communauté internationale à ce propos?
La question s'adresse à Mme Lhamo et à Mme Tethong du Tibet Action Institute.
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Merci. Cela s'est passé l'année dernière. Nous avons publié le rapport et nous avons informé certains gouvernements dans les coulisses juste avant décembre dernier. Cela a fait un an en décembre.
Il y a eu un certain mouvement dans le bon sens, je pense, avec les rapporteurs spéciaux de l'ONU qui se sont exprimés récemment. Lundi dernier, ils ont publié un communiqué de presse au sujet des communications qu'ils ont adressées au gouvernement chinois afin d'obtenir de plus amples renseignements sur le système scolaire et pour lui signifier que cela semblait être une violation de tous les accords conclus par le gouvernement chinois sur les droits des Tibétains.
Je pense que Mme Lo est celle qui l'explique le mieux. Depuis que le gouvernement chinois est au Tibet, il y a toujours eu des pensionnats coloniaux. Elle a fait partie de la vague d'universitaires, d'érudits et de Tibétains qui, pendant des années, ont essayé de tenir le phare et de faire pression pour qu'il y ait un contenu et un programme tibétains dans ces écoles.
Or, cet espace d'intervention n'a cessé de se rétrécir avec le temps, à tel point que, sous Xi Jinping et aux termes des politiques ethniques de deuxième génération qui sont apparues ces dernières années, le gouvernement chinois a serré la vis d'un cran: l'enseignement primaire n'est plus dispensé en tibétain, et maintenant, ce sont les écoles maternelles qui sont visées. Auparavant, les Tibétains n'étaient pas obligés d'aller à l'école maternelle. Bien sûr, ce serait formidable qu'ils y aillent, qu'ils aillent à l'école maternelle dans leur langue maternelle. Ils n'y verraient aucun inconvénient, pour peu qu'ils n'aient pas à le faire dans un pensionnat, mais localement.
Toutes ces nouvelles politiques sont le fait de Xi Jinping, et c'est ce que nous voyons en général.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
D'abord, tuchi che. Merci énormément d'être des nôtres.
Merci également à vous, madame Richardson, pour vos contributions.
Merci aux membres du Comité et à la présidence de mener cette réunion et cette étude importantes.
Mme Lhamo a mentionné la communauté de Parkdale. Au cours des sept années que j'ai passées à la représenter, j'ai certes beaucoup appris sur le Tibet et la lutte des Tibétains. À titre de président des Parlementaires amis du Tibet, j'ai parfois été encouragé par les politiques gouvernementales et la réaction internationale. Le témoignage d'aujourd'hui, toutefois, est fort perturbant.
Il y a des aspects encourageants, comme le lancement d'une stratégie indopacifique qui fait expressément mention des violations des droits de la personne au Tibet. Il y a des choses comme le vote de décembre dernier sur la reprise d'un dialogue sino-tibétain qui est au point mort depuis que Sa Sainteté a cédé son pouvoir politique au sikyong. Ces pourparlers sont moribonds depuis 10 ans environ.
J'estime que la tenue de cette étude est essentielle et je suis heureux que nous la menions, mais je veux d'abord connaître l'incidence sur les enfants et sur les parents.
Madame Gyal Lo, peut-être pourriez-vous nous dire très précisément ce qui se passerait dans la Région autonome du Tibet ou dans toute région à majorité tibétaine si un parent essayait carrément de ne pas envoyer ses enfants soit dans une école maternelle ou un pensionnat pour les 6 à 18 ans. Quelles sont les conséquences?
Human Rights Watch mène pas mal de recherches sur l'État de surveillance partout en Chine et sur la capacité des autorités à assurer virtuellement la surveillance de toutes les communications électroniques, mais également d'utiliser des outils pour suivre les gens à la trace. Je crois que l'on peut dire que le plateau tibétain est saturé de ce type de technologie. Elle est déployée de façon à empêcher la communication et à prévenir l'organisation de mouvements de masse.
Je pourrais peut-être ajouter quelque chose brièvement sur les répercussions sur les enfants et les membres de la famille. Des gens nous ont dit que les enfants étaient incapables de communiquer avec les membres de leur famille après avoir été forcés à faire toutes leurs études en chinois. Les enfants ne pouvaient pas lire de textes traditionnels, évidemment, ni participer aux rites religieux. Ils ne comprenaient tout simplement pas assez la langue pour ce faire.
Ce ne sont là que quelques exemples illustrant de façon flagrante qu'il suffit de changer le médium d'éducation pour détruire les familles et la transmission du savoir.
Mme Tethong a certainement des choses à ajouter là‑dessus.
Nous avons reçu des rapports du Tibet, quoique très limités, sur des écoliers tibétains dans ces écoles qui protestaient contre la répression associée à la langue et leur retrait du Tibet, un phénomène qui prend de l'ampleur depuis quelques années. Nous essayons de nous pencher là‑dessus, bien que ce soit pour ainsi dire impossible en raison du contrôle total exercé sur l'information là‑bas.
À propos des répercussions sur les enfants et les familles, j'ajouterais ceci: bien des Tibétains nous ont dit avoir eu l'impression qu'ils n'avaient d'autre choix que d'y envoyer leurs enfants et que, au moins, contrairement à eux, si leurs enfants apprenaient le chinois, ils auraient de meilleures possibilités, vu que le monde qui les entoure change si vite. Ils ont toutefois exprimé du regret par la suite, quand leurs enfants sont revenus à la maison complètement différents et distants. Ils en ont eu le cœur brisé. Ils avaient l'impression d'avoir pris la mauvaise décision.
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Dans les régions les plus rurales de Chine, où vous pourriez croire que... Si c'est vraiment à propos de ce que vont citer les Chinois, soit les difficultés que présente le plateau tibétain peu peuplé, la topographie et la grande difficulté d'y aller à l'école... Dans les régions les plus rurales de Chine, le taux d'inscription au pensionnat est en moyenne de 20 %. Il n'y a pas de comparaison.
On ne vise pas seulement les enfants tibétains, mais aussi les enfants ouïghours et de Mongolie intérieure. Bien sûr, au Turkestan oriental, ce que le gouvernement désigne comme la région autonome ouïghoure du Xinjiang, les circonstances sont différentes, car les parents de nombre de ces enfants sont dans des camps ou en détention.
En Mongolie intérieure, on s'est concrètement rebellé contre les politiques linguistiques d'une façon qui a en partie contribué à retarder légèrement... Nous n'avons pas tous les détails, car il est difficile d'obtenir de l'information, mais nous savons que la population en pensionnat y est aussi très élevée.
Je crois malheureusement que le Tibet est toujours au premier plan, toujours un peu plus avancé que les autres. En raison des revendications d'indépendance et de l'histoire du Tibet, ainsi que du soutien mondial dont il bénéficie, le gouvernement chinois traite le Tibet fort différemment à bien des égards, et y intervient en premier.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins de participer à cette très importante étude du Comité.
Je veux qu'ils sachent qu'ils trouveront en moi un allié. Je suis d'ailleurs interdit de séjour en Chine, si cela peut les rassurer.
Madame Tethong, vous nous avez dit que certaines familles regrettaient leur choix parce qu'elles s'étaient laissé convaincre par le gouvernement chinois, d'une façon un peu pernicieuse, d'envoyer leurs enfants dans ces pensionnats.
Êtes-vous en mesure de me dire si une famille peut refuser d'envoyer son enfant dans un pensionnat?
Si une famille refuse de le faire, y a-t-il des sanctions ou des représailles de la part du gouvernement?
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Merci pour cette question.
Il y a déjà eu plus d'options, mais leur nombre diminue d'année en année. Les Tibétains pouvaient envoyer leurs enfants dans des écoles tibétaines privées ou dans des écoles laïques tenues par des monastères, ce genre de choses. Le gouvernement chinois a toutefois mis fin à tout cela.
Quand je dis qu'ils avaient le choix, j'entends par là que certains parents avaient le choix il y a quelques années de cela entre une école tibétaine ou cette école où leurs enfants obtiendraient une solide éducation en chinois. Quand les parents prenaient cette décision, peu importe pour quelle raison, c'est de cela que je parle. C'est de ce genre de regret.
Les conséquences, vraiment... Une chose est toutefois évidente pour nous dans nos recherches: dans le cas de beaucoup de Tibétains qui veulent ou tentent de résister, la pression exercée sur les gens est beaucoup plus efficace avant même qu'ils songent à ne pas y envoyer leurs enfants.
Maintenant, les parents déménagent dans des régions urbaines parce qu'il y a des externats, ce qui me rappelle des histoires que j'ai entendues sur les pensionnats au Canada. Ils séparent la famille et déménagent avec leurs enfants dans une région urbaine afin que les enfants puissent aller dans un externat ou vivre avec les enfants de quatre et cinq ans. Nous avons entendu parler de communautés nomades où les familles se relayaient pour aller vivre à proximité de l'école, même si elles ne peuvent pas voir les enfants, afin que quelqu'un de la communauté soit à proximité. Ces personnes vivent dans leur voiture toute la semaine.
Voilà le genre d'histoires que nous entendons actuellement.
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Oui. Je crois que ce leadership serait très utile pour soulever la question auprès de pays aux vues similaires aux Nations unies. Avant toute chose, cela peut sembler évident, mais le gouvernement chinois cache cette politique pour une raison et empêche l'information de circuler pour une raison. Si personne ne sait ce qui se passe, il n'y a pas de problème. Pas de problème veut dire pas de solution. Avant toute chose, nous devons condamner directement cette politique: il faut l'exposer et aviser Pékin que le monde entier est au courant. C'est la base.
Ensuite, je crois que vous comprenez tous le principe du Tibet qui est souvent cité dans de longues déclarations sur d'autres choses, par exemple en ajoutant « et le Tibet » ou encore « le cas du Tibet nous préoccupe ». Nous sommes reconnaissants des préoccupations soutenues à l'égard du Tibet, mais je crois que de nommer explicitement les politiques, puis de parler de génocide et de se pencher sur la question, permet de montrer très clairement que ce qui se passe va bien au‑delà des violations des droits de la personne.
C'est quelque chose que nous vivons également. On nous classe dans une catégorie, comme s'il y avait ces violations individuelles, mais l'approche de Xi Jinping, surtout maintenant, est limpide. C'est une approche intégrale conçue pour éliminer les Tibétains d'une façon on ne peut plus génocidaire, et il faut aborder la question de cette façon.
Dans le cas des Tibétains, des Ouïghours et des Mongols, je crois que nos problèmes doivent être abordés ensemble. Selon moi, Pékin n'aimerait rien de mieux que de nous garder tous bien isolés les uns des autres et de dire qu'il s'agit là d'une question antiterroriste, puis ici d'une question de séparatisme... C'est tout simplement trop facile de les laisser s'en tirer avec des politiques génocidaires à l'encontre de tous, et plus particulièrement des Tibétains, des Ouïghours et des habitants de la Mongolie intérieure qui ne sont pas des Hans.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je vous remercie de vos témoignages qui nous ont été très utiles. Je suis une mère, et je ne peux même pas imaginer les histoires que vous nous avez racontées cette semaine. Lorsque j'ai entendu vos témoignages en début de semaine, j'avais besoin de toute ma maîtrise pour ne pas me précipiter à la maison et serrer mes enfants un peu plus fort. Je tiens à vous exprimer toute ma sympathie pour ce qui vous arrive.
Pour être tout à fait honnête, je suis un peu bouleversée par ces témoignages. Comme beaucoup d'autres membres du Comité, je suis interdite de séjour en Chine, parce que nous avons dénoncé le génocide dont est victime le peuple ouïghour. Je suppose que la raison pour laquelle je me sens un peu dépassée, c'est que vous soulevez la question des déclarations, de l'utilisation de sanctions semblables à celles prévues par la loi Magnitski et des mesures que le Canada peut prendre, et cela semble tellement insuffisant compte tenu de ce qui doit être fait.
J'aimerais cependant savoir quelle a été la réaction de la Chine. Le rapport a été publié. Vous vous exprimez sur la scène internationale. Nous avons vu le Royaume-Uni, les États-Unis et d'autres pays soulever la question et en parler. La Chine a‑t‑elle totalement démenti le rapport? Quelle a été la réaction de la Chine à ce sujet?
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Je vais vous répondre rapidement, et Mme Richardson pourrait peut-être faire un suivi concernant la façon dont la Chine a réagi.
En ce qui concerne les accusations particulières relatives au système de pensionnats, ils n'ont pas dit grand-chose, bien qu'ils aient donné des réponses directes. Ils n'ont pas répondu à l'ONU, mais ils ont publié quelque chose il y a quelque temps. Je pense que c'était par l'intermédiaire de l'ambassade canadienne de Chine, si je me souviens bien.
Ils nient complètement l'existence des pensionnats, et ils pointent du doigt leur propagande en ligne qui montre des enfants tibétains apprenant le tibétain ou leurs vidéos habiles qui montrent des Tibétains apprenant le tibétain. Je mentionne rapidement que les gens vont demander comment nous pouvons dire qu'ils n'apprennent pas le tibétain alors que nous les voyons là en train d'apprendre le tibétain.
Je tenais à souligner — et je pense que tous les Canadiens peuvent le comprendre — qu'un seul cours de langue tibétaine enseigné à des enfants tibétains au Tibet, où ils étudient en chinois de 9 à 10 heures par jour, ne suffit pas. Cela ne fera pas en sorte que ces jeunes, surtout s'ils sont séparés de leur famille et de leur communauté, parlent tibétain ou se comportent comme des Tibétains.
C'est l'une des excuses que le gouvernement chinois mettra de l'avant, et il s'appuie sur sa propagande très soigneusement construite et sur d'autres éléments pour montrer cela, comme des Tibétains qui dansent et chantent. Ils ont mis en ligne des documents qui, à mon avis, sont de la propagande très révélatrice. Les questions que ces enquêteurs poseront aux jeunes Tibétains, soit par écrit, soit par vidéo... Les réponses des jeunes sont très révélatrices: leur famille leur manque, ils ne sont pas heureux depuis longtemps, et ils ont le mal du pays.
Tout est là, mais tout le monde sait qu'au Tibet, il faut faire très attention à la façon dont on s'exprime devant les médias de l'État chinois.
Je pourrais ajouter rapidement que le gouvernement chinois rejette désormais par réflexe tout ce que nous publions comme étant désespérément biaisé et fictif. Nous, les membres de l'organisation, avons été sanctionnés, ce qui n'est pas vraiment pertinent, sauf pour montrer qu'il n'y a jamais de conversation de fond sur les faits. En général, le gouvernement chinois continue d'insister sur le fait qu'il ne fait que permettre au plus grand nombre d'enfants possible d'avoir accès à l'éducation, et que tout cela est dans l'intérêt du public.
Je pense qu'il est utile de souligner que la décision de 2010 visant à élargir l'accès à l'éducation préscolaire dans toutes les régions tibétaines, et en particulier dans la région autonome du Tibet, a rendu l'éducation préscolaire effectivement obligatoire. Lorsque nous réfléchissons aux conséquences de cette décision, nous constatons que l'une d'entre elles est qu'il est désormais impossible d'inscrire son enfant dans un établissement d'enseignement des niveaux suivants s'il n'a pas fréquenté l'une des écoles maternelles publiques, qu'il s'agisse d'un pensionnat ou non. Il n'y a plus d'options. Il n'y a pas d'options valables pour s'écarter du système public, car cela aurait, en fait, pour effet de retirer son enfant de tout enseignement à tous les niveaux.
Cependant, le gouvernement chinois s'est montré particulièrement peu sincère dans ses réponses aux préoccupations également soulevées par le Comité des droits de l'enfant et le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale des Nations unies, qui ont tous deux signalé un problème lié aux autorités chinoises à plusieurs reprises depuis les années 1990. Habituellement, la réponse de l'État consiste à indiquer le nombre d'enfants scolarisés dans l'ensemble, sans répondre à la question de l'accès à l'éducation dans la langue maternelle ou du déni de ce droit.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je remercie infiniment nos témoins de ces témoignages cruciaux. Je prends note du fait qu'il a été mentionné que la Chine déploie d'énormes efforts pour tenter d'éliminer la diffusion de l'information et pour éviter que l'on sache ce qui arrive aux enfants tibétains.
Madame Lo, en votre qualité d'enseignante ayant une profonde affection pour les enfants, je tiens à vous remercier tout particulièrement de nous avoir apporté un témoignage direct et récent des faits que vous avez observés de vos propres yeux. Je crois qu'il est essentiel pour le Comité d'être en mesure d'entendre ce témoignage, mais aussi de l'amplifier. En fait, je remercie tous les membres du Comité, tous partis confondus, de nous avoir permis d'insérer votre témoignage dans notre emploi du temps pour que nous ayons une réunion exceptionnelle aujourd'hui et que nous puissions faire figurer votre témoignage dans le compte rendu, ce qui, je l'espère, contribuera à le faire connaître dans le monde entier.
Mme Richardson a mentionné une tentative de sinisation. Mme Tethong a dit quelque chose à propos de l'examen de toutes ces questions ensemble. Comme vous le savez, notre comité a été, je pense, le premier du monde, tous parlements confondus, à étudier la situation des Ouïghours en 2018 et ce qui se passait là‑bas, à une époque où la Chine s'efforçait d'éviter que des renseignements à ce sujet soient rendus publics. Je constate qu'il y a des similitudes étranges dans la surveillance dont les Tibétains font l'objet et dans la tentative d'éradiquer complètement leur langue et leur culture en prenant en charge leurs enfants. Je me demande dans quelle mesure c'est quelque chose que...
Je crois que c'est Mme Tethong qui a déclaré que le Tibet était le canari dans la mine de charbon. Le Tibet est en quelque sorte venu avant. En même temps, j'imagine que ces techniques et ces technologies sont mises en commun et qu'on en tire des enseignements. En ce qui concerne les Ouïgours, nous avons constaté que le gouverneur qui était au Tibet est ensuite allé au Xinjiang.
Je me demande dans quelle mesure la Chine utilise ces techniques contre toutes ses minorités dans le cadre d'une tentative plus vaste d'éradication des peuples différents.
J'aimerais commencer par interroger Mme Lo. Ensuite, chacun d'entre vous pourra peut-être répondre à cette question.
Merci.
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Je vous remercie de votre question.
Bien sûr, au fil des ans, pendant que j'enseignais dans mon ancienne université, j'ai eu un certain nombre de collègues mongols et ouïgours. Nous avons souvent échangé des idées. À l'université, au cours des réunions officielles, nous faisions semblant de ne pas nous connaître, mais le soir, nous nous invitions les uns les autres à dîner ensemble dans un certain endroit. Nous avons vécu ce genre d'expérience. Cette expérience consistait simplement à ne pas réagir aux pressions que le gouvernement exerçait sur nous, les intellectuels.
Au fil de ces expériences, certaines choses sont devenues claires. Je remarque des similitudes entre les pensionnats pour les Ouïgours au Xinjiang et les pensionnats pour les Tibétains au Tibet. L'approche est exactement la même. Il n'y a aucune différence.
Par contre, il existe certaines différences stratégiques entre le traitement que la Chine réserve aux Tibétains et celui qu'elle réserve aux Ouïghours. Je peux vous donner un exemple concret.
En 2017, Guanxiong Pei, un universitaire en sciences sociales, a réalisé une enquête sociale sur la différence entre les Tibétains et les Ouïghours, selon leur point de vue. Il a dit d'éliminer les Tibétains des centres urbains en les faisant revenir dans leurs zones rurales, puis de tuer tous les Ouïgours de toutes les villes de Chine. Voilà les divers types d'attitudes qu'a le peuple chinois.
Je voudrais commencer par dire qu'une solidarité entre les mouvements existe. Nous l'avons vu au cours des Jeux olympiques de Pékin. J'étais en fait en Grèce avec mes amis ouïgours et hongkongais. Certains d'entre nous ont été arrêtés et détenus dans des prisons différentes, mais nous étions solidaires.
En ce qui concerne les tactiques du gouvernement chinois, il est évident que la Chine reproduit constamment les tactiques utilisées par d'autres régimes autoritaires, qu'il s'agisse d'exercer une surveillance ou d'arracher des enfants à leur famille.
Je tiens à insister sur ce point: le Tibet est confiné à dessein depuis 2008. Avant 2008, des milliers de personnes ont pu s'échapper. Nous avions souvent l'habitude d'obtenir des renseignements provenant d'experts comme Mme Gyal Lo. Après 2008, seul un petit nombre de personnes a réussi à s'échapper. Au cours des dernières années, peut-être cinq ou une poignée de personnes ont été en mesure de quitter la région.
Je voudrais encourager les gens à réfléchir au type de renseignements que nous avons reçus de l'intérieur du Tibet et au type d'accès dont nous disposons. Nous avons pu voir les camps de concentration du Turkestan oriental, mais nous n'avons pas encore été en mesure de voir les pensionnats préscolaires. Même l'ONU n'en a pas fait état dans ses communiqués jusqu'à présent. En ce qui concerne les pensionnats préscolaires, nous sommes toujours dans le noir, alors l'accès est notre nouveau leitmotiv...
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Merci, monsieur le président.
Je vais revenir un peu sur ce que mon collègue M. Genuis vient de dire.
Nous sommes ici, au Comité, pour étoffer un dossier et accumuler le plus de preuves possible afin de pouvoir, comme parlementaires, poser des gestes ou du moins revendiquer certaines choses de notre Parlement ou du gouvernement en place au Canada.
Pourriez-vous nous fournir de l'information dont vous ne nous avez pas encore fait part au sujet d'événements liés à ces pensionnats? Pourriez-vous nous la transmettre pour que nous puissions l'inclure dans le rapport?
Ma question s'adresse à tous les témoins qui participent à la réunion d'aujourd'hui.
Madame Richardson, je vous vois hocher la tête. Voulez-vous prendre la parole?
Nous allons prendre tout ce que vous pouvez nous donner. Nous avons la chance, au Comité, d'avoir des analystes extrêmement efficaces qui vont nous aider à rédiger quelque chose de solide.
Comme la plupart de mes collègues parlementaires qui sont ici aujourd'hui, j'ai travaillé sur le dossier des Ouïghours, et le gouvernement chinois a un modus operandi semblable à l'égard des Tibétains. On remarque une aggravation des violations des droits de la personne en Chine depuis l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping.
J'aimerais que nous en parlions davantage, car, pour nous, en tant que parlementaires, c'est un de nos vis-à-vis à l'international. Si nous pouvions accumuler des preuves démontrant que les violations des droits de la personne se sont aggravées depuis l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping, c'est certain que cela nous aiderait à passer à l'action par la suite.
Avons-nous raison de dire que, depuis que Xi Jinping est au pouvoir, il y a une aggravation des violations des droits de la personne? Avez-vous des exemples à nous donner pour étoffer notre dossier?
Madame Tethong, je vous ai vue réagir.
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Bien sûr. Je pense que j'ai dit que le gouvernement chinois serait ravi que nous abordions toutes ces questions séparément et en silos.
Il y a tellement de liens, et je pense que nous devons... Les Tibétains, les Ouïgours et les Hongkongais travaillent tous ensemble, dans la limite de leurs capacités, et je pense qu'il serait formidable que le gouvernement nous soutienne et nous défende davantage, tout simplement en menant une étude groupée de nos combats et en examinant la manière dont ils sont liés, et la façon dont nous pourrions confronter Pékin ou l'obliger à répondre du traitement que la Chine nous inflige à tous, car je pense que nous aurions alors plus de poids.
J'estime qu'il est également très important... Ce que je disais, c'est que l'on parle actuellement beaucoup du Tibet, et je comprends que c'est à cause d'un manque de renseignements, mais je pense aussi qu'il y a une responsabilité supplémentaire. Si vous observez les Ouïgours et les Tibétains au fil des ans, d'une certaine manière, ce qu'ils font aux Ouïgours est dû à un manque d'attention et de soutien, à la guerre contre le terrorisme et à toutes les raisons que nous connaissons. Le Tibet bénéficiait de ce soutien et de l'attention de la communauté internationale. La Chine a donc intentionnellement créé un plan pour y mettre fin.
Je pense qu'il nous incombe désormais de travailler davantage pour obtenir une vue d'ensemble. C'est mon avis. Malgré les coupures d'information et le confinement, les Tibétains ont risqué leur vie pour faire circuler l'information. Nous en avons une grande quantité. Il est plus difficile d'y voir clair, mais je pense que nous devons travailler plus dur pour fournir le même niveau d'effort qu'a déployé la Chine pour obscurcir le tableau. Elle le fait non pas parce que les choses s'améliorent, mais parce qu'elles empirent. Je pense que c'est la prochaine étape pour les autres lieux. Je regrette de le dire.
Combien de temps faudra‑t‑il pour qu'ils réduisent le Turkestan oriental au silence? Combien de temps pour Hong Kong? Où sont passés les défenseurs des droits des Chinois et des communautés religieuses en Chine? Il ne s'agit pas seulement du lien entre nous tous et de notre foi. Cet enjeu concerne aussi la communauté internationale. Je pense que nous le savons.
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Oui. Je pense que la clé pour les autres gouvernements, et en particulier pour les démocraties, est d'égaler et de dépasser l'ambition, la discipline et les ressources que Xi Jinping consacre à la suppression des droits de la personne à l'intérieur et à l'extérieur du pays.
Les efforts des Nations unies sont importants en partie parce qu'ils visent à obliger le gouvernement chinois à respecter les mêmes normes que celles que vous souhaiteriez probablement que le gouvernement canadien respecte, et que les gouvernements ont acceptées librement. Personne n'a obligé le gouvernement chinois à signer des traités sur les droits de la personne. Il les a signés de son propre gré. Il a accepté de respecter les mêmes règles et d'être soumis au même degré de surveillance.
Si nous ne pouvons pas discuter des crimes atroces commis contre les Ouïghours au sein du Conseil des droits de l'homme, alors je ne vois pas l'utilité de cette institution. Devons-nous l'abandonner? Non. Nous voulons qu'elle fonctionne.
Cependant, il y a aussi le fait qu'aujourd'hui, certaines communautés ont besoin d'aide, et je pense donc à certaines des mesures nationales que le gouvernement canadien pourrait mettre en place...
Comme l'ont mentionné les professeures Gyal Lo, Chemi et Lhadon, je pense que nous pouvons faire beaucoup de choses, qu'il s'agisse de la préservation de la langue et de la culture, du soutien aux efforts communautaires ou de l'assurance que les fonctionnaires canadiens qui travaillent sur des questions en Chine n'aient pas seulement la possibilité d'apprendre le chinois, mais aussi le tibétain, l'ouïgour, le mongol ou le cantonais. Je pense que toutes ces choses sont importantes. Toutefois, si les démocraties ne s'unissent pas rapidement pour s'opposer à un plan clair et très préoccupant de Xi, notre fenêtre d'opportunité commencera à se refermer.
Je suis en congé sabbatique. Je ne suis pas censée dire ces choses à voix haute en ce moment, mais je trouve très déconcertant de voir que, par exemple, un fonctionnaire de la région ouïgoure est reçu au Royaume‑Uni et à Bruxelles. Je trouve très inquiétant que l'Union européenne poursuive un nouveau cycle de dialogue bilatéral sur les droits de la personne avec le gouvernement chinois. Ce gouvernement devrait faire l'objet d'une enquête et de poursuites.
Existe‑t‑il des preuves et peut‑on les regrouper dans le cadre, par exemple, du rapport du Haut Commissariat aux droits de l’homme sur la région ouïgoure? Tout à fait. Soutenez cette idée. Donnez‑lui un soutien politique et financier, et les ressources humaines nécessaires.
Nous devons rassembler un grand nombre de renseignements, non seulement pour les documenter, mais aussi à des fins de responsabilisation. Les personnes responsables doivent rendre compte de ces crimes.
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Je suis très sensible à cet aspect du mouvement des sanctions, car — comme on l'a souligné à juste titre — nous avons émis certaines sanctions à l'encontre de dirigeants chinois responsables de la discrimination au Xinjiang. Je me fais l'écho de certaines des préoccupations que vous avez entendues de la part d'autres personnes sur la nécessité de disposer d'une liste de noms précise. Je pense que c'est vraiment essentiel.
Puis‑je demander à Mme Lhadon et à Mme Richardson de m'aider un peu? J'enfile maintenant mon chapeau d'avocat. J'aimerais un peu mieux comprendre les effets discriminatoires. Madame Tethong, vous avez mentionné une décision de 2010. On a pris une décision exigeant que l'enseignement soit aussi local que possible, mais en 2015, on a établi une dérogation selon laquelle, si vous faisiez partie d'une minorité, l'enseignement pouvait être aussi éloigné que possible, sans que cela pose problème.
Madame Richardson, pourriez-vous nous en dire plus sur la façon dont les Chinois violent non seulement les conventions internationales, mais aussi leurs propres lois nationales, et pourriez-vous indiquer quelles lois nationales sont violées? Ces renseignements seraient utiles au Comité.
Je vous laisse la parole à toutes les deux, Mme Lhadon et ensuite Mme Richardson.
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Merci, monsieur le président.
Pour répondre à M. Genuis, la différence, c'est que la société civile et la classe politique canadienne ont dénoncé les pensionnats autochtones. Or, je ne pense pas que ce soit le cas en Chine présentement. Lorsque les Chinois nous disent qu'il y a eu des pensionnats autochtones au Canada, nous leur répondons que nous sommes justement en train de faire la lumière sur ces crimes, et ce sont des crimes.
Les Chinois ne peuvent donc pas nous prendre en défaut sur cette question. Nous sommes justement en train de créer des tables de discussions en vue de favoriser la réconciliation. Je ne veux pas m'étendre sur le sujet. Je veux revenir à ce que je disais sur Xi Jinping.
D'après ce que je comprends, on a beau imposer des sanctions en vertu de la loi de Sergueï Magnitski à certains fonctionnaires et à certaines institutions ou organisations qui se trouvent en sol chinois et qui participent présentement à l'élaboration de ces pensionnats — donc à un génocide culturel ou à une assimilation —, il n'en demeure pas moins que celui qui chapeaute toute cette politique de plus en plus agressive, c'est Xi Jinping.
Pourtant, je n'entends pas les gouvernements occidentaux s'attaquer directement à Xi Jinping lorsqu'il est question de ces pensionnats. Lorsqu'il est fait mention du génocide des Ouïghours, on ne parle jamais directement de Xi Jinping.
Ne serait-ce pas là peut-être le meilleur angle à envisager pour les gouvernements démocratiques de partout sur la planète?
Lorsqu'il est question de génocide, qu'on est signataire d'une telle convention et qu'il y a visiblement un responsable qui chapeaute toute cette politique de génocide culturel, voir de génocide des Ouïghours, les gouvernements ou les parlements de partout sur la planète ne devraient-ils pas s'attaquer directement à Xi Jinping au moyen de sanctions ou de blâmes? Je lance la question.
Madame Richardson, avez-vous des commentaires à ce sujet?
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Je sais que des parlementaires de partout dans le monde ont conclu des ententes économiques avec la Chine et que, lorsqu'on se lève face à la Chine, cela a des répercussions économiques sur les populations de nos propres circonscriptions.
Je suis d'avis qu'il faut être du bon côté de l'histoire. Malheureusement, il y a eu des génocides dans le passé et on s'est toujours pris en retard pour s'en occuper. Présentement, des violations extrêmes des droits de la personne ont cours en Chine et le gouvernement du Canada n'en fait pas assez, selon moi. C'est à vous de juger.
À mon avis, Mme Tethong a mis le doigt sur le bon bouton. Le Canada a toujours fait preuve de leadership en matière de droits de la personne, et notez que c'est un souverainiste québécois qui vous dit cela.
Selon vous, le Canada est-il à la hauteur de ce qu'il a déjà été dans le passé en tant que leader en matière de droits de la personne en Chine?
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Absolument, et je pense que le Canada a démontré de plus d'une façon que, en tant que nation, il tient à entretenir une relation et des liens d'amitié avec la Chine. Je pense que cela doit aller de pair avec le respect de nos valeurs dans l'intérêt de tous.
Je dirais également qu'il est vraiment important de comprendre que, compte tenu de ce qui s'est passé en Chine — les récentes manifestations auxquelles des jeunes ont participé contre les politiques relatives à la COVID, les sentiments que bon nombre d'entre eux ont exprimés, et maintenant, ils ont disparu —, il ne s'agit pas seulement de nous. Il s'agit aussi d'eux, de leurs droits et de leurs libertés.
Je pense que les possibilités et l'espoir sont plus grands que jamais auparavant en raison, malheureusement, de la répression engendrée par les politiques liées à la COVID et des excès de pouvoir du gouvernement que les gens ont vécu et de la façon dont ils ont été traités. Ils ont exprimé leur solidarité envers les Ouïghours maintenant. Ils se sont exprimés et ont risqué leur vie, alors je pense que nous leur devons aussi d'en faire plus.
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Je vous remercie de la question.
En fait, j'ai témoigné devant le comité sur les relations entre le Canada et la Chine en 2019 pour parler de ma propre situation, lorsque j'étais candidate à la présidence du syndicat étudiant de l'Université de Toronto. J'ai reçu des milliers de menaces de mort et de viol. Je me suis adressée au SCRS, à la GRC et à tout type d'organisme de sécurité qu'on peut imaginer. Nous avons également recommandé, dans un rapport d'Amnistie, que le moins que le gouvernement canadien puisse faire est de désigner une personne à qui nous pourrions demander de l'aide. On nous a envoyés partout, mais il n'y a toujours aucun endroit où nous pouvons obtenir du soutien.
M. Gyal Lo témoigne publiquement ici aujourd'hui et vous dit la vérité sur les politiques cachées des pensionnats préscolaires. Si jamais il reçoit une menace demain et qu'il vient me demander conseil, je n'aurai aucun bon conseil à lui donner. Moi, qui ai eu le privilège de m'adresser au Parlement et d'accéder à tous les types d'organismes de sécurité possibles au Canada, je n'ai aucune réponse à lui donner. Je ne sais pas quoi dire d'autre à cet égard.
Les tactiques d'intimidation sont partout et pour ce qui est des postes de police, nous avons peur dans nos propres communautés. Nous savons qu'il y a des espions. Cela fait des années que nous le disons aux gens, mais aucune mesure n'a été prise. Nous espérons que les choses changeront bientôt.
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J'ajouterai rapidement que nous avons examiné cette question au Canada et dans deux ou trois autres démocraties en ce qui concerne les menaces du gouvernement chinois à l'égard de la liberté universitaire, dans des pays comme le Canada, les États-Unis, etc.
Il a surtout été question de la liberté des étudiants et des universitaires chinois de participer à la vie universitaire, aux débats et à la recherche, sans ingérence. Je ne pense pas que nous ayons vu une démocratie ou des universités faire suffisamment d'efforts pour mettre en place des mesures de protection afin que les gens puissent réellement apprendre, étudier et débattre.
De même, l'exemple de Mme Lhamo est probablement l'un des plus connus, mais de nombreuses personnes nous ont dit qu'elles ne se sentaient même pas libres de présenter leurs idées ou d'en débattre sur un campus, en partie parce qu'elles ne pensent pas que l'institution comprenne ce que sont ces pressions et encore moins comment mettre en place des mécanismes pour les signaler ou les repousser efficacement
Je pense qu'il s'agit là d'un autre aspect qui pourrait mériter une plus grande attention.
Nous avons tellement à apprendre du côté tibétain. En écoutant les histoires des survivants des pensionnats au Canada, j'ai trouvé de la force et une direction, car la situation crée de la confusion.
Si vous envoyez votre enfant dans une école, choisissez-vous cette école? Quand on a vécu sous le régime de la colonisation et de la répression pendant si longtemps, est‑ce soudain notre faute si nous envoyons des enfants dans ces écoles alors que nous n'avons pas vraiment le choix?
Nous, les gens de la communauté tibétaine, à l'intérieur et à l'extérieur du Tibet, avons beaucoup à apprendre. J'aimerais que le Canada — le gouvernement du Canada, peut-être — nous aide à mieux comprendre, au sein de notre propre communauté, la menace à laquelle nous sommes confrontés, parce que nous la subissons. Il est très difficile de voir, à certains égards, où cela va aboutir.
J'ai une brève question. J'allais parler de l'accord en 17 points et du 9e point, qui porte sur le système d'éducation. Ce que la Chine a l'intention de faire est écrit, concernant le 9e point de l'accord en 17 points.
Ma question porte sur le rôle que le Canada peut jouer. Lors du vote qui a eu lieu en octobre, nous étions à 18 voix près. Le Canada peut‑il travailler avec le Groupe des cinq et avec ses alliés pour s'assurer que la prochaine fois, nous pourrons y arriver, afin que, dans une communauté internationale soucieuse des droits de la personne, il y ait, dans cette situation, des résultats similaires à ceux de la situation des Ouïghours qui se produit également en Chine?
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Je ne saurais trop vous encourager à donner suite à cette stratégie et à trouver tous les alliés possibles. C'est un groupe inhabituel qui a signé en octobre, et je pense que l'on pourrait obtenir davantage avec des partisans plus diversifiés. Je pense qu'il faut une certaine initiative diplomatique au plus haut niveau, encore une fois, pour lutter efficacement contre l'ambition de Xi Jinping.
C'est faisable, mais je pense que les démocraties doivent décider non seulement de ce qu'elles feront des séances du Conseil des droits de l'homme en mars, juin et septembre de cette année, mais qu'elles doivent aussi réfléchir à ce qu'elles devraient faire dans 5 ans et dans 10 ans. Elles devraient penser dès maintenant à inciter d'autres gouvernements d'Asie à se présenter au Conseil des droits de l'homme, afin que la Chine ne soit peut-être pas réélue. Elle a failli perdre la dernière fois qu'elle s'est présentée, et je pense qu'avec une initiative diplomatique concertée, il serait possible de se fixer cet objectif et de l'atteindre.
Le vote qui a eu lieu en octobre a montré en partie que le gouvernement chinois peut, en réalité, faire l'objet d'une surveillance internationale par les principaux organismes de défense des droits de la personne, mais cela demande de la discipline, des ressources et de l'ambition. Il faudrait se projeter dans une décennie et travailler ensuite à rebours sur tous les enjeux, des pensionnats coloniaux au Tibet aux Ouïghours, en passant par de nombreuses autres questions, notamment les défenseurs chinois des droits de la personne, Hong Kong et la répression transnationale. Il y a de la place pour toutes ces questions aux Nations unies, et je pense que vous constaterez qu'avec le leadership du Canada, vous obtiendrez l'appui de nombreux autres gouvernements.
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Je pense que pour chaque Tibétain, ce qui semble impossible aux autres est, bien entendu, totalement évident et possible pour nous. Nous ne pensions pas que la chute de Hong Kong était impossible et maintenant, oui, tous les Tibétains sont inquiets pour Taïwan.
Je pense également que nous voyons, à Taïwan, ce qui existe là‑bas, c'est‑à‑dire le peuple et l'esprit. De nombreuses mesures devraient être prises pour renforcer le soutien à Hong Kong. Je pense que c'est la chose la plus importante pour les Tibétains, car nous n'avions pas cela lorsque nous avons perdu notre nation. Nous aurions peut-être dû travailler plus fort pour l'obtenir, mais c'était une autre époque.
Je pense tout simplement que la chose la plus importante, dans ce cas‑ci, c'est l'autodétermination et le soutien du gouvernement canadien et d'autres gouvernements à cet égard. Ce que souhaitent les Taïwanais, les Hongkongais, les Tibétains et les Ouïghours est certainement important.