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Je vous souhaite la bienvenue à la cinquième séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne.
Aujourd'hui, nous allons commencer notre étude des droits de la personne dans les États répressifs, c'est‑à‑dire de la situation des défenseurs des droits de la personne, des journalistes et des médias.
Je rappelle rapidement à toutes les personnes présentes dans la salle de bien vouloir suivre les recommandations des autorités de santé publique, de même que la directive du Bureau de régie interne, afin de demeurer en santé et en sécurité. Autrement dit, tous ceux qui sont présents devraient porter leur masque, à moins, bien sûr, qu'ils mangent ou qu'ils parlent.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à notre premier groupe de témoins. Nous sommes très heureux d'accueillir aujourd'hui Mme Farida Deif, directrice au Canada de Human Rights Watch. Nous sommes aussi très heureux d'accueillir M. Yonah Diamond, conseiller juridique au Centre Raoul Wallenberg pour les droits de la personne.
Vous disposerez chacun de cinq minutes pour faire une déclaration préliminaire. Je vais commencer par Mme Deif, de Human Rights Watch.
Madame Deif, nous allons maintenant entendre votre déclaration préliminaire.
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Je vous remercie, monsieur le président et honorables députés, de m'avoir invitée à comparaître devant votre comité pour discuter des défis auxquels sont confrontés les défenseurs des droits de la personne, les journalistes et les médias du monde entier. Je me concentrerai ce soir sur des pays particuliers qui suscitent des préoccupations, et je mettrai l'accent sur les méthodes et les outils utilisés pour réduire au silence les voix indépendantes qui s'élèvent.
L'un des principaux objectifs des États répressifs est de miner tout ce qui vient faire contrepoids à leur autorité. Ils ont tous lu le même guide et s'attaquent inévitablement à toutes les opinions qui restreignent leur pouvoir, comme celles des journalistes indépendants, des juges, des politiciens et des défenseurs des droits de la personne. Comment s'y prennent-ils? Ils le font en arrêtant des journalistes sous prétexte que ceux‑ci publient de fausses nouvelles, en faisant passer la dissidence pacifique pour du terrorisme, en portant des accusations criminelles contre des défenseurs des droits de la personne, en salissant des organisations de la société civile en prétendant qu'elles agissent pour le compte de l'étranger, en lançant des mandats d'arrestation et en imposant des interdictions de voyage punitives et un gel des avoirs à quiconque remet en question leur autorité.
Ces États saisissent également des occasions comme la pandémie de COVID‑19 pour consolider davantage leur pouvoir. Alors que les infections et les décès augmentaient en flèche, certains dirigeants répressifs ont menacé, réduit au silence ou même emprisonné quiconque ayant critiqué l'échec de leur réponse, y compris les travailleurs de la santé.
Ces États utilisent également des logiciels espions commerciaux, un outil puissant pour surveiller et réduire au silence ceux qui dénoncent leurs abus. Des gouvernements ont utilisé le logiciel espion Pegasus, mis au point par l'entreprise israélienne NSO Group, pour pirater les appareils de journalistes, de porte-parole de l'opposition et de militants dans 45 pays, y compris un membre du personnel de l'organisation que je représente, Human Rights Watch. On a permis à cette entreprise de fonctionner en toute impunité, en dépit de preuves accablantes d'abus.
Je vais commencer par quelques situations de crise particulièrement préoccupantes, notamment en Afghanistan, en Éthiopie et au Venezuela. En Afghanistan, la prise de contrôle par les talibans, en août, a immédiatement été suivie d'une réduction des droits des femmes et de la liberté de la presse. Les talibans ont battu et détenu des journalistes. Près de 70 % de tous les médias afghans ont fermé leurs portes. D'autres ont continué d'exercer leurs activités sous la menace et en étant forcés de s'autocensurer.
En Éthiopie, les journalistes faisant des reportages sur le conflit au Tigré ont été victimes d'intimidation, d'expulsions et d'arrestations. L'an dernier, les autorités éthiopiennes ont suspendu temporairement le Addis Standard, un important organe de presse en Éthiopie, affirmant qu'il faisait avancer le programme du Front populaire de libération du Tigré.
Au Venezuela, le gouvernement Maduro a mené des campagnes de stigmatisation, de harcèlement et de répression contre les médias. En mai de l'année dernière, les autorités ont saisi le siège du journal El Nacional, dans le but apparent de réduire au silence l'un des rares médias indépendants qui restent dans le pays.
Nous observons également des tendances inquiétantes dans des pays qui sont des alliés traditionnels du Canada, notamment les Émirats arabes unis, Israël et l'Inde. Aux Émirats arabes unis, des dizaines d'activistes, d'universitaires et d'avocats purgent de longues peines à la suite de procès injustes découlant d'accusations vagues et générales. Les Émirats arabes unis continuent également de développer des capacités de surveillance, en utilisant à mauvais escient des logiciels espions pour accéder aux communications privées et chiffrées de journalistes, de militants et de dirigeants mondiaux.
En Israël, les autorités ont ciblé les Palestiniens parce qu'ils s'opposaient à l'occupation, emprisonnant des milliers de personnes et fermant des dizaines de médias. L'an dernier, les autorités israéliennes ont désigné six grandes organisations de la société civile palestinienne comme organisations terroristes illégales, une mesure permettant de fermer leurs bureaux, de saisir leurs biens et d'emprisonner leur personnel et leurs partisans.
Enfin, en Inde, les critiques du gouvernement dirigé par le BJP, y compris des activistes, des journalistes, des manifestants pacifiques et même des poètes et des acteurs, risquent de plus en plus d'être victimes de harcèlement, de poursuites et de perquisitions fiscales pour des motifs politiques. L'an dernier, le gouvernement a restreint le financement de 10 ONG internationales qui œuvrent dans les domaines des changements climatiques, de l'environnement et du travail des enfants.
En terminant, nous demandons au Comité d'exhorter le gouvernement à prendre plusieurs mesures concrètes pour relever les défis croissants qui se posent. Le gouvernement devrait condamner tout État, y compris les alliés du Canada, qui cherche à faire taire les voix indépendantes et qui limite le droit des journalistes et des défenseurs des droits de la personne à se réunir, à s'associer et à s'exprimer librement.
Pour protéger ces groupes à risque, il est également urgent de réglementer le commerce mondial des technologies de surveillance. Le Canada pourrait être un chef de file dans ce domaine et devrait interdire la vente, l'exportation, le transfert et l'utilisation de technologies de surveillance, jusqu'à ce que des mesures de protection des droits de la personne soient mises en place. Il devrait également imposer des sanctions aux entreprises de logiciels espions qui sont responsables ou complices de graves violations des droits de la personne par des États répressifs, jusqu'à ce qu'elles puissent démontrer un changement de politique mettant fin aux violations qui ont donné lieu à ces sanctions.
Merci beaucoup.
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Merci, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du Comité.
« J'espère qu'un jour il n'y aura plus personne dans le monde qui sera emprisonné pour avoir exprimé son opinion et une demande aussi belle que celle de vivre librement. » C'est en ces mots que le célèbre poète et cinéaste iranien Baktash Abtin a exprimé ses attentes, avant d'être envoyé en prison pour purger une peine de six ans, avec ses collègues de l'Iranian Writers' Association. Peu après son incarcération, M. Abtin a contracté la COVID‑19. Alors que son état se détériorait, les autorités ont refusé de l'envoyer à l'hôpital, jusqu'à ce qu'il soit trop tard. Il est décédé le 8 janvier de cette année sous la garde de l'État. La mort de Baktash Abtin nous rappelle brutalement les risques mortels auxquels font face les défenseurs des droits de la personne, en particulier pendant une pandémie, dans des prisons surpeuplées, où l'hygiène et l'approvisionnement laissent à désirer.
Nasrin Sotoudeh, l'incarnation du mouvement des droits de la personne en Iran, a été condamnée à 38 ans de prison et à 148 coups de fouet en 2019 pour son soutien aux défenseurs des droits des femmes, grâce notamment à la distribution d'épinglettes et de fleurs. Au plus fort de la pandémie, sa grève de la faim de 46 jours, qui l'a menée aux portes de la mort et se voulait un appel public pour la libération des prisonniers politiques, a mobilisé l'attention internationale et a suscité une alliance sans précédent. Ce geste a fait en sorte qu'elle est maintenant en mesure de se rétablir à la maison, après sa libération conditionnelle, même si elle continue d'avoir de la difficulté à respirer.
M. Reza Eslami, un professeur de droit canado-iranien spécialisé dans les droits de la personne au Canada, a été condamné l'an dernier à sept ans de prison pour avoir suivi un cours de formation à l'étranger. Cela s'inscrit dans la tendance bien connue de cibler les personnes ayant une double nationalité en Iran.
Le journaliste suédois d'origine érythréenne Dawit Isaak et ses collègues restent les journalistes les plus longtemps emprisonnés au monde, dans un pays qui se situe au dernier rang du Classement mondial de la liberté de la presse depuis plus d'une décennie.
Le Canada doit également accorder la priorité au cas du citoyen canadien Huseyin Celil, dont l'emprisonnement remonte à 2006, et qui fait face à une peine à perpétuité dans la région ouïghoure, tout cela pour son plaidoyer pacifique en faveur de sa communauté, symbole des horreurs que vivent les Ouïghours en tant que groupe, y compris le génocide.
M. Wang Bingzhang, fondateur du mouvement pour la démocratie chinoise outre-mer et premier ressortissant chinois à obtenir son doctorat en Amérique du Nord à l'Université McGill, a été kidnappé en 2002 et condamné à l'emprisonnement à perpétuité après un procès d'une demi-journée. Depuis, sa famille canadienne réclame sa libération.
La sénatrice Leila de Lima a été injustement détenue pendant plus de cinq ans pour son travail courageux visant à mettre fin à la culture de l'impunité aux Philippines pour les atrocités de la guerre contre la drogue de Duterte, qui a tué sommairement des dizaines de milliers de personnes, ces assassinats équivalant à des crimes contre l'humanité. Pourtant, la sénatrice de Lima continue de figurer parmi les législateurs les plus productifs et les plus populaires aux Philippines, et elle se présentera aux élections de mai, l'avenir de la démocratie philippine étant lié à ce scrutin.
En Russie, le cas d'Anastasia Shevchenko est représentatif de la répression croissante qui sévit dans ce pays depuis les dernières années. Elle a été la première Russe à subir un procès criminel en vertu de la loi sur les « organisations indésirables », l'un des principaux outils de répression du Kremlin. Elle a passé six ans en prison pour des activités liées aux droits de la personne — tout cela pour avoir tenu une pancarte lors d'un rassemblement pacifique sur laquelle on pouvait lire le mot « assez ».
Ce ne sont là que quelques-unes des causes emblématiques que nous avons défendues. En même temps, des défenseurs des droits des Autochtones sont tués ou arrêtés pour leur activisme partout dans le monde, y compris ceux qui sont à l'avant-garde de notre lutte collective pour protéger notre environnement. L'an dernier seulement, une initiative mondiale a permis de documenter au moins 358 assassinats de défenseurs des droits de la personne, selon les chiffres les plus conservateurs.
Je tiens à féliciter le Canada d'avoir récemment annoncé le volet réservé aux réfugiés qui sont des défenseurs des droits de la personne à risque et d'avoir présenté la Déclaration contre la détention arbitraire dans les relations d'État à État. Il ne faut toutefois pas que les mesures se limitent à une déclaration. Il faut agir avec urgence et cohérence dans toutes les crises mondiales. L'aide consulaire pour les Canadiens à l'étranger n'est pas une question de discrétion, mais d'obligation juridique internationale, et une loi devrait être adoptée en ce sens.
La loi Magnitski est un autre outil précieux à cet égard. Elle est formulée expressément pour protéger les défenseurs des droits sur le sort desquels nous nous penchons aujourd'hui et elle devrait être appliquée comme telle. Le gouvernement devrait s'efforcer de renforcer la mise en œuvre de la loi Magnitski, y compris en prévoyant un système solide et accessible permettant de mobiliser la société civile.
Dans le cadre de notre travail, nous avons vu comment la défense des droits peut être puissante et contribuer à la libération des défenseurs des droits ou à l'obtention des soins médicaux dont ils ont besoin pour survivre. En tant que parlementaires, vos actions ont une influence supplémentaire, non seulement pour les défenseurs eux-mêmes, mais aussi pour les mouvements qu'ils représentent et les vies qu'ils protègent.
Merci.
Nous voyons des tendances vraiment inquiétantes en Inde. C'est la plus grande démocratie du monde, mais il y a un recul vraiment spectaculaire en matière de droits de la personne. Nous avons documenté — avec le gouvernement dirigé par le BJP, avec l'appui de nationalistes hindous — des attaques contre des minorités religieuses et des attaques contre des travailleurs agricoles. L'an dernier, le premier ministre Modi a qualifié les manifestants pacifiques de « parasites ». C'est le genre de langage qu'on voit dans des États très répressifs. Nous n'aurions pas pu présumer que cela pouvait se produire dans un pays qui prétend être une démocratie.
Il y a eu une véritable escalade de la crise des droits de la personne en Inde. Nous observons des tendances très inquiétantes en ce qui concerne le musellement des médias, le ciblage des journalistes et le recours aux lois sur le financement étranger des ONG pour fermer des organisations de la société civile. Il y a eu un véritable rétrécissement de l'espace démocratique en Inde. L'espace de la société civile est plus restreint, ce qui est incroyablement inquiétant. Je pense qu'il faut vraiment que les gouvernements prennent des mesures pour condamner cela, y compris les petits pas qui sont faits en ce sens.
Je pense que ce qui arrive souvent, c'est que lorsque la situation des droits de la personne se détériore autant chez nos alliés, c'est habituellement parce que l'on a ignoré un certain nombre de petites mesures négatives qui ont été prises. Lorsque des États ferment constamment les yeux sur de petits éléments d'oppression, on constate une tendance très inquiétante: un gouvernement comme le gouvernement Modi a l'impression qu'il peut agir en toute impunité contre les minorités, religieuses et autres, et la société civile en Inde. À un moment donné, il devient assez difficile de faire marche arrière.
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Comme je l'ai dit plus tôt, nous observons une tendance vraiment inquiétante de la part des gouvernements à invoquer des lois antiterroristes à mauvais escient, à poursuivre des personnes et des défenseurs des droits de la personne pour leurs activités. En autant qu'ils réussissent à présenter ces activités comme une menace à la sécurité nationale, ils parviennent à véritablement miner et menacer leur travail.
Nous le constatons dans plusieurs pays, et nous l'avons vu récemment en Israël également, où six organisations palestiniennes de la société civile, certaines des principales organisations de défense des droits de la personne au pays, documentent les abus commis par le gouvernement israélien et cherchent à obtenir de la Cour pénale internationale que le gouvernement israélien rende compte des crimes de guerre commis dans les territoires palestiniens. Les autorités israéliennes ont tenté de bâillonner leur travail, de limiter leurs activités, en déposant contre eux des accusations sans fondement en matière de lutte contre le terrorisme.
Ce qui est encore plus déconcertant, ou tout aussi déconcertant pour moi, c'est le silence affligeant du gouvernement au sujet de ces abus. Un certain nombre d'États occidentaux ont condamné les actions des autorités israéliennes pour avoir inscrit ces organisations sur la liste des groupes terroristes, pour avoir déposé ces accusations sans fondement, mais malheureusement, Affaires mondiales Canada et le gouvernement n'ont absolument rien fait pour dénoncer ces abus.
Quand le Canada ferme les yeux sur les abus de ses alliés, cela ne fait qu'exacerber la situation. Cela aggrave la crise des droits de la personne dans un pays, et cela envoie un signal aux autres États que ces mesures sont acceptables et tolérables pour le Canada.
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Merci, monsieur le président, et merci aux témoins.
J'aimerais adresser mes questions à Mme Deif.
Dans votre témoignage, vous avez parlé d'un certain nombre de pays préoccupants, et j'aimerais vous poser quelques questions au sujet du Venezuela. Vous avez souligné que les actifs du quotidien El Nacional avaient été saisis par le régime Maduro. Avant cela, Roland Carreño, journaliste à El Nacional et critique du régime Maduro, a été arrêté en octobre 2020 pour de fausses accusations de blanchiment d'argent, de terrorisme financier et de trafic illégal d'armes, et il demeure prisonnier du régime Maduro.
Êtes-vous au courant de cette affaire et, le cas échéant, pourriez-vous nous en parler en brossant un portrait plus général de la situation, qui est, à mon avis, très sombre pour le journalisme au Venezuela?
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Je ne connais pas les tenants et aboutissants de ce cas précis, mais je peux vous dire que ce type de cas est souvent observé au Venezuela et ailleurs, encore et toujours.
J'ai parlé des autorités qui ont saisi les actifs au siège du quotidien El Nacional. C'était essentiellement après que la Cour suprême du Venezuela ait ordonné au journal de payer plus de 13 millions de dollars américains en dommages-intérêts pour diffamation présumée. On peut donc voir que le gouvernement contrôle les tribunaux, recourt à des accusations de diffamation et de fraude, avec les lourdes amendes qui s'y rattachent, dans le cadre d'un plus vaste mouvement qui consiste pour les gouvernements à tenter de museler les médias dissidents et à mener une campagne de stigmatisation et de répression contre eux. Très peu de journaux, de sites Web ou de stations de radio au Venezuela peuvent désormais critiquer les autorités; ils craignent des représailles et doivent donc s'autocensurer. Nous l'avons observé à maintes reprises, et le Venezuela est certes un triste exemple à cet égard.
Nous avons aussi constaté qu'au Venezuela, en 2017, l'assemblée constituante a adopté une loi très vague, baptisée « loi contre la haine », qui interdit aux partis politiques de promouvoir le fascisme, la haine et l'intolérance et prévoit des peines d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à 20 ans pour avoir publié ce qu'ils appellent des messages d'intolérance et de haine. Cependant, la loi est utilisée à mauvais escient à bien des égards. Pendant l'état d'urgence sanitaire qui a été imposé en lien avec la COVID‑19, de nombreuses personnes qui communiquaient ou publiaient de l'information sur les médias sociaux pour remettre en question des décisions ou des politiques des autorités concernant la pandémie ont été accusées d'incitation à la haine et d'autres crimes.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les témoins d'être parmi nous ce soir.
J'aimerais poser une question à M. Diamond sur la situation en Algérie.
Un citoyen de ma circonscription, M. Lazhar Zouaïmia, est un militant d'Amnistie internationale au Québec. Il milite à partir d'ici pour les droits de la personne en Algérie. Il est citoyen canadien depuis une quinzaine d'années. Sa situation est un peu dramatique. Il a deux enfants ici, ainsi qu'une épouse. Il a perdu son fils de 21 ans dans un accident de voiture il y a environ un an. Il est parti en Algérie pour procéder à un genre de rite funéraire. Il voulait se recueillir dans son pays et son village natal. Cependant, l'État algérien l'a arrêté à l'aéroport, a porté contre lui des accusations de terrorisme et l'a emprisonné. M. Zouaïmia est un simple militant d'Amnistie internationale qui milite au Québec pour la démocratie en Algérie.
Ces événements se sont produits il n'y a pas très longtemps; c'était il y a environ un mois. La situation est un peu compliquée en raison de la double nationalité de M. Zouaïmia, qui est à la fois citoyen canadien et citoyen algérien. Comme l'État algérien nie sa citoyenneté canadienne, M. Zouaïmia n'a pas accès aux services consulaires. C'est donc extrêmement difficile de savoir ce qui se passe là-bas.
Monsieur Diamond, est-ce une situation qui vous interpelle ou à laquelle vous avez déjà fait face?
Avant toute chose, pouvez-vous me dire si vous connaissez le cas de M. Zouaïmia?
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C'est une excellente question. Pratiquement tous les indicateurs à l'échelle mondiale réapparaissent, en parallèle avec la montée de l'autoritarisme et le recul des démocraties, ce qui a de graves répercussions sur les droits de la personne, surtout au cours de la pandémie, qui a exacerbé non seulement les inégalités de pauvreté, mais aussi la répression.
L'exemple de la Russie a soulevé beaucoup d'intérêt dernièrement. Avant le renforcement des forces armées, un recul pouvait déjà être observé en raison de l'adoption de politiques répressives. Le plus troublant, c'est peut-être la fermeture récente de la principale organisation de défense des droits de la personne en Russie, Memorial, en vertu de la loi sur les agents étrangers.
Ce genre de situation se produit partout dans le monde. C'est pourquoi il est si important de pouvoir compter sur des études comme celle‑ci et de nous réengager après la pandémie, parce que nous avons reculé.
Aux Philippines aussi, comme je l'ai dit, des élections auront lieu en mai. Il y a eu une escalade et une répression interne au cours des dernières années, pendant que Duterte était au pouvoir, y compris des cas de répression et d'assassinat de journalistes, d'avocats et d'opposants politiques. La lauréate du prix Nobel, Maria Ressa, a qualifié la situation dans ce pays de « mort à petit feu » de la démocratie et de la liberté de presse. Il y a eu plus de 200 attaques et menaces, y compris le meurtre de 22 journalistes aux Philippines. Comme je l'ai dit, il y a une augmentation des meurtres de défenseurs des droits de la personne partout dans le monde.
J'en ai aussi parlé brièvement, mais en Chine, il y a de plus en plus de gestes de répression et de mesures plus restrictives pour bloquer l'accès à la région du Xinjiang, où un génocide est en cours contre les Ouïghours.
Ce ne sont là que quelques exemples de ces tendances à l'échelle mondiale.
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Oui, nous observons la même tendance. J'ai parlé de l'Inde et d'Israël, des alliés du Canada, et de nos préoccupations à l'égard de ces pays.
Le recul des droits de la personne est un phénomène généralisé. En contrepartie, nous constatons des éléments positifs sous la forme d'une mobilisation accrue des défenseurs des droits de la personne, de l'utilisation des médias sociaux pour promouvoir les droits de la personne et de l'utilisation de la technologie d'enquête pour documenter ces abus. Par contre, même s'il y a une mobilisation accrue en faveur des droits de la personne, il y a de nouveaux outils que les gouvernements, y compris ceux qui sont élus de façon démocratique, peuvent utiliser pour réprimer la dissidence.
J'ai parlé plus tôt d'un logiciel de technologie de surveillance appelé Pegasus, qui est utilisé à mauvais escient pour avoir accès aux communications privées de journalistes, de militants et de dirigeants mondiaux. C'est un domaine où il n'existe aucune réglementation, et c'est une tendance vraiment inquiétante, parce que c'est un nouvel outil qui peut être utilisé à mauvais escient et de façon très néfaste à la fois par les démocraties et les autres régimes.
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Merci, monsieur le président.
Je tiens à remercier nos deux témoins d'aujourd'hui. Votre présence ici a été extrêmement instructive et intéressante. Ce que vous nous dites est toutefois aussi très inquiétant, car nous entendons parler d'un recul des mesures de protection des droits de la personne dans le monde, et c'est profondément troublant de l'entendre.
L'une des choses que j'ai remarquées à plusieurs reprises, madame Deif, c'est lorsque vous avez parlé de fermer les yeux et de la nécessité pour le Canada — comme nous voudrions tous qu'il soit — de dénoncer continuellement ces abus dès qu'ils se produisent. Qu'arrive‑t‑il si nous ne le faisons pas? Qu'arrive‑t‑il lorsque le Canada ferme les yeux, comme il l'a fait en Israël et en Palestine et dans d'autres pays?
Une personne des Philippines a comparu devant le Comité pour parler des répercussions qu'ont eues les entreprises canadiennes qui exercent des activités dans son pays. Sa vie a été mise en danger.
Comme Canadiens, quelles sont nos obligations à cet égard? Qu'arrive‑t‑il lorsque nous ne respectons pas ces obligations?
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Je vous remercie de votre question.
Ce sont des situations dont nous sommes témoins encore et toujours. Ce que nous avons vu dans le cas de l'Ukraine, par exemple, à l'heure actuelle, c'est comment le gouvernement canadien peut utiliser très efficacement tous les outils à sa disposition, qu'il s'agisse des sanctions, du gel des avoirs ou de la reddition de comptes devant la Cour pénale internationale, pour vraiment faire avancer les choses et condamner les violations des droits de la personne. Cependant, nous constatons aussi, malheureusement, qu'il est vraiment rare que le gouvernement utilise tous les outils à sa disposition pour dénoncer ces abus.
Pour répondre à votre question, que se passe‑t‑il lorsque le gouvernement ne condamne pas les actions d'alliés comme Israël qui commettent de graves violations des droits de la personne? Lorsque le gouvernement fait obstruction aux procédures de la Cour pénale internationale — quand elle tente de faire enquête, par exemple, au sujet des actions du gouvernement israélien dans les territoires palestiniens —, il signale ainsi aux gouvernements qu'il est acceptable de commettre ces abus.
Nous avons observé une utilisation abusive des lois antiterroristes. Il est vraiment important que le gouvernement adopte une approche fondée sur des principes à l'égard de l'utilisation à mauvais escient des lois antiterroristes pour museler la dissidence pacifique en matière de droits de la personne. Il devrait y avoir une sorte de limite à ne pas franchir. Qu'il s'agisse d'un pays allié ou d'un pays avec lequel le gouvernement entretient de très mauvaises relations, quel que soit le pays qui commet ce genre d'abus, qui abuse de la législation antiterroriste pour museler la dissidence pacifique, il devrait y avoir une condamnation de la part de notre gouvernement. L'absence d'une telle condamnation signale aux autres gouvernements qu'ils peuvent en faire autant sans coup férir, mais cela envoie aussi le message aux organisations de la société civile que le gouvernement canadien ne se soucie pas vraiment de leur sort.
Nous l'avons vu dans plusieurs pays, comme en Égypte, en Israël et ailleurs. Lorsque ce gouvernement est proche d'un autre gouvernement en particulier, il n'adopte pas les mêmes mesures énergiques, la même condamnation vigoureuse. C'est souvent le silence radio, ce qui envoie un message très inquiétant aux organisations de la société civile et aux groupes partenaires qui veulent que le Canada adopte une approche pragmatique et fondée sur des principes à l'égard de ces abus.
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Il est certain que si le Canada n'adopte pas cette position de principe, il est très difficile de s'attendre à ce que d'autres pays le fassent.
Une autre chose qui me préoccupe, bien sûr, c'est ce qui se passe en Ukraine. Vous avez raison de dire que le gouvernement a fait beaucoup pour le peuple ukrainien, comme il se doit. C'est une situation très désespérée. Cependant, notre gouvernement n'a pas fait la même chose pour tous les autres pays.
Je m'interroge au sujet de la désinformation qui nous provient de la Russie, des mensonges qui nous proviennent de la Biélorussie, et des problèmes de droits de la personne qui ont débuté et qui se poursuivent là‑bas depuis très longtemps, et qui n'ont pas été dénoncés ou n'ont pas fait l'objet de mesures concrètes. Le Canada aurait‑il pu en faire davantage dans cette situation?
De plus, comment le Canada fonctionne‑t‑il sur le plan multilatéral? Comment travaillons-nous avec nos alliés? Comment pouvons-nous collaborer avec nos institutions multilatérales internationales pour mieux protéger les défenseurs des droits de la personne et les journalistes partout dans le monde?
J'aimerais que vous répondiez en ce qui concerne les mesures que nous pouvons prendre, mais aussi les mesures législatives que nous pourrions proposer, les façons dont nous pourrions utiliser la Cour pénale internationale et la Cour internationale de justice. Quelles mesures concrètes le Canada pourrait‑il adopter dès maintenant?
C'est une question très vaste. Je suis désolée.
Il est vrai que votre question comporte plusieurs volets.
En tant que militants internationaux des droits de la personne, nous avons souvent de la difficulté à convaincre le gouvernement du Canada et Affaires mondiales de s'exprimer ouvertement devant le Conseil des droits de l'homme des Nations unies sur des situations propres à chaque pays. Il n'y a vraiment qu'un sous-ensemble de pays dans lesquels le gouvernement canadien s'engage au Conseil des droits de l'homme. Notre gouvernement est souvent beaucoup plus à l'aise avec les questions thématiques qui sont un peu moins compromettantes, comme la violence faite aux femmes et les droits LGBT. Ce sont des dossiers plus faciles. Nous entendons sans cesse dire qu'ils collaborent avec tel gouvernement de façon bilatérale ou privée, mais ils ne le font pas vraiment publiquement. Je ne pense pas que le gouvernement en fasse assez au Conseil des droits de l'homme pour vraiment s'attaquer aux problèmes propres à chaque pays.
Nous avons certes constaté un changement dans cette approche à l'égard de l'Ukraine, mais cela demeure exceptionnel à bien des égards. Nous aimerions que le gouvernement prenne plus souvent ce genre de mesures énergiques aux Nations unies — à l'Assemblée générale et au Conseil des droits de l'homme à Genève — et aussi à la Cour pénale internationale. Puisque le Canada est l'un des membres fondateurs de la Cour pénale internationale, il devrait être à l'avant-garde des efforts de reddition de comptes. Nous constatons que dans les cas où il traite avec un pays allié — j'ai parlé d'Israël un peu plus tôt —, le gouvernement ne tient pas à aller plus loin, même en ce qui concerne la reddition de comptes et la justice pour les crimes internationaux vraiment graves. Lorsque vous demandez aux représentants d'Affaires mondiales à qui les Palestiniens doivent s'adresser pour obtenir justice face aux crimes internationaux graves qu'ils ont subis sous l'occupation israélienne, ils n'ont pas de réponse. Les Palestiniens n'ont vraiment personne à qui s'adresser.
Nous devons adopter une position de principe pour chaque pays dans ces dossiers, qu'il s'agisse d'un pays allié ou non.
Nous avons vu la même chose dans le dossier des droits LGBTQ, où, dans certains cas, le gouvernement se fait entendre haut et fort. Dans d'autres cas, on voit qu'il adopte beaucoup plus une approche de diplomatie privée. Malheureusement, la diplomatie privée donne très peu de résultats parce que le gouvernement fautif peut très facilement faire traîner le dossier pendant des années. Il n'est pas vraiment obligé d'agir.
Il est primordial que le gouvernement adopte une position de principe sur ces questions sur la scène mondiale et devant la Cour pénale internationale, et qu'il ne préconise pas une politique de deux poids, deux mesures. Nous constatons la même chose avec...
J'ai dû me retenir pour ne pas intervenir en écoutant la réponse sur l'Algérie. J'ai tendance à penser qu'il s'agit d'une affaire tellement complexe que le fait que des gens qui ne connaissent pas le sujet en parlent nuit au Comité. J'espère que nous pourrons parler de l'Algérie plus tard, au moment opportun, avec des témoins qui connaissent bien la nature consulaire de l'affaire et la situation extrêmement difficile qui perdure dans ce pays.
Cependant, j'aimerais aussi demander à Mme Deif si elle peut énumérer le nombre de fois où le Canada a montré la voie au cours de la dernière année, soit en rédigeant, soit en coparrainant des résolutions au Conseil des droits de l'homme des Nations unies. Quel a été le rôle du gouvernement canadien en ce qui concerne l'Éthiopie et la situation du Tigré? Quel est notre rôle à la Cour pénale internationale par rapport à l'Ukraine? Quelles sont les nombreuses façons dont nous avons participé aux travaux du Conseil des droits de l'homme, ainsi que de l'ONU, dans ces dossiers importants? Si elle pouvait nous en fournir une liste, je pense que cela pourrait être utile au Comité.
Il est tout aussi important de parler de la différence entre la mise au pilori et l'engagement, et de la façon dont les diplomates prennent la chose très au sérieux lorsque nous parlons publiquement de la situation des droits de la personne par rapport aux cas où nous tenons un discours discret. Tout n'est ni tout noir ni tout blanc. On considère ces méthodes en fait comme d'efficaces moyens d'engagement dans d'importants dossiers de droits de la personne.
Mme Deif voudrait-elle ajouter quelque chose?
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Je vous remercie de votre question.
Je ne vais pas passer en revue la liste des mesures que le gouvernement a prises au Conseil des droits de l'homme. Il y a un certain nombre de mesures, mais il est encore difficile pour le gouvernement de s'attaquer à la situation des pays. C'est un fait. Le gouvernement a dénoncé un certain nombre de situations dans différents pays, mais certainement pas assez.
Permettez-moi de vous donner un exemple au cas où cela serait utile.
Prenons l'exemple de l'Égypte. J'ai la double nationalité dans ce pays. Le simple fait de prendre la parole devant ce comité au sujet des violations des droits de la personne en Égypte peut nous mettre, ma famille et moi, en danger, mais laissez-moi vous dire ce que nous avons essayé de faire avec Affaires mondiales Canada en Égypte, et à quel point il a été difficile de convaincre Affaires mondiales de signer une déclaration conjointe, la première au Conseil des droits de l'homme à dénoncer le gouvernement Sisi pour ses pratiques répressives en matière de droits de la personne.
Cela s'est bel et bien produit. Des fonctionnaires canadiens qui faisaient partie d'un groupe diplomatique ont rencontré des représentants d'organisations de la société civile égyptienne, et ceux‑ci ont ensuite été arrêtés pour avoir rencontré des diplomates, mais même si...
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Merci, monsieur le président.
Je remercie également les témoins de leur présence.
Monsieur Diamond, vous avez parlé un peu des citoyens canadiens, et plus particulièrement des défenseurs des droits de la personne, qui sont en prison ou qui font l'objet de sanctions dans d'autres pays. Quelle est l'ampleur de cette situation? Parle‑t‑on de centaines ou de dizaines de personnes?
Avez-vous des recommandations précises à faire au gouvernement du Canada pour aider certains d'entre eux, en particulier ceux qui travaillent, disons, dans le domaine des médias et du journalisme?
Monsieur Diamond, vous avez dit que chaque cas est différent. J'ai eu le plaisir de rencontrer M. Cotler en décembre, et nous avons parlé des journalistes, et de l'impact de la détention de journalistes. Bien que je reconnaisse l'individualité et la spécificité des cas, comme parlementaire, je cherche bien entendu de meilleures solutions que nous pouvons adopter sur le plan législatif en ce qui concerne l'application de sanctions et ainsi de suite.
Pourriez-vous nous donner une idée de la meilleure façon pour nous, parlementaires, législateurs au Canada, de travailler au sein de notre propre Parlement et de notre propre gouvernement, mais aussi avec d'autres gouvernements et des groupes multilatéraux? Quelle est la meilleure façon pour nous de protéger les journalistes à l'heure actuelle — de façon générale, et non au cas par cas?
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Pour les Canadiens, je pense que l'analyse est un peu différente. Cela doit se faire de concert avec les autres intervenants et les familles.
Pour ce qui est des journalistes en général à l'étranger, le Canada a adopté une position de chef de file à cet égard en mettant sur pied des groupes d'experts et des conférences sur la liberté des médias, mais comme vous l'avez dit, nous devons prendre des mesures plus vigoureuses pour défendre les journalistes à l'étranger. Lorsqu'ils sont détenus à l'étranger, il s'avère que, dans la grande majorité des cas, les déclarations publiques et l'attention, en particulier de la part des représentants du gouvernement et de l'ONU, ont plus de poids et de légitimité. C'est essentiel pour la défense des droits à long terme, car il s'agit souvent de longs processus. Pour les journalistes du monde entier, il s'agit d'un problème plus vaste de menaces contre les médias, et c'est pourquoi le comité d'Oslo a décerné le prix Nobel de la paix à deux journalistes cette année.
Ce serait ma réponse la plus brève pour l'instant.
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Je suis très heureux d'accueillir notre deuxième groupe de témoins.
À titre de rappel pour les gens qui nous suivent virtuellement, la traduction est disponible en cliquant sur l'icône du globe au bas de l'écran.
Nous accueillons deux témoins dans ce deuxième groupe. Nous sommes heureux de recevoir M. Guilherme Canela de Souza Godoi, chef de la Division de la liberté d'expression et de la sécurité des journalistes à l'UNESCO. Nous accueillons également M. Clayton Weimers, directeur adjoint du bureau de Washington de Reporters sans frontières. Je vous remercie d'être parmi nous ce soir.
Nous pouvons commencer par M. de Souza Godoi.
Vous avez cinq minutes pour votre déclaration préliminaire.
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Bonsoir, monsieur le président. Je suis ravi d'être ici avec vous. Je vous remercie, vous et les membres du Comité, d'avoir invité l'UNESCO à contribuer à cette étude qui tombe à point nommé sur la situation des défenseurs des droits de l'homme, des journalistes et des médias.
Je tiens également à souligner le rôle important du Canada au sein des coalitions mondiales pour la défense de ces enjeux, soit la Coalition pour la liberté des médias et la Coalition pour la liberté en ligne.
J'espère que je pourrai être cohérent, compte tenu du fait qu'il est minuit trente-sept pour moi ici à Paris. Je vous prie donc de m'excuser à l'avance si ce n'est pas le cas.
Comme vous le savez, l'UNESCO est la principale agence spécialisée des Nations unies pour la promotion de la liberté d'expression, en particulier pour la coordination du Plan d'action des Nations unies sur la sécurité des journalistes et la question de l'impunité. J'espère pouvoir vous présenter certaines tendances mondiales dans ce domaine, même si je ne pourrai pas faire de commentaires sur les situations de pays en particulier.
Comme je l'ai dit, votre étude tombe à point nommé, pour différentes raisons. Nous venons de publier une étude mondiale intitulée « Tendances mondiales en matière de liberté d'expression et de développement des médias ». Nous avons dû y souligner que malheureusement au cours des quatre dernières années, la liberté de presse a été réduite pour 85 % de la population mondiale. Cette situation a été indéniablement exacerbée pendant les deux années de la pandémie, qui a créé une tempête parfaite pour réduire la liberté d'expression et la liberté de la presse.
Pourquoi parlons-nous d'une tempête parfaite? Simplement parce que différentes situations, avant la pandémie, constituaient des problèmes distincts — par exemple, la réduction de la liberté de la presse, les difficultés réglementaires, les difficultés en matière de sécurité des journalistes, de viabilité des médias, de désinformation et de fausse information — mais ces problèmes ont malheureusement contribué tous ensemble à miner la liberté de la presse.
Toutefois, il y a aussi certaines possibilités. Cette année, nous célébrons le 10e anniversaire du Plan d’action des Nations unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité. C'est donc une excellente occasion pour une étude de la sorte de contribuer à l'amélioration du mécanisme global de protection des journalistes à l'échelle mondiale.
Nous sommes également à mi‑chemin du parcours vers 2030. Comme vous le savez, il existe un objectif très précis dans le cadre du Programme de développement durable à l'horizon 2030, à savoir l'objectif 16 du développement durable, qui prévoit une cible spéciale, soit 16.10, pour la protection des défenseurs des droits de la personne, des journalistes et des syndicalistes. Donc, cette étude peut aussi être très utile à cet égard.
Je vais vous donner les éléments clés de ces études mondiales de l'UNESCO. Je serai heureux de faire parvenir ces études détaillées au Comité par la suite.
Au cours des quatre dernières années, nous avons répertorié 400 assassinats de journalistes, une statistique évidemment révoltante. Ces meurtres sont liés à un autre ensemble de statistiques très complexes, à savoir que dans une proportion de 9 sur 10, ces meurtres demeurent non résolus dans le système judiciaire, de sorte que les taux d'impunité sont très élevés en ce qui concerne la sécurité des journalistes.
De plus, des situations très précises ont également été soulignées par le groupe de témoins précédent. L'UNESCO a publié une note d'information sur la sécurité des correspondants étrangers, qui présente les difficultés qui émergent en la matière, en plus des difficultés habituelles liées à leur sécurité physique. Nous avons publié une très longue étude sur la sécurité des journalistes qui rapportent des manifestations et des émeutes, et y avons souligné des violations dans plus de 65 pays.
Nous avons publié des renseignements précis sur la restriction de la liberté de la presse dans le contexte de la COVID‑19, que je pourrai, au besoin, approfondir plus tard. Nous avons publié des discussions précises sur les défis numériques et la sécurité en ligne des journalistes, en particulier des femmes journalistes. Nous avons mené une enquête mondiale auprès des femmes journalistes. Sept femmes sur dix qui ont répondu à l'enquête ont rapporté avoir subi des attaques en ligne. L'on s'adresse désormais aux tribunaux pour tenter de censurer les médias, un phénomène qu'il est convenu d'appeler la poursuite stratégique contre la mobilisation publique, ou SLAPP.
Comme vous pouvez le constater, un ensemble de facteurs contribuent à miner la liberté de la presse et la liberté d'expression à l'échelle mondiale.
Je terminerai par quelques suggestions en ce qui concerne les recommandations que nous faisons à nos États membres, et qui pourraient être utiles dans le cadre de vos échanges. Le Plan d’action des Nations unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité porte sur les trois éléments que sont la prévention, la protection et la poursuite des crimes. Nous croyons que ces trois éléments sont particulièrement pertinents pour s'attaquer aux problèmes.
Le Canada a maintenant l'occasion de contribuer à cette discussion, soit, comme on l'a déjà mentionné, dans le cadre de l'Examen périodique universel du Conseil des droits de l'homme soit, à New York, dans le cadre des examens nationaux volontaires du Programme de développement durable à l'horizon 2030 soit, à l'UNESCO, par l'entremise du Rapport de la Directrice générale de l'UNESCO sur la sécurité des journalistes et le danger d'impunité. Il peut aussi exercer son leadership au sein de la Coalition mondiale pour la liberté des médias, qui a déjà contribué, par exemple, au Fonds mondial de défense des médias de l'UNESCO. Il existe toujours des façons très concrètes de s'attaquer à ces problèmes.
Je vous remercie beaucoup et je demeure évidemment à votre disposition pour répondre aux questions.
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Merci beaucoup. Merci d'avoir organisé cette séance et d'avoir invité Reporters sans frontières, ou RSF, à y participer.
Je suis très heureux que mon collègue ait parlé si souvent d'« impunité », puisque nous allons aborder un thème semblable.
Plus d'un millier de journalistes et de professionnels des médias ont été tués dans l'exercice de leur profession au cours des 15 dernières années. Chez RSF, nous sommes déterminés non seulement à documenter et à mettre en lumière ce contexte de terreur auquel sont confrontés les journalistes, mais aussi à améliorer activement la situation.
Dans des zones de conflit comme la Syrie et l'Ukraine, les journalistes sont délibérément ciblés. Quatre journalistes ont été tués en Ukraine depuis le début de la guerre, deux ont disparu et beaucoup d'autres ont essuyé des tirs, ou ont été harcelés et détenus. RSF documente chaque cas, et il est essentiel que nous obligions les parties responsables à rendre compte de leurs actes. Nous ne pouvons pas tolérer que des journalistes soient ciblés impunément.
Depuis le début de l'invasion russe, nous savions que nous devions aussi intervenir sur le terrain. C'est pourquoi nous nous sommes empressés de mettre sur pied le Centre de la liberté de la presse de Lviv, qui est un endroit où peuvent se réunir tous les journalistes qui couvrent le conflit. Il est situé à Lviv, dans la partie occidentale de l'Ukraine. C'est un endroit où les journalistes peuvent obtenir de l'équipement de protection comme des casques et des gilets pare-balles, obtenir un soutien financier ou en matière de sécurité numérique, ou encore charger leur téléphone et envoyer leurs reportages.
Les dangers auxquels sont confrontés les journalistes ne se limitent pas aux zones de guerre. Ici même en Amérique du Nord, sept journalistes ont été tués au Mexique en 2022 seulement — et nous ne sommes qu'en mars. Encore une fois, ces meurtres contre des journalistes sont commis selon toute vraisemblance en toute impunité.
Le problème est effectivement mondial, et tous les gouvernements démocratiques ont la responsabilité de contribuer à la protection des journalistes partout dans le monde. À cette fin, j'aimerais souligner un cas emblématique d'un point de vue typiquement canadien. Le blogueur saoudien Raif Badawi a été libéré de prison après avoir purgé une peine de 10 ans pour avoir insulté l'islam en ligne. Il a été libéré la semaine dernière, mais il fait maintenant face à une interdiction de voyager de 10 ans. Pourquoi est‑ce important? Eh bien, son épouse et ses trois enfants se sont réinstallés au Québec. Il est plus que temps que Raif soit réuni avec sa famille, et RSF exhorte fortement le gouvernement canadien et le gouvernement saoudien à unir leurs efforts et à faire l'impossible pour réunir la famille.
Le cas de Raif n'est qu'un exemple qui illustre bien les dangers auxquels font face les journalistes dans les régimes répressifs, non seulement en Arabie saoudite, mais partout dans le monde. En dépit des normes largement acceptées et des gains récents dans un cadre juridique international, les régimes répressifs agissent impunément contre la liberté de la presse. Comme je l'ai dit, puisqu'il s'agit d'un problème mondial, il faudra une solution mondiale. C'est pourquoi RSF exhorte également le Canada à appuyer une résolution des Nations unies demandant la création d'un envoyé spécial pour la protection des journalistes. Cette mesure donnerait à la communauté internationale un mécanisme concret pour appuyer le droit international et protéger les journalistes dans le monde entier. C'est une étape essentielle pour mettre fin à l'impunité.
Merci encore de tenir cette séance et de m'avoir invité à prendre la parole. Je serai heureux de répondre à vos questions.
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Premièrement, comme vous le savez, le Canada est actuellement coprésident de la Coalition pour la liberté des médias, avec les Pays-Bas. Dans le cadre de cette tribune, il y a évidemment beaucoup à faire pour sensibiliser la population et souligner les violations de la liberté de la presse, de la liberté des médias et de la liberté d'expression à l'échelle mondiale. Cependant, pour ce qui est d'une série de suggestions plus précises, avec votre permission, je pourrais en souligner trois qui sont très concrètes.
Comme M. Weimers vient de le mentionner, nous célébrerons en mai la Journée mondiale de la liberté de la presse, qui aura pour thème cette année « Le journalisme sous l'emprise du numérique ». C'est une occasion très importante pour le Canada et vos missions à l'étranger de vraiment souligner les enjeux, les différents éléments de l'attaque contre le journalisme et la liberté de la presse dans le monde, et de soutenir ces acteurs, les organisations de la société civile et d'autres, qui luttent inlassablement pour protéger la liberté de la presse dans le monde entier. C'est la première chose.
Deuxièmement, comme je l'ai également mentionné, nous célébrons cette année le 10e anniversaire du Plan d’action des Nations unies sur la sécurité des journalistes et la question de l’impunité. Le Canada est membre de différents caucus à l'ONU. C'est ce qu'on appelle les « groupes d'amis pour la sécurité des journalistes ». Le Canada peut vraiment jouer un rôle très stratégique, ce qu'il a déjà fait, en appuyant et en renforçant l'importance de ce Plan mondial des Nations unies sur la sécurité des journalistes et la question de l'impunité.
Enfin, dans le cadre des différents processus concernant les pays qui relèvent du Conseil des droits de l'homme, à savoir l'Examen périodique universel, il serait très important que le Canada puisse vraiment surveiller de très près les enjeux particuliers de la liberté d'expression et de la liberté de la presse lorsqu'un pays donné est l'objet de cet examen périodique universel. Comme vous le savez, il s'agit d'un processus mondial d'examen des droits de la personne, et nous devons discuter de façon plus précise et plus intensive de la liberté de la presse et de la liberté d'expression dans le cadre du processus d'examen périodique universel pour les différents pays.
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Je pense que c'est une suggestion vraiment intéressante, et c'est une chose que nous ne faisons pas actuellement, mais ce serait certes intéressant. À Lviv, notre centre de la liberté de la presse est un projet entièrement financé par des donateurs qui offre des ressources à tout journaliste — qu'il soit pigiste, qu'il ait l'appui d'une organisation médiatique ou même qu'il soit journaliste citoyen. Les journalistes citoyens sont souvent oubliés lorsqu'il est question de protéger les journalistes. Ils n'ont pas accès aux nombreuses ressources dont peuvent bénéficier leurs collègues des grands médias.
Dès le début de cette guerre, il était clair que trop de journalistes étaient mal équipés pour couvrir une zone de guerre, ne serait‑ce qu'à l'égard de la nécessité d'obtenir une accréditation de la presse, un casque, un gilet pare-balles et une trousse de premiers soins. Notre principal objectif est de nous assurer que nous pouvons offrir un soutien matériel aux journalistes et leur fournir ces ressources.
L'un des grands défis a été d'obtenir ces types de matériels en Europe. De nombreux fournisseurs sont à court de matériel, et de nombreux gouvernements imposent des restrictions assez importantes sur tout ce qu'ils considèrent comme étant de qualité militaire, et les gilets pare-balles font évidemment partie de cette catégorie.
Quant à savoir comment un consulat canadien, par exemple, pourrait être utile, il pourrait faciliter le réapprovisionnement en équipement de protection pour les journalistes.
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Merci, monsieur le président.
Ma question s'adresse à M. Weimers.
Vous avez parlé tantôt du cas de Raïf Badawi. J'aimerais revenir sur celui-ci, parce qu'il s'agit d'un cas type, d'une certaine façon. Ce cas a été hyper médiatisé, en tout cas au Canada, et particulièrement au Québec, étant donné que la femme de M. Badawi est Québécoise et habite à Sherbrooke. Ce cas a suscité beaucoup d'émotion à la Chambre des communes. Chaque semaine depuis je ne sais plus combien d'années, une vigie est tenue à Sherbrooke pour M. Badawi; les vendredis midi, des gens se réunissent avec des pancartes. Des journalistes en parlent. Une rencontre a même eu lieu entre la femme de Raïf Badawi et le .
M. Badawi a néanmoins passé 10 ans en prison, malgré le fait que son cas ait été super médiatisé, que l'État canadien ait exercé des pressions et qu'il y ait eu des motions à la Chambre.
Qu'est-ce qu'on aurait pu faire ou qu'est-ce qui aurait dû être fait pour que M. Badawi ne passe pas 10 ans en prison? À l'heure actuelle, M. Badawi est sorti de prison, mais il est encore en Arabie saoudite et on se demande s'il va pouvoir retrouver sa femme et ses enfants. Vous en avez parlé tantôt.
Qu'est-ce que le Canada n'a pas fait et aurait pu faire pour aider à la libération de M. Badawi?
Maintenant qu'il est en Arabie saoudite et que ses enfants sont ici, quel genre de pressions le Canada peut-il exercer ou quels moyens pouvons-nous employer pour que M. Badawi revienne au Québec?
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Merci, monsieur Weimers.
J'aimerais poursuivre sur cette lancée, en m'adressant maintenant à M. Canela de Souza Godoi.
Le cas de Raïf Badawi est hyper médiatisé. Par ailleurs, il y a souvent des négociations qui peuvent se faire pour libérer des prisonniers politiques ou des défenseurs des droits de la personne un peu partout dans le monde. Parfois, ces négociations se font discrètement, de façon diplomatique, au moyen d'appels téléphoniques entre gouvernements, le soir. Il y a aussi des cas hyper médiatisés, dont on parle beaucoup, comme celui de M. Badawi. Étant donné que les États ont tendance à ne pas aimer perdre la face, et d'autant plus ceux où le régime est répressif, certaines personnes disent que plus les cas sont médiatisés, moins les chances sont grandes de faire sortir les gens de prison dans ces États.
Qu'en pensez-vous, monsieur Canela de Souza Godoi? De façon générale, quand on a affaire à des États où le régime est répressif, vaut-il mieux laisser la diplomatie jouer? Croyez-vous, au contraire, que le fait de s'adresser aux médias peut devenir un outil important?
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Je vous remercie de la question. Il est toutefois très difficile d'y répondre.
Au cours de mes 20 années d'expérience comme fonctionnaire international spécialiste de la liberté d'expression, j'ai été témoin de tous les genres de cas, et il n'y en a jamais deux pareils. Dans bien des cas, la diplomatie discrète est très efficace. Dans bien d'autres situations, il est plus efficace de parler ouvertement. Il est très difficile de savoir exactement quelle approche est la meilleure parce qu'il n'y a pas de critères particuliers à appliquer.
C'est pourquoi il est si important de surveiller de façon très étroite et continue les entraves à la liberté d'expression et à la liberté de la presse. Cela nous permet de maintenir un environnement multilatéral, mais aussi une diplomatie bilatérale pour savoir quelle est la meilleure approche à appliquer dans chaque cas.
Si vous me le permettez, en ce qui concerne les mesures à moyen et à long terme, nous voyons dans les rapports que l'UNESCO vient de publier qu'il y a encore 160 pays dans le monde qui appliquent des lois sur la diffamation. Évidemment, ce genre de situation d'arrestation de journalistes et de recours au droit pénal pour s'attaquer à la liberté d'expression n'est possible que parce qu'il existe encore ce genre de loi qui va complètement à l'encontre des normes internationales et des recommandations du Conseil des droits de l'homme et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Des pays comme le Canada peuvent plaider encore davantage pour que les pays décriminalisent véritablement la liberté d'expression et traitent les problèmes éventuels de liberté d'expression en vertu du droit civil, et non du droit pénal.
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Merci. C'est une question très pertinente.
Évidemment, lorsqu'il y a impunité, le cycle de la violence demeure. La lutte contre l'impunité est fondamentale pour améliorer la situation de la sécurité des journalistes à l'échelle mondiale.
La première chose, c'est qu'au niveau national, nous devons appuyer un système judiciaire et des services de poursuite plus indépendants qui permettent en fait de défendre des cas précis de violations contre des journalistes comme il se doit, dans le cas d'atteintes flagrantes aux droits de la personne et à la liberté de la presse.
Dans le cas de l'UNESCO, par exemple, nous avons mis sur pied une initiative mondiale sur les juges qui a déjà mobilisé 23 000 juges et procureurs de partout dans le monde. Nous leur fournissons du matériel précis. Il s'agit essentiellement de renforcer la primauté du droit dans ce domaine.
Là où existent des tribunaux régionaux de défense des droits de la personne — comme dans le cas de la région interaméricaine avec la Cour interaméricaine des droits de l'homme, de la région africaine avec la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, ou de la région européenne, ces tribunaux peuvent également être soutenus lorsque la situation nationale ne s'améliore pas face au danger d'impunité. Les tribunaux régionaux des droits de la personne peuvent jouer un rôle très important. Comme vous l'avez mentionné dans le groupe de témoins précédent, des tribunaux internationaux comme la Cour pénale internationale peuvent également jouer ce rôle.
Cela dit, l'autre élément clé de la question de l'impunité consiste à continuer à souligner l'importance de lutter contre l'impunité sur la scène mondiale et, en particulier, de soutenir ce lien très étroit entre la primauté du droit et la liberté de la presse. C'est absolument fondamental quand il est question de mettre fin au cycle de l'impunité.
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Nous avons récemment publié un rapport intitulé
The Chilling: Tendances mondiales de la violence en ligne contre les femmes journalistes, dans lequel nous analysons une série d'entrevues menées auprès de femmes journalistes ainsi qu'une enquête mondiale. Nous avons également réalisé deux études de cas sur la violence en ligne exercée contre Maria Ressa, dont il a été question dans le groupe précédent, et Carole Cadwalladr. Nous constatons une tendance particulière à orchestrer des attaques contre les femmes journalistes dans le monde entier. Cela va des discours haineux contre ces femmes aux attaques plus avancées au moyen de robots ou de la technique du doxing, qui consiste à divulguer les données personnelles d'un particulier — toutes ces nouvelles méthodes que nous découvrons maintenant dans cet environnement de violence en ligne contre les journalistes en général, mais contre les femmes journalistes en particulier.
Nous devons faire participer les plateformes Internet et les entreprises à ce dialogue pour trouver une solution potentielle à ce problème. Une question en particulier qui est très importante ici consiste à exiger une plus grande transparence des plateformes Internet et de la façon dont elles traitent ces questions, ainsi que des données sur la violence faite aux journalistes, et aux femmes journalistes en particulier. Si nous voulons produire des politiques fondées sur des données probantes — par exemple, pour protéger les femmes journalistes en ligne —, nous avons besoin de données probantes. Il nous faut ces données.
Malheureusement, nous n'en sommes pas encore là. Ces entreprises gardent le secret quant à la façon dont elles traitent ces données et effectuent leurs évaluations des risques liés aux droits de la personne pour faire face à ces situations. On a souligné, dans les rapports de l'UNESCO, d'abord à quel point l'environnement en ligne est dangereux, en particulier pour les femmes journalistes, mais aussi à quel point il est difficile de concevoir des politiques fondées sur des données probantes, en particulier parce que ces plateformes Internet manquent de transparence.
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Merci, monsieur le président.
Ma question s'adresse aux deux témoins. En 2018, le Comité a mené une étude sur les femmes qui défendent les droits de la personne et a recommandé que le Canada soit un refuge sûr pour celles qui en ont besoin temporairement. Cela pourrait être permanent, mais très souvent, ce serait simplement un lieu de refuge très rapide et immédiat. En général, les défenseurs des droits de la personne, les journalistes et autres intervenants veulent reprendre le combat après avoir trouvé refuge temporairement.
Il y a environ un an, notre gouvernement a mis en place un programme de réfugiés pour les défenseurs des droits de la personne pouvant accueillir 250 personnes par année. On peut supposer que ce volet profite à des journalistes et d'autres intervenants du domaine des droits de la personne. Nous offrons ce programme par l'entremise de tierces parties. Comment le Canada pourrait‑il améliorer ce processus et potentiellement le rendre évolutif et en faire un modèle pour d'autres pays également?
Je vais commencer par vous, monsieur Weimers.
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Tout comme M. Weimers, je ne connais pas les particularités du programme canadien, mais c'est certes une mesure très concrète qui peut aider les défenseurs des droits de la personne, ainsi que les journalistes.
Nous avons constaté, par exemple, très récemment en Afghanistan et maintenant en Ukraine, qu'un grand nombre de journalistes réfugiés ont besoin de ce genre de protection et de refuge à l'étranger. Nous les appuyons par l'entremise du Fonds mondial pour la défense des médias de l'UNESCO. Cet appui s'accompagne également d'un solide soutien financier de la part du Canada, pour lequel je vous remercie beaucoup.
Nous avons appuyé une structure, sous l'égide de l'Association internationale du Barreau, appelée le Groupe d’experts juridiques de haut niveau sur la liberté de la presse. Ce groupe de juristes de haut niveau était coprésidé par Lord Neuberger et Amal Clooney. Il y a deux ans, le groupe a produit un rapport très important sur ce genre de problèmes, sur la façon d'instaurer un régime spécial de visas, d'offrir une aide consulaire aux journalistes qui font face à ce genre de persécution dans leur pays, et ainsi de suite.
Je recommanderais aux membres du Comité qui ne les auraient pas lus de prendre connaissance de ces rapports. On y expose une approche très détaillée de la façon dont les différents pays peuvent perfectionner leurs programmes pour aider les journalistes et les défenseurs des droits de la personne qui ont besoin de meilleures politiques dans ce domaine.
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Merci, monsieur le président.
Mes questions s'adressent à M. Weimers. Dans votre témoignage, vous avez fait état d'une amélioration du cadre juridique international de la liberté de la presse et de la protection des journalistes. En même temps, par contre, la situation empire au lieu de s'améliorer, du moins selon le Classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières.
Vous avez recommandé d'appuyer une résolution des Nations unies pour la nomination d'un envoyé spécial pour la protection des journalistes. Vous avez dit en particulier que cet envoyé aurait un rôle important à jouer dans la question de l'impunité. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette recommandation?
Pourriez-vous parler également de l'amélioration du cadre juridique par rapport à ce qu'il était, alors même que la situation se dégrade? En quoi cet envoyé changerait‑il les choses?
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Précisons au départ que je ne suis pas avocat, de sorte que mon analyse juridique ne vaut que ce qu'elle vaut.
Au lieu de parler d'une amélioration, j'aurais probablement dû dire que le cadre juridique a été discuté et codifié de bien des façons, mais qu'il ne saurait être exécutoire sans la mise en place d'un mécanisme d'application.
La désignation d'un envoyé spécial pour la protection des journalistes est l'étape suivante, qui va de la codification à l'application effective du cadre. Cela créerait un point de convergence où la communauté internationale pourrait commencer à surveiller la situation, faire des recommandations en collaboration avec des organisations comme l'UNESCO et le Conseil des droits de l'homme, et faire le suivi des répercussions pour les mauvais acteurs sur la scène internationale.
Cependant, tant que nous n'aurons pas ce mécanisme, ce n'est qu'un cadre essentiellement théorique.
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Monsieur Canela de Souza Godoi, le 10 mars 2022, l'UNESCO a publié un rapport qui souligne la menace existentielle que les réseaux sociaux font désormais peser sur la survie des médias d'information professionnels. C'est une question intéressante.
On dit qu'au cours des cinq dernières années, le public et les revenus publicitaires ont tous deux migré en grand nombre vers les plateformes Internet. Par exemple, on précise que Google et Meta — autrement dit Facebook — absorbent désormais la moitié de l’ensemble des dépenses publicitaires numériques mondiales, tandis que, pendant ce temps, les recettes publicitaires des journaux ont diminué d'autant.
De plus, selon l'étude de l'UNESCO, plus de 1 million de messages contenant des informations inexactes sur la pandémie ont circulé sur Twitter en septembre 2020; c'est seulement en l'espace d'un mois.
Je pense que votre rapport établit clairement que Facebook n'est pas un média d'information. C'est manifestement une menace pour la circulation de l'information.
Pouvez-vous nous parler un peu de ce rapport publié le 10 mars 2022?
Vous en avez parlé un peu tantôt, mais j'aimerais que vous nous décriviez de quelle façon l'augmentation des revenus des grandes plateformes constitue une menace pour la liberté d'expression et la circulation de l'information, et même pour la démocratie, d'une certaine façon.
Le rapport quadriennal sur les tendances mondiales de la liberté d'expression et du développement des médias analyse la situation de la liberté des médias, de l'indépendance des médias et du pluralisme des médias dans le monde. Par conséquent, les questions que vous venez de mentionner — les médias durables et viables et l'incidence positive ou négative de l'environnement d'Internet sur la liberté d'expression — sont un élément essentiel du rapport sur les tendances mondiales qui vient d'être publié ce mois‑ci.
De toute évidence, le rapport est très long, mais je souligne très rapidement qu'il avance l'idée que le journalisme et l'information sont des biens publics. D'où la nécessité d'une protection spéciale du système international et de politiques spéciales de l'environnement national pour vraiment protéger ces biens publics, qui sont essentiels pour nos démocraties. À leur Conférence générale en novembre dernier, les 193 États membres de l'UNESCO, dont le Canada, ont approuvé la « Déclaration de Windhoek+30 », qui souligne cette notion de l'information et du journalisme comme bien public et qui établit trois éléments essentiels.
Le premier, je l'ai déjà mentionné, est la transparence des entreprises d'Internet. C'est fondamental pour l'élaboration de politiques fondées sur des données probantes dans ces domaines. Un autre est la viabilité des médias. Nous ne pouvons pas vivre dans des déserts médiatiques. Nous ne pouvons pas vivre dans des zones de silence. En fait, cela peut avoir une incidence sur beaucoup de nos libertés démocratiques. Le troisième élément, que nous n'avons pas encore mentionné ici, est la connaissance qu'il faut avoir de l'information médiatique. Il est très important de donner aux citoyens de tous âges la capacité de composer avec des phénomènes comme la désinformation et la mésinformation, le discours haineux en ligne et les théories du complot.
Ce rapport de l'UNESCO entre dans les détails, non seulement pour le diagnostic, mais encore pour la formulation de certaines recommandations clés s'adressant à toutes les parties prenantes dans ces domaines.
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Merci, monsieur le président.
J'ai quelques questions à poser, si vous me le permettez, à M. Weimers de Reporters sans frontières.
J'ai réfléchi au fait que nous parlons beaucoup des journalistes internationaux et des répercussions sur eux. Je sais que nous sommes le Sous-comité des droits internationaux de la personne, mais je ferai valoir que les journalistes canadiens sont aussi victimes d'attaques depuis plusieurs mois.
Comment pouvons-nous protéger nos journalistes canadiens, surtout lorsque nous voyons, par exemple, les médias sociaux répandre beaucoup de mésinformation et de désinformation au sujet des médias grand public et de leurs journalistes? Le Canada a aussi un rôle à jouer dans l'exemple à donner. Nos journalistes sont la cible d'attaques au Canada. Que pouvons-nous y faire et comment pouvons-nous profiter de ce cadre pour aller de l'avant dans le monde?
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Excellente question. Le Canada a une culture louable de liberté de presse. Cela se reflète certainement dans le rang que le Canada occupe au classement, ce qui ne veut pas dire qu'il n'a pas toujours des moyens de s'améliorer.
Certes, il y a eu des incidents isolés où les journalistes, qui ont couvert le « convoi de la liberté » récemment ou les manifestations autochtones en Colombie-Britannique à la fin de l'an dernier, se sont trouvés empêchés de faire leur travail par les autorités sur le terrain. RSF dénonce toujours cette situation avec fermeté.
Lorsque nous parlons davantage de la façon globale dont nous pouvons protéger la profession de journaliste, surtout en ligne, un projet intéressant auquel RSF s'est consacré récemment est la JTI, la Journalism Trust Initiative, qui fixe essentiellement les paramètres pouvant servir à mesurer le journalisme authentique.
Vous pourriez aller vous acheter un réfrigérateur au magasin en supposant qu'il sera toujours conforme aux normes internationales, qu'il sera sécuritaire, que vous pourrez l'avoir chez vous. Pourtant, il n'y a pas de normes internationales équivalentes pour ce qu'on pourrait considérer comme un journalisme authentique. C'est ce que la JTI viserait à créer. Essentiellement, la JTI est un questionnaire entièrement facultatif auquel les médias peuvent participer pour obtenir la certification JTI.