Bienvenue à la neuvième séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne. Nous poursuivons aujourd'hui notre étude de la situation des droits de la personne en Ukraine et en Russie.
Avant de présenter les témoins, j'ai quelques observations à faire. Je ne crois pas nécessaire de vous rappeler que les directives du Bureau de régie interne sur la COVID sont toujours en vigueur. Veuillez également noter que pour activer la fonction d'interprétation, il suffit de cliquer sur l'icône du globe qui se trouve au bas de l'écran. Lorsqu'il ne vous restera que 30 secondes de parole, je vous ferai signe.
J'aimerais souhaiter la bienvenue à tous les témoins qui ont pris le temps de se joindre à nous aujourd'hui, que ce soit en personne ou virtuellement.
Nous accueillons quatre témoins dans ce groupe. Nous entendrons Chile Eboe‑Osuji, professeur à la Lincoln Alexander School of Law de l'Université Ryerson et à l'Université de Windsor. Nous accueillons également en personne Paul Robinson, professeur à l'Université d'Ottawa. James K. Stewart, sous-procureur à la retraite de la Cour pénale internationale participera virtuellement. Eugene Czolij, président de l'ONG Ukraine‑2050 et consul honoraire de l'Ukraine à Montréal témoignera en personne.
Soyez les bienvenus.
Je vais maintenant laisser cinq minutes à chaque témoin pour sa déclaration préliminaire. Nous allons d'abord entendre ceux qui participent à distance et ensuite ceux qui sont présents dans la salle.
Monsieur Eboe‑Osuji, vous avez la parole.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Je m'appelle Chile Eboe‑Osuji et j'ai été président de la Cour pénale internationale de 2018 à 2021. J'ai travaillé à la Cour pendant neuf ans, incluant la période durant laquelle j'étais juge. J'enseigne aujourd'hui à l'école de droit Lincoln Alexander, à la Toronto Metropolitan University, anciennement appelée Ryerson.
Dans mon allocution, je vais vous expliquer où je m'en vais — au point B, en fait — et je vais ensuite partir du point A. Ce que j'entends par point B, c'est le point auquel nous sommes rendus en droit international. En fait, cette guerre en Ukraine nous a conduits à ce point et nous devons maintenant apporter des changements cruciaux à ce droit pour dissuader ce genre de comportement à l'avenir. Je propose deux changements.
Nous devons revenir au Statut de Rome et y apporter une modification essentielle parce que ce traité comporte une grave lacune relativement au crime d'agression. J'y reviendrai dans un instant.
La deuxième mesure que je propose est la suivante. Il est temps d'adopter un traité qui reconnaît le droit à la paix comme étant un droit opposable, au lieu d'avoir une simple déclaration du droit à la paix. Si nous avions un droit donnant ouverture à des poursuites, cela réduirait la probabilité des guerres d'agression à l'avenir.
Je vais vous expliquer comment je me rends du point A au point B. Le point A, c'est l'histoire. En effet, les grandes avancées en droit international ont toujours eu lieu après un conflit armé, depuis les tout débuts du droit international. Par exemple, les traités de Westphalie, dont certains d'entre vous ont déjà entendu parler, ont mis fin à la guerre de Trente Ans et à la guerre de Quatre-Vingts Ans qui ont eu lieu en Europe. Pour les spécialistes des relations internationales et des sciences politiques, le traité de Westphalie de 1648 est considéré comme le point de départ du droit international que nous connaissons aujourd'hui. Il est le résultat d'une guerre.
Reportons-nous maintenant à 1856, l'année où le premier document écrit régissant la guerre de manière humanitaire a été produit. C'est ce qu'on a appelé la Déclaration de Paris. Là encore, elle est le résultat d'un conflit armé survenu en Ukraine, en quelque sorte, la guerre de Crimée de 1859. Le code Lieber — qu'un grand nombre d'avocats en droit international connaissent — est le résultat de la guerre civile américaine. Ce code a grandement contribué à la création du droit humanitaire. Reportons-nous maintenant à 1864, année de la première Convention de Genève. Nous pourrions continuer, mais je n'ai que cinq minutes.
Passons alors à 1919, après la Première Guerre mondiale. Tout le monde sait que cette guerre a mené à la création de la Société des Nations. Pour la première fois, on a pensé que ce serait une bonne idée de créer une instance internationale permanente pouvant réguler la paix dans le monde. Faisons maintenant un saut en 1945, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Là encore, beaucoup de choses se sont passées. Les Nations unies, comme nous les connaissons, en sont le résultat, de même que la convention pour la prévention du génocide. L'idée de légaliser les droits de la personne a émergé de cette guerre, tout comme la reconnaissance du principe de la responsabilité dans le droit international sur les droits humains.
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Je vous remercie, monsieur le président
Merci de m'avoir invité à témoigner.
Il y a deux mois, mon mandat de neuf ans à titre de sous-procureur à la Cour pénale internationale a pris fin. Je m'exprime donc à titre personnel, et non au nom du Bureau du procureur de la CPI.
Je vais toutefois aborder l'intérêt que le Sous-comité porte à la situation des droits de la personne en Ukraine sous l'angle des enquêtes pénales et des poursuites pour violations des droits de la personne qui sont si graves qu'elles constituent des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité, voire un génocide.
Ce faisant, j'espère placer le Statut de Rome, le traité fondateur de la CPI, dans la structure de la protection des droits de la personne, en me référant en particulier à la situation actuelle en Ukraine.
Je considère que la CPI joue un rôle de premier plan dans la protection des droits de la personne parce que ses opérations ont pour objectif d'obliger les auteurs d'atrocités à répondre de leurs actes et de prévenir la perpétration de pareils crimes à l'avenir.
Le Sous-comité sait que la compétence de la CPI est complémentaire à celles des États parties au Statut de Rome, parce que ces États ont accepté la responsabilité première de réprimer les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et le génocide. Je suis d'accord avec M. Eboe‑Osuji au sujet de la nécessité d'inscrire le crime d'agression dans ce traité.
Lorsque les États n'agissent pas, que ce soit par manque de moyens ou par manque de volonté politique, la CPI intervient alors à titre de mécanisme judiciaire de sécurité. Une fois ce mécanisme déclenché, les États parties sont alors tenus, en vertu du Statut, de participer aux enquêtes et aux poursuites. Les États non parties sont libres de soutenir la CPI dans son rôle.
Le Bureau du procureur est au cœur des opérations de la CPI. Il a le mandat indépendant de diriger des enquêtes et des poursuites impartiales en vertu du Statut de Rome. Les victimes de crimes relevant du Statut de Rome ont également un rôle à jouer dans les procédures judiciaires de la CPI. De plus, elles sont admissibles à des réparations lorsque les poursuites sont couronnées de succès. Ces éléments du système prévu par le Statut de Rome en matière de justice pénale internationale renforcent la protection des droits de la personne.
L'Ukraine, qui n'est pas encore un État partie, a reconnu la compétence de la CPI en 2014 et en 2015, dans la foulée des violences perpétrées à la place Maïdan, de l'annexion de la Crimée par la Russie et du conflit armé qui a éclaté dans le Donbass.
Vers la fin de son mandat, en 2020, Fatou Bensouda, l'ancienne procureure de la CPI, a annoncé que son examen préliminaire de la situation en Ukraine était terminé et que tous les critères justifiant l'ouverture d'une enquête étaient satisfaits. Cependant, en raison notamment de la surcharge de travail des ressources, elle n'a pris aucune autre mesure active, laissant à son successeur le soin d'établir les priorités.
Le nouveau procureur, Karim Khan, c.r., est entré en fonction en juin 2021. L'invasion russe de l'Ukraine, qui a débuté le 24 février dernier, a propulsé l'Ukraine au premier plan lorsque des allégations de crimes de guerre ont été déposées. Comme les membres du Sous-comité le savent, plus de 40 États parties, dont le Canada, ont dénoncé la situation en Ukraine auprès du procureur, lui donnant le pouvoir, en vertu du Statut, d'ouvrir une enquête directement, ce qu'il a fait.
Le Bureau du procureur mène actuellement une enquête sur les allégations de crimes de guerre en Ukraine en temps réel. Je crois comprendre que les États parties ont manifesté leur soutien à cette initiative en s'engageant à fournir des ressources financières et humaines et que le Canada a joué un rôle clé à cet égard.
Il y a un point qu'il est important de souligner au sujet de ce soutien. Comme le procureur a le mandat indépendant d'enquêter sur les crimes relevant du Statut de Rome, il est donc essentiel qu'il puisse utiliser les ressources financières et humaines qu'il juge appropriées. Les États parties ne peuvent pas affecter de ressources expressément pour l'enquête sur l'Ukraine et ils n'ont pas à le faire pour soutenir efficacement la Cour.
Par exemple, le personnel détaché au Bureau du procureur peut être affecté à d'autres enquêtes menées par le Bureau. Cela libère donc des ressources pour l'enquête sur l'Ukraine et donne plus de flexibilité en matière de déploiement du personnel. Le Canada le comprend très bien.
Bien entendu, l'enquête sur l'Ukraine demeure une priorité. Dans le passé, quand je travaillais au Bureau du procureur, nous confiions en sous-traitance les travaux nécessitant l'expertise que nous n'avions pas, mais c'était nous qui dirigions l'enquête. Dans la situation actuelle en Ukraine, il n'est donc pas surprenant qu'une équipe d'experts judiciaires néerlandais se rende en Ukraine pour participer aux enquêtes du Bureau du procureur. Ce soutien est coordonné par le Bureau du procureur et...
Je vais m'exprimer à titre d'universitaire spécialiste de la Russie et d'ancien officier de l'armée qui a publié des articles sur la théorie de la guerre juste.
Permettez-moi d'insister sur la difficulté de traduire en justice les auteurs de crimes dans des situations de conflit civil et de guerre. Hier marquait le huitième anniversaire des atrocités commises dans la ville ukrainienne d'Odessa, lorsqu'un bâtiment abritant des manifestants contre la révolution de Maïdan a été incendié, causant la mort de 42 personnes.
Personne n'a jamais été tenu responsable de ce qui s'est passé, ce qui a incité le bureau des droits de l'homme des Nations Unies à faire le commentaire suivant:
... les enquêtes sur la violence ont été entravées par des lacunes institutionnelles systémiques et se sont caractérisées par des irrégularités procédurales, ce qui semble indiquer un manque de volonté d'enquêter véritablement et de poursuivre les responsables.
Les parties au conflit ont toujours refusé d'enquêter sur les méfaits commis par leur propre camp. Cela sera probablement encore le cas dans l'actuelle guerre en Ukraine, où les deux camps s'accusent mutuellement de crimes de guerre. Aucun pays de la région n'a un bilan enviable en matière de reddition de comptes. Les allégations de crimes de guerre justifient une enquête approfondie, même celles à l'encontre de l'Ukraine qui ne peuvent toutes être rejetées comme étant de la désinformation.
Je vais centrer mon propos sur la Russie, puisque c'est mon domaine d'expertise.
Contrairement à ce que beaucoup pensent, l'État russe est plutôt légaliste et, la plupart du temps, il respecte la loi à la lettre, sur le plan tant national qu'international. En revanche, lorsque des intérêts vraiment importants sont en jeu, la Russie, comme bien d'autres États, ne laisse pas la loi l'empêcher de faire ce qu'elle veut. Malgré cela, il est important pour les autorités russes d'être perçues comme étant respectueuses des règles juridiques et elles s'efforcent souvent de faire passer leurs actions pour légales, même quand ce n'est pas le cas.
À l'occasion, l'État russe a tenu ses troupes responsables de méfaits en temps de guerre, notamment en Tchétchénie au début des années 2000, mais en général, c'était uniquement parce que les méfaits en question ne pouvaient être ignorés. Aujourd'hui, puisque les médias indépendants ont presque tous été bâillonnés en Russie, cela n'arrivera probablement plus.
Dans l'ensemble, même si l'État russe s'est généralement conformé aux jugements des tribunaux internationaux, y compris ceux de la Cour européenne des droits de l'homme, son bilan est moins bon quand il s'agit d'affaires qui concernent la sécurité de l'État. De plus, la Russie a modifié sa constitution l'an dernier afin de préciser que les décisions qui « sont contraires à la Constitution de la Fédération russe » ne seront pas mises en œuvre. Je suppose que cette catégorie de décisions peut être interprétée de manière assez large, selon les souhaits des autorités politiques.
Dans le contexte actuel, je pense qu'il est très peu probable que les autorités russes admettent avoir commis des actes répréhensibles en Ukraine, encore moins qu'elles intentent des poursuites ou envoient les suspects devant un tribunal international. Je ne m'attends pas à ce que les pressions internationales arrivent à forcer la Russie à se plier aux demandes occidentales. L'invasion de l'Ukraine a clairement démontré que les autorités russes ne se soucient absolument pas de ce que nous pensons.
Bref, les options sont limitées. Quoi qu'il en soit, il est moins important de poursuivre les auteurs de violations des droits de la personne après le fait que de prévenir ces violations. Même s'ils sont atroces, les crimes de guerre ne représentent toutefois qu'une infime fraction des souffrances humaines infligées en temps de guerre. La guerre en Ukraine s'est surtout déroulée dans un contexte urbain. Les combats dans des zones bâties, même s'ils ont lieu dans le respect des lois de la guerre, sont extrêmement destructeurs et entraînent un nombre négligeable de pertes humaines. Nous l'avons constaté ces dernières années en Syrie et en Iraq, dans les villes comme Raqqa, Mosul et Falloujah.
Dans les conflits modernes, nous avons également entendu l'expression passe-partout « matériel à double usage » pour justifier les attaques sur une vaste catégorie de cibles potentielles. De plus, les lois de la guerre autorisent également ce qu'on appelle par euphémisme les « dommages collatéraux ».
En temps de guerre, les droits humains sont violés quotidiennement de manière tout à fait légale. Même dans des conditions défavorables, la paix est en général un moyen beaucoup plus efficace pour protéger les droits qu'une guerre prolongée, même si elle est justifiée.
Malgré cela, l'OTAN a déclaré, ces dernières semaines, qu'elle soutiendra l'Ukraine pendant des années, si cela est nécessaire. Le gouvernement britannique a déclaré qu'il soutiendra l'Ukraine si elle tentait de reprendre la Crimée et le secrétaire américain à la Défense a déclaré que le but des États-Unis était d'affaiblir la Russie. Si jamais ces options étaient mises en œuvre, le coût en vies humaines serait certes exorbitant. Même si l'Ukraine réussit à mettre fin à l'offensive en cours dans le Donbass, il est peu probable qu'elle ait la force nécessaire pour reprendre tous ses territoires perdus. Même si elle pouvait le faire, ce ne serait pas sans infliger aux villes comme Donetsh et Luhansk les mêmes dommages que la Russie a infligés à Marioupol.
Pour mettre fin aux souffrances, il faudrait mettre fin à la guerre le plus rapidement possible, mais je crains que nous soyons en train d'aller...
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Monsieur le président et membres du Sous-comité des droits internationaux de la personne de la Chambre des communes, je vous remercie de m'avoir invité à témoigner dans le cadre de votre étude de la situation actuelle des droits de la personne en Ukraine et en Russie.
Je m'appelle Eugene Czolij et je suis président de l'ONG Ukraine-2050 et consul honoraire de l'Ukraine à Montréal.
Inutile de dire que ma tâche aujourd'hui a été considérablement simplifiée par l'adoption à l'unanimité, le 27 avril 2022, d'une motion de la Chambre des communes du Canada, reconnaissant à juste titre que la Fédération de Russie commet des actes de génocide contre le peuple ukrainien. Le génocide est clairement le crime le plus grave et la pire violation des droits de la personne.
[Français]
Il y a un mois et demi, soit le 16 mars 2022, la Cour internationale de justice, à La Haye, a rendu un jugement provisoire dans la cause Ukraine c Fédération de Russie statuant d'abord que ces deux pays sont parties à la convention de l'ONU sur le génocide, puis déclarant ceci:
La Cour considère que la population civile touchée par le conflit est extrêmement vulnérable. De nombreux civils ont été tués ou blessés dans le cadre de l'« opération militaire spéciale » conduite par la Fédération de Russie, qui a également occasionné d'importants dégâts matériels, notamment la destruction de bâtiments et d'infrastructures. Les attaques, qui sont toujours en cours, rendent les conditions de vie de la population civile de plus en plus difficiles. Nombreux sont ceux qui n'ont pas accès aux produits alimentaires de première nécessité, à l'eau potable, à l'électricité, à des médicaments essentiels ou au chauffage. Un très grand nombre de personnes tentent de fuir les villes les plus durement touchées dans des conditions extrêmement dangereuses.
Sur cette base, la Cour internationale de justice a formulé une ordonnance selon laquelle « la Fédération de Russie doit suspendre immédiatement les opérations militaires qu'elle a commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l'Ukraine ».
[Traduction]
Depuis, la Russie viole quotidiennement et de manière flagrante ce jugement de la Cour internationale de justice alors que les forces russes poursuivent sans relâche leurs bombardements vicieux de la population civile et des infrastructures de l'Ukraine, y compris les hôpitaux et les écoles, ainsi que les bâtiments résidentiels, et commettent d'innombrables crimes de guerre en tuant, violant, torturant et affamant la population civile ukrainienne et en effectuant un transfert forcé des enfants des territoires ukrainiens temporairement occupés de l'Ukraine vers la Russie.
Il y a un dicton qui dit qu'une image vaut mille mots. Essayez donc d'imaginer la réalité d'aujourd'hui en Ukraine en écoutant la déclaration suivante de la Commissaire aux droits de l'homme du Parlement ukrainien, Liudmyla Denisova, rapportée le 11 avril 2022 par la BBC:
Environ 25 filles et femmes âgées de 14 à 24 ans ont été systématiquement violées pendant l'occupation dans le sous-sol d'une maison à Bucha. Neuf d'entre elles sont enceintes. Les soldats russes leur ont dit qu'ils les violeraient, au point qu'elles ne voudraient plus de contact sexuel avec un homme, pour les empêcher d'avoir des enfants ukrainiens.
Si cela ne vous révolte pas, rien ne le fera.
Avec tous les rapports de renseignements les plus sophistiqués à sa disposition, environ un mois après ce jugement, le président Joe Biden a qualifié ces atrocités de génocide. Plus tard, le président des États-Unis s'est expliqué ainsi:
J'ai appelé cela un génocide parce qu'il est devenu de plus en plus clair que Poutine essaie simplement d'éliminer même l'idée d'être Ukrainien. Les preuves s'accumulent.
[Français]
Pour mémoire, il suffit de se rappeler les images horribles de Boutcha, Borodianka, Irpin, Kramatorsk et Marioupol, pour ne nommer que quelques-unes des villes qui ont fait les manchettes.
Poutine et le Kremlin sont évidemment conscients des atrocités commises contre le peuple ukrainien et, par leur conduite, cautionnent de tels actes de sauvagerie et veillent à ce que les forces russes les perpétuent.
[Traduction]
À titre d'exemple, et c'est ainsi que je vais conclure, le 18 avril 2022, dans un décret présidentiel, Poutine a rendu hommage aux soldats de la 64e Brigade motorisée de la Russie qui a commis d’horribles crimes de guerre à Bucha en leur décernant le titre de « Gardes » et en déclarant que le « personnel de l'unité est devenu un modèle par son accomplissement du devoir militaire, sa vaillance, son dévouement et son professionnalisme. »
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Merci beaucoup, monsieur le député.
Actuellement, la paix n'est pas reconnue comme un droit de la personne donnant ouverture à des poursuites. J'en parle avec des gens et je leur demande, comment cela est‑il possible? Nous avons un droit fondamental à la sécurité, un droit fondamental à la vie, pour ne nommer que les principaux. En ce qui concerne la liberté de parole et la liberté d'expression, il convient de se demander lequel de ces droits est protégé par la Déclaration universelle des droits de l'homme ou dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques? Dans des situations où il n'y a pas de paix, dans des situations de conflit armé, est‑ce que vous pouvez vraiment jouir de ces droits? Il suffit de regarder ce qui se passe en Ukraine pour avoir une réponse à cette question.
La paix n'est pas reconnue comme un droit humain opposable, alors que ce devrait l'être depuis longtemps. Quand vous faites cela... En droit, il y a un principe appelé en latin ubi jus, ibi remedium, ce qui signifie « là où il y a un droit, il y a un remède », lorsque ce droit est violé.
Quand vous reconnaissez la paix comme étant un droit fondamental de la personne, cela signifie que quiconque se lance dans une guerre d'agression — incidemment, en droit international, une guerre d'agression n'est pas reconnue comme un crime contre le droit international... Chaque fois qu'il y aura une guerre d'agression, les victimes auraient un recours contre ceux qui ont déclenché cette guerre et leurs complices.
Prenez un scénario où... Il ne s'agit pas seulement de la poursuite, bien entendu. Nous devons renforcer le front de la procédure pour faire en sorte que les coupables soient poursuivis. Au‑delà de la poursuite, toutefois, les victimes de ces agressions — les gens qui ont perdu des proches dans les combats en Ukraine, par exemple, les gens dont les maisons ont été détruites — pourront poursuivre ceux qui ont déclenché cette guerre et ceux qui l'ont facilité. Quand je parle de ceux qui l'ont facilité, j'inclus les États qui ont soutenu la guerre. Nous pouvons également inclure les grandes entreprises qui ont fourni des armes pour mener des guerres d'agression.
Je veux être bien clair: quand je parle des grandes entreprises qui fournissent des armes, je ne parle pas des entreprises qui ont armé des États pour qu'ils puissent se défendre contre leurs agresseurs, en légitime défense. Je parle des pays qui ont reçu des armes pour se défendre et qui, par la suite, utilisent ces armes pour lancer une guerre d'agression reconnue par tout le monde. Ces pays épuiseront les armes initialement fournies à la première offensive et continueront à se réapprovisionner afin de poursuivre leur guerre d'agression. Toute entreprise qui fait cela sera poursuivie en tant que complice de la guerre d'agression, au même titre que le pays agresseur.
Si nous reconnaissons cela, cela voudrait dire que ces actifs seraient bloqués dans le monde entier... Le Canada se demande quoi faire avec ces actifs gelés...
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Je crois que les circonstances actuelles sont un terreau émotionnel fertile à cet égard. Si des pays comme le Canada pouvaient en faire un projet, je pense qu'ils seraient entendus.
Évidemment, ce n'est pas garanti. Vous savez ce qui se passe dans une guerre. À un moment donné, les armes cesseront de parler, et les gens voudront très vite oublier ce qui s'est passé. À ce stade, les pays qui voudront se tourner vers l'avenir s'opposeront peut-être à ce genre de proposition, sachant que cela pourrait revenir les hanter.
C'est maintenant qu'il faut faire avancer ce projet, si nous pensons que ce serait utile aux victimes de la guerre en Ukraine ou aux victimes d'autres guerres d'agression en cours dans le monde entier.
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D'après ce qu'on voit, la suggestion... Je suis un procureur à la retraite, et il faut faire attention à ce que l'on dit de définitif.
Si vous me demandiez de parler de preuves de crimes, la liste serait très longue. Dans le cas d'un conflit armé international, on examine les crimes éventuels ou, du moins, les preuves éventuelles de crimes, comme le meurtre délibéré, la torture, la destruction massive de biens injustifiable sur le plan militaire, la déportation illégale, les attaques disproportionnées, le pillage, l'utilisation d'armes causant souffrance et mort sans discrimination, et le viol, dont nous a parlé le consul de Montréal.
La liste est longue et elle n'est pas exhaustive.
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Il y a plusieurs raisons à cela.
La première est que l'État russe n'a pas du tout préparé sa population. Si, comme moi, vous avez regardé la télévision russe avant l'invasion, des gens comme l'animateur de télévision Vladimir Solovyov et d'autres, qui sont considérés comme des propagandistes du Kremlin, disaient tous que c'était une ineptie. En fait, cela les faisait rire, et ils disaient que c'était de la propagande occidentale, que c'était une ineptie et que rien de tel ne se produirait. Rien n'a été fait pour y préparer la population russe. En fait, on lui a dit que cette idée ne tenait pas debout.
Ceux d'entre nous qui s'attendaient à ce qu'on prépare la population à la guerre ont été quelque peu déconcertés. Nous l'avons également été par le fait que ce qu'on pourrait appeler les meilleurs analystes politiques en Russie, des gens qui connaissent Poutine, comme Fyodor Lukyanov, et d'autres, Andrey Kortunov, Dmitri Trenin — je peux vous donner toute une liste de noms — ont tous déclaré que cela ne se produirait pas. Ils ont tous dit que c'était seulement de la diplomatie coercitive.
Le fait que les grandes figures qui sont censées savoir ce que pensent les gens du Kremlin estimaient que cela ne se produirait pas a convaincu beaucoup d'entre nous. Tous les signaux en provenance de Moscou étaient négatifs, et c'est ce qui nous a induits en erreur.
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La meilleure explication que j'ai obtenue à ce sujet est celle d'un analyste de la défense à Moscou, avec qui je me suis entretenu environ une semaine avant l'invasion. Il m'a expliqué que les autorités russes avaient décidé que l'État ukrainien était foncièrement hostile, qu'il l'était depuis 30 ans, qu'il était incapable de faire la paix au Donbass, qu'il était sous l'emprise de l'Occident et que, par conséquent, il y aurait une guerre. Si ce n'était pas aujourd'hui, ce serait demain, dans un an ou dans cinq ans.
On pourrait dire qu'ils étaient dans le même état d'esprit que les Allemands en 1914, lorsque ceux‑ci étaient convaincus que la guerre approchait et qu'il valait mieux la faire maintenant, quand il y avait encore une chance de la gagner, plutôt que cinq ans plus tard, c'est‑à‑dire, dans le cas qui nous occupe, quand les troupes de l'OTAN s'en mêleraient et que la Troisième Guerre mondiale serait déclenchée.
C'est l'explication la plus logique qu'on m'ait donnée pour justifier la décision de Poutine dans ce contexte. À ses yeux, c'est donc une sorte de guerre préventive, puisqu'ils se sont convaincus que cela devait se produire tôt ou tard.
Tout d'abord, en lien avec la question précédente et au sujet du fondement juridique qui permettrait de tenir la Russie responsable des actes commis aujourd'hui en Ukraine, je tiens à rappeler à tous les participants que le paragraphe 2(4) de la Charte des Nations unies stipule ce qui suit: « Les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies. »
C'est un fondement juridique suffisant pour tenir la Russie responsable des actes de génocide commis en Ukraine aujourd'hui.
Quant aux exemples concrets, je vous dirai d'abord que l'article II de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide définit le « génocide » comme « l'un quelconque des actes ci‑après, commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel ».
Ces « actes » sont, premièrement, le « meurtre de membres du groupe ». C'est ce qu'on voit presque tous les jours aux nouvelles. Le deuxième est « l'atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ». À Marioupol, quand on affame des gens, il est clair qu'on atteint gravement à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe. Le troisième est la « soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle ». Lorsqu'on empêche les gens d'avoir accès à la nourriture, à l'eau et à l'électricité, on crée effectivement ces conditions. Le quatrième est l'imposition de « mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ». J'en ai donné un exemple. Enfin, il y a le « transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe. » Environ 100 000 enfants ont été transférés de force des territoires occupés de l'Ukraine vers la Russie.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins présents ce soir, alors que nous traitons d'un sujet qui n'est pas nécessairement facile. C'est un conflit qui nous a happés, dans les deux derniers mois, un peu partout dans le monde. Tout le monde ne parle que de cela.
Monsieur Eboe‑Osuji, ma première question s'adresse à vous, et je vais probablement poser la même question à M. Stewart.
M. Czolij a mentionné le fait que la Chambre des communes avait voté unanimement pour reconnaître qu'il y avait en ce moment un génocide en Ukraine de la part de la Russie.
Vous étiez à la Cour pénale internationale. Selon vous, peut-on effectivement parler de génocide, d'un point de vue strictement juridique?
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Strictement sur le plan juridique, on peut parler de certains éléments de preuve qui permettraient peut-être d'établir qu'il y a un génocide. Même si je suis à la retraite, je dois respecter le fait que des enquêtes du Bureau du procureur de la CPI sont en cours, alors je n'aimerais pas préjuger la conclusion à laquelle on pourrait arriver à un moment donné.
Évidemment, il y a des éléments que le consul honoraire de l'Ukraine à Montréal a évoqués. Il y a des choses qu'on a remarquées. On peut parler de génocide, mais, en fin de compte, il faut le prouver. L'élément intentionnel est vraiment important, en ce qui concerne le but de tout ce dont on parle. Il peut y avoir un élément intentionnel aux viols et à tout ce dont on a parlé sans qu'il y ait un génocide à proprement parler.
Tout ce que je peux dire pour l'instant, monsieur Trudel, c'est qu'il y a des éléments qu'il faut examiner, et cela vaut la peine de le faire, évidemment. Cependant, on ne peut présager la conclusion à laquelle pourrait arriver le Bureau du procureur, par exemple.
La question était de savoir s'il est possible de faire un parallèle entre ce qui s'est passé au Rwanda et ce qui se passe en Ukraine. Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de faire des parallèles avec ce qui s'est passé au Rwanda ou pendant la Seconde Guerre mondiale, avec l'Holocauste, par exemple, même si les gens ont tendance à le faire.
Comme l'a dit M. Stewart, la notion de génocide repose en grande partie sur l'intention, l'intention de détruire un groupe en totalité ou en partie. On a parlé du tribunal du Rwanda. La jurisprudence du tribunal rwandais nous dit, en fait, qu'il n'est pas nécessaire de tuer beaucoup de gens pour commettre un génocide pourvu qu'il y ait intention de détruire un groupe en totalité ou en partie, intention de détruire un groupe ethnique, un groupe racial, un groupe religieux ou un groupe national en totalité ou en partie.
Dans son résumé, M. Czolij a parlé de cinq actes de génocide. Je vais les répéter: le meurtre délibéré, l'atteinte à l'intégrité physique ou mentale des gens, la prévention des naissances, et l'imposition de conditions visant à détruire le groupe, en totalité ou en partie.
Si l'un de ces cinq actes est associé à l'intention de détruire un groupe en totalité ou en partie, il n'est pas nécessaire que 800 000 personnes soient tuées comme au Rwanda, ou six millions dans le cas de l'Holocauste, pour qu'il y ait génocide.
J'aimerais intervenir ici. Merci.
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Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins d'être parmi nous aujourd'hui. C'est très instructif.
Je vais emboîter le pas à M. Trudel. Nous sommes dans une situation où ce que nous voyons a toutes les apparences d'un génocide. Et c'est le sens de la motion que j'ai présentée à la Chambre des communes.
Ce qui me préoccupe, c'est de savoir comment y mettre fin. Comment ne pas nous retrouver dans une situation comme celle du Rwanda, où le génocide a été déclaré après coup et où les pertes de vie ont été massives? Quel rôle la Cour pénale internationale peut-elle jouer pour l'empêcher? Est‑ce que le fait que l'Ukraine ait déposé ces requêtes très tôt peut faciliter les choses?
Je pourrais peut-être commencer par vous, monsieur... Je vais vous appeler monsieur Chile, parce que c'est plus facile. Je suis ravie de vous voir.
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Pas de problème. Merci beaucoup.
C'est une question importante, mais permettez-moi tout d'abord de rappeler qu'il serait excessif d'imposer à un tribunal l'obligation de prévenir un génocide. Il faut que ce soit très clair.
Le système judiciaire du Canada existe depuis des centaines d'années, donc depuis bien plus longtemps que la justice pénale internationale, et les gens continuent de commettre des crimes sanctionnés par le Code criminel. Il ne conviendrait donc pas d'imposer cette obligation à un tribunal. Ce que fait un tribunal renvoie à la volonté politique de veiller à ce que les crimes soient punis.
Je comprends cependant le sens de votre question. Vous devez faire ce que vous avez à faire comme responsables politiques, et il y a place pour cela pourvu qu'on laisse le droit suivre son cours et que justice soit faite.
Il n'est pas rare que des déclarations politiques ouvrent la voie. Même en droit, nous reconnaissons ce qu'on appelle la « cause probable ». M. Stewart est un procureur chevronné. La cause probable ne vous donne pas la preuve dont vous avez besoin pour condamner quelqu'un, mais elle atteste qu'il s'est produit quelque chose d'horrible qui a attiré l'attention de la loi et qui a incité celle‑ci à agir. Cela arrive, et je compare cela au genre de motion que vous avez présentée.
Il y a place pourvu qu'on reconnaisse que, s'il n'y a pas de preuve, il faudra définir le crime subjectivement. On le désigne de telle ou telle façon, mais il faut ensuite laisser la loi nous dire si c'est vraiment cela. Il y a des endroits pour ce genre de choses. La politique peut ouvrir la voie, et la justice fait ensuite son travail.
Je ne sais pas si cette réponse vous éclaire.
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Je dirai ceci brièvement, pendant que M. Stewart réfléchit à ce qu'il va répondre.
C'est un point de départ. On peut effectivement financer le tribunal. Apportez-lui un soutien, au‑delà même du cas de l'Ukraine. Donnez-lui cet appui à titre permanent.
Je vais aborder maintenant la question principale: comment empêcher que cela se produise? Nous devons revenir à cette proposition — ce dont je parle. Rebâtissons le droit international. Essayons de combler toutes les lacunes que nous constatons. Si on me pose une question sur ces lacunes, sur le crime d'agression, je serai heureux d'y répondre, mais je ne pense pas avoir le temps de le faire maintenant.
Consolidons le droit international dans la mesure du possible et mettons en place toutes les mesures de dissuasion nécessaires pour que les gens y réfléchissent à deux fois avant de commencer, parce que les guerres d'agression ont été décrites dans le jugement du tribunal de Nuremberg comme une accumulation de tous les maux découlant de tous les autres crimes sanctionnés par le droit international, et il y a une raison à cela.
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J'allais dire que c'est vraiment un jeu à long terme. La réponse à ces atrocités comporte de multiples facettes, mais la réponse juridique est exactement ce qu'a expliqué M. Chile. Selon le préambule du Statut de Rome, on peut tenir responsables ceux qui commettent ces atrocités. On les tient responsables et, ce faisant, on espère empêcher d'autres atrocités. Évidemment, cela ne fonctionne pas toujours. Des meurtres sont toujours commis, même si c'est interdit par le Code criminel, mais, chaque fois qu'on tient quelqu'un responsable, on crée un climat. On crée un cadre terriblement important.
Pourquoi parle-t‑on toujours de la CPI quand il y a un conflit? Pourquoi parle-t‑on maintenant de crimes de guerre en Ukraine? C'est parce que le droit pénal international est très présent dans l'esprit de la population. Vous, les députés, l'avez aussi à l'esprit. C'est extrêmement important, parce cela crée une culture, une perspective et une moralité, si on veut, qui sont liées à la guerre et à tout le reste. Je pense que c'est très important.
Concernant votre autre question, il est vraiment important de soutenir la Cour pénale internationale. C'est ce que fait actuellement le Canada. Je crois savoir que les États parties ont réagi de façon remarquable à la situation actuelle en Ukraine. J'ai fait valoir qu'on ne peut pas réserver ce traitement à l'Ukraine, mais le fait d'appuyer la Cour lui permettra d'agir comme je l'ai expliqué. Je pense que c'est très important. C'est un jeu à long terme.
Qui pensait que Miloševic comparaîtrait un jour à La Haye? C'est pourtant arrivé. Qui aurait cru que nous pourrions un jour ne serait‑ce qu'approcher al‑Bashir? Il n'est toujours pas devant la CPI, mais il est détenu à Khartoum. C'est pourquoi je dis qu'il faut être patient. Certaines des personnes reconnues coupables par la CPI ont échappé à la justice pendant sept ou dix ans, mais elles ont finalement été tenues responsables, et c'est ce que nous devons faire. Nous devons avoir l'énergie et la détermination nécessaires pour tenir les gens responsables de ce qu'ils font. C'est pourquoi il est important de soutenir la Cour pénale internationale, et je suis très fier et heureux que le Canada le fasse maintenant.
J'aimerais, à mon tour, remercier tous les témoins.
Ma première question s'adresse à vous, monsieur Stewart.
Elle va dans le sens de ce que vous venez de dire, mais elle concerne plus précisément la documentation des crimes de guerre. Vous avez dit que, dans ce conflit, on voit des crimes de guerre en temps réel. Je crois que vous avez dit que les Néerlandais envoient des équipes de police scientifique. Je sais que le Canada envoie des membres de la GRC.
Que peut faire le Canada? Devrait‑il soutenir le bureau du procureur ukrainien ou former la société civile aux processus permettant de documenter les crimes de manière à ce qu'on puisse faire valoir ces moyens devant les tribunaux? Le Canada peut‑il faire davantage à cet égard?
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Honnêtement, je ne sais pas où nous en sommes actuellement. Je crois savoir que le Canada a offert d'envoyer 10 agents de la GRC à la CPI. Je suppose qu'il incombera à Karim Khan de décider comment les déployer.
Je peux vous dire, d'après mon expérience de l'époque où je travaillais dans le cadre du Programme de prévention des surdoses, que les agents de la GRC qui sont venus nous aider en vertu d'une entente élaborée quand j'étais encore sous-procureur étaient absolument de premier ordre. Nos employés les adoraient. Ils se sont mis au travail à toute vitesse, ils se sont bien intégrés et ils ont travaillé de façon extrêmement efficace. C'est encore le cas aujourd'hui. Plus ils seront nombreux, mieux cela vaudra, à mon avis.
Ces enquêtes sont vastes et multidimensionnelles. On passe de l'imagerie satellitaire à l'interception, en passant par les données de source ouverte que l'on peut recueillir et authentifier, les témoignages sur le terrain, les examens médicolégaux des scènes de crime, l'examen de l'armement et tout le reste. On accumule des preuves de façon à ce que non seulement il y ait de quoi attester les crimes, mais aussi de quoi remonter la chaîne de commandement pour déterminer les responsabilités jusqu'au sommet s'il y a lieu.
On peut, entre autres, évidemment, s'appuyer sur ce que disent les gens. Que dit le président Poutine? Que dit Sergey Lavrov? Je dois dire qu'il y a là une matière riche pour quiconque veut intenter des poursuites criminelles. Le soutien que le Canada et les autres États parties peuvent donner maintenant au bureau du procureur sera, à mon avis, très utile.
Les autres éléments dont vous avez parlé sont également importants. Je sais que Karim Khan, le procureur actuel, est convaincu, comme nous, de l'importance de la complémentarité. Ce qui est novateur en l'occurrence — j'ai vu cela sur le site Web —, c'est que son équipe fait partie de l'équipe d'enquête mixte formée par Eurojust, qui comprend des représentants de la Lituanie, de la Pologne et de l'Ukraine. Cela permet au Bureau du procureur d'avoir accès à des éléments de preuve découverts, par exemple, par le procureur général de l'Ukraine, mais aussi, à sa discrétion, de communiquer les éléments de preuve qu'il obtient de son côté. Cette d'approche novatrice, qui rassemble un certain nombre d'éléments différents, pourrait être très fructueuse.
Il y aurait peut-être des initiatives diplomatiques, dont je ne parlerai pas, par lesquelles le Canada pourrait être utile. Nous devons travailler à toutes sortes de niveaux différents, mais, en effet, l'engagement complet du Canada sera très important.
Je dois dire, toujours d'après mon expérience, que le Canada a toujours été extrêmement bien représenté par ses diplomates à La Haye. L'ambassadrice actuelle, Lisa Helfand, ne fait pas exception. Elle est formidable. Je pense qu'elle pourra nous informer très précisément des besoins et de la situation.
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C'est très instructif. Merci beaucoup.
Mon temps est limité, et j'ai une question pour M. Eboe-Osuji.
Vous avez éveillé mon attention quand vous avez parlé de l'évolution naturelle du droit international des droits de la personne et de l'idée de déclarer la paix comme un droit de la personne. J'ai quelques questions sur la façon dont cela pourrait fonctionner. Je sais que nous n'avons pas beaucoup de temps.
Pourriez-vous définir de façon distincte les notions de paix et de sécurité? Ensuite, il est évident que la désignation de l'État agresseur peut être contestée. Le libérateur de l'un peut être l'agresseur de l'autre, surtout s'il s'agit d'une tierce partie ou d'une alliance engagée dans la défense d'un autre pays.
Enfin, ce qui me préoccupe, c'est que les militaires qui participent à un conflit parce qu'on leur en a donné l'ordre savent que, s'ils commettent des crimes comme le viol, la torture et les exécutions extrajudiciaires, ceux‑ci seront considérés comme des crimes contre l'humanité. Ces actes sont interdits. Qu'en serait‑il du droit à la paix? La simple participation à un conflit suffirait-elle à estimer que ces militaires auraient enfreint le droit international des droits de la personne?
Je sais que ce sont de grandes questions. Si vous n'avez pas le temps de répondre, je vous invite instamment à faire parvenir vos réponses par écrit, à moins qu'il y ait du temps plus tard, mais, s'il vous plaît, prenez le temps dont vous disposez pour répondre.
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Je vais essayer. Votre question est importante.
Ce qu'il faut ici, c'est limiter la définition de ce que nous entendons par « paix » et l'élaborer en la situant dans le contexte d'une guerre d'agression. Il existe une définition de la guerre d'agression en droit international. Elle se trouve dans le Statut de Rome. En 1972, l'ONU a adopté la résolution 3314, qui en formule la définition. Il y a donc déjà une description de la notion de guerre d'agression, et nous n'avons donc pas à trop nous en préoccuper.
Il faut surtout éviter d'élargir la notion de paix au point de faire peur aux gens. Par exemple, cette idée de droit à la paix n'est pas tout à fait nouvelle pour moi. Mais je crois qu'il vaudrait mieux élaborer une convention plutôt qu'une simple déclaration.
Le problème a toujours été que, quand on veut discuter de l'extension de ce droit, tout le monde s'en mêle, et la discrimination contre les minorités et les groupes ethniques devient une violation du droit à la paix, la discrimination contre les femmes devient une violation du droit à la paix, etc. Ce faisant, on ajoute aux difficultés des gens à l'interne.
Il faudrait ramener la notion de paix à ce qu'elle signifie au regard d'une guerre d'agression et en rester là. Les lois contre la discrimination ont leurs propres objectifs en droit international. Laissons-les faire leur œuvre. Limitons ce dont nous parlons ici à ce qui se passe quand un pays décide de mener des opérations militaires ou des opérations militaires spéciales — peu importe l'appellation — contre un pays qui ne l'a pas attaqué. C'est alors une guerre d'agression, et c'est un crime en droit international.
C'est de cela qu'il est question quand on parle du droit à la paix, et pas plus.
J'aimerais revenir un instant à M. Stewart, notamment au sujet de notre motion pour cette étude.
Notre but est vraiment de déterminer la nature des crimes qui sont commis dans le conflit actuel entre l'Ukraine et la Russie et les mécanismes qui permettraient de tenir les auteurs de ces crimes responsables de leurs actes.
Reconnaître le génocide est une chose. Y a‑t‑il, d'après vous, d'autres questions que nous devrions examiner au sujet de la nature de ces crimes internationaux et peut-être des mécanismes de responsabilisation? La Cour en est un moyen, mais vous avez peut-être d'autres suggestions.
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Le mot génocide est évidemment lourd de sens et il attire l'attention et fait la lumière sur ce qui se passe. Je crois que M. Robinson pourrait nous aider. S'agissant de meurtres délibérés, par exemple du meurtre de prisonniers de guerre ou de civils, de bombardements sans discrimination de villes et de villages et d'autres actes ayant trait au droit des conflits armés, tout est codifié dans le Statut de Rome, notamment à l'article 8. S'agissant d'un conflit armé international, il faut se reporter aux alinéas a) et b) de l'article 8. Je ne vais pas dresser la liste de tous les éléments, parce que, comme je l'ai dit en réponse à une question précédente, la liste est longue.
Par exemple, le pillage de maisons et de logements auquel se livreraient, selon les allégations, les troupes russes pourrait être considéré comme un crime de guerre. La question serait alors de savoir si les pilleurs sont seulement des soldats et s'ils n'étaient pas sous le contrôle de leurs officiers, parce que, en vertu du droit international des conflits armés, les officiers ont l'obligation de mettre fin à ce genre de choses, de les punir et de les prévenir. Est‑ce que cela s'est produit parce qu'ils ont perdu le contrôle ou parce que c'est précisément ce qu'ils voulaient pour terrifier la population, etc.?
Ce que j'essaie de souligner, c'est que l'examen de ces différentes catégories de crimes révèle une très grande complexité à l'analyse. L'intention peut être très difficile à prouver. J'imagine qu'il est très facile pour un chef militaire de dire que, en essayant d'atteindre un objectif militaire, la roquette a dévié de sa trajectoire. Mais, si on constate une tendance à démolir des immeubles sans discrimination, l'argument devient beaucoup plus difficilement crédible.
Ces constats exigent une superposition minutieuse de preuves, et cela ne peut pas se faire rapidement. Il est tout simplement impossible de le faire rapidement. Cela ne veut pas dire qu'il ne vous est pas possible, comme parlementaires, d'examiner ces diverses catégories.
Quand il s'agit de tenir les gens responsables de leurs actes, il est très important de se rappeler que la Cour pénale internationale n'a pas de force policière. Nous avons des enquêteurs au bureau du procureur, et, quand on porte des accusations, quand on obtient des mandats d'arrestation d'une chambre préliminaire, il incombe ensuite aux États parties d'exécuter le mandat. Nous n'avons pas le pouvoir de le faire nous-mêmes. Il faut se fier aux États ou aux États parties. Il n'est pas nécessaire que ce soit un État partie. Les États-Unis ont joué un rôle essentiel dans l'arrestation de deux de nos suspects, qui ont ensuite été jugés et reconnus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Ce n'est qu'un exemple.
Le mécanisme de responsabilisation devient très difficile. J'ai parlé de Miloševic avant de parler d'al‑Bashir. On peut constater à quel point il est difficile pour un tribunal comme le nôtre de demander des comptes aux principaux coupables. Mais les États parties au système de justice pénale internationale relevant du Statut de Rome ont le devoir de s'en charger.
Les parlementaires canadiens peuvent évidemment envisager de consolider ce système. J'espère que cela répond à votre question.
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Eboe‑Osuji, j'avoue que tantôt, lorsque nous parlions de la façon d'établir l'intention, j'ai été un peu surpris de votre réponse, à propos de la comparaison avec le Rwanda. Moi aussi, avant d'étudier ces questions, j'étais certain que, pour parler d'un génocide, il fallait absolument qu'il y ait eu 100 000 morts ou 1 million de morts et une volonté claire d'éradiquer un autre peuple. Il semble que ce soit plus nuancé au regard du droit international.
Tantôt, vous avez mentionné qu'il faut établir l'intention quand on veut déterminer s'il s'agit d'un génocide sur le plan juridique. Pourriez-vous développer votre pensée sur la notion d'intention?
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L'intention de détruire un groupe en totalité ou en partie est un élément essentiel de la notion de génocide. C'est ce qui distingue un génocide d'un meurtre susceptible d'être commis en temps de paix comme en temps de guerre. Cependant, c'est le fait de décider d'éradiquer un groupe racial, ethnique, religieux ou national et de l'éradiquer en totalité ou en partie qui fait la différence.
Cela peut être prouvé s'il y a des preuves directes que celui qui a tué ou détruit un groupe, en totalité ou en partie, avait effectivement l'intention de le détruire. Cela peut être prouvé quand les gens disent: « Voilà notre objectif. » Sinon, on peut aussi utiliser des preuves circonstancielles en demandant: « Attendez, à quoi pensiez-vous quand vous faisiez cela? » On peut faire valoir des preuves circonstancielles, mais l'élément d'intention est essentiel à la preuve de génocide. Les meurtres sont nombreux.
Dans la jurisprudence du TPIR, le Tribunal pénal international pour le Rwanda, la cause Akayesu a été le premier cas de poursuites pour génocide en droit international — M. Stewart et moi-même y avons travaillé il y a de nombreuses années comme procureurs. On y affirme que, lorsque l'élément d'intention est avéré, le nombre de personnes tuées importe peu. Même une seule personne violée dans cette intention peut équivaloir au crime de génocide, et il n'est donc pas nécessaire, comme je l'ai dit, que 400, 800 000 ou 6 millions de personnes soient tuées. C'est très important.
Il faut qu'il y ait intention pour qu'il y ait génocide, et ce n'est pas facile à prouver. Ce n'est pas impossible, puisque le TPIR a condamné beaucoup de gens pour génocide, mais il faut porter une attention particulière aux preuves du rôle direct de cette intention ou aux preuves circonstancielles y ayant trait.
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C'est intéressant, parce qu'il y a quand même une distinction à faire entre le génocide et son élément intentionnel, comme M. Eboe‑Osuji vient de le mentionner, et le crime contre l'humanité qu'est l'extermination. Cela existe, aussi. Cela a été prouvé dans le cas du Rwanda, et cela pourrait être prouvé dans d'autres situations également. Dans le cas de l'extermination, il n'est pas nécessaire d'établir cette intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe ethnique, racial ou autre.
Cette distinction entre les deux, c'est bien pour les avocats et les professeurs. Pour le grand public, cependant, elle est parfois difficile à comprendre. Néanmoins, cette distinction existe.
Le génocide est un crime important, évidemment; c'est horrible. Cela dit, d'autres crimes sont tout aussi horribles en ce qui concerne leurs conséquences sur les victimes, comme les meurtres, les exterminations, les viols ou les déportations.
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L'intention est claire.
[Français]
Je voudrais dire la chose suivante à M. Trudel et à Mme McPherson.
[Traduction]
Je suis avocat de profession. Je comprends ce que dit M. Stewart, qui appelle à la plus grande prudence pour ne pas laisser les journaux et les médias décider s'il y a eu crime ou non. Mais, en l'occurrence, l'avantage des médias, le fait de voir des bombardements presque en direct sur CNN, des bombardements sans discrimination, une destruction littérale...
M. Stewart disait qu'il faut faire la distinction entre cela et, disons, un bombardement visant une installation militaire qui atteint une zone civile. En l'occurrence, nous voyons tous les jours des bombardements visant des infrastructures civiles. L'intention ici est visiblement de détruire l'Ukraine dans son ensemble, de punir la population civile de ne pas avoir capitulé dès les trois premiers jours comme le voulait Poutine et, malheureusement, comme beaucoup de pays occidentaux le prévoyaient. Les forces ukrainiennes ont opposé une résistance incroyable et ont démontré que l'armée russe n'est pas l'armée la plus puissante du monde. La population civile ukrainienne paie malheureusement le succès de son armée du prix élevé d'un génocide.
Pour répondre à votre question de tout à l'heure, à savoir si les tribunaux peuvent mettre fin au génocide, je suis d'accord avec ce qui a été dit. Je vous rappelle que, en mars, la Cour internationale de justice a ordonné à la Fédération de Russie de mettre fin à ce que celle‑ci appelle des opérations militaires en Ukraine. La Russie a clairement fait fi de cet ordre et l'a enfreint tous les jours depuis.
La seule façon d'empêcher un génocide ou la captation d'une partie encore plus grande de la population et des biens, c'est de ne pas s'en remettre aux tribunaux. Il s'agit de fournir à l'Ukraine des armes défensives létales pour qu'elle puisse défendre son intégrité territoriale. Il s'agit aussi d'isoler complètement la Russie. C'est en l'isolant complètement et en empêchant les dollars européens et occidentaux, y compris les pétrodollars, de financer une guerre génocidaire qu'on mettra fin au génocide.
Nous allons passer à notre troisième série de questions, et j'aimerais avoir l'avis des membres du Comité.
Selon l'horaire, nous devons entendre les témoins jusqu'à 20 heures. Et je crois qu'il est près de 2 heures chez M. Stewart. Nous devons aussi nous occuper de certains travaux internes. On a prévu une demi-heure complète à partir de 8 heures. Mais, à vrai dire, cela m'étonnerait qu'on ait besoin d'autant de temps.
Je propose de faire des séries plus courtes de questions de trois minutes. Mais, si les membres du Comité préfèrent une série complète de questions de cinq minutes parce que tout le monde a beaucoup plus de questions — et nous avons des témoins très intéressants —, j'aimerais que vous me donniez une idée de ce que vous souhaitez.
Monsieur Trudel, vous avez la parole.
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Merci, monsieur le président.
L'expertise de ces témoins est très impressionnante, qu'il s'agisse de l'Ukraine ou de la Cour internationale. Je suis très impressionné.
Votre détermination, monsieur Stewart et monsieur Eboe-Osuji, à traduire en justice des gens qui ont commis certains des crimes les plus graves au monde est très méritoire.
À la dernière réunion du Comité, nous avons entendu trois courageux défenseurs des droits de la personne en Ukraine, qui documentaient les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité commis par les forces russes contre des civils.
Monsieur Eboe-Osuji, d'après votre expérience, de quelles preuves documentées doit‑on disposer pour intenter des poursuites contre les responsables de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité?
Il faut, bien entendu, commencer par entendre les témoins directs. Cela reste un moyen traditionnel de prouver le bien-fondé d'une cause devant les tribunaux.
Mais il n'y a pas que cela. Au procès de Nuremberg, où ont été jugés les responsables de l'Holocauste et des crimes de guerre commis pendant la Seconde Guerre mondiale, on s'est beaucoup appuyé sur des preuves documentaires. C'est un autre moyen.
Depuis Nuremberg, les choses ont beaucoup évolué. Nous avons maintenant à notre disposition beaucoup de moyens technologiques. James Stewart travaillait dans un bureau où toutes sortes de gadgets permettaient de révéler ce que les gens faisaient, etc. On peut aujourd'hui se servir de la technologie, et la situation a vraiment progressé.
Il existe toutes sortes de programmes. Je sais que l'Université de Berkeley a des programmes de suivi des violations des droits de la personne dans des circonstances comme celle‑ci et d'autres. On peut aussi faire appel à différentes sources d'éléments de preuve susceptibles d'être présentés au tribunal.
Monsieur Stewart, vous pourriez peut-être intervenir ici. J'étais juge jusqu'à tout récemment, et M. Stewart est toujours procureur.
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Je pourrais ajouter quelque chose à ce que M. Eboe-Osuji a dit au sujet de la technologie — quoique, malheureusement, je ne sois pas expert en la matière.
Je me souviens d'une application — dont j'ai oublié le nom — qui permettait aux premiers intervenants, aux gens sur le terrain qui ont été témoins de ce dont vous parlez, monsieur Sarai, de filmer ce qu'ils voyaient au moyen de leur téléphone intelligent et de l'envoyer aussitôt dans l'espace nuagique pour qu'il soit protégé et préservé. Il y avait des marqueurs permettant de préserver l'endroit, l'heure et tout le reste. C'est un exemple de technologie actuelle.
Les médias sociaux sont évidemment une source de preuves extrêmement riche. Nous avons monté tout un dossier, grâce aux médias sociaux, au sujet de prisonniers de guerre exécutés, parce que les responsables de ces exécutions parlaient de ce qu'ils faisaient sur les médias sociaux et s'en vantaient. On ne peut évidemment pas s'en tenir à cela. Il faut authentifier ces éléments et les confirmer par d'autres preuves, mais la technologie moderne dont parle M. Eboe-Osuji fait partie intégrante des enquêtes criminelles, surtout à l'échelle internationale en ce moment.
L'une des difficultés, c'est la masse d'information, et l'intelligence artificielle devient importante pour démêler tout cela, tout comme les ressources humaines, car on a besoin de suffisamment de gens pour examiner ce genre de contenu avec patience. À ce stade, c'est ce travail difficile et intelligent qui permet de monter les dossiers dont on a besoin pour tenir les gens responsables.
J'espère que cette réponse vous est utile.
Monsieur Stewart, dans le même ordre d'idées, concernant la violence sexuelle, comme M. Czolij et d'autres l'ont déjà dit au sujet, notamment, de nombreuses jeunes femmes à Bucha et ailleurs, on envoie des gens en Ukraine, comme des enquêteurs de la GRC, et il y a aussi les enquêteurs locaux. Sont-ils en mesure de tenir compte de la sensibilité des victimes et de recueillir toutes les preuves nécessaires?
D'après votre expérience, est‑ce que ceux qui enquêtent sur la situation actuelle là‑bas, sur le nettoyage ethnique à Bucha et ailleurs, ont les connaissances et la formation nécessaires?
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Concernant l'intention exprimée dans les propos de Poutine, j'ai étudié ses caractéristiques et j'ai publié à ce sujet des articles qui ont été examinés par des pairs. C'est donc mon domaine. Il convient de faire la distinction entre son attitude à l'égard de l'État ukrainien et son attitude à l'égard du peuple ukrainien, parce que ce n'est pas la même chose.
Poutine menace l'État ukrainien. Il a déclaré il y a quelque temps que, si l'Ukraine essayait de reprendre le Donbass par la force, ce serait la fin de sa souveraineté. Dans son discours reconnaissant l'indépendance de la République populaire de Donetsk et de la République populaire de Louhansk, il a rappelé que les communistes avaient construit l'Ukraine à partir de divers éléments, puis il a dit que, si les autorités ukrainiennes voulaient la décommunisation, il pouvait la leur donner, c'est‑à‑dire, en fait, déconstruire ce que les communistes avaient fait et démanteler l'Ukraine. C'est une menace directe contre l'État ukrainien.
Son attitude à l'égard du peuple ukrainien est cependant très différente. Le peuple ukrainien est continuellement présenté comme un peuple frère, un peuple qui partage la même langue, la même culture, une histoire commune, un peuple avec lequel le peuple russe est tout à fait amical, et il n'y a aucune intention de détruire le peuple ukrainien ou la culture ukrainienne en tant que tels. Il y a une formulation importante qui n'apparaît pas dans la liste de la Convention sur le génocide, et cette formulation est « en tant que tel ». L'intention doit être d'éliminer un groupe « en tant que tel ». Aucune intention de ce genre n'a été énoncée dans ses discours.
De plus, il est farouchement anti-ethnonationaliste. Il ne cesse de dénoncer ce qu'il appelle le « nationalisme d'homme des cavernes », c'est‑à‑dire l'ethnonationalisme, et il ne cesse de rappeler que la Russie doit être et est une société multinationale, multiconfessionnelle et multiethnique et que c'est une bonne chose.
Autrement dit, il a en effet formulé des menaces contre l'État ukrainien, mais pour ce qui est de l'intention de détruire le peuple ukrainien, la culture ukrainienne — non.
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Puis‑je ajouter quelque chose? Contrairement à M. Robinson, ce n'est pas ce que je perçois.
Voici ce que Poutine a écrit dans un article très connu et très médiatisé dont on pourrait traduire le titre ainsi: « De l'unité historique des Russes et des Ukrainiens ». Il a été publié le 12 juillet 2021, donc bien avant février 2022:
[...] quand on m'a interrogé sur les relations russo-ukrainiennes, j'ai dit que les Russes et les Ukrainiens formaient un seul peuple — un tout.
Plus tard, il allait dénigrer les Ukrainiens en disant que, dans ses livres d'histoire:
Le nom « Ukraine » était plus souvent utilisé au sens de l'ancien mot russe « okraina » (la périphérie) [...] faisant référence à divers territoires frontaliers. Quant au mot « Ukrainien » [...] il désignait à l'origine les gardes-frontières qui protégeaient les frontières extérieures.
Voilà l'amour que M. Poutine porte au peuple ukrainien. Il pense que les Ukrainiens étaient des gardes-frontières protégeant les frontières extérieures de la Russie, et il ne reconnaît pas les Ukrainiens comme un peuple.
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Il est clair que les prisonniers de guerre sont maltraités. C'est évident, mais il faut souligner que cela se passe des deux côtés.
Il y a un mois, on a vu une vidéo montrant des soldats ukrainiens assassinant des prisonniers de guerre russes. Même si, comme nous l'avons souligné, une vidéo n'est pas une preuve en soi, la BBC a été en mesure d'en confirmer l'authenticité en géolocalisant le lieu de l'événement... en territoire ukrainien. Le journal The Guardian a rapporté que des corps avaient été repérés dans la région par des satellites. Il semble donc probable que, dans ce cas, les soldats ukrainiens aient assassiné des prisonniers russes. En fait, il y a eu plus d'une vidéo de ce genre. Il y a eu un grand nombre de vidéos non seulement sur le meurtre de prisonniers russes, mais aussi sur la torture de prisonniers russes et la profanation de cadavres. Il y a donc eu, je dois malheureusement l'avouer, de multiples violations des droits de la personne de part et d'autre dans cette guerre.
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Merci, monsieur le président.
Je vais m'adresser d'abord à M. Robinson, mais je vais ensuite revenir à M. Czolij pour lui poser une question sur la Crimée.
Monsieur Robinson, vous êtes un spécialiste de la Russie. Je pense qu'en ce moment tout le monde sur la planète voudrait arrêter cette guerre. Or, on se rend bien compte qu'il faut le faire avec beaucoup de doigté. Les Américains donnent des armes à l'Ukraine et le Canada lui donne de l'argent pour essayer de la soutenir dans cette guerre. Toutefois, on ne peut pas intervenir directement. Pourtant, on sent que bon nombre de gens dans le monde en auraient envie.
On entend dire que, si on intervient, Poutine serait assez fou pour déclencher l'arme nucléaire et ainsi déclencher une troisième guerre mondiale. Vous qui êtes un spécialiste de la Russie et qui connaissez les discours de M. Poutine, pensez-vous que c'est vraiment possible ou qu'il s'agit de propagande russe dont on se sert pour empêcher le monde d'intervenir en Ukraine?
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Merci, monsieur le président.
Pour commencer, je tiens à dire que je suis profondément consternée par certains des témoignages que nous avons entendus aujourd'hui et par le fait que nous avons entendu dire qu'il y a de mauvaises personnes des deux côtés. Il s'agit d'une guerre illégale et d'une invasion d'un territoire souverain. Nous examinons la façon dont la Russie est entrée en Ukraine, même si elle a menti à maintes reprises, a ouvert le feu sur des citoyens et, de toute évidence, a commis des actes innommables et horribles. Prétendre qu'il y a des mauvaises personnes des deux côtés minimise la douleur que subit l'Ukraine. Je suis consternée par ce témoignage.
Monsieur Czolij, je veux vous donner l'occasion de commenter. Nous avons entendu Vladimir Poutine dire:
Pour ce qui est du peuple russe, c'est devenu une véritable tragédie. Des dizaines de millions de nos concitoyens et de nos compatriotes se sont retrouvés hors des frontières du territoire russe.
À mon avis, c'est une indication très claire qu'il considère qu'il s'agit de Russes en Ukraine. J'aimerais savoir ce que vous en pensez, monsieur Czolij.
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Merci beaucoup de me donner cette occasion.
Tout comme vous, j'ai été totalement consterné par les déclarations de M. Robinson. J'ai honte qu'il ait dit cela devant le Comité. Il a couvert de honte cette séance de votre comité en tentant de comparer ce que fait l'armée ukrainienne à ce que fait l'armée russe. L'armée ukrainienne se bat tout en respectant le droit international. L'armée russe viole quotidiennement tous les principes internationaux. Tout ce qui sort de la bouche de Poutine n'est que mensonge éhonté. Il ment comme il respire. Assimiler la victime à l'agresseur, c'est faire une injustice totale et faire honte à un processus où des gens comme vous cherchent des moyens de mettre fin à une guerre génocidaire.
J'aimerais citer l'archevêque sud-africain Desmond Tutu, et j'aimerais que M. Robinson s'en souvienne. Il a dit que, lorsqu'une injustice est commise et que l'on reste neutre, on se range dans le camp de l'oppresseur. Dans sa déclaration devant le Comité, M. Robinson, alléguant sans preuve fiable que les atrocités sont commises par les deux parties, s'est essentiellement rangé du côté de l'oppresseur.
C'est une honte.
Cela met fin à la période de questions.
Merci beaucoup aux témoins.
Je vous remercie tout particulièrement, monsieur Stewart, d'avoir passé 20 minutes de plus avec nous, étant donné qu'il est encore très tôt pour vous.
Sur ce, nous allons suspendre la séance pendant quelques minutes, puis la poursuivre à huis clos pour étudier les travaux futurs.
[La séance se poursuit à huis clos.]