Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Bienvenue à la 35e réunion du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international de la Chambre des communes.
[Français]
La réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride. Les députés peuvent y participer en personne ou par l'intermédiaire de l'application Zoom.
Pour garantir le bon déroulement de la réunion, j'aimerais transmettre certaines consignes aux témoins et aux députés.
[Traduction]
Veuillez attendre que je vous nomme avant de prendre la parole.
Ceux qui participent à la réunion par vidéoconférence doivent cliquer sur l'icône du microphone pour l'activer, et le mettre en sourdine lorsqu'ils n'ont pas la parole.
Il y a un service d'interprétation. Pour ceux qui sont sur Zoom, vous avez le choix, au bas de votre écran, entre le parquet, l'anglais ou le français. Les membres présents dans la salle peuvent se servir de l'oreillette et sélectionner le canal désiré.
[Français]
Quand les députés présents dans la salle souhaitent prendre la parole, ils doivent lever la main. Ceux qui utilisent l'application Zoom doivent utiliser la fonction « Lever la main ». Le greffier du Comité et moi-même ferons de notre mieux pour maintenir l'ordre de parole. Nous vous remercions de votre patience et de votre compréhension à cet égard.
[Traduction]
Conformément à sa motion de régie interne concernant les tests de connexion pour les témoins, j'informe le Comité que tous les témoins se sont pliés aux tests exigés, préalablement à la réunion.
Nous nous réunissons aujourd'hui afin de poursuivre notre étude sur la situation des Hazaras en Afghanistan. J'ai le plaisir de souhaiter la bienvenue aux témoins qui se joignent à nous ce matin.
Nous accueillons Niamatullah Ibrahimi, maître de conférences sur les Relations internationales de La Trobe University, qui comparaît à titre personnel par vidéoconférence depuis l'Australie. Nous recevons également Shabnam Salehi, chercheuse et chargée de cours invitée de l'Université d'Ottawa. Nous avons enfin Tahir Shaaran, qui représente le Canadian Hazara Advocacy Group.
Chacun d'entre vous disposera de cinq minutes pour son intervention.
[Français]
Par la suite, les membres du Sous-comité vont pouvoir vous poser des questions. Je vais vous faire signe lorsqu'il restera une minute à votre temps de parole.
[Traduction]
Monsieur Niamatullah Ibrahimi, vous avez la parole cinq minutes. Allez‑y, je vous prie.
Bonjour. Je remercie le président, les membres du Comité, tous les participants et les autres témoins qui assistent à cette séance du Sous-comité des droits internationaux de la personne de la Chambre des communes.
Je prendrai les cinq minutes dont je dispose pour présenter trois grandes observations qui découlent principalement du mémoire écrit que j'ai envoyé au Comité en mai dernier, en collaboration avec William Maley et Melissa Chiovenda. Permettez-moi de souligner trois des points que nous y avons abordés. Je me ferai un plaisir de vous en dire plus à ce sujet pendant la période de questions.
Premièrement, les Hazaras en Afghanistan forment un groupe distinct sur les plans ethniques et religieux. Ils sont un des nombreux groupes ethnoculturels qui composent la population afghane. Les Hazaras se reconnaissent une descendance commune et une mère patrie du nom de Hazarajat, ou Hazaristan. Ils sont aussi généralement reconnus par leur phénotype d'Asie centrale, qui les distingue du reste des Afghans. Les Hazaras sont aussi majoritairement adeptes de l'islam chiite. Ils forment donc une minorité religieuse dans un pays à prédominance musulmane sunnite. Ils parlent aussi un dialecte distinctif de dari ou de persan.
Toutes ces caractéristiques font des Hazaras un groupe ethnique et religieux distinct en vertu du droit international, surtout dans le contexte de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide.
Bien que ces particularités distinguent la réalité sociologique des Hazaras de celle des autres groupes ethniques et culturels afghans, elles sont également les raisons pour lesquelles les Hazaras du pays sont la cible d'un génocide, d'une persécution systématique et de déplacements depuis plusieurs décennies.
Cela m'amène au deuxième point que j'aimerais porter à l'attention des membres du Comité. De 1880 à 1901, pendant les années où l'État afghan moderne a vu le jour sous le règne d'Ammir Abdur Rahman Khan, différents groupes ont été la cible de guerres et de violence en Afghanistan. Entre 1891 et 1893, un des principaux épisodes de conflit sur le territoire ciblait les Hazaras. Cette guerre contre les Hazaras a donné lieu en Afghanistan à ce qui serait un parfait exemple de génocide en vertu du droit international.
J'ai étayé et examiné en détail cette affaire dans mon livre, qui s'intitule The Hazaras and the Afghan State: Rebellion, Exclusion and the Struggle for Recognition, et qui a été publié en 2017 par Hurst & Co., à Londres.
Permettez-moi de présenter rapidement certaines particularités de ce génocide et de cette guerre contre les Hazaras.
Il y a eu un appel au djihad, ou guerre sainte, contre les Hazaras, qui a été officiellement approuvée par le gouvernement afghan sous la gouverne d'Amir Abdur Rahman Khan. Le message a été disséminé partout au pays par les ecclésiastiques et les chefs religieux, qui étaient également à l'emploi de l'État. La guerre a également entraîné le déplacement massif de Hazaras et de l'esclavage. Il en a découlé là‑bas un commerce florissant d'esclaves Hazaras.
Plus d'un siècle plus tard, nous avons encore assisté ces dernières années à la résurgence de tendances similaires de persécution des Hazaras en Afghanistan. Il y a eu récemment des attaques systématiques contre les lieux de culte et les institutions d'enseignement des Hazaras, ainsi que contre des personnalités culturelles et religieuses en Afghanistan. Depuis le retour des talibans au pouvoir de l'Afghanistan en août 2021, les Hazaras sont systématiquement marginalisés et persécutés sur les plans politique, culturel et économique.
Ces dernières années, nous avons assisté à un déplacement massif des Hazaras de leurs terres ancestrales, dans plusieurs provinces d'Afghanistan, notamment celles de Daykundi, de Ghazni et de Balkh, et plusieurs autres régions du pays.
Voilà qui nous amène à conclure, je pense, que les Hazaras n'ont pas seulement été les victimes d'un génocide très bien étayé en Afghanistan dans le passé. Ils risquent actuellement de subir encore un génocide et des atrocités sous le régime taliban. Les talibans, et aussi d'autres groupes, comme l'État islamique de la province du Khorasan, commettent une série d'actes de violence et d'atrocités à grande échelle qui ciblent expressément les Hazaras. Ils indiquent d'ailleurs leur intention d'éradiquer en totalité ou en partie les Hazaras en tant que groupe ethnique et religieux d'Afghanistan.
C'est pourquoi je voudrais demander au Parlement canadien de reconnaître le génocide des Hazaras à ce titre et de donner l'exemple dans le processus de reconnaissance du génocide.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, je suis ici aujourd'hui pour vous parler d'un chapitre complexe et troublant de l'histoire de l'Afghanistan qui continue de nous hanter.
Je suis une chercheuse qui s'intéresse aux enjeux du droit, des droits de la personne et aux bourses d'études. Il est de mon devoir de faire la lumière sur les complexités de l'histoire, d'analyser les leçons apprises et d'appliquer ces connaissances à la défense des droits de la personne.
L'Afghanistan a subi une transformation importante à la fin du XIXe siècle. À cette époque, la dynamique du pouvoir est passée d'une monarchie tribale décentralisée à une monarchie centralisée. Amir Abdur Rahman a joué un rôle déterminant dans ce virage en se lançant dans une campagne impitoyable pour renforcer son autorité. Son objectif était clair: éliminer tout ce qui semblait menacer sa monarchie, qu'il s'agisse de chefs ethniques ou de personnes en position de pouvoir qui pourraient le défier. Il a utilisé toutes sortes de stratégies dans sa quête du pouvoir, allant des arguments religieux au recours à la force tribale, voire brutale. Aucun d'entre eux n'a été épargné, peu importe leur origine ethnique ou religieuse.
Alors que certaines personnes ont trouvé la protection, d'autres, y compris des groupes de Hazaras, de Pachtounes, de Tadjiks, de Nouristanis et de différentes ethnies, ont été marginalisés, punis et soumis à un régime oppressif. Les atrocités commises contre les Afghans, y compris le peuple Hazara et d'autres groupes ethniques, ont jeté une ombre obscure sur notre histoire, de sorte que certains se demandent s'il s'agissait d'un génocide ou d'une campagne brutale menée contre tous.
Je dois ici aborder un débat essentiel sur ce sombre chapitre de notre histoire. Certains soutiennent que l'emploi du terme « génocide » pour désigner ces meurtres serait rétroactif, puisque le concept de génocide n'existait pas au moment où ces événements se sont produits. Ils trouvent déplacé d'appliquer rétroactivement un concept juridique moderne à des événements historiques qui se sont produits avant qu'il ne soit créé et défini.
D'autres sont d'avis que la campagne menée par Amir Abdur Rahman Khan contre tous ceux qu'il considérait comme une menace à sa consolidation du pouvoir, y compris l'assassinat des Hazaras, ne correspond peut-être pas à la définition juridique du génocide au sens de la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide. Ils soutiennent que ces meurtres, même s'ils étaient sans aucun doute brutaux et constituaient une violation flagrante des droits de la personne, n'étaient pas motivés expressément par la haine ethnique, religieuse et raciale, qui caractérise un génocide.
En conclusion, l'histoire est une trame multifacette et complexe qui exige un examen méticuleux et une compréhension poussée du contexte et des facteurs déterminants. Il s'agit d'un triste rappel de la façon dont le pouvoir peut être utilisé à mauvais escient à des fins religieuses et autres.
Alors que nous sommes en quête d'un monde plus juste et équitable, il est essentiel de poursuivre un examen critique de l'histoire. Il faut des spécialistes qui connaissent bien les subtilités historiques pour déterminer s'il convient d'employer le terme « génocide » dans ce contexte, et quels recours pourraient convenir.
Par ailleurs, la mise en place d'un mécanisme de reddition de comptes, qui rend justice aux victimes issues d'ethnies et de groupes divers ayant subi des abus et des atrocités indescriptibles, constitue un premier pas essentiel vers une paix durable. Dans notre quête de justice et de respect des droits de la personne, il est impératif de ne pas oublier les leçons du passé et d'en tirer des enseignements. Nous devons tout faire pour éviter que de telles atrocités ne se reproduisent jamais, quel que soit le nom qu'elle porte. L'histoire doit nous guider vers un monde plus juste et équitable, dans lequel nous avons à cœur les droits de la personne, que nous protégeons par‑dessus tout.
Monsieur le président, distingués membres du Comité, mesdames et messieurs, je m'adresse à vous aujourd'hui pour aborder une question de la plus haute importance: les atrocités que continuent de subir la communauté hazara et les groupes ethniques et religieux profondément enracinés en Afghanistan.
Depuis plus d'un siècle, les Hazaras sont victimes de violations incessantes des droits de la personne, ce qui a donné lieu à une situation qu'on ne peut qualifier que de génocide depuis 130 ans. La communauté hazara a été victime de diverses atrocités, notamment de nettoyage ethnique, de confiscation de terres et d'asservissement institutionnel. Il est essentiel de faire la lumière sur le déni des droits fondamentaux de la personne, comme le droit à la vie, à la liberté de religion, aux relations sociales, à l'éducation et à l'emploi au sein du gouvernement.
En 1978, les Hazaras ont acquis une certaine liberté et participation politique. Cependant, la montée des talibans en 1994 a marqué le début d'une nouvelle ère d'oppression, caractérisée par des massacres déchirants.
Malgré leurs souffrances, les Hazaras ont démontré leur ferme volonté à préserver la paix et la sécurité. Ils appuient le processus de paix et la communauté internationale depuis 2001.
Les Hazaras participent activement au processus démocratique, notamment en contribuant considérablement aux élections depuis 2001. Ils ont fait preuve de résilience et de dévouement à l'égard de l'éducation et de la paix, ce qui a entraîné un minimum de violence dans la région et aucune attaque contre les forces internationales depuis 2001. Toutefois, avec le retour au pouvoir des talibans, les Hazaras sont maintenant la cible d'attaques de plus en plus importantes, de déplacements forcés, d'exécutions sommaires et d'atrocités à grande échelle, ce qui constitue un génocide systématique caractérisé par des déplacements délibérés et des meurtres.
Les atrocités dont la communauté hazara est continuellement victime peuvent être divisées en quatre périodes importantes.
Dans les années 1890, les Hazaras ont subi des pertes dévastatrices sous le règne d'Amir Abdur Rahman Khan. Plus de 60 % de la population a été massacrée, des dizaines de milliers de personnes ont été vendues comme esclaves et une migration forcée a remodelé et modifié notre géographie. Environ 400 000 familles hazaras ont été déplacées, dont 80 % ont perdu la vie ou sont devenues des esclaves.
Au cours des années 1990, près de 10 massacres ont été perpétrés, dont le massacre du quartier Afshar de Kaboul en 1993, et celui de Mazar‑i‑Sharif en 1998, qui ont fait des milliers de victimes hazaras.
Entre 2002 et 2022, la communauté hazara a été victime de 294 incidents documentés de violence ciblée, qui ont fait des milliers de morts et de blessés. Ces attaques ont eu lieu dans divers contextes, comme des services de maternité, des lieux de culte et des écoles. De plus, les Hazaras ont été victimes de discrimination institutionnelle, de sous-représentation dans les emplois gouvernementaux et du controversé projet de ligne de transmission de 500 kilovolts, ce qui a aggravé leurs souffrances.
Depuis le retour des talibans, des centaines de Hazaras ont été tués et des milliers ont été déplacés, et le nombre d'employés hazaras au sein du gouvernement a considérablement diminué. Puisque l'aide internationale a été détournée de la région, le nombre de Hazaras qui occupent un emploi dans les organisations internationales a diminué.
À titre d'exemple récent, mentionnons l'attaque contre le centre de formation Kaaj dans l'ouest de Kaboul, le meurtre systématique de 17 civils hazaras à Khas Urozgan, l'attaque contre la mosquée de Pol‑e‑Khomri une semaine plus tôt, et le déplacement forcé de plusieurs centaines de familles dans la province de Daykundi. Des documents contrefaits ont été utilisés pour saisir les terres des Hazaras de tout le Hazarajat pendant le conflit des nomades pachtounes avec les résidants hazaras de la région. Les talibans ont imposé diverses taxes aux Hazaras en zone rurale, les poussant à quitter leurs maisons.
Les preuves indiquent que la communauté hazara en Afghanistan vit actuellement un génocide, tel que défini par la convention, à la lumière d'actes, comme le meurtre, la déportation et les transferts forcés de la population. Il est crucial que nous prenions des mesures immédiates pour lutter contre les atrocités qui continuent d'être commises contre la communauté hazara et pour prévenir d'autres souffrances.
Enfin, au nom de notre communauté, j'exprime ma gratitude à l'égard du Sous-comité des droits internationaux de la personne de la Chambre des communes, qui se penche sur les atrocités que subissent les Hazaras. L'attention que vous portez à cette question urgente est grandement appréciée.
Je remercie les témoins de leur présence et de leurs importants témoignages.
Je vais d'abord m'adresser à M. Ibrahimi, mais les autres témoins voudront peut-être également répondre.
Comment les talibans perçoivent-ils l'islam chiite en général? Dans quelle mesure la persécution généralisée infligée aux chiites contribue‑t‑elle à celle menée contre les Hazaras? Croyez-vous que la persécution est plutôt dirigée contre un groupe ethnique?
Je vous remercie de cette question, qui est à mon avis au cœur de ce qui se passe actuellement sous le régime des talibans en Afghanistan.
Comme nous le savons, les talibans ont toujours adhéré à deux idéologies différentes en Afghanistan. D'une part, ils adoptent une interprétation extrémiste de l'islam, selon laquelle l'islam chiite n'est pas considéré comme une secte légitime de la grande communauté islamique. D'autre part, les talibans prônent également une forme particulièrement violente et discriminatoire de nationalisme ethnique en Afghanistan, dont j'ai parlé récemment dans un article publié dans le Review of Faith & International Affairs.
Je pense que ce qui se passe actuellement en Afghanistan à l'égard des Hazaras est un croisement de ces deux idéologies et forces. La première est une idéologie religieuse très forte qui remonte aux années 1990. Les chefs talibans ont très souvent dit clairement que les chiites ne sont pas sur un pied d'égalité avec les musulmans sunnites de l'Afghanistan.
Nous avons pu le constater dans leurs politiques de marginalisation des chiites, qui excluent délibérément ce groupe de l'enseignement universitaire — par exemple, dans une zone à majorité hazara chiite comme Bamiyan, où une université enseignait la jurisprudence chiite. Les talibans ont également systématiquement écarté tous les juges chiites des tribunaux afghans. En ce moment, il n'y a plus un seul juge chiite au pays. À cela s'ajoute la propension historique d'accaparement des terres, dont a déjà parlé un autre témoin, M. Shaaran. Les Hazaras sont continuellement la cible d'accaparement des terres et de violence, des préjudices qui sont renforcés par les dirigeants talibans au moyen de leurs procédures judiciaires symboliques.
Je voudrais ajouter une chose. Ce que M. Ibrahimi a dit à propos de l'idéologie des talibans à l'égard des Hazaras est vrai. Ils considèrent les Hazaras comme des infidèles; c'est pourquoi nous avons autant d'exemples d'évènements survenus dans le passé. Lorsqu'ils se sont emparés de Mazar‑i‑Sharif — j'étais un jeune enfant à l'époque —, ils ont tué plus de 8 000 Hazaras, selon certains registres, tandis que d'autres en ont dénombré jusqu'à 5 000, en fonction de leur religion et de leur appartenance ethnique. Je pense que c'est très évident, pour notre communauté du moins. De nombreuses organisations internationales de défense des droits de la personne sont également de cet avis.
J'ai une autre question pour vous, madame Salehi. Je vais la poser et vous pourrez répondre aux deux en même temps si vous le souhaitez.
Le Parlement reconnaît souvent des actes de génocide. On leur accorde une importance particulière dans le contexte des événements contemporains. Toutefois, nous ne reconnaissons généralement pas les génocides survenus avant une certaine date, non pas parce qu'il n'y a pas eu de génocide depuis très longtemps dans l'histoire de l'humanité, mais parce qu'il est plus délicat pour les comités parlementaires et pour les parlementaires d'évaluer des événements historiques survenus dans le passé. Je pense toutefois que nous sommes plus susceptibles de reconnaître ces génocides historiques s'ils ont une résonance contemporaine. Je pense au génocide arménien, qui s'est produit dans le passé, mais qui semble très immédiat à la lumière des événements actuels.
Pourriez-vous nous expliquer pourquoi il est important pour nous d'évaluer, dans le contexte des événements actuels, cette question historique du génocide du XIXe siècle dont vous avez parlé?
Je suis tout à fait d'accord avec ce qu'ont dit mes deux collègues au sujet des talibans, et plus particulièrement des chiites. J'attribue davantage les événements récents à l'État islamique qu'aux talibans. Chaque incident et chaque attentat suicide qui s'est produit a été revendiqué par l'État islamique. Vous pouvez trouver ces documents. Voilà ce que je veux dire à ce sujet. Nous devrions disposer d'un mécanisme de responsabilisation pour découvrir la vérité.
Je trouve que les actions sont plus anti-chiites qu'anti-Hazaras. Lorsque certains de nos compatriotes chiites ont été équipés et recrutés par l'Iran au sein de la Division Fatemiyoun, puis envoyés en Syrie pour combattre l'État islamique, ce dernier nous a dit à l'époque qu'il se vengerait contre les chiites. J'estime que ces réactions sont anti-chiites, plutôt qu'anti-Hazaras. En effet, un grand nombre de Hazaras ne sont pas chiites et ne sont pas ciblés. De même, un grand nombre de chiites ne sont pas des Hazaras et sont ciblés. Voilà le point que je souhaitais mentionner.
En ce qui concerne l'autre élément que vous avez mentionné, en tant qu'avocats, nous avons un principe: la loi est appliquée et applicable à tous les événements qui se sont produits après l'entrée en vigueur de la loi spéciale. Toutefois, il est impossible de réellement documenter les événements historiques passés. Beaucoup de crimes ont été commis au cours de l'histoire. Il n'y aurait pas de limite à la réouverture des enquêtes sur ce type d'incident.
Je travaille à la Commission afghane indépendante des droits de l'homme. Nous avons documenté les crimes commis entre 1980 et 2001. Nous avons documenté tous les crimes, mais la justice transitionnelle n'a pas été rendue parce qu'il y a beaucoup de problèmes complexes liés à l'ethnie, à la religion...
Si nous ne pouvons pas l'appliquer aux événements récents, il nous est également impossible de l'appliquer aux événements historiques. C'est mon point de vue.
J'aimerais tout d'abord remercier tous les témoins.
J'aimerais poursuivre sur ce dont parlait M. Genuis. Madame Salehi, j'ai écouté votre témoignage avec beaucoup d'attention et je dois dire que je suis assez troublé par l'interprétation juridique à laquelle vous adhérez. D'après ce que j'ai entendu, vous avez déclaré que le génocide ne peut se produire que de manière prospective, après que le concept ait été cristallisé ou après l'adoption de la Convention sur le génocide, en 1948. Je n'ai jamais rencontré d'universitaire qui adhère à cette définition.
Comment justifiez-vous cette affirmation? Vous dites que les nazis n'ont pas commis de génocide ou que les Arméniens n'ont pas été victimes de génocide. C'est une interprétation très inquiétante qui n'est étayée par aucune recherche universitaire.
Oui, mais en tant qu'avocats, nous ne pouvons pas utiliser la terminologie du génocide pour en parler. Nous pouvons utiliser le terme « crime contre l'humanité »...
Monsieur Shaaran, la situation est extrêmement difficile depuis 2021. J'aimerais savoir comment les choses se passent actuellement en Afghanistan. Pensez-vous que les talibans pratiquent un apartheid fondé sur le genre et que les Hazaras en sont victimes?
Oui. Malheureusement, en Afghanistan, les talibans pratiquent clairement un apartheid fondé sur le genre et un apartheid ethnique. Il ne s'agit pas seulement d'un apartheid fondé sur le genre. Il y a les deux, malheureusement.
Je ne suis pas convaincu que les talibans agissent différemment de Daech. En 1998, il n'y avait pas de Daech, alors pourquoi 8 000 Hazaras ont‑ils été tués à Mazar‑i‑Sharif et des milliers à Bamiyan, ma ville natale? Par ailleurs, Daech a été créé en 2008. Les Hazaras sont la cible d'un génocide et ils sont attaqués dans leurs mosquées et leurs écoles depuis 2002.
En outre, les talibans ne cessent de répéter à la communauté internationale que Daech n'est pas présent en Afghanistan et qu'aucun groupe terroriste n'est actif dans ce pays. S'il n'y a pas de groupe terroriste, pourquoi y a‑t‑il tous les jours des attentats suicides dans notre communauté. Pourquoi nos écoles sont-elles la cible d'attaques qui tuent des centaines de nos enfants et provoquent le déplacement de centaines d'autres? S'ils ne sont pas Daech, alors qui sont‑ils? S'ils sont Daech, alors ils sont responsables, car actuellement, ils contrôlent le pays. Ils contrôlent la sécurité de la population. Voilà ce que je dirais.
En ce qui concerne l'apartheid, je peux fournir des renseignements supplémentaires. Les femmes hazaras ont été touchées plus que toute autre communauté par l'apartheid fondé sur le genre. Comme je l'ai mentionné, ces 20 dernières années, la communauté hazara était favorable au processus démocratique. Les femmes hazaras ont en fait participé plus que tout autre groupe ethnique au processus démocratique, y compris aux élections, etc. C'est pourquoi l'apartheid fondé sur le genre des talibans les affecte plus que tout autre groupe en Afghanistan,
Vous avez abordé la question du déplacement de la communauté hazara en Afghanistan. Pourriez-vous nous donner une idée de l'ampleur de ce phénomène depuis trois ou quatre ans?
J'ai publié une étude exhaustive sur le déplacement des Hazaras dans le journal Etilaat. Elle indique clairement que des centaines de familles hazaras ont été déplacées en deux ans.
Là où je suis né, à Qarghanato, dans la province de Bamiyan, l'année dernière, les gens comme moi n'ont pas pu mettre leur bétail en pacage. Les talibans ne le permettaient pas. Malheureusement, des milliers de documents contrefaits font état d'allégations concernant les terres des Hazaras. Sous les talibans, n'importe qui peut prétendre, sous des noms de nomades et de Kuchis, qu'il y a 40 ans, par exemple, ces terres leur appartenaient. Je peux d'ailleurs vous lire beaucoup d'exemples de ce genre de situation. J'en ai un grand nombre, si vous avez le temps. Je les ai déjà soumis. Je peux vous donner des exemples clairs de ce genre de situation.
Je vais vous en donner un. À Nawur, l'année dernière, un jeune Kuchi est venu voir les talibans et leur a dit qu'il y a 20 ans, son fils avait été blessé par l'armée afghane et que la communauté hazara devait maintenant lui verser environ un million d'afghanis en guise de compensation. Il y a des indemnités pour le prix du sang et bien d'autres choses encore. J'ai beaucoup de documents que je pourrai remettre au Comité, si vous le souhaitez.
Malheureusement, ce problème perdure. Il ne s'agit pas d'une nouveauté. Cette situation s'est produite dans le passé au sein de la communauté hazara, mais aujourd'hui, ces personnes ont le soutien des talibans. N'importe qui peut faire une revendication et soumettre un litige visant des Hazaras et s'emparer de leurs terres.
Madame Salehi, j'ai été, moi aussi, un peu étonné d'entendre vos propos. Mon collègue M. Ehsassi a un peu résumé ce que je pensais. Si je comprends bien votre théorie, la convention sur le génocide ayant été entérinée en 1948, tout ce qui s'est fait plus tôt ne peut pas être considéré comme un génocide.
Êtes-vous en train de nous dire que le Canada a fait une erreur en reconnaissant le génocide arménien et le génocide ukrainien, appelé le Holodomor?
Selon votre théorie, est-ce une erreur commise par le Canada?
Je ne peux pas dire que le Canada a tort, mais c'est mon interprétation du principe de rétroactivité en tant que juriste. C'est ainsi que je l'interprète, et beaucoup de juristes qui disent...
Je viens d'apprendre que cela a peut-être été une erreur de reconnaître le génocide arménien. J'aurais pu tomber en bas de ma chaise en apprenant cela si celle-ci n'avait pas eu de bras.
Monsieur Ibrahimi, nous allons parler de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée en 1948. À l'article II de la Convention, on décrit le génocide comme un crime « commis dans l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».
Ce qu'il s'est passé entre 1891 et 1893, en Afghanistan, envers les Hazaras, concorde-t-il avec l'article II, que je viens de lire?
Je pense que nous l'avons établi dans le témoignage que nous avons envoyé, en mai de cette année, je crois. Nous avons appliqué les articles 2 et 3 de la Convention à la situation des Hazaras. Ces articles stipulent que le génocide est un acte visant « un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel » et « commis dans l'intention de détruire » ce groupe « en tout ou en partie ».
Souvenez-vous également qu'il n'est pas nécessaire que l'intégralité du groupe soit détruite pour que nous puissions affirmer qu'un génocide a eu lieu. Pour que l'on puisse déclarer qu'il y a un génocide, l'important est qu'il y ait une « intention » de commettre ce genre de crime ou une conspiration en vue de le faire. Je pense que si l'on regarde l'histoire, on note plusieurs épisodes de violence à l'égard des Hazaras que l'on peut clairement qualifier de « génocide ».
Je pense que les événements survenus entre 1891 et 1893 sont comparables à ce qui est arrivé aux Arméniens pendant la Première Guerre mondiale en termes d'intensité et d'ampleur. Bien sûr, comme nous le savons, tous les Arméniens n'ont pas été tués, mais il s'agit de l'un des cas historiques de génocide les plus largement établis. Je pense que l'on estime que les Hazaras ont perdu 62 % de leur population au cours de ces seules trois années. Ensuite, en août 1998, jusqu'à 8 000 Hazaras ont été tués en environ une semaine.
Ensuite, au fil des ans, on relève des épisodes semblables que nous pouvons également relier aux autres. Je pense que nous disposons d'un grand nombre de preuves qui indiquent qu'à l'heure où nous parlons, il y a une intention de détruire les Hazaras « en tout ou en partie ». Je pense que nous pouvons examiner tous ces incidents et les regrouper: des attaques contre des maternités, des attaques contre des centres éducatifs et des attaques contre des femmes. Dans bon nombre de ces écoles, on attaque des jeunes filles hazaras. Je pense que tous ces faits illustrent clairement l'intention de ces groupes de commettre un génocide contre les Hazaras.
Monsieur Shaaran, qu'est-ce que cela voudrait dire, pour les Hazaras, peu importe l'endroit où ils vivent, que ce soit au Canada ou en Afghanistan, si le Comité arrivait à la conclusion qu'il y a effectivement eu un génocide entre 1891 et 1893? Quel effet cela aurait-il sur les communautés hazaras du Canada et du reste du monde?
Je pense qu'il serait très important que vous reconnaissiez qu'il s'agit d'un génocide, non seulement pour les Hazaras, mais pour toute l'humanité. Notre communauté souffre depuis plus de 130 ans. Nous avons été la cible d'un génocide constant et nous le sommes encore. Je pense que ce serait très important.
Comme l'a mentionné M. Ibrahimi, nous voulons en fait faire de la prévention. Gregory Stanton, directeur de l'organisation internationale Genocide Watch, a participé à l'une des conférences. Dans sa déclaration, il a indiqué qu'il était très important de prendre des mesures pour empêcher que l'on commette d'autres atrocités contre la communauté hazara.
Je pense que toute action, en particulier si elle est prise par ce comité et par la Chambre des communes, serait grandement appréciée par les Hazaras et par l'humanité tout entière, car elle empêcherait que l'on commette de nouvelles atrocités contre des gens. Aujourd'hui, nous ne savons pas ce que l'avenir réserve aux Hazaras. Où que vous vous trouviez. Si vous vivez à Kaboul, à Mazar ou à Hazarajat, vous ne savez pas si demain vos proches mourront et dans quelles circonstances ou conditions.
Je pense qu'il s'agirait pour nous d'une action importante et très appréciée. Elle nous aiderait beaucoup à mettre un terme à nos souffrances, au moins. Vous mettriez également plus de pression sur les talibans et sur d'autres acteurs. Beaucoup de gens pensent que nous n'avons aucun moyen de faire pression sur les talibans, mais je pense que c'est faux. La communauté internationale constitue un énorme moyen de pression.
Les talibans vous écouteront, mais vous devez agir. Votre action aura alors une valeur et exercera une pression sur les talibans qui permettra au moins d'empêcher d'autres atrocités.
J'aimerais utiliser le temps de parole qu'il me reste pour signaler aux analystes qu'une témoin a dit que c'était peut-être une erreur d'avoir reconnu le génocide arménien et l'Holodomor. Je demande donc aux analystes de bien porter attention à son témoignage lorsque viendra le temps de rédiger le rapport.
J'aimerais remercier les témoins d'être présents aujourd'hui.
Je tiens tout d'abord à exprimer ma profonde sympathie à l'égard du peuple de l'Afghanistan et à la communauté hazara à la suite des récents tremblements de terre survenus dans ce pays. Je sais qu'ils doivent avoir l'impression que le monde regarde ailleurs en ce moment et ne s'intéresse pas aux morts et à la destruction survenues en Afghanistan. J'en suis profondément désolée.
Je tiens également à souligner l'impact qu'ont eu les déportations du Pakistan sur les Afghans, sur les Hazaras et sur les réfugiés afghans qui fuient la violence. Je sais que cet impact se fait davantage ressentir chez les personnes persécutées par le régime taliban. Je ne veux pas que vous pensiez que nous avons oublié les Afghans, car ce n'est pas le cas.
Ma première question est pour vous, monsieur.
Vous venez de parler de la nécessité de dénoncer les actes génocidaires des talibans et le génocide dont sont victimes les Hazaras. Je m'inquiète, car je ne suis pas aussi convaincue que vous du fait que les talibans nous écoutent. Nous avons assisté à des attaques constantes contre les droits des femmes et contre des groupes minoritaires comme les Hazaras. Les talibans ont commis des meurtres et adopté des comportements d'une grande violence à l'égard de certains groupes minoritaires.
Qu'est‑ce qui vous fait croire qu'ils nous écoutent ou qu'ils prêtent attention à ce que nous disons? Pouvez-vous me donner des raisons d'espérer que c'est le cas?
Tout d'abord, pour ce qui est de savoir si les talibans nous écoutent ou non, je pense qu'ils finiront par le faire, et je vais vous expliquer pourquoi. En ce qui concerne la reconnaissance du génocide des Hazaras pour l'humanité tout entière, j'estime que les atrocités se poursuivent et que cette réalité doit être reconnue à l'échelle internationale. C'est ce que souhaite notre communauté au Canada et ailleurs.
Pour ce qui est d'écouter... Depuis la dernière attaque perpétrée l'an dernier contre notre centre d'éducation à Kaboul, où 57 filles, principalement âgées de moins de 19 ans, ont malheureusement trouvé la mort, nous avons mené une campagne intitulée « Arrêtez le génocide des Hazaras ». Nous avons organisé des manifestations partout dans le monde, plus précisément dans 130 villes réparties dans plus de 50 ou 60 pays. Nous avons ensuite créé le mot-clic #StopHazaraGenocide, qui a été retransmis plus de 15 millions de fois sur Twitter. En fait, lorsque nous avons repris contact avec des gens en Afghanistan, nous nous sommes rendu compte que les talibans prenaient les choses au sérieux. Au cours de la dernière année, heureusement, nous n'avons pas subi d'attaques d'une telle ampleur, mais les talibans ont changé leur stratégie. Le génocide qui est en cours prend maintenant la forme de déplacements forcés et de ciblage de personnes, au lieu de viser directement nos écoles ou nos mosquées.
Malheureusement, tout récemment — il y a une semaine —, une bombe a explosé dans l'une des mosquées hazaras dans le nord de l'Afghanistan, et 30 personnes ont été tuées. Je l'ai mentionné dans ma déclaration.
Je constate donc que c'est important pour eux, car au bout du compte, ils veulent en fait... La réaction de la communauté internationale semble compter pour eux dans une certaine mesure. Je pense que cela aura une incidence.
Une de mes questions — pour faire suite rapidement à vos propos, après quoi je céderai la parole aux deux autres témoins — est la suivante: que doit faire de plus le Canada? Je sais que nous avons eu du mal à mettre en place une mesure législative pour nous assurer que l'aide peut se rendre là‑bas. Le projet de loi a été adopté, mais il n'est pas parfait. Quelles autres mesures aimeriez-vous que nous prenions? Quelles autres mesures la communauté internationale devrait-elle prendre en ce moment pour protéger les Hazaras et, surtout, pour protéger les personnes doublement marginalisées? Nous savons que les Hazaras sont profondément touchés, mais les femmes hazaras le sont encore plus, bien entendu, sous le régime des talibans. Cette intersectionnalité englobe des journalistes, des avocats, des députés... C'est attribuable au fait d'appartenir à une communauté minoritaire et à l'un des groupes les plus attaqués en Afghanistan.
De façon générale, notre peuple est très reconnaissant envers le Canada parce que, dans cette situation difficile, votre contribution à l'aide internationale en Afghanistan est énorme comparativement à celle de n'importe quel autre pays.
Il est toutefois important de souligner une chose. En raison de la politique sur le terrain, l'aide internationale destinée aux Hazaras finit malheureusement par être détournée. J'ai déjà déposé quelques documents que vous pourrez consulter. Les habitants de Bamiyan et de Daykundi ont transmis leurs plaintes à la communauté internationale pour signaler que l'aide qui était censée arriver dans leur région avait été transférée vers d'autres provinces et d'autres endroits.
À mon avis, nous devons veiller à ce que les organisations internationales qui fournissent de l'aide en Afghanistan rendent des comptes. Elles doivent s'assurer que l'aide est répartie également entre tous les groupes en Afghanistan. Malheureusement, ce n'est pas le cas depuis 20 ans. Malgré la présence de la communauté internationale, les Hazaras ont été marginalisés par rapport aux autres groupes ethniques ou communautés en Afghanistan du point de vue de leur capacité à recevoir de l'aide internationale.
Madame Salehi, je dénonce fortement ce que vous avez dit au sujet du génocide. Je crois que c'est très pénible à entendre pour de nombreux membres de diverses communautés. Je m'abstiendrai donc de vous poser certaines de ces questions. Je suis tout à fait d'accord avec mon collègue du Bloc: en effet, nous devrions tenir compte de ce point au moment d'examiner votre témoignage.
Cela dit, je sais que vous avez une certaine expertise en ce qui a trait aux droits des femmes et à la protection des droits des femmes en Afghanistan, et je sais aussi que vous avez bel et bien mis en œuvre des interventions. Pouvez-vous nous parler un peu des politiques qui ont été adoptées pour soutenir et protéger les femmes hazaras?
En ce qui concerne la persécution fondée sur le sexe ou l'apartheid sexiste en Afghanistan, c'est une réalité omniprésente dans le pays, surtout au chapitre de l'intersectionnalité. Les Hazaras et les femmes d'autres ethnies font partie des groupes marginalisés qui sont les plus ciblés en ce moment.
À mon avis, le seul espoir qu'ont les Afghanes en ce moment, c'est la communauté internationale, qui peut forcer les talibans à revenir sur leurs politiques sexistes en Afghanistan. C'est tout ce que j'entrevois: la communauté internationale pourrait obliger les talibans à renoncer à leurs politiques.
Je tiens seulement à apporter une correction. Je n'ai pas dit que le Canada n'avait pas fait la bonne chose; j'ai simplement donné mon interprétation du principe. Nous avons ce principe, et c'est l'interprétation que j'en fais en tant qu'avocate.
J'aimerais faire une brève remarque sur la question de savoir si les talibans nous écoutent ou non. À mon sens, ils ne nous écoutent pas depuis deux ans, en partie à cause des messages contradictoires qu'ils reçoivent de la communauté internationale. Jusqu'à tout récemment, la situation des femmes en Afghanistan ne faisait pas vraiment partie des priorités internationales. Compte tenu de l'intensité et de la nature systématique de la violence faite aux femmes en Afghanistan, je pense que le pays ne reçoit toujours pas autant d'attention qu'il le devrait de la part de la communauté internationale.
Je crois que la situation de groupes comme les Hazaras en Afghanistan ne figure pas en tête de liste des priorités internationales. Une chose que le Canada peut envisager de faire, selon moi, c'est de reconnaître la nature de la situation en Afghanistan pour des gens comme les Hazaras.
On peut également utiliser et appuyer des mécanismes internationaux pour étayer et soutenir des enquêtes internationales. D'ailleurs, les groupes de défense des droits de la personne réclament depuis de nombreuses années la création de mécanismes d'enquête indépendants par le Conseil des droits de l'homme des Nations unies. Je pense que ce serait un début, et le soutien aux enquêtes de la Cour pénale internationale serait un autre exemple de mesure à prendre.
L'Afghanistan est un État partie à la Cour pénale internationale depuis 2003, et une enquête est en cours, mais elle n'a pas vraiment progressé. À mon avis, la communauté internationale doit se concentrer sur les droits de la personne et la prévention des atrocités de masse en Afghanistan.
Nous passons maintenant à la deuxième série de questions. Je crois qu'il ne nous reste plus beaucoup de temps. J'invite Mme Vandenbeld à prendre la parole pour cinq minutes.
Je partagerai mon temps de parole avec Mme Damoff.
Avant de poser ma question, je tiens à souligner, en raison de la discussion précédente, que dans le préambule de la Convention sur le génocide de 1948, on peut lire ceci: « Reconnaissant qu'à toutes les périodes de l'histoire, le génocide a infligé de grandes pertes à l'humanité [...] » C'est écrit noir sur blanc dans la Convention sur le génocide.
Cependant, ma question ne porte pas là‑dessus. Elle s'adresse à M. Shaaran.
Nous avons beaucoup insisté, jusqu'ici, sur ce qui s'est produit dans le passé et sur les atrocités qui ont été commises dans le passé. Je pense que l'une des choses que notre comité peut faire, c'est de rendre visibles et de mettre en évidence les atrocités qui se déroulent en ce moment pour empêcher qu'elles se reproduisent à l'avenir.
Je me demande si vous pourriez nous dire sur quoi vous aimeriez que le Comité se concentre dans sa déclaration et ses recommandations, et sur la façon de rendre visible ce qui arrive aux Hazaras en ce moment. Malheureusement, cette situation ne fait pas la une des journaux, alors qu'elle le devrait.
Si vous pouviez nous donner peut-être une recommandation que nous devrions inclure dans notre rapport, je vous en saurais gré. Je céderai ensuite la parole à Mme Damoff.
À mon avis, il est très important d'avoir un bureau spécial pour les droits de la personne des Hazaras à l'heure actuelle, parce que nous devons surveiller la situation. Dans l'état actuel des choses, il n'est pas facile d'avoir un accès direct sur le terrain. Par exemple, lorsque j'entre en contact avec beaucoup de gens pour obtenir les bons renseignements, certains craignent pour leur vie. C'est très difficile. Même si mes sources sur le terrain me font confiance, ce n'est pas toujours facile. Ils risquent leur vie en envoyant un message texte ou n'importe quoi d'autre pour signaler quelque chose.
Je pense qu'il est très important d'avoir un bureau qui s'occupe exclusivement de la situation des droits de la personne en Afghanistan en général et, plus particulièrement, des Hazaras...
Je tiens à remercier tous les témoins de leur présence.
Monsieur Shaaran, vous avez dit une chose qui m'a laissée un peu perplexe, à savoir que l'aide est détournée de la région. Il semble que cette situation ne date pas seulement de l'arrivée des talibans au pouvoir dans le pays. Elle existait auparavant, d'où ma confusion.
Des organismes d'aide canadiens travaillent en Afghanistan depuis un certain temps. Pourquoi détourneraient-ils l'aide de la région?
Je ne dis pas que c'est seulement le Canada, mais malheureusement, la façon dont les choses fonctionnent... Si vous regardez les 20 dernières années, la communauté internationale s'est surtout concentrée sur d'autres régions. Par exemple, le Canada a mis l'accent sur Kandahar. Les Américains se sont concentrés ailleurs, puis ils sont allés à Kaboul, entre autres. Les Allemands étaient à Mazar‑i‑Sharif. À Hazarajat, il n'y avait que la Nouvelle-Zélande.
Les fonds consacrés au développement de l'Afghanistan ne représentaient pas grand-chose comparativement à d'autres pays. Si vous examinez attentivement les sommes qui ont été versées à notre communauté au cours des 20 dernières années, lorsque la communauté internationale était sur le terrain, vous verrez que c'est très peu par rapport à d'autres régions. Voilà ce que j'essayais d'expliquer.
C'est ce qui se passe encore aujourd'hui. Par exemple, j'ai un rapport, et je viens de soumettre une lettre de la population locale. La communauté internationale a alloué des fonds à Bamiyan, par exemple, dans 10 districts. Toutefois, pour une raison ou une autre, les gens de la région, parce qu'ils doivent travailler sous le régime des talibans... Les talibans ont exercé beaucoup de pression et ont dit: « D'accord, la seule façon dont vous pouvez exercer vos activités, c'est si vous détournez ce projet vers telle province, plutôt que vers telle autre. »
C'est ce à quoi je fais allusion lorsque je dis que l'aide internationale est actuellement détournée de la communauté hazara. C'est à cause de la pression exercée par les talibans. Même la communauté internationale ne peut pas apporter son aide à la population locale. C'est très difficile. Il faut négocier avec les talibans. Ils disent: « D'accord, si vous voulez que l'aide se rende là‑bas, 90 % des fonds devront aller ailleurs, et nous allons laisser les 10 % à cet endroit. »
Je n'en connais pas l'ampleur, mais c'est quelque chose que nous devons examiner.
La communauté afghane en Suède a eu un problème semblable en 2018. Notre communauté en Suède a envoyé une demande de renseignements au Parlement du Canada, disant que l'argent versé par la Suède et le Canada ne se rendait pas à la communauté hazara. Il y a eu une enquête de 400 ou 300 pages pour déterminer à quoi ont servi les fonds d'aide au cours des 18 dernières années en Afghanistan et dans quelle mesure la communauté hazara en a réellement profité.
Mesdames et messieurs les membres du Comité, en raison des contraintes de temps, nous ne pourrons continuer que pendant 15 minutes au maximum. Préféreriez-vous cinq minutes chacun?
Merci, monsieur le président. À l'avenir, tâchons d'avoir un temps de parole égal, mais je sais que nous travaillons de manière plus collégiale à ce comité qu'à d'autres endroits.
Je pense que nous voulons passer aux travaux du Comité, alors je serai bref. J'aimerais poser une question au sujet de la mobilisation des groupes d'opposition.
Je crois que les pays occidentaux doivent en faire plus pour collaborer avec les groupes d'opposition qui contestent les talibans de diverses façons et qui se préparent à libérer l'Afghanistan du joug des talibans. Comment les groupes d'opposition s'y prennent‑ils pour inclure des Hazaras dans leurs rangs? Déploie‑t‑on des efforts efficaces au sein des groupes d'opposition pour créer des solutions de rechange pluralistes aux talibans, ou est‑ce plus limité ou plus difficile?
Je pense pouvoir faire une brève observation à ce sujet.
En ce qui concerne les groupes d'opposition, comme on le sait, ils ont fait face à des défis importants en matière de réorganisation au cours des deux dernières années. Toutefois, je pense que des membres de groupes d'opposition ont récemment fait des déclarations importantes à l'égard des talibans. C'est le cas notamment d'Ahmad Massoud, le chef du Front national de résistance en Afghanistan. Je pense qu'il a fait une déclaration assez ferme à Paris, lors de sa récente visite là‑bas, lorsqu'il a expressément demandé à la communauté internationale de reconnaître deux choses en Afghanistan: premièrement, l'apartheid fondé sur le genre et deuxièmement, le génocide des Hazaras.
Cela m'amène aussi à un autre point que j'aimerais soulever rapidement. L'Afghanistan sous le régime taliban présente de multiples défis en matière de sécurité humanitaire et politique. Cela dit, je suis vraiment reconnaissant au Comité de se pencher sur la situation des Hazaras en particulier parce que...
Les autres témoins pourront répondre par écrit, s'ils le souhaitent, à la question sur les groupes d'opposition. Encore une fois, je pense qu'il est très important que les pays occidentaux mobilisent davantage les groupes d'opposition. Nous voulons les encourager et les soutenir également dans leurs efforts d'inclusion.
Monsieur Ibrahimi, vous sembliez vouloir réagir aux propos de ma collègue Mme Vandenbeld.
Si on reconnaît un génocide, qu'est-ce que cela signifie pour la suite des choses ou pour d'autres peuples? Reconnaître ce qu'il s'est passé pourrait empêcher qu'une telle situation ne se reproduise.
C'est ce que je tentais de dire. Bien que je pense que l'Afghanistan a fait face à de multiples défis sous le régime des talibans, j'estime qu'il faudrait particulièrement s'attarder à l'urgence et à la nature considérable du génocide ciblant présentement les Hazaras dans ce pays. Voilà pourquoi je vous suis vraiment reconnaissant d'avoir lancé cette étude sur la situation des Hazaras en Afghanistan. J'estime aussi qu'il existe de nombreux autres défis qui sont traités dans différents forums et de différentes manières.
Il faut s'attarder à la situation des Hazaras en Afghanistan. En y portant attention, on apporte aussi une guérison et une reconnaissance à ce peuple. Cela dit, le plus important, selon moi, c'est que cela pourrait nous permettre d'éviter de futures atrocités de masse. La reconnaissance peut être une première étape pour sensibiliser le monde à cette situation, mais elle peut aussi nous mener vers d'autres mesures. Le Canada et d'autres pays pourraient se mobiliser à divers égards pour éviter que de telles atrocités se reproduisent envers les Hazaras.
Monsieur Ibrahimi, je tiens à dire que vous êtes un excellent porte-parole pour les Hazaras.
Les Hazaras sont exposés à de grands dangers en Afghanistan et cela nous préoccupe, bien sûr, mais j'aimerais également parler de ce que pourrait faire le Canada pour aider ceux qui tentent de fuir la violence. Nous savons que le processus d'accueil au Canada n'est vraiment pas facile. C'est difficile de passer par le Pakistan. Les défis sont légion. Qu'aimeriez-vous que le gouvernement canadien fasse pour aider les Hazaras les plus à risque à fuir la violence actuelle en Afghanistan?
Les Hazaras sont les plus à risque, mais c'est aussi le groupe le moins représenté parmi les évacués et les réfugiés afghans des deux dernières années.
Il faudrait d'abord que le système de traitement des demandes de réfugiés tienne compte de ces menaces et que l'on sache où se trouvent les divers groupes en Afghanistan. Je crois que ce serait une excellente chose, surtout pour les femmes hazaras à risque qui étaient autrefois membres des forces de sécurité.
Je crois que vous avez déjà parlé de l'intersectionnalité du genre, de l'ethnicité et des points de vue progressistes de nombreux Hazaras, mais particulièrement de femmes hazaras. Il y en a beaucoup en Afghanistan, au Pakistan et en Iran. Je crois que le Canada pourrait vraiment se mobiliser et aider beaucoup de gens dont la sécurité et le bien-être sont sérieusement menacés à l'heure actuelle en Afghanistan, surtout compte tenu de la répression récente des réfugiés perpétrée par les gouvernements iranien et pakistanais.
Voilà qui met fin à ce deuxième tour de questions.
Au nom des membres et du personnel du Comité, j'aimerais remercier les témoins de leur présence et de leur témoignage dans le cadre de notre étude sur la situation des Hazaras en Afghanistan. Si vous pensez à d'autres informations qui pourraient nous être utiles, je vous prierais de contacter le greffier ou de nous les envoyer par écrit.
Je vous remercie de votre présence.
Nous allons maintenant suspendre brièvement la séance afin de donner le temps aux témoins de partir. Nous poursuivrons ensuite nos travaux à huis clos.