Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
Bienvenue à la 61e réunion du Sous-comité des droits internationaux de la personne du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international.
La réunion d'aujourd'hui se déroule sous forme hybride. Tous les témoins ont effectué les tests de connexion requis avant la réunion.
J'aimerais rappeler aux participants les points suivants. Les participants doivent attendre que je les reconnaisse par leur nom avant de prendre la parole. Tous les commentaires doivent être adressés à la présidence. Je demanderais aux membres du Comité de lever la main s'ils souhaitent intervenir, qu'ils participent en personne ou au moyen de l'application Zoom. Le greffier du Sous-comité et moi-même ferons de notre mieux pour maintenir l'ordre de parole.
Conformément à l'article 108(2) du Règlement et à la motion adoptée par le Sous-comité le 24 septembre 2024, le Sous-comité commence son étude sur la répression transnationale dans les démocraties en développement.
Je tiens à faire un rappel amical à mes estimés collègues ainsi qu'aux témoins: comme le mentionne le titre de notre étude, celle-ci porte précisément sur les questions d'ordre international, et non sur les questions d'ordre national.
J'aimerais souhaiter la bienvenue aux témoins.
Nous accueillons Mme Uma Ruthiramoorthy, bénévole juridique du Tamil Rights Group, qui participe à la réunion en personne.
Nous accueillons également Mme Frances Hui, coordonnatrice de la politique et du plaidoyer de la Fondation du Comité pour la liberté à Hong Kong.
Vous disposez chacune d'un maximum de cinq minutes pour faire votre allocution. Ensuite, nous procéderons à une période de questions.
Bienvenue, madame Ruthiramoorthy. Je vous invite à faire votre déclaration d'ouverture d'une durée maximale de cinq minutes.
Depuis longtemps, les Tamouls de l'Eelam sont privés de leurs droits et sont victimes de violations des droits de la personne. À la fin de la guerre, en 2009, le gouvernement du Sri Lanka a saisi l'occasion d'opprimer davantage les Tamouls de l'Eelamen en emprisonnant les personnes déplacées dans des camps de détention. Bon nombre d'entre eux ont été victimes de viols et ont été soumis à la torture et à des traitements inhumains et violents. L'hécatombe et les actes génocidaires flagrants perpétrés par le gouvernement du Sri Lanka à l'encontre des Tamouls de l'Eelam pendant les 26 années de guerre et dans les camps sont clairement démontrés par la découverte d'environ 32 fosses communes.
Les tensions persistent dans le pays, avec une forte présence militaire dans les régions tamoules du Nord et de l'Est du Sri Lanka. En 2022, on a enregistré un ratio d'un soldat pour quatre civils, ce qui favorise l'autorité militaire de fait dans le Nord.
Les tactiques d'intimidation du gouvernement du Sri Lanka servent à réduire au silence les civils au Sri Lanka et à l'étranger, afin qu'ils ne puissent pas dénoncer toute maltraitance. Or, des rapports récents et inquiétants font surface, faisant état d'incidents de détention arbitraire, de persécution religieuse, d'accaparement des terres, de brutalité policière, de torture et de meurtres.
Récemment, des rapports choquants ont révélé qu'une mère et son bébé avaient été agressés par la police sri-lankaise. Plus tôt cette année, huit personnes et un prêtre ont été détenus arbitrairement et agressés, simplement parce qu'ils avaient pratiqué leur religion et célébré un festival religieux au temple hindou de Vedukkunaari. En 2023, un étudiant nommé Alex Nagarasa a été détenu arbitrairement et torturé dans un poste de police local. À l'instar de nombreux jeunes d'aujourd'hui, Alex a eu recours aux médias sociaux pour révéler la torture qu'il avait subie. Il a ensuite été brutalement assassiné.
Plus tôt cette année, des mères de victimes de disparitions forcées ont été arrêtées et détenues arbitrairement simplement parce qu'elles avaient continué à dénoncer la situation. L'ONU a recueilli de nombreux témoignages qui révèlent que les victimes et leurs familles sont intimidées, harcelées, surveillées, et qu'elles craignent constamment de subir des répercussions.
Les victimes, et plus particulièrement les familles de victimes de disparitions forcées, ne reçoivent aucun soutien. Des mécanismes rudimentaires ont été mis en place, comme le bureau des personnes disparues, qui ne dispose pas des ressources, des capacités et des pouvoirs nécessaires pour mener des enquêtes. Au coeur de ce problème se trouvent le manque d'indépendance et l'impunité qui est accordée aux auteurs de ces crimes. Les criminels de guerre jouissent de l'impunité et bon nombre d'entre eux ont été promus à des postes haut placés ou de premier plan au sein du gouvernement, ce qui a ensuite eu une grande incidence sur le système judiciaire.
Le gouvernement du Sri Lanka n'a pas résolu le problème que posent sa loi draconienne sur la prévention du terrorisme et son projet de loi antiterroriste. L'ONU a reconnu qu'ils étaient en violation directe de plusieurs conventions des Nations unies sur les droits de la personne. L'adoption d'autres lois draconiennes, telles que la loi sur le bureau de réadaptation, la loi sur l'enregistrement et la supervision des ONG, et la loi en matière de sécurité en ligne, facilite la détention arbitraire de personnes et autorise le gouvernement du Sri Lanka à surveiller sans relâche des groupes de la société civile. Ces lois draconiennes constituent des outils législatifs qui servent à étouffer la dissidence et réduire les libertés fondamentales des Tamouls de l'Eelam au Sri Lanka et à l'étranger.
Le gouvernement du Sri Lanka tente de museler les membres de la diaspora partout dans le monde. Les victimes des atrocités commises par le gouvernement du Sri Lanka qui font part de leurs témoignages font souvent l'objet de représailles, et les membres de leur famille restés au pays sont surveillés, menacés, et font l'objet d'intimidation.
Les groupes de la société civile travaillent souvent dans la crainte, car le gouvernement du Sri Lanka publie régulièrement des gazettes où figurent les noms de ressortissants étrangers reconnus pour s'opposer au régime, les qualifiant de terroristes. De nombreux Tamouls de la diaspora ont connu des problèmes lorsqu'ils se sont rendus dans d'autres pays; ils ont été refoulés à leur arrivée, ou ont été maltraités à leur retour au Sri Lanka. Ils ont été victimes de détention arbitraire, de brutalité policière, de torture et d'autres pratiques inhumaines comme moyen d'intimidation à l'échelle mondiale.
Nous avons quatre recommandations clés.
Premièrement, le Canada devrait soutenir activement le projet de reddition de comptes visant le Sri Lanka du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et plaider en faveur de l'élargissement de son mandat.
Deuxièmement, le Canada devrait élargir son régime de sanctions pour inclure plus d'individus liés au gouvernement du Sri Lanka.
Troisièmement, de nombreux groupes de la société civile, dont le Tamil Rights Group, ont demandé au gouvernement du Canada d'intenter des poursuites devant la Cour internationale de justice.
Enfin, le Tamil Rights Group a officiellement demandé au Canada de soutenir la demande qu'il a présentée à la Cour pénale internationale, en vertu de l'article 15.
Bonjour, monsieur le président El‑Khoury, monsieur le vice-président Lake, monsieur le vice-président Brunelle-Duceppe et mesdames et messieurs les membres du Comité. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de témoigner devant vous aujourd'hui.
Je m'appelle Frances Hui et je représente la Committee for Freedom in Hong Kong Foundation, qui milite pour la libération des prisonniers politiques à Hong Kong. Je suis née et j'ai grandi à Hong Kong, et je milite en faveur de son développement démocratique depuis l'âge de 14 ans.
En 2020, après que la Chine a imposé sa loi sur la sécurité nationale à Hong Kong, j'ai demandé l'asile aux États-Unis, car je risquais d'être arrêtée en raison de mes activités de mobilisation à l'échelle internationale. J'habite désormais à Washington, D.C., et je continue à dénoncer les abus du gouvernement chinois à Hong Kong et ailleurs.
Depuis l'année dernière, je suis visée par un mandat d'arrestation et une prime de 1 million de dollars de Hong Kong, émis par les autorités de Hong Kong en vertu de la loi sur la sécurité nationale. Cela illustre la manière avec laquelle le Parti communiste chinois, ou PCC, déploie la répression transnationale pour faire taire les dissidents. Il cible non seulement les militants comme moi, mais aussi les Ouïghours, les Tibétains, les Taïwanais et les dissidents chinois dans le monde entier.
Freedom House estime que la campagne de répression transnationale du PCC est la plus exhaustive au monde. Ses méthodes comprennent l'espionnage, l'intimidation, la désinformation, la surveillance et les menaces à l'encontre des membres des familles des dissidents dans leur pays d'origine. Tout cela a pour but d'étouffer la dissidence bien au‑delà des frontières du pays.
Le Département de travail du Front uni du PCC, qui contrôle et mobilise les organisations et les particuliers au nom du parti, est un acteur clé de cette stratégie. Le Bureau économique et commercial de Hong Kong, le BECHK, qui a des bureaux à Toronto et dans le monde entier, jouit d'un statut quasi diplomatique pour promouvoir le discours de Pékin, influencer les politiques étrangères et surveiller les dissidents à l'étranger.
En 2019 et 2020, Pékin a demandé à un citoyen américain de Boston de m'espionner. Il a assisté à mes événements, pris des photos et des vidéos, et les a directement transmises aux agents de la République populaire de Chine, ou RPC. Je n'étais pas la seule à être espionnée par cet homme. Entre 2018 et 2022, il a fourni des renseignements sur les membres et les dirigeants d'associations familiales et d'organisations communautaires chinoises, ainsi que sur les dissidents opposés au PCC, aux agents de la RPC et du Front uni.
Dans un cas, il a mobilisé des centaines de personnes favorables à Pékin pour contrecarrer une marche en août 2019. Certaines personnes ont vandalisé nos biens et nous ont physiquement intimidés. Ces personnes avaient ouvertement discuté de la possibilité d'apporter des armes pour attaquer les participants et même des armes à feu pour « tirer sur elle en plein visage ». Après le rassemblement, on m'a suivie jusque chez moi et j'ai dû appeler la police à deux reprises pour obtenir de l'aide.
La répression ne s'est pas arrêtée là. Après que Hong Kong a lancé une prime pour mon arrestation l'année dernière, le harcèlement s'est intensifié. Une semaine plus tard, mes parents — qui habitent à Hong Kong — ont été interrogés par la police. Je reçois régulièrement des appels téléphoniques d'hommes qui parlent chinois et qui connaissent mon nom. Ces tactiques visent à isoler et à intimider les gens, et elles ont de profondes répercussions psychologiques, sociales et politiques.
Je pense que la réunion d'aujourd'hui est essentielle parce que le Canada, qui compte de grandes communautés de la diaspora, est particulièrement vulnérable à la répression transnationale et à l'ingérence étrangère. Il est essentiel de prendre des mesures rapides et décisives pour résoudre ce problème et protéger à la fois les citoyens et la sécurité nationale. J'invite le Canada à faire pleinement usage de ses pouvoirs en matière d'application de sanctions pour tenir les acteurs malveillants responsables de leurs actes. Il devrait également envisager de révoquer les immunités et privilèges diplomatiques dont jouit le BECHK, car il est devenu un poste satellite qui permet au gouvernement chinois de surveiller et de propager son propre programme en sol canadien.
Je présenterai d'autres recommandations stratégiques lorsque nous passerons aux questions.
Alors que je témoigne aujourd'hui, 45 militants prodémocratie à Hong Kong — dont certains sont des amis proches — ont récemment été condamnés à des peines de 4 à 10 ans de prison parce qu'ils avaient organisé une élection primaire démocratique. Telle est la sombre réalité de la vie sous le règne d'un régime autoritaire. Cependant, comme vous le savez, la répression s'étend au‑delà des frontières. Mon histoire n'est qu'un exemple parmi tant d'autres de la façon dont l'autoritarisme transnational de Pékin, dirigé par des outils tels que le Front uni et le BECHK, menace la liberté et la démocratie dans le monde entier.
Enfin, je tiens à féliciter le Parlement d'avoir adopté la Loi sur la lutte contre l'ingérence étrangère en juin de cette année. Je pense qu'il s'agit d'un grand pas en avant et j'espère que le gouvernement continuera à prendre des mesures phares concrètes pour protéger les gens et votre souveraineté contre la répression transnationale.
(1605)
Je suis reconnaissante des efforts du Comité pour examiner cette question. C'est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
Je suis très reconnaissant aux deux témoins qui ont pris le temps de comparaître devant nous aujourd'hui.
Je vais commencer par Mme Hui. C'est un plaisir de vous voir. Vous êtes infatigable. C'est incroyable de voir à quel point vous êtes une militante des droits de la personne engagée et active, et ce, depuis si longtemps.
Étant donné que cette étude porte sur la répression transnationale, vous avez raconté des incidents terrifiants, soit le harcèlement que vous avez subi de la part d'un individu, à Boston. C'est vraiment inacceptable. Je me demandais si cela s'était rendu dans les médias et, le cas échéant, si vous pourriez nous en dire davantage sur la couverture médiatique sur ces incidents.
Oui, certainement. En fait, le département américain de la Justice a inculpé cet homme du Massachusetts l'année dernière. L'acte d'accusation est publié en ligne et le procès se poursuit. Je pense qu'il est actuellement en liberté sous caution assortie de certaines conditions. Je pourrai certainement vous transmettre ces informations.
En 2019, les manifestations que j'ai mentionnées ont fait l'objet d'une vaste couverture médiatique, bien sûr. La manifestation de Boston a été organisée en soutien à la manifestation qui avait lieu à Hong Kong.
Ce qui a rendu la situation si profondément terrifiante, c'est qu'avant que cette manifestation soit organisée, en août, tout était très pacifique. Les gens étaient bien reçus et très accueillants. Ils étaient plus informés sur cette question. Nous avons commencé en juin. C'est à ce moment‑là que le mouvement a commencé à Hong Kong. Avant cette période, de juin à août, nous n'avions jamais vu une opposition aussi concertée et importante, ni même autant d'attention de la part de la communauté chinoise.
En août, la marche a attiré tellement d'attention. Ce n'est pas qu'à Boston qu'il y a eu ce genre de réactions. Le même jour, des manifestations ont eu lieu en Australie. Je crois qu'il y a également eu des manifestations au Canada, soit à Vancouver et à Toronto. Tous les participants à ces manifestations ont été témoins d'actes de violence venant des opposants.
Je pense que cela démontre la portée de la répression transnationale du PCC à l'échelle mondiale. Le Département de travail du Front uni est, essentiellement, un réseau international. Il travaille avec des organisateurs locaux et des individus sur le terrain, dans divers pays, pour coordonner ces campagnes d'intimidation et ces menaces contre les militants prodémocratie sur le terrain.
J'ai pensé que c'est une information que je me devais de communiquer au Comité. Je pense que cela démontre l'ampleur de l'influence du PCC dans notre société. Cela nous porte à croire qu'il ne faut pas seulement s'attaquer à ce problème à l'échelle nationale, au Canada, mais qu'il faut aussi une action concertée et une collaboration multilatérale avec d'autres pays.
Permettez-moi d'aborder un autre point dont vous avez parlé.
Vous avez dit que vous êtes allée à la police pour signaler cet incident. Avez-vous reçu de l'aide? La police vous a‑t‑elle fourni d'autres informations indiquant qu'elle avait reçu d'autres plaintes concernant ce même individu et faisant état de l'ampleur de ses activités?
Lorsque j'ai constaté que cet homme me suivait, j'ai appelé la police. Les policiers sont intervenus et lui ont dit de s'éloigner. J'ai poursuivi ma route vers chez moi. Ensuite, j'ai vu le même individu revenir vers moi et continuer à me suivre, alors j'ai appelé la police de nouveau. Ils sont intervenus et lui ont demandé de partir.
Lorsque j'ai parlé au policier, il m'a dit que puisque ce n'était pas un comportement répétitif, ils ne pouvaient pas arrêter cet individu. Ils ne pouvaient rien faire. Cela me porte à penser qu'il y a, dans nos services policiers, la police locale et les organismes d'application de la loi, un problème de manque de formation sur la répression transnationale.
L'affaire, c'est que souvent, ce n'est pas le cas. Ces comportements ne sont pas le fait d'un seul individu, mais de plusieurs individus qui font partie du réseau du Front uni. Il est très difficile de faire un suivi si l'on ne surveille qu'un seul individu et que l'on considère que cela a commencé seulement à partir du moment où nous avons pris des mesures.
Ensuite, nous savons... Des organismes d'enquête ont communiqué avec moi à ce sujet. J'ai appris que l'individu qui me suivait est retourné en Chine après la pandémie et n'est jamais revenu. Même si certaines agences des États-Unis ont pu déterminer qu'il m'espionnait, sur ordre du Front uni ou du gouvernement chinois, elles n'ont pu appliquer aucune loi ni prendre aucune mesure puisque l'individu avait déjà quitté le pays. Il ne reviendra jamais; la Chine va simplement le remplacer par quelqu'un d'autre, maintenant qu'il a attiré l'attention.
C'était une expérience terrifiante et, encore une fois, cela a créé beaucoup d'anxiété dans ma vie depuis. Je pense que cela témoigne du manque d'action et de formation des organismes au sujet de la répression transnationale.
Il y a eu une légère amélioration ces dernières années sur le plan de la formation. Il y a plus de formation, mais je pense qu'il reste encore beaucoup à faire. La définition de la répression transnationale doit être inscrite dans la loi et ces actes doivent être criminalisés.
Je remercie nos témoins de leurs témoignages d'aujourd'hui.
Je vais commencer par vous, madame Hui. Votre témoignage était saisissant, particulièrement dans le contexte de l'expérience que vous avez vécue, avec le Parti communiste à votre porte.
Sans vouloir trop vous mettre sur la sellette, permettez-moi de vous demander d'essayer de définir ce qu'est la répression transnationale, non seulement parce que vous l'avez vécue, mais aussi parce que vous avez eu l'occasion de discuter avec d'autres personnes qui ont vécu des situations semblables.
Si vous deviez la définir, quelle serait votre définition?
La répression transnationale est une forme d'ingérence très sophistiquée. Il est difficile de l'exprimer en une phrase, mais je vais essayer.
Il s'agit d'un effort visant à réduire au silence les exilés et la diaspora, à taire leurs voix de manière à briser les communautés, à susciter la méfiance et à faire éclater les communautés susceptibles de favoriser la dissidence et les mouvements. Ils utilisent un éventail de tactiques pour faire taire la dissidence: assassinat, intimidation et menaces de prendre en otage des membres de la famille restés au pays, etc. C'est ce que je dirais.
Je pense qu'il est important de garder à l'esprit que la répression transnationale a pris une telle ampleur dans le monde entier avec l'émergence des technologies, des logiciels espions et de l'intelligence artificielle qui, en raison des faibles coûts, permettent aux gouvernements étrangers, aux États autoritaires, de continuer de mener ces activités de répression. Harcèlement et campagnes de désinformation sur les médias sociaux, appels de menace sur Google et Zoom... Il est devenu beaucoup plus facile pour les États autoritaires de se livrer à de telles activités.
C'est excellent. Je pense que vous vous en êtes sortie admirablement, pour avoir été ainsi mise sur la sellette.
Permettez-moi de vous poser d'autres questions sur les outils que déploient ces régimes. Vous avez parlé des outils très coûteux du Département du travail du Front uni, qui envoie évidemment des gens et du personnel partout dans le monde pour imposer cette répression à des ressortissants que le Front uni considère comme des gens d'origine chinoise. Vous avez aussi brièvement parlé des outils numériques. Je suis certain que des outils de coercition liés au commerce sont aussi en jeu.
Dans votre déclaration liminaire, vous avez dit que vous auriez des recommandations en matière de politiques pour contrer ces outils, ces outils modernes de répression. Pourriez-vous nous donner des détails à ce sujet, en une minute, s'il vous plaît?
Je mentionnerais en priorité le Bureau économique et commercial de Hong Kong, ou BECHK. Comme je l'ai dit plus tôt, le BECHK est présent partout dans le monde. Il y a un bureau au Canada, à Toronto. Il y en a trois aux États‑Unis. Ce sont les bureaux de représentation du gouvernement de Hong Kong à l'étranger.
Avant la rétrocession de Hong Kong à la Chine par les Britanniques en 1997, le gouvernement canadien a accordé au BECHK des privilèges et immunités spéciaux en tous points identiques à ceux des postes consulaires, en reconnaissance de l'autonomie de Hong Kong par rapport à la Chine. Je pense que nous constatons actuellement plusieurs problèmes. Le BECHK a évolué pour servir à d'autres fins: créer et promouvoir la propagande pour Hong Kong et la Chine et traquer les dissidents de Hong Kong à l'étranger. De nombreux exemples viennent étayer mes propos sur la traque, la surveillance et l'ingérence dans les politiques publiques. Je ne m'y attarderai pas, mais je serai ravie de vous transmettre ces renseignements après la séance.
Je pense qu'il faut maintenant reconnaître que l'autonomie de Hong Kong, telle qu'on la connaissait, n'existe plus. Il faut commencer à se demander pourquoi nous accordons à la Chine deux représentations diplomatiques distinctes au Canada, aux États‑Unis, au Royaume‑Uni, etc.
Diverses initiatives législatives aux États‑Unis et au Canada vont en ce sens. Une pétition récemment présentée par Mme Jenny Kwan réclame également la révocation des privilèges et immunités spéciaux du BECHK. J'espère que les parlementaires considéreront que cela fait partie des moyens de s'attaquer à ce problème: fermer le BECHK et lui retirer son statut diplomatique. C'est le seul point que je tiens à souligner.
Merci. Nous attendrons avec impatience vos documents et vos recommandations, comme vous l'avez proposé, pour les examiner de manière approfondie.
Madame Ruthiramoorthy, permettez-moi de me tourner vers vous pour ma dernière minute... Le nouveau gouvernement du Sri Lanka compte plusieurs personnages intéressants. Selon vous, dans quelle mesure déploiera‑t‑il des outils d'oppression transnationale contre les populations de l'Eelam tamoul dans le monde entier?
Je pense qu'ils continueront comme si de rien n'était. Actuellement, les listes de la gazette du Sri Lanka existent toujours. Il est toujours possible, même pour moi, de voir son som se retrouver sur cette liste à l'avenir. Cependant, vous savez, il se passe déjà des choses au Canada par rapport au monument commémoratif de Brampton et, en général, à la reconnaissance du génocide ici au Canada. Donc, les choses vont continuer.
Oui, je sais que les gens pensent que l'arrivée d'un nouveau gouvernement suscite de l'espoir et entraînera du changement. Il faut garder à l'esprit qu'il s'agit d'un vieux parti qui existe depuis longtemps. C'est un parti nationaliste bouddhiste cinghalais qui a toujours été contre la réconciliation et qui, dans le passé, en particulier dans les années 1990, a cherché à discréditer tous les pourparlers de paix.
Je pense qu'ils vont continuer comme si de rien n'était et qu'ils n'arrêteront pas. Nous le voyons déjà ici au Canada. Il y a les listes de la gazette. Même les gens qui vont là‑bas pour faire du travail humanitaire subissent des traitements inhumains. Comme vous pouvez le constater, et comme je l'ai mentionné dans ma déclaration, de nouvelles mesures législatives ont été adoptées, soit la nouvelle loi relative aux ONG et la loi sur le bureau de réadaptation. Ce que cela signifie, c'est que toute personne qui s'exprime, que ce soit au Sri Lanka ou à l'étranger, peut être détenue par l'armée. Dans les faits, on a donné à l'armée l'autorité d'arrêter quiconque critique le gouvernement.
Je suis convaincue qu'il n'y aura aucun changement. Le JVP a toujours eu l'habitude de réprimer toute dissidence, et je ne pense pas que ce sera différent. Ils poursuivront simplement leurs activités comme si de rien n'était pour réprimer toute dissidence tant au pays qu'à l'étranger.
Je remercie les témoins qui sont des nôtres aujourd'hui pour cette étude extrêmement importante.
Madame Hui, je pense que votre allocution d'ouverture et vos réponses aux questions de mes collègues ont démontré que la répression transnationale avait différents visages. En effet, plusieurs chemins peuvent être utilisés pour arriver au même objectif, c'est-à-dire faire subir des menaces, de la peur et de l'intimidation à la diaspora, notamment celle de Hong Kong, en ce qui vous concerne.
C'est une coïncidence, mais, hier soir, un reportage de Radio‑Canada portait sur les triades chinoises qui sont implantées au Canada, majoritairement à Vancouver, ainsi qu'en Australie et au Royaume‑Uni, entre autres. Ce documentaire rapportait que le Parti communiste chinois, par l'entremise notamment du Département du travail sur le front uni, dont vous nous avez parlé, travaillait avec des gens du crime organisé, c'est-à-dire les fameuses triades, afin de produire de la répression transnationale.
Êtes-vous au courant de ce chemin qui peut être utilisé par le Parti communiste chinois? Si c'est le cas, pouvez-vous l'expliquer au Sous-comité?
Je n'ai pas beaucoup de renseignements à ce sujet. Dans bien des cas, les groupes avec lesquels le Département du travail du Front uni travaille sont des organismes de la communauté. Ils peuvent exercer leurs activités sous le couvert de diverses entités: restaurants, organismes communautaires, associations familiales, associations scolaires ou étudiantes. Ils sont infiltrés partout. Ils placent leurs gens dans chaque organisation pour surveiller les activités de ces groupes, influencer leurs pensées et contrôler leurs activités.
Je vais parler du cas de l'individu qui a été accusé par le département de la Justice aux États-Unis. Il était le fondateur d'une association chinoise à Boston. Il aurait utilisé cette association pour participer à des événements organisés par le Front uni. Il était en quelque sorte un leader dans la communauté chinoise de Boston. Évidemment, il avait des liens avec d'autres associations chinoises de Boston et de New York. C'est ainsi qu'il a pu organiser la contre-manifestation en août 2019.
Leur stratégie est fort semblable à ce que vous avez décrit. Ils utilisent ces groupes locaux d'apparence inoffensive pour mener leurs actes de répression. Dans bien des cas, le risque est plus important qu'on pourrait le croire, car beaucoup de ressortissants chinois immigrent aux États-Unis, mais continuent de vivre sous la surveillance de la Chine. Il est difficile de savoir s'ils ont été ciblés jusqu'à ce qu'ils retournent en Chine, où ils font alors l'objet d'intimidation par des représentants de l'État, sous forme d'arrestations ou de menaces.
Cela pourrait aussi se produire au Canada. Lorsque des Canadiens ordinaires considèrent que quelque chose est absurde et le partagent sur les médias sociaux, les censeurs du gouvernement chinois détecteront tous ces contenus en ligne. Nous ne saurons pas si nous sommes ciblés. Un citoyen canadien ordinaire qui a critiqué le gouvernement pourrait faire l'objet d'intimidation lors d'un éventuel voyage en Chine.
Je vous remercie de cette réponse très complète, qui aidera assurément nos analystes.
Il y a peut-être un autre chemin qui est utilisé pour faire de la répression transnationale. Vous avez mentionné le nom de Mme Jenny Kwan, qui est députée de Vancouver‑Est, avec qui j'ai la chance de travailler au Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration. Dans le cadre d'une étude menée par ce comité sur les fonds de retraite, nous avons discuté du cas de Hongkongais ayant décidé de quitter Hong Kong pour de bon, notamment par peur du régime, et s'étant retrouvés au Royaume‑Uni et au Canada, entre autres, mais qui étaient malheureusement dans l'impossibilité de toucher leur fonds de retraite. Parce que le gouvernement de Hong Kong a changé les paramètres, les compagnies d'assurances comme Sun Life ou Manuvie, par exemple, ne peuvent pas s'adapter aux nouveaux paramètres et permettre à ces gens de toucher leurs propres fonds de retraite. C'est pourtant leur argent à eux. Pendant ce temps, le Canada et le Royaume‑Uni n'arrivent pas non plus à adapter leurs critères pour permettre à ces gens de toucher ces fonds de retraite.
Ne voyez-vous pas une forme de répression transnationale dans le fait d'utiliser des compagnies d'assurances qui ont quand même des sièges sociaux en Europe et en Amérique du Nord? C'est involontaire de leur part, mais ces compagnies d'assurances se font carrément utiliser à des fins de répression transnationale, parce que c'est le gouvernement de Hong Kong qui fait en sorte que les gens ne puissent pas avoir accès à leurs fonds de retraite.
Ne voyez-vous pas là une illustration du fait qu'on utilise malheureusement des compagnies d'assurances pour faire de la répression transnationale?
Oui, tout à fait. Je dirais que ce n'est pas seulement avec les compagnies d'assurance. Je pense que cela touche de nombreuses sociétés privées qui ne sont pas contrôlées, surveillées ou tenues par la loi de déclarer leurs activités auprès des gouvernements de la Chine et de Hong Kong. Oui, je pense qu'elles sont...
Les gouvernements de Hong Kong et de la Chine envoient continuellement des avertissements aux sociétés privées et aux entreprises pour les obliger à coopérer avec eux pour se livrer à de la répression transnationale contre des gens qui ont quitté Hong Kong et la Chine. C'est ce que nous avons observé dans de nombreux cas.
[Difficultés techniques] témoins pour leurs témoignages.
J'aimerais commencer par Mme Hui.
Tout d'abord, je tiens à vous remercier d'avoir eu le courage de nous faire part de ce que vous avez vécu. Si vous vous sentez à l'aise de le faire, pouvez-vous nous parler des répercussions sur la santé mentale que les tactiques répressives que vous avez subies ont eues sur vous et sur vos proches?
Je sais que vous êtes aux États‑Unis, et que c'est différent. Néanmoins, pouvez-vous également nous parler des mesures de soutien offertes aux personnes qui font face à ces facteurs de stress extrêmement difficiles et peut-être des lacunes qui, selon vous, doivent être comblées?
J'ai mentionné plus tôt que la répression transnationale a de nombreuses répercussions psychologiques sur les victimes. Personnellement, je pense qu'elle entraîne beaucoup d'anxiété. Dès que j'ai appris que ma tête avait été mise à prix, j'ai ressenti de l'anxiété et de la paranoïa et je me suis dit que je devrais peut-être davantage sécuriser mon domicile. J'ai dû installer des caméras autour de ma maison pour éviter les entrées par effraction. Je me souviens que, dans les premières semaines, lorsque je sortais de chez moi, je scrutais toujours les environs avec prudence.
Je pense que c'est absurde parce que les gens comme moi, qui ont quitté Hong Kong ou un État autoritaire, viennent ici pour trouver refuge — un refuge contre un régime autoritaire. Nous constatons que, même si nous sommes autorisés à rester, ces refuges deviennent de plus en plus dangereux à cause de la répression transnationale. Il y a des répercussions sur le plan personnel et sur les communautés parce qu'un climat de peur fait craindre de s'exprimer. Ils se mettent à se taire. Ils évitent de se renseigner sur leur pays d'origine ou de suivre les nouvelles à son sujet. Ils coupent les liens entre eux, surtout avec ceux qui sont ciblés.
Je me souviens que, lorsque ma tête a été mise à prix, certains de mes amis ont communiqué avec moi pour me dire: « Frances, je suis désolé. Je dois annuler notre lien d'amitié sur les médias sociaux parce que nous avons peur d'être associés à toi. » Je comprends cette réaction, parce que cette crainte est fondée et qu'elle découle de la répression transnationale. Je suis convaincue que ces amis seraient également ciblés s'ils étaient associés à moi. Il y a des répercussions sur la communauté. Il s'agit d'une stratégie visant à démanteler les efforts communautaires contre le régime.
En ce qui concerne le soutien que je reçois aux États‑Unis, je pense qu'il m'a été très utile lorsque j'ai fait face à ces menaces et à cette intimidation. Les organismes d'enquête et d'application de la loi communiquaient avec moi et me permettaient de connaître certains renseignements non classifiés, afin que je sois au courant des menaces pesant contre moi et que je puisse leur demander ce que je devais faire pour me protéger. Ils m'ont donné de la formation sur la façon de me protéger pour assurer ma sécurité. Je pense que c'est très utile, et que c'est quelque chose que le Canada devrait également fournir: un soutien aux victimes ainsi qu'un échange de renseignements avec la communauté.
Pensez-vous que les femmes dissidentes victimes de la répression transnationale sont la proie de menaces uniques? Je pense que vous en avez parlé un peu. Malheureusement, la violence fondée sur le sexe est toujours omniprésente dans la société. Vous avez décrit des traitements vraiment effrayants. Que peut‑on faire de plus?
Vous avez mentionné certaines des mesures qui peuvent être prises pour assurer la sécurité des femmes activistes politiques et défenseures des droits de la personne et pour empêcher qu'elles soient réduites au silence.
Madame Ruthiramoorthy, si vous le voulez, vous pouvez débuter, puis j'écouterai Mme Hui.
Elle est certainement unique parce qu'il y a toujours cette crainte, lorsque vous voyagez au Sri Lanka, que quelque chose vous arrive. De même, si vous décidez de faire du travail humanitaire, il y a toujours la possibilité que vous soyez détenue dès que vous entrez dans le pays. Il n'y a aucun moyen de savoir quand vous serez libérée, et vous risquez de vous faire torturer.
De toute évidence, la violence fondée sur le sexe est au cœur de ce problème, surtout pour les femmes qui travaillent dans ce domaine. Personnellement, je ne fais pas ce travail depuis très longtemps. Je ne le fais que depuis quelques années, mais lorsque nous nous sommes rendus à l'ONU, à Genève, en février dernier, nous étions censés représenter des témoins au Comité des disparitions forcées. Or, il s'est avéré à la toute dernière minute qu'aucun de nos témoins n'a pu se présenter. Des excuses ont été présentées pour expliquer l'absence de chaque témoin. On nous a fait sentir que quelque chose pourrait nous arriver. Un témoin n'a pas pu venir en raison de problèmes de voyage, et la voiture d'un autre est tombée en panne. On nous a fortement amenés à nous demander si quelque chose allait nous arriver pour nous empêcher d'aller à l'ONU.
Dans notre milieu, les femmes font leur travail dans une peur constante. Des membres de notre organisation ont été inscrits sur la liste de la gazette du Sri Lanka. Cette crainte latente est constante pour quiconque travaille dans ce domaine. Dès que vous figurez dans la gazette, c'est fini: votre vie est en danger.
Madame Hui, vous avez mentionné ma collègue Jenny Kwan, qui a déposé une pétition à la Chambre des communes pour demander à la ministre des Affaires étrangères de retirer tous les privilèges et immunités accordés au Bureau économique et commercial de Hong Kong au Canada, ou BECHK. Pouvez-vous nous dire ce que vous en pensez?
De plus, comment les gouvernements étrangers peuvent-ils contrer efficacement la répression transnationale de la République populaire de Chine, ou RPC, tout en gérant les pressions économiques et politiques?
Comme je l'ai mentionné plus tôt, le BECHK fait beaucoup de menaces au Canada, aux États‑Unis et dans les autres pays où le gouvernement a une présence. J'ai quelques exemples pour étoffer ma réponse précédente.
Ses représentants suivent les dissidents de Hong Kong à l'étranger. Je pense qu'ils ne devraient pas jouir d'une représentation diplomatique au Canada. Leur statut diplomatique devrait être révoqué, et leurs activités devraient être stoppées au Canada.
Madame Hui, je lisais l'article de Boston.com de 2019 et j'ai été frappé par le fait que vous avez dit: « Je viens de Hong Kong, pas de la Chine. » Vous avez d'abord dit dans l'article: « Je viens d'une ville appartenant à un pays auquel je n'appartiens pas. »
Vous avez vécu tous ces obstacles, et votre famille fait face à des menaces simplement parce que vous avez exprimé votre identité et votre réalité. Je tiens d'abord à saluer l'incroyable courage dont vous faites preuve en parlant publiquement de votre réalité.
J'ai très peu de temps. J'écoute vos deux témoignages et je me demande quel lien il pourrait y avoir entre les deux. Par exemple, dans quelle mesure la Chine ou le Parti communiste chinois, ou PCC, pourraient-ils être impliqués dans ce qui se passe au Sri Lanka et peut-être ailleurs?
Mme Hui voudra peut-être parler d'autres endroits dans le monde.
Y a‑t‑il un lien? Madame Ruthiramoorthy, je ne sais pas si vous avez quelque chose à dire à ce propos.
Madame Hui, puis‑je vous poser la même question, au sujet du Sri Lanka ou d'autres pays?
Puis, comme je n'aurai probablement pas d'autre occasion d'intervenir, je vais poser une autre question sur le même thème: je suis curieux de savoir s'il y a une certaine forme de coordination. Nous savons qu'il y en a probablement une, mais dans quelle mesure la Russie, l'Iran, le PCC et la Corée du Nord se coordonnent-ils pour certaines tentatives de répression dans le monde entier, qu'elles viennent de Hong Kong, initialement de la Chine ou d'ailleurs?
Je vous remercie de votre question. Merci beaucoup d'avoir cité l'article que j'ai rédigé en 2019. C'était il y a longtemps. Merci beaucoup de l'avoir souligné.
Je ne dispose pas de beaucoup de renseignements sur des exemples illustrant comment les pays mènent ensemble des activités de répression transnationale. Je dirais simplement, d'après mes recherches et mes observations, que la Chine a tendance à utiliser Interpol pour traquer les activistes et les dissidents.
C'est une préoccupation qui a été soulevée lorsque j'ai reçu le mandat d'arrestation. Je ne savais pas si je pouvais voyager en toute sécurité. Il faut que je sois très prudente quant aux voyages dans des pays qui ont des accords d'extradition avec la Chine, et j'évite donc ces pays de ma liste de destinations pour cette raison.
Je sais que la Chine travaille en étroite collaboration avec la Russie, l'Iran, la Corée du Nord et ces États autoritaires sur toutes sortes de questions, y compris l'utilisation de Hong Kong comme endroit où ces pays peuvent éviter les sanctions.
Encore une fois, je veux d'abord m'adresser à vous deux et vous remercier ardemment de votre détermination à poursuivre votre défense des droits malgré les menaces qui pèsent sur vous.
Ma question s'adresse à Mme Ruthiramoorthy. J'aimerais revenir sur la question d'Interpol, car vous avez dit quelque chose de vraiment frappant. Vous avez dit qu'il y a une gazette de noms de ressortissants étrangers et que ces ressortissants étrangers, parce qu'ils figurent sur cette liste des terroristes, peuvent avoir du mal à voyager dans le monde et à mener d'autres activités. Je me demande si vous pouvez nous en dire un peu plus à ce sujet.
Vous avez dit que c'est une liste de ressortissants étrangers de partout dans le monde. Dans quels pays se trouvent-ils? Quel est le but de cette gazette? Est-elle transparente et publique?
La gazette du Sri Lanka publie la liste de toutes les personnes qui s'élèvent contre le gouvernement, qui sont considérées comme des terroristes. Le simple fait de remettre le gouvernement en question les qualifie de terroristes. N'importe qui dans le monde peut être touché.
C'est un élément qu'il faut vraiment garder à l'esprit si vous souhaitez vous rendre au Sri Lanka, parce que ce n'est pas simple. Si vous y alliez, on vous interrogerait ou on vous emprisonnerait. Il y a une possibilité de se faire torturer. C'est ainsi: dès que votre nom est inscrit dans la gazette, vous ne pouvez jamais entrer au Sri Lanka.
Des membres de notre organisation figurent sur la liste publiée dans la gazette. Des membres de notre organisation ont également eu du mal à entrer dans d'autres pays comme Singapour et la Malaisie à cause de cette liste publiée dans la gazette. Je tiens à répéter qu'ils figurent sur la liste simplement parce qu'ils se sont prononcés contre le gouvernement. Ils n'ont commis aucun geste physique. Ce ne sont pas des terroristes. Ils ont simplement remis en question le gouvernement au pouvoir.
Je ne sais pas si la liste est communiquée à Interpol, mais il suffit de faire une recherche sur Google pour la trouver. Elle s'y trouve noir sur blanc. En cherchant les mots « Sri Lankan gazette terrorist list » sur Google, vous pouvez vérifier si votre nom y figure.
La liste est mise à jour fréquemment. Des noms ont été enlevés; d'autres ont été réinscrits. Dès que votre nom s'y trouve, votre sort est scellé.
Très rapidement, vous avez parlé de membres de familles restés au pays qui sont menacés en raison d'actions prises par d'autres ailleurs dans le monde. Est‑ce courant? Ces cas sont-ils recensés d'une façon ou d'une autre?
Oui, tout à fait. Les familles des victimes se font continuellement surveiller au Sri Lanka. C'est constant, peu importe qu'une personne ait quitté le Sri Lanka ou qu'elle y soit encore. Si quelqu'un a porté plainte contre une personne, toute la famille de cette dernière est surveillée.
Nous avons vu des rapports des Nations unies dans lesquels on rapporte que des agents ont cogné aux portes de familles au milieu de la nuit et que des familles ont reçu des appels téléphoniques au milieu de la journée. La surveillance peut être assurée par un simple policier au bout de la rue qui vous garde à vue. Les personnes visées ne sont pas seulement victimes d'autres violations des droits de la personne, mais aussi de disparitions forcées. Nous entendons parler de mères qui ont eu des interactions directes avec la police et l'armée simplement parce qu'elles sont les parents d'une personne disparue.
Oui, dans tous les cas où nous avons essayé de présenter des observations ou des documents et d'obtenir des déclarations de victimes, elles n'ont pas voulu se manifester par crainte de ce qui pourrait arriver à leurs familles dans leurs pays d'origine.
Le 19 novembre dernier, on a assisté à quelque chose de très difficile pour plusieurs Hongkongais, ainsi que pour la diaspora hongkongaise: on a vu la sentence prononcée par la Haute Cour de Hong Kong à l'encontre de 45 dirigeants prodémocratie pour leur participation aux primaires démocratiques en 2020. En vertu de la fameuse loi sur la sécurité nationale, les peines allaient de 4 à 10 ans.
Ce genre de démonstration de force de la part d'un régime totalitaire comme celui qui a cours à Hong Kong a-t-il pour effet de démotiver ou d'apeurer encore plus la diaspora? Les gens ont-ils davantage peur de parler ou de s'opposer publiquement au régime lorsqu'ils voient de telles mesures être prises?
Je vous remercie de mentionner les 45 militants. Ils ont été condamnés à la prison la semaine dernière, et certains d'entre eux sont en fait mes amis proches.
Les événements à Hong Kong des dernières années ont eu une incidence profonde sur la diaspora et toute la communauté hongkongaise. Nombreux sont ceux qui ont quitté Hong Kong dans la foulée des événements. Même les personnes qui ont quitté Hong Kong et qui résident dans un pays sûr — aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni ou dans d'autres démocraties — ne pensent pas qu'elles peuvent s'exprimer en sécurité.
La peur de s'exprimer est généralisée. Un sentiment général d'autocensure se manifeste. Beaucoup moins de gens sont prêts à parler de la situation à Hong Kong sur leurs médias sociaux ou même en échangeant avec leurs amis ou leurs familles. Comme je l'ai dit, ils ne veulent pas s'associer aux personnes qui continuent de s'exprimer ouvertement parce qu'ils ont peur d'être ciblés eux aussi. Lorsqu'ils...
Nous avons manqué de temps lorsque je vous ai posé une question sur les mesures supplémentaires qui pouvaient être prises pour assurer la sécurité des femmes, des activistes politiques et des défenseurs des droits de la personne, et pour éviter que ces personnes ne soient réduites au silence, surtout les femmes dissidentes qui fuient la répression transnationale.
Vous veniez de commencer votre réponse. Il vous restait 10 secondes, et je voulais vous donner plus de temps pour en parler, et aussi pour nous parler des efforts de Mme Kwan pour mettre de la pression sur la ministre des Affaires étrangères afin qu'elle retire les privilèges et les immunités du Bureau économique et commercial de Hong Kong.
Comment les gouvernements étrangers peuvent-ils lutter efficacement contre la répression transnationale de la République populaire de Chine tout en gérant les pressions politiques et économiques?
Je crois qu'il vous reste deux minutes pour répondre à la question, alors je vous cède la parole.
Je vais premièrement répéter ce que j'ai dit plus tôt: il faut définir la répression transnationale dans la loi et criminaliser ces menaces. Ce devrait être inscrit dans la loi.
Deuxièmement — et je crois que cela s'applique aux victimes, et surtout aux femmes —, il faut offrir un soutien émotionnel, juridique et personnel aux victimes.
Troisièmement, il faut former et éduquer les organismes sur la façon dont ils peuvent gérer signalements en matière de répression transnationale. Il faut orienter les victimes, la société civile et les défenseurs des droits de la personne, surtout les personnes qui sont les plus vulnérables à cette répression, afin qu'elles sachent quelles sont les ressources disponibles, ce qu'elles peuvent faire dans certaines situations et ce qu'elles doivent faire pour se protéger.
Enfin, je dirais qu'il faudrait accroître la capacité des organismes d'application de la loi et du renseignement de lutter contre l'ingérence étrangère de façon coordonnée. Il faudrait peut-être établir une ligne d'urgence pour aider les cibles de la répression transnationale à signaler les cas aux organismes correspondants. On pourrait peut-être même mettre sur pied une commission qui traiterait ces signalements et qui serait responsable de la coordination afin que tous les organismes fédéraux travaillent de manière concertée.
Merci, madame Hui. Vous avez dépassé le temps qui vous était imparti de 15 secondes. Merci.
Au nom de tous les membres du Comité et de leur personnel, je tiens à remercier les deux témoins d'avoir été avec nous aujourd'hui. Nous vous remercions pour vos témoignages et pour vos déclarations, qui étaient très intéressants.
Si vous souhaitez transmettre d'autres renseignements au Comité, n'hésitez pas à m'écrire ou à écrire au greffier. Merci.
Nous allons suspendre la séance pendant quelques minutes.
Nous accueillons à titre personnel Mme Noura Aljizawi, qui est recherchiste en chef à The Citizen Lab, à la Munk School of Global Affairs and Public Policy de l'Université de Toronto.
Nous recevons également Mme Sarah Teich, qui est conseillère juridique au sein de l'organisme Secure Canada.
Un maximum de cinq minutes vous sera accordé pour votre allocution, après quoi nous procéderons à une période de questions.
Je vous souhaite la bienvenue, madame Aljizawi.
[Traduction]
Vous disposez de cinq minutes. Allez‑y, s'il vous plaît.
Merci beaucoup de me donner l'occasion de témoigner aujourd'hui. Je m'appelle Noura Aljizawi. Je suis une défenseure des droits de la personne exilée et recherchiste en chef au Citizen Lab de l'Université de Toronto.
Mes recherches portent sur la répression transnationale numérique contre les militants et les défenseurs des droits de la personne exilés. Au Canada, nous entendons beaucoup parler d'ingérence étrangère, de cyberespionnage et d'attaques contre les infrastructures essentielles, mais le phénomène de la répression transnationale numérique, qui est une menace mondiale croissante, demeure méconnu. Bien que la répression transnationale ne soit pas un phénomène nouveau, elle implique l'élargissement des pratiques autoritaires pour cibler des personnes qui peuvent se sentir en sécurité parce qu'elles vivent au‑delà des frontières de leur pays d'origine.
La technologie de surveillance numérique a permis aux dictateurs d'étendre plus facilement leur répression au‑delà des frontières. La répression transnationale numérique survient lorsque des régimes autoritaires utilisent des outils de surveillance numérique pour intimider, réduire au silence et harceler les voix dissidentes en exil et la diaspora. Ces tactiques comprennent un éventail de technologies telles que les logiciels espions et malveillants, l'hameçonnage, le harcèlement, la désinformation et les campagnes de salissage.
Par exemple, en 2018, le Citizen Lab a révélé que l'appareil du militant saoudien Omar Abdulaziz, basé à Montréal, avait été compromis par le logiciel espion Pegasus. Cette attaque, attribuée à un opérateur lié à l'Arabie saoudite, a permis un accès complet à l'appareil d'Abdulaziz et aux communications privées avec d'autres dissidents, dont certains étaient chez eux et d'autres étaient en exil, comme le journaliste Jamal Khashoggi... Des messages échangés quelques semaines avant l'assassinat de Jamal Khashoggi. Omar Abdulaziz a également été la cible de menaces physiques et de tentatives pour l'amener à retourner en Arabie saoudite. Cette histoire nous a incités, au Citizen Lab, à nous pencher sur la façon dont les dissidents exilés sont ciblés et touchés par les menaces numériques.
D'après les expériences de 103 dissidents exilés au Canada et dans d'autres démocraties, nos recherches ont révélé une persécution généralisée. En gros, plus de 20 acteurs étatiques participent à la répression transnationale numérique... Et je parle de 20 acteurs étatiques autres que la Russie, la Chine et l'Iran, les acteurs classiques. Les menaces numériques se transforment souvent en menaces physiques. Malgré leur résilience, les personnes ciblées subissent les effets paralysants de cette répression, y compris les répercussions sur leur bien-être, leur sentiment de sécurité, leurs libertés essentielles et même leur statut d'immigration. Plusieurs d'entre elles ont vécu une détresse émotionnelle, physique, professionnelle et financière. Certaines se sont même isolées socialement: elles ont dû couper les liens avec les membres de leur famille et leurs amis dans leur pays d'origine. De plus, bon nombre d'entre elles se sont interrogées sur la pertinence de poursuivre leur activisme en exil, et certaines ont décidé de mettre fin à leurs activités.
La répression transnationale numérique revêt une dimension sexospécifique importante lorsque les femmes sont ciblées. Elles subissent encore plus de harcèlement et d'abus fondés sur le sexe et, même si de nombreuses victimes ont signalé la situation aux forces de l'ordre, elles ont trouvé que les réponses étaient insuffisantes. Enfin, l'inaction des États hôtes peut encourager les agresseurs à intensifier leurs attaques.
Pour lutter contre cette menace croissante, nous recommandons au Canada de reconnaître la nécessité de prendre des mesures préventives et de ne pas traiter les incidents comme des cas isolés. Ces pratiques et ces incidents représentent une tendance, et nous devons les prévenir au lieu de simplement y réagir.
Mes principales recommandations portent sur quatre domaines. Je pourrai vous en dire plus à ce sujet. En gros, nous avons besoin de réformes législatives et politiques. Il faut que le Canada reconnaisse la répression et l'oppression transnationales numériques, qu'il révise les cadres existants pour prévenir tout préjudice qui peut être causé aux personnes ciblées et qu'il fasse la distinction entre la répression transnationale et l'ingérence étrangère.
Il faut que le Canada tienne les auteurs de ces actes responsables, y compris les acteurs étatiques et le secteur privé, dont la technologie est utilisée dans le cadre de la répression ou dont les plateformes facilitent le harcèlement des militants en exil.
Le Canada doit établir un cadre pour aider les personnes ciblées et peut-être créer une agence pangouvernementale pour surveiller la répression numérique transnationale, la signaler et y répondre systématiquement, pour habiliter les victimes et pour fournir des ressources en matière de sécurité numérique, d'aide juridique et de soutien en santé mentale. Nous devons de plus travailler avec les collectivités et adopter une approche intersectionnelle pour reconnaître les vulnérabilités uniques des femmes, des groupes racisés et d'autres cibles marginalisées de la répression transnationale, qu'elle soit numérique ou non.
(1700)
Enfin, la répression transnationale est un problème mondial...
Bonjour. Je m'appelle Sarah Teich. Je suis une avocate qui pratique à Toronto. Je représente aujourd'hui Secure Canada.
Secure Canada est un organisme sans but lucratif qui se consacre à la lutte contre le terrorisme et l'extrémisme en créant des lois, des politiques et des alliances novatrices qui renforcent la sécurité nationale et la démocratie du Canada. Il s'agit d'une organisation partenaire du Human Rights Action Group, l'organisme juridique à but non lucratif que j'ai cofondé il y a deux ans avec David Matas.
De concert avec Secure Canada, nous avons publié en septembre 2023 un rapport sur la lutte contre l'ingérence étrangère et la répression transnationale au Canada. M. Matas et moi avons également représenté la Human Rights Coalition récemment devant la Commission sur l'ingérence étrangère.
La répression transnationale dans les démocraties en développement est un sujet crucial sur lequel le gouvernement canadien doit se pencher. Nous avons passé beaucoup de temps dans le cadre de la récente commission à discuter de l'emprise qu'exercent divers régimes autoritaires au Canada. Cependant, nous n'avons pas encore abordé adéquatement le sujet de l'emprise des régimes autoritaires dans des pays tiers non sûrs, ce qui présente une vulnérabilité particulière. De tels cas ont des effets dévastateurs sur les Canadiens.
En effet, même si la répression transnationale en sol canadien peut avoir des répercussions et des conséquences dévastatrices, les autocrates peuvent agir encore plus audacieusement dans les régions où les garanties de la primauté du droit sont moins importantes. Il y a plusieurs exemples impliquant des personnes ayant des liens avec le Canada à cet égard. Les exemples les plus flagrants impliquent l'enlèvement ou l'extradition illégale des personnes.
Huseyin Celil, un citoyen canadien détenu arbitrairement en République populaire de Chine depuis près de 20 ans maintenant, est arrivé au Canada en 2001 en tant que réfugié politique avant de devenir citoyen canadien quatre ans plus tard. Il a été arrêté par la police ouzbèke lors de sa visite en Ouzbékistan en mars 2006 et a été remis discrètement aux autorités chinoises en juin de la même année.
Le régime iranien se livre également à cette forme de répression transnationale, notamment par l'entremise de ses mandataires. L'enlèvement par le Hamas de Canadiens d'Israël à la bande de Gaza en est un exemple. Iris Weinstein, la fille de Judih Weinstein Haggai — une Canadienne qui a été prise en otage par le Hamas l'année dernière — a visité le Parlement au début du mois, exhortant le gouvernement canadien à l'aider à rapatrier le corps de sa mère.
En 2021, l'Iran a également tenté d'enlever des Canadiens directement de l'Amérique du Nord. Les autorités américaines ont déjoué le complot. Les agresseurs avaient l'intention d'enlever cinq personnes, dont trois résidaient au Canada, et de les transporter de force en Iran. Un tel complot aurait très bien pu réussir s'il avait ciblé des personnes résidant ailleurs. Des agents iraniens ont enlevé Jamshid Sharmahd, un Germano-iranien, dans un hôtel de Dubaï et l'ont renvoyé de force en Iran. Son exécution a été rapportée par les médias d'État à la fin du mois dernier.
Il y a à peine cinq jours, le rabbin israélo-moldave Zvi Kogan a disparu et a été assassiné à Abu Dhabi. Les auteurs du crime étaient des Ouzbèkes, et on rapporte qu'ils auraient peut-être été embauchés par le CGRI.
En plus de la Chine et de l'Iran, la Turquie commet des actes semblables. Les familles Kacmaz et Acar, qui résident maintenant au Canada, ont été kidnappées par les autorités turques au Pakistan et à Bahreïn, respectivement, et expulsées de force vers la Turquie. Elles ont été détenues, emprisonnées et torturées avant d'arriver au Canada.
En résumé, la menace provient de nombreuses dictatures, et il est important que le Canada élabore une politique solide pour protéger les Canadiens et leurs proches à l'étranger contre l'emprise des autocrates.
Quelle politique forte pourrait‑on mettre en oeuvre? Je n'ai pas assez de temps aujourd'hui pour entrer dans les détails comme j'aimerais le faire, mais, en bref, il y a de nombreuses initiatives que le Comité peut et devrait recommander au gouvernement d'entreprendre. Je n'en nommerai que quelques-unes.
Les avis aux voyageurs devraient être mis à jour.
Le Canada peut élaborer une politique claire et diriger une initiative internationale sur la prestation de services consulaires aux personnes ayant la double nationalité, puisque c'est un défi commun lorsque l'on traite avec des pays comme la Chine et l'Iran, qui ne reconnaissent pas la double citoyenneté.
De plus, le projet de loi C‑353, qui est étudié par le comité des affaires étrangères aujourd'hui et jeudi, doit être adopté en priorité, puisqu'il renforcerait la capacité du gouvernement à intervenir dans certains de ces cas.
Je vais en rester là. Je serai heureuse de répondre à vos questions.
Je sais que nous n'avons pas beaucoup de temps, alors je vous encouragerais toutes deux à nous transmettre des recommandations plus exhaustives par écrit. J'aimerais aussi que vous nous aidiez à définir la répression transnationale selon votre point de vue, qu'il s'agisse de la répression numérique ou de la répression littérale, comme l'a décrite Mme Teiche, et que vous nous fassiez part des outils auxquels pourrait avoir recours le gouvernement du Canada pour lutter contre la menace de la répression transnationale dans les pays tiers.
Madame Teich, mon amie et ancienne collègue, je vais commencer avec vous. Je suis heureux de vous voir.
Marcus Kolga, notre ancien collègue de l'Institut Macdonald-Laurier, a proposé la création d'une coalition internationale de nations touchées par la répression transnationale — et vous avez évoqué bon nombre d'entre elles —, peut-être au sein du G7 ou de l'OTAN.
Pourriez-vous nous en parler un peu plus et nous expliquer à quoi pourrait ressembler une telle coalition, et comment les nations membres seraient plus en mesure de préparer une intervention unie pour lutter contre la répression transnationale exercée par les tyrans et les rivaux qui, de toute évidence, travaillent ensemble et utilisent des outils très similaires?
Je commencerais par répéter ce qu'a dit Mme Aljizawi: il faut une intervention mondiale, puisqu'il s'agit d'un problème mondial, et je crois que la coalition est une excellente idée. J'appuie pleinement cette proposition.
En ce qui a trait à ce qu'elle pourrait accomplir, j'ai quelques exemples qui me viennent en tête.
Le premier porte sur l'un des sujets que j'ai décrits récemment, soit l'idée de la double nationalité et l'importance d'atteindre un consensus international. Lorsque des Canadiens sont détenus dans des pays comme la Chine et l'Iran, et qu'ils ont à la fois la citoyenneté canadienne et la citoyenneté chinoise ou iranienne, il est difficile pour eux d'obtenir de l'aide du consulat ou d'autres formes d'aide. Il devient très difficile pour eux d'obtenir des médicaments, par exemple, si le pays dans lequel ils sont détenus ne reconnaît pas qu'ils sont aussi des citoyens canadiens.
Au fil des ans, M. Matas et moi avons recommandé que les pays aux vues similaires établissent une politique internationale dans le cadre de cette forme de coalition, qui désignerait la façon dont le Canada réagit à ce type de situation, et qui établirait très clairement que le Canada n'accepte pas une telle interprétation, et qu'il considère ces gens comme des citoyens canadiens.
Madame Aljizawi, je tiens à vous féliciter pour votre travail au Citizen Lab. Il y a plus d'une décennie, j'ai eu l'honneur de travailler avec votre équipe à la lutte contre la répression iranienne nationale et internationale.
Si vous n'y voyez pas d'inconvénient, j'aimerais que nous examinions la région de façon un peu plus large. Ces derniers temps, nous avons vu une relation se forger entre le régime d'al‑Assad et le régime iranien. Croyez-vous que ces deux régimes autoritaires pourraient s'entraider dans le cadre de ces mesures de répression transnationale?
Absolument. En tant que chercheuse, j'ai parfois de la difficulté à changer de rôle et à raconter des histoires personnelles. Je suis entrée en contact avec le Citizen Lab après avoir été la cible d'une attaque numérique. L'analyse a révélé que cette attaque avait été perpétrée par des agents iraniens. Pourtant, je ne suis pas Iranienne; je suis une citoyenne syrienne. J'ai toujours défendu la paix et les droits de la personne pour la Syrie, mais j'ai été menacée à quelques reprises par l'ambassadeur d'Iran à Genève. J'ai aussi été harcelée en ligne par des trolls associés à l'Iran, à la Russie et au Hezbollah.
Voilà pourquoi je maintiens qu'il s'agit d'un problème mondial. Les acteurs malveillants s'entraident, tandis que les victimes sont prises dans des démocraties qui, malheureusement, ne coordonnent pas leurs efforts.
C'est une très bonne réponse. Merci de nous avoir fait part de votre expérience personnelle.
Quelle serait la meilleure façon de recueillir du soutien pour protéger les droits des victimes de répression transnationale dans des pays tiers partout dans le monde? S'agirait‑il de mettre sur pied un groupe de personnes-ressources chargé d'obliger les régimes à rendre des comptes? Existe‑t‑il de nouveaux outils numériques que les démocraties pourraient utiliser pour renforcer les droits des opprimés?
Je me suis entretenue avec de nombreuses victimes, mais je ne peux pas répondre pour elles. Toutefois, je peux dire qu'on pourrait commencer par créer une institution gouvernementale qui assurerait la coordination entre toutes les institutions gouvernementales, y compris les forces de l'ordre, et qui pourrait communiquer avec les victimes.
J'ai une question pour les deux témoins. Elle découle des questions de mes collègues.
L'un des défis que pose notre étude, c'est qu'elle porte sur la répression transnationale dans les pays en développement, et nous avons tendance à nous demander ce que le Canada peut faire.
Comment les pays aux vues similaires peuvent-ils coordonner leurs efforts? Je pensais au témoignage que nous avons reçu durant la première partie de la réunion de la part de la jeune femme vivant aux États-Unis. Comment le Canada peut‑il coordonner ses efforts avec ceux de pays aux vues similaires afin de régler ce problème?
J'aimerais vous entendre toutes les deux là‑dessus, si possible.
Je me rends compte que j'ai dit, en répondant à M. Majumdar, que j'allais donner deux exemples, mais j'en ai seulement présenté un. Le deuxième exemple auquel j'avais pensé se rapporte au projet de loi C‑353. Je sais que votre comité n'en est pas saisi; un autre comité l'examine cette semaine. Toutefois...
Je vais vous arrêter là. Ce projet de loi porte sur les ressortissants canadiens détenus arbitrairement. De notre côté, nous étudions la répression transnationale dans les pays étrangers. Ce n'est donc pas nécessairement... Le projet de loi C‑353 ne s'applique pas vraiment ici.
Je pense plutôt aux nombreux exemples de coordination entre les pays, comme la CIJ et la CPI. Y aurait‑il moyen de s'attaquer à la répression transnationale en coordonnant les efforts à l'échelle internationale?
En fait, j'allais seulement me servir de ce projet de loi comme exemple. Oublions un instant l'objet de ce projet de loi. Ce qui le rend digne d'intérêt, entre autres, c'est que le Sénat australien en a aussi parlé et que d'autres pays l'ont examiné. Cela montre que les mesures législatives peuvent être adoptées et les politiques mises en œuvre dans l'ensemble des pays aux vues similaires afin d'apporter une réponse cohérente à l'échelle mondiale. Qu'il s'agisse d'un projet de loi donné ou de n'importe quelle autre politique, ce qui compte, c'est le cadre.
En ce qui concerne les tribunaux internationaux, j'imagine que selon la forme que prend la répression transnationale, elle pourrait être considérée comme un crime contre l'humanité ou comme une violation à un traité pouvant donner lieu à une poursuite devant la Cour internationale de justice. Toutefois, ces affaires ne relèvent pas forcément des tribunaux internationaux. Cela dit, peut-être que les pays aux vues similaires pourraient mettre sur pied un nouveau tribunal international.
La coordination internationale est absolument essentielle. On pourrait rêver de commencer par les démocraties. On sait que le G7 a créé le Mécanisme de réponse rapide, qui est encore à un stade embryonnaire. Il pourrait faire l'objet de nombreuses critiques. Par exemple, il n'est toujours pas assorti d'une définition commune des termes « répression transnationale » et « répression numérique transnationale ».
Il reste aussi beaucoup de travail à faire non seulement pour définir ces deux phénomènes, mais aussi pour faire en sorte qu'ils soient considérés comme des violations des droits de la personne. La répression ne constitue pas seulement une menace à la sécurité nationale du pays; c'est aussi une violation des droits de la personne. Cette désignation lui donne l'importance nécessaire pour qu'elle soit traitée par de tels moyens, parce que la réponse requiert la participation d'instances supérieures, y compris de différentes institutions gouvernementales des secteurs de la diplomatie et, bien sûr, des affaires étrangères.
Il faut absolument faire ce travail. Il faut également coordonner les réponses aux menaces numériques.
À titre d'exemple, les États-Unis ont accompli du bon travail. L'administration Biden a pris des sanctions contre des entreprises dont les technologies ont été utilisées pour porter atteinte aux droits de la personne. Le Canada n'a toujours pas pris de mesures pareilles. De plus, l'administration Biden a collaboré avec différents ministères. Son approche pourrait servir d'exemple au Canada et à d'autres démocraties du G7. Toutefois, ce n'est certainement pas assez. Plus de travail reste à faire pour définir les termes, pour faire en sorte que la répression transnationale soit considérée comme une violation des droits de la personne et pour mettre en commun les leçons apprises.
Par ailleurs, peut-être que les pays pourraient échanger de l'information sur la reddition de comptes et sur la capture et l'arrestation des malfaiteurs, à l'instar des dictateurs qui échangent de l'information sur les dissidents et qui coordonnent leur arrestation, leur enlèvement et leur extradition.
Je peux vous donner un exemple provenant des États nordiques. Quand des mercenaires iraniens ont tenté d'assassiner des activistes ahwazis sur le pont reliant le Danemark et la Suède, les États nordiques se sont unis pour lancer une intervention policière conjointe. Ils ont coordonné leurs efforts et ils ont échangé de l'information. Ils ont également révoqué l'immunité des diplomates iraniens et ils les ont tenus responsables de leurs actes. De telles mesures pourraient être prises à titre préventif.
Je souhaite la bienvenue aux deux témoins et je les remercie d'être avec nous aujourd'hui.
J'aimerais peut-être aborder des cas un peu plus précis. Pour certains, la répression transnationale se définit simplement par un État étranger qui s'attaque à ses propres ressortissants qui se trouvent sur un autre territoire. Par contre, je vais parler d'un cas qu'on a vu dernièrement dans les journaux ici, au Canada. Il s'agit du cas de M. Irwin Cotler, qui a été visé par un État étranger, alors qu'il n'est pas un ressortissant de cet État étranger.
Considérez-vous qu'il s'agit effectivement d'une forme de répression transnationale?
Quelles conséquences cette fameuse répression transnationale peut-elle avoir sur des citoyens canadiens, ou sur des citoyens d'autres pays si des cas semblables s'y produisaient aussi?
J'inviterais d'abord Mme Teich à répondre à ma question. Ensuite, ce sera au tour de Mme Aljizawi.
D'abord, oui, je considère qu'il s'agit d'une forme de répression transnationale puisque, comme vous l'avez dit, un État étranger s'est attaqué à un individu à l'extérieur de ses frontières. Bien que la répression transnationale touche majoritairement les membres de la diaspora, cela ne signifie pas que les autres citoyens sont immunisés contre de telles attaques. Ce cas en est un parfait exemple.
À mes yeux, le cas d'Irwin Cotler est un autre exemple qui montre que les complots d'enlèvement, d'extradition illégale et d'assassinat fomentés par des autocrates à l'extérieur de leur pays et jusqu'au Canada ont peut-être moins de chances de réussir. Je ne dis pas que cela n'arrive pas au Canada, mais la répression transnationale dans les démocraties en développement pose particulièrement problème et il faut s'y attaquer. Si M. Cotler s'était trouvé dans un pays où les forces de l'ordre sont moins efficaces, qui sait ce qui aurait pu se passer?
Selon moi, c'est une illustration parfaite de ce fait et de l'importance de cet enjeu.
Je crois qu'il y a des débats parmi les chercheurs, mais aucun ne dirait qu'il ne s'agit pas d'une grave violation des droits de la personne commise par un État autoritaire contre un ardent défenseur de la justice dans ce pays. Selon moi, en plus d'être une histoire tragique, c'est un avertissement pour tout le monde que cet enjeu ne touche pas seulement un certain groupe de personnes. Il ne touche pas uniquement les réfugiés qui viennent ici pour continuer à militer. Certains groupes au pays ou au sein du gouvernement croient peut-être que c'est leur affaire, mais en fait, c'est l'affaire de tout le monde, car une fois que la balle est lancée, rien ne peut l'arrêter.
À mon avis, si le Canada avait réagi sérieusement il y a quelques années et s'il avait pris des mesures préventives, nous ne serions pas en train de parler de la tentative d'assassinat de l'ancien ministre de la Justice.
Madame Teich, j'aimerais entendre vos commentaires sur un sujet un peu plus concret pour le Sous-comité.
Vous avez travaillé sur le dossier des Ouïghours, un dossier dans lequel j'ai eu la chance de travailler avec vous. Pourriez-vous expliquer plus en détail au Sous-comité ce que la répression transnationale veut dire pour la nation ouïghoure?
Je dirais que cette communauté illustre le croisement entre la répression en territoire canadien et dans les démocraties en développement parce que presque tous les membres de la communauté ouïghoure qui s'installent ici subissent de la répression.
Le Projet de défense des droits des Ouïghours a publié un rapport à ce sujet. Toutes les personnes passées en entrevue ont déclaré avoir subi une forme quelconque de répression transnationale menée par l'État chinois. La répression peut prendre la forme de menaces contre des proches se trouvant à l'étranger. Cela s'ajoute à la surveillance au Canada, à l'intimidation au Canada, etc.
Ces deux volets se soutiennent mutuellement, pour ainsi dire; ensemble, ils servent à réprimer cette communauté. Bien entendu, l'objectif est d'empêcher les Ouïghours de dénoncer les violations des droits de la personne et le génocide en cours en Chine, ainsi que de poursuivre ce génocide à l'extérieur de la Chine. C'est une question d'une importance capitale.
Merci. Je vais reprendre un sujet abordé par M. Brunelle-Duceppe.
La semaine dernière, nous devions recevoir l'ancien ministre de la Justice Irwin Cotler — le jour même où l'on a appris que la GRC avait déjoué un complot d'assassinat fomenté contre lui par des agents iraniens. Cette nouvelle troublante démontre clairement que les gouvernements autoritaires emploient des tactiques de répression non seulement contre leurs propres citoyens au pays et à l'étranger, mais aussi contre les citoyens d'autres pays qui défendent les droits de la personne.
Madame Teich, selon vous, que peut faire la communauté internationale pour réprouver et contrer de telles actions, qui menacent la progression des droits de la personne à l'échelle mondiale?
Il y a beaucoup de choses que la communauté internationale et le Canada peuvent faire à ce sujet. Je ne sais pas si vous pouvez examiner des sources externes, mais je vous recommande de consulter les observations finales que la Coalition pour les droits humains a présentées récemment à la commission fédérale sur l'ingérence étrangère. Elles contiennent plusieurs recommandations, tout comme le rapport que nous avons publié en collaboration avec Secure Canada.
Je ne vais pas répéter les trois idées que j'ai présentées durant ma déclaration préliminaire. D'autres idées seraient de criminaliser l'espionnage des réfugiés, de créer une cause d'action civile, ainsi que d'offrir un soutien physique et psychologique accru aux victimes. Par ailleurs, nous militons depuis longtemps pour la mise sur pied d'un fonds spécial pour les victimes de répression transnationale. Ce fonds pourrait soutenir diverses mesures concrètes; par exemple, il pourrait venir en aide aux victimes de piratage qui ont besoin d'argent pour s'acheter un nouvel ordinateur ou un nouveau téléphone.
Je pourrais continuer longtemps parce qu'il y a beaucoup de choses que nous pouvons faire.
Je vous remercie pour vos recommandations très importantes.
Madame Aljizawi, Mme Teich vient de dire que les plateformes numériques donnaient aux États la possibilité d'employer des tactiques de répression à distance. Les gouvernements ont déjà du rattrapage à faire pour régler le problème des agressions et des préjudices pouvant être commis en ligne. Maintenant, on sait que l'évolution rapide de l'intelligence artificielle ne fait qu'ouvrir la porte à de nouveaux types de préjudices.
Pouvez-vous nous parler du risque que pose l'intelligence artificielle aux dissidents politiques et aux défenseurs des droits de la personne qui s'opposent aux gouvernements répressifs? Comment les entreprises de technologie, les gouvernements démocratiques et la communauté internationale peuvent-ils empêcher les États d'utiliser l'intelligence artificielle et d'autres outils numériques à mauvais escient pour réprimer la dissidence?
Vous avez tout à fait raison: l'intelligence artificielle menace tous les groupes vulnérables, y compris les dissidents exilés. Les femmes et les minorités sexuelles sont particulièrement inquiètes. Les gens à qui je parle sont très inquiets que l'hypertrucage et l'intelligence artificielle soient utilisés pour lancer des campagnes de diffamation et de désinformation à leur endroit.
Je tiens à insister sur l'importance de reconnaître qu'au Canada, par exemple, les plateformes ne transmettent pas de rapports de transparence au gouvernement. Peut-être que votre comité pourrait jouer un rôle de premier plan dans ce dossier. Demandez aux plateformes de soumettre des rapports de transparence sur le personnel responsable de la modération du contenu, parce que la majorité des attaques sont perpétrées dans des langues étrangères. Comme on l'a vu dans les rapports de transparence que les plateformes ont soumis à l'Union européenne, il n'y a pas assez de personnel pour examiner le contenu préjudiciable, en plus de tout le travail qu'il doit faire pour automatiser les réponses sur lesquelles reposent les algorithmes. Il n'y a pas de réelle coordination ou collaboration avec les communautés ciblées. Il n'y a pas non plus de sens de responsabilité. La personne ciblée n'a aucun moyen de signaler immédiatement la menace à la plateforme et de lui demander d'examiner sur‑le‑champ le contenu publié en ligne.
J'ai parlé à une dissidente chinoise qui a été victime d'une campagne de désinformation à grande échelle menée sur plusieurs plateformes. Le contenu est toujours en ligne. Certaines plateformes ont suivi les demandes présentées par des politiciens de son pays de résidence; d'autres n'ont pas retiré le contenu. À plusieurs reprises, des plateformes lui ont demandé de prouver que le contenu qu'elle signalait était une attaque parrainée par un État.
Les victimes sont même obligées de faire le travail judiciaire à la place des plateformes, une expérience très traumatisante. Les plateformes leur demandent de faire des captures d'écran, de compiler tous les éléments de preuve et de tout leur envoyer. Étant donné que c'est une machine ou un outil d'intelligence artificielle générative qui examine l'information pour déterminer si elle a été créée par ChatGPT ou par un autre outil d'intelligence artificielle générative, l'intelligence artificielle n'est pas convaincue parce que l'information ne lui est pas présentée de la manière dont elle a été programmée pour la traiter. Elle demande donc plus d'information, ce qui traumatise et épuise les victimes au plus haut point.
Par ailleurs, nous sommes tous au fait du risque que l'intelligence artificielle soit utilisée par les logiciels espions, ou encore pour perpétrer des attaques sophistiquées...
Madame Aljizawi, vous avez dit entre autres que les acteurs malveillants se protégeaient les uns les autres contre les mesures que pourraient prendre les autres pays. J'ai posé cette question au premier groupe de témoins.
Dans quelle mesure existe‑t‑il une coordination entre des pays comme la Chine, la Russie, l'Iran et la Corée du Nord? Ma question s'adresse à vous deux. Que savez-vous sur cette coordination dans le contexte des démocraties en développement?
Je vais vous poser tout de suite une deuxième question, qui s'adresse à vous deux. Je siège au sous-comité des droits de la personne en raison de mon expérience en développement international. Nous pourrions donner à la conversation sur les démocraties en développement une tangente différente. Je ne pense pas que les acteurs malveillants cherchent des alliés au Canada, aux États‑Unis et dans d'autres pays. Leurs actions ont probablement comme objectif premier de nous déstabiliser et d'envoyer des messages à leurs ressortissants de retour au pays.
Cela dit, se pourrait‑il que les démocraties en développement décident un jour de poursuivre un objectif autre que la déstabilisation et qu'elles cherchent même à se faire des alliés? Dans quelle mesure devrions-nous surveiller cette possibilité?
Pour répondre à votre première question, il existe vraiment une volonté de coordination. Dans mon travail, je n'ai pas cumulé d'informations sur la coordination directe en matière de répression transnationale entre l'Iran, la Russie, la Corée du Nord et la Chine. Toutefois, je travaille avec des militants qui se sont rendus en Arabie saoudite ou qui ont essayé de fuir ce pays en passant par les Émirats arabes unis. Une fois dans le territoire des Émirats arabes unis, ces militants se sont fait arrêter, enlever et renvoyer dans leur pays.
Par exemple, la défenseure bien connue des droits des femmes, Loujain al‑Hathloul, a été visée par un logiciel espion qui a permis aux forces de l'ordre des Émirats arabes unis de la géolocaliser. Elle a été enlevée et renvoyée sur‑le‑champ en Arabie saoudite, où elle a été incarcérée et soumise à la torture et à la violence fondée sur le sexe.
Je ne vous ai donné qu'un exemple parmi tant d'autres. Il y a eu une multitude de cas de ressortissants iraniens ou de militants exilés qui se sont rendus en Turquie pour aller voir de la famille ou parce qu'un concitoyen de leur pays d'origine leur avait donné l'instruction de se rendre à un lieu de rencontre en Turquie, pour découvrir là‑bas qu'ils faisaient l'objet d'un stratagème d'enlèvement.
Bon nombre d'entre eux ont été enlevés en Turquie et transférés en Iran, où ils ont été rayés de la carte. Nous n'avons pas encore entendu parler d'eux ni du dissident Ahwazi, dont je vous ai décrit le cas tout à l'heure et qui a finalement été enlevé en Turquie... Je suis désolée. Il s'était rendu en Turquie à la suite d'une fausse invitation à assister à une conférence. C'est dans ce pays que l'Iran l'a enlevé. Ces cas ne sont que quelques illustrations du niveau de coordination entre ces gouvernements.
Pour répondre à votre deuxième question, ces acteurs ne poursuivent pas seulement l'objectif de déstabiliser les démocraties. Ils veulent également se faire des alliés en Occident. Ils soignent leur image internationale. Des tonnes d'études ont été menées sur l'arsenal dont ils disposent pour influencer les politiciens dans les démocraties — les conférences, le lobbying, les médias internationaux et les grands médias d'information —, tandis que de leur côté, ce qui les dérange vraiment, ce sont les femmes ou les jeunes militants qui viennent au Canada pour témoigner et offrir une autre version de la réalité en disant la vérité sur les atrocités commises dans ces pays.
Les dictateurs estiment que ces témoignages annulent les efforts et les fonds qu'ils ont investis pour contrôler leur image à l'extérieur de leurs frontières. Ils ont peur d'être mis au ban et de ne plus pouvoir se faire d'alliés en Occident. Ils craignent d'être frappés par des sanctions et de devenir persona non grata. Comme leurs missions diplomatiques ne seraient peut-être plus les bienvenues au Canada et dans d'autres pays occidentaux, ils pourraient ne plus être en mesure de conclure des échanges commerciaux et des projets de développement. Puisque ces éléments sont importants à leurs yeux, lorsque des militants exilés...
Merci à vous deux du travail important que vous accomplissez.
Je vais commencer avec Mme Aljizawi.
À la fin de la dernière série de questions, vous alliez parler de l'intelligence artificielle et de son utilisation dans les logiciels espions. Pourriez-vous en dire plus sur le sujet?
Mes travaux ne font pas état de l'utilisation de l'IA dans les logiciels espions, mais un grand nombre de chercheurs ont la capacité de mener des travaux plus poussés que les miens. C'est le cas de certains de mes collègues au Citizen Lab, qui se penchent sur le sujet. C'est une menace qui se profile à l'horizon.
Il faut améliorer la réglementation. Je saisis l'occasion pour presser encore une fois le Canada de prendre des mesures plus robustes contre le logiciel espion mercenaire dont se servent les auteurs de violations des droits de la personne.
Merci beaucoup. Votre mise en garde est vraiment pertinente.
Je vais m'adresser à Mme Teich.
Vous avez dit que les pays s'échangeaient des informations entre eux et vous avez donné l'exemple des pays nordiques. Y a‑t‑il un moyen plus efficace...
C'est quelque chose qui se fait un peu partout. En tenant compte des pays en développement et des pays qui sont peut-être plus vulnérables ou qui n'ont ni leviers ni capacités, comment pourrions-nous échanger des connaissances, des informations et des pratiques de cette nature à l'international afin d'apprendre les uns des autres?
Il existe une foule de moyens, mais nous pouvons prendre comme référence ce qui se fait dans les pays du G7. Il y a des possibilités dans ce qui est déjà en place, mais il faudrait vraiment apporter des améliorations.
La deuxième chose, qui est capitale, est la nécessité d'inscrire la lutte contre ce phénomène dans la lutte plus générale contre les violations des droits de la personne. Il ne faut pas réduire le phénomène à une menace à la sécurité nationale parce que nous ne voulons pas y adjoindre une composante de sécurité.
Au sujet de l'extradition dans des pays tiers, certains pays n'ont pas les mêmes leviers que d'autres et n'ont pas les capacités nécessaires.
Existerait‑il un moyen d'aider ces pays à développer des capacités ou de les outiller pour qu'ils puissent résister à la pression et refuser d'extrader des ressortissants et de collaborer avec des pays qui essaient d'exercer de la répression?
Comme je l'ai dit, le Canada peut faire beaucoup de choses concrètes chez lui. Prenons une situation survenue récemment impliquant des dissidents turcs — ou les membres d'un groupe minoritaire de Turquie — au Kenya qui risquaient la déportation. Certains d'entre eux ont en fait été déportés du Kenya à la Turquie. Des efforts ont été déployés dans les coulisses pour voir si ces personnes pouvaient s'établir dans d'autres pays.
Voilà quelque chose que le Canada peut accomplir dans des cas similaires. Lorsqu'il possède des informations indiquant que des dissidents ou des défenseurs des droits de la personne en particulier risquent l'expulsion illégale, le Canada a un programme de protection d'urgence auquel il peut recourir. Le gouvernement a des mécanismes pour emmener ces personnes en lieu sûr au Canada. Puisque des pays aux vues similaires ont parfois en place des programmes similaires, ce sont des mesures très concrètes que le Canada peut prendre dans l'immédiat.
Quant au développement de capacités, l'établissement de partenariats avec des organismes ou peut-être la prestation de formation sur la primauté du droit...
Cette conversation est vraiment inspirante et très intéressante. Malheureusement, nous n'avons pas beaucoup de temps.
Nous avons beaucoup parlé de lois que des pays appliquent à l'échelle nationale pour s'attaquer à la question de la répression internationale. Cependant, au moment où on se parle, le droit international doit quand même s'appliquer à l'égard de certains crimes commis. Cet aspect n'a pas été assez abordé.
Par exemple, quels aspects précis du droit international sont transgressés quand un État s'en prend à un dissident sur un territoire étranger? Lorsque cela se produit, le droit international est-il transgressé, madame Teich?
Prises ensemble, les lois internationales renferment des dispositions qui interdisent la plupart de ces comportements. Outre les dispositions sur l'atteinte à la souveraineté, qui visent les activités d'ingérence conduites par les autocrates, il y a aussi, selon le cas, les lois internationales contre les disparitions forcées, les prises d'otages et les agressions physiques, qui sont inscrites dans les lois pénales de nombreux pays. Les lois des pays s'ajoutent au droit international. Il est interdit de prendre des civils pour cibles. Ce comportement peut être en jeu dans certains cas. Ce sont des cas très factuels, mais il existe une multitude de lois.
Il faut ensuite se demander comment ces lois sont appliquées et ce qui est fait concrètement. Par exemple, le cadre international renferme des mécanismes et des organismes qui s'occupent des traités chargés de surveiller la conformité des États partis aux traités internationaux. Prenons la disparition forcée. Un comité est chargé de surveiller la conformité des États partis avec les dispositions applicables. Les pays peuvent soumettre une réserve ou refuser d'adhérer à certains protocoles, selon la structure du traité. Il y a de petites variantes, mais les pays peuvent carrément interdire au comité d'écouter des communications entre individus. Les États peuvent aussi demander d'être exclus des dispositions qui prévoient des recours devant la Cour internationale de justice dans certains traités.
Les dictatures recourent souvent à des stratégies comme celles‑là pour tirer profit des procédures d'exclusion et de réserve, qui sont très difficiles à contester même lorsque les situations renferment des violations de la loi.
Vous nous dites donc que les outils auxquels nous avons accès présentement en vertu du droit international sont inefficaces pour contrer la répression transnationale. Vous nous dites qu'il faut absolument voir l'opposition à la répression transnationale sous l'angle que vous nous avez donné, c'est-à-dire un regroupement de pays qui s'entendent sur des lois nationales qui concordent entre elles, une espèce de parapluie de lois nationales qui s'imbriquent les unes dans les autres.
Est-ce que je comprends bien ce que vous nous dites aujourd'hui?
Il faudrait examiner les scénarios précis, mais ce pourrait être réaliste. En théorie, les outils que nous avons sont peut-être suffisants. Dans le cas de pays qui ne se sont pas retirés des traités, il existe, certes, des leviers, mais je serais d'accord avec la prémisse générale.
Je ne me suis pas beaucoup adressé à vous, madame Aljizawi, et je m'en excuse. J'ai davantage accordé la parole à Mme Teich parce que je la connais bien.
Il n'y a aucun souci. C'est son domaine d'expertise. Elle est avocate, contrairement à moi. Je comprends parfaitement votre démarche.
Je suis d'accord avec Mme Teich. Comme je suis une défenseure des droits de la personne, je m'appuie souvent sur la Déclaration universelle des droits de l'homme, qui garantit le droit à la sécurité. Nous pouvons en tout temps nous appuyer sur ce texte. Il y a aussi le vaste principe de la souveraineté des États qui interdit aux États d'intervenir dans les affaires d'autres pays.
Je veux vous remercier toutes les deux de vos témoignages. Vos observations sont très précieuses.
Je vais poursuivre dans la foulée des questions de M. Brunelle-Duceppe.
Je reviens à vous, madame Teich, parce que mon collègue a parlé des outils à l'international. Pensez-vous que les forces de l'ordre au Canada détiennent les outils nécessaires pour contrer la répression transnationale? Un des témoins que nous avons entendus plus tôt aujourd'hui a suggéré la mise en place d'une ligne téléphonique d'urgence qui permettrait de signaler les cas de répression transnationale.
Pensez-vous que cette ligne serait utile? Avez-vous d'autres suggestions sur les moyens à donner aux organismes d'exécution de la loi au Canada pour répondre à la menace grandissante?
À propos des lignes téléphoniques d'urgence — je vais commencer par là —, les cas de cette nature peuvent être signalés à la GRC et au SCRS en composant un numéro indiqué sur leur site Web. Malheureusement, les personnes qui appellent se font transférer à une autre ligne la plupart du temps. C'est ce que nous rapportent constamment les victimes de répression transnationale. Au début, elles ne savent pas qui appeler, et lorsqu'elles trouvent un numéro, leur appel est transféré.
En outre, les services de la plupart des lignes téléphoniques d'urgence ne sont pas offerts dans la langue de tous les locuteurs qu'elles desservent. En fait, aucune ligne n'offre de services dans un nombre suffisant de langues. Une bonne partie des mécanismes de plaintes ne protègent pas la confidentialité, ce qui n'incite pas les membres des communautés prises pour cibles à appeler. Comme je l'ai dit, bon nombre d'agents d'application de la loi ne sont pas formés adéquatement.
Je n'en ai pas encore parlé, mais j'ai été moi aussi victime de piratage en 2021. J'ai moi aussi été ballottée dans les divers organismes d'application de la loi. Au service de police de Toronto, où je me suis finalement retrouvée, j'ai eu l'impression que l'agent sur la ligne téléphonique me croyait atteinte de troubles mentaux. Je n'en aurai jamais le cœur net, mais l'agent me parlait d'un ton très condescendant. De toute évidence, il ne croyait pas ce que je lui racontais. Il présumait que je devais être malade pour penser que j'étais victime de piratage commis par un État.
Plusieurs de mes clients ont vécu cette situation. Les lignes téléphoniques d'urgence sont un bon concept en soi, mais les agents qui nous répondent ne sont pas formés pour traiter ces types de cas. Ils ne parlent pas la langue des gens qui appellent. Si en plus, ces agents n'ont pas le pouvoir d'assurer la confidentialité, la protection des témoins ou l'anonymat, quelle est l'utilité des lignes d'urgence?
Il faut approfondir les conversations sur ces initiatives pour s'assurer qu'elles sont adéquates.
Si je puis me permettre, je vais ajouter quelque chose à ce que Mme Teich a dit au sujet des organismes d'application de la loi et de la ligne téléphonique d'urgence. Il faut absolument tenir compte du fait que bon nombre de victimes de violences perpétrées par un État dans leur pays revivent leur traumatisme en parlant aux forces de l'ordre au Canada. Ce serait un facteur à considérer dans la planification de toute initiative à l'avenir.
Il est parfaitement probable que des États autoritaires tirent profit du système d'immigration. Il n'est pas rare que ces choses se produisent à l'étape de la vérification pour certains individus. Le processus de vérification ne comporte pas de cadre qui aiderait les agents à cerner la vérité et à échapper au piège de la mésinformation et de la désinformation organisées par des États. Dans des cas que nous avons recensés, les États diffusaient de la désinformation partout, y compris dans Wikipédia...
Il est primordial de savoir comment cerner la vérité et échapper au piège de la désinformation. Je pourrai fournir plus de détails dans mon témoignage écrit, que vous recevrez bientôt.
Au nom des membres du Comité et de tout le personnel, j'aimerais remercier les deux témoins de leur présence. Nous avons trouvé très instructives vos déclarations liminaires. Si vous estimez que d'autres informations seraient utiles au Comité, n'hésitez pas à écrire au greffier ou à moi.
Merci encore de votre présence.
Nous allons suspendre la séance quelques secondes pour passer à huis clos.