SNUD Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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SPECIAL COMMITTEE ON NON-MEDICAL USE OF DRUGS
COMITÉ SPÉCIAL SUR LA CONSOMMATION NON MÉDICALE DE DROGUES OU MÉDICAMENTS
TÉMOIGNAGES
[Enregistrement électronique]
Le lundi 1er octobre 2001
La présidente (Mme Paddy Torsney (Burlington, Lib.)): Je déclare la séance ouverte.
[Français]
Nous avons le quorum nécessaire pour entendre les témoins.
[Traduction]
Les témoins, ce soir, sont Paul Saint-Denis, avocat-conseil à la Section de la politique en matière de droit pénal, et Croft Michaelson, directeur et avocat général principal de la Section de l'élaboration des politiques stratégiques en matière de poursuites.
Messieurs, nous vous souhaitons la bienvenue. Je pense que vous avez préparé un exposé pour nous. Nous n'en recevrons pas le texte mais une période de questions suivra. Avant de vous laisser la parole, je vous remercie d'être venus malgré le court préavis, et d'avoir modifié votre horaire. Nous l'apprécions beaucoup.
M. Paul Saint-Denis (avocat-conseil, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada): Merci beaucoup, madame la présidente, d'avoir vous aussi modifié votre horaire pour nous permettre de venir plus tard.
Mon collègue, Croft Michaelson et moi-même avons de courtes présentations à faire. Nous les avons préparées en fonction de ce qui, d'après nous, pourrait vous intéresser.
Je vais donner un bref aperçu de l'historique des lois antidrogues du Canada—et quand je dis bref, c'est vraiment bref. Je parlerai un peu des conventions antidrogues internationales et de ce que la communauté internationale attend des signataires de telles conventions, et j'exposerai aussi quelques éléments saillants de la loi actuelle en matière de drogues.
M. Michaelson parlera de l'aspect des poursuites et des problèmes que pose l'information sur les poursuites, de certains des coûts liés aux poursuites, etc. De plus, M. Michaelson parlera de ce qui, à notre avis, est une approche assez innovatrice et très prometteuse sur laquelle nous travaillons actuellement et pour laquelle nous avons mis sur pied un projet pilote. Il s'agit des tribunaux consacrés en matière de drogues.
Avec votre permission, madame la présidente, je commencerai par donner ce bref aperçu de ce que font les conventions antidrogues internationales.
Entre le début des années 1900 et 1972, pas moins de 12 traités internationaux de contrôle des stupéfiants ont été conclus au niveau international par l'entremise des Nations Unies. Les conventions plus récentes, cependant, sont la Convention unique de 1961 sur les stupéfiants, telle que modifiée par le protocole de 1972; la Convention de 1972 sur les substances psychotropes et la Convention de 1988 contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes.
Les efforts de la communauté internationale visent principalement, et les deux premières conventions dont j'ai parlé le montrent bien, à créer un réseau de mesures de contrôle administratif. L'objectif principal de ce régime est de réglementer l'approvisionnement et le mouvement des stupéfiants, dans l'espoir de limiter leur production, leur fabrication, leur importation et leur exportation aux quantités légitimement nécessaires à des fins médicales et scientifiques. Ces deux conventions exigent aussi des gouvernements qu'ils remettent aux organes internationaux de contrôle des stupéfiants des rapports périodiques sur l'application des conventions et qu'ils se soumettent à la supervision internationale.
• 1840
La plus récente manifestation de la volonté politique de la
communauté internationale, relativement aux stupéfiants, a été
l'adoption, en 1988, de la convention sur le trafic des stupéfiants
intitulée la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite
de stupéfiants et de substances psychotropes. Bien que la
Convention unique et celle sur les psychotropes sont de nature
réglementaire d'abord et avant tout, la Convention sur le trafic
des stupéfiants est un instrument d'application de la loi. Cette
convention appelle les signataires à prendre des mesures
spécifiques d'application de la loi afin d'améliorer leur capacité
d'identifier, d'arrêter, de poursuivre et de condamner les
trafiquants de stupéfiants de part et d'autre des frontières
internationales.
La portée de cette convention est extrêmement vaste. Elle traite de plusieurs sujets relatifs aux drogues, le plus important étant la formulation d'infractions et de sanctions spécifiques; l'élargissement des juridictions nationales; la confiscation des profits et des biens infractionnels; l'extradition; l'assistance judiciaire mutuelle; et le contrôle des substances chimiques et des précurseurs fréquemment utilisés dans la fabrication illicite de stupéfiants et de substances psychotropes.
En ce qui concerne les trois conventions, je veux seulement souligner le fait que la Convention unique exige la criminalisation de certaines activités, notamment de la culture, la production, la fabrication, l'extraction, la préparation, la possession, la mise en vente, la vente, l'achat, l'importation et l'exportation des stupéfiants. Ces activités sont désignées au paragraphe 36(1) de la Convention.
La formulation de la Convention sur les psychotropes est un peu plus générale. La prescription de criminalisation de certaines activités est beaucoup plus vaste et il n'y a pas de liste de formules ou d'activités qu'il faut criminaliser. La Convention unique cible les stupéfiants comme l'héroïne, la cocaïne et la marijuana ou le cannabis. La Convention sur les psychotropes cible les substances chimiques, comme les amphétamines, les barbituriques, le LSD, etc.
La Convention sur le trafic de stupéfiants reprend en partie les formules qu'on retrouve dans la convention de 1961 vis-à-vis les activités qui doivent être criminalisées, mais elle se fait très claire sur une question qui était restée quelque peu en suspens dans la communauté internationale. Fallait-il ou non criminaliser la possession de cannabis? La convention de 1988 dit très clairement qu'oui, ou du moins que les signataires de la convention doivent criminaliser la possession des produits dérivés du cannabis.
Maintenant que j'ai donné ce bref aperçu de ce que la communauté internationale attend de la Convention internationale, j'aimerais très rapidement faire l'historique de la législation antidrogue au Canada.
Sans vouloir forcément faire ressortir tous les éléments ou les liens des lois tout au long du siècle dernier, l'évolution de notre propre législation antidrogue anticipe parfois les développements qui surviennent sur la scène internationale, d'autres fois y correspond ou évolue en même temps qu'eux, ou d'autres fois encore les suit immédiatement. Il est arrivé que le Parlement propose des mesures relativement à certaines drogues que la communauté internationale envisageait d'adopter elle aussi, auxquelles elle réfléchissait ou dont elle venait tout juste de terminer l'examen. C'est donc que souvent, nous nous suivons de près, soit que nous prévoyons ce qui se passe au niveau international ou que nous y réagissions.
• 1845
Avant 1908, il n'y avait pas vraiment de loi au Canada pour
interdire, ou même pour réglementer les drogues en tant que telles.
Ce n'est qu'en 1908 que la première loi antidrogue a été
promulguée, et c'était la Loi sur l'opium. Elle prohibait
l'importation, la fabrication et la vente de l'opium. Elle a été
créée en conséquence de préoccupations qu'avaient soulevé les
communautés de l'Ouest, particulièrement en Colombie-Britannique,
relativement à la consommation d'opium par la population chinoise
de la côte Ouest. Cependant, la Loi sur l'opium ne prévoyait pas
que la possession d'opium en tant que telle ou son utilisation
constituaient une infraction.
L'autre changement important est survenu en 1911, lorsque le Parlement a adopté la Loi sur l'opium et les drogues narcotiques, qui, en gros, élargissait la portée de la Loi sur l'opium pour englober le transport. La possession de certaines substances devenait une infraction, et de nouvelles substances s'ajoutaient à la liste que contenait la Loi sur l'opium. En plus de l'opium, la nouvelle loi couvrait la morphine, la cocaïne et certains dérivés de la cocaïne.
En 1920, la Loi sur l'opium a été rebaptisée la Loi sur l'opium et les drogues narcotiques; les procédures de tenue des fichiers ont été renforcées, les pénalités aussi, et les pouvoirs de la police ont été augmentés. En 1923, la Loi a été modifiée pour ajouter le cannabis, l'héroïne et la codéine à la liste des substances visées.
Entre 1923 et 1961, plusieurs changements ont été apportés à la législation sur la drogue, toujours dans le but d'augmenter la liste des drogues visées par la loi, et aussi d'accroître les contrôles administratifs sur la fabrication, la production et la vente de drogues, généralement accompagnés d'augmentations des pénalités assorties aux infractions prévues dans les lois antidrogue.
Le dernier changement vraiment important est survenu en 1961, lorsque a été adoptée la Loi sur les stupéfiants. En fait, c'est la loi que nous connaissons bien et avec laquelle nous avons tous grandi, et elle a récemment été modifiée, en 1997. La Loi sur les stupéfiants englobe tous les délits prévus dans la loi actuelle, la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Elle cible toutes les substances que vous connaissez sans aucun doute.
Encore un mot. Actuellement, la Loi réglementant certains drogues et autres substances touche plusieurs drogues qui étaient auparavant des stupéfiants. Elle réglemente aussi plusieurs substances appelées des drogues chimiques, qui étaient auparavant régies par la Loi sur les aliments et drogues.
La Loi sur les aliments et drogues a été adoptée par le Parlement en 1920. Elle portait principalement sur les aliments, les produits cosmétiques, les médicaments et les instruments médicaux. Elle n'a pas touché aux drogues en tant que tel avant plus ou moins 1961, lorsque le gouverneur en conseil a ajouté l'annexe G à la loi pour traiter des amphétamines et des barbituriques. En 1962, le gouverneur en conseil a ajouté l'annexe H à la loi pour composer avec ce qu'on appelait les drogues d'usage restreint. Des produits comme le LSD et plusieurs autres drogues chimiques ont été ajoutés, et c'étaient des drogues chimiques qui n'avaient absolument aucune utilité médicale reconnue.
• 1850
La Loi sur les stupéfiants et les parties III et IV de la Loi
sur les aliments et les drogues—les sections de la loi qui
traitaient des drogues—ont été regroupées en une seule loi,
maintenant appelée la Loi réglementant certaines drogues et autres
substances, qui est entrée en vigueur en 1997.
La Loi réglementant certaines drogues et autres substances telle qu'elle est aujourd'hui est, en réalité, divisée en deux concepts distincts, si on veut. Les parties I et II sont en fait celles que connaissent la plupart des gens. C'est là où sont décrits les infractions, les pénalités et les pouvoirs d'application de la loi. Le reste de la loi traite des affaires réglementaires, de l'administration, de la supervision des fabricants, des pharmaciens, etc.
Je présume que vous vous intéressez surtout aux parties I et II. Les infractions et les pénalités sont énumérées dans la première partie. En gros, il y a les délits de possession, de trafic, d'importation et d'exportation et les délits de production, pour la production d'une substance. Il y a le blanchiment des profits découlant de certaines infractions liées aux drogues, il y a la possession de biens ou de profits. Ce sont les infractions prévues dans la première partie.
Le barème des pénalités dépend d'où les substances sont situées dans les diverses annexes de la loi. Les substances qui sont les plus graves ou les plus dangereuses se trouvent à l'annexe I et sont traitées, au plan des infractions et des pénalités, avec le plus de rigueur. Et puis, au fil des annexes, le danger que présentent les substances diminue et parfois la loi les traite avec moins de sévérité. C'est, en gros, le barème qui est prévu dans la loi. Si vous avez entendu des témoins du ministère de la Santé, peut-être vous ont-ils parlé de ce sujet particulier. Sinon, peut-être le feront-ils une autre fois.
La partie II porte sur les pouvoirs de police et renferme les diverses dispositions relatives à la fouille et à la saisie, à la détention de biens, etc.
Madame la présidente, avec votre permission, je vais maintenant laisser la parole à mon collègue Croft Michaelson, pour qu'il puisse vous parler du Service fédéral des poursuites.
La présidente: C'est parfait, je vous remercie.
M. Croft Michaelson (directeur et avocat général principal, Section de l'élaboration des politiques stratégiques en matière de poursuites, ministère de la Justice): Merci, madame la présidente.
Je m'appelle Croft Michaelson et je suis directeur et avocat général principal à la Section de l'élaboration des politiques stratégiques en matière de poursuites au Service fédéral des poursuites.
Le Service fédéral des poursuites est l'organe fédéral de poursuite et il traite des infractions commises dans toutes les provinces et les territoires et régies par un éventail de lois fédérales, y compris les infractions en matière de drogues, en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Le Service fédéral des poursuites se compose d'environ 300 avocats à temps plein répartis dans 13 bureaux dans tout le pays, ainsi que de plus de 750 agents permanents qui s'occupent des poursuites en matière de drogues. On peut dire que le plus gros de nos poursuites se rapportent à des infractions en matière de drogues prévues par la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.
J'ai pensé qu'il serait utile de parler brièvement de juridiction en matière de poursuite. En vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, la juridiction est concurrente. C'est-à-dire que le Procureur général du Canada a le pouvoir d'engager des poursuites et le procureur général de chaque province peut aussi exercer cette juridiction dans le cas de poursuites entamées sur l'initiative de la province.
• 1855
Si on regarde ce qui se passe dans tout le Canada on constate
qu'au Québec, le procureur général du Québec s'occupe des
poursuites liées aux infractions en matière de drogues qui ont fait
l'objet d'une enquête par la police provinciale ou municipale. Au
Nouveau-Brunswick, c'est la même chose, dans une moindre mesure. En
Alberta, on voit que le procureur général de la province poursuit
les jeunes délinquants relativement aux infractions en matière de
drogues.
J'ai pensé vous donner un bref aperçu du contexte pour que vous ayez une idée de la façon dont se font les choses en pratique. Le Service fédéral des poursuites est un service réactif. Nous réagissons aux accusations portées par la police. Les activités de la Gendarmerie royale du Canada et des services policiers municipaux et provinciaux déterminent le nombre d'enquêtes et, au bout du compte, le nombre d'inculpations et le type des accusations que nous serons appelés à traiter. Dans certains endroits, comme en Colombie-Britannique, au Québec et au Nouveau-Brunswick, pour que la police puisse porter une accusation, elle doit au préalable obtenir l'approbation du procureur général. Dans ces trois provinces, la police doit donc s'adresser au procureur, fournir un résumé du dossier et obtenir l'approbation de la Couronne. Ailleurs, la police exerce son droit de porter des accusations.
Nous avons constaté, au Service fédéral des poursuites, une croissance continue de l'activité criminelle liée aux drogues, et aussi une hausse du volume et de la complexité des dossiers que nous sommes appelés à traiter. J'ai pensé que vous pourriez trouver intéressantes certaines tendances historiques.
Il est certain que sur le plan du nombre d'adultes accusés d'infractions liées aux drogues, il y a eu une tendance historique à la baisse depuis la fin des années 70 jusqu'au début des années 90. C'était surtout attribuable à la réduction, une tendance historique à la baisse à long terme, du nombre d'accusations de possession de drogues. En 1977, environ 45 000 adultes ont été accusés de possession de drogues. En 1998, c'était 21 200 adultes. Parallèlement, le nombre d'adultes accusés d'infractions liées au trafic, à l'importation et à la culture de drogues a augmenté pendant la même période. À la fin des années 70, environ 8 000 adultes étaient accusés de ce type d'infraction grave. Au début des années 90, ils étaient 17 000.
Les statistiques recueillies depuis 1993 indiquent que les incidents liés aux drogues sont en hausse. Pour ce qui est des tendances récentes, les infractions liées aux drogues ont augmenté entre 1998 et 1999.
La présidente: Excusez-moi de vous interrompre, mais qu'est-ce qu'un incident lié aux drogues?
M. Croft Michaelson: Pardonnez-moi, madame la présidente.
Un incident lié aux drogues est généralement quelque chose qui n'entraîne pas forcément une accusation. Ce serait un incident déclaré par un agent de police, qui aura constaté une infraction en matière de drogue, ou à qui une telle infraction aura été signalée. C'est un élément que vous trouverez dans ces rapports statistiques qui sont dressés, mais cela ne veut pas dire qu'il y a accusation.
Si je peux ajouter quelque chose, le nombre total d'adultes accusés d'infractions en matière de drogues entre 1998 et 1999 a augmenté de 12 p. 100. Cette hausse est attribuable en grande partie à l'augmentation des infractions liées au cannabis. La tendance s'est poursuivie en 2000, avec une augmentation de 9 p. 100 sur l'ensemble des infractions en matière de drogues. Entre 1998 et 1999, le nombre total d'adultes accusés d'infractions relatives à la culture a grimpé de 41 p. 100 et il y a aussi eu des accusations de trafic pendant cette période: le nombre total d'adultes accusés de trafic de drogues a augmenté de 15 p. 100. De plus, du milieu des années 90 à maintenant, les infractions en matière de drogues relatives à d'autres drogues que les drogues typiques que sont le cannabis, l'héroïne et la cocaïne, comme l'ecstasy, ont pris de l'ampleur.
• 1900
J'ai pensé que le comité voudrait peut-être avoir certaines
informations sur la situation de la Colombie-Britannique en
particulier. En Colombie-Britannique, le taux d'incidents liés aux
drogues, pour toutes les infractions en matière de drogues, tous
les types d'infractions, est près du double de la moyenne
nationale. Le volume des dossiers relatifs aux drogues, en
Colombie-Britannique, a continué de croître en 2000. Il s'agissait
principalement d'infractions comme le trafic et la culture. On a
constaté une longue et constante tendance à la baisse des délits de
possession en Colombie-Britannique depuis le milieu des années 90.
Pour ce qui est du cannabis proprement dit, et de la possession simple de cannabis en particulier, 21 000 personnes ont été inculpées de cette infraction en 1999. Cela représente une augmentation de 11 p. 100 par rapport à 1995. Dans l'ensemble du Canada, on constate que les courbes d'inculpation varient sensiblement d'un corps policier à l'autre, passant d'un plancher de 25 personnes par 100 000 habitants pour possession simple de cannabis à Vancouver en 1998, à un sommet de 210 par 100 000 habitants à Thunder Bay.
Aux termes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, l'approche de la Couronne comporte deux volets. Lorsque la police nous présente un cas où elle juge qu'une poursuite a de bonnes chances de se solder par une condamnation et qu'il est dans l'intérêt public de poursuivre, le procureur ira de l'avant. Nous avons également d'autres mesures de politique qui permettent à nos procureurs, lorsqu'ils ont affaire à des infractions mineures comme la possession simple de cannabis, d'acheminer le contrevenant hors du système pénal et de le sanctionner autrement s'il s'agit d'un premier délit.
Par exemple, dans la région de Toronto, nous avons un programme de mesures de déjudiciarisation très dynamiques relevant de l'Opération Springboard. Cette déjudiciarisation prend habituellement la forme de travaux communautaires que le contrevenant est tenu de faire. Une fois complétée cette période de services communautaires, sur réception d'un rapport l'avisant du succès de l'exercice, le procureur retire alors l'accusation ou décide de surseoir aux procédures.
Pour ce qui est des contrevenants toxicomanes, Toronto a encore une fois été l'instigatrice d'un projet pilote que l'on appelle le tribunal de la désintoxication. Le projet est financé par le Conseil national de prévention du crime et par le gouvernement de l'Ontario qui verse des contributions par l'entremise du Centre de santé mentale et de toxicomanie et des services judiciaires.
Voici en gros comment les choses se passent dans un tribunal de désintoxication. Les contrevenants qui ont un problème de toxicomanie démontrable peuvent demander d'être référés au tribunal de la désintoxication. Ils doivent se soumettre à un processus de sélection dirigé par des dispensateurs de traitement en vue de déterminer s'ils sont vraiment toxicomanes. Il y a des consultations entre le procureur et la police pour déterminer si cette dernière possède au sujet du contrevenant en question des renseignements qu'elle peut partager avec les intervenants afin d'établir si l'on est effectivement en présence d'un toxicomane. Le contrevenant admissible intègre ensuite un programme de traitement sous l'égide d'un tribunal. Il est tenu de se présenter fréquemment devant le tribunal en question. Il est aussi soumis fréquemment à des analyses d'urine pour s'assurer qu'il observe scrupuleusement le programme de traitement en cours. Au bout du compte, si le traitement a réussi, le contrevenant fait l'objet d'une décision de placement en milieu ouvert.
• 1905
J'ajouterai qu'à l'heure actuelle, on envisage de créer un
tribunal de désintoxication analogue à celui de Toronto dans la
ville de Vancouver.
Voilà qui met fin à mon exposé, madame la présidente.
La présidente: Merci beaucoup, monsieur Michaelson.
[Français]
La première question sera posée par M. Ménard. Monsieur Ménard, vous avez sept minutes.
M. Réal Ménard (Hochelaga—Maisonneuve, BQ): Merci, madame la présidente.
Je me demande si ce ne serait pas abuser de votre hospitalité que de vous demander de me donner une copie de votre texte, peut-être pas ce soir mais ultérieurement. J'aimerais surtout avoir le texte de M. Michaelson, où il y avait plusieurs statistiques qui pourraient être utiles aux membres du comité. Puisqu'il semble qu'il n'était pas destiné à la publication ce soir, peut-être pourriez-vous nous le faire parvenir ultérieurement.
Au début des années 90, quand il y avait un comité de la Chambre qui traitait de la justice et des droits de la personne, nous avions rencontré des fonctionnaires de Patrimoine Canada qui nous avaient dit qu'ils étaient les responsables de l'application de tous les traités internationaux, que cela ne relevait pas du ministère de la Justice, mais de Patrimoine Canada. Il y avait une section de fonctionnaires spécialisés qui était affectée à cela. Je ne sais pas si c'est encore le cas, mais on nous avait expliqué que les conventions internationales ne créaient pas de droit interne. Il pouvait y avoir des contrôles et des vérifications, mais, à moins de spécification expresse, cela ne pouvait pas devenir du droit interne pouvant s'appliquer à l'intérieur du pays.
Je ne sais pas si vous avez lu les textes de Mme Line Beauchesne, qui est criminologue, qui enseigne à l'Université d'Ottawa et qui prétend que si le Canada voulait décriminaliser l'infraction liée à la possession de cannabis, rien ne s'opposerait à cela en vertu des conventions internationales. Partagez-vous ce point de vue?
[Traduction]
La présidente: Avant que vous répondiez, je signale, pour la gouverne de tous nos collègues, que les bleus sont disponibles en 48 heures.
[Français]
Il faut attendre 48 heures avant d'obtenir la transcription des délibérations de cette réunion. On l'aura avant de quitter pour le congé de l'Action de grâce.
M. Réal Ménard: Madame la présidente, je reconnais là votre perspicacité intellectuelle qui vous rend tellement attachante. On n'a pas besoin du texte de nos collègues, mais plutôt de consulter les bleus.
[Traduction]
La présidente: Vous aurez une autre série de textes au besoin, mais nous essaierons certainement de faire en sorte qu'ils nous fournissent le tout.
[Français]
M. Réal Ménard: Merci. Nous avons une présidente très dévouée.
Donc, êtes-vous d'accord sur le point de vue de Mme Beauchesne, et est-ce toujours Patrimoine Canada qui s'occupe de l'application des traités internationaux? Voilà mes deux questions.
M. Paul Saint-Denis: Madame la présidente, à ma connaissance, la substance d'un traité dicte plus ou moins quel ministère aura la responsabilité première de sa mise en application. Dans le cas des traités visant les substances psychoactives et les stupéfiants, c'est le ministère de la Santé qui a la responsabilité première de gérer ces textes, dans la mesure, évidemment, où nous en sommes partie. En ce qui concerne les trois traités que j'ai décrits dans ma présentation, nous sommes partie à ces conventions-là.
Vous dites qu'un traité comme tel, au Canada, ne fait pas état de loi. C'est juste. Pour donner effet à un traité et pour que nous puissions en assumer les obligations, nous devons adopter des textes législatifs donnant effet aux obligations. Par exemple, si le traité dit que la possession de cannabis doit être une infraction criminelle, le traité lui-même ne nous force pas à faire cela. Mais à partir du moment où nous nous engageons à ratifier ce traité, nous commençons le processus nécessaire pour adopter le texte législatif qui nous permettra de donner effet aux obligations qui nous engagent.
M. Réal Ménard: Je veux qu'on se comprenne bien. Dans votre présentation, vous avez dit que le cannabis devait absolument être criminalisé selon la convention de 1988.
M. Paul Saint-Denis: Tout à fait.
M. Réal Ménard: Ce que je vous dis, c'est qu'un traité international peut faire en sorte que l'on se soumette à des vérifications périodiques, comme vous l'avez dit plus tôt. Mais concrètement, cela ne crée pas du droit, sauf évidemment s'il y a des dispositions impératives de mise en oeuvre et que le Parlement les adopte.
M. Paul Saint-Denis: C'est juste.
M. Réal Ménard: Dans le fond, le débat pour les tenants et pour les opposants consiste à déterminer si, en vertu des traités internationaux qui existent et que le Canada a signés, nous pourrions encore, comme législateurs, choisir de décriminaliser le cannabis.
M. Paul Saint-Denis: Si vous m'expliquiez de façon plus détaillée ce que vous entendez par «décriminaliser», je serais peut-être mieux en mesure de répondre à votre question. Je ne vous dis pas ça pour être sarcastique, mais tout simplement parce que lorsque différentes personnes parlent de la décriminalisation du cannabis, elles veulent dire différentes choses.
M. Réal Ménard: Allons à l'essentiel. Vous et moi, nous aimons les synthèses. Que ce ne soit plus une infraction dans l'une ou l'autre des lois, qu'il s'agisse du Code criminel ou de n'importe quelle autre loi sur les drogues, décriminaliser veut dire que le fait d'en posséder ne constitue plus une infraction.
M. Paul Saint-Denis: À mon avis, nous ne pourrions pas faire ça. La convention de 1988 est assez spécifique. Les pays qui ont ratifié cette convention, qui en sont membres ou qui en font partie doivent criminaliser la possession des substances qui sont contrôlées par...
M. Réal Ménard: C'est un point ad hoc. Arrêtez mon temps et vous le reprendrez sur le sien.
M. Jacques Saada (Brossard—La Prairie, Lib.): Si on ne parle plus d'infraction, ce n'est pas une décriminalisation; c'est une légalisation. La décriminalisation veut dire que c'est quand même une infraction, mais qu'elle n'est plus punissable sur le plan judiciaire. C'est la nuance. Il faudrait qu'on comprenne bien ce qui se dit.
M. Réal Ménard: Dans le fond, le débat est le suivant. Par exemple, Mme Beauchesne, à l'Université d'Ottawa, a dit que selon les conventions internationales, nous pourrions décriminaliser cela. Pour elle, décriminaliser veut dire que ça pourrait ne plus être dans le code ou dans une loi.
M. Jacques Saada: C'est pour ça que je voudrais que la définition soit bien claire. Je ne suis pas un expert, mais je pense qu'il y a une différence à faire entre avoir le droit de décriminaliser et avoir le droit de légaliser. Si on maintient cela comme une infraction, ce n'est pas la même chose que si on ne le maintient plus du tout comme une infraction. C'est pour ça que la question que tu poses là est fondamentale.
M. Réal Ménard: Partons du principe que ce n'est plus une infraction. Vous, vous dites que selon les conventions internationales dont le Canada est signataire, on ne pourrait pas faire ça.
M. Paul Saint-Denis: En vertu des dispositions de la convention de 1988, l'obligation nous paraît suffisamment claire. Si vous examinez le commentaire de la convention sur cette question, qui est un texte officiel des Nations Unies, vous verrez qu'il est assez clair que les pays doivent s'engager à criminaliser.
Par contre, ce qui est aussi clair à la lecture de ces textes et à la lecture du commentaire sur la convention de 1988, c'est qu'une fois que c'est criminalisé, lorsqu'il y a une infraction de possession, les pays sont complètement libres de traiter comme ils le veulent les gens qui font l'objet d'une accusation ou qui sont reconnus coupables. Il y a quand même une très grande marge de manoeuvre pour traiter des gens qui se trouveraient incriminés ou qui se trouveraient aux prises avec le système de justice criminelle, dans ce contexte.
M. Réal Ménard: Ai-je le temps de poser une dernière question, madame la présidente?
La présidente: Oui, une petite question.
M. Réal Ménard: Si on ne se retrouvait pas avec le régime d'infraction liée à la possession de cannabis, les statistiques judiciaires que vous avez mentionnées tout à l'heure quant à l'augmentation du nombre d'adultes en infraction depuis l'année que j'ai prise en note tout à l'heure seraient complètement changées. Elles seraient à la baisse, si on n'avait pas l'infraction liée au cannabis, tant c'est une tendance lourde dans les accusations qui sont portées présentement. Est-ce que je comprends bien quand j'affirme cela?
[Traduction]
M. Croft Michaelson: Je ne suis pas sûr d'avoir bien compris votre question. S'il n'y avait pas d'infraction liée à la possession de cannabis, les cas en question ne figureraient pas dans les statistiques. On a noté une tendance à la baisse, bien qu'il y ait eu récemment une hausse. Mais nous n'aurions pas à prendre en compte ces infractions.
S'il n'y avait pas d'infractions relatives à la possession simple de cannabis, on ne saurait pas dans quelle mesure cela risquerait de d'intensifier la culture ou le trafic de cannabis. Par conséquent, dans l'ensemble, l'influence ultime sur l'information statistique est impossible à cerner.
La présidente: Merci beaucoup.
Madame Davies.
[Traduction]
Mme Libby Davies (Vancouver-Est, NPD): Merci.
J'ai un grand nombre de questions et je sais que nous ne pourrons pas toutes les passer.
Il me semble que l'un des obstacles à l'adoption de réformes progressives, ou même à leur examen, est le mythe fortement ancré qui entoure les conventions internationales. On a cette idée que nous avons les mains liées et que nous ne pouvons rien faire. Pour répondre partiellement à la question de mon collègue, le fait est qu'un certain nombre de pays, particulièrement en Europe, réussissent à respecter leurs engagements internationaux tout en ayant décriminalisé l'usage du cannabis et adopté une approche différente. À mon avis, la preuve montre que la pression vient davantage des milieux politiques que juridiques et que cela découle en grande partie de la politique américaine de lutte antidrogue. Je suis donc d'accord avec vous: nous disposons en fait d'une assez grande marge de manoeuvre; cela dit, ce n'était pas là l'objet de ma question.
Voilà ce que je voudrais savoir. Si l'on regarde l'histoire de la législation canadienne en matière de drogue, on constate qu'un nombre sans cesse croissant de Canadiens estiment que nos stratégies d'application de la loi se sont soldées par un échec. Au lieu de parler longuement, je pourrais simplement vous emmener au coin des rues Main et Hastings dans ma circonscription de Vancouver-Est et vous montrer les conséquences de ces politiques d'application de la loi. Il me semble que les ressources servent surtout à arrêter des personnes manifestement pauvres car ce sont des cibles faciles; c'est le menu fretin. Nous faisons très peu pour nous attaquer aux gros poissons, aux trafiquants.
Voici ma question...et ce n'est pas facile car on est pratiquement en présence d'une polarisation au lieu d'un débat et ce que nous voulons avoir, c'est un débat pour connaître votre opinion d'experts sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Je voudrais savoir si, à votre avis, les politiques d'application de la loi actuelles sont efficaces, du point de vue économique et sociale, pour ce qui est de lutter contre la toxicomanie, de mettre un frein à la consommation de drogues. Pour reprendre l'exemple de Main et Hastings, les stratégies que vous avez évoquées nous ont-elles permis de progresser et ont-elles résolu le problème?
M. Paul Saint-Denis: Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à cette question car vous nous demandez de comparer le système actuel à quelque chose que nous n'avons pas essayé.
D'aucuns ont dit que le régime de lutte antidrogue, la législation antidrogue qui est la nôtre coûte très cher, ne fonctionne pas très bien ou pas du tout. Nous avons entendu ce genre d'observations. On a aussi dit, cependant, qu'en l'absence de cette législation antidrogue, la consommation de drogue augmenterait; autrement dit, il y aurait peut-être moins de toxicomanes en prison, mais il y en aurait peut-être plus dans les hôpitaux. En principe, les personnes qui n'ont pas d'argent pour s'acheter de la drogue continuerait de commettre des crimes pour financer cette accoutumance, même si la drogue en question n'était pas illégale. Par conséquent, j'ignore si l'on peut vraiment répondre à cette question car vous nous demandez de comparer le régime actuel à un régime qui n'a jamais été essayé, à ma connaissance.
Mme Libby Davies: Vous estimez que la situation serait pire en l'absence de toute autre politique, mais ce n'est pas ce que je préconise. Vous devez assurément être au courant de ce qui se fait ailleurs—avec un certain succès—, particulièrement en Europe, où l'on a adopté une perspective bien différente. On s'attache davantage à la prévention, à l'éducation et à une démarche axée sur la santé. En l'occurrence, on ne voit pas cette politique de la porte tournante où des toxicomanes sont constamment arrêtés par la police, versés dans le système judiciaire et en sortent en bout de ligne encore plus gravement accros qu'ils ne l'étaient au départ.
En fait, même les tribunaux de désintoxication...je m'interroge sérieusement: pourquoi devrions-nous attendre d'être arrivés au point où quelqu'un est déjà dans le système judiciaire avant d'intervenir. Il me semble que notre optique est complètement faussée par rapport à la réalité. Nous choisissons mal nos priorités lorsque nous décidons de l'affectation des ressources.
M. Paul Saint-Denis: Vous soulevez de très bonnes questions, mais permettez-moi de remettre la pendule à l'heure. Je ne dis pas que si nous supprimions les lois antidrogue les choses empireraient. Tout ce que je dis, c'est que certains le pensent. Je ne suis pas sûr de pouvoir exprimer une opinion personnelle, même si je travaille dans le domaine depuis longtemps. J'ignore ce qui se passerait.
• 1920
Je suis au courant de la situation dans d'autres pays, en
Europe et plus particulièrement à Amsterdam. Amsterdam est la ville
européenne qui est le plus souvent citée en exemple en raison de
son attitude vis-à-vis du cannabis. La loi hollandaise prévoit que
la possession est une infraction. Cela dit, pour ce qui est de la
possession de petites quantités, les dirigeants politiques ont
choisi de ne pas appliquer la loi. Quant à savoir comment cela
fonctionne et quelle est l'incidence de cette décision sur la
consommation de drogue et les activités liées au trafic de la
drogue aux Pays-Bas—et à Amsterdam en particulier—, au fil des
années, je n'en sais rien. Je ne sais pas si les choses sont mieux
qu'elles l'étaient avant l'entrée en vigueur de cette politique. Je
ne connais pas la situation.
Mme Libby Davies: Mais puisque vous oeuvrez dans ce domaine depuis longtemps, ne convenez-vous pas que le niveau de consommation à Amsterdam a baissé comparativement aux États-Unis où la loi est strictement appliquée? Au niveau fédéral seulement, le gouvernement américain a dépensé 17 milliards de dollars, et la consommation a augmenté. Il existe donc des modèles que nous pouvons examiner et faire des comparaisons. Assurément, le ministère de la Justice doit se livrer à ce travail et en tirer des conclusions quant à la position du Canada dans ce spectre.
M. Paul Saint-Denis: Évidemment, on peut faire des comparaisons. Mais encore là, en me fondant sur ce que m'ont dit des collègues des milieux de la santé et d'autres pays, il est difficile de faire des comparaisons car si l'on examine uniquement le volet législatif, on se fonde sur une image incomplète. Il faut pouvoir prendre en compte la société au sein de laquelle cette législation a été conçue et mise en place, de concert avec les politiques d'exécution. C'est vraiment un système, et il est très rare que l'on compare un système avec un autre. On compare la législation en vigueur ici avec celle d'ailleurs, souvent sans tenir compte d'autres éléments, notamment l'ensemble des services communautaires disponibles dans une communauté ou dans un pays par rapport à un autre. Inévitablement, on se retrouve à comparer des pommes avec des oranges, et habituellement, les gens retiennent de ce genre d'exercice les points qui font leur affaire et essaient de faire avancer leur cause avec cela.
Mme Libby Davies: Mais qu'en est-il des résultats? Il y a certainement des points de comparaison à cet égard? C'est vrai qu'il est difficile de comparer un système à un autre. Mais si l'on regarde les résultats, notamment en termes de criminalité ou de taux de toxicomanie ou de modèle de traitement, encore là il y a des expériences réussies dont nous tardons à nous inspirer ici au Canada. Nous agissons très lentement. Nous semblons encore priviligier un modèle axé sur la répression.
M. Paul Saint-Denis: Je conviens avec vous qu'on fait à l'heure actuelle certaines expériences très intéressantes en Europe. Et je suis sûr que les gens de Santé...
Je signale en passant que le ministère de la Santé est le ministère responsable de cette mesure. Comme l'a fait remarquer mon collègue, le ministère de la Justice est celui qui s'occupe des poursuites. Nous avons un rôle réactif. Si le ministère de la Santé devait conclure, pour une raison ou une autre, qu'une substance en particulier ne fait plus problème, qu'elle n'est plus dangereuse ou qu'elle ne devrait pas figurer sur la liste, il en fera la proposition à son ministre titulaire qui verra à ce que cela se traduise dans la loi. Par conséquent, si, pour une raison quelconque, nous éliminions la cocaïne, il n'y aurait plus de raison d'amorcer des poursuites relatives à la cocaïne, et cela mettrait fin à l'intervention des forces de l'ordre en ce qui concerne le problème de la cocaïne. Dans cette perspective, il faut comprendre que c'est un dossier piloté par la Santé.
Mais pour en revenir à votre argument, des expériences extrêmement intéressantes ont été menées et continuent d'être menées en Europe, et je suis sûr que les responsables du dossier au ministère de la Santé sont au fait de celles-ci.
La présidente: Merci.
C'était un tour de 10 minutes qui en a duré sept.
Monsieur Harb.
M. Mac Harb (Ottawa-Centre, Lib.): Premièrement, je tiens à vous remercier. Je comprends la position dans laquelle vous vous trouvez car nous sommes saisis de deux questions. La première est celle de l'orientation gouvernementale, qui intéresse notre comité, et la deuxième est celle de la loi, que vous êtes chargé d'appliquer de votre côté.
• 1925
Pour nous aider à progresser dans ce dossier, je pense qu'il
serait utile de nous donner une idée de la somme que vous consacrez
annuellement à l'application de la loi. J'aimerais savoir ce qu'il
en est en termes de pourcentage du budget global. Par exemple,
quelle somme dépense-t-on pour les volets évoqués par mes
collègues, par exemple les drogues douces comme le cannabis, le
hachisch, la marijuana, etc?
En outre, pourriez-vous nous donner une idée de la continuité dans l'application de la loi? J'ai été frappé de constater que 45 000 personnes étaient impliquées en 1977. Il y a eu une légère hausse, suivie d'une baisse et ensuite, d'une autre hausse. Si on faisait un petit calcul. Si l'on devait reconnaître coupables toutes les personnes qui, de 1977 à 2001, ont été inculpées et qui auraient des casiers judiciaires, cela représenterait sans doute le quart de la population. C'est un chiffre astronomique.
Je voudrais donc savoir si l'on applique la loi de façon uniforme dans toutes les provinces ou s'il y a une certaine marge de manoeuvre et que dans une instance, il soit possible que la loi soit appliquée différemment. Vous pourriez donc nous éclairer à cet égard en nous expliquant ce qu'il en est à l'échelle du pays. Vous pourriez aussi nous dire à quels défis le ministère de la Justice est confronté en ce qui a trait à l'application de la loi. Parlez-nous des échappatoires qui existent dans la législation et fournissez-nous le plus de statistiques possibles. À mon avis, cela serait très utile.
Plus particulièrement, pour ce qui est des 750 agents utilisés dans le cadre de la lutte antidrogue, combien d'entre eux engagent des poursuites concernant les drogues douces et combien travaillent aux cas relatifs aux drogues dures? Pour ce qui est des autres provinces, des corps policiers provinciaux, j'estime que toute information statistique serait grandement utile.
M. Croft Michaelson: Nous pouvons certainement vous fournir cela.
Quant à ce que nous avons dépensé au ministère pour les poursuites relatives aux drogues, d'après nos estimations les plus récentes, cela se chiffre à 50 millions de dollars environ. Cela comprend la rémunération d'un avocat principal à temps plein ainsi que le coût des agents responsables des poursuites.
Pour répondre à votre question précise concernant les drogues douces, la plupart des infractions liées à la possession simple de cannabis feraient l'objet de poursuites menées par des agents permanents partout au Canada.
Nous avons effectué récemment un sondage pour essayer de déterminer combien il nous en coûtait, à l'interne, pour ce genre de poursuites. On a calculé que cela se situait entre 250 et 500 000 $ par année. Le coût des poursuites menées par les agents relativement à la possession de cannabis représente environ 20 p. 100 du budget global des agents. Entre 50 et 60 p. 100 du total des cas concernent la possession simple. Pour ce qui est du coût comme tel, cependant, cela tourne autour de 20 p. 100, soit de 4 à 5 millions de dollars.
M. Mac Harb: Madame la présidente, ma dernière question portait sur les statistiques concernant les 45 000 personnes visées de 1977 à aujourd'hui.
Pensez-vous que l'on pourrait parler d'au moins un million de personnes, ou peut-être moins? Les questions que l'on pourrait poser sont les suivantes: combien parmi ces personnes ont un casier judiciaire, combien ont été incarcérées, combien ont été placées sous probation dans la communauté, etc.? Toute information que vous pourriez partager avec nous serait bienvenue.
Il y a aussi la question de l'uniformité de l'application de la loi. Vous pourriez peut-être nous glisser un mot sur ce sujet.
Voilà toutes les questions que j'avais à poser, madame la présidente.
M. Croft Michaelson: Pour ce qui est de savoir combien de personnes sont visées et, de ce nombre, combien ont un casier judiciaire, je ne sais pas. N'oublions pas que parmi ces personnes, il y a probablement des récidivistes. Il n'est pas inhabituel de voir une personne traduite devant les tribunaux à plusieurs reprises.
• 1930
Je m'excuse, quelle était la...
M. Mac Harb: Dans quelle mesure la loi est-elle appliquée uniformément?
M. Croft Michaelson: Pour ce qui est de l'uniformité de l'application de la loi, c'est comme si le processus comportait deux étapes. La police a le pouvoir discrétionnaire d'inculper ou non un suspect. Dans le cas de certaines infractions, les pratiques en matière d'inculpation varient d'un endroit à l'autre au pays, comme je l'ai signalé dans mon exposé.
Lorsqu'un cas nous est soumis, nous nous référons à notre politique interne, qui prévoit qu'il faut tenir compte des circonstances et évaluer les possibilités d'obtenir une condamnation, tout en tenant compte de l'intérêt public. Habituellement, si la preuve est suffisante, nous engageons des poursuites à moins que notre politique en matière de déjudiciarisation ne s'applique, ou qu'il soit possible d'avoir recours à des mesures de rechange—, et ce pouvoir discrétionnaire s'exerce en fonction de lignes directrices précises.
En fait, ce sont les pratiques en matière d'inculpation qui constituent la principale variable.
La présidente: Merci beaucoup.
Madame Davies, voulez-vous poser une brève question?
Mme Libby Davies: Poursuivant sur la question de l'application de la loi, votre ministère dispose-t-il de statistiques nationales portant sur l'application de la loi en fonction du statut socio- économique? Pourrions-nous vérifier, pour les cinq ou dix dernières années, combien de personnes ont été inculpées ou ont fait l'objet de poursuites, qui sont ces personnes, non seulement en rapport avec l'usage ou le trafic, mais dans les deux catégories?
M. Croft Michaelson: Je ne sais pas s'il existe de l'information sur ce sujet, ou si l'on pourrait trouver de tels renseignements dans les statistiques ou documents de recherche du ministère de la Justice. Je n'ai certainement rien vu de tel, sauf pour ce qui est des taux d'inculpation ventilés par municipalité. Il existe certaines statistiques portant sur le taux d'inculpation par 100 000 habitants dans certaines municipalités, mais pour ce qui est de votre question, à savoir qui sont les personnes inculpées...
Mme Libby Davies: Oui, ou peut-être, alternativement, vérifiez qui sont les personnes qui sont incarcérées.
M. Croft Michaelson: ...qui sont les personnes incarcérées, je ne sais pas.
Mme Libby Davies: Ainsi le solliciteur général ne dispose d'aucune information à ce sujet?
M. Paul Saint-Denis: Il est possible que certaines universités ou peut-être même le solliciteur général aient effectué certaines études, mais normalement, à ma connaissance, personne ne conserve de telles statistiques. Il existe des statistiques sur le nombre de personnes qui ont été inculpées, sur l'endroit où elles ont été inculpées et peut-être sur leur âge. Mais à part cela, le genre d'information que vous semblez rechercher ne semble pas être conservé de façon régulière et permanente.
Mme Libby Davies: Très bien. Peut-être que nous pourrions donner suite à cette question sous un autre angle.
Plus tôt cet après-midi, nous avons entendu un exposé de représentants de l'ADRC et j'ai été surprise d'apprendre—je suis de Colombie-Britannique, et comme vous l'avez dit, les incidents reliés à la drogue sont, je pense, deux fois plus nombreux dans cette province que la moyenne nationale. Les témoins de l'ADRC ont déclaré que la culture et l'exportation à partir de la Colombie-Britannique—en fait, je ne suis pas certaine qu'il s'agissait de la Colombie-Britannique, ou peut-être du Canada—représentent approximativement 0,2 p. 100 des exportations de cannabis aux États-Unis. Cela m'a grandement surprise, parce que ce n'est pas proportionnel à l'attention que portent les médias à la question ou aux mesures qui sont prises pour appliquer la loi. On se serait attendu à ce que ce soit en tête de liste.
Je pense que l'un de vous a mentionné une augmentation de 12 p. 100 au titre du cannabis, mais je ne sais pas s'il était question des poursuites ou d'incidents liés à la drogue, comme vous les appelez. Quoi qu'il en soit, peu importe à quoi se rapporte cette hausse de 12 p. 100, où se situe-t-elle dans la hiérarchie? Il semble d'une part, qu'on accorde énormément d'attention à la culture et à la consommation de cannabis alors qu'il appert d'autre part, d'après certaines informations, que ce soit un problème relativement mineur comparativement à l'ensemble des exportations de drogue aux États-Unis. Cela me paraît contradictoire.
M. Croft Michaelson: Le chiffre de 12 p. 100 concernait la hausse du nombre total des adultes inculpés d'une infraction en matière de drogue de 1998 à 1999. De 1998 à 1999, le nombre total des adultes inculpés d'une infraction en matière de drogue a augmenté de 12 p. 100. Au cours de cette période, si l'on regarde spécifiquement les infractions liées à la culture de cannabis, le nombre total d'adultes inculpés a augmenté de 41 p. 100. Quant aux infractions liées au trafic, elle ont connu une hausse de 15 p. 100.
Mme Libby Davies: Et cela s'applique à toutes les drogues, et non seulement au cannabis?
M. Croft Michaelson: Oui, toutes les infractions liées au trafic ont connu une hausse de 15 p. 100.
Pour ce qui est des poursuites, il y assurément un plus grand nombre de cas liés à la culture du cannabis en Colombie- Britannique. En ce qui concerne le volume de cannabis exporté vers les États-Unis, j'ignore quels sont les chiffres pertinents.
La U.S. DEA a récemment rendu public un rapport—je pense que c'était en décembre de l'an dernier—, qui portait spécifiquement sur la culture du cannabis en Colombie-Britannique. D'après ce rapport, les saisies de cannabis à la frontière entre la Colombie- Britannique et Washington sont passées de 325 livres en 1994 à 2 900 livres en 1999. Cela représente donc une tendance à la hausse, mais pour ce qui est de savoir où se situent ces 2 900 livres pour ce qui est de l'ensemble des saisies à la frontière pour l'ensemble des États-Unis, je l'ignore.
Mme Libby Davies: Nous avons l'information fournie par l'ADRC.
Me reste-t-il du temps? Non? D'accord.
La présidente: Monsieur Saada.
[Français]
M. Jacques Saada: Merci. J'aimerais revenir une seconde sur ce que vous avez dit dans votre présentation, au départ. Est-ce que les Pays-Bas sont signataires des traités dont vous avez parlé?
M. Paul Saint-Denis: À ma connaissance, ils sont signataires des trois traités principaux, oui.
M. Jacques Saada: D'accord. Je voudrais revenir sur un point extrêmement intéressant que M. Ménard avait commencé à aborder et qui, je pense, est fondamental.
À mon sens, il y a trois choses qu'il faut absolument distinguer les unes des autres. La première, c'est la décriminalisation, qu'on pourrait aussi appeler déjudiciarisation. Autrement dit, s'il y a une infraction, elle est punissable, mais pas forcément devant un juge et dans le cadre d'un procès. C'est comme une infraction au Code de la route, par exemple.
La seconde chose, c'est la légalisation, où on permet purement et simplement l'utilisation sans réserve. D'accord? Il s'agit d'une utilisation à des fins personnelles et non pas de trafic. Ça, c'est encore autre chose. Le principe de la légalisation, c'est qu'il n'y a pas de contrainte, pas de faute.
La troisième formule, c'est celle des Pays-Bas, qui n'est ni la première ni la seconde, mais qui est une formule hybride par laquelle on a une loi au niveau du pays, mais qui permet à des autorités municipales de vendre de la marijuana pour des fins personnelles, en quantités réduites, comme si la loi le permettait, alors que la loi ne le permet pas. Donc, il y a comme une espèce de formule hybride. On ferme un peu les yeux en disant que c'est peut-être une façon d'échapper à la décriminalisation.
La question que je vous pose est celle-ci. Est-ce que vous êtes au courant d'expériences... Je parle des Pays-Bas, parce qu'il se trouve que j'ai regardé ce cas spécifiquement pendant quelque temps. Est-ce qu'il y a, à l'échelle de la planète, des pays dotés d'un système judiciaire structuré et ainsi de suite qui ont fait l'expérience d'une véritable décriminalisation? Je ne connais pas de ces pays-là.
Libby Davies parlait tout à l'heure de l'Europe, qui évolue. Si on parle exclusivement des Pays-Bas, il n'y a pas de décriminalisation; il y a une tolérance. S'il y a d'autres pays où ça se passe, j'aimerais le savoir.
M. Paul Saint-Denis: À ma connaissance, aux États-Unis, il y a certains États où il y a eu un processus de décriminalisation pour la possession de petites quantités de marijuana. Selon les derniers chiffres, je crois qu'il y avait une dizaine ou une douzaine d'États où on avait établi un genre de régime de ticketing, comme pour une infraction de la route.
M. Jacques Saada: Seriez-vous assez gentil, si vous avez ces renseignements, de nous les transmettre? J'aimerais savoir de quels États il s'agit et voir un petit peu comment ça fonctionne.
M. Paul Saint-Denis: Le seul État qui me vient immédiatement à l'esprit est l'Oregon. Je sais que l'Alaska avait essayé de faire de même et qu'il a fait marche arrière. Les autres, je ne les connais pas.
M. Jacques Saada: D'accord. Je présume qu'avec l'Internet, on peut trouver ça relativement facilement, si on fait l'inventaire.
J'ai une troisième question. Je vous demande presque un avis, alors que je sais que vous êtes là beaucoup plus pour nous informer que pour nous donner votre opinion. Si je comprends bien votre présentation sur les annexes, vous avez parlé d'un principe de proportionnalité entre la dureté de la drogue et la dureté de la sentence en ce qui a trait aux drogues les plus nocives et aux drogues les moins nocives, les sentences correspondant à l'une et à l'autre. Est-ce que cette relation de proportionnalité vous satisfait?
M. Paul Saint-Denis: Premièrement, j'aimerais vous indiquer que ce n'est pas une formule mathématique. Il est possible que certaines drogues qui peuvent paraître plus nocives soient traitées de façon moins sérieuse que d'autres drogues qui sont peut-être moins nocives.
M. Jacques Saada: Les échelles, autrement dit, ne sont pas l'une au-dessus de l'autre.
M. Paul Saint-Denis: C'est ça. Ce n'est pas rigoureux. C'est plutôt général. Il y a sans doute des exceptions, des cas où on peut dire, comme remarque préliminaire, que c'est douteux.
Quant à savoir si je trouve ce régime correct ou suffisant, je vais vous dire que je ne pense vraiment pas que c'est à nous, au ministère, de déterminer ça. Il faut comprendre que la Loi réglementant certaines drogues et autres substances est vraiment une expression de la politique canadienne en matière de drogues. On a déterminé, en vertu de cette politique, que certaines substances devaient être traitées de façon plus sérieuse et d'autres, de façon moins sérieuse. C'est un peu une partie de la politique sur les drogues au Canada. Alors, je ne suis pas vraiment en mesure de dire si c'est correct ou si ça ne l'est pas. Ça, c'est la politique.
M. Jacques Saada: Je comprends et je respecte ça. Je voulais juste savoir si vous aviez en tête quelque chose de frappant à cet égard.
J'ai une dernière petite question, très rapide. Vous avez fait allusion au fait que les procureurs généraux des provinces—je crois que c'est M. Michaelson qui faisait allusion à ça—étaient chargés de faire enquête sur les cas qui avaient été repérés par les polices locales ou, par exemple, par la Sûreté du Québec, et que le fédéral s'occupait des cas qui étaient relevés par la GRC, je présume. Si on parlait d'une forme quelconque de décriminalisation, est-ce que ça signifierait que ce sont surtout les provinces qui verraient une réduction du fardeau financier qu'elles doivent assumer, par opposition au fardeau financier que le fédéral doit assumer?
Dans les chiffres qui m'ont été fournis tout à l'heure, on parlait de 50 millions de dollars par an pour les poursuites en matière d'infractions mettant en cause des drogues. Ça, c'est au fédéral seulement, je présume. Cinquante millions de dollars, c'est pour le fédéral seulement. Juste sur le plan financier, est-ce que ça coûterait substantiellement moins cher au fédéral qu'aux provinces, ou vice versa, si on décriminalisait certaines drogues?
[Traduction]
M. Croft Michaelson: Je vous rappelle que lorsque j'ai parlé du fait que les procureurs généraux des provinces exercent leur pouvoir de poursuite, cela s'est produit uniquement au Québec et dans une moindre mesure, au Nouveau-Brunswick. En Alberta, cela s'est fait à l'égard de jeunes contrevenants.
M. Jacques Saada: Mais pas en Ontario?
M. Croft Michaelson: Non, pas en Ontario. Le coût lié aux poursuites relatives à des infractions en matière de drogue au Canada est majoritairement assumé par le gouvernement fédéral.
• 1945
Au sujet de la décriminalisation, vous vouliez savoir si elle
se traduirait par une réduction de coûts. Il est indéniable que le
recours au système pénal est...
M. Jacques Saada: Je parle du coût du système judiciaire, et non des autres répercussions.
M. Croft Michaelson: Oui, le coût du système judiciaire.
Il ne fait aucun doute que le recours au système de justice pénale comporte des coûts. Si la décriminalisation se traduisait par une approche moins coûteuse, il y aurait certainement des économies, toutes choses demeurant égales.
La présidente: Merci.
[Français]
Monsieur LeBlanc, s'il vous plaît.
M. Dominic LeBlanc (Beauséjour—Petitcodiac, Lib.): Merci beaucoup, madame la présidente et merci beaucoup, messieurs, pour vos présentations.
[Traduction]
Je veux revenir sur quelque chose. En fait, Mac Harb a posé précisément la question que je voulais poser, mais je veux être sûre d'avoir bien compris vos propos. En réponse à sa question, monsieur Michaelson, au sujet du coût des poursuites liées aux drogues douces—possession de cannabis, par exemple—, vous avez dit que le service des poursuites du ministère consacre environ 250 000 à 500 000 $ aux poursuites liées à la possession de cannabis. D'après vous, cela représente de 4 à 5 millions de dollars au total en termes de pourcentage du budget global des agents permanents. Autrement dit, c'est approximativement l'enveloppe monétaire consacrée actuellement aux poursuites pour possession de cannabis.
M. Croft Michaelson: C'est exact. D'après notre meilleure estimation, c'est ce qu'il en coûte à l'heure actuelle pour engager des poursuites concernant la possession de cannabis. Cela se situe entre 4,5 et 5,5 millions de dollars.
M. Dominic LeBlanc: Très bien. Merci beaucoup.
L'intervention de M. Saada m'a quelque peu intrigué. Je sais qu'au Nouveau-Brunswick, où j'ai pratiqué le droit, l'obligation d'obtenir l'autorisation d'engager des poursuites avant de porter une accusation diffère de la pratique en vigueur dans les autres provinces. Je sais cela, mais je n'ai jamais compris comment le gouvernement du Canada pouvait nommer des agents permanents en vue d'engager des poursuites pour les infractions à la législation fédérale. Comme vous l'avez dit, si la Loi sur les pêches est en cause ou encore la législation antidrogue ou la Loi sur l'immigration, votre ministère nomme constamment des agents permanents.
J'ai l'impression qu'il existe une mosaïque diversifiée au pays. Dans certaines provinces, les procureurs de la Couronne provinciaux peuvent engager des poursuites relatives à certaines parties de la législation fédérale. Le cas du Québec m'a intéressé. Il semble que si l'accusation émane d'un corps de police provincial... Pouvez-vous m'expliquer brièvement de quelle façon les diverses provinces traitent toute la question des poursuites fédérales? Je pensais que cela se faisait par l'intermédiaire des agents permanents ou des avocats du ministère, mais ce n'est pas toujours le cas, n'est-ce pas?
M. Croft Michaelson: Je ne suis pas particulièrement compétent pour parler de poursuites, sauf de poursuites liées aux infractions en matière de drogue, au crime organisé ou aux produits de la criminalité. C'est là le mandat de mon service. Par conséquent, si votre question porte sur les poursuites relatives à la législation fédérale en général...
M. Dominic LeBlanc: Non, pas du tout. Elle concerne les infractions en matière de drogue. Excusez-moi.
M. Croft Michaelson: Pour ce qui est des poursuites liées à la drogue, nous sommes la première instance chargée des poursuites, en ce sens que nos agents sont présents dans toutes les provinces et territoires. Comme je l'ai mentionné, au Québec, le procureur général de la province assume la responsabilité des poursuites concernant des infractions mises au jour à la suite d'une enquête provinciale ou municipale. Au Nouveau-Brunswick, je crois savoir que dans certaines régions de la province, des poursuites sont entamées à l'égard d'infractions en matière de drogue résultant d'une enquête menée par une instance municipale. Dans d'autres régions de la province, c'est nous qui assumons la responsabilité des poursuites, notamment là où la GRC assure les services de police à contrat. En Alberta, c'est nous qui engageons des poursuites à l'égard de toutes les infractions en matière de drogue, sauf pour les cas mettant en cause de jeunes contrevenants.
Il arrive que de temps à autre, au niveau local, nous concluions des ententes avec les procureurs généraux d'une province. En adoptant une telle démarche, nous visons surtout à nous entraider les uns les autres et à régler les dossiers de façon efficiente. Ainsi, au Manitoba, on a conclu une entente en vertu de laquelle les procureurs généraux de la province s'occupent de certains cas de renvoi dans le nord du Manitoba pour nous rendre service. Pour notre part, nous leur donnons un coup de pouce à Winnipeg en nous occupant de certaines de leurs affaires relevant du Code criminel. En fin de compte, cela fonctionne bien. Des arrangements de nature coopérative sont conclus de temps en temps.
M. Dominic LeBlanc: Merci.
La présidente: Merci.
Monsieur Lee.
M. Derek Lee (Scarborough—Rouge River, Lib.): Notre comité spécial commence à peine ses travaux, messieurs, de sorte que nous avons énormément de questions de nature disparate. Nos interventions seront sans doute plus pointues vers la fin de l'exercice.
Mme Libby Davies: Nous pourrions peut-être leur demander de revenir.
M. Derek Lee: Je l'espère.
Puis-je savoir quel est le ministère directeur responsable de ce qu'on a appelé plus tôt aujourd'hui—et non pas plus tôt cet après-midi—, la Stratégie canadienne antidrogue? Est-ce le ministère de la Justice?
M. Paul Saint-Denis: Le ministère directeur chargé de l'élaboration ou de la mise en oeuvre de la Stratégie canadienne antidrogue est le ministère de la Santé. Cela dit, son action est axée sur la collaboration puisque le problème de la drogue transcende de nombreux domaines importants pour d'autres ministères. Habituellement, il y a huit ou neuf ministères qui siègent au groupe de travail interministériel qui étudie la Stratégie antidrogue, mais c'est le ministère de la Santé qui est aux commandes.
M. Derek Lee: Il y a donc une stratégie. Cette stratégie concrétise-t-elle l'ensemble de la politique du gouvernement canadien ou vise-t-elle simplement à interdire ceci, à poursuivre cela ou encore à recueillir tel ou tel renseignement? Quelle est la véritable nature de la Stratégie canadienne antidrogue? Consiste-t-elle en une liste tactique de choses à faire ou représente-t-elle une politique globale, coûts sociaux et juridiques compris?
M. Paul Saint-Denis: La Stratégie en tant que telle vise pratiquement tous les aspects du problème de la drogue. Essentiellement, c'est un outil qui réalise un bel équilibre entre les initiatives de réduction de la demande, qui englobent le traitement, la réhabilitation, l'éducation et la recherche, et de réduction des approvisionnements, qui englobent les questions relatives à l'application de la loi, aux poursuites et à la surveillance des frontières. Combinés, ces deux grands volets du dossier drogue constituent la Stratégie de lutte antidrogue. C'est ainsi que tous les ministères qui s'intéressent d'une façon ou de l'autre à ces questions entrent en jeu.
M. Derek Lee: D'accord. Votre ministère collabore donc avec les autres ministères et agences gouvernementales pour mettre en oeuvre la stratégie.
M. Paul Saint-Denis: Pour élaborer la stratégie, c'est exact.
M. Derek Lee: Pour l'élaborer.
M. Paul Saint-Denis: Oui.
M. Derek Lee: Elle est encore en cours d'élaboration?
M. Paul Saint-Denis: La stratégie antidrogue a connu plusieurs phases. La stratégie antidrogue initiale a vu le jour en 1987 et a été suivie par une stratégie révisée en 1992, sauf erreur. Cinq ans plus tard, cette dernière, qui a eu cours pendant cinq ans grâce au financement public, a pris fin en 1997. Avec la collaboration des ministères fédéraux, des instances provinciales et des ONG, le ministère de la Santé a encore une fois été l'auteur d'un document intitulé la Stratégie canadienne antidrogue qui énonçait l'approche générale du Canada vis-à-vis du problème de la drogue. Il n'y était pas simplement question de drogue mais...
M. Derek Lee: D'accord. Il n'est pas nécessaire de m'en résumer chaque chapitre.
Le ministère directeur est celui de la Santé. Par conséquent, pour avoir une perspective d'ensemble, c'est au ministère de la Santé qu'il faut s'adresser. Je ne devrais donc pas me tourner vers le ministère de la Justice pour avoir une vue d'ensemble. J'essaie simplement d'être juste car je vous poserai sans doute certaines questions auxquelles vous n'aurez pas nécessairement toutes... Je vais simplement vous lire une liste.
La présidente: Vous avez 30 secondes.
M. Derek Lee: J'ai 30 secondes?
La présidente: Oui.
M. Derek Lee: J'attendrai. J'y reviendrai plus tard.
La présidente: Non, je veux dire...
M. Derek Lee: Non, j'y reviendrai plus tard, madame la présidente. Je ne peux pas faire grand-chose en 30 secondes. Il me faudra 30 secondes uniquement pour poser la question. Il vaut mieux poursuivre. J'attendrai le prochain tour de table.
La présidente: Nous en sommes au dernier tour de table, monsieur Lee. La séance se termine à 20 heures.
M. Derek Lee: Dans ce cas, il faudra que les témoins reviennent car j'ai...
La présidente: Si vous voulez poser vos questions, nous pourrions peut-être leur demander de...
M. Derek Lee: Ai-je vraiment 30 secondes ou ai-je de bénéfice d'un...
La présidente: Posez vos questions.
M. Derek Lee: ...dernier tour de table? Madame Davies...
Mme Libby Davies: [Note de la rédaction: Inaudible]
M. Derek Lee: D'accord.
La présidente: Arrêtez de gaspiller du temps.
M. Derek Lee: Très bien. Je vais simplement lire la liste des choses qui, à mon avis, devraient être du ressort du ministère, comme les coûts et les domaines visés par une expansion des ressources.
Chose certaine, vous assumez les coûts des poursuites car vous nous avez dit que les dépenses fédérales se chiffraient à 50 millions de dollars au moins. Avez-vous une idée des sommes que nous dépensons à la collecte d'information au sujet des syndicats du crime et des poursuites? Cela engloberait les opérations secrètes d'infiltration. Si vous ne pouvez me fournir ces renseignements, ce n'est pas grave car quelqu'un d'autre le fera.
M. Croft Michaelson: Cela relève de la GRC.
M. Derek Lee: C'est la GRC. Très bien.
Pour ce qui est des procédures judiciaires, du contentieux et des appels, lorsque vous fournissez un chiffre au sujet des poursuites, vous englobez les honoraires des procureurs—c'est-à-dire les salaires versés pour mener à bien les poursuites—, mais cela englobe-t-il les frais liés au temps passé devant les tribunaux et au temps consacré aux appels? Est-ce inclus dans vos chiffres?
M. Croft Michaelson: Les chiffres que je vous ai donnés englobent tous les frais du ministère de la Justice associés aux poursuites liées aux infractions en matière de drogue. J'ignore quels sont les coûts liés aux cours d'appel.
M. Derek Lee: Ce serait donc des coûts additionnels, dans la mesure où il y a des appels.
M. Croft Michaelson: Oui.
M. Derek Lee: Les coûts d'administration des palais de justice sont assumés par les provinces?
M. Croft Michaelson: Oui.
M. Derek Lee: Et pour ce qui est des coûts correctionnels, des coûts liés à l'incarcération ou à la garde des personnes reconnues coupables, ils relèvent du solliciteur général?
M. Croft Michaelson: Ils relèveraient du solliciteur général, mais il y a aussi des coûts assumés par les provinces. Les contrevenants gardés en maison de correction relèvent des autorités provinciales.
M. Derek Lee: Qu'en est-il des pertes liées aux infractions contre les biens? Faites-vous le décompte de ces pertes ou est-ce un autre service du ministère de la Justice qui s'occupe de chiffrer les pertes découlant des infractions commises par des toxicomanes dans le but de financer leur accoutumance?
M. Croft Michaelson: Pour ce qui est des infractions contre les biens qui peuvent être attribuables à la toxicomanie, il vous faudra obtenir ces renseignements d'une autre source. Je ne possède pas cette information.
M. Derek Lee: Ça va. Je sais que cela existe quelque part. Du moins, je l'espère. Pour ce qui est des coûts médicaux, j'espère pourvoir les obtenir de Santé Canada.
Votre ministère a-t-il déjà essayé de quantifier ce que j'appellerais les «coûts liés à l'effet de corruption», par exemple lorsqu'un policier est corrompu, lorsque le crime organisé s'infiltre dans un service de police pour protéger ses intérêts? Vous ne gardez pas traces de ce genre de choses?
M. Croft Michaelson: Je ne crois pas que nous ayons jamais fait quoi que ce soit à cet égard.
M. Derek Lee: Mais cela arrive de temps en temps que l'on perde un officier de police...
M. Croft Michaelson: Heureusement, cela ne se produit pas très souvent.
M. Derek Lee: Oui.
Autrement dit, personne n'a jamais...à votre connaissance, il n'y a rien de concret, à tout le moins un chiffre qui serait visible sur un bilan financier ou...
M. Croft Michaelson: Pas à ma connaissance.
M. Derek Lee: Très bien. C'était là grosso modo ma liste de questions.
M. Paul Saint-Denis: Pour revenir sur le dernier point, madame la présidente, certains de ces coûts seraient liés à des infractions prévues au Code criminel, particulièrement les cas de corruption. Par conséquent, vous voudrez peut-être interroger les autorités provinciales pour savoir ce qui leur en coûte soit pour engager des poursuites à cet égard ou pour savoir quels sont les coûts liés à la corruption en soi. Je sais que le ministère de la Justice n'aura pas ces chiffres.
La présidente: Merci.
Je sais que la journée a été longue. Avec votre permission, pourrais-je poser deux brèves questions?
En ce qui concerne l'Opération Springboard, monsieur Michaelson, si un contrevenant a bénéficié d'une déjudiciarisation dans le cadre de ce programme, sur le plan technique, il n'a pas de casier judiciaire au Canada. Lorsque cette personne franchit la frontière pour se rendre aux États-Unis, a-t-elle un casier judiciaire ou non?
M. Croft Michaelson: Non. Ordinairement, dans le contexte de l'Opération Springboard, l'accusation aurait été retirée, de sorte que la personne n'a pas de casier judiciaire.
La présidente: Pourriez-vous identifier pour notre gouverne les condamnations qui débouchent sur un casier judiciaire? Je rencontre souvent dans mon bureau un grand nombre de personnes inculpées d'infractions mineures pour lesquelles elles croient avoir bénéficié d'un sursis—je ne suis pas avocate—, ou d'une absolution. A l'occasion de vacances familiales, alors qu'elles sont en route vers Hawaï, voilà que soudainement un douanier américain ressort leur vieille condamnation en matière de drogue, les accuse en plus d'avoir menti et leur interdit de franchir la frontière. Il serait utile de savoir comment se définit une condamnation et comment nous interprétons cela au Canada par rapport aux États-Unis.
Mon autre question était... Monsieur Saint-Denis, vous avez dit que nous respections nos ententes internationales. Ces ententes sont évidemment modifiées périodiquement, ce qui nous amène à modifier nos lois pour refléter ces changements. Y a-t-il autre chose qui se prépare? Je songe à l'article du magasine The Economist où il est question de discussions à l'échelle internationale. Y a-t-il à l'heure actuelle une équipe de l'ONU qui se réunit à ce sujet? Participons-nous, au sein de cette instance, à des rencontres où il est question de la décriminalisation du cannabis, par exemple?
M. Paul Saint-Denis: Les Nations Unies tiennent régulièrement des rencontres sur des questions liées à la drogue. En fait, la Commission des stupéfiants de l'ONU se réunit une fois par an, parfois deux. À ma connaissance, on n'envisage pas de décriminaliser le cannabis ou de le soustraire du champ d'application des conventions actuelles.
La présidente: Comme Mme Davies et d'autres députés l'ont laissé entendre, il est possible que nous ayons d'autres questions à vous poser. Nous vous sommes reconnaissants d'avoir pris le temps de comparaître devant notre comité un lundi soir. Compte tenu de vos responsabilités actuelles dans le domaine de la sécurité—je sais que vous travaillez très fort et nous vous en remercions tous—, nous sommes particulièrement sensibles au fait que vous soyez venus ici ce soir, et nous espérons que vous ne grugez pas trop sur vos heures de sommeil.
Merci beaucoup. À notre prochaine séance, mercredi à 15 h 30, nous entendrons des représentants de Santé Canada qui nous parleront de la Stratégie canadienne antidrogue. La séance est levée.