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Madame la présidente, merci beaucoup. Merci de m'avoir invité à comparaître aujourd'hui. J'espère que les questions que je vais soulever vous intéresseront.
C'est au sujet d'un contrat de SIST pour Travaux publics Canada. Lorsque la demande de propositions a été lancée en 2006, même si nous faisions ce travail depuis plus de sept ans, nous avons constaté avec inquiétude que la DP était formulée de façon à ce que nous ne puissions pas soumissionner parce qu'il fallait présenter des contrats de référence. Nous avons alors pensé que cet obstacle avait été créé par inadvertance, mais il semble maintenant qu'on ait cherché délibérément à nous empêcher de soumissionner.
Nous avons trois objections concernant l'évaluation de la DP. Il s'agit de l'absence de surveillance de l'équité, du conflit d'intérêts apparent et des irrégularités dans les notations techniques. Le fait qu'il n'y a pas eu de surveillant de l'équité indépendant pour ce processus d'acquisition pose un problème dont il a été question ici il y a quelques semaines. C'était contraire à la politique de surveillance de l'équité de TPSGC et à son objectif qui est d'assurer l'équité du processus d'acquisition. Cela nous cause donc de sérieuses inquiétudes.
Notre deuxième préoccupation concerne le code d'approvisionnement qui stipule qu'en cas d'apparence de conflit d'intérêts, les personnes en cause devraient se désister pour toute décision touchant le marché en question. Dans le cas du contrat de SIST, plusieurs personnes se trouvent dans cette situation: le ministre, M. Fortier, en raison de ses liens antérieurs avec CGI; M. Steven Poole, le PDG de la DGSI, la direction de TPSGC qui a émis la DP et qui est un ancien vice-président de Postes Canada et Innovaposte, une coentreprise appartenant à 49 p. 100 à CGI; et M. Jirka Danek, un directeur général de la DGSI qui est un ancien vice-président de CGI.
En ce qui concerne l'évaluation proprement dite, il est important de comprendre les résultats de la DP. Par souci de clarté, je vais désigner comme les résultats « officiels » la notation technique dont TPSGC s'est servi pour justifier l'adjudication du contrat à CGI. Nous avons la preuve que ces résultats ont été falsifiés. Je désignerai comme les résultats « légitimes », les notes que l'équipe d'évaluation a attribuées. Je le précise simplement pour que ce soit bien clair.
Par conséquent, l'évaluation se basait sur une pondération de 65 p. 100 pour l'évaluation technique et 35 p. 100 pour l'évaluation financière. TPG, ma société, a été le plus bas soumissionnaire et a remporté l'évaluation financière. Pour ce qui est de la notation technique officiel, CGI a obtenu une note élevée, près de 63 points sur 65, IBM trois points de moins et TPG, presque six points de moins. CGI a obtenu le contrat grâce à la note technique élevée qui lui a été attribuée.
Compte tenu des antécédents des DP du gouvernement, ces résultats sont très étranges, car il y a un écart très important entre les notes techniques accordées aux différents soumissionnaires alors que ces notes sont généralement très proches les unes des autres pour la plupart des DP.
Le processus d'évaluation a eu lieu entre septembre et novembre 2006. Au cours de cette période, nous avons entendu dire que les résultats des évaluations techniques étaient très serrés et qu'il y avait seulement deux points d'écart. Nous avons également entendu dire que TPG était le gagnant. Il y a eu ensuite plusieurs événements qui semblent maintenant très révélateurs. Le 9 novembre 2006, l'évaluation a été terminée. Peu après, à la mi-novembre 2006, M. Jim Bezanson, le directeur de l'équipe d'évaluation, a reçu une offre d'emploi non sollicitée de Postes Canada et a quitté TPSGC peu de temps après.
Étant donné la façon dont l'évaluation technique est conçue, M. Bezanson était le seul membre de l'équipe d'évaluation à savoir comment les notes techniques avaient été attribuées. Son départ de TPSGC a effacé la mémoire institutionnelle de l'équipe d'évaluation et a permis de modifier les notes techniques sans grand risque de détection. Par conséquent, le 22 novembre 2006, M. Maurice Chénier, le patron de M. Bezanson, m'a dit qu'il y aurait une reconfirmation de l'évaluation parce que les résultats étaient très proches les uns des autres.
Nous sommes maintenant en février 2007, plusieurs mois plus tard. Nous apprenons alors que le gagnant est CGI et non TPG. Nous apprenons également que les notes techniques officielles n'étaient pas proches les unes des autres, comme nous l'avions entendu dire, mais que CGI avait une nette avance sur IBM et TPG.
En mars 2007, nous avons eu un entretien avec Jim Bezanson qui était alors à Postes Canada depuis trois mois. M. Bezanson nous a dit que les notes techniques étaient très près les unes des autres et qu'il s'étonnait que CGI ait pu l'emporter sur les autres soumissionnaires.
D'après ces renseignements, il était évident que les notes avaient été changées après l'évaluation légitime, sans que M. Bezanson n'en soit informé. Nous avons donc cherché à obtenir des documents concernant l'évaluation qui auraient confirmé ce que M. Bezanson nous avait dit. Nous avons déposé de nombreuses demandes d'accès à l'information, plusieurs plaintes devant le TCCE, une plainte au CISP et des appels au Commissaire à l'information afin d'obtenir les documents nécessaires. Tous ces efforts ont été infructueux.
C'est seulement au cours de ces dernières semaines, après 14 mois d'efforts auprès de ces institutions, que nous avons obtenu les notes d'évaluation détaillées pour tous les soumissionnaires. Ces documents fournissent la preuve concluante d'irrégularités dans le processus d'évaluation.
En examinant les notes individuelles attribuées par les cinq évaluateurs, nous constatons que les notes obtenues par TPG ne correspondent pas du tout aux résultats officiels. Une analyse des notes attribuées par l'équipe d'évaluation montre que les résultats étaient effectivement très serrés, exactement comme M. Bezanson nous l'avait dit.
La majorité des membres de l'équipe d'évaluation — trois évaluateurs sur cinq — ont accordé à TPG des notes suffisamment élevées pour nous permettre de remporter la DP par une marge importante. Avec ces notes élevées, il est impossible que TPG ait pu se retrouver avec une note technique officielle nettement inférieure à celle des autres soumissionnaires.
Lorsqu'on examine les documents, il est évident qu'on a réduit les notes que TPG avait obtenues. Il y avait 217 critères d'évaluation. Pour quatre ou cinq de ces critères, les résultats officiels de TPG sont beaucoup plus bas qu'ils n'auraient dû l'être compte tenu des notes légitimes. Dans un cas, les notes légitimes étaient de 77, 80, 100, 100, et 100 sur 100 alors que notre note officielle a été de 49. Ce résultat ne pouvait pas être valide et il est évident qu'il a été falsifié.
Les notes contestables ont eu un effet déterminant sur l'obtention ou la perte du contrat. Il est également certain que l'équipe d'évaluation n'aurait pas pu attribuer ces faibles notes.
Les problèmes ne se limitent pas à l'octroi du contrat. Ce contrat a été adjugé en octobre 2007. Au cours de la mise en oeuvre du contrat, il est devenu encore plus évident que les cadres supérieurs de TPSGC souhaitaient que CGI conserve ce contrat. Des hauts fonctionnaires de TPSGC n'ont tenu aucun compte de leurs obligations à l'égard de la mise en oeuvre du contrat en ne faisant pas respecter un grand nombre des exigences définies dans la DP et en modifiant d'autres exigences pour aider CGI. CGI n'a pas fourni les 159 CV requis des personnes qui devaient faire le travail. CGI a également présenté le CV d'une personne-ressource de TPG sans sa permission, ce qui constitue une autre violation des modalités de la DP. CGI n'a pas fourni le personnel qualifié au moment de la transition, tel que stipulé dans la DP. Elle n'a pas terminé la transition le 21 décembre 2007, tel que spécifié dans le plan de transition approuvé.
Immédiatement après la fin de notre contrat, TPSGC a mis un arrêt sur les changements au système afin d'aider CGI, ce qui n'était pas prévu non plus dans la DP. Pour toutes ces raisons, le contrat avec CGI aurait dû prendre fin, mais les hauts fonctionnaires du ministère n'ont tout simplement pas tenu compte de ces problèmes de non-conformité.
Lorsqu'il est devenu évident que CGI ne pouvait pas fournir le personnel compétent, conformément aux exigences de la DP, TPSGC a joué le rôle d'agence de recrutement pour CGI. L'autorité contractante de TPSGC a demandé au personnel de TPG de répondre à un formulaire d'employé potentiel préparé par CGI et de se soumettre à des entrevues organisées par CGI. Ce processus n'était pas prévu dans la DP et n'était pas légal. Malgré nos objections, la direction et le personnel de TPSGC ont contacté à plusieurs reprises le personnel de TPG pour l'inciter à faire une demande d'emploi à CGI. La direction de TPSGC savait parfaitement que ces actes étaient illégaux.
Enfin, le 21 décembre, le dernier jour de notre contrat, TPSGC a laissé notre contrat expirer alors que CGI n'avait presque aucun personnel de remplacement disponible. Cette décision irresponsable a été prise pour aider CGI à recruter ensuite du personnel de TPG et a mis en danger les intérêts de millions de Canadiens. Quiconque a pris cette décision est coupable de grave incurie.
Pour résumer, j'espère que tout le monde ici reconnaîtra que le détournement de 400 millions de dollars représente un grave problème, car c'est une somme plus importante que le montant total de tous les récents scandales concernant les marchés publics. Depuis mars 2007, nous demandons une enquête ouverte, transparente et équitable sur ce qui s'est passé. Les partis de l'opposition ont fait la même demande par l'entremise de communiqués et de déclarations. La presse a demandé une enquête. Le gouvernement a refusé.
Les malversations de certains fonctionnaires ne se sont pas arrêtées au début du processus d'acquisition, mais se sont poursuivies après l'octroi du contrat. La seule solution pour obtenir de la transparence et de l'équité dans notre pays est-elle d'intenter des poursuites et de dépenser des centaines de millions de dollars ou plus en frais juridiques?
Pour comprendre le processus d'acquisition et la façon dont TPSGC opère, le comité devra vraiment enquêter sur la façon dont la procédure de passation des marchés peut être faussée et exiger la transparence là où le gouvernement a imposé le secret.
Merci.
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Je suis d'accord avec ce que vous dites, mais ce n'est pas ce qui s'est passé.
Je vais vous décrire très brièvement deux plaintes qui sont sans doute les plus importantes que nous ayons formulées. La première portait sur la question de la reconfirmation et du conflit d'intérêts potentiel. Dans ce cas, le TCCE a estimé que nous avions trop tardé à déposer ces plaintes. Dans le cas de M. Danek, par exemple, il a été embauché en juin 2006 et le tribunal a estimé que nous aurions dû porter plainte à ce moment-là. C'était au commencement du processus d'appel d'offres et si nous avions porté plainte alors, je suis sûr que certaines personnes auraient veillé à ce que nous perdions de toute façon. Ce n'est donc pas vraiment une façon pratique d'opérer. En fait, nous nous sommes plaints lorsque nous avons entendu dire que nous avions perdu, mais le tribunal a décidé qu'il était alors trop tard.
Nous avons donc porté la question devant la Cour fédérale qui nous a donné raison et qui a estimé que le TCCE s'était montré tout à fait déraisonnable. Néanmoins, nous n'avons obtenu ce jugement que six ou huit mois plus tard et il ne semblait pas utile de retourner devant le TCCE à ce sujet.
La deuxième question importante était celle du changement dans la méthodologie de notation, que nous avons constaté dans un des documents de Travaux publics. Le TCCE a reconnu que ce changement avait été apporté et nous lui avons envoyé un certain nombre de lettres pour dire que nous devions examiner tout le processus d'évaluation afin de voir dans quelle mesure le processus avait été modifié et quel était l'impact réel de ces modifications.
Travaux publics a soumis confidentiellement au TCCE une sorte de feuille de calcul que nous n'avons pas pu voir et le TCCE a estimé que c'était suffisant.
Il y avait une faiblesse inhérente dans le processus du TCCE, car lorsque vous portez plainte, il faut que vous puissiez voir les documents pour savoir ce qui s'est passé et pour en avoir la preuve. Le gouvernement possède tous les documents; nous ne les avons pas et nous n'avons pas le pouvoir de les obtenir.
Voilà donc ce qui s'est passé.
Le tribunal a ensuite reconnu que Travaux publics avait fait quelque chose de répréhensible, mais comme il n'a pas pu recommander le moindre recours, ce n'est pas allé plus loin.
Il s'agissait sans doute des deux principales plaintes portées devant le TCCE.
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Une chose m'inquiète un peu, car au cours de ce témoignage — et je le signale à l'intention du comité et de tous ceux qui cela intéresse — la question a été posée quant à savoir comment le ministre participait à l'adjudication des contrats en général. C'était une question très générale.
Le sous-ministre, M. Marshall, a répondu que « le ministre est le directeur général du ministère; il ne s'occupe d'aucun contrat précis. Généralement, on l'informe à la fin, une fois que le ministère est parvenu à une recommandation. »
Une autre question a été posée: « Le ministre ou un membre de son personnel s'est-il mêlé du contrat avec TPG? » C'était une question très directe et la réponse du sous-ministre a été sans équivoque: « Non, aucunement. »
On lui a demandé s'il était convaincu que l'octroi du contrat à TPG avait été un processus équitable et ouvert? Je pense que c'est très important et je vais vous lire la réponse, car je pense qu'elle est très révélatrice.
Il a répondu: « Oui, je le suis… Nous avons reçu trois offres pour le contrat. Les éléments techniques ont été évalués par cinq évaluateurs distincts, qui n'ont pas communiqué les uns avec les autres durant le processus. »
Il y avait ensuite la partie financière. Elle a été « évaluée par un évaluateur en chef et vérifiée par une seconde personne. J'ai été informé une fois que le processus a atteint un certain point. On ne m'a pas dit qui avait obtenu le contrat mais, vu qu'il s'agissait d'une somme potentiellement importante » — comme vous l'avez mentionné, c'était un gros contrat — « j'ai demandé à mon agent principal de gestion des risques de m'assurer, après examen, que tous les processus adéquats avaient été respectés; il l'a fait. Le cabinet du ministre a été informé en temps voulu, bien plus tard, le 14 mars, avant transmission au Conseil du Trésor. » Autrement dit, c'était un fait accompli et il restait à faire les vérifications de dernière minute.
Le sous-ministre a alors déclaré: « J'ai personnellement interviewé les évaluateurs, qui m'ont assuré qu'il n'y avait eu aucune ingérence de la part de qui que ce soit, surtout pas de la part du cabinet du ministre, si bien que les évaluations n'ont jamais été modifiées. » Bien entendu, le ministre n'était pas un des évaluateurs.
Un des évaluateurs s'est-il plaint au ministre, M. Fortier ou au sous-ministre? M. Marshall a répondu: « Absolument pas, et c'est une question que je leur ai posée directement. »
Je vois donc là une situation dans laquelle je dirais qu'il y a un conflit d'opinions. Bien entendu, ce sera au comité et à d'autres d'en juger. J'ai seulement quelques autres questions à poser.
Combien de contrats TPG a obtenu du gouvernement fédéral précédemment?
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Merci, madame la présidente.
C'est avec plaisir que je prends la suite de mon collègue, qui a dit que nous avons reçu de nombreux témoignages à ce sujet. Nous commençons à constater, je pense, que cette affaire ne sent pas très bon.
C'était un contrat très controversé. Les médias ont évoqué, à de nombreuses reprises, la possibilité d'une ingérence directe ou d'une apparence d'ingérence. Il incombait au ministre de mettre clairement des garde-fous en place étant donné que M. Fortier a eu des relations financières avec CGI et certains des principaux intéressés, comme vous l'avez souligné.
M. Fortier a comparu devant le comité et je voudrais lire un extrait de son témoignage. M. Kramp estime que ce qui est consigné par écrit est important.
J'ai posé à M. Fortier un certain nombre de questions assez simples. Quand je lui ai demandé: « Avez-vous recours à des surveillants de l'équité dans vos examens internes de l'attribution des contrats? » Il m'a répondu: « Dans certains cas. » Je lui ai demandé: « À quel seuil recourez-vous à un surveillant de l'équité? Un contrat de 400 millions de dollars ne justifie-t-il pas ce recours? » Il m'a répondu: « Pas nécessairement. »
Je lui ai alors dit « … en présence d'un contrat de 400 millions de dollars qui a retenu l'attention du public, vous n'avez mis en place aucun système de surveillance de l'équité. Sans vouloir vous offenser, monsieur Fortier, je trouve que cela témoigne d'une négligence incroyable. » Il m'a répondu: « Absolument pas. Nous recourons à des surveillants de l'équité quand la situation le justifie. »
J'ai alors demandé: « C'est donc un choix personnel? Dans quelles conditions faites-vous appel à un surveillant de l'équité? » Il a répondu: « Cela dépend de la situation. »
Nous avons cru le ministre sur parole, car je ne vois pas pourquoi le ministre se présenterait devant le comité sans connaître les faits ou pour les présenter sous un faux jour. Toutefois, lorsque j'ai examiné les directives concernant le surveillant de l'équité, il est dit qu'il faut en désigner un pour tous les contrats de plus de 250 millions de dollars. Ce n'était pas facultatif. M. Fortier a donc présenté les faits sous un faux jour ou n'était pas au courant des faits concernant le surveillant de l'équité. Je pense que c'est une question cruciale.
Le 27 mai, j'ai eu l'occasion de poser une question à M. Shahid Minto. C'est notre nouvel ombudsman de l'approvisionnement et il a été l'agent principal de gestion des risques à Travaux publics. Il a dit qu'il avait participé à l'établissement du poste de surveillant de l'équité et je lui ai donc demandé si l'intervention de ce dernier était facultative. Il a répondu que non. Il a dit que si le ministère décide de ne pas y recourir, il doit pouvoir fournir une très bonne raison pour ne pas le faire.
M. Fortier ne nous a pas donné cette raison. Il semble croire qu'il a le droit et le pouvoir, en tant que ministre, de se passer de surveillant de l'équité lorsque cela lui convient. Quelles conséquences cela a-t-il eues pour vous, étant donné que pour un contrat de cette taille, il aurait fallu désigner un surveillant de l'équité?