LANG Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité permanent des langues officielles
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mercredi 17 septembre 2003
¹ | 1540 |
Le président M. Mauril Bélanger (Ottawa—Vanier, Lib.) |
º | 1605 |
M. André Braën (professeur de droit, Université d'Ottawa) |
º | 1610 |
º | 1615 |
Le président |
M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ) |
º | 1620 |
Le président |
M. Benoît Sauvageau |
M. André Braën |
M. Benoît Sauvageau |
M. André Braën |
º | 1625 |
M. Benoît Sauvageau |
M. André Braën |
M. Benoît Sauvageau |
M. André Braën |
Le président |
Mme Yolande Thibeault (Saint-Lambert, Lib.) |
º | 1630 |
M. André Braën |
Mme Yolande Thibeault |
Le président |
M. Eugène Bellemare (Ottawa—Orléans, Lib.) |
M. André Braën |
M. Eugène Bellemare |
º | 1635 |
M. André Braën |
º | 1640 |
M. Eugène Bellemare |
Le président |
M. Yvon Godin (Acadie—Bathurst, NPD) |
M. André Braën |
M. Yvon Godin |
º | 1645 |
M. André Braën |
M. Yvon Godin |
M. André Braën |
M. Yvon Godin |
M. André Braën |
Le président |
M. André Braën |
M. Yvon Godin |
M. André Braën |
Le président |
º | 1650 |
M. André Braën |
Le président |
M. André Braën |
Le président |
M. André Braën |
Le président |
º | 1655 |
M. André Braën |
Le président |
M. André Braën |
Le président |
M. André Braën |
Le président |
M. André Braën |
Le président |
M. Benoît Sauvageau |
» | 1700 |
M. André Braën |
» | 1705 |
Le président |
M. Benoît Sauvageau |
Le président |
M. André Braën |
Le président |
M. André Braën |
Le président |
M. André Braën |
Le président |
CANADA
Comité permanent des langues officielles |
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TÉMOIGNAGES
Le mercredi 17 septembre 2003
[Enregistrement électronique]
¹ (1540)
[Français]
Le président M. Mauril Bélanger (Ottawa—Vanier, Lib.): Nous avons le quorum pour entendre des témoins. Alors, puisque notre seul témoin aujourd'hui, le professeur Braën, est arrivé, nous allons entreprendre nos travaux, qui sont encore une fois diffusés. Pour situer les gens qui nous écouteront, nous continuons notre travail sur le renvoi de la Chambre des communes à ce comité sur l'objet du projet de loi C-202, qui portait sur l'accès aux services de santé pour les minorités de langue officielle du Canada.
Nous avions, comme comité, élaboré un plan de travail où nous explorions deux axes principaux. L'un serait la création d'un programme d'aide auprès des provinces, un peu comme cela se fait en éducation, avec des transferts d'argent. L'autre axe était d'aller explorer, d'essayer de comprendre les assises juridiques légales qui pourraient garantir l'accès à des services de santé en français pour les communautés francophones vivant dans les provinces autres que le Québec et pour la communauté anglophone vivant au Québec. C'est sur ce deuxième axe qu'on se concentre aujourd'hui avec le professeur Braën, qui est un expert en la matière et qui a déjà visité le comité alors que c'était un comité mixte.
Nous vous souhaitons encore une fois la bienvenue, professeur, et nous vous laissons le temps que vous voulez, dans la mesure du raisonnable, pour faire votre présentation. Par la suite, ce sera un échange avec les membres du comité, qui s'exprimeront à tour de rôle jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de questions ou que les cloches nous appelant à un vote se mettent à sonner. Alors, la parole est à vous.
º (1605)
M. André Braën (professeur de droit, Université d'Ottawa): Merci, monsieur le président.
Dans un premier temps, je tiens à remercier les membres de ce comité pour leur invitation. Veuillez croire que c'est un privilège pour moi que de m'adresser à vous. Par ailleurs, je suis conscient de la contrainte temporelle. Alors, je vais me limiter à une brève intervention d'une dizaine de minutes et, par la suite, je répondrai à vos questions s'il y en a, en espérant qu'il n'y ait pas trop de cloches qui sonnent pendant ce temps.
En ce qui concerne le sujet que vous avez soulevé, les assises juridiques ou constitutionnelles concernant la prestation des services de santé au Canada, j'avais été appelé par la Commission sur l'avenir des soins de santé au Canada, la commission Romanow, pour préparer une étude en ce qui concerne les fondements constitutionnels du partage des compétences au Canada en matière de services de santé. J'avais eu l'occasion d'analyser, très brièvement, les textes constitutionnels et la jurisprudence pertinente et de vérifier lequel des législateurs, Parlement canadien ou législature d'une province, pouvait intervenir dans le domaine bien cadré de la prestation des services de santé, soit accès au régime hospitalier ou encore accès aux soins médicaux à proprement parler.
J'en étais arrivé à la conclusion, liée à une analyse historique tant de la jurisprudence que des textes constitutionnels, que ce sont les provinces qui, au Canada, interviennent au premier plan dans le domaine des services de santé. Pourquoi? Parce que historiquement, en 1867, tout le domaine de la santé était perçu comme étant un domaine qui relevait du privé, ce n'était pas un domaine dans lequel l'État devait intervenir. Alors, il ne faut pas être surpris si on a très tôt rattaché la compétence législative des provinces non seulement à une compétence nommée au paragraphe 92(7), c'est-à-dire l'établissement des hospices et des établissements de santé, mais aussi au paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, la propriété et les droits civils, et également au paragraphe 92(16), les sujets d'une nature purement locale. Alors, c'est surtout à cause de ces compétences que très tôt, on a reconnu aux provinces la capacité d'intervenir au premier plan dans le domaine de la santé.
Par la suite, à partir de l'entre-deux-guerres ou après la Seconde Guerre mondiale, lorsqu'on s'est mis à parler d'un régime d'assurance-hospitalisation, dans la mesure où on invoquait l'assurance à proprement parler, assurance-hospitalisation, assurance-médicaments, assurance médicale et ainsi de suite, on renvoyait par là à un sujet qui relève précisément de la propriété et des droits civils, donc des provinces. Cela ne veut pas dire pour autant que le Parlement canadien ne peut pas intervenir dans le domaine de la santé. Au contraire, vous le savez bien, il le fait massivement. Il intervient dans le domaine de la santé surtout via sa compétence en matière de droit criminel, qui lui permet d'intervenir en matière de santé publique. Il le fait aussi via l'exercice d'autres compétences, commerce extraprovincial, brevets, marques de commerce, hôpitaux de marine, et ainsi de suite. Ce sont donc des compétences nommément désignées à l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867.
Mais le Parlement canadien intervient surtout dans le domaine de la prestation des services de santé dans le cadre juridique actuel qui est le nôtre via son pouvoir de dépenser. Alors, comme vous le savez, en tant que propriétaire de revenus, le gouvernement canadien peut dépenser comme bon lui semble ses revenus et, évidemment, peut préciser des conditions quant à l'octroi et quant aux dépenses de ses deniers publics.
º (1610)
Dans le domaine de la santé, il l'a fait via l'adoption de la Loi canadienne sur la santé qui, entre autres choses, définit le cadre qui régit les subventions du gouvernement fédéral aux provinces dans le domaine de la santé publique. Vous savez que ces transferts sont conditionnels au respect par les provinces de certaines normes dites nationales. Le Parlement canadien peut-il, en exerçant son pouvoir de dépenser, imposer ainsi des standards dits nationaux? La question n'a pas fait l'objet, à proprement parler, de litige devant les tribunaux. On comprendra facilement que les provinces n'ont jamais contesté le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral dans ce domaine, ni les subventions qui en découlaient.
Par ailleurs, une lecture attentive de la jurisprudence qui pourrait s'appliquer dans notre domaine laisse croire qu'il est acceptable juridiquement que le Parlement canadien et le gouvernement canadien puissent ainsi rendre ces transferts et le versement de subventions conditionnels au respect de certaines conditions, dans la mesure où ces conditions ne sont pas considérées comme étant une réglementation indirecte de sujets qui normalement relèveraient au premier chef du Parlement canadien. Je le répète, ces normes contenues dans la législation canadienne n'ont pas fait l'objet de contestation, à ma connaissance du moins, au plan judiciaire.
Par ailleurs, quand le gouvernement fédéral définit ainsi des normes nationales et en fait des conditions pour l'octroi de subventions, cela provoque des pressions extrêmement fortes sur les provinces. Une province a beaucoup de difficulté à renoncer à ces subventions et à ne pas accepter ces conditions. Si une province refuse d'accepter les conditions fédérales dans ce domaine, qu'est-ce que cela signifie? Cela signifie qu'elle ne reçoit pas les subventions, cela signifie que sa population subventionne des services qui seront accessibles ailleurs au Canada, mais qui ne seront pas disponibles à l'intérieur de son propre territoire provincial. Les pressions sont donc très, très fortes sur les provinces pour qu'elles acceptent les conditions fédérales. Le Parlement canadien a donc une capacité d'agir énorme, compte tenu de son pouvoir de dépenser, s'il a l'argent, bien évidemment.
Si nous sommes dans un contexte de compressions budgétaires, évidemment le débat peut se transformer. Il y aura de fortes pressions du côté du gouvernement fédéral. Cela étant, les provinces mettent de l'avant leur propre régime. Elles ne sont pas tenues en général par la Constitution canadienne d'offrir des soins dans la langue de leur minorité de langue officielle. Certaines ont peut-être adopté des législations assurant à leur minorité de langue officielle la prestation de services de santé dans leur langue. Le Parlement ou le gouvernement canadien pourrait-il intervenir dans ce domaine? La partie VII de la Loi sur les langues officielles, qui traite de la promotion du français et de l'anglais, précise ceci à l'article 43:
43. (1) Le ministre du Patrimoine canadien prend les mesures qu'il estime indiquées pour favoriser la progression vers l'égalité de statut et d'usage du français et de l'anglais dans la société canadienne et, notamment, toute mesure: |
a) de nature à favoriser l'épanouissement des minorités francophones et anglophones du Canada et à appuyer leur développement; |
d) pour encourager et aider les gouvernements provinciaux à favoriser le développement des minorités francophones et anglophones, et notamment à leur offrir des services provinciaux et municipaux en français et en anglais... |
º (1615)
Dans la mesure où il y a donc un engagement ici qui est pris par le Parlement canadien de faire en sorte que le gouvernement promeut, si vous voulez, le développement des minorités de langue officielle à travers le pays et appuie, entre autres, les gouvernements provinciaux pour que ces derniers offrent des services dans la langue de la minorité. Le gouvernement canadien pourrait donc, dans le but toujours de mettre en oeuvre cet engagement, intervenir en ce qui a trait à la langue de la prestation des services de santé au pays.
Ce qu'il faut noter, c'est que cette partie VII, et en particulier les dispositions que je viens de lire, c'est-à-dire les alinéas 43(1)a) et 43)1)d), est l'expression à proprement parler du pouvoir de dépenser aussi du gouvernement fédéral. Bien certainement que le gouvernement fédéral n'est pas habilité à légiférer dans le domaine des services municipaux, mais dans la mesure où il peut dépenser des sommes d'argent dans ce domaine-là, il peut très certainement mettre de l'avant certaines conditions. C'est exactement le même processus ou le même raisonnement qui va s'appliquer en ce qui concerne la prestation des services de santé.
C'est une question qui est très importante pour les minorités de langue officielle et en particulier pour la francophonie hors Québec. Comme vous le savez, il y a des lacunes immenses de ce côté-là. Il existe déjà, en vertu des arrangements fédéraux-provinciaux, des transferts qui se font, entre autres, pour la question de l'éducation dans la langue de la minorité ou encore l'enseignement du français ou de l'anglais comme langue seconde. Il est bien évident qu'une intervention du gouvernement canadien qui aurait pour effet de bonifier ce qui existe--il n'y en a vraiment pas beaucoup dans plusieurs provinces--dans le domaine de la prestation des services de santé dans la langue de la minorité de langue officielle, ce serait quelque chose de bienvenu.
Bref, et je conclus là-dessus, au plan juridique, il y a très certainement des assises dans les textes constitutionnels qui permettraient une intervention des autorités fédérales dans ce domaine-là, géré au premier chef par les provinces.
Merci.
Le président: Merci beaucoup, professeur Braën.
Monsieur Sauvageau, vous avez une dizaine de minutes.
M. Benoît Sauvageau (Repentigny, BQ): Monsieur Braën, je ne suis pas resté insensible à votre intéressante présentation. Cependant, si on vous écoute bien, par l'entremise de la Loi sur les langues officielles et grâce à ses énormes surplus, exprimant par le fait même le déséquilibre fiscal, le gouvernement fédéral pourrait, en vertu de son pouvoir de dépenser, autant gérer et dépenser dans les hôpitaux, autant gérer et dépenser dans les municipalités, ce qui seraient déjà des interventions directes plus importantes qu'aujourd'hui, alors qu'aujourd'hui, pour certaines provinces, c'est déjà inacceptable.
Il me semble que là, il y a déjà un élément de problème. Mais vous semblez dire, si je comprends bien, que selon les assises constitutionnelles, selon la Loi sur les langues officielles, alors que le gouvernement fédéral n'a même pas affirmé s'il jugeait cette partie VII comme étant déclaratoire ou exécutoire, ce serait particulier qu'un gouvernement qui ne fait pas tous ses devoirs ou tout ce qu'il a à faire dans ses propres champs de juridiction impose ou conditionne ses transferts à des provinces pour qu'elles appliquent de façon déclaratoire une loi que lui juge exécutoire.
Je ne suis pas un expert constitutionnel, mais il me semble qu'il y aurait à tout le moins le début de quelque chose de pas tout à fait normal, premièrement. Le gouvernement fédéral, au moment où on se parle, juge la partie VII de la Loi sur les langues officielles comme étant exécutoire.
º (1620)
Le président: Déclaratoire. C'est l'inverse.
M. Benoît Sauvageau: Déclaratoire. Excusez-moi. Merci d'avoir corrigé mon commentaire sur cet aspect.
Deuxièmement, si on rendait ces transferts conditionnels, il me semble qu'il y a deux provinces qui n'auraient pas trop de problèmes à recevoir de l'argent du fédéral. Je pense au Québec, par l'entremise de sa loi 142 sur la santé, et je pense au Nouveau-Brunswick, par sa loi sur le bilinguisme.
Mais j'essaie de m'imaginer un gouvernement de la Saskatchewan ou de la Colombie-Britannique--déjà que les communautés francophones n'ont pas la meilleure presse qui soit--ou un ministre de la Santé de la Saskatchewan ou du Manitoba qui dirait à ses citoyens et citoyennes qu'ils vont être privés d'un certain montant d'argent en santé parce que le gouvernement fédéral lui impose de respecter la Loi sur les langues officielles. Donc, l'ensemble de la population, francophone et anglophone, aurait moins d'argent et moins de services en santé pour cette raison. Il me semble que la communauté francophone, prise en otage de cette façon-là dans chacune des provinces, vivrait une situation délicate.
Est-ce que vous partagez mon opinion?
M. André Braën: Plus ou moins, et je vais vous expliquer pourquoi.
D'abord, en ce qui concerne la partie VII de la Loi sur les langues officielles, vous avez tout à fait raison, on ne sait pas si cette partie-là est exécutoire ou déclaratoire. Je pense qu'il y a un imbroglio à ce niveau-là; il y a toutes sortes d'opinions juridiques qui existent. Mais ce n'est pas ce sur quoi j'insiste. Moi, tout ce que je dis, c'est que dans cette partie VII, il y a un engagement qui a été pris pour promouvoir le développement des minorités de langue officielle, et un des moyens de le promouvoir, c'est d'aider les provinces qui offrent des services à leurs minorités de langue officielle à le faire. C'est tout ce que je dis; et je dis que cette partie-là est l'expression du pouvoir de dépenser du gouvernement canadien.
M. Benoît Sauvageau: Permettez-moi de vous interrompre pour vous poser une question, pour qu'on s'entende bien. Donc, vous dites que si le gouvernement fédéral transfère à une province x millions de dollars dans les domaines social et de la santé, il n'y a pas de conditions pour qu'elle en reçoive plus. Cependant, si une province dit qu'elle a besoin de x millions de dollars de plus pour contribuer au service des communautés francophones, le gouvernement fédéral devrait lui donner cet argent. Donc, ce ne sont pas des conditions au transfert social, mais une volonté supplémentaire d'aider les provinces qui veulent faire plus. C'est ce que vous dites?
M. André Braën: Il faut bien noter qu'à l'heure actuelle, les transferts fédéraux vers les provinces en ce qui concerne les soins de santé sont conditionnés. Il y a au moins cinq conditions, comme l'accessibilité, l'universalité et ainsi de suite, qui ont été mises de l'avant, et les récipiendaires des fonds fédéraux ont accepté ces conditions-là. D'accord? Alors, la question qui se pose est la suivante: est-ce que l'on pourrait, par une autre formule, demander aux provinces de penser à mettre en place des services de santé? Vous l'avez dit, le problème ne se pose pas nécessairement au Québec, quoique dans des régions éloignées, la population anglophone puisse avoir des difficultés à accéder à des services médicaux dans sa langue, mais en général, c'est surtout un problème qui concerne la francophonie hors Québec. Alors, pourquoi le gouvernement canadien ne pourrait-il pas débloquer certaines sommes qui favoriseraient la mise sur pied de services médicaux en français, et en faire une condition? Je pense qu'il peut le faire et je ne vois pas, moi, en quoi ce serait néfaste.
Vous avez raison quand vous dites qu'au niveau des provinces, on va devoir se présenter devant la population et dire qu'on avait 100 millions de dollars pour faire telle chose mais que là, ce ne sont plus 100 millions de dollars mais seulement 90 millions de dollars, parce qu'il y a 10 millions de dollars qui doivent être consacrés aux affaires francophones. Il y a une espèce d'aspect mesquin dans les relations linguistiques dans ce pays, dans la mesure où quand on donne quelque chose à une minorité, on a l'impression que c'est la majorité qui en souffre. Moi, je ne suis pas de cet avis-là. Je pense que donner quelque chose à une minorité n'enlève rien à la majorité. Ça vient tout simplement améliorer un contexte social.
º (1625)
M. Benoît Sauvageau: On n'est pas loin de s'entendre, je pense. Là où on enlève quelque chose, c'est que si j'avais 100 millions de dollars et que j'ai maintenant 90 millions de dollars, on m'a quand même enlevé 10 millions de dollars. Mais là où je pense qu'on peut s'entendre, c'est que si le gouvernement fédéral transfère 100 millions de dollars--j'utilise de nouveau votre montant--, mais que la province met sur pied un programme pour aider davantage les communautés francophones, elle va conserver les 100 millions de dollars qu'elle a obtenus, et le fédéral va augmenter, en vertu de la partie VII, article 43, le montant offert à cette province qui fait preuve d'un engagement supplémentaire. Mais si cette province-là ne fait pas preuve d'un engagement, la population n'est pas pénalisée pour ses soins de santé. Autrement dit, on garde le statu quo au niveau des transferts en santé, mais il y a un bénéfice offert aux provinces qui veulent en faire plus pour les communautés francophones.
M. André Braën: Là, je suis en désaccord avec vous, parce qu'il y a une partie de la population qui souffre de l'inaction des provinces et du statu quo, et c'est la minorité des langues officielles; la minorité francophone, pour être clair. Elle n'a pas, à l'heure actuelle, accès à des services de santé dans sa langue. Je pense que ce sont des lacunes importantes et que le statu quo ne fait que perpétuer cette inégalité. Alors, je suis en désaccord avec vous dans la mesure où, quant à moi, il y a une partie de la population qui est perdante.
M. Benoît Sauvageau: Et si on disait au gouvernement provincial qu'il ne pourrait plus dire qu'il n'a pas les moyens d'offrir les services? C'est facile, quand on est un ministre, de dire qu'on n'a pas les moyens. On leur dira qu'on n'en doute pas, mais qu'il y a une enveloppe fermée pour la santé et une enveloppe supplémentaire, et que s'ils ont la volonté de s'engager à offrir des services, ils vont avoir une enveloppe supplémentaire. Il me semble qu'ainsi, on ne pénalise pas la communauté francophone et on ne nuit pas au budget du ministre de la Santé de cette province-là. Autrement dit, ça va coûter plus cher au gouvernement fédéral, mais parfois, il faut poser des gestes concrets.
M. André Braën: Il faut quelquefois insister ou encourager, sinon appuyer très fortement, ce que font les provinces dans ce domaine, compte tenu, entre autres choses, de la nature de la francophonie canadienne. Je ne pense pas que les provinces interviennent de leur propre chef, surtout sur le plan linguistique. Ce n'est pas un sujet très sexy ou très hot par les temps qui courent; en fait, ça ne l'a jamais été. C'est un sujet qui est divisé. Alors, dans la mesure où le Parlement canadien ou le gouvernement canadien établit dans le domaine des langues officielles des points de repère, qu'il veut orienter son action ou qu'il est prêt à inciter les autorités provinciales à intervenir dans ce domaine, je ne vois pas pourquoi ce serait...
Les objectifs linguistiques du gouvernement canadien sont drôlement différents de ceux poursuivis par une province comme la Saskatchewan, par exemple.
Le président: Merci, monsieur Sauvageau. On reviendra.
Madame Thibeault.
Mme Yolande Thibeault (Saint-Lambert, Lib.): Merci, monsieur le président.
Pour pousser l'argument un peu plus loin, supposons que le gouvernement fédéral dise à une province x qu'il lui accorde un certain montant supplémentaire, à condition que ces sommes soient affectées à sa minorité de langue officielle.
Comment, à votre avis, le gouvernement pourra-t-il s'assurer que les sommes seront dépensées à cet effet? Cette situation ne se présente pas seulement dans ce domaine. Vous savez bien que le gouvernement fédéral souhaite toujours recevoir un bulletin, mais en réalité, ce n'est pas la façon dont les choses fonctionnent.
º (1630)
M. André Braën: Le problème existait depuis longtemps pour ce qui est des transferts fédéraux en matière d'éducation, et plus particulièrement en ce qui concerne l'enseignement de la langue seconde. Je pense que pendant longtemps, et je ne sais pas si c'est encore le cas aujourd'hui, on se demandait si la centaine de millions de dollars que le gouvernement versait aux provinces, entre autres pour l'apprentissage du français, était effectivement dépensée à cette fin.
Je sais que les autorités fédérales en étaient conscientes, mais je n'ai aucune idée des moyens qui ont été pris pour examiner la question. Il est certain que le même problème se poserait en ce qui concerne les soins de santé dont il est question ici.
Mme Yolande Thibeault: Ça va pour le moment. Je reviendrai.
Le président: Monsieur Bellemare.
M. Eugène Bellemare (Ottawa—Orléans, Lib.): Merci, monsieur le président.
Vous parliez tout à l'heure de normes nationales qui n'avaient jamais été contestées. Est-ce qu'elles pourraient l'être? Supposons, pour une raison ou une autre, qu'une province, sans vouloir être désobligeant envers l'Alberta, veuille contester.
M. André Braën: Le pouvoir de dépenser du gouvernement fédéral est quand même limité. Selon la jurisprudence, lorsque le Parlement canadien adopte une loi afin d'exercer son pouvoir de dépenser et qu'il énonce ainsi des conditions, il ne peut pas transformer la nature de sa loi, c'est-à-dire, par exemple, qu'il ne faut pas que la Loi canadienne sur la santé devienne une loi qui institue un régime de prestations de services hospitaliers à l'intérieur des provinces. Il faut que ces conditions soient générales. Il ne faut pas non plus que l'exercice de ce pouvoir constitue une réglementation indirecte d'un sujet qui relève normalement de la compétence des provinces. Ce sont les limitations qu'on a mises de l'avant au niveau juridique.
Les conditions que l'on retrouve à l'heure actuelle dans la Loi canadienne sur la santé respectent-elles ces limitations que l'on retrouve dans la jurisprudence?
Il n'y a pas eu de tests devant les tribunaux en tant que tels. Vous savez, même si les provinces se plaignent de ne pas recevoir assez, vont-elles contester le pouvoir du fédéral et dire non aux 800 millions de dollars par année? Entre vous et moi, cela pourrait faire mal au budget de la province. C'est un peu pour cela qu'il n'y a pas, à proprement parler, de contestation devant les tribunaux de l'intervention fédérale dans ce domaine. Je ne dis pas qu'elle est constitutionnelle. Un tribunal jugerait peut-être que les normes nationales ou les conditions mises de l'avant par la loi fédérale constituent une réglementation indirecte d'un sujet qui relève des provinces. Ce que je dis, c'est qu'on ne l'a pas contestée, à proprement parler.
Par ailleurs, la jurisprudence laisse entendre que lorsque le fédéral pose des conditions aux octrois, ce n'est pas nécessairement mauvais. Il y a bien sûr une pression sur les provinces, mais on considère que la province reste toujours libre d'accepter ou de refuser. Bien sûr, cela est théorique. Allez-vous dire non à 800 millions de dollars? Allez-vous dire non à des services que, par ailleurs, votre population subventionne et qui seront dispensés dans les autres provinces? Non.
Le système, à l'heure actuelle, est hybride, comme vous le voyez, et un problème d'imputabilité se pose. On ne sait pas trop qui est responsable de quoi dans le système de santé. Mais chose certaine, dans l'état actuel de la jurisprudence et des textes constitutionnels, je pense qu'il y a de la place pour les deux ordres de gouvernement dans le domaine de la santé et en particulier dans le domaine de la prestation de services de santé dans la langue de la minorité.
M. Eugène Bellemare: Ma deuxième question, monsieur le président, porte sur les transferts de paiements.
Le transfert d'argent aux provinces représente toujours un problème. Vous l'avez mentionné à plusieurs reprises et mon collègue Sauvageau y a fait allusion. Il existe une expression anglaise, shell game, qui signifie qu'elles peuvent jouer avec l'argent qu'elles reçoivent.
Plutôt que de subventionner les provinces pour des services en français, peut-on envisager d'autres avenues? Pourrait-on donner des fonds aux étudiants, par exemple à un anglophone qui voudrait partir de Toronto et aller à Trois-Rivières ou Gaspé? Il vivrait alors en immersion française. Bien sûr, il aurait besoin d'un minimum de connaissances en français. Si son stage est entièrement payé par le fédéral, ni la province ni qui que ce soit d'autre ne paiera. L'hôpital ne paiera pas un sou. Cela encouragerait l'étudiant car toutes ses dépenses seraient payées. C'est un exemple, l'idée étant d'encourager les étudiants. J'ai parlé d'un anglophone qui irait dans un secteur français; ce serait la même chose pour un francophone qui irait à Calgary. S'il allait à Calgary apprendre l'anglais, cette expérience rehausserait l'image des deux langues.
On pourrait aussi aider tous ceux qui prennent des cours en français et en anglais. Par exemple, si un étudiant de McGill suivait la moitié de ses cours en anglais et la moitié de ses cours en français, il recevrait un boni. Ce serait la même chose à Toronto ou à Ottawa.
Ces deux exemples sont peut-être farfelus ou sont peut-être bons, l'idée étant de passer par les étudiants.
º (1635)
M. André Braën: Même si le gouvernement fédéral utilise son pouvoir de dépenser à de bonnes fins, dans une fédération comme le Canada, ce sujet crée des tensions considérables entre les provinces et le gouvernement central. Vous parliez de bourses aux étudiants; or, le gouvernement actuel est intervenu dans ce domaine, et cela a été décrié, en particulier par une province, le Québec. Il reste que le gouvernement fédéral a pris des initiatives dans ce domaine.
Évidemment, en ce qui concerne les étudiants, les initiatives qui favorisent les contacts et les rencontres ne peuvent être que bénéfiques. Néanmoins, à mon avis, à court terme, ce n'est absolument pas une solution. Il faut comprendre que le réseau de santé pour la francophonie hors Québec, à l'exception peut-être du Nouveau-Brunswick, et encore--j'ai vécu trois ans à Moncton--, comporte de très graves lacunes. Dans plusieurs provinces, ce réseau en tant que tel est inexistant.
Dans la mesure où un principe comme la dualité canadienne est mis de l'avant et où les soins de santé sont un sujet de préoccupation primordiale pour la population, certaines questions qui se posent méritent qu'on y réponde rapidement.
L'initiative concernant les étudiants est, à mon avis, trop limitée. Un des problèmes auquel fait face la faculté de médecine de l’Université McGill est que 60 p. 100 des diplômés ne parlent pas français et quittent le Québec pour aller pratiquer ailleurs. La situation est donc que la province finance les études de médecins qui, au bout du compte, partent travailler à l'étranger.
Il faut vraiment que dans les provinces, on soit moins hostile, donc plus amical en ce qui concerne la langue de la minorité de langue officielle. Il faut que dans ces provinces, on prenne conscience de la nécessité de mettre sur pied des services aussi fondamentaux que les soins de santé pour la minorité de langue officielle. À mon avis, il faut beaucoup plus que des échanges étudiants, même si, comme je l'ai mentionné déjà, il s'agit là d'une initiative prometteuse, mais à long terme.
Je pense que la situation actuelle demande des réponses rapides. Ici, en Ontario, il n'y a pas longtemps, les efforts pour éviter la fermeture de Montfort, alors qu'elle était imminente, ont mis deux ans à porter fruit. Mais c'était une initiative cruciale. Il a fallu réagir très vite. C'est la contestation judiciaire, beaucoup plus que le Parlement canadien, qui a sauvé Montfort, dans un premier temps.
À mon avis, il faut des mesures-chocs.
º (1640)
M. Eugène Bellemare: Merci.
Le président: Monsieur Godin, voulez-vous que je passe avant vous ou préférez-vous intervenir tout de suite?
M. Yvon Godin (Acadie—Bathurst, NPD): Merci, monsieur le président.
Vous parliez plus tôt du Nouveau-Brunswick. Or, je ne pense pas que vous vouliez nous faire croire que le Nouveau-Brunswick n'a pas, à l'égard de la Loi sur les langues officielles, une responsabilité encore plus grande, surtout en santé, puisqu'elle est la seule province bilingue du Canada.
Hier, le professeur Foucher disait qu'un hôpital devrait faire la traduction de ses rapports pour les minorités, et pas seulement pour les francophones. En effet, il est arrivé que des anglophones qui avaient été servis en français demandent à voir les rapports dans leur propre langue pour être en mesure de les comprendre. L'hôpital a dit qu'il n'était pas tenu de le faire parce que les employés de l'hôpital avaient le droit de travailler dans la langue de leur choix. Ils utilisent quelquefois ce genre de prétexte pour ne pas dispenser un service aux citoyens. Je pense que les travailleurs ont le droit de travailler dans la langue de leur choix, mais que les hôpitaux ont la responsabilité de fournir aux clients qui le demandent des communications ou des documents dans la langue de leur choix. J'aimerais avoir des éclaircissements à ce sujet.
M. André Braën: Oui. Vous faites bien de le soulever parce que le Nouveau-Brunswick est un cas à part. Vous le savez, depuis 1982 en particulier, le paragraphe 20(2) de la Charte canadienne des droits et libertés prévoit que les services du gouvernement du Nouveau-Brunswick sont dispensés dans la langue officielle choisie par l'intervenant. Il existe donc une obligation au Nouveau-Brunswick qu'on ne retrouve pas dans les autres provinces, même si, par ailleurs, une province peut avoir certaines contraintes dans ce domaine-là en vertu de sa législation, par exemple la loi 8, la Loi sur les services en français, ici en Ontario. Alors il y a une obligation constitutionnelle. La nature et la portée exactes, on ne les connaît pas précisément. Est-ce que cela inclut, par exemple, la langue de rédaction des procès-verbaux à l'interne, et ainsi de suite? Vous venez de le soulever, ce sont des questions qui restent à être éclaircies. Mais pour le profane, ce qui l'intéresse, lui, c'est l'accès dans sa langue à des services de santé.
Moi, je me souviens que lorsque j'étais à Moncton, j'avais fait une étude pour un organisme francophone du Nouveau-Brunswick, en particulier sur la question des services de santé. On avait conclu, à partir d'enquêtes et ainsi de suite, qu'il y avait des lacunes très importantes pour la population acadienne. Dans les centres acadiens, il n'y avait aucun problème. Normalement, la minorité s'adapte au plan l'linguistique, n'est-ce pas? Alors, même si vous êtes à l'hôpital Dr-Georges-L.-Dumont à Moncton, un anglophone pourra se faire soigner sans difficulté parce que l'infirmière et le médecin francophone lui parleront en anglais; ils sont bilingues. Mais l'inverse n'est pas vrai. Si vous vous adressez à l'hôpital anglophone de Moncton, ce n'est plus du tout pareil. Il n'y a pas d'adaptation, si vous voulez, de la part des membres de la majorité vis-à-vis ceux de la minorité. Ça, c'était en 1981. Est-ce qu'il y a eu amélioration? On en est presque en 2004, je suis persuadé que oui. Dans quelle mesure? Je ne sais pas exactement. Est-ce qu'il y a des lacunes aujourd'hui? Je suis persuadé qu'il y en a, mais le statut particulier du Nouveau-Brunswick, deux langues officielles, égalité de la communauté acadienne et de la communauté anglophone, fait certainement que la question de la prestation des services de santé est quelque peu différente dans cette province.
M. Yvon Godin: Monsieur le président, plus tôt quand je parlais des documents dans la langue de son choix, je ne parlais pas seulement des documents internes qui circulent uniquement dans l'hôpital. Mais par exemple si le patient a le droit de recevoir les documents, c'est quasiment comme pour une contravention. Les documents que la police va faire circuler dans son bureau, ça ne concerne pas trop le citoyen, en ce sens qu'il n'a pas affaire au document, mais dès qu'il a droit au document, comme à la contravention, il faut que le document soit dans la langue de son choix. Ce n'est pas seulement en paroles; il faut que tout ce qui est présenté à la personne soit aussi par écrit, comme dans l'exemple que je donnais au sujet de cet anglophone qui ne pouvait pas avoir les documents dans sa langue. Je pense que cela violerait la loi.
º (1645)
M. André Braën: Vous parlez d'un cas qui touche la santé ou d'une contravention?
M. Yvon Godin: Non. Quand je parle de contravention, je parle par rapport à la Loi sur les langues officielles.
M. André Braën: D'accord. Il y a un problème avec la GRC, vous le savez au Nouveau-Brunswick: langue de travail, langue de contravention et ainsi de suite. Mais il peut y avoir effectivement cette problématique dans la mesure où moi, au Nouveau-Brunswick, j'ai le droit d'utiliser le français ou l'anglais comme langue de travail dans une institution hospitalière. Il peut y avoir une difficulté, effectivement, dans la mesure où le patient, lui, veut être servi dans une langue et s'attend à recevoir la documentation dans sa langue.
M. Yvon Godin: C'est peut-être un débat qui aura lieu un jour. Je continue de penser que c'est le client qui a raison. Ensuite, travailler dans la langue de son choix, c'est à l'interne. Sinon, la Loi sur les langues officielles tombe à l'eau. Par exemple, si quelqu'un décide de travailler dans la langue de son choix et ne se sent pas tenu d'offrir le service dans la langue du client, ce serait un débat.
M. André Braën: Oui, mais simplement par analogie, vous savez que sur le plan constitutionnel, la Cour suprême avait déjà jugé que le droit de nous adresser en français ou en anglais devant une cour de justice établie par le Parlement du Canada ou l'Assemblée nationale du Québec ne nous donnait pas le droit d'être compris ou d'avoir un juge qui comprend notre langue ou d'avoir un jugement dans notre langue. Voyez-vous? Alors...
Le président: Mais l'arrêt Beaulac n'a-t-il pas changé cela?
M. André Braën: Ça, c'est autre chose. L'arrêt Beaulac touche des dispositions du Code criminel concernant la tenue d'un procès en français. Effectivement, cela vient changer les choses, parce que dans Beaulac, la Cour suprême met de côté l'interprétation qui avait été utilisée dans le cas que je viens de vous donner pour le droit d'utiliser le français ou l'anglais devant un tribunal. Effectivement, cela a été écarté dans Beaulac, en 1998.
M. Yvon Godin: Il s'agissait seulement d'un éclaircissement. Il y a déjà des lois sur les langues officielles en vertu de la Constitution; on se pose déjà des questions sur celle du Nouveau-Brunswick, alors imaginez, pour celle du Canada... Dans des situations où il accorde des fonds qui sont transférés aux provinces, peu importe laquelle, le gouvernement fédéral devrait au moins s'assurer que les services sont offerts dans les deux langues officielles. Ma question n'est peut-être pas opportune, mais il reste que dans le rapport Romanow, on précisait que s'il avait la volonté de le faire, le gouvernement fédéral pouvait grandement contribuer au respect des deux langues officielles du pays.
M. André Braën: Pour ma part, j'en suis persuadé. Dans l'étude que j'ai réalisée dans le cadre de la commission Romanow, j'ai cité précisément la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Ainsi, pour la francophonie hors Québec, l'accès aux soins médicaux en français est d'une grande importance, d'autant plus que la population est vieillissante. Dans plusieurs provinces, dont l'Ontario, c'est devenu un véritable enjeu et c'est une question qui nécessite des réponses rapides.
Il faut bien admettre que la plupart du temps, les provinces font preuve de passivité. Vous comprenez sans doute un peu la mécanique face à cette inaction, et ici je ne parle pas du Nouveau-Brunswick. Parlons plutôt, entre autres, de l'Ontario. Le réflexe est alors de se dire qu'il vaudrait peut-être mieux demander au gouvernement fédéral de donner un petit coup de pouce et tenter de s'entendre avec les provinces pour mettre en oeuvre ce genre de système.
Le président: C'est un peu ce qui se dessine présentement. Dernièrement, le gouvernement du Canada a accordé des fonds visant à appuyer la formation de professionnels de la santé et on vient d'aider à la création d'une société des services de santé en français.
En ce qui me concerne, j'aimerais vous ramener à des sujets d'ordre juridique, si vous le permettez. Je vais peut-être passer un peu du coq à l'âne.
D'après les études que vous avez réalisées dans le cadre de la commission Romanow et du cadre législatif et constitutionnel actuel, croyez-vous qu'il serait erroné d'affirmer que le programme de transferts en matière de santé du gouvernement canadien est assujetti à la Loi sur les langues officielles?
º (1650)
M. André Braën: Il y a dans la Loi sur les langues officielles une disposition qui accorde préséance à cette loi, mais, sauf erreur de ma part--il faudrait que je vérifie à nouveau--, cela ne s'applique pas à la partie VII.
Par ailleurs, il me serait un peu difficile de répondre, dans la mesure où il s'agit ici d'une matière qui, au premier chef, relève des provinces. Je ne peux donc pas répondre avec exactitude; il faudrait que je relise la Loi sur les langues officielles. Je pense néanmoins, sauf erreur, que le caractère prioritaire de la Loi sur les langues officielles vaut pour toute législation fédérale, mais qu'il ne s'applique pas à toutes les parties de cette loi, entre autres à la partie VII.
Dans la mesure où la partie VII--et on revient ici à un débat que vous connaissez bien--fait état soit d'un engagement soit d'un voeu, il est clair que répondre par l'affirmative à votre question devient difficile.
Le président: En se référant au paragraphe 16(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, où on dit que:
(1) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada. |
est-ce qu'on peut conclure qu'un programme de transferts provinciaux qui est régi par une loi est une institution du gouvernement du Canada?
M. André Braën: À prime abord, je serais porté à dire non. Le paragraphe 16(1), qui met de l'avant la dualité linguistique et le principe d'égalité des deux langues officielles, vaut pour le domaine fédéral.
Lorsqu'il s'agit de d'accorder des fonds, est-ce que l'autorité qui reçoit ces derniers est par le fait même assujettie elle aussi à l'obligation fédérale? Je pense que c'est aller un peu loin. D'autant plus qu'au plan constitutionnel, il faut interpréter la Charte canadienne de concert avec les autres dispositions constitutionnelles. En outre, l'article 92 de la Loi constitutionnelle de 1867 précise les sujets où les provinces interviennent de façon exclusive. Alors, comment pourrait-on utiliser l'article 16? Il y aurait peut-être des difficultés.
Comme vous le savez, la question se pose pour l'entreprise privée à l'heure actuelle. Dans quelle mesure le gouvernement fédéral, lorsqu'il fait appel à une entreprise privée pour la prestation de certains services, peut-il obliger cette entreprise à respecter la Loi sur les langues officielles? La question est devant les tribunaux, si je ne m'abuse.
Le président: J'ai posé hier une question semblable à Me Tory Colvin, qui est président de la Fédération des associations de juristes d'expression française de common law. J'ai cru comprendre que, selon lui, le gouvernement avait non seulement le pouvoir mais aussi l'obligation d'agir en ce sens, d'inclure la notion de dualité linguistique et d'exiger son respect.
Cela m'amène à vous poser la question suivante. Le gouvernement du Canada pourrait-il, selon vous, insister sur le respect de la dualité linguistique lors des transferts, faire en sorte que cela devienne une condition de transfert ou l'imposer en vertu de la Loi sur les langues officielles?
M. André Braën: Je pense que s'il veut le faire, il peut certainement ajouter une sixième condition dans la Loi canadienne sur la santé. Au plan juridique, je ne pense pas qu'on puisse s'appuyer sur l'article 16 de la Charte. Je pense qu'il s'agit plutôt d'exercer un pouvoir de dépenser. Dans la mesure où ce pouvoir de dépenser n'est pas considéré comme une réglementation indirecte d'un domaine qui relève des provinces, il n'y aurait pas de difficultés.
Il faut faire attention à ce que vous dites, monsieur le président, ceci dit avec beaucoup de déférence. Il est un petit peu gênant pour le gouvernement fédéral, qui ne s'acquitte pas de toutes ses obligations en matière linguistique, d'aller voir les provinces et de leur dire quoi faire. Je suis sûr que les provinces se serviraient de cet argument.
Le président: Sans aucun doute!
Selon vous, une sixième condition de ce genre pourrait-elle être jugée acceptable, ou serait-elle plutôt perçue comme une façon indirecte de réglementer les programmes provinciaux?
º (1655)
M. André Braën: Je ne pense pas. Il y a cinq conditions actuellement. Ma mémoire me fait défaut, mais on compte notamment le caractère universel, la transférabilité, l'administration publique et ainsi de suite, ce qui, je le répète, semble être relativement accepté par les provinces. Elles n'ont pas de difficulté à soigner les patients des autres provinces, par exemple.
Ajouter cette condition signifie évidemment mettre en oeuvre quelque chose qui n'existe pas présentement. Si on n'a pas les sous, cela peut poser problème, mais même si on a les sous, cela ne veut pas dire qu'on acceptera, parce que ce n'est pas tout de mettre en place un programme, il faut payer par la suite, et on sait que si le gouvernement fédéral se retire, il peut y avoir des problèmes. Je ne sais pas quelle forme cela pourrait prendre, je dis simplement qu'au plan constitutionnel ou au plan juridique, rien n'empêche, à l'heure actuelle, le Parlement canadien ou le gouvernement fédéral--qui a des surplus--de consacrer une partie de ces surplus au développement de soins de santé pour les minorités de langue officielle. Je ne pense pas que cela serait mal perçu et je ne pense pas qu'il y ait des obstacles au plan juridique.
Le président: Dans un autre ordre d'idée, les gouvernements devraient-ils se préoccuper de la disponibilité des services de santé en anglais ou en français pour un Canadien qui se déplace? Prenons l'exemple d'un touriste de Calgary qui se rend en Acadie ou à Chicoutimi, qui a besoin de services et qui ne s'exprime pas en français. En tant que citoyen canadien, est-il protégé par la Charte ou par le partage des responsabilités, tel que décrit dans la Loi constitutionnelle de 1867?
M. André Braën: Idéalement, on vivrait la dualité linguistique, mais on sait bien que ce n'est pas comme cela que ça fonctionne et au plan juridique, les provinces restent quand même souveraines dans leurs domaines de compétence. Dans la mesure où une province n'a pas le souci ou la volonté de le faire, je vois mal comment cela pourrait arriver, mis à part l'intervention ou l'appui du gouvernement fédéral dont je parlais plus tôt.
Vous savez qu'au plan politique, les minorités de langue officielle n'ont à peu près pas de poids. On peut le constater pendant la campagne électorale ontarienne actuellement; il ne s'agit pas d'un enjeu important.
Il faut comprendre que la dualité linguistique, qui fait partie des responsabilités du fédéral, ne fait pas nécessairement partie des priorités des provinces. Le Québec a choisi le français, même si par ailleurs, des services de santé sont prodigués à la communauté anglophone.
Le président: Le document dont vous avez parlé et que vous aviez préparé pour la commission Romanow est un document public, n'est-ce pas?
M. André Braën: Oui, il s'agit de l'étude n° 2.
Le président: D'accord.
M. André Braën: Je m'excuse, je n'en ai qu'une seule copie.
Le président: Notre recherchiste est là. Je demanderai à notre greffier d'en faire parvenir une copie à tous les membres du comité pour qu'ils puissent en prendre connaissance également. Cela me convient pour l'instant.
Monsieur Sauvageau, vous avez la parole.
M. Benoît Sauvageau: J'aimerais d'abord signaler à M. Bellemare que des échanges d'étudiants ont déjà lieu. L'Université de Sherbrooke a une entente avec des universités au Nouveau-Brunswick visant des étudiants en médecine, et je pense que c'est la même chose au Manitoba. Cependant, les places doivent être limitées parce qu'il y a des problèmes de pénurie de main-d'oeuvre au Québec. Il ne faudrait donc pas ouvrir trop, et on fait déjà le maximum. Il existe aussi des échanges en fonction des frais de scolarité. Cela cause malheureusement certains problèmes. Comme le professeur l'a bien signalé, des étudiants, trop souvent malheureusement, viennent étudier à rabais à l'Université McGill et retournent après cela dans d'autre provinces pour exercer leurs fonctions.
Il y a aussi un problème d'interprétation de la Constitution. On dit que si ça ne va pas bien dans un champ de compétence d'une province, si la province n'agit pas comme on le souhaiterait, le fédéral devrait s'impliquer. Je pense que le fédéral n'est pas la police. Si on veut enlever ce champ de compétence aux provinces, on a qu'à refaire une ronde constitutionnelle et on verra ce que ça va donner. On ne peut pas dire que parce qu'une province ne respecte pas une communauté, on doit lui retirer son champ de compétence. Il faut travailler dans le cadre actuel.
J'aimerais poser deux questions. Vous en avez déjà effleuré une. Si le gouvernement fédéral veut inciter et encourager les provinces à offrir des services en santé, il doit, comme je l'ai souligné hier aux autres témoins, prêcher par l'exemple, il doit donner le bon exemple.
Si on pose des conditions, aussi minimes soient-elles, au transfert d'argent pour les soins de santé, le gouvernement fédéral devrait-il poser des conditions élémentaires encore plus grandes s'il transfère ces responsabilités à un territoire?
Vous avez parlé des soins de santé comme étant une composante hybride où on ne savait pas trop qui faisait quoi. Mais on sait très bien qui fait quoi lorsque la santé est administrée uniquement par le fédéral, par exemple dans les territoires, dans les réserves autochtones et dans les hôpitaux militaires.
Premièrement, êtes-vous en mesure de nous dire si, lorsque qu'il y a un transfert de responsabilités du gouvernement fédéral à un territoire, la Loi sur les langues officielles est appliquée? Dans le cas d'un transfert de responsabilités, et non pas d'argent, les responsabilités fédérales sont-elles aussi transférées?
Deuxièmement, vous avez parlé, faisant référence à l'hôpital Montfort, de geste d'éclat. Un sixième principe, ou des conditions au transfert seraient contestés et donc, ne constitueraient sûrement pas ce geste d'éclat dont vous parliez.
Pourriez-vous vous exprimer un petit peu plus sur ce geste d'éclat et sur mes deux questions portant sur les responsabilités?
» (1700)
M. André Braën: Oui. Le gouvernement canadien est responsable au premier chef des territoires fédéraux, quoique les assemblées territoriales soient quasi souveraines. Il est vrai, on ne se le cachera pas, qu'il y a des difficultés quant à l'application de la Loi sur les langues officielles, même à l'heure actuelle. Je pense que je ne vous apprends rien. Je ne parle pas du domaine de la santé, mais de tous les autre domaines. Le Parlement et le gouvernement canadiens ont-ils un petit ménage à faire de ce côté? Peut-être, mais c'est une question politique.
Parlons des réserves autochtones. Dans plusieurs cas, il y a eu des ententes avec les provinces et il y a un imbroglio. Le site web de Santé Canada indiquait que c'était une responsabilité qui relevait des provinces et non pas des autorités fédérales. Il y a donc peut-être des problèmes de ce côté, parce que certaines communautés autochtones s'expriment en français et d'autres, la plupart, s'expriment en anglais.
Il est toujours un peu difficile de demander aux provinces de faire quelque chose quand sa propre cour n'est pas tout à fait en ordre. Toutefois, qu'il y ait un peu de désordre dans sa cour ne signifie pas qu'on ne peut pas intervenir et aider. Je parlais de gestes d'éclat plus tôt. Les soins de santé sont très importants pour les minorités de langue officielle, en particulier pour les francophones, parce qu'au plan institutionnel ils n'ont pas, sauf au Nouveau-Brunswick, de réseau convenable dans ce domaine.
À mon avis, si le gouvernement canadien est vraiment préoccupé par la dualité linguistique dans ce pays--ce n'est pas tout de l'affirmer dans un texte de loi--, il écoutera les messages qui lui parviennent des minorités à ce sujet. Les minorités n'ont pas le choix. Elles ne sont pas écoutées par leurs gouvernements provinciaux. Le gouvernement fédéral n'est pas une police. Il faut bien comprendre que si les minorités vont voir le gouvernement fédéral, c'est parce qu'elles n'ont personne d'autre à qui s'adresser. C'est le seul endroit où leurs revendications seront peut-être écoutées attentivement.
Dans la mesure où ce gouvernement veut donner de la substance à ses engagements ou à ce que la partie VII de la Loi sur les langues officielles contient, je pense qu'il pourrait très certainement dire qu'il est en train de réfléchir sérieusement à la question de la prestation des soins de santé au Canada, qu'il sait que cette question est importante pour l'ensemble de la population, que la dimension linguistique fait partie de ses préoccupations et qu'il veut améliorer cette dimension linguistique. Ce que je vous dis a déjà été dit par les représentants du Commissariat aux langues officielles, je crois. Beaucoup de gens à travers ce pays vous l'ont dit.
Le geste d'éclat serait peut-être de faire une déclaration à l'effet qu'il s'agit d'une préoccupation importante et que des sommes correspondant à cette importance y seront consacrées.
» (1705)
Le président: Monsieur Sauvageau, cela vous convient-il?
M. Benoît Sauvageau: Oui.
Le président: Chers collègues, monsieur Godin, cela va-t-il?
J'ai beaucoup apprécié vos propos et les suggestions que vous avez faites. Aimeriez-vous faire d'autres commentaires sur ce qu'on essaie d'accomplir?
M. André Braën: La Loi sur les langues officielles est une législation qui n'est pas très, très populaire, en général, sauf dans certains milieux, les milieux minoritaires. Il s'agit néanmoins d'une législation qui est extrêmement importante dans la mesure où elle s'accole à l'identité même du pays que vous voulez bâtir. Depuis longtemps, des lacunes ont été identifiées au niveau de l'application de cette législation ou de sa non-application. Je pense que le travail que vous faites ici est important parce qu'il doit servir ultimement à orienter l'action gouvernementale dans ce domaine. Je le répète, la plupart des minorités de langue officielle dans ce pays comptent sur le gouvernement fédéral parce que les provinces tardent à agir ou font carrément preuve de négligence dans ce domaine. Il faut bien comprendre que vous êtes à peu près le seul espoir de centaines de milliers d'individus. Voilà. Je voulais valoriser au plus haut point vos travaux.
Le président: Merci beaucoup, professeur Braën.
Nous allons ajourner maintenant jusqu'à mardi prochain, soit le 23. Nous recevrons alors, comme déterminé plus tôt, un fonctionnaire du ministère du Patrimoine canadien, avec qui nous verrons la question des programmes de transferts gouvernementaux et leur fonctionnement. Nous recevrons également un fonctionnaire du ministère des Finances, à qui nous pourrons poser des questions sur la présentation concernant le programme de transferts en matière de santé, ainsi que d'autres témoins. Ensuite, nous recevrons, mercredi après-midi, Mme Robillard, présidente du Conseil du Trésor, pour une consultation sur les politiques du Conseil du Trésor en matière de langues officielles. Il s'agira d'une session à huis clos.
Sur ce, merci professeur Braën, de vous être déplacé.
M. André Braën: Merci beaucoup.
Le président: Merci également pour vos commentaires et votre disponibilité.
M. André Braën: Merci, et bons travaux.
Le président: Merci, monsieur. Merci, madame. À bientôt.
La séance est levée.