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NDVA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le jeudi 20 février 2003




¿ 0905
V         Le président (M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.))
V         M. David Rudd (président et directeur administratif, Institut canadien des études stratégiques)

¿ 0910

¿ 0915

¿ 0920

¿ 0925

¿ 0930

¿ 0935

¿ 0940
V         Le président
V         M. Leon Benoit (Lakeland, Alliance canadienne)
V         M. David Rudd

¿ 0945
V         M. Leon Benoit
V         M. David Rudd
V         M. Leon Benoit
V         M. David Rudd

¿ 0950
V         Le président
V         M. Lawrence O'Brien (Labrador, Lib.)
V         M. David Rudd
V         M. Lawrence O'Brien
V         M. David Rudd

¿ 0955
V         M. Lawrence O'Brien
V         Le président
V         M. David Rudd
V         Le président
V         M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ)

À 1000
V         M. David Rudd
V         M. Claude Bachand

À 1005
V         M. David Rudd
V         Le président
V         Mme Elsie Wayne (Saint John, PC)
V         M. David Rudd

À 1010
V         Le président
V         M. David Rudd
V         Mme Elsie Wayne
V         M. David Rudd
V         Mme Elsie Wayne
V         Le président
V         M. Joe McGuire (Egmont, Lib.)

À 1015
V         M. David Rudd
V         M. Joe McGuire
V         M. David Rudd

À 1020
V         M. Joe McGuire
V         M. David Rudd
V         Le président
V         M. Leon Benoit
V         Le président
V         M. David Rudd
V         M. Leon Benoit
V         M. David Rudd

À 1025
V         M. Leon Benoit
V         M. David Rudd
V         M. Leon Benoit
V         Le président
V         M. Leon Benoit
V         M. David Rudd
V         M. Leon Benoit
V         Le président
V         M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.)
V         M. David Rudd
V         Le président
V         M. Ivan Grose

À 1030
V         M. David Rudd
V         Le président
V         M. Claude Bachand

À 1035
V         M. David Rudd
V         M. Claude Bachand
V         Le président
V         M. Ivan Grose

À 1040
V         M. David Rudd
V         M. Ivan Grose
V         M. David Rudd
V         M. Ivan Grose
V         M. David Rudd
V         M. Ivan Grose
V         M. David Rudd

À 1045
V         Mr. Ivan Grose
V         M. David Rudd
V         Le président
V         Mme Elsie Wayne
V         M. David Rudd
V         Mme Elsie Wayne
V         M. David Rudd
V         Mme Elsie Wayne
V         Le président
V         Mme Elsie Wayne
V         Le président
V         M. David Rudd
V         Le président
V         M. David Rudd
V         Mme Elsie Wayne
V         Le président
V         M. Lawrence O'Brien
V         M. David Rudd
V         M. Lawrence O'Brien
V         Le président
V         M. Lawrence O'Brien
V         M. David Rudd

À 1050
V         M. Lawrence O'Brien
V         M. David Rudd
V         M. Lawrence O'Brien
V         M. Joe McGuire
V         M. David Rudd
V         M. Lawrence O'Brien
V         M. David Rudd
V         M. Lawrence O'Brien
V         M. David Rudd
V         M. Lawrence O'Brien
V         M. David Rudd
V         M. Lawrence O'Brien
V         M. David Rudd
V         Le président
V         M. Leon Benoit

À 1055
V         M. David Rudd
V         Le président
V         M. Leon Benoit
V         M. David Rudd
V         M. Leon Benoit
V         M. David Rudd

Á 1100
V         Le président
V         M. Joe McGuire
V         M. David Rudd
V         Le président
V         M. Ivan Grose
V         Le président










CANADA

Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants


NUMÉRO 012 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le jeudi 20 février 2003

[Enregistrement électronique]

¿  +(0905)  

[Traduction]

+

    Le président (M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.)): Je déclare ouverte cette séance du Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants. Au nom du comité, j'ai le plaisir de souhaiter la bienvenue à M. David Rudd, qui est président et directeur général de l'Institut canadien des études stratégiques, dans le cadre de notre étude sur la coopération pour la défense entre le Canada et les États-Unis.

    Monsieur Rudd, nous sommes très heureux de vous accueillir ici. Nous avons un peu de retard, et je propose donc d'entendre tout de suite votre exposé, après quoi nous aurons des questions à vous poser.

+-

    M. David Rudd (président et directeur administratif, Institut canadien des études stratégiques): Merci.

[Français]

    Monsieur le président, membres du comité, bonjour.

[Traduction]

    Je vous remercie beaucoup de l'occasion qui m'est donnée de comparaître devant vous aujourd'hui et d'avoir l'occasion d'intervenir dans une question aussi importante pour le Canada, pour le continent nord-américain et même pour la communauté internationale au sens large.

    Pendant que je ferai mon exposé, veuillez garder à l'esprit que bien que j'agisse à titre de président de l'Institut canadien des études stratégiques, les opinions exprimées ici aujourd'hui sont les miennes, et les miennes seules. Elles ne reflètent pas nécessairement celles de l'ICES.

    On m'a demandé aujourd'hui de tracer un portrait de la coopération pour la défense entre le Canada et les États-Unis. À l'heure où les Forces canadiennes sont pleinement engagées dans la lutte contre le terrorisme, où la guerre avec l'Irak menace et où les Américains sont tellement préoccupés par la sécurité de leur territoire, il n'y a jamais eu de meilleur moment pour faire le point de la situation, pour voir où nous sommes rendus et où nous devrions nous rendre.

    Je n'ai pas l'intention de faire aujourd'hui l'historique des relations entre le Canada et les États-Unis en matière de défense, car ce sont des choses que le comité connaît très bien. J'aimerais commencer en disant que le degré de coopération, actuel et futur, entre les militaires canadiens et américains dépend de nombreux facteurs, non pas tant militaires que politiques.

    Parmi ces facteurs, je pense qu'il faut compter, par exemple, les cultures particulières de chacun des pays en matière de sécurité. Ce que je veux dire par là, c'est essentiellement que les États-Unis affichent un intérêt croissant pour le bilatéralisme et les coalitions spéciales de volontaires. Le Canada n'écarte pas de telles méthodes comme moyen de résoudre des problèmes de sécurité, mais il a également une très forte tradition de multilatéralisme—ce dont, comme vous le savez, nous sommes très fiers—et il préfère une coalition aussi large que possible pour régler les problèmes de sécurité survenant à l'extérieur du continent nord-américain.

    Les méthodes employées par les deux pays pour faire face à ces risques de sécurité diffèrent quelque peu. Le Canada préfère recourir davantage à la diplomatie et à l'économie, ainsi qu'au déploiement militaire. Pour les États-Unis, la situation est la même, sauf qu'avec l'arrivée de George W. Bush au pouvoir, nous avons assisté à une militarisation accrue de la politique étrangère américaine, mais pas au point d'exclure tous les autres instruments de politique.

    Le second facteur concerne les orientations en matière de politique étrangère et de défense du Canada et des États-Unis. Ce qu'il faut se demander ici, c'est si Ottawa et Washington perçoivent les mêmes risques du point de vue de la sécurité nationale et continentale, lorsqu'ils font le bilan de leurs préoccupations—par exemple, le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive et la prolifération de la technologie des missiles balistiques. Lorsque les Canadiens se posent ces questions, leurs réponses sont-elles identiques à celles des Américains? Je constate que c'est parfois vrai et parfois faux.

    Le troisième facteur qui déterminera le degré futur de coopération en matière de défense entre le Canada et les États-Unis fait intervenir, évidemment, la vigueur de l'économie canadienne. Une bonne santé économique peut se traduire plus facilement par des capacités militaires adaptées à l'environnement actuel en matière de sécurité. Ce sont ces capacités, ces ressources humaines et matérielles, qui permettent au Canada de collaborer avec les forces américaines; or, avoir la capacité, c'est avoir le choix de collaborer, tout aussi sûrement que l'absence de capacité a pour effet de restreindre nos choix.

    Le quatrième facteur qui déterminera l'étendue future de la coopération pour la défense entre le Canada et les États-Unis est l'environnement international au chapitre de la sécurité. Nous devrions nous demander quels problèmes et tendances pourraient nous inciter à vouloir maintenir, renforcer ou—pour être honnête intellectuellement—réduire l'importance de notre coopération avec les États-Unis. Allons-nous maintenir tous les liens existants avec nos alliés américains si le fléau du super-terrorisme international venait à disparaître et si la Corée du Nord renonçait à ses capacités nucléaires et à ses missiles à grande portée? Par ailleurs, qu'allons-nous faire si ces questions, et d'autres encore, ne trouvent pas la réponse qui nous souhaitons?

    Et que dire de nos partenariats en matière de sécurité? Malgré les événements actuels, les Nations Unies semblent toujours en assez bonne santé. Les États-Unis ont saisi le Conseil de sécurité des Nations Unies de la question de l'Irak et la question est toujours devant le Conseil. Mais l'Union européenne ne viendra-t-elle pas un jour supplanter l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord comme organisme principal en matière de sécurité collective dans la région transatlantique? Est-ce que le Canada a un plan si cela devait arriver? Avons-nous un plan advenant que l'OTAN soit supplantée par l'Union européenne? Et enfin, est-ce que la prétendue doctrine Bush, qui préconise des frappes préventives contre toutes les menaces perçues, entraînera le Canada là où il ne veut pas aller? Ou encore, est-ce que la doctrine Bush est une politique transitoire qui ne survivra pas au changement d'administration? Et si je peux me permettre d'ajouter ici quelque chose, je crois personnellement que la doctrine Bush, jusqu'à un certain point, est une politique passagère.

    Évidemment, de nombreux autres facteurs sont en jeu, dont deux que nous devrions garder à l'esprit. Le premier, c'est que, dans la mesure où l'Amérique du Nord est concernée, les États-Unis sont bien déterminés à se protéger contre tout acte de super-terrorisme et qu'ils mettront en oeuvre tout programme qu'ils jugeront utiles à cet effet. Le Canada aura très peu de prise sur les décisions visant à assurer la sécurité personnelle du citoyen américain. Ainsi, au cours des prochaines années, nous pourrions nous retrouver devant une série de faits accomplis. Cela pourrait inclure une nouvelle version du commandement du Nord des États-Unis, ainsi que la mise en place d'une certaine forme de défense anti-missile balistique basée à terre. Une autre question qui, je pense, aura des répercussions sur les délibérations du présent comité, c'est l'effort déployé par les États-Unis pour forger une coalition contre l'Irak de Saddam Hussein et pour régler la question de la Corée du Nord.

    Monsieur le président, membres du comité, il pourrait être tentant de regarder notre collaboration bilatérale pour la défense à travers la lorgnette de ces événements plutôt sensationnels. Quelles que soient les recommandations auxquelles nous arrivons, nous devons garder à l'esprit qu'elles doivent résister à l'épreuve du temps et qu'il y a un certain danger à prendre des décisions à des moments de grande incertitude au plan international. Évidemment, cela ne veut pas dire que nous devions faire abstraction des événements d'une grande importance qui se déroulent aujourd'hui. À mon avis, nous devons en tenir compte. Ce que je propose, c'est de penser à long terme et, ainsi, de nous tracer un itinéraire constant et rationnel qui nous permettra de traverser les eaux turbulentes dans lesquelles nous naviguons à l'heure actuelle.

    Voilà pour l'introduction. J'aimerais maintenant me tourner vers le document qui m'a été remis par Michel Rossignol, intitulé «Aperçu des questions abordées dans l'étude sur la coopération pour la défense entre le Canada et les États-Unis», et qui a été publié par la Direction de la recherche parlementaire. Monsieur le président, j'y ai noté plusieurs questions d'intérêt pour le comité. Mais je ne vais en approfondir—du moins, c'est ce que j'espère faire—que quelques-unes; par conséquent, je laisserai les autres pour la période des questions. Pendent cette période, n'hésitez pas à me poser n'importe quelle question sauf si c'est pour savoir si les Maple Leafs de Toronto vont l'emporter demain soir.

    Il est clair qu'il y a des questions dont il faut traiter qui ne datent pas d'hier. Par exemple, comment tirer partie de la taille et de la capacité de l'appareil de défense américain de manière favorable au Canada sans compromettre indûment la souveraineté canadienne. Et, monsieur le président, par «souveraineté», j'entends la capacité du Canada de démontrer sans ambiguïté une maîtrise nationale du processus d'élaboration d'une politique et de la mise en application de cette politique. Comme les membres du comité le savent probablement, le mot «souveraineté» fait beaucoup jaser ces temps-ci. Je ne suis pas certain que les gens lui donnent la bonne définition, mais pour moi, c'est la capacité de démontrer sans ambiguïté une maîtrise nationale sur le processus d'élaboration de politiques et sur la mise en oeuvre de ces politiques.

    Dans le document que j'ai distribué, j'ai également pu constater que la diversité des problèmes à régler et des tâches à accomplir pourraient tirer les Forces canadiennes dans des directions différentes. Pourquoi? Eh bien, malgré les crédits additionnels annoncés dans le récent budget fédéral, les Forces canadiennes sont condamnées, à mon avis, à perdre des capacités et du personnel dans les années à venir. Fondamentalement, même si ces nouveaux crédits sont certainement les bienvenus, ils ne suffiront pas pour stopper l'hémorragie.

¿  +-(0910)  

    La question n'est pas simplement de savoir quel sera l'état des relations entre le Canada et les États-Unis en matière de défense, mais quel équilibre sera établi, par exemple, entre les questions de sécurité continentale et les engagements à l'étranger au sens plus large. Il est vrai que le Canada et les États-Unis peuvent collaborer ensemble aussi bien dans un contexte continental qu'international, et qu'ils le font, mais ma question, c'est de savoir si nos ressources modestes ne nous obligerons pas à concentrer nos efforts dans des régions géographiques qui revêtent un plus grand intérêt ou plutôt, le plus grand intérêt, à nos yeux. De telles régions existent-elles? Oui, elles existent. Le front intérieur pourrait être exactement cela. Par exemple, y a-t-il des missions qui sont nécessaires et d'autres qui sont discrétionnaires ou facultatives? Je crois effectivement que c'est possible qu'il y en ait.

    Par exemple, la surveillance et le contrôle de notre espace aérien et de nos zones côtières constituent une tâche qu'aucun gouvernement ne peut subordonner à la surveillance et au contrôle de l'espace aérien et des eaux, disons, en mer Égée. Depuis de nombreuses années déjà, les Forces canadiennes patrouillent en mer Égée dans le cadre des efforts visant à stabiliser les Balkans, mais compte tenu des ressources très minces actuelles, peut-on soutenir un tel engagement, peu importe combien il est louable et peu importe si oui ou non nous voulons être un bon allié ou un bon citoyen international? Je veux que nous soyons un bon allié et un bon citoyen international, mais les capacités sont un facteur qui pèse dans la balance. Ce n'est pas seulement maintenant que nos capacités sont limitées; malgré les crédits additionnels accordés, à mon avis, elles s'amenuiseront encore davantage.

    Pour passer maintenant à des questions traitées dans le document, j'aimerais discuter brièvement du commandement du Nord. Les membres du comité se rappellent sans doute de la controverse qui a entouré la création du USNORTHCOM en 2002. Certains commentateurs ont laissé entendre que le fait de nous joindre à eux pourrait compromettre la souveraineté canadienne. Il est regrettable, à mon sens, que ces commentateurs n'aient pas d'abord pris la peine d'étudier la relation qui existe entre les pays alliés et la structure de commandement américaine avant de parler. En termes simples, des pays comme le Canada ne se joignent à des commandements américains. Le commandement est simplement un groupe de planification qui garde à l'oeil une région géographique donnée. Le commandement du Nord pour le continent nord-américain, le commandement central des États-Unis pour le Moyen-Orient et le commandement du Pacifique pour la région du Pacifique-Ouest, sont des exemples.

    Si une crise éclate, les pays alliés ont la possibilité de coopérer avec les forces américaines en affectant leurs ressources humaines et matérielles à la structure de commandement. Il s'agit d'une affectation temporaire et non permanente. Bien que vous puissiez compter des officiers au sein de la structure de commandement, ils sont là à des fins de planification seulement. Les forces combattantes ne demeurent pas sous le commandement américain. Juste parce que le quartier général du commandement central des États-Unis surveille le Moyen-Orient, par exemple, cela ne signifie pas que les forces militaires des pays alliés du Golfe persique soient sous commandement américain. Ce n'est pas le cas. Elles restent sous les ordres de leur pays jusqu'à ce que les autorités de Riyad, en Arabie Saoudite, ou de Koweït City, au Koweït, décident de les placer sous commandement américain, et comme je l'ai dit, cette mesure est temporaire.

    Le point que je veux faire ressortir ici, c'est que dans le débat public, l'ignorance au sujet de la structure de commandement des États-Unis et des relations entre les pays alliés et ce commandement a malheureusement suscité des craintes injustifiées quant à l'érosion de la souveraineté canadienne. C'est malheureux, mais ce sont des choses qui arrivent. Je ne sais pas encore clairement quelle sera la structure et le mandat de l'USNORTHCOM, parce qu'on travaille encore sur ces questions. Pour l'instant, il semblerait qu'il sera axé sur ce qu'on pourrait appeler la gestion des conséquences, euphémisme pour désigner une réaction rapide à des urgences provoquées par des actes de terrorisme—ou, comme je me plais à les appeler, des actes de super-terrorisme.

    La création d'un groupe de planification conjoint constituée d'officiers canadiens et américains aiderait dans la gestion de ces conséquences et pourrait donner au Canada un accès rapide et relativement facile aux ressources considérables des États-Unis en matière de défense nucléaire, biologique et chimique et en matière de génie. Comme vous le savez, les États-Unis ont également la capacité de déplacer ces ressources sur de longues distances, dans les zones frontalières touchées par une crise. Ainsi, les avantages pour le Canada de conclure une entente formelle d'aide mutuelle repose sur la taille et la mobilité relatives des actifs américains. Étant donné que le Canada pourrait peut-être tirer avantage de ces ressources sur une base qui serait fonction du besoin, cela le dispenserait de la nécessité de dépenser des ressources très rares pour bâtir des capacités importantes et permanentes en matière de défense nucléaire, biologique et radiologique. En d'autres mots, si notre voisin a la marchandise, quels moyens pouvons-nous prendre pour y avoir accès? Il se pourrait que nous ayons moins de ressources, mais dans l'esprit de la réciprocité, peut-être pourrions-nous amener ces ressources dans la région frontalière, si jamais nos collègues de Buffalo, New York, en avaient besoin.

¿  +-(0915)  

    Pour ce qui est maintenant du Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord, et des questions relatives à la défense contre les missiles balistiques, comme vous le savez, le NORAD est actuellement une structure de commandement binationale chargée de la surveillance de l'espace aérien en Amérique du Nord. Il est également chargé de faire la surveillance de l'espace, des débris qui pourraient constituer un danger pour les satellites en orbite ou qui pourraient revenir dans l'atmosphère et tomber près des zones habitées. À mon point de vue, le principal défi de l'avenir pour le NORAD n'est pas que sa mission soit reprise par un autre organisme, mais plutôt la capacité ou la volonté du Canada de continuer de faire partie d'une structure de commandement qui, dans un avenir rapproché, dépendra de moins en moins du territoire canadien pour son fonctionnement.

    À l'heure actuelle, l'espace aérien continental est balayé par une série de radars, dont certains sont situés en territoire canadien. On peut s'attendre que ce système de détection au sol cède la place, en partie ou en totalité, à un système de détection et de suivi par satellite. Comme c'est le cas pour la chaîne de radars, le coût du nouveau système sera assumé principalement par les États-Unis, mais comme il ne dépend pas du territoire canadien, il pourrait y avoir moins de place dans l'avenir pour que le Canada ait son mot à dire sur la façon dont évoluera le NORAD. Il pourrait y avoir de la place, par exemple, pour une participation de l'industrie canadienne dans l'élaboration de ce système de satellites. Comme vous le savez probablement, les entreprises canadiennes sont expertes dans le domaine de la télédétection et de la fusion des données, mais cette question industrielle est une question séparée. À mon avis, elle n'a aucun rapport avec certaines des implications stratégiques plus importantes découlant d'un système payé et exploité principalement par les États-Unis.

    La possibilité d'une défense antimissile basée dans l'espace obligerait également le Canada à articuler plus clairement une politique sur l'implantation d'armes dans l'espace. Comme vous le savez, il y a longtemps que l'espace est militarisé. Les satellites surveillent les conditions météorologiques; ils facilitent la communication; ils aident dans les activités de recherche et sauvetage. Mais à l'heure actuelle, il n'y a pas encore d'armes dans l'espace. À mon sens, la possibilité de déploiement d'un système de défense antimissile basé dans l'espace dépendra principalement des préoccupations américaines en matière de sécurité, et, évidemment, des obstacles techniques et financiers à l'élaboration d'un tel système.

    Les arguments relatifs à la limitation des armes pourraient avoir un certain effet, mais je ne crois pas qu'ils joueront un rôle décisif dans l'esprit d'un président américain qui ne peut pas résoudre, ou qui n'est pas parvenu à résoudre, de manière efficace le problème de la prolifération des missiles balistiques, et surtout des missiles de portée intercontinentale. Mais même si on renonçait à placer des armes dans l'espace—et, personnellement, j'espère que ce sera le cas—, l'élaboration d'une défense antimissile limitée basée à terre semble de plus en plus vraisemblable.

    Encore une fois, les membres du comité se rappellent probablement de la controverse suscitée par l'annonce de l'administration Bush quant à son intention d'élaborer un tel système. Monsieur le président, je pense qu'il n'est pas certain que les deux parties à ce débat—débat qui à l'heure actuelle est un peu latent—ont évalué leurs propres positions de manière appropriée. Les défenseurs de ce système ne semblent pas avoir conclu que les quelques États hostiles qui possèdent des missiles balistiques de portée intercontinentale, et ceux qui pourraient en faire l'acquisition, pourraient probablement être dissuadés de s'en servir tant et aussi longtemps que les États-Unis maintiennent une force de dissuasion nucléaire raisonnable et vigoureuse. Ce sont les acteurs non étatiques, les al-Qaïda de ce monde, que l'on ne peut dissuader par ces arguments. Mais ces groupes n'ont ni l'infrastructure ni l'expertise en génie nécessaires pour acquérir, et encore moins lancer, une telle arme, un missile balistique intercontinental. Ils peuvent avoir la débrouillardise et les ressources financières pour acquérir une ogive nucléaire, mais probablement pas un missile. Ainsi, à mon avis, il y a des failles dans les arguments justifiant une défense contre les missiles intercontinentaux, bien que des armes de portée suffisante pour un théâtre de guerre soient une question différente.

¿  +-(0920)  

    Je crois que le Canada ne devrait pas hésiter à le faire remarquer à nos cousins américains. Toutefois, il y a une différence entre le faire remarquer et partir en croisade contre un système que beaucoup d'Américains jugent essentiel pour leur sécurité. Étant donné que les États-Unis sont décidés à réduire la menace, le Canada pourrait également encourager des États clés à user de leur influence auprès de régimes instables afin que ceux-ci renoncent à leurs programmes de missiles.

    Pour illustrer ce point, je ne comprends pas pourquoi la République populaire de Chine, qui, au départ, avait exprimé des réserves à propos du bouclier antimissile américain, n'a pas usé de son influence auprès de Kim Jong-il de la Corée du Nord, pour l'inciter à se désarmer. Ce serait d'ailleurs à l'avantage de la Corée du Nord, car cela ouvrirait la porte à une éventuelle aide américaine supplémentaire et à de meilleures relations politiques. Ce serait également bon pour la Chine, car une Corée du Nord qui détient l'arme nucléaire, ainsi que des missiles intercontinentaux, ne peut que créer des remous au Japon et à Taïwan, incitant même peut-être ces deux pays à se doter d'une puissance nucléaire de dissuasion.

    De même, monsieur le président, je crois que les opposants à un bouclier antimissile se sont efforcés d'exagérer les retombées stratégiques de la décision américaine d'aller de l'avant. Ils ont dit que la Russie aurait prévu que la résiliation du Traité sur les missiles anti-missiles balistiques déclencherait une nouvelle course aux armements. Ils ont fait ces affirmations sans bien sûr prendre en compte les conditions politiques nécessaires pour se lancer dans une course aux armements.

    Il suffit de se reporter à l'histoire pour s'apercevoir que toutes les courses aux armements sont caractérisées par une relation de confrontation entre au moins deux puissances opposées. Il a donc été facile de justifier les courses aux armements nucléaires au cours de la Guerre froide, étant donné que les antagonismes idéologiques et la détermination de se menacer les uns les autres étaient à l'ordre du jour. Ces antagonismes idéologiques n'existent plus depuis le rapprochement est-ouest; en outre, la Russie et les États-Unis d'aujourd'hui, et dans une moindre mesure la Chine, ont mis de côté leurs plus gros soupçons mutuels et reconnaissent les avantages de la coopération dans de nombreux domaines. Ainsi, alors qu'un bouclier antimissile aurait déstabilisé un environnement caractérisé par la logique de dissuasion et de destruction, je ne pense pas qu'il aura le même effet aujourd'hui, car tous ces pays ne peuvent envisager de s'attaquer l'un l'autre pour quelque raison que ce soit.

    Libéré des objections russes et chinoises, le Canada est dans une meilleure position, ne serait-ce que pour accepter la mise en place d'un système limité de défense contre les missiles balistiques—et je souligne le mot «limité». Il est également libre de ne pas contribuer au système, car les Américains vont probablement aller de l'avant de toute façon. Par contre, si les réserves canadiennes exprimées il y a quelques années par certains, comme l'ancien ministre des Affaires étrangères, Lloyd Axworthy, persistent, et que le programme va de l'avant, je crois que le Canada n'aura pas vraiment d'autre choix que de renoncer à son adhésion au NORAD et devra quitter Cheyenne Mountain au Colorado. Pourquoi? Parce que les États-Unis ne construiront pas—et je le souligne—un système de détection et de poursuite de missiles distinct pour le système de défense contre les missiles balistiques, lorsqu'il en existe déjà un dans le cadre du NORAD. Par conséquent, le NORAD conservera probablement une certaine importance pour les deux pays, bien que son mandat risque de se limiter à des menaces de moindre importance. Ainsi, la visibilité du Canada sera encore moindre aux yeux des décideurs américains.

    Bien sûr, si le Canada ne partage pas la perception américaine en matière de menace de missiles balistiques et souhaite insister sur ce point, il est concevable qu'il importera peu à Ottawa d'être marginalisé. Il existe, après tout, 250 protocoles d'entente en matière de défense entre le Canada et les États-Unis. La Commission permanente mixte de défense, le comité binational composé de membres de nos ministères de la Défense et des Affaires étrangères et du Département d'État américain et du Pentagone, continue de fonctionner, mais il ne faut pas oublier que peu de ces 250 protocoles d'entente ont le poids politique de structures de commandement comme le NORAD; ils ne peuvent pas non plus donner lieu à un déploiement de ressources.

¿  +-(0925)  

    Le dernier point auquel je veux m'attaquer, monsieur le président, c'est la transformation que je devrais peut-être définir très brièvement. Le mot «transformation» renvoie à une initiative prise par les États-Unis et par d'autres forces armées alliées visant à faire passer nos forces de leurs structures et configurations actuelles à celles de l'avenir, en utilisant le matériel et les armes de prochaine génération ainsi qu'une doctrine à la fine pointe.

    Il est vrai que les forces armées de nombreux pays de l'OTAN, y compris les États-Unis, envisagent les armes et la doctrine de prochaine génération afin de s'attaquer aux nouveaux risques qui se posent en matière de sécurité. Cette initiative s'explique par le fait qu'une conflagration en Europe centrale avec l'ancienne Union soviétique n'est bien sûr plus du domaine du possible. Il n'est donc plus utile, dirons-nous, de disposer de nombreux matériels particuliers. Cela ne veut pas dire toutefois qu'on laissera tomber tous les matériels de l'ordre de bataille; cela veut tout simplement dire que leur nombre peut changer et que l'accent peut être mis ailleurs.

    La transformation, monsieur le président, va être très importante pour le Canada, puisque, tout d'abord, elle dépend de l'argent—et je suis sûr que les membres du comité n'en sont pas surpris. Comme je le disais plus tôt, l'argent vous permet d'acheter des capacités et les capacités vous donnent des options et aussi de la crédibilité. D'ici une dizaine d'années, si les matériels sont très différents, les pays qui ne suivent pas seront obligés d'adopter des doctrines différentes de celles des pays alliés—la doctrine, mesdames et messieurs, c'est l'art de déplacer les pions sur l'échiquier en vue d'accomplir une tâche donnée. S'il vous manque certains pions, vous êtes obligés de modifier votre doctrine. Si vous modifiez votre doctrine jusqu'au point où elle s'écarte considérablement de celle des pays alliés, vous ne pouvez fonctionner avec eux.

    Cela ne s'applique pas uniquement aux relations entre le Canada et les États-Unis. Il faut se rappeler, monsieur le président, que les États-Unis imposent leur dynamique en matière de changement technologique et de doctrine, et que tous les pays de l'OTAN essayent de rester compatibles avec les États-Unis. Cela ne veut pas dire qu'ils vont toujours réussir; en fait, leur budget va probablement les en empêcher. Toutefois, si les États-Unis fixent la norme et que tous les pays essayent de les suivre, ces derniers auront, à tout le moins, l'option de participer non seulement aux côtés des États-Unis, mais aussi de coopérer ensemble, même si les États-Unis ne sont pas présents.

    À titre d'exemple, au début des années 90, les Nations Unies ont envoyé une force du maintien de la paix dans les Balkans et, au départ, les États-Unis n'en faisaient pas partie. C'est le Royaume-Uni qui en était le pays chef de file. Le Canada a participé et c'est grâce à la coopération entre ces deux alliés clés, par l'entremise de l'OTAN, que la Force de protection des Nations Unies a pu être mise sur pied et remporter quelques succès, au début à tout le moins. Essentiellement, les Britanniques ont déplacé le quartier général du Groupe d'armées du Nord de l'OTAN du nord de l'Allemagne dans les Balkans.

    Le Groupe d'armées du Nord et la doctrine de l'OTAN sur laquelle il s'appuie existent depuis de nombreuses années, par suite de la coopération transatlantique. Si on souhaite préparer des opérations à l'étranger dans l'avenir, indépendamment de la zone géographique, il faudra savoir comment fonctionnent les Américains. Il faudra le savoir, car même si les Américains ne font pas partie de la mission, on peut avoir la certitude que nos partenaires européens ou de l'Asie du sud sauront comment fonctionner aux côtés des forces américaines.

¿  +-(0930)  

    Nous savons que la marine canadienne a le privilège d'opérer au sein d'un groupe aéronaval des États-Unis et aussi le privilège de commander des flottilles multinationales. Le Canada n'avait pas eu ce privilège pendant de nombreuses années, en raison de l'obsolescence de ses navires à la fin des années 70, dans les années 80 et même au début des années 90. On peut donc en conclure qu'un degré de capacité et de compatibilité structurelles et doctrinales s'impose non seulement pour des opérations aux côtés des forces américaines, mais aussi pour celles aux côtés de forces alliées non américaines, parce que, et je le répète, ce sont les États-Unis qui fixent les normes que tentent de viser tous les alliés. Même si les États-Unis ne sont pas présents dans le cadre d'une mission à l'étranger, les effets de leurs prouesses techniques et doctrinales se font ressentir. Par conséquent, monsieur le président, la transformation est essentielle à moins que le Canada ne souhaite être pris au dépourvu.

    Monsieur le président, j'ai comparu la dernière fois devant vous en novembre 2001, à la suite des événements du 11 septembre. Je me rappelle très clairement que, à ce moment-là, le comité ressentait un certain optimisme, pensant que le budget fédéral allait prévoir des crédits supplémentaires pour la défense et la sécurité. À ce moment-là, je disais essentiellement que je comprenais que les membres du comité aient des avis divers quant à l'utilisation des fonds supplémentaires que le ministère de la Défense nationale allait sûrement recevoir. Ce que je voulais dire, c'était que le comité devait envisager ce qu'il faudrait faire au cas où le MDN ne recevrait pas de crédits supplémentaires. Dans tous les cas, le MDN a obtenu quelques crédits supplémentaires, mais pas beaucoup.

    Récemment, le MDN a reçu 800 millions de dollars de plus. Ces fonds sont certainement bien utiles, mais ils ne permettent sûrement pas de régler tout un tas de questions, comme celles du recrutement et du maintien de l'effectif, du remplacement des matériels usés et de la maintenance. Je crains également, monsieur le président, qu'ils ne permettront pas de régler l'énorme facture que représentent les engagements à l'étranger que nous avons récemment acceptés. Il s'agit entre autres de maintenir nos forces navales et en fait d'en augmenter le nombre au Moyen-Orient, sans compter le déploiement assez important de nos forces en Afghanistan.

    Monsieur le président, je crois que ces déploiements en valent la peine. Par exemple, je pense que les Afghans ont grand besoin de stabilité et que le Canada a beaucoup plus d'intérêts en jeu en Afghanistan que dans les Balkans. Par exemple, Dieu nous en garde, si les Balkans devaient s'effondrer, je serais certainement le premier à le regretter. Toutefois, la vie des Canadiens et la masse terrestre du Canada n'en seraient pas menacées. Par contre, si l'Afghanistan redevenait la proie des seigneurs de la guerre et s'adonnait à la culture du pavot et s'il devait à nouveau être assujetti aux Talibans, je crois alors que l'on assisterait au retour de groupes radicaux comme al-Quaïda, auquel cas, monsieur le président, la vie des Canadiens et la masse terrestre du Canada seraient menacées. Par conséquent, je crois que ce que le Canada peut contribuer à la stabilité de l'Afghanistan en vaut vraiment la peine.

¿  +-(0935)  

    J'ai bien pris conscience de certaines choses depuis ma dernière comparution devant vous, monsieur le président. À en juger par le respect dont jouissent nos forces chaque fois qu'elle coopèrent avec les États-Unis, la situation des relations canado-américaines en matière de défense est très bonne, grâce notamment à des années d'efforts et aussi à de l'appui financier. Je crains, monsieur le président, que les différences ou les asymétries de nos politiques étrangères nous incitent à ne pas prendre le même chemin que les Américains et ce, dans plusieurs domaines. Ce n'est pas une mauvaise chose en soi. Des amis peuvent ne pas être d'accord et peuvent en plus le manifester de manière constructive. Ils peuvent ne pas être d'accord sans toutefois être désagréables. Je me souviens cependant des propos courageux tenus par notre premier ministre devant le Chicago Council on Foreign Relations au cours des dernières semaines. Jean Chrétien a chanté les louanges du multilatéralisme et encouragé les États-Unis à résoudre le plus possible les problèmes de sécurité internationale au sein d'instances multilatérales.

    Je suis d'accord avec cette position politique, mais le gouvernement actuel et ceux à venir doivent également comprendre que le multilatéralisme ne consiste pas uniquement à rassembler quelques États ayant des vues similaires et à émettre une déclaration conjointe. Pour être efficace, le multilatéralisme exige de véritables capacités. En bref, le multilatéralisme coûte cher, très cher. Je ne parle pas ici simplement de la défense, mais aussi de l'aide étrangère et de l'entretien d'organisations internationales comme l'OTAN ou les Nations Unies.

    Au début de mon exposé, j'ai fait une rapide observation au sujet de la souveraineté, monsieur le président, tout en essayant d'en donner une définition. J'y reviens dans ma conclusion pour faire remarquer au comité—si en fait cela est nécessaire—que, à l'instar du multilatéralisme, la souveraineté ne consiste pas à faire des déclarations. La souveraineté coûte cher également.

    Les membres du comité se rappellent peut-être de la traversée du passage du Nord-Ouest par le brise-glace américain USCGC Polar Sea, en 1985. À l'époque, le gouvernement conservateur avait tenu des propos très courageux. Je me souviens que Joe Clark, alors secrétaire d'État aux Affaires extérieures, avait déclaré à la Chambre des communes que le gouvernement n'allait pas concéder que le Canada n'avait pas les moyens de protéger l'Arctique. Le gouvernement a rapidement étendu les lois canadiennes à l'Extrême-Arctique, mais le plan relatif à la construction du brise-glace Polar de classe 8, qui aurait été la preuve visible de la souveraineté du Canada et de la protection de son territoire national, a été rapidement mis de côté dans le cadre du budget de 1989, si je ne me trompe.

    Pour être crédibles et pour être jugés crédibles, non seulement par les Canadiens mais aussi par d'autres pays, le multilatéralisme et la souveraineté exigent des engagements financiers. Le budget actuel est un pas dans la bonne direction, selon moi. Peut-être que davantage de mesures seront prises, je ne le sais pas vraiment. Il ne faut pas oublier toutefois que le multilatéralisme et la souveraineté ne sont pas des concepts abstraits, mais concrets.

    C'est ainsi, monsieur le président, que j'aimerais conclure mon exposé. Merci encore de m'avoir invité. Je suis prêt maintenant à répondre aux questions que les membres du comité souhaiteront me poser.

¿  +-(0940)  

+-

    Le président: Merci beaucoup, monsieur Rudd. Vous nous avez assurément donné beaucoup de matière à réflexion aujourd'hui. Si je peux extraire deux messages de votre exposé, c'est que le multilatéralisme exige une capacité réelle et que la souveraineté coûte de l'argent.

    Peut-être que nous devrions passer tout de suite à la période des questions, en commençant par M. Benoit, qui a sept minutes.

+-

    M. Leon Benoit (Lakeland, Alliance canadienne): Bonjour, monsieur Rudd. Merci pour votre exposé.

    Je ne sais trop par où commencer mes questions. Je pense que je vais commencer par votre observation au sujet des relations canado-américaines à long terme, quand vous dites que vous devez aussi tenir compte de l'équilibre entre les relations canado-américaines et les relations entre le Canada et le reste du monde. Je pense que c'est à peu près ce que vous avez dit. Vous avez également évoqué la possibilité que l'Union européenne remplace l'OTAN à un moment donné.

    Chose certaine, les événements des derniers mois ont très durement touché certaines grandes organisations internationales. Les Nations Unies ont été mises à rude épreuve par certains événements. Il est certain que des pressions se sont exercées sur l'OTAN, mais aussi sur l'Union européenne. Quand on examine les pays européens, on constate que l'Union européenne n'est pas une relation facile à bien des égards, surtout quand on songe au Royaume-Uni. Je pense que les Britanniques se demandent bien souvent s'ils devraient faire partie de l'UE et, dans l'affirmative, dans quelle mesure ils devraient y être intégrés. Ils s'interrogent là-dessus et je pense que les événements récents vont causer une intensification de leurs interrogations.

    Beaucoup de pays de l'UE se demandent vraiment à quelle vitesse ils devraient permettre l'évolution de ce cadre européen, jusqu'où ils devraient aller et dans quelle mesure ils devraient s'y enfermés. Ce n'est pas seulement l'avenir de l'OTAN qui est remis en question, bien que je sois convaincu que cette question se pose effectivement, il y a aussi l'avenir de l'Union européenne et son évolution continue. Je ne dis pas qu'elle va se dissoudre, mais je me demande si elle va continuer de progresser comme elle l'a fait dans le passé. Je pense que cela est maintenant vraiment mis en doute.

    Je vous invite à me faire part de vos observations sur tout cela.

+-

    M. David Rudd: J'aimerais vous montrer des organigrammes et sortir mon faisceau laser et tout le reste, mais je pense que je vais essayer de m'en tenir à deux ou trois brèves observations.

    Je suis plutôt optimiste pour ce qui est de l'avenir des organisations internationales existantes. Je pense que les Nations Unies fonctionnent en fait comme prévu. Le Conseil de sécurité est encore saisi de la question de l'Irak. C'est normal, car à l'origine, le conflit se situait entre l'Irak et le Conseil de sécurité, pas entre l'Irak et Washington. Il faut rendre hommage à M. Bush qui a réussi à faire en sorte que ce dossier ne déborde pas du Conseil de sécurité. Quant à savoir si cela continuera, je n'en suis pas absolument sûr, mais l'organisation fonctionne comme elle se doit.

    Il y a des divergences d'opinions qui se font jour au conseil. Je suis optimiste quant à une éventuelle solution, non seulement pour résoudre la crise, mais aussi le fait qu'il y a de profondes divergences d'opinions à l'heure actuelle au sein même de l'organisation. Ne perdons pas de vue que tous les pays s'entendent sur l'objectif : le désarmement de l'Irak. Il y a désaccord quand à l'échéancier, mais aucun désaccord sur l'objectif. Il y a aussi consensus sur les moyens possibles pour arriver à cette fin. Les Français n'ont pas dit, par exemple, que nous ne ferons jamais appliquer ces résolutions. Ils disent seulement : «Pas encore, pas tout de suite». Par contre, je crois que la position de l'Allemagne est tout à fait inexplicable.

    Pour ce qui est de l'OTAN, je dois dire que je partage vos préoccupations, et je vais donc vous décrire un scénario. Quand la Turquie s'est vue refuser du matériel de défense par trois membres de l'OTAN, cela a créé une crise. Les Turcs se sont demandé par exemple de quel droit leurs alliés pouvaient usurper leur droit de décider à quel moment ils sont exposés à une menace et ont besoin d'aide. C'est la question fondamentale, et ce droit a été temporairement usurpé.

    La crise a amené les gens aux États-Unis à se demander à quoi peut bien servir l'OTAN si ses membres ne peuvent même pas se mettre d'accord sur une décision aussi anodine que d'expédier des missiles sol-air et du matériel de défense contre les attaques nucléaires, biologiques et chimiques à la Turquie. Il n'est pas question d'envoyer aux Turcs des blindés ou tout autre matériel qui nous permettrait d'envahir l'Irak, il est seulement question d'armes purement défensives, et je pense donc que les questions que l'on a posées aux États-Unis et ailleurs étaient des questions tout à fait valables. Je crains que les voix qui se sont fait entendre seront de plus en plus fortes et qu'à un moment donné, on verra l'Alliance s'effriter et mourir, peut-être à cause de l'indifférence des Américains.

    Si cette mort survient, cela sera le jeu de ceux qui veulent que l'OTAN meure, et je crois que l'on compte parmi ceux-là certains éléments de l'appareil français de la politique étrangère. Et puis il y a ceux qui veulent que l'OTAN meure parce qu'ils savent que si l'OTAN meurt, les pays d'Europe continentale devront chercher une solution de rechange, une autre organisation pour la remplacer et assurer leur sécurité. L'Union européenne n'a pas encore de politiques de défense étrangère communes, mais l'Union européenne pourrait être la seule solution possible. Or qui sont les principaux pays membres de l'Union européenne?

¿  +-(0945)  

+-

    M. Leon Benoit: La France et l'Allemagne.

+-

    M. David Rudd: J'admire et je respecte l'habilité et la subtilité de la diplomatie française. Je partage beaucoup des inquiétudes de Jacques Chirac, mais sa position serait un peu plus crédible si, au moment même où il déclarait que la guerre est un échec, il n'avait pas envoyé des troupes françaises livrer bataille en Côte d'Ivoire, sans passer par le Conseil de sécurité.

+-

    M. Leon Benoit: Il a également envoyé des troupes près de l'Irak.

+-

    M. David Rudd: En effet, il y a envoyé le porte-avions Charles de Gaulle. Ainsi, les Français peuvent jouer sur les deux tableaux.

    Quoi qu'il en soit, je pense que le scénario que je viens de vous décrire est tout à fait possible. Je suis heureux que ces divisions semblent avoir disparu à présent.

    Le Canada doit être en mesure de composer avec de tels désaccords si jamais ils surviennent de nouveau, parce qu'à mon avis, Lord Robertson, le secrétaire général de l'OTAN, a tardé à réagir. Par ailleurs, nous devons nous doter d'un plan au cas où l'OTAN, pour quelque raison que ce soit, venait à disparaître subitement, sans du reste susciter beaucoup de regret. Le Canada devra alors se chercher de nouveaux alliés et il y en a peu qui soient aussi attrayants que les États-Unis.

    Comme je l'ai mentionné au début de mon exposé, notre politique étrangère et notre mentalité en matière de sécurité sont très européennes, ce qui ne me dérange pas le moins du monde. Cependant, comme nous ne faisons et ne ferons jamais partie de l'Union européenne, pour des raisons géographiques évidentes, nous serions laissés pour compte si l'Union européenne devait succéder à l'OTAN.

    Nous pourrions peut-être en arriver à des modalités ou à des ententes crédibles avec l'Europe. Nous pourrions certainement contribuer à ses activités de maintien de la paix dans les Balkans ou en Asie, par exemple. Nous pourrions le faire, mais comme nous ne faisons pas partie de l'UE, nous n'aurions aucune influence sur les décisions politiques à l'origine de telles missions. Nous n'aurions pas non plus d'influence sur la définition du mandat des forces armées chargées de telles missions. Or, tant que nous sommes membre de l'OTAN, nous pouvons en influencer la décision. Dans ces conditions, je ne sais vraiment pas ce que nous devons faire.

¿  +-(0950)  

+-

    Le président: Merci monsieur Rudd, et monsieur Benoit.

    Monsieur O'Brien, vous avez sept minutes.

+-

    M. Lawrence O'Brien (Labrador, Lib.): Votre exposé était très intéressant, David, et il...

+-

    M. David Rudd: Ne vous ai-je pas vu en train de cogner des clous?

    Des voix : Oh, oh!

+-

    M. Lawrence O'Brien: Oui, bien sûr, et je me suis étiré aussi.

    Quoi qu'il en soit, vos propos concordaient avec des témoignages que nous avons entendus mardi et j'aurais quelques questions à vous poser.

    Vous dites qu'on peut rester bons amis sans nécessairement être d'accord sur certaines questions. Disons qu'on applique cet exemple à notre vie personnelle de tous les jours, plutôt qu'à des pays. Disons que vous êtes de moins en moins d'accord avec un de vos amis, si bien que vous vous éloignez de plus en plus et enfin cet ami cessera de vous rendre visite et vous cesserez de lui rendre visite. Après un certain temps, quand vous vous croiserez dans la rue, vous ne vous saluerez même plus. Voilà ce qui m'inquiète dans cette affaire.

    Si le Canada, à tort ou à raison, ne prend pas une position compatible avec celle des États-Unis sur l'Irak, sur le déploiement de missiles balistiques ou sur NORAD ou sur un tas d'autres choses... Il y a environ 250 accords et le protocole d'entente dont vous avez parlé, et ainsi de suite. Je suis d'accord avec les arguments que vous avez fait valoir dans votre réponse à Leon au sujet des pourparlers sur l'OTAN, je partage vos idées quant à la direction dans laquelle nous nous engageons ou à l'ignorance de cette direction. Je crains que si nous prenons trop de distance par rapport aux Américains sur le plan politique, nous ne nous trouvions dans une impasse dans cinq ou dix ans.

    Vous avez abordé certains de ces aspects dans votre exposé et j'ai envie de dire spontanément que nous devrions faire mieux. Il n'est pas question de nous américaniser totalement, au point où Brian Mulroney l'était, mais il faudrait peut-être trouver un juste milieu entre la position que le Canada avait prise sous M. Mulroney et celle dans laquelle nous nous trouvons en ce moment.

    Qu'en pensez-vous?

+-

    M. David Rudd: Je vais répondre tout d'abord à votre dernière question.

    Un des problèmes auxquels nous faisons face tient à l'incapacité ou au refus d'expliciter des positions de principe, que ce soit sur l'Irak, sur l'utilisation de missiles par l'armée ou sur autre chose. Le premier ministre n'a peut-être pas le courage de ses convictions, je n'en sais rien. C'est peut-être parce qu'il est essentiellement pragmatique. Je trouve cependant que le Canada cherche souvent à savoir d'où vient le vient avant de prendre position. Cela dénote peut-être une certaine habileté politique, mais ce n'est pas nécessairement une bonne politique pour le pays. Pour maintenir l'équilibre dans nos relations avec nos voisins du Sud, nous devrons être honnêtes avec nous-mêmes avant de pouvoir l'être avec les Américains, mais cela viendra avec le temps.

    Il est vrai que si nous sommes constamment en désaccord avec États-Unis sur une foule de sujets, nous risquons à la longue de les aliéner. C'est possible en théorie, mais les sujets de désaccord ne sont pas assez nombreux pour mener à cette situation. Premièrement, nous n'avons pas encore défini clairement notre position sur différents dossiers. Deuxièmement, les questions sur lesquelles nous nous entendons sont beaucoup plus nombreuses que celles sur lesquelles nous ne nous entendons pas. Cependant, les sujets de désaccord sont montés en épingle par les médias. Nous devons faire la part des choses.

    Comme je l'ai dit dans mon exposé, il n'y a pas de mal à diverger d'opinion quand on sait comment communiquer le message. Tout à l'heure, avant de commencer mon exposé, je vous ai dit que j'avais déjà travaillé dans le domaine financier. Quand j'évoluais dans ce milieu-là, j'ai vite compris que la façon dont on présentait une idée est extrêmement importante. Presque aussi importante que l'idée elle-même. Par conséquent, si nous ne sommes pas d'accord avec une position prise par les Américains, nous devons exprimer notre désaccord sans être désagréables. Nous devons le faire d'une façon constructive. C'est une chose de dire à M. Bush que nous trouvons qu'un bouclier de défense antimissile n'est pas nécessaire, mais c'est autre chose complètement de faire croisade publiquement contre ce projet par l'intermédiaire d'organisations non gouvernementales qui utilisent un langage outrancier ou encore d'entamer des pourparlers auprès des ministères des Affaires étrangères d'autres pays pour nous monter un coup contre les États-Unis.

    Certes, le message est important, mais la façon de le communiquer l'est tout autant. Il faut garder le sens des proportions. Bien sûr qu'il y a des désaccords, et il y en aura toujours. Personnellement, je demeure optimiste et je pense que nous pouvons composer avec ces différends.

¿  +-(0955)  

+-

    M. Lawrence O'Brien: Je ne saurais trop vous dire où je me situe. Il est certain que vous êtes davantage au coeur du sujet que moi. Mais je suis très préoccupé. Comme Canadiens, nous avons beaucoup à perdre dans une perspective économique et au chapitre de la protection du continent nord-américain.

    J'ai récemment entendu dire que si on ralentit le mouvement des camions à la frontière de seulement une minute chacun, cela détruira le commerce entre nos deux pays. Il y a donc bien d'autres choses outre ce dont nous avons discuté ce matin qui pourraient avoir un effet paralysant sur notre pays, car il a une grande superficie mais est peu peuplé. J'estime que nous avons davantage besoin des Américains que les Américains ont besoin de nous. J'ignore si j'ai raison, mais c'est l'impression que j'ai parfois.

+-

    Le président: Pourriez-vous répondre brièvement?

+-

    M. David Rudd: Oui, monsieur le président.

    En théorie, vous avez raison. Ces désaccords nuiront-ils à l'économie du Canada? Lawrence Martin a écrit une chronique dans le Globe and Mail d'aujourd'hui dans laquelle il affirme que nos désaccords avec les États-Unis n'auront aucune incidence sur notre économie. Je ne suis pas tout à fait d'accord. Ainsi, il est important d'assurer la sécurité à la frontière, ne serait-ce que parce que c'est dans notre intérêt. Nous devons témoigner du respect pour les préoccupations des Américains en matière de sécurité—pas nécessairement de la déférence, mais certainement du respect. Je crois que c'est pour cela que nous sommes allés en Afghanistan à l'origine et que nous y sommes retournés. Ce n'est pas simplement pour aider notre allié américain, c'est parce qu'il est dans notre intérêt national de rester engagés.

+-

    Le président: Merci, monsieur Rudd.

[Français]

    Monsieur Bachand, pour sept minutes.

[Traduction]

+-

    M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ): Vous travaillez à l'Institut canadien des études stratégiques. Vous nous avez dit que nous pouvions vous poser n'importe quelle question, sauf en ce qui a trait à l'issue du match des Maple Leafs de demain. Je vous demanderai donc si vous croyez que Ralph Klein se joindra au Bloc québécois un jour.

    Des voix : Oh, oh!

À  +-(1000)  

[Français]

+-

    M. David Rudd: J'en doute, mais on verra.

+-

    M. Claude Bachand: Vous avez beaucoup parlé de coopération. Nous sommes en train de faire une étude sur les relations canado-américaines du côté militaire, et beaucoup de questions ont été soulevées ici sur le sujet de la souveraineté du Canada. Mais moi, j'aimerais vous poser une autre question. Comment pensez-vous que les Américains perçoivent les Canadiens actuellement? Je veux vous renvoyer à un texte intéressant qui a été écrit il y a quelque temps. Je vais vous le lire en anglais:

[Traduction]

Tout cela résulte en une approche perceptible mais plutôt exaspérante en matière de politique. Devant une crise internationale, surtout une crise pouvant entraîner des pertes de vies canadiennes et des pertes pour le Trésor, suivons les règles suivantes : 1) en dire le moins possible; 2) rester cachés, laisser les ministres s'adresser aux médias et au public le plus possible; 3) ne pas tenter de façonner l'opinion publique, mais plutôt se laisser diriger par elle; 4) arrêter sa position au tout dernier moment. À cela, on pourrait ajouter 5) s'il est décidé de s'engager dans un effort international, faire le moins possible.

Ces propos vous sont certainement familiers parce que c'est vous qui les avez tenus dans un article publié en février intitulé The Fog of (Phony) War.

[Français]

    Je voudrais savoir ce que vous pensez des politiques actuelles du gouvernement canadien, qui est dans le milieu, assis sur la clôture. Les Américains et les Européens se demandent où est le Canada. Est-ce que vous pensez que c'est une politique ou une position rentable? Elle peut être rentable politiquement, à cause des votes, car il faut faire attention quand on est en politique. Mais sur le plan de l'opinion internationale, ne pensez-vous pas que les Américains et les Européens peuvent se demander où se situe le Canada?

À  +-(1005)  

+-

    M. David Rudd: J'aime dire que dans le domaine des relations internationales, l'Europe joue aux échecs, l'Amérique joue au poker et le Canada joue au gin rami. Ça veut dire que les différences politiques entraînent des différences dans la culture de la sécurité. L'Europe, par exemple, a la capacité de considérer très soigneusement les résultats de chaque action. Les Américains n'ont pas cette capacité, à mon avis, mais ils jouent le jeu quand ils savent qu'ils ont une bonne main. Au Canada, je ne sais pas si nous avons une stratégie et je ne sais pas si c'est un choix du gouvernement actuel de ne pas avoir de stratégie, mais je pense que nous avons remplacé la stratégie par un style de politique. Ça, c'est notre style.

    Quant à la perception américaine, je ne suis pas sûr que le gouvernement américain fasse attention à notre politique ou à notre manque de politique. Bien sûr que les Américains voudraient que le Canada soit avec eux dans cette crise actuelle et dans toutes les autres crises, mais si les États-Unis veulent recruter le Canada, il y aura un prix. Je ne suis pas sûr que les Américains soient prêts à payer ce prix, parce que la valeur du soutien canadien n'est pas très haute.

    Je vais continuer en anglais. Je parle français comme une vache espagnole. Malheureusement, je n'ai pas beaucoup l'occasion de le pratiquer.

[Traduction]

    La perception des Américains n'est pas vraiment un problème. N'oublions pas que, même si le Canada n'a pas adopté une position officielle, les Canadiens apportent quand même une aide marginale. Des navires canadiens sont dans la mer d'Arabie, et des troupes canadiennes retourneront en Afghanistan, bien que ce ne soit pas pour remplacer les troupes américaines. Mais l'effet de leur déploiement est très important, car il contribue à stabiliser ce pays, et c'est bon pour les États-Unis.

    Par conséquent, même si le premier ministre se laisse mener par l'opinion publique, refuse de prendre position et se contente d'en faire le moins possible, à Washington on estimera que les Canadiens ne sont pas restés silencieux et inactifs. Autrement dit, à Washington, on n'est peut-être pas ravi de l'envergure de notre participation, mais on s'inquiète beaucoup plus de ce qu'on pense au Royaume-Uni ou au Conseil de sécurité.

    Nous devons quand même nous inquiéter de la perception qu'ont les Américains du Canada dans une certaine mesure, parce que, comme l'a dit M. O'Brien, si les Américains n'ont qu'une perception négative de nous, nous en ferons les frais autant au point de vue économique que politique. Par conséquent,

[Français]

j'aimerais voir le remplacement de ce style de politique par une vraie stratégie, ce qui veut dire que le gouvernement a besoin de plus de courage et que le premier ministre, M. Chrétien, doit avoir le courage de ses convictions. Il a l'occasion d'avoir le courage de ses convictions parce que dans quelques mois, il sera parti.

[Traduction]

+-

    Le président: Merci, monsieur Rudd.

    Les ministériels ont-ils des questions? Non?

    Madame Wayne, vous avez sept minutes.

+-

    Mme Elsie Wayne (Saint John, PC): Monsieur Rudd, je suis certaine que vous savez qu'à mon avis, le budget de la défense est insuffisant, je l'ai dit assez souvent. Mais je me demande maintenant comment nous pourrons défendre notre territoire. Le budget de la défense ne prévoyait pas suffisamment d'argent pour les réserves. Comme vous le savez, nous avons dû réduire le nombre de réservistes. Comment croyez-vous que le Canada peut à l'heure actuelle défendre son territoire contre les terroristes? Quel rôle devrions-nous jouer? Que devrions-nous faire ici même pour protéger notre pays, pour protéger le Canada?

+-

    M. David Rudd: Pour protéger le territoire canadien, il faut d'abord se doter d'une politique étrangère éclairée, une politique qui tient compte des vues des autres et, surtout, qui vise à trouver les causes du terrorisme pour tenter de les éliminer. Ainsi, je ne crois pas que la résolution du conflit israélo-palestinien entraînera nécessairement la disparition d'Al-Qaïda, mais elle changerait les perceptions qui ont cours dans le monde musulman à mon sens, ce qui, du coup, mènerait à des efforts communs accrus pour éliminer le terrorisme. Tout cela serait bien sûr bénéfique pour la sécurité intérieure.

    Deuxièmement, n'oublions pas que la sécurité intérieure—vous ne serez pas étonnée de l'apprendre—n'est pas d'abord une fonction militaire. Elle fait intervenir les organismes d'application de la loi et nécessite des capacités robustes de contre-renseignement. En fait, je crois savoir que, dans les budgets précédents, des sommes avaient été réservées au Centre de la sécurité des communications ainsi qu'au Service canadien du renseignement de sécurité. Comme vous le savez, la sécurité intérieure, c'est aussi la gestion des conséquences du terrorisme, dans l'éventualité où la politique étrangère a échoué et que des éléments radicaux ont trompé la vigilance des services de contre-renseignement et d'application de la loi.

    Il faut être en mesure de gérer ces conséquences. Pour ma part, j'estime que les réserves peuvent jouer un rôle important à cet égard. C'est bien sûr une idée controversée au sein de la communauté de la réserve, comme vous le savez sans doute. Pour des raisons compréhensibles, la réserve veut rester une force de renfort pour l'Armée régulière, la Marine régulière et la Force aérienne. Mais puisqu'il est si difficile d'amener les réservistes à quitter leur emploi et le pays, j'estime qu'ils pourraient jouer un rôle au sein de nos collectivités, un rôle de gestion des conséquences du terrorisme. Ainsi, on pourrait les former à la défense nucléaire, biologique et radiologique. Cela m'apparaît tout à fait faisable.

    J'ignore si une part de ces 800 millions de dollars supplémentaires servira à restructurer la réserve, et je ne suis pas certain...

À  +-(1010)  

+-

    Le président: Cela n'a pas encore été décidé.

+-

    M. David Rudd: Pas encore? Merci de me le signaler, monsieur le président.

    Nombreux sont ceux qui réclament cet argent et j'ignore quelle somme servira à restructurer la réserve, mais je crois qu'on pourrait prévoir un rôle pour la réserve de l'Armée de terre—qu'on appelle aussi la Milice—dans la défense de notre territoire. Il y a bien sûr un obstacle financier. De plus, comme les membres du comité le savent, la Milice a un grand pouvoir politique et ses colonels honoraires ne veulent surtout pas que leur unité disparaisse. Quelqu'un—votre comité, le ministre ou le premier ministre—devra établir clairement que les réserves sont une ressource nationale. Elles pourraient être déployées au niveau communautaire, mais elles constituent une ressource nationale. Par conséquent, il ne faut pas laisser les guerres de clocher freiner la restructuration et la réforme des réserves.

    Tout cela pour vous dire que, en effet, j'estime que les réserves peuvent jouer un rôle dans la défense du territoire. Ce serait tout à fait logique, car les réserves ont des liens avec les collectivités. J'espère bien sûr qu'il n'y aura pas d'autres actes de super-terrorisme à l'avenir, mais s'ils se produisent, ce ne sera pas à Flin Flon au Manitoba, mais bien dans les régions urbaines. Par conséquent, il est crucial de conserver nos capacités de réserve dans les centres urbains et près des centres urbains.

+-

    Mme Elsie Wayne: À votre avis, pourquoi George Bush se concentre-t-il tant sur l'Irak alors qu'on n'a qu'à allumer la télévision pour voir des reportages sur la Corée du Nord et toutes les armes et les missiles nucléaires dont elle dispose? Pourquoi Bush s'intéresse-t-il plus à l'Irak qu'à la Corée du Nord?

+-

    M. David Rudd: C'est attribuable à deux ou trois choses. Premièrement, il faut désarmer un pays avant qu'il ne fasse l'acquisition d'armes de destruction massive, et non pas après. Nous croyons que la Corée du Nord a au moins deux armes nucléaires et de deux à quatre millions d'hommes sous les armes et assez près de Séoul, la capitale sud-coréenne. Par conséquent, la situation en Corée du Nord est plus problématique que celle de l'Irak. Deuxièmement, il n'y a pas de résolution du Conseil de sécurité de l'ONU exigeant le désarmement de la Corée du Nord. En revanche, des résolutions du Conseil de sécurité, certaines ayant été adoptées il y a plus de 10 ans, exigent le désarmement de l'Irak.

    Moi aussi, je m'inquiète de ce qui se passe en Corée du Nord et de ce que fera Kim Jong-il. Toutefois, les discours émanant de Pyongyang depuis quelque temps ressemblent, si j'ose dire, aux pleurnichements d'un enfant gâté qui recherche de l'attention. La Corée du Nord a très peu de pouvoir sur les États-Unis et l'inverse est aussi vrai. Je ne crois pas que les dirigeants nord-coréens veuillent véritablement faire face à une attaque. Ils se contenteront donc de tenir des propos belliqueux sans joindre le geste à la parole.

+-

    Mme Elsie Wayne: Merci, monsieur.

+-

    Le président: Merci, madame Wayne.

    Monsieur McGuire, vous avez sept minutes.

+-

    M. Joe McGuire (Egmont, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Certains témoins ont dit que, peu importe ce que dit le premier ministre ou non, peu importe ce qu'on dit dans les médias pour ou contre notre position, si les États-Unis déclarent la guerre à l'Irak, nous devrons inévitablement nous joindre à eux. C'est ce qui s'est passé lors de la Deuxième Guerre mondiale; comme l'a si bien dit Stephen Leacock, nous n'avions d'autre choix que d'aider la Grande-Bretagne.

    Essentiellement, on fait valoir que nous n'aurons pas d'autre choix que d'aider notre plus important partenaire commercial, notre voisin, nos cousins, quel que soit le nom qu'on leur donne, et que toutes ces discussions ne sont qu'une perte de temps, car lorsque les États-Unis attaqueront l'Irak, nous devrons emboîter le pas. On prétend aussi que les Américains nous menaceront peut-être de sanctions économiques si nous ne nous joignons pas à eux, qu'ils ralentiront le passage de nos semi-remorques à la frontière d'une minute par camion et qu'ils démoliront notre économie; quoi qu'on en dise, nous devrons donc participer à l'effort de guerre.

    Que pensez-vous de ce point de vue?

À  +-(1015)  

+-

    M. David Rudd: Je ne suis pas entièrement d'accord, monsieur McGuire. Retournons un peu en arrière : Stephen Leacock a dit que si la Grande-Bretagne déclarait la guerre, le Canada en ferait autant. Leacock parlait alors d'un Canada sensiblement différent du Canada contemporain. Avant la Première et la Deuxième Guerre mondiale, comme nous le savons, les habitants de notre pays étaient surtout d'origine britannique. Des liens non seulement politiques mais aussi émotifs nous liaient à la mère patrie. Or, de nos jours, les Canadiens ne sont pas en majorité d'origine américaine.

    Nous avons collaboré dans bien des domaines, mais les affinités culturelles entre le Canada et les États-Unis ne nous amènent pas nécessairement à embrasser la cause américaine dans tous les dossiers. D'ailleurs, vous savez qu'il y a une forte tendance nationaliste au Canada qui rejette à peu près tout ce qui vient de Washington. Je ne crois donc pas que le passé soit garant de l'avenir.

    Pour ce qui est des représailles auxquelles nous devrions peut-être faire face si nous faisons bande à part, n'oublions pas que la relation économique entre nos deux pays est mutuellement avantageuse et, de ce fait, se régularise d'elle-même. M. O'Brien a raison de dire que les Américains n'ont pas autant besoin de nous que nous d'eux, mais ils ont quand même besoin de nous. Certains éléments de l'administration Bush aimeraient certainement qu'une brigade mécanisée accompagne la 3e Division d'infanterie, mais n'oublions pas que nos relations commerciales ne sont pas nécessairement gérées par ces gens-là. Elles sont gérées par d'autres membres de l'administration qui n'établissent pas nécessairement un lien entre les deux questions, et, dans une certaine mesure, par des représentants des États et du secteur privé. Ces gens-là voudront maintenir les relations commerciales avec nous, que nous allions au Moyen-Orient ou non.

    Je ne crains pas vraiment que le Canada ne se joigne pas aux États-Unis si ceux-ci envahissent l'Irak. Si l'ONU donne son accord, nous interviendrons d'une façon ou d'une autre. Si les États-Unis décident d'agir unilatéralement, nous n'interviendrons probablement pas. Mais j'en reviens à ce que je disais plus tôt sur la présentation du message : je ne crois pas que nous nous lancerons dans une croisade publique contre les États-Unis, et cela pourrait atténuer les conséquences de ce désaccord. Cela ne signifie pas que les relations entre Ottawa et Washington ne seront pas tendues, mais pour les raisons que j'ai déjà mentionnées, ce ne sera pas catastrophique.

    La politique du premier ministre est peut-être donc la bonne, en ce sens qu'il préfère ne pas adopter de position officielle ou exprimer publiquement sa position. Peut-être que, grâce à son pragmatisme, il mènera ce dossier à bonne fin.

+-

    M. Joe McGuire: Oui, en effet.

    Vous avez dit plus tôt que le meilleur moment d'agir contre un État hors-la-loi ou aspirant à le devenir est avant qu'il ne puisse causer des dommages. Or, vous dites aussi que les États-Unis ne devraient pas lancer d'attaque préemptive sans l'aval de l'ONU.

+-

    M. David Rudd: Oui, je maintiens ce que j'ai dit.

    À mon sens, ce ne sont pas que les États-Unis mais toute la communauté internationale qui a intérêt à désarmer l'Irak, compte tenu du comportement de Saddam Hussein à l'endroit de son propre peuple et de ses voisins. On pourrait ainsi faire valoir que l'ONU tente au moins de prévenir le pire, d'agir avant que Saddam mette la main sur des armes nucléaires. Si j'étais Saddam Hussein, je ferais l'impossible pour faire l'acquisition d'armes nucléaires. C'est ce qui me permettrait d'écarter les États-Unis et de menacer mes voisins. En outre, bien peu de choses confèrent autant de prestige à un dictateur.

    Si les Américains croient avoir de bons arguments—et c'est peut-être le cas—je préférerais qu'ils agissent par l'entremise du Conseil de sécurité, ne serait-ce que parce que les pourparlers d'après-guerre se feront plus facilement avec l'appui du Conseil de sécurité. Dans le cas contraire, les États-Unis devront assumer toute la responsabilité, y compris celle de mettre des troupes en garnison en Irak et de reconstruire ce pays. Si l'ONU ou le Conseil de sécurité, y compris de grands États riches et ayant de l'influence, assumait une certaine part de responsabilité, ce serait bien mieux.

    Ai-je répondu à votre question? Sinon, je peux préciser ma pensée.

À  +-(1020)  

+-

    M. Joe McGuire: Une frappe préemptive constituerait essentiellement une violation du droit international, mais vous affirmez que ce serait acceptable pour prévenir...

+-

    M. David Rudd: Non, je ne prononce aucun jugement sur la légalité ou l'intérêt de la doctrine Bush. Eu égard à l'Irak, il ne s'agit pas nécessairement d'une frappe préemptive, il s'agit plutôt de désarmer l'Irak conformément au droit international, ainsi que l'exigent plusieurs résolutions du Conseil de sécurité. Le désarmement n'a pas eu lieu, en raison de la nature rebelle du régime de Saddam Hussein. Par conséquent, si des mesures sont prises, si les États-Unis interviennent en l'absence d'une autre résolution de l'ONU, on pourrait faire valoir qu'on ne fait qu'appliquer le droit international existant.

    C'est la pomme de discorde entre les États-Unis et certains pays européens qui estiment qu'il faudrait une résolution plus précise. On peut avancer des arguments en ce sens, mais on peut aussi souligner qu'il y a déjà un ensemble de résolutions autorisant une intervention immédiate. On n'est pas intervenu encore, parce que les États-Unis et surtout les Britanniques veulent agir sous l'égide du Conseil de sécurité et avec le soutien de tous ses membres.

+-

    Le président: Merci, monsieur McGuire.

    Monsieur Benoit, vous avez la parole pour cinq minutes.

+-

    M. Leon Benoit: Je vais m'éloigner un peu du sujet et vous demander de nous en dire plus sur ce concept de la frappe préemptive. Je vois mal comment une attaque des États-Unis contre l'Irak pourrait être considérée comme une frappe préemptive. Un cessez-le-feu est actuellement en vigueur en vertu de la résolution 687 de l'ONU. Si cette résolution s'applique encore, comment peut-on parler de frappe préemptive?

+-

    Le président: Je crois que M. Rudd abonde dans le même sens que vous, monsieur Benoit.

+-

    M. David Rudd: Oui.

+-

    M. Leon Benoit: C'est que je n'aime pas qu'on parle à la fois de frappe préemptive et de violation du droit international. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

+-

    M. David Rudd: Je suis d'accord avec vous. Je ne crois pas que la partie de la doctrine Bush prévoyant une frappe préemptive s'applique effectivement à l'Irak justement parce que les obligations en matière de désarmement ont déjà été énoncées plusieurs fois. Selon Hans Blix, l'Irak n'a toujours pas rempli ses obligations après 10 ou 12 ans; alors, oui, je conviens comme vous que ce ne serait pas une frappe préemptive.

    J'aimerais bien que la discussion puisse s'arrêter là, mais ce n'est pas le cas. Nous traitons ici de guerre et de paix. La barre doit être haute car s'il y a une guerre, il faudra en gérer les conséquences non seulement dans un pays mais dans toute la région. Je ne suis pas certain que l'administration Bush ait bien préparé la population américaine psychologiquement, politiquement ou financièrement aux répercussions d'une guerre éventuelle contre Saddam Hussein. Il semble qu'on ait un plan de gouvernance pour l'Irak d'après-guerre, mais je ne crois pas que la population américaine sache véritablement ce que cela implique.

À  +-(1025)  

+-

    M. Leon Benoit: Oui, je suis d'accord avec vous.

    En ce qui a trait au déploiement en Afghanistan, j'aimerais aborder des questions bien précises sur l'équipement, si j'en ai le temps. Sinon, j'y reviendrai plus tard. En Afghanistan...

+-

    M. David Rudd: Nos soldats porteront des uniformes roses.

+-

    M. Leon Benoit: C'est bien, j'aime le rose. C'est une jolie couleur. C'est une couleur bien choisie, en fait, car le sable est plutôt rosé.

+-

    Le président: Vous abordez là un sujet délicat.

    Des voix : Oh, oh!

+-

    M. Leon Benoit: Quoi qu'il en soit, j'estime que vous avez raison de dire que notre mission en Irak est importante. Mais je ne suis pas certain que ce soit le meilleur emploi de nos troupes au sol.

+-

    M. David Rudd: Excusez-moi, mais avez-vous dit l'Irak ou l'Afghanistan?

+-

    M. Leon Benoit: L'Afghanistan, pardon. Si j'ai dit l'Irak, je voulais dire l'Afghanistan. Merci de m'avoir corrigé.

    C'est une mission importante, mais je ne crois pas que ce soit la mieux choisie. Le gouvernement aurait dû il y a longtemps déployer des troupes au sol dans toute la région irakienne; cela aurait contribué à l'effet de dissuasion. Ce n'est pas que nos seules troupes seraient suffisamment nombreuses pour avoir un effet dissuasif, mais nous parlons de nos relations avec les États-Unis et cela plairait certainement à nos voisins. Ce serait important car ça permettrait au Canada de maintenir le peu d'influence qu'il exerce dans d'autres pays tout en nous permettant de faire face aux problèmes les plus urgents.

    La meilleure façon d'éviter la guerre est de mettre à contribution le plus de pays possible dans ce pré-déploiement et de créer ainsi le plus fort effet de dissuasion possible. C'est la seule chose qui a marché dans le passé. En 1995, lorsque Saddam se préparait à envahir de nouveau le Koweit, c'est l'arrivée de troupes en masse qui l'a arrêté. C'est l'arrivée en masse de troupes sur sa frontière l'an dernier qui l'a convaincu de laisser entrer les inspecteurs. Cela marche dans son cas. Ce qui m'inquiète, c'est que de trop nombreux pays ont négligé cette mesure. Avec la France, l'Allemagne et la Belgique qui laissent croire à Saddam qu'il peut encore s'en tirer à bon compte, la situation est très malsaine.

    Pour en venir à la mission en Afghanistan, je ne crois pas que ce soit la mieux choisie. Ce n'est pas la seule raison. N'oublions pas que c'est une mission extrêmement dangereuse pour les troupes canadiennes. C'est un environnement où la guérilla s'est avérée très efficace. Déjà il y a des luttes entre différents camps en Afghanistan. Si des Canadiens se retrouvent coincés entre les différents camps, la situation sera intenable. Je m'inquiète aussi pour cette raison.

    La question que je me pose est donc de savoir comment nous allons pouvoir envoyer nos troupes là-bas, en Irak ou en Afghanistan.

+-

    Le président: Monsieur Benoit, je suis désolé, mais vous devrez reposer votre question plus tard, car votre temps est écoulé.

    Peut-être que M. Benoit pourra vous reposer sa question plus tard, monsieur Rudd.

    Je cède maintenant la parole à M. Grose, pour cinq minutes, et je rappelle aux députés que s'ils utilisent tout leur temps de parole pour poser leur question, ils n'auront pas de réponse.

+-

    M. Ivan Grose (Oshawa, Lib.): Monsieur Rudd, vous avez fait allusion à l'inquiétude que soulève le retour éventuel des seigneurs de la guerre et de la reprise de la culture du pavot en Afghanistan. C'est en effet inquiétant, et c'est déjà ce qui se passe : les seigneurs de la guerre ont repris le contrôle et la culture du pavot. L'Afghanistan est redevenu l'Afghanistan.

    Nos troupes y retournent. Nous avons des troupes qui sont actuellement terrées à Kaboul et celles qui les remplaceront ne feront pas mieux; elles contrôleront la circulation et pourchasseront les voleurs à la tire. N'ayons pas peur des mots : nos troupes n'osent pas s'aventurer dans la campagne. De toute façon, à quoi cela servirait-il? L'Afghanistan ne comprend pas la démocratie. Il nous faudra les tuer tous pour les convaincre que la démocratie est une bonne chose.

+-

    M. David Rudd: J'espère que vous ne me posez pas là une question.

+-

    Le président: Monsieur Grose, vous devriez peut-être faire attention à ce que vous dites.

+-

    M. Ivan Grose: Les Américains l'ont bien fait au Vietnam, même si ça n'a pas tout à fait marché. Mais revenons plutôt à nos moutons, soit la collaboration avec les Américains.

    Jamais au grand jamais pourrons-nous avoir un effectif à 10 p. 100 de celui des Américains, et du matériel équivalant à 10 p. 100 de celui des Américains. Étant donné nos populations respectives, c'est ce qui devrait être, mais les Canadiens n'en veulent pas.

    Ici, on semble régler les choses à la va-comme-je-te-pousse. Un peu de ceci ici, un peu de cela là, nous nous éparpillons et il n'y a rien que nous fassions très bien. Nous avons deux frégates dans le Golfe, et trois vieux Hercules vétustes, et quelques avions patrouilleurs. Nous avons des soldats en Bosnie, et maintenant, nous en enverrons en Afghanistan. Nous avons des effectifs de maintien de la paix partout dans le monde, à 10 ou 15 par groupe. Nous faisons un peu de tout, mais rien, très bien.

    Ce n'est pas facile pour moi de le dire, mais peut-être devrions-nous nous concentrer sur une seule chose. Peut-être un groupe militaire à déploiement rapide, pour des interventions de choc. Oublions l'aviation, oublions les CF-18. Les gens de l'aviation m'en voudront à mort d'avoir dit ça. Peut-être qu'ils me libéreront complètement, au lieu de me transférer constamment d'une réserve à l'autre. J'en suis à Z.

    Notre pays n'a ni les moyens, ni l'intention de faire ce que tout le monde veut que nous fassions. Alors choisissons cette option : les Américains seraient tout à fait ravis de nous transporter où il faudra, dans leurs C-17, si nous créons ce groupe. Nous pourrions aussi leur louer des avions, pour nos propres opérations, ou alors, en louer de l'Ukraine. Mais concentrons-nous sur ce que nous pouvons bien faire.

À  +-(1030)  

+-

    M. David Rudd: Au sujet de l'Afghanistan, je serai très bref. Oui, les seigneurs de la guerre ont repris le dessus et la culture du pavot renaît. Ce que je voulais dire, c'est ce que ce sont les conflits entre les seigneurs de la guerre et non leur simple existence qui ont permis au Taliban de prendre le pouvoir. Pour assurer la stabilité du pays, il s'agit peut-être d'empêcher les seigneurs de la guerre de trop se quereller, en évitant ainsi un éventuel retour du gouvernement taliban.

    Ce sont les Talibans qui ont stabilisé le pays, ce qui plaisait au peuple, au début. Le peuple ne savait pas que les Talibans seraient si conservateurs, et faisaient bon accueil à la stabilité. Offrons à ce peuple la stabilité, sans qu'ils espèrent un retour de groupe islamiste excentrique qui ouvrira la porte à Ousama ben Laden et compagnie. C'est ce que je voulais dire.

    Au sujet de l'avenir des forces armées, à ma dernière comparution devant votre comité, en novembre 2001, j'ai proposé une option pour le Canada. C'est l'une des trois options dont je vais traiter tout de suite. Ne faire qu'une chose peut signifier qu'on aura une armée, mais d'autres diront que cette chose sera le maintien de la paix, à l'exclusion de toute autre activité, et que toutes nos ressources y seraient consacrées, par exemple. Bien franchement, je ne suis pas d'accord avec eux. En choisissant cette option, on dit aux Nations Unies qu'en cas de crise internationale majeure, on ne pourra pas compter sur nous pour quoi que ce soit.

    Voici une option à envisager pour la transformation—encore ce mot—des Forces canadiennes. Lorsqu'il y a une crise, au Canada ou à l'étranger, peut-on reconnaître qu'en général, c'est sur la terre ferme? Habituellement. Pour maîtriser la situation, calmer la situation, régler les problèmes, c'est sur la terre ferme qu'il faut être. Une fois acceptée cette leçon de réalité, demandons-nous s'il est possible ou souhaitable pour le Canada de consacrer davantage de ressources à l'armée, régulière comme de réserve, même si c'est aux dépens des deux autres services? Peut-être bien. Il faut peut-être songer à faire un peu comme les Néo-Zélandais.

    En Nouvelle-Zélande, on consacre davantage de ressources à l'armée, puis on investit dans l'aviation et la marine en soutien direct aux forces terrestres. Cela pourrait signifier que les CF-18 ne seront pas remplacés, ou qu'ils seront remplacés par des aéronefs de transport. S'ils ne nous emmènent pas quelque part, des alliés pourraient nous demander de les louer. Peut-être qu'on pourrait remplacer les destroyers de classe tribal par d'autres navires de soutien. Autrement dit, on investirait dans des moyens de transporter et d'appuyer l'armée. Étant donné nos ressources et l'argent qu'on obtiendra à l'avenir, il faut envisager ce type de démarche radicale pour la transformation des forces armées.

+-

    Le président: Monsieur Rudd, je vais devoir vous interrompre.

    Merci, monsieur Grose.

    Je donne la parole à M. Bachand, qui a cinq minutes.

[Français]

+-

    M. Claude Bachand: Merci, monsieur le président.

    Naturellement, nous sommes à la recherche d'une plus grande coopération avec les Américains, mais il y a toujours des concepts qui tournent autour de cela. La souveraineté en est un, de même que la sécurité et les capacités de l'armée canadienne. Ce que M. Grose vient de soulever est très intéressant parce que les généraux eux-mêmes se rendent compte qu'il n'y pas beaucoup de sommes investies. Certains commencent à me dire que, tout compte fait, il n'est peut-être pas nécessaire d'avoir une armée, une marine et une aviation parce c'est juste de la frime et que nos avions ne sont plus efficaces. J'aimerais voir avec vous s'il n'y aurait pas une autre option dans le cadre d'une coopération Canada--États-Unis.

    Les Américains ont longuement jonglé avec l'idée d'une forteresse nord-américaine. Je me demande comment ils réagiraient si on leur disait qu'on n'est pas capables de les accompagner partout dans le monde, qu'on n'est plus capables de soutenir le nombre de rotations qu'on fait dans nos missions de paix, etc., et   qu'à partir de maintenant, s'il sont d'accord, on va mettre toutes nos forces à contribution pour maintenir la sécurité en Amérique du Nord. Ce que je veux dire, c'est qu'on assumerait notre territoire complètement et qu'on garderait nos armées telles quelles sont. Au lieu de spécialiser l'armée aux dépens de l'aviation et de la marine, on la garderait telle qu'elle est, mais on s'assumerait complètement et on aiderait les Américains aussi. On serait prêts à patrouiller sur la côte ouest, la côte est, dans leurs eaux territoriales pour leur donner un coup de main. On sait que la sécurité est devenue très importante aux États-Unis. On dirait aux Américains d'aller faire les grosses jobs dans le monde, alors que nous nous occuperions de notre sécurité au Canada et offririons aux Américains notre appui pour la défense des côtes, de l'air et du territoire, et avec le peu de troupes que nous avons, nous nous assumerions. N'est-ce pas une option qui pourrait aussi être intéressante?

À  +-(1035)  

+-

    M. David Rudd: C'est une option, bien sûr, et c'est peut-être un choix raisonnable, étant donné les dépenses militaires actuelles. Nous n'avons pas beaucoup d'options. Nous avons tant de buts et tant de rêves, mais pas beaucoup d'options. Cette option en particulier, à mon avis, est raisonnable. La structure des Forces canadiennes serait très différente. Les capacités aérienne et maritime seraient les plus importantes, et l'armée terrestre deviendrait une force légère, peut-être composée en particulier par les forces de réserve, par exemple.

    Mais cette option pose des problèmes pour le Canada parce que nous avons une culture politique, une culture de sécurité qui est beaucoup plus internationale. La politique étrangère canadienne devrait dire que nous allons d'abord mener à terme nos intérêts engagements internationaux. Les questions économiques internationales présentent toujours un intérêt pour nous, mais notre rôle sur le plan international serait davantage relié à la sécurité. Je pense que ça poserait des problèmes pour n'importe quel gouvernement et pour la population en général, parce que notre tradition en matière de politique étrangère demande, je crois, que nous gardions la capacité d'influencer les événements à l'étranger. C'est une option et elle est raisonnable au niveau de la Défense. Disons qu'elle est raisonnable sur le plan militaire et économique. Je ne suis pas sûr qu'elle le soit sur le plan politique. Est-ce que cela répond à votre question?

+-

    M. Claude Bachand: Très bien, oui. Merci.

[Traduction]

+-

    Le président: Merci, monsieur Bachand.

    Y a-t-il des questions du côté ministériel?

    Monsieur Grose, vous êtes le premier.

+-

    M. Ivan Grose: Vous avez parlé des CF-18, l'une de mes bêtes noires. Je me suis opposé à leur achat dès le départ. Il s'agit d'avions de chasse embarqués qui ne peuvent pas s'éloigner d'une piste d'atterrissage. Il a fallu créer des postes d'avitaillement partout dans le Nord, pour qu'ils puissent y trouver du carburant, au cas où un avion ennemi passe, et qu'on ait à l'attaquer. La seule fois où ils ont été vraiment utiles, c'était en Bosnie. Ils ont épuisé toutes nos bombes, et je ne pense pas que nous les ayons remplacées.

À  +-(1040)  

+-

    M. David Rudd: On s'en est servi aussi dans la guerre du Golfe, en 1991.

+-

    M. Ivan Grose: Qu'ont-ils fait, pendant la guerre du Golfe? Un pilote a été envoyé devant la cour martiale parce qu'il s'en est pris à un bateau patrouilleur irakien, avec un missile air-air. Autrement, ils n'ont rien fait.

+-

    M. David Rudd: Monsieur le président, j'aimerais répondre, ensuite.

+-

    M. Ivan Grose: Ils ont patrouillé un peu partout dans le golfe.

    Quoi qu'il en soit, pour revenir à ce que je disais plus tôt, nous prenons des décisions au petit bonheur, nous nous éparpillons et accomplissons bien peu de choses, sinon rien. Je ne suis pas d'accord avec M. Bachand, vous avez raison, cela nous ferait perdre l'influence que nous avons sur la scène internationale. Faute de pouvoir aller où que ce soit, nous ne pourrions pas faire partie de conseils internationaux. Il faut avoir une force quelconque pour aller quelque part.

    Je pense que la comparaison avec la Nouvelle-Zélande ne tient pas, puisque ce pays est fin seul au milieu de nulle part, qu'il doit se protéger lui-même et transporter ses propres troupes. Nous sommes voisins d'un pays qui a toutes sortes de moyens de transport. Peut-être pas du côté naval, puisqu'il loue des bâtiments, mais il dispose certainement d'aéronefs de transport lourd. Nous pourrions recourir à leur matériel ou en louer, quelque part. Cette force de l'OTAN aura un parc d'aéronefs. Mais je crois qu'il faut nous concentrer sur une force plus compacte, mieux formée, mieux équipée, de petite taille, endurcie et prête à partir. Dites-moi ce que vous en pensez. C'est ce que je veux. Si vous voulez en plus des avions et des navires, c'est bien, mais il faut respecter les moyens dont nous disposons.

+-

    M. David Rudd: Je comprends et je suis d'accord avec vous.

    Au sujet des CF-18, les patrouilles aériennes de 1991 étaient alors plus importantes qu'elles ne le seraient aujourd'hui, puisque l'Irak disposait d'une aviation. Il fallait donc des patrouilles aériennes de combat, pour escorter les bombardiers.

+-

    M. Ivan Grose: Eh bien, ils sont allés en Iran, mais, de toute façon...

+-

    M. David Rudd: Je sais, mais les choses auraient pu tourner autrement. Nous ne savons vraiment pas ce qu'ils auraient fait.

    Je suis désolé, mais j'essaie de trouver la question que vous posiez.

À  +-(1045)  

+-

    Mr. Ivan Grose: Ce n'était pas une question, mais une déclaration. Je voulais votre réaction à cette déclaration.

+-

    M. David Rudd: Ah, bien.

    Vous voulez quelque chose de petit, endurci et rapide? Bien. C'est peut-être la raison pour laquelle le gouvernement a décidé—ou ordonné, je crois—qu'on double la taille du commando de la Force opérationnelle interarmées 2. Je me souviens qu'à ma dernière comparution, Cheryl Gallant, je crois, m'avait demandé si c'était une bonne idée. Je pensais que oui à l'époque, mais plus maintenant. Le Canada ne manquait pas de forces spéciales avant le 11 septembre, pas plus que maintenant. Nos maigres ressources doivent être consacrées aux services qui nous donnent le maximum de souplesse.

    La FOI 2 c'était bien, mais s'il faut choisir entre investir dans un commando et dans l'infanterie régulière, j'opterais tout de suite pour l'infanterie régulière. En plus de la capacité de combat, l'infanterie régulière vous donne la possibilité d'opérations d'appui à la paix, et aussi celle d'envoyer ses soldats à Winnipeg, transporter des sacs de sable et diverses autres activités du genre. On n'y emploierait pas les forces spéciales. L'infanterie régulière, les effectifs des blindés et même l'artillerie sont plus polyvalents.

    Je me demande si la stratégie non avouée à long terme du gouvernement est de convertir l'armée canadienne, par exemple, en un seul grand commando. Ce serait une erreur.

    Au sujet du transport aérien, il faut avoir le nôtre, pour une raison toute simple. Peu de gens savent que les États-Unis n'ont pas une capacité de transport aérien suffisante, même en temps de paix. Quand survient une crise, qui est le premier à sonner à la porte de l'Ukraine, pour louer ses avions de transport privé? Ce n'est pas nous, mais les Américains, les Britanniques et les Français. Avec à peine une demi-douzaine de C-17, par exemple, on pourrait transporter jusqu'à un théâtre d'opération, très rapidement, un petit groupe de combat ou un bataillon. Cela nous permettrait aussi de transporter du matériel de secours en cas de catastrophe, que ce soit au Canada ou à l'étranger.

    Et si toute la capacité n'est pas employée en même temps, il faut garder en tête que ces gens-là sont toujours à l'entraînement. Autrement, quelqu'un pourrait aussi nous demander de louer l'un de nos aéronefs. C'est certain. Cela représenterait un bon entraînement pour nos pilotes et aussi des revenus pour la location des avions. C'est ce que font les Américains, en nous facturant pour les avions qui ont transporté nos soldats en Afghanistan.

    Monsieur Benoit, je ne sais pas comment nous nous rendrons en Afghanistan, étant donné que le transport aérien américain est occupé non seulement avec son propre déploiement dans ce pays, mais aussi pour l'ensemble du golfe Persique. Je ne sais vraiment pas.

+-

    Le président: Je dois vous interrompre, mais il importe de se rappeler que le déploiement en Afghanistan n'aura lieu que dans six ou sept mois. Ce sera à mon avis une bonne occasion de recourir à des navires.

    Je donne maintenant la parole à Mme Wayne, qui a cinq minutes.

+-

    Mme Elsie Wayne: Je vais parler de tout autre chose, maintenant. Vous êtes sans doute au courant de ce qui est arrivé à Badger, à Terre-Neuve. Je vous rappelle que lorsque ce genre de chose se produit dans l'Ouest, on envoie les forces armées. Quand on a des problèmes ailleurs au Canada, comme c'est arrivé à Toronto et à Chicoutimi, on envoie les forces armées. Mais là? Avez-vous vu des forces armées à Badger, Terre-Neuve, pour aider les sinistrés?

+-

    M. David Rudd: Non, madame.

+-

    Mme Elsie Wayne: Non, pas un seul tout petit soldat n'y est allé.

    Une voix : Le gouvernement provincial ne l'a pas demandé.

+-

    M. David Rudd: C'est ce que je me demandais. Je crois que le gouvernement provincial ou les autorités civiles doivent présenter une demande. Que je sache, aucune demande de ce genre n'a jamais été rejetée.

+-

    Mme Elsie Wayne: Je me demande et Lawrence le sait peut-être : À Badger, Terre-Neuve, Dieu les bénisse, ils ne savent peut-être pas comment procéder.

+-

    Le président: Madame Wayne, nous allons...

+-

    Mme Elsie Wayne: J'ai une véritable préoccupation. Je n'ai rien vu d'aussi grave et d'aussi horrible que ce qu'ont vécu ces gens-là.

+-

    Le président: Madame Wayne, je n'aime pas interrompre les députés lorsqu'ils posent des questions, mais nous avons déjà un mandat assez large, au sujet des relations entre le Canada et les États-Unis en matière de défense. Nous l'avons vu, dans certaines questions se rapportant à l'Irak et à la Corée du Nord. Mais je crois que Badger, cela nous éloigne un peu de notre sujet.

+-

    M. David Rudd: Monsieur le président, on pourrait dire qu'il y a une pertinence, par rapport à la défense de notre territoire. Il m'arrive souvent d'associer deux sujets qui ne semblent pas être reliés, mais je crois...

+-

    Le président: Monsieur Rudd, si vous voyez un lien, n'hésitez pas.

+-

    M. David Rudd: Je le répète, quand l'armée reçoit une demande d'aide, elle y accède presque toujours. Voilà, je crois, pourquoi il importe de garder des forces terrestres assez robustes et polyvalentes, composées d'effectifs réguliers et de réservistes, ayant les qualités nécessaires. Il ne s'agit pas simplement de soldats d'infanterie qui déplacent des sacs de sable, mais aussi de services de génie et de capacités techniques. Monsieur le président, je crois que l'un des problèmes des dernières années, c'est notre incapacité de recruter et de garder des gens qui ont ces compétences.

+-

    Mme Elsie Wayne: En effet.

    Merci beaucoup.

+-

    Le président: Merci, madame Wayne.

    Monsieur O'Brien, vous avez la parole.

+-

    M. Lawrence O'Brien: Je suis certainement d'accord avec Elsie. Je la remercie d'avoir soulevé la question et je remercie David d'avoir trouvé le lien et d'avoir cassé la décision du président.

    Des voix : Oh, oh!

+-

    M. David Rudd: Cette fois-là, je suis allé vraiment très loin.

+-

    M. Lawrence O'Brien: Ce n'est rien.

    Quoi qu'il en soit, dans un autre ordre d'idées...

+-

    Le président: Nous apprécions l'habileté, à ce comité.

+-

    M. Lawrence O'Brien: Je suis d'accord avec le témoin quand il dit qu'il faut favoriser les troupes terrestres et augmenter leur importance, priorité. Depuis le 11 septembre , on a aussi songé à revoir l'importance de l'aviation, pour protéger les grands centres du pays. J'aimerais savoir ce que vous en pensez.

    Par ailleurs, j'aimerais parler de la Garde côtière canadienne, qui relève maintenant du ministère des Pêches et des Océans, alors qu'aux États-Unis, elle relève du ministère de la Défense. J'établis souvent ce parallèle, parce que je suis un député de climat maritime et parce que je m'occupais de ces questions. J'ai passé sept ans au Comité des pêches. Il me semble de plus ne plus que la Garde côtière est plus étroitement liée à la défense qu'à... il est vrai qu'elle fait de la recherche et sauvetage, entre autres choses, mais on le fait aussi à la Défense nationale, avec les Griffin à Goose Bay, les Cormorant, etc. Il y a un lien et j'aimerais savoir ce que vous en pensez.

+-

    M. David Rudd: Vous avez tout à fait raison. Comme je le disais en réponse à Mme Wayne, il y a quelques instants, la défense du territoire national, c'est plus que des tâches manifestement militaires. D'autres ministères y participent aussi, nous le savons. Je suis bien content qu'on ait accordé un peu d'aide financière à la garde côtière, dans le dernier budget. J'aurais voulu que ce soit davantage.

    Je vous avoue ne pas vraiment savoir quels ministères ont une flotte, en dehors de la marine. Il y a la garde côtière, mais est-ce que le MPO a aussi une flotte?

À  +-(1050)  

+-

    M. Lawrence O'Brien: Elles sont fusionnées.

+-

    M. David Rudd: Elles sont fusionnées.

    À une époque, la GRC avait aussi des navires. En a-t-elle encore?

+-

    M. Lawrence O'Brien: Encore quelques petits bateaux, mais seulement pour...

+-

    M. Joe McGuire: La garde côtière appartient à Pêches et Océans.

+-

    M. David Rudd: La garde côtière relève du MPO.

+-

    M. Lawrence O'Brien: Tout à fait.

+-

    M. David Rudd: Très bien. Merci pour ces éclaircissements.

    En parlant de défense du territoire national, il est peut-être temps de songer brièvement aux risques auxquels il est exposé, monsieur le président. Certains d'entre eux peuvent aussi menacer les États-Unis, mais quand on parle de sécurité nationale, c'est un concept assez large. Pour les Canadiens, est-ce que la sécurité nationale englobe aussi, par exemple, l'intégrité de nos stocks de poissons? Qu'en est-il de la sécurité des ressources pétrolières en mer? La marine peut certainement contribuer à patrouiller, dans ces cas-là, mais je préfère envoyer un navire de 50 marins qu'une frégate qui en compte 225, et un hélicoptère en plus.

+-

    M. Lawrence O'Brien: C'est meilleur pour l'environnement. Tous ces rejets en mer, n'est-ce pas?

+-

    M. David Rudd: Exactement. Vous avez compris.

    Et qu'en est-il de l'aéronavale, et de la réduction du nombre de patrouilleurs Aurora, qui est passé de 18 à 16? Un jour, faute de personnel, il faudrait peut-être les remplacer par des drones équipés de caméras. Bien entendu, il ne pourrait pas lancer... ah, peut-être, un missile Hellfire, mais ce n'est pas ce qu'il faut.

    La garde côtière et les autres ministères ont un rôle très important à jouer. Pour que notre discussion sur la sécurité nationale soit utile, il faut accorder davantage d'attention à ces ministères, sinon davantage de ressources.

    Ai-je répondu...?

+-

    M. Lawrence O'Brien: Non, je ne crois pas que vous ayez répondu à la question. Je voulais essentiellement savoir si la garde côtière doit rester où elle est, ou relever de la Défense nationale. Devrait-on avoir un guichet unique pour la défense du territoire national, plutôt que de la répartir entre divers ministères?

+-

    M. David Rudd: Que je sache, nous n'avons pas un guichet unique pour ce qui est de la protection du territoire...

+-

    M. Lawrence O'Brien: Non, nous n'en avons pas. Je vous demande si nous devrions en avoir un.

+-

    M. David Rudd: Faut-il en avoir? Non, je ne pense pas qu'il soit nécessaire de créer une autre bureaucratie. C'est la façon européenne de régler des problèmes, monsieur le président. Les Européens continentaux créent une bureaucratie et croient avoir réglé le problème. Pensons à l'Union européenne.

    À tout le moins, il faut améliorer la coordination entre les ministères. C'est ce que nous avons, dans une certaine mesure, pour la protection des infrastructures essentielles. Si vous me permettez cette réponse, toutefois, j'aimerais revenir à l'exemple que j'ai donné, soit les priorités fixées par la Nouvelle-Zélande.

    Avant de rédiger son dernier livre blanc sur la défense, le gouvernement de la Nouvelle-Zélande a fait quelque chose de fascinant à mes yeux. Il a considéré les menaces qui pouvaient venir de la mer et décidé que quelques ministères s'occupaient déjà de l'espace maritime. Il a voulu s'assurer d'avoir une vaste gamme de moyens, peu importe de quel ministère ils relevaient. Autrement dit, il voulait avoir la possibilité de patrouiller et de surveiller les approches maritimes, un travail que la garde côtière, principalement, pouvait faire de manière très rentable. Pour exercer une surveillance 12 mois par année, 24 heures sur 24, peu importe les conditions climatiques, un moyen rentable et efficace de le faire serait plutôt une chaîne de radars transhorizon à rétrodiffusion, sans personnel.

    Depuis cette étude, la Marine royale néo-zélandaise est plus petite qu'auparavant. Elle est tout de même très compétente. Elle a de nouveaux bâtiments plus polyvalents que les anciens, mais la Marine royale néo-zélandaise rétrécit parce que les menaces ne semblent pas être de nature militaire. En revanche, on augmentera l'importance des forces de la Garde côtière royale néo-zélandaise. C'est peut-être une chose que devrait envisager le Canada, dans quelques années, quand viendra le temps de remplacer des navires.

+-

    Le président: Merci, monsieur Rudd et monsieur O'Brien.

    Monsieur Benoit, vous avez cinq minutes.

+-

    M. Leon Benoit: Monsieur Rudd, vous avez déjà en partie répondu à la question que j'ai posée au sujet du transport de nos troupes et de leur matériel en Afghanistan—ou en Irak, d'ailleurs. Le président a dit qu'on pourrait les transporter par mer. C'est certes une possibilité, mais je ne vois pas trop par quel moyen. Avez-vous des commentaires à ce sujet, de même qu'au sujet de la mission en Afghanistan? J'ai déjà parlé de certaines de mes préoccupations, soit que le déploiement de troupes en Irak concorderait davantage avec le intérêts du Canada.

À  +-(1055)  

+-

    M. David Rudd: Au sujet du transport naval, en général, je trouve qu'il est plus important que le transport aérien. On peut ainsi transporter davantage de troupes et de matériel. Comme vous savez, on dit que nous devrions être rapides et légers. Quand on est rapides et légers, on arrive plus vite, mais une fois là, qu'arrive-t-il si la situation se corse et qu'on a besoin de forces plus lourdes? Pour ce volume, il n'y a que le transport maritime.

    Il y a deux types d'inconvénients au transport maritime, monsieur le président. Tout d'abord, pour un pays sans accès à la mer, le port le plus proche peut être à des centaines de milles. Tous les avantages peuvent être éliminés par le déplacement entre le port et la zone de crise.

    On peut aussi se tromper en nolisant des navires civils. Il y a un os, et savez-vous lequel? Ce sera de plus en plus difficile, avec le temps. En voici la raison. Les constructeurs de navires ne font plus des navires de taille moyenne, des navires garage, comme le GTS Katie, que nous connaissons tous. Ils optent plutôt pour de plus petits navires, ou pour d'énormes bâtiments, de type Maersk, qui ne peuvent entrer que dans les ports de grande importante, très bien équipés. C'est la raison pour laquelle les alliés de l'OTAN font ce qu'ils font. Dans une certaine mesure, ils recourent au transport maritime civil, mais toute leur marine construit maintenant des navires capables de transporter des véhicules, et, en outre, de les débarquer sur une plage. Beaucoup de ces forces armées ont aussi des corps d'infanterie qui peuvent être débarqués et soutenus par la Marine. Nous n'en avons pas, mais notre infanterie légère peut être transportée et équipée de cette façon.

    Quand on parle de transport maritime, il faut se pencher sur ce que ne produisent plus les constructeurs civils, mais aussi sur ce que font les alliés de l'OTAN pour leur propre marine.

    Comment se rendre en Afghanistan? Je le répète, c'est dans six mois. À ce moment-là, la guerre en Irak n'aura pas eu lieu ou pourrait être terminée. Même si elle est terminée, les États-Unis voudront encore y garder des effectifs et auront besoin de tout le transport aérien possible, y compris le transport nolisé accordé au soumissionnaire le plus offrant. Je ne sais donc pas comment nous nous y rendrons. Je crois que nous nous débrouillerons, mais je ne sais pas vraiment.

+-

    Le président: Y a-t-il autre chose, monsieur Benoit?

+-

    M. Leon Benoit: En fait, oui.

    Il me semble que si le Canada achetait des avions de transport stratégique, des C-17 sans doute, cela nous donnerait un énorme avantage. C'est le secrétaire général de l'OTAN qui a d'ailleurs, je crois, déjà signalé ceci. Si nous voulons que le Canada soit considéré comme un pays influent, j'imagine que du point de vue de l'achat de nouveaux matériels, ce serait probablement là où nous pourrions regagner une partie de notre stature. Qu'en pensez-vous?

+-

    M. David Rudd: Mesdames et messieurs, peu importe ce que sera notre politique de défense dans 10 ans, peu importe que le Canada demeure une force polyvalente et prête au combat, ou qu'il se contente d'un rôle de gendarme, il va nous falloir une infrastructure de transport aérien stratégique.

+-

    M. Leon Benoit: Et pas uniquement sous l'angle militaire, nous en aurons également besoin pour les opérations d'assistance, c'est exact.

+-

    M. David Rudd: Nous aurons besoin de cette infrastructure de transport aérien stratégique pour des raisons géographiques. Si nous nous risquons à participer à des opérations outre-mer, nous aurons toujours besoin d'une capacité de transport transocéanique, voire transcontinentale. Et si nous allons en Amérique latine qui est quand même relativement lointaine.

    Il nous faudra donc un mode de transport aérien stratégique peu importe lequel. J'imagine dans ces conditions que nous devrons nous demander ce qu'il faudra abandonner pour pouvoir l'obtenir. J'imagine que nous allons devoir abandonner une autre capacité pour pouvoir obtenir cet équipement, et c'est précisément là où nous nous heurtons à l'esprit de clocher entre services.

    Une autre chose aussi dont il faut se souvenir, c'est que nos alliés à l'OTAN s'attendent à ce que nous fournissions l'intendance nécessaire. Prenez le cas de l'engagement de Prague qui a été pris à ce sujet lors du dernier sommet de l'OTAN. L'OTAN avait alors déclaré que le transport stratégique—maritime et aérien, ainsi que le ravitaillement en vol—était précisément les éléments fondamentaux qui nous manquaient. Par conséquent, il faut effectivement en faire une priorité. De cette façon, vous pourrez conserver toute votre pertinence et avoir l'assurance d'être à la fois apprécié et pris au sérieux.

Á  -(1100)  

+-

    Le président: Merci monsieur Rudd et merci à vous monsieur Benoit.

    Si le comité y consent, M. McGuire aimerait poser une question.

+-

    M. Joe McGuire: Elle sera brève, monsieur le président.

    Les dépenses militaires américaines s'élèvent à environ 1 milliard de dollars par jour. Les Américains videraient notre budget en 13 jours. Comment pouvons-nous imaginer de nous lancer dans un processus de transformation avec un tel budget étant donné l'évolution du domaine et la technologie que cela suppose? Je pense que Claude a parfaitement raison. Peut-être devrions-nous plutôt nous concentrer sur...

+-

    M. David Rudd: En effet, peut-être.

    Je pense que la transformation de tous les services n'est probablement pas possible sur le plan financier. Même après le dernier budget, ce dont nous avons vraiment désespérément besoin, c'est d'une nouvelle politique. Il faut identifier ce que nous voulons faire, identifier les risques pour la sécurité, poser des questions et obtenir des réponses comme celles que je viens de vous donner. En d'autres termes, s'il y a une crise, où aura-t-elle lieu? Sur terre. Ne serait-il donc pas raisonnable que nous consacrions notre maigre budget de transformation à une seule arme tout en conservant dans les autres armes des capacités qui nous permettraient de donner à la première l'appui nécessaire? Je pense que c'est une démarche qui est défendable sur le plan intellectuel, politique et militaire, et je serais même prêt à affirmer qu'elle serait acceptée même par les pilotes de chasse que je connais et qui veulent probablement conserver cette capacité.

    Par contre, je vous demanderais de ne pas oublier que même une option comme celle-là aurait des conséquences. Si nous ne pouvons pas patrouiller dans notre propre espace aérien—et comprenez-moi bien, envoyer un avion de transport Hercule dans notre espace aérien, ce n'est pas la même chose que d'envoyer un CF-18—cette transformation aura des conséquences politiques. Si l'idée de céder le contrôle de notre espace aérien à l'aviation américaine ne nous met pas mal à l'aise, à ce moment-là cette option devient plausible. Mais je ne sais pas si le gouvernement sera jamais prêt à envisager cela.

+-

    Le président: Merci, monsieur McGuire.

    Monsieur Grose, vous auriez une petite déclaration à faire?

+-

    M. Ivan Grose: On s'était demandé si la GRC avait encore des bateaux. Tant et aussi longtemps que le Canada sera le Canada, la GRC aura toujours au moins un bateau, parce que c'est une tradition qui est authentiquement canadienne. Nous avons les seuls marins au monde à porter des éperons, n'est-ce pas?

-

    Le président: Merci, monsieur Grose.

    Monsieur Rudd, au nom de mes collègues, je vous remercie d'être venu aujourd'hui.

    La séance est levée.