NDVA Réunion de comité
Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.
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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION
Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants
TÉMOIGNAGES
TABLE DES MATIÈRES
Le mardi 23 septembre 2003
Á | 1105 |
Le président (M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.)) |
M. Richard Cohen (président, RSC Strategic Connections, à titre individuel) |
Á | 1110 |
Á | 1115 |
Á | 1120 |
Á | 1125 |
Le président |
M. Jay Hill (Prince George—Peace River, Alliance canadienne) |
M. Richard Cohen |
Á | 1130 |
M. Jay Hill |
M. Richard Cohen |
Á | 1135 |
Le président |
M. Jay Hill |
M. Richard Cohen |
Le président |
M. David Price (Compton—Stanstead, Lib.) |
Á | 1140 |
M. Richard Cohen |
Le président |
M. David Price |
Á | 1145 |
M. Richard Cohen |
Le président |
M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ) |
Á | 1150 |
M. Richard Cohen |
Á | 1155 |
M. Claude Bachand |
Le président |
M. Joe McGuire (Egmont, Lib.) |
M. Richard Cohen |
M. Joe McGuire |
M. Richard Cohen |
M. Joe McGuire |
M. Richard Cohen |
 | 1200 |
Le président |
Mme Cheryl Gallant (Renfrew—Nipissing—Pembroke, Alliance canadienne) |
M. Richard Cohen |
 | 1205 |
Mme Cheryl Gallant |
M. Richard Cohen |
Mme Cheryl Gallant |
Le président |
Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.) |
M. Richard Cohen |
Mme Anita Neville |
M. Richard Cohen |
 | 1210 |
Mme Anita Neville |
M. Richard Cohen |
Mme Anita Neville |
Le président |
M. Claude Bachand |
M. Richard Cohen |
M. Claude Bachand |
M. Richard Cohen |
M. Claude Bachand |
M. Richard Cohen |
 | 1215 |
M. Claude Bachand |
M. Richard Cohen |
M. Claude Bachand |
Le président |
M. David Price |
M. Richard Cohen |
M. David Price |
M. Richard Cohen |
 | 1220 |
Le président |
M. Richard Cohen |
 | 1225 |
Le président |
M. Claude Bachand |
M. Richard Cohen |
M. Claude Bachand |
M. Richard Cohen |
M. Claude Bachand |
M. Richard Cohen |
 | 1230 |
M. Claude Bachand |
Le vice-président (M. David Price) |
M. Richard Cohen |
 | 1235 |
Le vice-président (M. David Price) |
M. Richard Cohen |
Le vice-président (M. David Price) |
M. Richard Cohen |
Le vice-président (M. David Price) |
CANADA
Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants |
|
l |
|
l |
|
TÉMOIGNAGES
Le mardi 23 septembre 2003
[Enregistrement électronique]
Á (1105)
[Traduction]
Le président (M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.)): Je déclare ouverte cette séance du Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants et, au nom des membres du comité, je souhaite la bienvenue à M. Richard Cohen.
Je présume que vous avez tous eu le temps de lire les notes biographiques de M. Cohen. Il est évident qu'il possède une vaste expérience des affaires internationales. Pour ma part, je suis impatient d'entendre son exposé.
Je vous laisse donc immédiatement la parole, monsieur Cohen.
M. Richard Cohen (président, RSC Strategic Connections, à titre individuel): Merci beaucoup, monsieur le président.
Mesdames et messieurs, je vous remercie de m'avoir invité à comparaître devant vous.
[Français]
Je suis très heureux d'être ici. J'espère que cette réunion et les discussions que nous aurons seront des plus utiles.
[Traduction]
Mon court exposé qui, je l'espère, débouchera sur une discussion de fond, s'intitule « Vers un examen de la sécurité nationale au Canada ». Comme vous le verrez dans un moment, il s'agit bien de sécurité nationale et non de défense nationale, parce que je crois que la défense nationale ne représente qu'une partie de la question.
Dans le rapport que votre comité a déposé l'an dernier, j'ai relevé avec beaucoup d'intérêt ce qui suit : « [...] le concept de “sécurité” devait maintenant avoir un sens élargi »; c'est exactement le genre de thème que j'aimerais approfondir ce matin.
L'évolution du contexte international et stratégique devrait, nous en convenons tous je crois, entraîner une modification de la stratégie nationale et, par conséquent, de l'infrastructure militaire. Malheureusement, la plupart des gens qui sont en position d'examiner ces questions en sont distraits par l'obligation de faire face aux crises quotidiennes et de gérer une organisation très vaste et complexe; ils n'ont donc vraiment pas le temps de scruter l'horizon lointain et le contexte global. Par ailleurs, les gens qui travaillent dans le domaine de la défense et de la sécurité doivent aussi composer avec la rareté des ressources. De toute évidence, le gouvernement a d'autres priorités d'ordre politique, et il est inévitable que la défense ou la sécurité souffrent de la rareté des ressources.
À mon avis, ce qu'il nous faut, c'est une stratégie globale, voire radicale, quant aux questions de défense et de sécurité au Canada. Cela dit, j'estime que cette stratégie est étroitement liée à nos rapports avec les États-Unis. Il ne suffit plus de faire un examen de la politique étrangère et, de là, de la politique de défense, comme nous en avons discuté pendant des mois et des années; nous devons faire un examen stratégique complet qui porterait sur la sécurité dans son sens le plus vaste, c'est-à-dire tous les aspects de la sécurité qui ont une incidence sur la vie au Canada.
Ce dont je parle, entre autres, c'est de sécurité du point de vue politique, diplomatique, économique, social et culturel, et aussi des services mêmes de défense et de sécurité, qui, vous en conviendrez, ne forment qu'une partie de la structure de la sécurité.
Chaque élément et chaque ministère a son rôle à jouer dans la sécurité nationale. Il n'existe aucun ministère, aucun organisme, si modeste soit-il, dont le rôle n'a pas un élément relatif à la sécurité. Je crois qu'un examen de la sécurité nationale, que je recommande fortement, devrait prendre comme point de départ les intérêts nationaux des Canadiens. Un examen de ce genre doit aussi comporter un minimum d'hypothèses de départ et de conditions préalables. Très peu de choses doivent être sacrées. Cet examen ne doit pas tenir compte des intérêts en place, que nous connaissons tous; autrement, nous nous retrouverions à peu près au même point qu'avant, ce qui n'est pas ce que nous cherchons à ce stade-ci de notre évolution.
J'aimerais maintenant vous montrer le modèle de sécurité que j'ai eu l'occasion d'élaborer pendant les quelques dernières années où j'ai travaillé en Europe, surtout dans les pays de l'ancien bloc communiste.
Á (1110)
Il me semble que le moment est bien choisi pour un pays comme le Canada, une démocratie de longue date, un pays qui possède une longue tradition militaire—contrairement à beaucoup de pays où j'ai eu l'occasion de travailler—d'étudier à fond comment on peut regrouper les principes et les concepts de défense et de sécurité sous le thème général de la sécurité.
Je suis parti d'hypothèses fondamentales, mais seulement du strict minimum. La première de ces hypothèses est que le Canada doit disposer de mesures de sécurité et de défense nationale crédibles pour maintenir sa souveraineté. La deuxième—je crois que cela va de soi—est qu'une collaboration étroite avec les États-Unis est essentielle à la sécurité canadienne.
J'ai ajouté une troisième hypothèse que, après mûre réflexion, je mettrais entre parenthèses. Dans le document que je vous ai remis, elle semble avoir la même importance que les autres, mais elle ne s'applique vraiment qu'à la politique de défense. Or, nous examinons ici le vaste contexte de la politique de sécurité. Nous reviendrons dans un moment sur le fait que le budget de la défense du Canada ne connaîtra sans doute pas d'augmentation substantielle, même si cela semble contredire la façon dont nous aborderons le modèle, puisque nous examinerons d'abord ce dont nous avons besoin, puis ce qu'il nous faut pour répondre aux besoins.
Permettez-moi maintenant de vous montrer le modèle que j'ai élaboré et modifié pour nous permettre un examen approprié du contexte canadien. Le premier aspect que nous devons étudier est lié à la nature des intérêts nationaux canadiens; j'approfondirai cet aspect dans un moment. Cet examen devrait être très vaste, et comporter une consultation auprès de Canadiens de tous les horizons, pas seulement des fonctionnaires et des élus, mais aussi de simples citoyens, des professeurs, des spécialistes, des gens des médias, etc.
Après avoir convenu de ce en quoi consiste l'intérêt national, nous passons à l'étape suivante en nous demandant quelles mesures concrètes il faut prendre pour réaliser ces intérêts. Puis, nous devons évaluer les obstacles à ces intérêts et à l'atteinte de nos objectifs nationaux. Il nous faut aussi cerner nos possibilités et nos avantages, qui sont nombreux. Tous ces éléments produisent ce que nous pourrions appeler une politique de sécurité nationale.
Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, une politique de sécurité nationale devrait être générale et tenir compte de tous les aspects de la sécurité—du point de vue politique, diplomatique, social et économique, et aussi des services de défense et de sécurité. Ce n'est que lorsque cette politique a été formulée—et je crois que cela exige un débat ouvert et public, du moins un énoncé largement accepté au Canada—que nous pouvons élaborer une politique de défense réaliste.
La politique de défense découle naturellement de la politique de sécurité nationale, puisque la première n'est bien sûr qu'un élément de la deuxième. À partir de la politique de défense, que nous examinerons dans un instant, nous pouvons définir l'infrastructure militaire nécessaire à nos yeux pour que l'armée puisse s'acquitter des tâches et des fonctions liées au volet défense de notre sécurité nationale. Enfin, nous en arrivons au point où nous pouvons déterminer ce que doit être le budget de la défense pour appuyer l'infrastructure militaire.
Évidemment, dans les faits—et vous pouvez voir une flèche qui va de la case « Budget de la défense » vers le haut—il faut adapter toutes ces étapes selon les ressources financières qu'il est possible de consacrer à la défense. Il pourrait arriver que l'infrastructure militaire que nous avons choisie soit trop ambitieuse, compte tenu des ressources financières.
Il s'agit donc, en quelque sorte, d'un cycle.
Á (1115)
J'ai tenté de regrouper les intérêts nationaux dans un tableau, que j'expliquerai plus tard. Je me suis inspiré d'un tableau créé il y a quelques années par un professeur de l'Université de Virginie, Don Nuechterlein, qui proposait une façon de catégoriser les intérêts nationaux. À gauche, vous pouvez voir les intérêts liés à la survie, puis les intérêts cruciaux et, enfin, les intérêts prioritaires et secondaires.
Nous pourrions débattre de la catégorie dans laquelle chacun des intérêts devrait entrer, de ceux qui ont été omis et de ceux qui devraient être inclus. Mais vous pouvez voir que, à gauche, j'ai inclus parmi les intérêts liés à la survie ceux qui illustrent la nature même du Canada, c'est-à-dire l'unité nationale, les valeurs, car j'estime que les valeurs font partie de l'intérêt national—et cela rejoint l'excellent travail que votre comité a accompli sur la sécurité des gens, qui est incontestablement une valeur—, la sécurité personnelle des citoyens, entre autres, et la sécurité du territoire national.
On voit aussi les autres catégories. Les intérêts cruciaux sont la prospérité économique, les bonnes relations de voisinage qui, dans notre cas, concernent nos rapports avec les États-Unis, puis la liberté et la sécurité des alliés.
Don Nuechterlein, celui qui a produit ce tableau, a posé comme hypothèse que les intérêts liés à la survie et les intérêts cruciaux étaient ceux pour lesquels un pays était prêt à se battre, à sacrifier ses richesses et à verser son sang. Ce serait peut-être aussi le cas pour les intérêts prioritaires, mais probablement pas pour les intérêts secondaires. Les conflits liés à ces intérêts devraient être réglés par d'autres moyens.
Après les intérêts nationaux, nous passons à l'étape suivante, la définition des objectifs nationaux. Vous ne voyez peut-être pas bien, à gauche, sous « unité nationale », qui est le premier des intérêts liés à la survie, mais j'ai arbitrairement divisé cet élément en quatre catégories : politique et diplomatique, économique, social, et défense et sécurité. Vous pouvez voir ces éléments, et nous allons faire un survol, si vous le voulez, de certaines idées que j'ai eues quant aux objectifs liés à cet intérêt relatif à la survie. Les objectifs politiques pourraient comprendre les relations fédérales-provinciales, l'égalité régionale et l'optimisation de la dévolution de la gouvernance. Dans la colonne « Économique », on trouve entre autres des programmes de développement régional solides. Parmi les objectifs sociaux liés à l'unité nationale, il y a la promotion et le renforcement du bilinguisme, le développement d'une identité canadienne forte, etc. En matière de défense, j'ai inclus des forces armées solides, capables, régionalement et ethniquement équilibrées, puis des services de sécurité fiables et transparents.
Vous pourrez lire le document en détail quand vous en aurez le loisir. Je ne m'attarderai pas sur la sécurité des citoyens et la sécurité du territoire national, mais nous pourrons y revenir.
Si nous étions pointilleux, nous pourrions subdiviser les quatre catégories en rubriques en fonction des responsabilités des différents ministères et d'autres organes, comme le Parlement—des rôles, des tâches et des objectifs confiés à chacun des ministères.
J'aimerais répéter que la politique en matière de sécurité nationale regrouperait la sécurité sur les plans politique, diplomatique et économique, la sécurité sociale, et les services de défense et de sécurité, entre autres. Ce seraient là les grandes lignes de notre document, organisées selon ces catégories et d'autres. Cette étape franchie, la suivante consisterait à formuler la politique de défense nationale.
Á (1120)
À mon avis, il y a ici quelques mesures à prendre. Premièrement, nous devons évaluer à fond les menaces et les risques du point de vue militaire et de la sécurité, de manière bien plus détaillée que ne l'exigerait la politique de sécurité nationale, car il s'agit ici de menaces à la défense militaire et à la sécurité. Nous devons recenser les avantages que nous confèrent nos alliés et nos traités dans nos efforts pour contrer ou atténuer ces menaces et ces risques.
Ces évaluations terminées, nous examinons le rôle des divers composants des forces armées. Comment décririons-nous en termes généraux l'application de la politique canadienne en matière de sécurité nationale, telle que nous l'avons définie à la première étape? Nous pourrions y inclure... mais, dans ce cas, nous ne l'inclurions probablement pas, puisque ça relèverait d'un autre examen des services de sécurité.
À titre d'exemple, après avoir défini le rôle des forces terrestres, ce qui produirait un énoncé assez général, nous examinerions en détail les tâches des forces terrestres. Je me suis inspiré dans une large mesure de la méthode qui a servi à l'examen stratégique de la défense mené en Grande-Bretagne en 1998—je suis certain que vous êtes nombreux à savoir de quoi il s'agit—qui consistait à énumérer les rôles et les tâches des divers composants des forces armées.
Vous pouvez voir que certaines tâches sont assez précises : jouer un rôle efficace dans les opérations multinationales de combat, entreprendre des opérations efficaces de soutien de la paix, appuyer les services de police et de sécurité en vue de perturber les attaques terroristes et d'y réagir, être prêtes à appuyer les autorités civiles, assurer la sécurité interne, appuyer les opérations de secours humanitaire au Canada et à l'étranger, et maintenir et pratiquer l'interopérabilité avec les États-Unis et les autres alliés.
Ce ne sont là que quelques-unes des tâches qui viennent à l'esprit, mais je pense que vous avez une idée du type de tâches assez particulières qui, à mon avis, seraient confiées à chacun des services. On en ferait autant pour l'aviation et la marine.
Je considère que nous avons devant nous une sorte de cadre de politique logique en matière de défense. Maintenant que nous avons notre politique de défense, nous étudions l'infrastructure militaire, sur laquelle s'appuie cette politique. Elle doit permettre l'exécution des tâches militaires dont nous avons convenu. D'après moi, elle doit être ciblée. Nous devons définir et choisir les tâches et les fonctions que nous pouvons exécuter pour participer aux opérations multinationales.
À mon avis, nous ne pouvons pas tout faire. Je présume peut-être de l'issue de cet exercice, mais si vous vous souvenez de la troisième hypothèse, que nous avons mise entre parenthèses au début, les ressources sont fort probablement limitées. Nous pouvons en discuter maintenant.
Cela signifie que certaines forces devront jouer un double rôle, car nous allons leur confier plus d'une tâche. Par conséquent, nous acceptons de prendre un certain risque, qui peut être atténué par l'aide que nous attendons de nos alliés. Tout cela sera s'inscrira dans un cadre de coopération, aux termes de traités bilatéraux et multilatéraux.
Enfin, pour arriver à la conclusion logique, le dernier point, qui se trouve au bas du modèle, est le budget de la défense. Nous devons d'abord définir ce qui constitue un budget suffisant. Tenons-nous compte de l'ensemble des dépenses consacrées à la défense, exprimées en pourcentage du PIB, ou abordons-nous cette question sous un angle absolu? Il me semble que c'est cet angle que le gouvernement avait adopté dans l'une de ses réponses à vos recommandations de l'an dernier—qu'un pourcentage du PIB ne constituait pas, de l'avis du gouvernement du moins, une manière juste d'envisager la question. Je pense que nous devrions nous y attarder.
Nous devrions examiner la répartition du budget de la défense—je sais que vous avez beaucoup insisté là-dessus dans le passé—entre la structure et le personnel des forces, l'état de préparation et, enfin, l'équipement. Une partie de plus en plus mince du budget est consacrée à l'achat d'équipement de longue durée.
Á (1125)
De toute évidence, les ressources étant limitées, nous devons envisager des compromis. Quelles sont les priorités aux chapitres de la structure, de l'état de préparation et de l'investissement? Quel est l'effet de ces priorités sur la politique de défense nationale? Puis, par ricochet, sur la politique de sécurité, et sur nos intérêts et objectifs nationaux? Tous ces éléments dépendent en fin de compte des ressources que nous pouvons nous permettre de consacrer à la défense.
Enfin, toute cette question subira l'influence du public, des médias, des autres ministères fédéraux et, bien sûr, de vous, les députés fédéraux.
Monsieur le président, j'ai terminé mon exposé, et je serais maintenant heureux d'en discuter.
Le président: Merci beaucoup, monsieur Cohen. Comme quelqu'un l'a dit lors d'une conférence à laquelle nous avons tous deux assisté récemment, vous nous avez présenté une perspective à 60 000 pieds d'altitude. Je pense qu'elle sera très utile à ce comité et qu'elle soulèvera de bonnes questions.
J'aimerais commencer par M. Hill, à qui je souhaite officiellement la bienvenue parmi nous. Je crois que c'est votre première séance officielle, monsieur Hill. Nous sommes heureux de vous compter parmi nous. Vous avez la parole pendant sept minutes.
M. Jay Hill (Prince George—Peace River, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.
Monsieur Cohen, pour ma gouverne, puisque je suis nouveau au comité, pourriez-vous me dire brièvement qui vous représentez. Tout ce que je vois, c'est RSC Strategic Connections. Qu'est-ce que c'est exactement?
M. Richard Cohen: C'est un cabinet d'experts-conseils que j'ai fondé depuis mon retour au Canada, en mars dernier, après 30 ans passés à l'étranger. J'ai pensé que je pourrais appliquer mon expérience au contexte canadien et, aujourd'hui, j'ai une occasion idéale de le faire. Alors, voilà. Je ne représente que moi-même, les idées et les expériences que j'ai glanées au fil des ans, en tant que soldat des forces canadiennes et britanniques et, plus récemment, en tant que professeur d'études européennes sur la sécurité au Marshall Center, en Allemagne.
Á (1130)
M. Jay Hill: Je vais certainement prendre le temps de lire votre impressionnant curriculum vitæ, de manière à mieux connaître vos antécédents.
J'ai trouvé votre exposé très intéressant. Je suis intrigué par votre emploi des termes « global » et « vaste consultation ». Je n'ai rien contre ces concepts. Mais l'une des choses que j'entends dans le vrai monde, loin d'Ottawa, au sujet de la capacité de notre politique militaire et de défense, c'est qu'elle découle des livres blancs précédents, dont la compilation prend des années et coûte des millions de dollars, et dont très peu des recommandations finissent par être appliquées. Ils finissent pas accumuler de la poussière à Ottawa. C'est une objection que j'entends non seulement de la part de militaires, mais aussi de celle du grand public.
Par conséquent, bien que je convienne avec vous qu'idéalement, nous devrions tenir la consultation la plus vaste possible, je me demande si vous avez des suggestions à propos de la manière dont notre pays pourrait concilier les besoins évidents—qui n'échappent à personne ici—de nos forces armées, notamment en ce qui concerne le surmenage du personnel, de toute évidence... On fait justement du recrutement à l'heure actuelle, mais alors nous avons un problème d'entraînement, parce que tous les soldats formés sont à l'étranger. Nous avons donc des recrues qui se tournent les pouces, faute de gens pour les former convenablement. De toute évidence, nous avons des besoins urgents à combler en matière de renouvellement de l'équipement de l'armée canadienne, et certains diraient que ce ne serait pas trop tôt.
Comment allons-nous concilier ce qui, à mon avis, pourrait devenir un très long processus d'élaboration de cette nouvelle politique de défense, avec certains des besoins urgents qui auraient dû être comblés il y a longtemps?
M. Richard Cohen: Je pense que c'est une préoccupation tout à fait légitime. Vous en savez plus sur le contexte canadien, c'est certain, que moi. Je tiens mon expérience surtout, comme je le disais tout à l'heure, des nouvelles démocraties ou de l'ancien bloc communiste. Bon nombre de ces pays, je suppose, ont eu un certain avantage au début, puisqu'ils partaient d'absolument rien. Des endroits comme les pays Baltes et les autres pays de l'ancienne Union soviétique n'avaient absolument rien, alors ils ont eu l'avantage de partir d'une feuille blanche. Beaucoup d'entre eux ont pris ce modèle particulier, ou quelque chose d'assez approchant, pour se demander de façon très rationnelle qu'est-ce qu'il nous faut en matière de défense, qu'est-ce qui nous suffirait, que signifie l'expression autonomie militaire, comment pouvons-nous nous acquitter de nos obligations en matière de défense dans le contexte d'une enveloppe unique pour tout ce qui concerne la sécurité? Ils ont pu faire cela en un délai relativement court parce qu'ils n'avaient pas le choix, alors il y avait cette motivation.
Au Canada, c'est sûr, la situation est différente. Nos forces armées existent déjà. Peut-être ne sont-elles pas parfaites, et nous voudrions certainement voir des améliorations de ce côté-là, mais néanmoins, il n'y a pas ce sentiment d'urgence. Il me semble que l'occasion qui se présente est idéale, avec le changement imminent de gouvernement. Nous avons la possibilité de faire une rétrospective sur l'évolution de la situation depuis quelques années, et surtout depuis deux ans. Nous avons essayé de colmater les failles en exprimant le besoin de 100 millions ici, 500 millions là, un milliard ailleurs. Mais il me semble que nous faisons cela sans vraiment examiner la situation et appuyer notre demande sur un concept de sécurité convenu de façon générale, dont la défense serait partie intégrante.
Si nous devions—et cela prendra du temps, bien que nous puissions y fixer une limite, nous pourrions toujours fixer une échéance de douze mois, ou quelque chose du genre—entreprendre une démarche bien planifiée en vue d'obtenir un consensus national relativement à ce qu'il nous faut comme politique de sécurité nationale, et de là, formuler la politique de défense, à l'étape suivante—et il est probable que ce serait beaucoup plus facile, en fait, une fois qu'on aurait défini ce principe général en matière de sécurité nationale—alors, je pense que ce serait faisable. De toute évidence, il faudrait beaucoup de pressions politiques; il faudrait la volonté d'agir, il faudrait de la coopération et de la coordination, non seulement du côté du public, mais aussi au sein du gouvernement et du Parlement.
C'est difficile, j'en conviens, mais je pense aussi que c'est indispensable. Si nous pouvons convaincre ceux qui doivent décider de la nécessité de faire ou non ce genre de choses que ce serait, au bout du compte, un exercice extrêmement valable, alors, je pense qu'il aurait des chances de succès.
Á (1135)
Le président: Nous vous accordons une autre question, très brève, monsieur Hill.
Je ne voulais pas vous interrompre, et j'avais supposé que la notice biographique de M. Cohen avait été distribuée aux membres du comité, mais en fait je me trompais parce qu'elle n'avait été reçue qu'en anglais. Vous avez eu raison de poser votre question et je vous remercie d'y avoir répondu ainsi, monsieur Cohen.
M. Jay Hill: J'ai une dernière question à poser.
Vous avez parlé de douze mois. Ce qui m'inquiète, comme je l'ai dit, c'est que l'armée à des besoins pressants maintenant. Nous le reconnaissons tous ici, quelles que soient nos couleurs politiques. Je crains que nous entamions ce processus et qu'il devienne un prétexte pour le gouvernement, quel qu'il soit, en fait, pour ne rien faire pendant un an ou deux, et nous savons l'état dans lequel sont nos forces armées actuellement.
Alors, j'aimerais que vous nous disiez rapidement comment vous voyez les choses. Je reconnais que c'est une situation différente de celle que vous avez connue en Europe, mais je prévois qu'on aura besoin d'une espèce d'approche à double volet, le premier étant pour répondre à nos besoins les plus pressants tout en procédant à cette consultation dont vous parlez, et je conviens qu'elle est nécessaire, mais nous ne pouvons pas prendre ce prétexte pour tout mettre en suspens.
M. Richard Cohen: Je suis tout à fait d'accord avec vous. Il faudrait qu'il soit entendu que l'examen entrepris des politiques relative à la sécurité ne saurait être un prétexte pour ne pas appuyer les forces armées dans leurs activités courantes se rapportant à n'importe quelle crise qui pourrait survenir.
Il est bien évident que ces changements dont nous parlons, dans les forces armées, visent le long terme. Même une fois qu'il y aura eu un accord sur les documents et un consensus, il faudra beaucoup de temps, peut-être 5 ou 10 ans avant que l'objectif ultime soit atteint—évidemment, cet objectif ultime ne sera jamais atteint, mais du moins avant que quelque chose bien mieux que ce que nous avons actuellement, et de beaucoup plus rationnel, selon moi, soit en place. Entretemps, il faudrait que tous les niveaux de gouvernement s'entendent sur le fait que le fonctionnement quotidien des forces armées ne peut être mis en suspens à cause de cela.
Le président: Merci, monsieur Hill.
Monsieur Price, vous avez la parole.
M. David Price (Compton—Stanstead, Lib.): Merci, monsieur le président.
Merci, monsieur Cohen, pour votre présentation.
C'est certainement un beau plan modèle que nous aimerions voir... qu'on ait tout le temps qu'il faut, et tout cela. Et je suis tout à fait d'accord avec ce que Jay disait, à propos du problème de temps qui se pose toujours. Il suffit de regarder le Livre blanc que nous avons fait en 1994, et le temps que cela a pris. La mise en oeuvre ne s'est même pas encore faite pour de bon.
Il est bon de songer au long terme et de regarder le tableau d'ensemble. Je suis tout à fait d'accord avec vous qu'il faut y songer, parce qu'il y a tellement de choses qui se profilent à l'horizon. Je peux donner un petit exemple, celui de ce qui va se passer dans le Grand Nord, avec le Passage du Nord-Ouest. D'ici une dizaine d'années, le réchauffement de la planète l'aura ouvert, et cela créera pour nous toute une nouvelle problématique, à savoir ce que nous devrons faire, les Canadiens, relativement à la sécurité, avec nos partenaires américains et européens, parce que c'est une préoccupation pour eux aussi, c'est certain, particulièrement pour le Groenland et le Danemark.
Comme le disait Jay, il faut vraiment une approche à double volet, mais comment nous y prendre? Vous avez parlé de notre politique de sécurité nationale comme le volet le déterminant auquel vous vous intéressez, mais il nous faut d'abord nous pencher sur notre politique étrangère en général, ne serait-ce que pour déterminer ce que nous allons faire en ce monde. C'est de là qu'on pourra dresser un tableau d'ensemble.
Nous avons déjà, disons, une politique étrangère établie maintenant, qu'il nous faut essayer de suivre, avec les enjeux de la défense avec lesquels nous devons composer actuellement. C'est déjà pas mal en ce moment. Pensez-vous que nous devrions envisager de restreindre notre politique étrangère générale pour l'harmoniser avec ce que nous pouvons faire au plan militaire, ou devrions-nous plutôt penser à régler la situation de l'autre manière?
C'est une question assez vaste que je viens de vous poser.
Á (1140)
M. Richard Cohen: Non, ce sont des observations tout à fait pertinentes, et il est vraiment nécessaire d'en discuter.
Tout d'abord, au sujet des besoins pressants, même si on peut dire que par « pressants » on entend une période pouvant être de cinq ou dix ans, il y a des décisions qu'il faut prendre maintenant pour être vraiment prêts.
Comme vous l'avez dit, monsieur Price, je pense que cela doit se faire en parallèle. Cette étude particulière à long terme, qui pourrait être comprimée si la volonté y était, mais dont la mise en oeuvre des conclusions serait une affaire à long terme, doit se faire parallèlement aux réalités d'aujourd'hui et des cinq, six ou huit prochaines années.
Je pense que la meilleure chose qu'on puisse faire, c'est peut-être d'abord d'établir certaines lignes directrices générales au jugé, si on veut, selon les résultats qu'on peut prévoir et d'essayer de prendre des décisions dans ce type de cadre, relativement aux besoins des cinq, huit ou dix prochaines années, parce qu'il n'y a pas de transition facile, comme vous l'avez dit, de l'une à l'autre situation. D'un autre côté, si nous n'agissons pas, il me semble que nous ne serons pas beaucoup plus avancés dans dix ans. Après tout, dix ans, ce n'est pas très longtemps dans l'histoire d'un peuple.
Il me semble seulement que plusieurs choses sont survenues. On vient de comprendre que la sécurité, ou l'absence de sécurité, pourrait avoir une incidence sur le quotidien des Canadiens. Il y a aussi toute cette histoire de transition hors de la période de la guerre froide—qui n'est pas encore terminée—et il y a la possibilité d'une nouvelle perspective politique au sein du gouvernement.
Alors, il y a tout cela, mais aussi notre relation avec les États-Unis, qui doit être fondamentalement revue et où la sécurité tient, c'est sûr, de leur point de vue, une très grande place. Il nous faut faire tout cela; nous devons commencer quelque part. Mais en même temps, comme vous le dites très justement, nous ne pouvons pas négliger les projets à court et à moyen terme qui doivent se poursuivre.
En fait de politique étrangère, je vois la politique étrangère comme faisant partie intégrante de cette politique de sécurité nationale. La politique étrangère en est un élément. Nous n'avons pas remonté la chaîne jusqu'au maillon de la politique étrangère. Il est évident que la politique étrangère doit favoriser notre sécurité dans les divers domaines dont nous avons parlé—l'unité nationale, les valeurs, la défense du territoire, etc. La politique étrangère a sa part dans tout cela. La politique étrangère devrait être tout aussi touchée par une étude ou un examen de la politique en matière de sécurité nationale que l'est la politique en matière de défense.
Il me semble que si nous mettons tout cela ensemble, et aussi la sécurité économique, qui est un facteur très important de notre existence et de notre coexistence avec les États-Unis, entre autres, tout cela doit vraiment être uni sous ce concept de politique de consensus. La politique étrangère pourrait être aussi vaste ou aussi étroite que nos intérêts nationaux et nos objectifs nationaux l'exigent.
Le président: Il reste une minute.
M. David Price: J'ai trouvé très intéressant que l'une de vos diapositives—je crois que c'était sur les forces terrestres—il était beaucoup question du rôle des pouvoirs civils, de secours aux sinistrés, etc. Diriez-vous être en faveur d'un rôle élargi pour les forces de réserve, pour les forces communautaires locales?
Á (1145)
M. Richard Cohen: Oui, je pense que c'est l'une des choses qui doivent vraiment ressortir de l'examen de la politique. Il est clair que les forces régulières du Canada ne seront d'assez grande envergure pour s'acquitter de toutes les tâches dont nous avons donné la liste—en plus des autres.
Les forces de réserve sont évidemment la première chose à laquelle on pense comme moyen de défense auxiliaire, si on veut. Le Canada s'en est servi de façon très raisonnable ou très efficace, et s'est probablement plus appuyé sur les forces de réserve que presque n'importe quel autre pays, à l'exception peut-être des États-Unis, dans le cas récent de l'Irak. À mon avis, les forces de réserve sont une partie absolument intégrante de tout cela. Mais tout dépend de la manière dont nous voyons la structure de notre armée évoluer selon cette politique de défense nationale, et de ce que nous avons en fait de ressources à consacrer aux forces régulières. Il est clair que nous n'avons pas assez, alors les forces de réserve sont indispensables.
La question, évidemment, c'est dans quelle mesure? Quel est leur rôle? Doivent-elles être assignées, comme c'est le cas plus ou moins, actuellement, en Grande-Bretagne—et au Canada dans une large mesure aussi—pour combler les postes vacants dans les unités? Voulons-nous former des unités entières à certaines spécialités, comme le font les États-Unis avec le COCIM, par exemple, ou les affaires civiles? Les Britanniques le font dans certains métiers techniques, comme pour la gestion des ports et ce genre de chose. Ils ont des escadres spéciales et des hôpitaux de campagne. Le tout est dans le domaine du soutien des services de combat, alors ils ont des unités de réserve entières pour le soutien au combat.
Bien entendu, c'est une question qu'il faudra régler en analysant les tâches, les ressources, avant de décider quelle serait la bonne combinaison.
Le président: Merci, monsieur Price.
Monsieur Bachand.
[Français]
M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ): Merci, monsieur le président. Permettez-moi à mon tour de remercier M. Cohen pour sa présentation. Pour ma part, j'aime beaucoup les présentations schématiques. Selon moi, elles permettent de démontrer avec quelques diapositives ce que 100 pages de texte peuvent dire. J'aime beaucoup ces présentations schématiques étant donné le peu de temps que nous, les députés, avons à notre disposition.
Je veux poursuivre dans la même veine que mes collègues, sur la politique de défense nationale. Vous avez dit, si j'ai bien compris, que vous aviez porté attention au dernier rapport du comité permanent sur l'état de préparation et ainsi de suite. Mais vous avez dû voir aussi que la position dissidente du Bloc québécois était à l'effet que tant qu'il n'y aura pas une nouvelle politique de défense nationale, nous nous opposons à des investissements massifs en matière de défense nationale parce qu'il nous apparaît important de remettre à jour la politique de défense de 1994.
Comme l'ont dit certains de mes collègues tout à l'heure, il est vrai que l'on doit continuer à soutenir les forces armées pendant la révision de la politique. Il existe, en effet, une tendance voulant que lorsqu'une nouvelle politique est en cours d'élaboration tout semble s'arrêter en attendant la nouvelle politique. Mais le contraire est vrai aussi.
Notre problème, au Bloc québécois, c'est qu'on considère que le gouvernement peut faire tout ce qu'il veut à l'heure actuelle parce qu'il a les mains libres, en alléguant que la politique de 1994 n'est plus à jour. Et c'est un fait. Si l'on considère l'ensemble des événements qui se sont produits depuis quelques années, on peut dire qu'il y a de nouvelles donnes géographiques et de nouvelles doctrines militaires. Comme militaire, vous le savez, on faisait face auparavant à des adversaires ou à une armée en uniforme et on savait qui ils étaient et où ils étaient. Aujourd'hui, c'est tout dilué. Nos adversaires se confondent parmi nous. Il y a peut-être même des cellules dormantes d'Al-Qaïda au Canada; cela a souvent été dit. Alors, on est pas capable de les identifier.
Donc, la politique de sécurité et celle de défense doivent s'inscrire dans un nouveau contexte. C'est important surtout pour le contribuable, celui qui prend son chèque de paye à toutes les semaines et qui voit la part qui va en impôts et en taxes quand il va au magasin. Lui aussi a son mot à dire sur une nouvelle politique de défense et des affaires étrangères.
C'est sûr qu'on doit se soutenir pendant la révision, mais s'il n'y a pas de révision, le gouvernement fait ce qu'il veut. Et quand je dis le gouvernement, ce ne sont même pas mes collègues qui sont ici autour de la table, c'est le Cabinet.
Prenons, par exemple, la guerre en Afghanistan. Quand on a décidé d'y aller, quand on a fait le débat à la Chambre, les bateaux étaient déjà partis. Le ministre va dire que c'est l'exécutif qui décide, mais la politique de défense remonte à 1994. On est dans un nouveau contexte et on est obligé de décider. Alors on fait ce qu'on appelle, nous, des débats exploratoires à la Chambre, mais les bateaux sont déjà partis. On ne va quand même pas dire qu'il faut ramener les bateaux, n'est-ce pas?
C'est la même chose en Irak. On a appris, contrairement à ce que le général Jeffery avait recommandé, qu'on s'en allait en Irak pour une mission d'un an, qu'on avait des gens du RCR sur place actuellement et que le Royal 22e Régiment va y aller. Encore une fois, on aurait eu tout intérêt à se demander si c'était le type d'opération qu'on voulait faire en matière de défense nationale.
Ne trouvez-vous pas qu'on devrait avoir une politique de défense nationale et qu'il faudrait la revoir actuellement? Il est plus qu'urgent de le faire. Donnons quand même notre soutien en attendant, mais il faut qu'on démarre la nouvelle politique de sécurité et de défense nationale.
Á (1150)
M. Richard Cohen: Je suis complètement d'accord. Je voudrais dire deux choses.
D'abord, vous avez parlé du contribuable, qui est l'élément fondamental du problème. En ce qui me concerne, je ne suis pas du tout certain qu'après avoir fait cette révision, nous ne considérerons pas que les sommes que nous dépensons sont suffisantes. Lorsque nous ferons cet exercice, nous verrons qu'il faut diminuer le nombre de secteurs où se concentrent les Forces canadiennes et se concentrer dans des secteurs où nous pouvons apporter une contribution tout à fait réelle. Ainsi, en cessant d'être présents dans tous les secteurs, nous considérerons peut-être suffisantes les sommes que le gouvernement actuel et le public sont prêts à dépenser pour la défense.
Dans une telle situation, nous pourrions contribuer à des activités très efficaces et très valables, alors que d'autres pays, comme les États-Unis, ne pourraient pas le faire ou auraient besoin de l'aide d'autres pays. Il pourrait s'agir, par exemple, des forces spéciales ou du génie de combat. Nous devons déterminer, de concert avec les alliés, entre autres les États-Unis, dans quels secteurs notre contribution serait la plus efficace. Il est possible que nous n'ayons alors pas besoin de fonds supplémentaires.
Vous avez parlé du rôle du Parlement dans le cadre de ce débat. J'ai beaucoup travaillé avec les parlements d'anciens pays de l'Est, qui sont beaucoup plus faibles que le nôtre. Selon moi, le Parlement et le Comité de la défense nationale et des anciens combattants, tout particulièrement, auraient l'occasion de jouer un rôle de premier plan dans ce débat et pourraient travailler de très près avec les principaux participants à ces études.
Mais je n'ai peut-être pas encore répondu à votre question...
Á (1155)
M. Claude Bachand: Est-ce qu'il me reste du temps?
[Traduction]
Le président: Votre temps est écoulé, monsieur Bachand, mais je suis sûr que vous aurez d'autres occasions de poser des questions.
Monsieur McGuire.
M. Joe McGuire (Egmont, Lib.): Merci, monsieur le président.
Je vous souhaite la bienvenue, monsieur Cohen.
Dans l'organisation hiérarchique que vous nous avez décrite, vous avez passé sous silence bien des choses qui sont déjà arrivées, il y a une cinquantaine d'années, avec votre organisation aux Nations Unies, avec l'OTAN, avec NORAD, avec nos accords de libre-échange avec les États-Unis et d'autres pays, avec l'Amérique du Sud. On dirait presque que vous repartez de zéro plutôt que de prendre assise sur ce que nous avons déjà. Nous avons des douzaines d'ententes militaires bilatérales avec les États-Unis, et il me semble que nous n'avons pas tant à faire pour réunir tous ces divers éléments pour avoir une nouvelle politique de sécurité plus solide avec les États-Unis. Peut-être pouvons-nous partir de ce que nous avons.
Que devons-nous faire avec les Nations Unies pour faire que le monde soit plus sûr, avec l'OTAN pour créer une organisation de sécurité plus solide? Ou en matière de politique économique, que devons-nous faire de nos accords de libre-échanges pour faire de la salubrité des aliments un objectif plus réaliste?
Je ne pense pas vraiment que nous devions recommencer à zéro. Je crois qu'il y a bien des choses que nous avons construites au fil des années et des décennies qu'il nous faut trouver le moyen de coordonner. Et pour se renouveler, pour renouveler l'OTAN ou renouveler les Nations Unies, les États-Unis conçoivent leurs initiatives de défense aérienne plus ou moins comme une mesure de sécurité qui éliminerait les menaces avant qu'elles soient dans le périmètre des États-Unis.
Qu'en pensez-vous? Est-ce que je me trompe vraiment? Devons-nous tout détruire pour recommencer à zéro? Où en sommes-nous maintenant?
M. Richard Cohen: Je ne sais pas. Je pense, là encore, que c'est une observation tout à fait valable, parce que, de toute évidence, au contraire de certains pays du Bloc soviétique dont nous avons déjà parlé, nous ne partons pas d'une feuille blanche. Nous avons un réseau de structures et de traités immensément compliqué et complexe et nous avons un long passé de collaboration avec divers pays, etc., sans parler de l'OTAN et des Nations Unies, et d'ententes bilatérales avec les États-Unis, etc.
Il me semble aussi que tout ces pays et organismes en font partie intégrante, parce qu'ils auront une incidence concrète sur le genre de politiques que nous allons formuler, et nous devrons certainement tenir compte d'eux et de leur avis. Maintenant, il se pourrait bien qu'au bout du compte nous décidions qu'il nous faut lier des relations plus solides avec une organisation, une institution ou une autre, ou même qu'il nous faudrait peut-être envisager de créer de nouvelles institutions à long terme.
Non, je ne proposais certainement pas que nous effacions tout et que nous repartions de zéro. Je pense que tout cela peut facilement et doit être pris en compte dans l'examen des diverses étapes de ce processus particulier.
M. Joe McGuire: Un peu comme les Européens sont en train de faire, maintenant, avec l'Union européenne élargie et une bonne part du pouvoir hors des capitales nationales, centralisé vers Bruxelles ou ailleurs. Pouvez-vous envisager quelque chose du même genre en Amérique du Nord, ou en Amérique du Nord et du Sud?
M. Richard Cohen: Voulez-vous dire dans le cadre d'une entente entre le Canada et les États-Unis....ou peut-être l'ALENA?
M. Joe McGuire: Je veux dire seulement pour rendre l'hémisphère plus sécuritaire, en intégrant nos politiques de défense avec celles du reste de l'hémisphère.
M. Richard Cohen: Il me semble—je suis sûr que vous avez déjà eu de longues discussions sur ce thème, et je sais que vous vous êtes fondé sur d'excellents documents sur le sujet—que nos relations en matière de sécurité avec les États-Unis ont certainement besoin d'être examinées. Il y a probablement des domaines qui exigent une collaboration plus étroite avec les États-Unis. Alors, dans une certaine mesure, on pourrait regarder cela comme l'Union européenne, l'Union européenne étant une abdication de la souveraineté. Mais il faut aussi regarder le tableau d'ensemble, comme la plupart des pays d'Europe le font. Ils réalisent que ce sacrifice de leur souveraineté est fait pour le bien public, non seulement dans le domaine de la sécurité, mais aussi dans le domaine économique, juridique, etc.
Alors, pour ce qui est des relations entre le Canada et les États-Unis, ce dont il s'agit vraiment ici, il y a place pour plus de coopération. Il y a place pour une plus grande interopérabilité avec les Forces armées américaines, particulièrement les forces terrestres. Je pense que c'est l'un des domaines les plus difficiles et compliqués, parce que nous ne sommes pas si mal en point en matière de forces maritimes et aériennes.
Nous pouvons alors nous intéresser aux questions comme la défense antimissile continentale. C'est, bien entendu, une autre paire de manches. Malheureusement, bien qu'il faille manifestement en discuter, il est probablement trop tard, en ce qui concerne cet examen particulier, pour prendre une décision sur le sujet. C'est l'une des choses qu'il nous faudra décider à court ou à moyen terme, peut-être dans l'optique de l'avenir des résultats de cette politique. Mais il est certain que la défense antimissile est un thème absolument essentiel dans une politique de sécurité nationale et d'une politique de défense nationale du futur : Comment nous voyons-nous, en ce qui concerne la défense de notre continent? Pouvons-nous fonctionner indépendamment des États-Unis dans certains cas, ou devons-nous vraiment plus nous intégrer en ce qui concerne la défense du continent?
 (1200)
Le président: Merci, monsieur Cohen.
Madame Gallant, vous avez cinq minutes.
Mme Cheryl Gallant (Renfrew—Nipissing—Pembroke, Alliance canadienne): Qui, à votre avis, devrait mener cet examen des affaires militaires et étrangères? Il faudrait que ce soit un examen conjoint, parce que ces éléments sont si étroitement liés. Vous avez dit que le Parlement, ou peut-être ce comité, devrait jouer un rôle important, mais d'autres auraient aussi des rôles plus importants à jouer.
De plus, est-ce que l'entité qui examine la situation, quelle qu'elle soit, devrait rencontrer nos homologues américains aussi? Parce que certains de nos objectifs nationaux vitaux sont si étroitement liés aux États-Unis—notre économie et notre sécurité.
M. Richard Cohen: Oui, tout à fait. Qui le ferait? Aux États-Unis, ils ont une espèce de processus similaire, bien que vous puissiez ne pas être tout à fait d'accord avec les résultats. C'est censé être diffusé tous les ans—le document sur la stratégie nationale en matière de sécurité. C'est là qu'il est question de préemption, entre autres. Quoi qu'il en soit, le processus existe en théorie, et il est coordonné par le National Security Council qui, comme vous le savez, fait partie intégrante de l'appareil de la Maison-Blanche.
Nous n'avons pas cela ici, et je ne suis pas sûr qu'il nous soit vraiment nécessaire, mais je pense que c'est une question qui mérite d'être discutée. Il y a certainement de bons arguments en faveur de la création de ce genre d'organe. Nous ne l'appellerions probablement pas un conseil de sécurité national, mais nous pourrions lui trouver un autre titre qui reviendrait plus ou moins à la même chose.
Actuellement, nous avons le Bureau du Conseil privé qui devrait, probablement, diriger, coordonner et administrer ce genre de choses. Le Bureau du Conseil privé aurait probablement besoin d'être appuyé par toutes sortes d'experts, etc., pour s'acquitter de ce genre de tâches. Mais si nous ne voulions pas créer un nouvel organe distinct, c'est probablement là que ce serait.
Pour ce qui est du rôle des comités comme celui-ci, je pourrais lui voir jouer un rôle très actif à l'étape de la formulation d'une politique de sécurité nationale dans son sens le plus vaste. Mais la tâche réelle du comité, c'est sûr, serait de prendre la politique de sécurité nationale, après qu'il ait donné son avis et tout cela sur une période, disons, de 12 mois, et ensuite être l'un des principaux concepteurs de cette politique de défense nationale, en conjonction avec le MND et peut-être d'autres. Alors, dans le fond, le rôle réel de ce comité serait de se fonder sur cette stratégie ou cette politique de sécurité nationale et pour formuler une politique de défense nationale.
 (1205)
Mme Cheryl Gallant: Vous avez mentionné que vous envisagez une politique globale de sécurité nationale qui ferait probablement appel à tous les ministères. Quelle agence ou entité, d'après vous, serait chargée de coordonner la mise en oeuvre de cette politique globale sur la sécurité nationale—serait-ce le BPIEPC ou un nouvel organisme?
M. Richard Cohen: Non, je dirais que ce serait au Bureau du Conseil privé de le faire, parce qu'en dernier ressort, c'est à lui qu'incombe la responsabilité de réunir tous les volets de la sécurité. Le BPIEPC fait évidemment partie du ministère de la Défense nationale, mais nous voulons déborder le cadre du ministère. Nous voulons une révision très large : nous voulons examiner tous les aspects de la sécurité dans tous les ministères. Vous avez peut-être une meilleure suggestion, mais, pour ma part, je pense qu'actuellement, le meilleur organisme apte à piloter un examen d'une telle ampleur serait probablement le Bureau du Conseil privé.
Mme Cheryl Gallant: Merci.
Le président: Merci, madame Gallant.
Madame Neville.
Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.): Je voudrais poser une brève question, monsieur le président.
Merci de votre exposé, monsieur Cohen.
Vous avez parlé de l'ampleur de cette politique et vous avez mentionné que tous les ministères devraient y participer. Au début de votre intervention, vous avez dit que cette politique comprendrait des aspects économiques et culturels. Votre référence à l'intégration de la culture dans un examen de la politique étrangère et de défense m'intéresse particulièrement. Pourriez-vous nous donner plus de précisions à ce sujet?
M. Richard Cohen: Permettez-moi de revenir à ma petite diapositive.
Il s'agit d'objectifs nationaux dictés par des intérêts nationaux que nous avons définis au fil de longues et dures batailles. Nous avons dégagé un certain consensus à ce sujet. Voyons ces deux objectifs ici sur l'écran—l'unité nationale et les valeurs nationales—qui sont, en principe, des intérêts nationaux très importants. Sous l'unité nationale, j'ai mis une colonne réservée à l'aspect social; qu'on pourrait peut-être aussi bien appeler aspect culturel ou certainement un aspect qui en découle. Pour ce qui est de l'unité nationale, j'ai fait l'hypothèse que la promotion et le renforcement de la nature bilingue du pays seraient peut-être une façon par laquelle la culture contribuerait à cet intérêt national qu'est l'unité nationale. Je pense que c'est là un exemple assez clair.
On parle ici de l'épanouissement d'une identité canadienne forte. Elle comporte évidemment beaucoup d'aspects, mais la culture est l'un d'entre eux. Sans une identité canadienne, je pense qu'à long terme nous serons inévitablement perdus et, peut-être que nous n'existerons plus d'ici une centaine d'années. Ainsi, si l'unité nationale et son corollaire, les valeurs nationales, méritent qu'on les protège, alors nous devons - et par nous, j'entends tout le pays avec ses différents aspects - développer et renforcer ce qu'on appelle l'unité canadienne. Cela serait certainement une fonction de l'aspect culturel de la sécurité au sens large.
Cela répond-il à votre question?
Mme Anita Neville: En quelque sorte.
Pour effectuer une étude de ce genre, combien de temps prévoyez-vous?
M. Richard Cohen: D'après ce qu'on me dit, cela pourrait durer indéfiniment.
 (1210)
Mme Anita Neville: Ce serait donc un projet permanent.
M. Richard Cohen: Exactement. Mais il me semble que si nous devons entreprendre ce genre de projet, on devrait établir des limites artificielles dans le temps. Je ne peux imaginer, par exemple, la réalisation de la première partie, la politique de sécurité nationale, en moins de 12 mois. Cela pourrait prendre 18 mois ou deux ans. Il faudrait s'entendre sur un échéancier.
Cela ne veut pas dire que ces documents et ces ententes seraient coulés dans le béton parce qu'il n'y a aucune raison pour qu'ils ne soient pas continuellement mis à jour, modifiés, etc. Ainsi, même si on établit des échéances, il y aurait toujours dans cette politique un mécanisme qui permettrait de la modifier, de la changer, etc.
Mme Anita Neville: Merci.
Le président: Merci, madame Neville.
Monsieur Bachand.
[Français]
M. Claude Bachand: Merci, monsieur le président. On va justement s'arrêter sur une diapositive que j'avais encerclée.
Vous avez parlé plus tôt d'un dénommé--et corrigez-moi si je fais erreur--Nuechterlein. Est-ce qu'il s'agit du professeur qui est à l'origine de ce type d'évaluation?
M. Richard Cohen: Il est à l'origine de la formule qui servait à déterminer les priorités en matière d'intérêts nationaux. C'est moi qui ai eu l'idée d'utiliser ces intérêts nationaux et d'en faire une matrice assez semblable.
M. Claude Bachand: Est-ce qu'il est de l'Université de Virginie?
M. Richard Cohen: Oui.
M. Claude Bachand: Tout à l'heure, je m'étais arrêté sur cette fiche, surtout à cause de la question d'unité nationale. Si on applique une grille comme celle-là aux États-Unis, il est certain que le concept d'unité nationale n'aura pas la même connotation qu'au Canada. À ma connaissance, aux États-Unis, il n'y a que le Texas où on note des intentions souverainistes. En revanche, au Canada et au Québec, le mouvement a beaucoup d'ampleur. Il faut respecter ce dernier parce qu'il est très présent.
Je trouve que ce type de grille s'éloigne un peu de la politique de défense nationale parce qu'on y fait référence à des valeurs culturelles, à la prospérité économique et ainsi de suite.
En outre, j'ai cru comprendre que vous aviez utilisé un genre de gradation et que dans la colonne de gauche, il était question de survie. Vous avez dit aussi qu'il pouvait s'agir de casus belli, donc de guerre. J'aimerais que vous me donniez des éclaircissements à ce sujet.
Par exemple, prévoyez-vous, si le Québec décidait de devenir un pays, qu'il y aurait une intervention armée? Est-ce que c'est le cas, ou si je suis simplement en train d'interpréter vos propos de façon paranoïaque?
M. Richard Cohen: Je vous remercie de poser cette question très délicate et difficile. Il s'agit d'une observation tout à fait valable.
À l'origine, le modèle était de Don Nuechterlein. Pour ma part, j'ai fait des choix visant à représenter les intérêts nationaux canadiens et non pas les intérêts américains; ainsi, la substance de cette matrice n'est pas du tout américaine. Vous avez peut-être raison de penser que l'unité nationale ne peut pas se trouver dans la catégorie des intérêts de survie. On doit donc en discuter.
En fait, la division qui existe entre les intérêts pour lesquels on est prêts à combattre et les autres intérêts est très artificielle. Je dis cela parce que normalement, cela nous permet de distinguer entre les intérêts de survie, les intérêts vitaux, et les autres. Vous avez raison; il est possible qu'au cours des discussions sur les intérêts nationaux canadiens, on décide que l'unité nationale n'est pas une question de survie, mais une question majeure d'intérêt national.
 (1215)
M. Claude Bachand: Si j'ai bien compris, vous placez l'unité nationale dans la catégorie des questions de survie. Donc, elle est pour vous si importante que si le Québec devenait un jour souverain, le Canada serait, à votre avis, en danger. J'aimerais que vous nous disiez clairement si ce serait, selon vous, une cause de guerre pour le pays.
M. Richard Cohen: Pour moi, non.
M. Claude Bachand: Très bien. Merci.
[Traduction]
Le président: Monsieur Price.
M. David Price: Maintenant que ce point est réglé, l'une des questions qui revient est la souveraineté. En effet, dès qu'on envisage un lien bilatéral particulier avec les États-Unis, on s'entend dire : « Là, vous touchez à la souveraineté canadienne ».
Pourriez-vous commenter cela? Évidemment, à chaque tentative de rapprochement avec les États-Unis, on nous ressort cet argument dans l'opinion publique.
M. Richard Cohen: Mon point de vue personnel est le suivant : en devenant capable de contribuer plus efficacement à notre défense et à notre sécurité dans son sens large, nous accroîtrons effectivement notre souveraineté, même si cela implique une coopération plus étroite avec les États-Unis; ce qui arrivera dans certaines situations.
Pour l'instant, les Américains ont tendance à croire que nous ne contribuons pas entièrement à la sécurité et à la défense militaire. Plus nous en serons capables, que ce soit par le biais d'une coopération plus étroite ou par nos propres moyens, des pays comme les États-Unis—qui sont nos voisins et alliés les plus importants après tout—vont considérer que le Canada contribue vraiment à la sécurité. Il n'y a pas de doute que si le Canada est perçu comme participant pleinement à la sécurité et à la défense, non seulement en Amérique du Nord, mais ailleurs dans le monde dans certains cas, sa réputation internationale et vis-à-vis les États-Unis s'en trouvera certainement améliorée. Cela ne manquera pas d'accroître le sentiment d'indépendance et de souveraineté chez des Canadiens eux-mêmes qui trouveront qu'ils apportent effectivement une contribution valable à la communauté internationale.
Ainsi, pour moi, ce n'est pas là un dilemme. Il faut aller de l'avant, car nous pouvons réussir sur les deux plans. En effet, nous pouvons renforcer notre souveraineté tout en ayant une coopération plus étroite avec les États-Unis dans certains domaines. Je ne vois aucune dichotomie entre les deux.
M. David Price: Je suis d'accord avec vous, bien sûr, mais il n'y a pas de doute qu'on entend beaucoup cet argument. En particulier, lorsqu'on commence à envisager d'établir des liens plus étroits, on évoque souvent le fait que des soldats américains seraient déployés en sol canadien. La surveillance du passage du Nord-Ouest, dont j'ai parlé tout à l'heure, est probablement le meilleur exemple de cette situation. En effet, il est certain que nous n'avons pas les moyens de l'assurer, et je ne m'attends pas à ce que nous ayons les moyens de le faire seuls à long terme—bon, peut-être à long terme—, mais certainement pas à court terme. Par conséquent, comment allons-nous gérer tout cela? Est-ce un problème de relations publiques qu'il faut régler?
Le message que nous envoient toujours les Canadiens est le suivant : « Nous ne voulons pas d'Américains sur notre sol ». Le système de défense antimissile est probablement un bon exemple.
M. Richard Cohen: Oui. Je pense que le processus que nous aurions à suivre dans l'examen de la sécurité nationale pourrait susciter l'intérêt des Canadiens et les sensibiliser à la question. Ce processus pourrait constituer un moyen idéal d'expliquer ce dont nous venons de discuter; c'est-à-dire qu'une intégration étroite dans certains domaines peut, en fait, conférer à long terme au Canada un statut d'État plus souverain et mieux respecté non seulement par la communauté internationale, mais aussi par les États-Unis. Ainsi, le processus lui-même, s'il est géré de façon adéquate, pourrait s'avérer très utile dans ce sens. Je pense qu'il est passible de bien le gérer parce que les Britanniques ont réussi à le faire avant nous dans une large mesure—quoi qu'ils aient concentré leurs efforts sur la défense. Ils ont suivi le même processus que je propose.
Une fois que nous arriverons aux conclusions logiques de ce processus, nous nous apercevrons peut-être qu'un domaine tel la protection et la surveillance du passage du Nord-Ouest est devenu l'une de nos tâches de défense prioritaire, aux dépens d'autres. Qui sait? Par conséquent, comme vous le suggérez, il se pourrait qu'à long terme, le Canada soit capable en bout de piste d'exercer la surveillance, la protection et la défense de cette région. Voilà un exemple de la façon de suivre le processus et d'aboutir à l'établissement de nos propres priorités, ce qui, espérons-le, pourrait augmenter notre sentiment de souveraineté à la fin.
 (1220)
Le président: Monsieur Cohen, j'aimerais moi-même poser une brève question qui a trait à ce qui nous attend sur le plan du budget. En d'autres termes, quelles sont vos prévisions budgétaires, sachant évidemment que vous parlez de rôles, de responsabilités, et de l'examen des politiques de la sécurité nationale, des affaires étrangères et de la défense? Nous allons nous retrouver avec une série de rôles et de responsabilités qui peuvent ne pas paraître très différents, même s'il y a quelques petits changements et nuances ici et là. Peut-être qu'il y aura, comme l'a dit M. Price, d'autres responsabilités qui viendront s'y greffer.
Puis-je vous demander de hasarder un chiffre? Le Comité de la défense a recommandé de viser un budget représentant entre 1,5 et 1,6 p. 100 du PIB situé, et d'arriver à ce niveau le plus vite possible. Sachant qu'il faut environ un milliard de dollars pour mettre 10 000 personnes sous les drapeaux, et sachant les pressions qu'exercent nos alliés sur nous pour nous inciter à augmenter notre contribution au sein de l'OTAN, des Nations Unies, etc., avez-vous une idée approximative du pourcentage du PIB que devrait représenter notre budget? Quel chiffre devrions-nous viser comme contribution raisonnable pour assurer, non seulement notre propre sécurité, mais également la paix et la sécurité internationales?
M. Richard Cohen: J'ai essayé de montrer que le pourcentage du PIB n'est pas le facteur sur lequel on devrait mettre l'accent. Je pense que nous devons décider ce dont nous avons besoin et la meilleure contribution que nous pouvons apporter. Il se pourrait qu'on doive investir de 1,5 ou 1,6 p. 100 du PIB pour nous concentrer sur les domaines qui, je pense, constituent nos forces et dans lesquels nous pouvons apporter une meilleure contribution à nos alliés, tout en remplissant nos propres obligations en matière de sécurité et de défense.
Comme vous le savez, j'ai travaillé durant près de quatre ans au siège de l'OTAN. Bien qu'officier de l'Armée britannique, j'avais quand même des liens étroits avec les Canadiens et je me sentais toujours un peu embarrassé par rapport au retard continu du Canada sur le plan de ses dépenses en matière de défense. Durant la première moitié des années 90, nous avons pris plus de retard que la plupart des autres pays. Ainsi, du point de vue de la respectabilité internationale, si vous voulez, je pense que le pourcentage du PIB est important, mais pour nos besoins réels en moyens, je ne pense pas qu'il serait judicieux de nous lier à un pourcentage du PIB. Nous devons faire cet exercice afin de déterminer ce dont nous avons vraiment besoin, la meilleure façon d'apporter notre contribution, et ensuite se demander combien cela va coûter. On pourrait trouver que cela coûterait 1 p. 100 du PIB, comme on pourrait trouver qu'il en coûterait 2 p. 100. C'est après, bien sûr, que l'on va devoir prendre des décisions politiques sur le montant à allouer selon les conclusions auxquelles nous aurons abouti.
Comme je l'ai mentionné tout à l'heure, le problème est que nous ne savons pas encore combien tout cela va coûter, et nous ne saurons même pas, avant d'avoir fait cette étude, quels domaines seront pour nous prioritaires et où, nous Canadiens, pourrons apporter une contribution à la défense et à la sécurité aussi bien sur le plan nationale qu'à l'échelle internationale. Avant d'avoir fait cela, nous ne pouvons savoir combien ça va coûter.
 (1225)
Le président: Merci.
Monsieur Bachand.
[Français]
M. Claude Bachand: Mon intervention sera rapide, monsieur le président.
Je voudrais savoir si M. Cohen nous envoie un message subliminal à l'écran avec la phrase Ich liebe dich. Est-ce parce que vous aimez beaucoup le Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants? Ich liebe dich veut dire « je vous aime ». Nous envoyez-vous le message que vous nous aimez beaucoup, les membres du Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants?
M. Richard Cohen: Pardon, je n'ai pas compris.
[Traduction]
M. Claude Bachand: Bon, vous envoyez un message ici : Ich liebe dich, qui veut dite « Je vous aime ». Est-ce que vous aimez les membres du Comité permanent de la défense nationale? C'est ma première question.
M. Richard Cohen: Cela relève-t-il des valeurs ou de l'unité nationale?
[Français]
M. Claude Bachand: Je veux seulement vous poser une question, monsieur, sérieusement cette fois, sur votre document qui s'intitule: Cooperative Security: New Horizons For International Order. C'est tiré du Marshall Center Papers. Vous faites une distinction, dans ce document que j'ai lu, entre sécurité coopérative et sécurité collective. Je sais que je vous pose une question que vous pourriez développer pendant plusieurs heures, mais je veux vous demander de nous expliquer en quelques minutes quelle différence vous faites entre les deux, et si vous voyez une certaine application dans votre document sur les travaux que nous avons entrepris actuellement.
M. Richard Cohen: Oui. Malheureusement, j'ai oublié d'apporter le petit livre que j'ai écrit sur le sujet de la sécurité coopérative. C'est un nouveau modèle que j'ai développé avec quelques amis professeurs dans ce centre d'instruction en Allemagne et quand j'étais à l'OTAN. Je peux vous signaler un site web où vous pouvez le trouver. Je vais vous l'envoyer si cela vous intéresse.
D'après moi, la sécurité coopérative inclut la sécurité collective. Il y a dans mon modèle quatre cercles de sécurité: au centre, c'est la sécurité individuelle, human security; le cercle suivant, c'est la sécurité collective, comme celle que l'on voit maintenant aux États-Unis, comme la Ligue des Nations dans les années 1920 et 1930, au XXe siècle; le troisième cercle, c'est la sécurité extérieure, une défense collective comme l'OTAN, par exemple; et le quatrième cercle, c'est la coopération de stabilisation. Les membres de cette communauté de sécurité coopérative ont la tâche de s'assurer que l'instabilité autour de leur région soit stabilisée diplomatiquement, économiquement et par les opérations de maintien de la paix ou de gestion des crises comme celles en Bosnie, au Kosovo et ainsi de suite.
Alors, je vais vous envoyer, si vous voulez, ce petit article, pour que vous puissiez avoir une explication plus complète.
 (1230)
M. Claude Bachand: Merci.
[Traduction]
Le vice-président (M. David Price): Merci, monsieur Bachand.
J'ai seulement une autre question. Vous avez mentionné le travail que vous avez accompli dans les pays de l'ancienne Europe de l'Est. Je les connais bien du fait que je travaille avec l'OTAN au niveau parlementaire. J'ai vu les préparatifs qu'ils ont faits. Seulement mettre les choses en train afin d'accéder à l'OTAN, ils devaient préparer un plan de leurs armées respectives, et, comme vous le dites, ils ont pratiquement commencé à zéro. Ils avaient encore des vestiges de l'équipement russe, etc., mais ce matériel était en grande partie à peine fonctionnel et dans certains cas carrément inutilisable. Ils ont tous soumis des plans qui ont été acceptés par l'OTAN, et, jusqu'à il y a un an et demi environ, ils allaient de l'avant avec leurs plans. Mais, même si ces plans avaient été acceptés par l'OTAN, la plupart ne pouvaient être réalisés, car ils n'étaient pas pratiques lorsqu'il s'agissait de les appliquer sur le terrain. Cependant, ces pays ont été capables de se retourner rapidement.
En effet, j'ai été surpris. La Bulgarie et la Slovaquie ont vite fait volte face, et en moins d'un an ont sorti un nouveau plan qui était beaucoup plus pratique. La Roumanie s'est spécialisée, ce qu'elle aurait du faire. Comme sa brigade de montagne était l'un de ses principaux atouts, elle s'en est tenue à cela et s'en est bien sortie. Vous êtes probablement au courant de la question. J'ai été surpris de la rapidité avec laquelle ils se sont remis en selle et soumis un autre plan, surtout que les parlementaires en cause étaient beaucoup plus disparates que ceux que nous avons ici.
Aussi, j'aimerais savoir comment, d'après vous, ces pays ont réussi à faire ce changement avec une telle rapidité.
M. Richard Cohen: En fait, je connais assez bien la Bulgarie et la Roumanie. Le ministre de la Défense roumain, Ioan Pascu, est un bon ami à moi, et je connais les secrétaires d'État et l'ancien ministre de la Défense de la Bulgarie très bien. J'ai travaillé avec eux sur ces questions. Je ne décrirais pas cette situation exactement en disant qu'il y a un an et demi, ils ont laissé tomber le plan A pour adopté le plan B. Ils ont certainement retroussé leurs manches dans plusieurs domaines. Je qualifierais ce qu'ils ont fait durant la deuxième moitié des années 90 de mise en scène. Ils ont mis de l'avant ces plans qui, comme vous le laisser entendre, paraissaient fameux sur papier, mais ne contenaient, en fait, rien de solide. Cependant, il n'a pas fallu longtemps pour découvrir, surtout lorsque les gens de l'OTAN et, de façon bilatérale, les gouvernements nationaux, les militaires et les fonctionnaires supérieurs ont commencé à s'intéresser à ce qui se passait réellement, que ce qui avait été présenté n'était qu'une très belle coquille, belle, mais vide. Comme vous le laissez entendre, ils ont été rappelés à l'ordre. Cela s'est passé il y a un peu plus d'un an et demi. Le secrétaire général, Lord Robertson a joué un rôle déterminant lorsqu'il s'est agit d'étaler au grand jour le bluff que ces pays cachaient en arrière plan.
Ainsi, l'OTAN leur a dit que s'ils voulaient vraiment devenir membres, ils devaient agir concrètement et non se contenter de présenter sur papier des projets qu'ils n'avaient aucune chance de réaliser. Ioan Pascu, de la Roumanie, et d'autres se sont dit : « Bon, nous devons absolument réagir et modifier nos plans de façon à les rendre plus réalistes ». Ils ont été encouragés par Lord Robertson, qui leur a dit : « Ne venez pas nous dire que vous planifiez mettre en service quinze brigades, alors que nous savons très bien que vous ne pouvez en aligner que quatre. Mettez quatre, au moins vous gagnerez en crédibilité. » C'est ce qu'ils ont fait. Ils ont réduit de beaucoup leurs plans ambitieux sur papier et travaillé en vue de réaliser des objectifs moins ambitieux, mais plus réalistes. Je crois que c'est ce qui leur a fait faire volte-face. Voilà comment je décrirais l'évolution des choses.
 (1235)
Le vice-président (M. David Price): C'est quand même surprenant de voir avec quelle rapidité ils ont agi à la fin, surtout si l'on considère les changements de gouvernements survenus en même temps et les différences d'opinion entre les députés et les ministres chargés du dossier.
M. Richard Cohen: En l'occurence, c'était en grande partie dû aux pressions exercées par le plan d'action pour l'adhésion à l'OTAN, auquel Ils y ont tous adhéré, neuf pays, je crois. Ce plan d'action permettait de faire certaines inspections assez intrusives pour vérifier ce qui se passait effectivement sur le terrain, et c'est ainsi qu'il s'est vite clairement avéré que ce que ces pays avaient présenté n'était pas solide du tout, ou du moins une grande partie. La perspective de ne pas accéder à l'OTAN, qui était, comme vous le savez, d'une haute priorité, surtout pour les Roumains, mais également pour les Bulgares et les autres, a vraiment forcé tous les intéressés à réunir leurs forces. Comme vous l'avez indiqué, même s'ils avaient des points de vue très diversifiés sur la situation, pratiquement tous voulaient devenir membres de l'OTAN, membres de l'UE. C'est ainsi que ces pressions externes ont réellement forcé cette volte-face.
Le vice-président (M. David Price): Je pense que c'est ce qu'il nous faut, des pressions externes.
Je vous remercie beaucoup, monsieur Cohen, de votre exposé et de la discussion qui s'en est suivie. Ce ne sera probablement pas la dernière fois que vous comparaîtrez.
M. Richard Cohen: Ce sera un grand plaisir.
Le vice-président (M. David Price): Merci.
La séance est levée.