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NDVA Réunion de comité

Les Avis de convocation contiennent des renseignements sur le sujet, la date, l’heure et l’endroit de la réunion, ainsi qu’une liste des témoins qui doivent comparaître devant le comité. Les Témoignages sont le compte rendu transcrit, révisé et corrigé de tout ce qui a été dit pendant la séance. Les Procès-verbaux sont le compte rendu officiel des séances.

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37e LÉGISLATURE, 2e SESSION

Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants


TÉMOIGNAGES

TABLE DES MATIÈRES

Le mardi 3 juin 2003




¿ 0905
V         Le président (M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.))
V         M. Joseph Jockel (professeur, Programme d'études canadiennes, Université St. Lawrence)

¿ 0910

¿ 0915
V         Le président
V         M. Leon Benoit (Lakeland, Alliance canadienne)
V         M. Joseph Jockel
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel

¿ 0920
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel
V         M. Leon Benoit
V         Le président
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel
V         Le président
V         M. Joe McGuire (Egmont, Lib.)
V         M. Joseph Jockel
V         M. Joe McGuire
V         M. Joseph Jockel

¿ 0925
V         M. Joe McGuire
V         M. Joseph Jockel
V         M. Joe McGuire
V         M. Joseph Jockel
V         M. Joe McGuire
V         M. Joseph Jockel
V         M. Joe McGuire
V         M. Joseph Jockel
V         M. Joe McGuire
V         M. Joseph Jockel

¿ 0930
V         M. Joe McGuire
V         M. Joseph Jockel
V         Le président
V         M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ)
V         M. Joseph Jockel
V         M. Claude Bachand
V         M. Joseph Jockel
V         M. Claude Bachand
V         M. Joseph Jockel

¿ 0935
V         M. Claude Bachand
V         M. Joseph Jockel
V         M. Claude Bachand
V         M. Joseph Jockel
V         M. Claude Bachand
V         Le président
V         M. David Price (Compton—Stanstead, Lib.)

¿ 0940
V         M. Joseph Jockel
V         M. David Price
V         M. Joseph Jockel
V         M. David Price
V         M. Joseph Jockel
V         M. David Price
V         M. Joseph Jockel
V         M. David Price
V         M. Joseph Jockel

¿ 0945
V         M. David Price
V         Le président
V         Mme Cheryl Gallant (Renfrew—Nipissing—Pembroke, Alliance canadienne)
V         M. Joseph Jockel
V         Mme Cheryl Gallant
V         M. Joseph Jockel

¿ 0950
V         Mme Cheryl Gallant
V         M. Joseph Jockel
V         Mme Cheryl Gallant
V         M. Joseph Jockel
V         Mme Cheryl Gallant
V         M. Joseph Jockel
V         Mme Cheryl Gallant
V         M. Joseph Jockel
V         Le président
V         Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.)
V         M. Joseph Jockel

¿ 0955
V         Mme Anita Neville
V         M. Joseph Jockel
V         Mme Anita Neville
V         Le président
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel

À 1000
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel
V         Le président

À 1005
V         M. Joseph Jockel
V         Le président
V         M. Leon Benoit

À 1010
V         M. Joseph Jockel
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel
V         M. Leon Benoit
V         Le président

À 1015
V         M. Joseph Jockel
V         Le président
V         M. Joseph Jockel

À 1020
V         Le président
V         M. David Price
V         M. Joseph Jockel
V         M. David Price
V         M. Joseph Jockel
V         M. David Price
V         M. Joseph Jockel

À 1025
V         M. David Price
V         M. Joseph Jockel
V         Le président
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel
V         M. Leon Benoit
V         Le président

À 1030
V         M. Joseph Jockel
V         Le président
V         M. Joseph Jockel
V         Le président

À 1035
V         M. Joseph Jockel
V         Le président
V         M. Joseph Jockel
V         Le président
V         M. Joseph Jockel

À 1040
V         Le président
V         M. Joseph Jockel
V         Le président
V         M. Joseph Jockel
V         Le président

À 1045
V         M. Joseph Jockel
V         Le président
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel
V         M. Leon Benoit
V         M. Joseph Jockel
V         Le président
V         M. Joseph Jockel
V         Le président

À 1050
V         M. Joseph Jockel
V         Le président










CANADA

Comité permanent de la défense nationale et des anciens combattants


NUMÉRO 031 
l
2e SESSION 
l
37e LÉGISLATURE 

TÉMOIGNAGES

Le mardi 3 juin 2003

[Enregistrement électronique]

¿  +(0905)  

[Traduction]

+

    Le président (M. David Pratt (Nepean—Carleton, Lib.)): La séance est ouverte.

    Nous sommes heureux aujourd'hui d'accueillir le professeur Joseph Jockel du Programme d'études canadiennes de l'Université St. Lawrence juste de l'autre côté de la frontière ou de la rivière.

    Professeur, au nom de tous les membres présents, je vous souhaite la bienvenue. Je crois comprendre que c'est la première fois que vous comparaissez devant notre comité mais je suppose que vous en suivez les délibérations depuis des années.

    Nous sommes donc heureux de vous voir en personne et, sans plus attendre, vous pourriez peut-être faire votre déclaration et ensuite nous passerons aux questions.

+-

    M. Joseph Jockel (professeur, Programme d'études canadiennes, Université St. Lawrence): Je vous remercie infiniment, monsieur le président, de m'avoir offert la possibilité de comparaître devant vous. J'ai quelques petites déclarations d'ouverture à faire et ensuite je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.

    Les relations de défense canado-américaines sont remise en cause. Je me hâte d'ajouter que je ne crois pas un instant que nos deux pays puissent être autre chose que des partenaires ou des alliés. Néanmoins, il n'est pas du tout certain désormais que seront maintenues l'ampleur et la profondeur de la coopération qui a toujours caractérisé nos relations militaires. Cela dépendra de décisions qui doivent être bientôt prises des deux côtés de la frontière.

    Il ne serait pas surprenant que nos relations de défense deviennent moins étroites, les deux facteurs qui autrefois nous unissaient étroitement sur le plan militaire étant devenus moins contraignants.

    Le premier de ces facteurs est la réalité de la géographie de l'Amérique du Nord. Le territoire et l'espace aérien canadien sont beaucoup moins importants aujourd'hui pour la défense stratégique de l'Amérique du Nord qu'ils ne l'étaient autrefois. Dans les années 50, la principale menace était posée par les bombardiers soviétiques armés de bombes nucléaires qui pouvaient traverser l'espace aérien canadien. Pour faire face à cette éventualité, les Américains et les Canadiens ont mis en place de vastes systèmes de défense aérienne. Ils comprenaient le réseau permanent Pinetree, la Ligne du Centre du Canada et le réseau d'alerte avancée qui couvraient l'ensemble du continent, ainsi qu'au bas mot neuf escadrilles de l'Aviation canadienne et 75 de l'Aviation américaine et tout un arsenal de missiles sol-air, y compris, par la suite, les fameux Bomarcs stationnés ici au Canada.

    Pour prévenir une attaque de ce genre et pour la contrer avec un véritable plan de guerre à l'échelle du continent, les États-Unis et le Canada ont placé ces systèmes de défense sous le contrôle opérationnel d'un nouveau commandement unifié, le NORAD, en 1957. Le NORAD n'était pas plutôt devenu opérationnel qu'une nouvelle menace a remplacé la première, celle des missiles balistiques intercontinentaux et des missiles balistiques tirés à partir de sous-marins.

    Pour bien comprendre les décisions qui doivent être prises aujourd'hui, il importe de ne pas oublier qu'il n'y a jamais eu de système de détection ou de repérage des missiles sur le territoire canadien pas plus que les Forces canadiennes n'ont jamais eu un tel système. Ces détecteurs sont situés en Alaska, au Groenland, au Royaume-Uni—il suffit de regarder un globe terrestre pour comprendre pourquoi—les États-Unis continentaux, et l'espace.

    Les opérations de défense aérienne auxquelles bien entendu les Canadiens continuent à participer directement ont considérablement diminué. Bien sûr, elles ont repris une nouvelle importance après le 11 septembre et il est possible qu'elles soient renforcées au cours des prochaines années avec de nouveaux moyens pour contrer des attaques possibles par missiles de croisière. Mais le nombre d'avions d'interception et de radars au sol continue toujours d'être loin de ce qui existait autrefois.

    Le deuxième facteur qui autrefois liait de manière très étroite sur le plan militaire les États-Unis et le Canada était un intérêt stratégique commun d'importance primordiale outre-mer. Nous avons partagé cet intérêt. Nous voulions empêcher la domination de l'Europe par un pouvoir hostile ou potentiellement hostile et vu l'importance de l'Europe, la domination potentielle du monde. C'est cet intérêt critique qui nous a fait participer à la première et à la deuxième guerre mondiale et qui a incité nos deux pays à former une alliance avec des pays aux vues similaires pour contenir l'Union soviétique. Aujourd'hui, une telle menace en Europe n'existe plus et n'est pas prête de renaître.

    Même si le Canada et les États-Unis partagent des intérêts de sécurité outre-mer—entre autres, bien sûr, la lutte contre le terrorisme et empêcher que des armes de destruction massive tombent entre les mains de terroristes ou d'États voyous—ils n'ont pas ce caractère universel d'objectif commun qui nous a autrefois uni pour vaincre les Allemands et pour contenir les Soviétiques. La dernière guerre en Irak et les événements qui ont mené à cette guerre le démontrent amplement.

    Donc, quelles sont les décisions qui affecteront nos relations de défense bilatérales? Je compterais trois séries de décisions.

    La première concerne les décisions que le Canada prendra bientôt concernant sa participation ou sa non-participation au système de défense antimissiles de l'Amérique du Nord. Son importance est incommensurable. Je serai franc. L'avenir du NORAD et, par conséquent, de la coopération canado-américaine de défense aérospatiale en dépend.

    Aujourd'hui., le NORAD a avant tout une fonction d'alerte et d'évaluation de toute attaque aérospatiale du continent. Pour remplir cette fonction, il compte sur les renseignements communiqués par les capteurs américains qui détectent et qui suivent les missiles et tout ce qui circule dans l'espace. Et de ce qui reste des efforts de défense aérienne canado-américaine, un poste de commandement canado-américain reçoit ces renseignements et c'est un évaluateur, toujours présent—un général ou un officier général—de confirmer au nom du NORAD que le continent est attaqué.

¿  +-(0910)  

    Des généraux canadiens au NORAD sont tour à tour évaluateurs. Les États-Unis ne confieraient cette responsabilité à aucun autre allié. C'est surprenant vu la contribution minime du Canada à la défense aérospatiale.

    L'intention des États-Unis est de lier étroitement le commandement et le contrôle du système de défense antimissiles à l'alerte et à l'évaluation. C'est tout à fait logique puisqu'il n'y aurait que quelques minutes pour répondre à une attaque de missile balistiques.

    Si le Canada ne participe pas à la défense antimissiles, il ne pourra plus participer à l'alerte et à l'évaluation et perdra sa place au coeur même des opérations de défense aérienne de l'Amérique du Nord. Les États-Unis transféreraient ces responsabilités à un commandement américain unique. Dans les faits, le NORAD cessera d'exister bien que nos relations de défense aérienne continuaient.

    La coopération de défense aérienne canado-américaine continuerait à être nécessaire pour notre sécurité et notre souveraineté. Les deux pays pourraient maintenir un commandement unifié de défense aérienne. Pour sauver la face, il pourrait même continuer à l'appeler le NORAD. Mais étant donné la portée très limitée des défenses aériennes en place aujourd'hui, un tel commandement unifié ne serait pas nécessaire et les militaires canadiens passeraient du coeur des opérations à la périphérie des opérations de défense aérospatiale nord-américaine. Les relations de défense bilatérales seraient significativement réduites. Je crains que le tapage au Canada à propos du commandement du nord n'ait tendance à obscurcir cette possibilité distincte.

    Passons maintenant à la coopération de défense outre-mer. Depuis la fin de la guerre froide, le Canada a décidé à l'occasion de déployer des contingents militaires pour participer à des opérations de défense dirigées par les États-Unis. C'est ce qui est arrivé au départ pendant la première guerre du Golfe. Le maintien de cette option a été par la suite officialisé dans le Livre blanc de la défense en 1994. Des déploiements canadiens ont suivi pendant la guerre au Kosovo et la guerre en Afghanistan. Bien que ces contingents canadiens aient été assez limités, ils ont été fort appréciés par les États-Unis.

    La deuxième série de décisions importantes qui affecteront les relations de défense canado-américaine seront celles que le Canada prendra concernant son budget de la défense. Le Canada souhaite-t-il au cours des prochaines années maintenir l'option d'envoyer des forces outre-mer dans le cadre d'opérations menées par les États-Unis?

    Monsieur le président, vous et vos collègues connaissez beaucoup mieux que moi les enjeux politiques de votre budget de défense. La seule observation que je peux faire c'est qu'à ma connaissance aucun analyste responsable, à compter de la vérificatrice générale, ne croit que les effectifs et l'équipement énoncés dans le Livre blanc de 1994 ne peuvent être maintenus au niveau actuel de dépenses au titre de la défense.

    Il y a un instant je rappelais que même si les dernières contributions canadiennes aux guerres menées par les États-Unis ont été minimes, elles ont été fort appréciées par les Américains. C'est en grande partie due à leur signification politique. Les États-Unis ont toujours préféré agir dans le cadre d'alliances ou de coalitions ponctuelles. En d'autres termes, comme d'autres l'ont exprimé, le shérif américain a toujours préféré se déplacer en groupe. Cela ne changera pas.

    Les expériences désagréables qui ont mené au déclenchement de la dernière guerre du Golfe ont incité les États-Unis à lancer un débat sur la nature de ses alliances et de ses coalitions. Il est probable que l'issue de ce débat ait une incidence importante sur les relations canado-américaines.

    C'est la troisième et la dernière série de décisions dont j'aimerais brièvement vous parler—en l'occurrence, les décisions qui seront prises par les États-Unis. Il est fort possible que les États-Unis abandonnent toute dépendance d'alliances et de coalitions fondées sur leur importance politique en faveur d'alliances et de coalitions dans lesquelles les partenaires étrangers des États-Unis apportent des ressources réelles au partenariat tout particulièrement en termes de forces armées ou d'importance géographique.

    A preuve, nous avons vu pendant la dernière guerre que les États-Unis ne cessaient de répéter que cette campagne était menée avec le soutien d'une coalition de volontaires, même si la vaste majorité des membres de cette coalition n'avaient même pas engagé des forces symboliques. Mais ce discours était, du moins en partie, la réponse politique à l'échec cuisant des Américains et Britanniques à faire accepter une résolution par le Conseil de sécurité des États-Unis.

    Aujourd'hui, de nombreux Américains estiment que chercher à l'avenir à faire légitimer une action militaire américaine par le Conseil de sécurité des Nations unies, par les structures officielles de l'OTAN et par de larges coalitions politiques multilatérales ne vaut plus la peine. Comme ils disent, c'est au shérif de choisir les membres de la battue. Si cette opinion prévaut, les petites contributions comme celles apportées ces dernières années par le Canada ne seront probablement plus aussi appréciées, voire plus du tout appréciées, par les États-Unis lorsqu'ils iront en guerre.

¿  +-(0915)  

    Cela devrait avoir un impact sur votre débat au Canada sur les dépenses de défense et sur les capacités des Forces canadiennes. Les Canadiens voudront peut-être dépenser plus pour conserver cette option de participation significative à des opérations menées par les États-Unis, ou abandonner cette option.

    Encore une fois, merci, monsieur le président.

+-

    Le président: C'est nous qui vous remercions, professeur Jockel, de ces commentaires très stimulants. Le premier à vous poser des questions sera M. Benoit.

    Sept minutes. 

+-

    M. Leon Benoit (Lakeland, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président et merci, professeur. Vos commentaires donnent à réfléchir. Ils ne nous surprennent pas, je crois, mais ils surprendraient certainement beaucoup de Canadiens, y compris, probablement, un certain nombre de parlementaires qui ne prêtent pas suffisamment attention aux questions de défense.

    Vous avez dit ne pas être certain du tout que nous puissions maintenir l'ampleur et la profondeur de notre ancienne coopération avec les États-Unis, et vous avez parlé de nos installations de radar, du Réseau d'alerte avancée, etc.—utilisations importantes du territoire canadien pour notre alliance. Si cela s'avérait, quelles seraient les conséquences pour la souveraineté canadienne? Tout particulièrement si le Canada décidait de ne pas participer au système de défense antimissiles—d'aucuns prétendent que nous ne devrions pas y participer parce que cela réduirait,en quelque sorte, notre souveraineté. Si, comme vous le dites, l'importance de notre rôle pour nos voisins américains diminue, quelles pourront être les conséquences pour notre souveraineté, s'il y en a, pour les dix ou vingt prochaines années?

+-

    M. Joseph Jockel: La souveraineté est très élastique et elle finit par couvrir tout le champ de la politique étrangère si on la tend au maximum. Mais si vous vous en tenez à une définition plus stricte de la souveraineté, si vous la limitez au contrôle du territoire, de l'espace aérien et des eaux, l'absence de participation au système de défense antimissiles devrait avoir très peu de conséquences sur la souveraineté canadienne. Même sans coopération de défense antimissiles, la coopération de défense aérienne entre le Canada et les États-Unis et la coopération navale se poursuivront.

    En fait, sans défense antimissiles, nos relations bilatérales de défense seront restructurées pour se concentrer sur ces seuls domaines. Je ne pense pas que c'est la souveraineté, tout au moins dans son sens traditionnel, qui est en question ici. Il s'agit de savoir si le Canada veut ou non faire partie du noyau des opérations de défense aérospatiale qui entraînent une redéfinition générale de nos relations,notamment politiques, militaires,voire de nos relations économiques.

    À mon avis, ce n'est pas la souveraineté qui est en question.

+-

    M. Leon Benoit: Ce sont ces autres relations qui vous concernent davantage.

    Vous n'êtes pas la première personne à dire que si le Canada ne participe pas au système de défense antimissiles, le NORAD, comme nous le connaissons aujourd'hui disparaîtra puisqu'il ne lui restera plus grande raison d'exister. Vous en avez dit l'importance pour le Canada et j'en suis fort aise. Mais il me semble clair à entendre ce qui disent nos amis américains, y compris le général Eberhart qui dirige le Commandement nord des États-Unis et le NORAD, qu'ils accordent une grande importance à notre participation au système de défense antimissiles. Je ne comprends pas vraiment pourquoi mais il reste clair que notre participation leur semble importante.

    Pourquoi, d'après vous?

+-

    M. Joseph Jockel: Parce que cela laissera en place les structures de coopération de défense canado-américaine. Ce n'est pas ce que le Canada peut apporter au système de défense antimissiles lui-même, car vous devez savoir qu'aucun élément de ce système ne sera installé au Canada ou commandé par les Canadiens. C'est à cause de ce lien critique entre le système d'alerte et d'évaluation tactique intégrée du NORAD et la mise en oeuvre du système de défense antimissiles. Retirer cette pièce, et la manière même dont nous avons structuré la coopération de défense autour de ce système d'alerte et d'évaluation tactique intégrée, comme le coeur... si les Canadiens n'y participent plus il faudra restructurer toutes nos relations et cela ne vaut tout simplement pas la peine si nous pouvons maintenir cette pièce en place.

¿  +-(0920)  

+-

    M. Leon Benoit: Si je vous comprends, vous ne croyez pas que les Américains jugent importante notre coopération à ce projet parce que si nous participons, les critiques dans le monde ne pourraient pas... Si la construction de ce bouclier antimissiles est critiquée, les Américains pourront toujours montrer le Canada en disant qu'ils ne sont pas seuls qu'ils ont des alliés. Ne pensez-vous pas que c'est une raison importante...

+-

    M. Joseph Jockel: C'est flatteur pour les Canadiens, mais ce n'est pas vrai. Le bouclier va être construit.

+-

    M. Leon Benoit: Oh, absolument.

+-

    M. Joseph Jockel: C'est un projet conçu sous un président démocrate et repris par un président républicain. Le consensus est large.

+-

    M. Leon Benoit: Oui, mais ce n'est pas ma question. Croyez-vous que si les Américains veulent que nous participions c'est parce que si la construction de ce bouclier est critiquée, ils pourront dire en montrant le Canada, qu'ils ne sont pas seuls, qu'ils ont un allié et n'agissent pas unilatéralement?

+-

    M. Joseph Jockel: Non. D'ailleurs, même si le nom a changé, on le considère toujours comme un système national de défense antimissiles aux États-Unis.

+-

    M. Leon Benoit: Je ne pensais pas aux Américains, je pensais aux critiques à l'étranger.

+-

    M. Joseph Jockel: Ce n'est pas une raison primordiale.

+-

    M. Leon Benoit: C'est très intéressant.

    Vous avez parlé des trois dernières missions principales de coopération de défense à l'étranger entre le Canada et les États-Unis. Selon vous, il va falloir que le Canada fasse un effort sur le plan militaire s'il veut continuer à participer à ce genre de missions. Comment votre message peut-il être aussi différent de celui de notre gouvernement? Le ministre de la Défense jure que la dernière augmentation de son budget est totalement suffisante pour continuer à participer à ce genre de missions et que tout va bien.

+-

    Le président: Monsieur Benoit, je ne suis pas certain que cela soit exactement la position du ministre, mais je laisserais le professeur vous répondre.

+-

    M. Leon Benoit: Oh, si, monsieur le président. Et vous pourrez poser des questions dans ce sens plus tard, si vous voulez.

+-

    M. Joseph Jockel: Je sais reconnaître les questions qu'il est préférable que j'évite.

    Des voix: Oh!

    Le professeur Jockel: Je me contenterai de vous renvoyer au rapport de la vérificatrice générale. Il y a des mesures standards. Sur le long terme, il y a des niveaux de dépenses à respecter et ceux des forces armées canadiennes sont inférieurs à la norme. C'est une norme approximative mais c'est celle qu'on applique. À long terme, il finit par y avoir érosion des ressources.

+-

    Le président: Merci, professeur Jockel. Merci, monsieur Benoit.

    Monsieur McGuire, sept minutes.

+-

    M. Joe McGuire (Egmont, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Dans la deuxième partie de votre exposé, monsieur Jockel, vous avez dit que nous n'avions plus d'intérêts communs outre-mer. En gros, ces traités ou ces alliances ne sont plus vraiment nécessaires. Je crois que c'était votre deuxième point. N'est-ce pas?

+-

    M. Joseph Jockel: Non. Nous avons toujours des intérêts communs outre-mer mais nous n'avons plus cet intérêt commun primordial qui nous unissait au XXe siècle : empêcher la domination de l'Europe par une seule puissance.

+-

    M. Joe McGuire: Dans ce cas, pourquoi vouloir un système de défense antimissiles? Si nous n'avons plus d'ennemis, si nous n'avons plus de gros ennemis comme la Russie ou l'Allemagne nazie, ou un pays de ce genre, qui est maintenant l'ennemi et l'importance de cet ennemi justifie-t-elle ce besoin d'un système de défense mondial?

+-

    M. Joseph Jockel: Votre utilisation du terme « besoin » est frappante. La formule classique, bien entendu, c'est que le problème de défense du Canada c'est qu'il n'a pas de problème. Au sens strict du terme « besoin », nous n'avons pas besoin d'un tel système pour protéger notre souveraineté nationale. Les forces armées canadiennes ne servent pas outre-mer des besoins de défense classique.

    La question est plutôt de savoir si le Canada veut participer à la correction de certaines injustices par le recours à la force? Y a-t-il des régions dans lesquelles le Canada souhaite apporter sa contribution à la paix et à la sécurité internationale ou régionale? Dans ce contexte, il faut penser aux forces armées exactement de la même manière qu'il faut penser à l'aide internationale ou à l'aide publique au développement du tiers monde. Avez-vous besoin de contribuer au développement du tiers monde? Non. Devriez-vous contribuer au développement du tiers monde? Oui.

    Je proposerais les mêmes arguments pour la paix et la sécurité internationales. De temps à autre il y a des situations—le Kosovo vient tout de suite à l'esprit, l'Afghanistan, et j'aimerais pouvoir ajouter l'Irak—où le Canada a... Permettez-moi de me limiter aux situations passées où les forces armées ont apporté leur contribution à la sécurité humanitaire, pour reprendre l'expression de M. Axworthy, ou à la sécurité et à la paix internationales. Mais au sens strict du terme, il n'y a pas de besoin. Si vous voulez considérer, comme moi, le Canada dans la grande famille des pays, d'un côté vous avez Israël où tout tourne autour de la défense nationale où c'est ce besoin de défense qui orchestre tout le reste, et d'un autre côté, vous trouvez le Canada où, à strictement parler, ce besoin est inexistant.

¿  +-(0925)  

+-

    M. Joe McGuire: Et pour les Américains, ce besoin existe?

+-

    M. Joseph Jockel: Oui.

+-

    M. Joe McGuire: Pourquoi?

+-

    M. Joseph Jockel: Simplement parce que les États-Unis étant la plus grande puissance du monde, ils ont des responsabilités auxquelles ils ne peuvent échapper.

+-

    M. Joe McGuire: Quelle responsabilité? S'il n'y a pas d'ennemi, s'il n'y a pas plus d'Union soviétique, s'il n'y a pas d'ennemi du genre Allemagne nazie, pourquoi les États-Unis auraient-ils besoin d'un système de défense antimissiles contre personne?

+-

    M. Joseph Jockel: Est-ce que vous parlez de forces armées, ou d'un système de défense antimissiles ou des deux?

+-

    M. Joe McGuire: D'un système de défense antimissiles, par des forces armées.

+-

    M. Joseph Jockel: Le système de défense antimissiles que les États-Unis vont déployer est nécessaire pour protéger les États-Unis de la possibilité, de la forte probabilité, que plusieurs pays voyous acquièrent des missiles capables de frapper le territoire américain. Les États-Unis, tout particulièrement leur expérience du 11 septembre, ne sont pas même prêts à vivre avec cette possibilité.

+-

    M. Joe McGuire: J'ai une deuxième question, monsieur le président.

    Il est très difficile d'avoir l'attention des Américains sur ce que nous avons fait au Canada en réponse au 11 septembre, en réponse à l'Afghanistan, ou en réponse au Kosovo ou en Bosnie. C'est comme si nous n'avions rien fait parce que nous n'avons pas emboîter le pas à propos de l'Irak.

    Vous savez, c'est vraiment difficile... Le président a fait des discours au Congrès où il a donné la liste des pays qui avaient beaucoup aidé les Américains. En réalité, ils avaient beaucoup moins aidé que notre pays. Pourtant, le Canada semble jamais ne faire partie d'aucune liste ou de contribution spéciale. Tout ce que font les Américains, c'est constamment critiquer la faiblesse de notre budget de défense alors que par tête d'habitant nous occupons probablement le troisième rang dans le monde. Bien sûr, si on le compare à celui des États-Unis, nous ne serons jamais à la hauteur, car comparé à celui des États-Unis, notre budget de défense est ridicule.

    Il faudrait peut-être mettre un terme à ce genre de diatribe, mais je crois que notre pays souffre... Pourquoi n'avons nous pas le droit d'être nous-mêmes? Pourquoi notre pays n'adopterait-il pas une position plus indépendante puisque, quoique nous fassions, ça ne compte pas?

+-

    M. Joseph Jockel: Vous avez soulevé plusieurs questions, mais deux plus particulièrement.

    La première concerne l'influence que le déploiement de forces armées donne au Canada. Il est vrai qu'on a plus d'influence dans la tente qu'à l'extérieur de la tente, mais cette influence continue à rester très limitée. Comme vous l'avez dit vous-même, pensez qu'en participant à un système national de défense antimissiles ou qu'en déployant er des forces armées outre-mer on va acquérir de l'influence, va être très décevant. Et ce sera toujours une expérience décevante étant donné la taille et la puissance des États-Unis.

    Comme je l'ai déjà suggéré, à mes yeux, le véritable objectif du maintien de nos forces armées est la contribution à la sécurité humanitaire ou à la paix ou la sécurité internationales. Il arrivera—il est arrivé souvent tout au long de l'histoire canadienne—que les Canadiens veuillent déployer leurs forces armées pour une juste cause. C'est la seule raison.

¿  +-(0930)  

+-

    M. Joe McGuire: Que je sache, nous avons toujours répondu à l'appel. Il y a 48 000 tombes de Canadiens en Europe. J'estime que c'est indicatif de notre engagement pour la paix mondiale et de notre volonté de défendre la liberté des démocraties, etc. Il reste que pour les États-Unis cela ne compte pratiquement pas. Je continue à maintenir qu'il est très difficile de faire reconnaître par le gouvernement américain nos contributions— aujourd'hui, et encore moins hier.

+-

    M. Joseph Jockel: C'est probablement vrai.

    Encore une fois, il ne s'agit pas... Tenez-vous vraiment à ce que les Américains vous remarquent tout le temps? Est-ce qu'il faut qu'ils disent constamment mais oui, nous vous sommes reconnaissants; infiniment, éternellement reconnaissants? Est-ce qu'il s'agit vraiment de cela?

+-

    Le président: Monsieur McGuire, vous avez largement dépassé votre temps de parole. Il faudra donc que nous mettions fin à cette série de questions.

    Il faut que nous passions maintenant à M. Bachand. 

[Français]

+-

    M. Claude Bachand (Saint-Jean, BQ): Merci, monsieur le président. Je voudrais souhaiter à mon tour la bienvenue au professeur Jockel.

    Je ne sais pas si vous connaissez le centre d'études du Canada à Plattsburgh? Ce sont des gens qui sont très actifs et je travaille énormément avec eux.

+-

    M. Joseph Jockel: Je connais surtout l'ancien directeur.

+-

    M. Claude Bachand: Je travaille beaucoup avec eux sur l'économie. On a aussi de bonnes discussions sur la politique de défense et c'est là-dessus que je veux vous questionner.

    Est-ce que vous n'avez pas l'impression que depuis 1938, alors que Roosevelt est venu dire à Mackenzie King que les États-Unis ne toléreraient jamais que le Canada soit attaqué par une puissance étrangère, le Canada s'est tout simplement dit qu'il n'a pas à investir massivement en matière de défense? On s'est dit qu'on a un voisin qui a une énorme puissance militaire et qu'il va nous protéger de toute façon s'il arrive quelque chose de néfaste pour le Canada.

    Est-ce que vous pensez que cette théorie de l'époque Roosevelt-Mackenzie King s'applique encore aujourd'hui, avec une certaine flexibilité?

+-

    M. Joseph Jockel: C'est une chance importante. Vous me donnez l'occasion de soutenir quelque chose que notre ambassadeur M. Cellucci a dit il y a quelques mois. Il a dit en anglais que les États-Unis avaient toujours été là pour le Canada. Ce fut critiqué par plusieurs Canadiens, mais ce qu'il a dit était vrai. Les États-Unis étaient là lors de l'été de 1940, au moment du danger le plus grave pour le Canada, soit au moment où il semblait que le Royaume-Uni perdrait la guerre. Lorsqu'un vrai danger pour le Canada s'est manifesté pour la première fois, le président Roosevelt est allé à Ogdensburg, dans l'État de New York, près de Canton, New York, où j'habite. Pour la première fois, on a signé un accord de défense avec le Canada.

    Est-ce que j'ai vraiment répondu à votre question?

+-

    M. Claude Bachand: Je me demandais si le Canada ne s'en est pas remis depuis ce temps au fait qu'il y a une énorme puissance qui le protège et que, conséquemment, il n'a pas à investir des centaines de milliards dans son propre système de défense parce qu'on pourra compter sur notre allié pour nous défendre si quelque chose se passe?

+-

    M. Joseph Jockel: Oui, on a appelé ce phénomène « the involuntary guaranty ». C'est la garantie involontaire américaine accordée au Canada. Les États-Unis le font non pas seulement parce que le Canada est un partenaire économique ou parce que nous aimons les Canadiens, bien que tout cela soit vrai, mais c'est dans notre intérêt national de protéger le Canada.

    Donc, ce n'est pas nécessaire que les Canadiens se sentent reconnaissants envers les États-Unis pour notre effort de défense. C'est dans notre intérêt national.

¿  +-(0935)  

+-

    M. Claude Bachand: Plus tôt, vous avez mentionné que les Américains sont plus intéressés par un appui politique lorsqu'ils s'en vont en guerre que par une participation effective des troupes. C'est aujourd'hui une superpuissance qui peut défaire n'importe quelle armée. Les Américains font des efforts pour avoir des coalitions pour justement se donner une certaine légitimité d'intervention. C'est ce qui les intéresse.

    J'ai une théorie sur la défense antimissile et je reviens là-dessus parce que c'est ce qui est vraiment d'actualité ces jours-ci. Si je suis votre raisonnement--et j'ai un peu le même--, vous dites que s'il y avait une attaque contre une ville américaine ou une ville canadienne, elle passerait au-dessus de la calotte polaire. Il y a actuellement à peu près seulement la Corée du Nord et la Russie qui peuvent envoyer des missiles au-dessus de la calotte polaire pour venir frapper les États-Unis.

    Je pense que ce qui pourrait peut-être intéresser les Américains plus qu'autre chose, ce n'est pas nécessairement qu'on investisse deux ou trois milliards de dollars dans le bouclier, mais ce serait plutôt le territoire canadien. Il y a toute la question des débris qui fait en sorte qu'actuellement, les intercepteurs sont uniquement en Alaska. Alors, si une attaque passait par la calotte polaire, le temps qu'ils mettraient à l'intercepter serait important. Vous avez parlé plus tôt de minutes. Effectivement, NORAD va le détecter en quelques secondes, mais ça peut prendre une vingtaine de minutes avant de venir frapper. Un intercepteur qui partirait de l'Alaska pour frapper le missile nord-coréen passerait au-dessus du territoire canadien.

    J'ai l'impression que le Canada serait prêt à avoir des installations d'intercepteurs dans le Grand Nord canadien pour que l'interception se fasse au-dessus de la calotte polaire et non au-dessus du territoire canadien.

    Est-ce que vous pensez que cela a une certaine logique?

+-

    M. Joseph Jockel: C'est une question technique. Je ne suis pas du tout certain qu'il y aurait des débris sur le sol canadien causés par les intercepteurs situés en Alaska. Vous devriez consulter des experts techniques. En général, c'est un argument qui me chagrine. Ce qui me chagrine, c'est le fait que les Canadiens débattent de la question de la possibilité de débris sur leur territoire.

    Pour ma part, je voudrais poser une simple question. Que préfériez-vous, un peu de débris au nord du Canada ou une explosion nucléaire à Los Angeles?

+-

    M. Claude Bachand: Êtes-vous américain?

+-

    M. Joseph Jockel: Oui.

+-

    M. Claude Bachand: Je n'ai pas d'autres questions.

[Traduction]

+-

    Le président: Merci, monsieur Bachand.

    Monsieur Price.

+-

    M. David Price (Compton—Stanstead, Lib.): Merci, monsieur le président.

    Merci, monsieur Jockel, d'être des nôtres. Ce n'est pas la première fois que j'ai l'occasion de vous entendre, et j'ai toujours trouvé vos propos très intéressants. Ce qui est intéressant, c'est que pour un Américain vous connaissez très bien la situation canadienne.

    Ma première question porte sur la perception. Vous n'ignorez pas que notre participation au NORAD à l'heure actuelle est totalement intégrée, pour reprendre un terme à la mode, et qu'elle est permanente. J'entends par là qu'en règle générale, les Canadiens y sont en poste pour une durée d'à peu près quatre ans tandis que les Américains n'y vont que pour des périodes de deux ans. Par conséquent, très souvent, ce sont des Canadiens qui donnent l'instruction aux Américains. L'autre opération à laquelle nous sommes très intégrés c'est le système américain AWACS. Les opérations de NORAD sont placées sous le commandement du général Eberhart, et le groupe canadien 21C sous celui du général Pennie. Étant donné que le général Eberhart se trouve souvent à Washington, la plupart du temps, les opérations sont sous le commandement d'un Canadien.

    Là où je veux en venir, c'est que nous participons de façon très intensive aux opérations. La population canadienne semble assez peu au courant de cela, tout comme les Américains, y compris bon nombre d'hommes politiques américains, qui ignorent tout ce que nous faisons là.

    Vous-même êtes au coeur du système et avez une assez bonne idée de ce qui se passe; par conséquent, d'après les gens à qui vous parlez, estimez-vous que mes propos sont justes?

¿  +-(0940)  

+-

    M. Joseph Jockel: Oui, mais permettez-moi d'ajouter quelques précisions. Cela me permet d'ailleurs d'étoffer la réponse que j'ai auparavant donnée à la question de M. Benoît, au sujet du roulement du personnel.

    Une autre raison pour laquelle les militaires américains apprécient la présence des Canadiens au Colorado, c'est là cause de la qualité de leurs effectifs qui y travaillent. Bien sûr, cela tient à la grande qualité des Forces canadiennes en général, mais aussi au fait que les postes qu' occupent les officiers des forces aériennes sont prestigieux. On peut ainsi passer de chef d'état-major des Forces aériennes canadiennes à commandant en chef adjoint de NORAD. Les Forces américaines, malgré leur nombre, connaissent quand même des pénuries, et elles sont ravies de découvrir des Canadiens d'un si haut calibre.

    Ici encore, les relations canado-américaines suivent le même schéma qu'ailleurs. En général, est-ce que les Américains parlent des rapports entre nos deux pays? Non. Est-ce que le Congrès américain discute tous les jours des rapports entre le Canada et les États-Unis? Non. Malgré cela, plus on se rapproche de ceux qui s'occupent précisément de gérer ces rapports, plus on découvre des gens qui s'y connaissent, qui comprennent bien de quoi il est question. Après tout, le bureau le plus important du Département d'État, c'est le bureau du Canada. Il y a des Canadiens au Pentagone qui consacrent tout leur temps à traiter avec le Canada. Dans ces milieux-là, on est tout à fait au courant de la valeur considérable des Canadiens, et cela a des retombées sur les services du renseignement et d'autres encore.

    Au sujet de la défense antimissiles, le Canada doit réfléchir à ceci : Si NORAD vient à disparaître, cela aura des répercussions là-bas sur ceux qui sont au courant. Il est toutefois plus difficile de savoir quelles seraient les répercussions de la perception comme quoi les Canadiens ne sont pas les partenaires les plus proches des Américains en matière de défense. C'est très difficile à mesurer.

+-

    M. David Price: Dans quelle mesure est-ce que le public est au courant de la très forte participation du Canada, et qu'en sait la population?

+-

    M. Joseph Jockel: Ça ne va pas très loin.

+-

    M. David Price: Il ne semble pas y avoir de solution facile à cela, n'est-ce pas?

+-

    M. Joseph Jockel: Encore une fois, il s'agit d'une phénomène assez singulier, on ne saurait trop insister là-dessus. Au centre de cette énorme opération de défense aérospatiale américaine, les Canadiens sont en bonne place, et malgré cela, leur apport se limite à quelques avions de chasse et stations radar. Ça n'empêche pas le Canada d'être au coeur de l'opération. Dans le cas improbable où il y aurait un appel téléphonique au président, ça se pourrait même être un général canadien au bout du fil. Deux généraux canadiens sont assesseurs à Colorado Springs et ont l'autorité voulue pour confirmer les mesures au nom du NORAD.

+-

    M. David Price: Comme cela aurait pu se passer le 11 septembre...

+-

    M. Joseph Jockel: Oui, et vous n'ignorez sans doute pas que les Canadiens ont beaucoup participé aux efforts déployés ce jour-là.

+-

    M. David Price: J'ai trouvé une autre de vos affirmations très intéressante, à savoir qu'aucune puissance ne menace l'Europe. Et nous avons entendu d'autres questions, celles-là sur le bien-fondé d'un système de défense antimissiles en Amérique du Nord. Eh bien, la même chose vaut pour l'Europe, qui en ce moment est en train de mettre sur pied son propre système de défense antimissiles, qui sera d'ailleurs partiellement opérationnel l'année prochaine.

+-

    M. Joseph Jockel: En effet, et il y a en plus, des discussions en cours là-dessus avec les Japonais, et enfin, le sujet suscite de l'intérêt dans le monde entier. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles les États-Unis ne parlent plus de système national de défense antimissiles, car il s'agit plutôt d'un système qui couvrira l'Amérique du Nord. L'acronyme GMD désigne un système de défense à mi-parcours au sol, qui fournira des boucliers antimissiles ailleurs dans le monde.

¿  +-(0945)  

+-

    M. David Price: Eh bien, oui, bien entendu. Étant donné que les Américains étaient régis par le Traité sur la limitation des systèmes antimissiles balistiques et ne pouvaient rien faire à l'échelle locale, ils ont travaillé ardûment avec les Européens, y compris les Français pour construire ce système.

+-

    Le président: Monsieur Price, il faudra que nous nous arrêtions ici, malheureusement.

    Nous allons maintenant donner la parole à madame Gallant pour cinq minutes.

+-

    Mme Cheryl Gallant (Renfrew—Nipissing—Pembroke, Alliance canadienne): Merci, monsieur le président.

    Monsieur Jockel, que savez-vous au sujet de l'alliance officielle de défense désignée sous le sigle ABCA, qui représente les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada et l'Australie?

+-

    M. Joseph Jockel: Je ne connais aucune alliance de défense qui porte ce nom. Vous songez peut-être à des arrangements de sécurité et de renseignement existant entre le Canada, la Grande-Bretagne, les États-Unis et l'Australie. Je n'en sais rien cependant.

+-

    Mme Cheryl Gallant: Bien. Pouvez-vous nous parler de l'importance de NORAD par rapport à l'Agence spatiale canadienne, et ce qui pourrait arriver à l'organisme canadien dans le cas où NORAD deviendrait désuet?

+-

    M. Joseph Jockel: NORAD est un lien important, mais il est quelque peu éloigné de l'Agence spatiale, ce qui affectera donc moins cette dernière.

    C'est cependant beaucoup plus important par rapport aux objectifs militaires spatiaux du Canada. Les Forces canadiennes, comme toutes les autres,dépendent considérablement des opérations spéciales, surtout en matière de communications. Du fait que le Canada et ses forces militaires sont au coeur de l'effort de défense aérospatiale américain, ils ont eu accès aux opérations militaires américaines basées dans l'espace, bien que cela ait moins d'importance maintenant.

    Vous avez peut-être entendu dire que NORAD a fourni un accès inégalé au commandement spatial américain. Rappelons toutefois que dans le cadre des arrangements convenus l'année dernière, ce commandement a été aboli et n'est donc plus le jumeau de NORAD. Il a laissé la place au commandement septentrional américain, et par le fait même il a beaucoup perdu de son importance.

    Excusez-moi, je m'éloigne un peu du sujet. Je ne dirais donc pas que NORAD est un lien d'une importante primordiale pour l'Agence spatiale. Il est beaucoup plus important pour les opérations militaires spatiales.

¿  +-(0950)  

+-

    Mme Cheryl Gallant: Combien de divisions ou d'autres groupes américains peuvent déployer des parachutistes?

+-

    M. Joseph Jockel: Je l'ignore.

+-

    Mme Cheryl Gallant: Les Américains ont conservé un grand nombre de leurs unités de parachutistes. D'après vous, pourquoi est-ce que cela est important à leurs yeux, quand le Canada a laissé tomber ce genre d'unités?

+-

    M. Joseph Jockel: Toute cette question est très politisée ici à cause de l'histoire du régiment aéroporté, qui a mené le gouvernement de l'époque à prendre des mesures extrêmes. Aux États-Unis, le passé n'avait pas le même poids. C'est en partie la réponse.

    Pour situer les choses dans une perspective plus vaste, les États-Unis veulent continuer à recourir parfois à la force en politique étrangère, en même temps qu'à d'autres moyens très divers, et ils le font d'ailleurs de temps à autre. Ainsi par exemple, dans la guerre en Irak, ils ont envoyé des troupes de parachutistes. En revanche, ces dernières années, et même depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la stratégie militaire du Canada a été de se concentrer sur certaines capacités d'intervention et de les développer.

    La marine contrôle la mer. Les forces aériennes comptent des chasseurs d'interception et l'armée des brigades spécialisées. Le gouvernement du Canada ayant choisi des créneaux précis a donc décidé de ne pas avoir de troupes aéroportées.

+-

    Mme Cheryl Gallant: Une dernière question. Pouvez-vous me donner un exemple qui justifierait un emploi important du français dans les opérations militaires conjoints Canada—États-Unis? À votre connaissance, y a-t-il jamais lieu de s'en servir?

+-

    M. Joseph Jockel: Me demandez-vous de vous donner un exemple d'une circonstance où l'on utiliserait le français?

+-

    Mme Cheryl Gallant: Lorsque le Canada et les États-Unis participent à des opérations interarmées, et pas seulement celles où il y a partage de responsabilités mais où il s'agit d'une mission conjointe, est-ce qu'on se sert jamais du français?

+-

    M. Joseph Jockel: Non, les forces américaines et canadienne utilisent l'anglais ensemble. Cela dit, le fait de compter des gens qui s'expriment en français a été particulièrement utile lors de missions multinationales, comme les missions de maintien de la paix dans les Balkans, où se trouvaient des troupes françaises, canadiennes et américaines.

    Je ne veux pas vous laisser l'impression que le bilinguisme est un obstacle quelconque à la coopération canado-américaine en matière de défense. Après tout, les chasseurs d'interception de Bagotville opèrent au Québec et sont sous le commandement du NORAD. Ce n'est vraiment pas un problème pour les rapports entre le Canada et les États-Unis. Les opérations militaires Canada-États-Unis s'effectuent presque exclusivement en anglais.

+-

    Le président: Je vous remercie, monsieur Jockel.

    Merci, madame Gallant.

    Nous allons maintenant donner la parole à madame Neville pour cinq minutes.

+-

    Mme Anita Neville (Winnipeg-Centre-Sud, Lib.): Merci monsieur le président.

    Je vous remercie monsieur Jockel de vos remarques, et je m'excuse aussi d'être arrivée en retard.

+-

    M. Joseph Jockel: J'ai des étudiants, ça ne me choque donc pas.

¿  +-(0955)  

+-

    Mme Anita Neville: Beaucoup de Canadiens s'opposent à la participation du Canada au système de défense antimissiles. J'en entends certes beaucoup parler dans ma propre collectivité. Le premier ministre a dit que le Canada ne participera pas à un système spatial de défense antimissiles. Est-il réaliste de passer à un système de défense antimissiles au sol sans participer à un système spatial du même genre?

+-

    M. Joseph Jockel: Cela me paraît tout à fait réaliste pour le moment. On n'a pas vraiment lieu de se soucier d'une telle question. Aucun des éléments du bouclier antimissiles que les États-Unis ont l'intention de déployer l'année prochaine ne sera lancé dans l'espace, aucun. Les États-Unis n'ont nullement l'intention de déployer des armes spatiales. Certains programmes de recherche auront peut-être comme résultat une proposition en ce sens, mais peut-être que non.

    En ce moment, aux Etats-Unis, se déroule un débat très animé au sujet des armes spatiales. D'une part, certains prétendent qu'il est naïf de penser qu'on peut éviter la militarisation de l'espace. La terre, la mer et l'air font maintenant partie des opérations militaires, l'espace finira bien par suivre. Ses protagonistes soutiennent que la domination de l'espace devrait être l'objectif des États-Unis. D'autre part, dans le camp opposé, qui regroupe plus de gens, on estime qu'aucune autre puissance militaire, à part des États-Unis, ne dépend autant de dispositifs spatiaux, comme les satellites. Par conséquent, aucune autre force militaire n'aurait de plus grave problème dans l'éventualité d'une militarisation de l'espace, ce qui pourrait lui nuire. Le débat n'est pas terminé.

    À mon avis, il ne fait aucun doute que si le Canada décidait d'adhérer au système de défense antimissiles, il le pourrait pour la durée d'un système au sol. En effet, les ententes de NORAD ne durent que cinq ans et on peut même s'en retirer avant, bien que je ne me souvienne pas exactement comment.

    Le système déployé à l'heure actuelle ne comprend aucune arme spatiale. Tout cela est très faisable, mais n'offre aucune garantie. Rien ne garantit en effet qu'un jour les États-Unis ne vont pas militariser l'espace. Cependant, tel n'est pas leur intention pour le moment, et tel ne le permet pas le système dont on discute à l'heure actuelle.

+-

    Mme Anita Neville: Je vous remercie.

+-

    Le président: Madame Neville n'ayant pas d'autre question à vous poser pour le moment, nous allons passer à M. Benoit, qui aura cinq minutes.

+-

    M. Leon Benoit: Je vous remercie, monsieur le président.

    J'ai quelques brèves questions à poser sur un sujet un peu différent. J'aimerais d'abord revenir à l'une de vos affirmations, et reprenez-moi si je ne vous cite pas fidèlement. Vous avez dit que le Canada n'a pas besoin de troupes pour protéger sa souveraineté, car il n'existe aucune menace réelle, et je vous vois déjà faire non de la tête.

+-

    M. Joseph Jockel: Je parlais de la situation outre-mer.

+-

    M. Leon Benoit: Bien, même si vous parliez uniquement de la situation outre-mer, c'est ce que je voulais mettre en cause. Beaucoup de gens invoquaient le même genre d'argument à l'époque où Hitler constituait ses troupes en Europe, et ils l'ont fait trop longtemps. Quand on pense à la situation dans les Balkans depuis 15 ans, qui sait comment les choses auraient pu tourner? Aussi, la situation en Afghanistan et en Irak où certains musulmans extrémistes sont en train de mettre sur pied des forces de combat, pourrait à la longue devenir une véritable menace pour nous ici même.

    Je suis assez étonné que vous n'estimiez pas nécessaire pour nous de participer à ces opérations, lorsqu'on tient compte de la sécurité et de la défense de notre nation.

+-

    M. Joseph Jockel: Il est difficile de concevoir un argument logique de poids en évoquant une menace si loin outre-mer et qui exigerait des dépenses militaires très élevées, avec pour toute justification que plus on dépense plus on se blinde contre ladite menace. Je ne réussis même pas à trouver les arguments qui justifieraient de tripler le budget canadien de la défense et d'affirmer que cela aura une incidence décisive sur la situation en Afghanistan, en Irak ou ailleurs. Le Canada n'est pas en mesure d'engager ce genre de ressource, et on ne peut établir de liens entre cette menace et la sécurité du Canada.

    Je ne cherche nullement ainsi à m'opposer à la dépense de fonds par le Canada au chapitre de la défense et à sa participation à des missions à l'étranger. J'estime cependant préférable de réfléchir aux circonstances où le Canada tient à recourir à la force pour renforcer la sécurité et la paix régionale et internationale.

+-

    M. Leon Benoit: Je comprends vos arguments mais je me demande si les gens n'auraient pas présenté les mêmes en 1930.

+-

    M. Joseph Jockel: Dans mon exposé, j'ai essayé de donner une idée des grandes difficultés inhérentes à la réflexion sur la défense. Vous savez, les choses ont vraiment changé. Le sénateur Dandurant avait tort la première fois, mais s'il était parmi nous aujourd'hui, il aurait raison. L'Europe n'est la proie d'aucune menace grave. Il n'existe aucune puissance hostile capable de dominer le monde comme on l'a vu dans le passé.

+-

    M. Leon Benoit: Dans ce cas, y a-t-il une bonne raison de conserver l'OTAN?

+-

    M. Joseph Jockel: Il n'existe aucune raison de garder l'alliance à des fins traditionnelles de défense. La seule raison de conserver l'OTAN vise des fins politiques en Europe. Elle doit pouvoir servir de cadre aux pays d'Europe de l'est afin qu'ils s'intègrent pleinement au partenariat transatlantique, et de regroupement permettant à certains de ses membres d'intervenir pour établir la paix et la sécurité, comme cela a été le cas au Kosovo.

    Rappelez-vous que le Conseil de sécurité n'avait adopté aucune résolution au sujet du Kosovo. À la place, quelques membres de l'OTAN, y compris le Canada au premier chef, ont eu recours à l'Organisation pour aider à libérer les Kosovars de l'oppression serbe.

À  +-(1000)  

+-

    M. Leon Benoit: Pensez-vous alors que l'OTAN pourrait se révéler un organisme de sécurité beaucoup plus efficace que l'ONU et qu'il pourrait la supplanter?

+-

    M. Joseph Jockel: Je n'en suis pas sûr. Cela me ramène au débat en cours aux États-Unis. N'oubliez pas que ce sont les structures officielles de l'OTAN, surtout le Conseil de l'Atlantique nord que les Français et le Allemands ont manipulé pour tromper les espoirs des Britanniques et des Américains d'appuyer la Turkie. Cela nous amène à remettre l'organisation en question.

    Cette possibilité est cependant maintenant partiellement bloquée, du fait du transfert de certains des pouvoirs exécutifs du Conseil de l'Atlantique nord au Comité des plans de défense, dont la France ne fait pas vraiment partie.

    Je suis sûr que le traité de l'Atlantique nord va demeurer, je n'en ai pas le moindre doute. Il nous engage tous à assurer notre sécurité réciproque. Je ne serais guère étonné aussi qu'à l'avenir, l'OTAN se prête à des arrangements beaucoup plus souples entre ses membres, afin qu'ils utilisent la force à l'extérieur de la zone de l'OTAN, plutôt que s'en tenir à des structures officielles telles que celles qui ont mené à l'imbroglio de Bruxelles l'année dernière.

+-

    M. Leon Benoit: Cette évolution est déjà en cours. On a remarqué des changements profonds depuis dix ans.

+-

    M. Joseph Jockel: Certes, certains Américains pensent que l'OTAN a trop de fils à la patte et que les États-Unis devraient la quitter.

+-

    Le président: Merci, monsieur Benoit.

    Puisque personne d'autre du parti gouvernemental ne semble vouloir poser de questions, monsieur Jockel, j'aimerais en poser quelques-unes moi-même.

    J'ai été frappé par vos remarques au sujet de l'évolution spectaculaire de la situation stratégique internationale. Justement, quelques ouvrages intéressants ont été écrits là-dessus récemment, dont un article de Michael Ignatieff paru dans le New YorkTimes, où il était question du fardeau de l'empire que les États-Unis s'efforcent d'assumer.

    J'ai aussi trouvé très intéressant le livre de Robert Kagan intitulé « la Puissance et laFaiblesse ». L'auteur y peint une situation mondiale où l'Europe et les États-Unis divergent considérablement.

    L'Irak a certes illustré cela : il y a eu un sérieux mouvement des « plaques tectoniques » des intérêts de chacun sur le plan de la sécurité, et pour reprendre les termes de Kagan, les États-Unis incarnent Mars et l'Europe Venus. À ses yeux, les États-Unis sont un chérif et l'Europe un tenancier de saloon, et bien qu'il soit dans l'intérêt des deux de maintenir l'ordre public, les intérêts du tenancier de saloon ne sont pas toujours servis par l'activité énergique déployée par le chérif qui cherche à assurer sa propre sécurité. Tout ce que le premier veut au fond, c'est de pouvoir servir à boire à ses clients. C'est un livre très intéressant, c'est le moins qu'on puisse dire.

    Pour ce qui du multilatéralisme surtout, les Européens semblent entièrement mobilisés par cette question en ce moment. De l'avis de certains, la façon dont l'Europe s'est comportée envers les États-Unis récemment est une tentative de les ligoter comme Gulliver l'avait été, en les entravant au moyen de diverses règles et stratégies multilatérales, et ainsi de limiter leur capacité de poursuivre leurs intérêts stratégiques de façon quasi unilatérale, comme dans le cas de l'Irak. Face à cette situation, le Canada est confronté à un dilemme très épineux. Faut-il nous ranger davantage à l'avis des Européens et donc être plus favorables au multilatéralisme, ou devrions-nous devenir le sous-fifre du chérif, et même cela est peut-être un peu optimiste?

    J'aimerais savoir comment vous concevez la situation du Canada. Que devrait-il choisir pour bien protéger ses intérêts stratégiques? Aussi, envisagez-vous un réchauffement des relations entre la France et les États-Unis? Nous avons observé un petit dégel entre les présidents Bush et Chirac lors du sommet du G-8 et un léger rapprochement entre leurs pays respectifs. Pensez-vous que l'unilatéralisme américain va être un peu moins rigide, ou est-ce que ce sont les Européens qui pourraient faire preuve de plus de souplesse, ou mieux comprendre les intérêts américains en matière de sécurité?

À  +-(1005)  

+-

    M. Joseph Jockel: Merci de votre question, pour deux raisons. Elle m'a en effet amené à penser au Canada, à cause de votre mention de Robert Kagan. Je me suis demandé de quelle planète est le Canada?

    Une voix: Oh, oh!

    M. Joseph Jockel: Ça devient encore plus intéressant en raison de ce que disent les Européens, selon lui. Ils sont en train de devenir néo-pacifistes, tandis que les Américains envisagent encore de recourir à la force sur la scène internationale.

    Le cas du Canada est intéressant, car votre pays a connu une histoire militaire féroce mais il se voit rétrospectivement comme ayant un passé voué au maintien de la paix.Il est donc situé entre deux planètes à cet égard. Je ne suis pas sûr que les Canadiens aient vraiment quitté l'orbite de la première en 1945, et je me demande s'ils n'essaient pas de prétendre de ne l'avoir jamais habité, au moment où ils se dirigent vers la seconde.

    Comme je le disais, un débat est en cours. Or, c'est un véritable dilemme pour le Canada et j'ignore quelle sera l'issue du débat aux États-Unis. Il est facile d'imaginer que dans un avenir rapproché, les États-Unis s'abstiennent tout simplement de s'adresser au Conseil de sécurité pour obtenir l'autorisation de recourir à la force. De même, et ainsi que nous le disions plus tôt, en entrevoit sans peine que les États-Unis ne veuillent pas des structures officielles de l'OTAN la prochaine fois qu'ils voudront user de la force sur le plan international. De plus, étant donné les événements déplaisants des derniers mois, puisqu'ils se sont libérés de telles structures, peut-être voudront-ils créer des coalitions, en y admettant ceux qui seront prêts à faire leur part.

    Mais peut-être que non. D'autres diront qu'il est dans l'intérêt des États-Unis de renforcer les organisations multilatérales : les États-Unis ont encore besoin du Conseil de sécurité de l'ONU, un rapprochement avec la France est nécessaire.

    J'ignore quelle orientation prendra le débat. Je sais qu'il y a des connotations partisanes : les Républicains suivront un chemin et les Démocrates un autre, mais pas complètement. Dans tout cela, les élections présidentielles américaines de l'an prochain joueront un rôle très important.

    Cela dit, si le côté qui l'emporte est celui voulant que les États-Unis ne se laissent pas engluer dans le piège des contraintes multilatérales, les Canadiens feront alors face à un dilemme.

    Ce n'est pas la démarche privilégiée par le Canada sur la scène internationale. Si l'on peut supposer que dans une telle conjoncture le Canada ne cherchera pas étourdiment des contrepoids militaires aux États-Unis, ce qui est à peu près certain, alors deux possibilités s'offrent à lui : intensifier ses relations bilatérales avec les États-Unis, ou, je le répète, s'en abstenir, puisque une participation militaire à l'étranger ne s'impose pas vraiment.

+-

    Le président: Très bien. Merci.

    Monsieur Benoit.

+-

    M. Leon Benoit: Merci.

    Dans le même ordre d'idées, j'ai l'impression que le gouvernement canadien—et j'entends par là, tous les gouvernements et pas seulement celui qui est en place actuellement—s'intéresse moins aux intérêts stratégiques prioritaires. Par exemple, le premier ministre fait allusion régulièrement à l'Afrique, alors que nos intérêts économiques sur le continent africain ne sont pas très importants.

    En tant qu'Américain, pensez-vous que le Canada devrait cibler davantage ses intérêts primordiaux? Les États-Unis, évidemment, seraient le point de départ. On pourrait, par exemple, assurer une présence dans l'Arctique, surtout si on pense qu'un passage maritime s'y ouvrira dans un proche avenir, ainsi que dans d'autres régions avec lesquelles nous avons des relations commerciales, plutôt qu'en Afrique—où, très franchement, nos intérêts, surtout nos intérêts économiques, sont minimes. Il est sans doute vrai que nous avons des intérêts dans d'autres domaines.

    J'ai l'impression que le Canada s'intéresse moins à ce qui nous importe le plus.

À  +-(1010)  

+-

    M. Joseph Jockel: Étant donné votre important excédent, je pense que le moment est propice pour renouveler l'engagement du Canada pour les affaires internationales, notamment l'aide au développement international. Le Canada accuse un certain retard dans les domaines de l'aide au développement international et des budgets de la défense par rapport aux autres pays de même calibre. Des dépenses supplémentaires pourraient être faites dans tous ces domaines.

+-

    M. Leon Benoit: Pourquoi?

+-

    M. Joseph Jockel: Parce que c'est la chose à faire; parce qu'en plus de s'intéresser aux questions de souveraineté et d'intérêts nationaux, l'amélioration des conditions de vie des populations à l'étranger par le biais de la force de temps en temps et de l'aide internationale, est une juste cause.

+-

    M. Leon Benoit: Sur quoi vous fondez-vous pour dire cela?

+-

    M. Joseph Jockel: Sur des principes moraux. Les pays développés ont le devoir d'aider ceux qui le sont moins.

    M. Lloyd Axworthy a très bien exprimé cette idée en faisant référence à la sécurité humaine. J'aurais espéré qu'il accorde plus d'importance à la dimension militaire dans son discours sur la sécurité humaine.

+-

    M. Leon Benoit: Un peu moins de pouvoir discret, et un peu plus...

+-

    M. Joseph Jockel: Les deux.

+-

    M. Leon Benoit: Très bien, les deux. Je voulais tout simplement soulever la question.

    Pour ce qui est de la défense antimissiles, on m'a fait comprendre très clairement, voilà quelques années, que si le Canada avait participé de façon active d'emblée avec les États-Unis en leur disant « Cette initiative de défense antimissiles semble intéressante; parlons-en sérieusement », on aurait pu en tirer des avantages économiques en participant au projet. Nous contribuons à l'effort dans une certaine mesure; j'ai cru comprendre que certaines sociétés canadiennes collaboraient. Mais les avantages économiques auraient pu être bien plus importants si on s'était manifesté plus tôt.

    Est-ce bien le cas?

+-

    M. Joseph Jockel: Oui, je pense que c'est le cas. Le gouvernement canadien aurait pu participer aux étapes préliminaires, également. C'est un argument qui remonte à l'Initiative de défense stratégique américaine dans les années 80. Mais effectivement, les retombées auraient été plus importantes.

+-

    M. Leon Benoit: C'est vrai pour presque tous les projets—par exemple, le projet d'avion d'attaque interarmées—plus on s'engage tôt et entièrement, plus les retombées économiques sont intéressantes.

+-

    M. Joseph Jockel: Oui.

+-

    M. Leon Benoit: D'aucuns estiment qu'on ne devrait pas faire de rapprochement entre les questions économiques et la sécurité. Je pense que ces personnes auraient du mal à expliquer leur point de vue à monsieur tout-le-monde; parce que, concrètement, si on froisse les Américains, cela veut dire qu'une personne sur trois perdra son emploi. Je simplifie la situation, mais c'est un fait que près de 30 p. 100 de notre production est exportée aux États-Unis.

    Comme vous l'avez dit précédemment, il existe un lien entre les aspects économiques et militaires. On ne devrait pas faire semblant qu'il n'existe pas. Il ne faudrait pas que ce soit le facteur primordial dans la prise de décisions, mais il faut quand même qu'il soit pris en compte.

+-

    M. Joseph Jockel: Je suis d'accord.

+-

    M. Leon Benoit: Je n'ai plus de questions.

+-

    Le président: Merci, monsieur Benoit.

    Comme il n'y a plus de questions du côté libéral, je voudrais discuter avec vous, monsieur, du rôle que jouera le NORAD si le Canada décide de ne pas participer à la défense antimissiles. Vous m'avez donné l'impression que le Commandement spatial et le programme de défense antimissiles ne faisant pas partie du NORAD, cette organisation se retrouve sans grande responsabilité, à part, peut-être, le suivi des agissements du Père Noël le 24 décembre. Que deviendra le NORAD dans ces circonstances?

À  +-(1015)  

+-

    M. Joseph Jockel: Il resterait les opérations de défense aérienne, qui sont clés. Elles ne sont pas aussi importantes que les autres, et on devrait sans doute s'attarder sur les opérations essentielles.

    Mais ces opérations de défense aérienne ne peuvent pas être abandonnées. Nous avons vu le 11 septembre qu'il était essentiel d'avoir certaines capacités d'intervention. Il est concevable que les États-Unis déploient une opération nationale de défense antimissiles, ce qui renforcerait la défense aérienne. La défense antimissiles de croisière est conçue pour faire face à une menace provenant de la mer. Il n'y aurait pas cet aspect nord-sud qu'on retrouvait dans les relations de défense aérienne canado-américaines, le territoire et l'espace aérien canadiens ne seraient pas aussi touchés que par le passé.

    Il faut d'abord déterminer si on veut mettre en place un commandement de défense aérienne. Ce ne serait pas nécessaire. Le NORAD a été créé en 1957 pour coordonner des opérations de défense aérienne d'envergure sur tout le continent. Comme nous n'avons que quelques intercepteurs et que nos deux pays sont en service actif, un commandement de défense aérienne ne serait pas absolument nécessaire. Cela pourrait se faire en vertu d'accords d'avant 1957 entre Winnipeg, North Bay et l'Alaska—le commandement régional américain. Il faudrait se pencher sur cette question.

    Entre-temps, le groupe de planification bilatérale étudie la relation entre le Canada et le Commandement du Nord, qui a une incidence sur la coopération maritime. Ce groupe devra continuer son étude; une décision devra être prise quant à l'avenir de la coopération avec le Commandement du Nord américain.

    La défense aérienne deviendrait la priorité.

+-

    Le président: On peut dire que les relations canado-américaines ont connu une période difficile; il suffit de se rappeler les observations qui ont été faites en novembre lors du sommet de l'OTAN. Comment expliquez-vous cette situation, notamment par rapport à ce qui a été dit à vos étudiants à la St. Lawrence University? Comment peut-on expliquer ce sentiment anti-américain qui fait surface de temps en temps au Canada? Pouvez-vous le situer historiquement? Les relations entre les premiers ministres canadiens et les présidents américains ont parfois été difficiles, cela remonte aux années Diefenbaker-Kennedy et Trudeau-Nixon. Quelle importance a eu ce facteur?

+-

    M. Joseph Jockel: Il faut étudier la question globalement. L'accord de libre-échange nous a permis tous les deux de nous protéger des pires préjudices. Il y aura toujours des différends commerciaux et des difficultés, mais nous nous sommes protégés. Le contexte est bien différent.

    Durant ce cycle, il est inévitable que les perspectives internationales de l'administration américaine et du gouvernement canadien soient différentes, ce qui donnera lieu à des conflits. Ce n'est pas inhabituel, surtout lorsqu'il y a un changement de gouvernement. Mais, en général, lorsque les relations canado-américaines sont tendues—par exemple, les années Diefenbaker-Kennedy ou Trudeau-Reagan—un nouveau gouvernement est mis en place. Ensuite, il y a une petite séance de réconciliation—par exemple, M. Pearson est allé à Hyannisport et M. Reagan à Québec—et la situation s'améliore ou se détériore. Je pense qu'une séance de réconciliation s'annonce dans les prochains mois, au printemps, plus précisément.

    Une voix: M. Martin ira à New York.

    M. Joseph Jockel: Pour visiter New York?

    Pour le moment, nous n'avons pas atteint le point le plus bas. Les années Diefenbaker-Kennedy n'étaient pas des plus faciles, mais c'est vraiment la crise des missiles à Cuba qui remporte la palme. Nous n'en sommes pas encore à ce point.

À  +-(1020)  

+-

    Le président: Monsieur Price.

+-

    M. David Price: Merci, monsieur le président.

    Deux questions rapides. Je vous demanderai de revenir sur les questions de  Leon sur l'OTAN, à savoir les forces de l'Union européenne qui se forment en parallèle aux forces de l'OTAN. Il y aura évidemment un certain double emploi—il s'agit des mêmes personnes—et j'aimerais savoir quelle en sera l'incidence sur l'alliance transatlantique. Ensuite, quelle sera la participation du Mexique à l'organisation de l'Atlantique...

+-

    M. Joseph Jockel: Pour ce qui est de votre première question, il n'est pas dit que les forces européennes verront le jour. Ceci rejoint les questions qui ont déjà été posées, mais comme on m'a demandé de discuter des relations canado-américaines, je vais vous poser une question.

    J'ai insisté sur le fait que depuis 1994 la politique canadienne en matière de défense autorise le recours à la force sur la scène internationale dans le cadre de contingents multilatéraux. Or, seuls les États-Unis sont en mesure d'orchestrer une guerre. Par conséquent, lorsqu'on parle du recours à la force par le Canada sur la scène internationale, c'est dans le cadre d'une guerre qui serait menée par les États-Unis. Si les forces européennes voient le jour, alors le Canada pourra établir d'autres partenariats, j'ai bien dit, si les forces européennes voient le jour. Il faut se rappeler que tout comme l'option du recours à la force dans une guerre menée par les États-Unis n'engage en rien—cela a été démontré de façon dramatique en Irak—le recours à la force ne sera pas obligatoire si des forces européennes sont créées.

+-

    M. David Price: Monsieur le président, je l'avais conçu de façon différente. Si des forces européennes étaient effectivement créées, le Canada serait isolé—parce qu'alors l'avenir de l'OTAN serait incertain—et il serait obligé de se rapprocher des États-Unis. N'êtes-vous pas d'accord?

+-

    M. Joseph Jockel: Pas tout à fait. J'entamerais des discussions avec les autorités de l'Union européenne pour identifier, sans nécessairement s'engager, le rôle potentiel du Canada dans une opération menée par l'Union européenne, à laquelle l'Europe et le Canada auraient donné leur accord.

    Pour le moment, la création d'une force européenne est peu probable, notamment en raison du mécontentement de la Grande-Bretagne sans parler de l'opposition des États-Unis. Par contre, si cette force voit le jour, elle représentera une autre option pour le Canada. Il risque d'y avoir certains problèmes parce que les forces canadiennes sont en train de résoudre les problèmes de compatibilité avec les forces américaines. Il est également vrai que cette option pourrait bien cadrer avec les politiques canadiennes récentes en matière de défense.

+-

    M. David Price: Et les Mexicains?

+-

    M. Joseph Jockel: Ah oui, les Mexicains. Je ne pense pas que le Mexique aura un rôle à jouer dans un contexte Nord Atlantique. Ce qui est intéressant, c'est qu'il y a maintenant un représentant mexicain à Colorado Springs qui travaille au sein du Commandement du Nord. Les autorités américaines parlent très prudemment du rôle que pourra assumer le Mexique. J'ai l'impression que le Canada va également participer à ces discussions et que le Commandement du Nord servira de véhicule aux discussions, non pas sur l'utilisation des forces armées pour contrer une éventuelle attaque terroriste mais plutôt sur l'après—attaque ou l'après—catastrophe naturelle.

    Le Commandement du Nord deviendrait peut-être la concrétisation de la coopération canado-americano-mexicaine. Qui l'aurait cru? Les forces armées mexicaines sont très petites. Le Mexique hésite énormément à recourir à la force et à établir des relations militaires avec les États-Unis, mais on a bien l'impression que quelque chose se dessine à l'horizon.

À  +-(1025)  

+-

    M. David Price: En général, le Mexique s'intéresse à la façon de faire canadienne parce que nos forces armées sont plus ou moins de la même taille. L'ampleur des forces armées américaines inquiète quelque peu les autorités mexicaines, qui désirent néanmoins s'y rattacher dans la mesure où ça peut leur être utile, disons.

+-

    M. Joseph Jockel: Oui.

+-

    Le président: Merci, monsieur Price.

    Monsieur Benoit.

+-

    M. Leon Benoit: La situation de la Grande-Bretagne lors des réunions des parlementaires de l'OTAN, ou les entretiens avec des responsables militaires en Grande-Bretagne semblent indiquer qu'à bien des niveaux la Grande-Bretagne ne cadre pas avec le reste de l'Europe. Par contre, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont une relation militaire assez étroite.

    Le Canada et la Grande-Bretagne ont toujours eu une relation étroite à certains niveaux. Mais je ne pense pas qu'on se soit beaucoup attardé sur cette relation ces dernières années. D'après moi, la Grande-Bretagne, les États-Unis et le Canada ont beaucoup plus de points communs que la Grande-Bretagne et le reste de l'Union européenne, que ce soit au niveau des valeurs, de notre façon de faire, etc.

    Avez-vous des observations sur...

+-

    M. Joseph Jockel: Vous connaissez sans doute le terme « anglosphère » français, qui est très à la mode. On entend par là que les pays de langue anglaise ont une espèce d'alliance informelle et, dans bien des cas, formelle. La participation américano-britanno- australienne en Irak a contribué à alimenter le débat.

    Vous savez également que la guerre en Irak a fait surgir toute une série de vieilles questions au Canada, les Canadiens francophones s'opposant à la participation à la guerre davantage que les Canadiens anglophones. L'argument est peut-être bien fondé.

    On prétend aussi que le rapprochement timide entre les États-Unis et l'Inde confirme le phénomène d'anglosphère. Je ne sais pas jusqu'où cela ira. Les relations entre les États-Unis et les autres pays en souffrent et les Britanniques sont obligés de prendre des décisions fondamentales.

    Je pense que l'idée d'un bloc de pays anglophones ayant une même vision est fondée. Mais je ne sais pas jusqu'où ça ira.

+-

    M. Leon Benoit: Il me semble impossible que la Grande-Bretagne, par exemple, soutienne ou adopte l'Euro dans un avenir rapproché. J'ai plus tôt l'impression qu'une nouvelle distance se soit installée entre la Grande-Bretagne et le reste de l'Europe.

    Voilà cinq ou six ans, nous avons discuté, en tant que groupe, du renforcement de notre relation avec la Grande-Bretagne parce que nous avons beaucoup de valeurs communes.

+-

    M. Joseph Jockel: Il serait sans doute très utile d'étudier l'expérience anglo-canadienne en Afghanistan. Vous vous souvenez sans doute que les Canadiens ont travaillé très étroitement avec les Britanniques au début de l'intervention en Afghanistan. Ces dernières années, on a constaté une plus grande coopération militaire canado-américaine à l'étranger. Il faudrait faire appel aux experts pour savoir comment régler les problèmes de compatibilité entre les systèmes britanniques et canadiens. Il serait d'ailleurs intéressant d'étudier cette question.

+-

    M. Leon Benoit: Très bien. Merci.

+-

    Le président: Merci, monsieur Benoit.

    Professeur, j'aimerais m'attarder pendant quelques minutes sur la situation irakienne.

    Peut-être savez-vous déjà que le premier ministre a indiqué à maintes reprises que le Canada n'envisagerait le recours à la force que dans le cadre d'une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU. Certains d'entre nous—et là, je n'oserais pas parler pour les autres—ont trouvé cette déclaration ou doctrine quelque peu inquiétante. Je n'ai toujours pas tout à fait compris si cette doctrine servira de politique canadienne dans l'avenir et guidera la participation canadienne pour ce qui est du recours à la force.

    D'après vous, comment se dérouleront les choses au Canada?

À  +-(1030)  

+-

    M. Joseph Jockel: Tout dépendra de la situation. Il ne faut pas oublier que ce même gouvernement a fait participer son pays à la guerre au Kosovo sans déclaration de l'ONU. La guerre en Irak a été déclarée sans déclaration de l'ONU et le gouvernement canadien a affirmé qu'une telle déclaration était essentielle. Quel scénario crée un précédent?

    Aucun, d'après moi. Il est vrai que d'après les déclarations de M. Martin, le premier scénario semble être plus déterminant que le deuxième.

+-

    Le président: D'accord.

    Je voudrais aussi savoir ce que vous pensez de l'influence de la sécurité sur la psyché collective aux États-Unis après les attentats du 11 septembre. On a reproché aux Canadiens de ne pas vraiment comprendre ce nouvel aspect psychologique qui a pris naissance après l'écroulement des tours jumelles. Pensez-vous que c'est un problème qui se retrouve non seulement au Canada mais également en Europe et au sein de la communauté internationale qui n'est pas en mesure d'appréhender la nouvelle situation, à savoir les nouvelles menaces auxquelles font face les États-Unis actuellement?

+-

    M. Joseph Jockel: Oui. Il se peut que la guerre en Irak ait changé cela de façon marquée. On verra bien. Vous avez raison de dire que les Américains sont toujours anxieux. Ils sont maintenant prêts à soutenir de nouvelles formes de contrôle aux frontières, le recours des forces américaines dans le cadre de politique internationale et même à accepter des pertes de vie à l'étranger afin d'assurer leur sécurité. J'ai peut-être l'air de me répéter, mais je pense qu'après la guerre en Irak, on a compris que pour les États-Unis, la sécurité est primordiale.

+-

    Le président: Peut-être que la question vous semblera bizarre, mais la politique étrangère des États-Unis semble avoir souvent été marquée par l'isolationnisme. Mettons de côté les attentats du 11 septembre; peut-être y a-t-il des Américains qui pensent que l'idée de défense avancée est mal placée et que les États-Unis devraient plutôt s'assurer que leur territoire national est bien protégé, que les États-Unis ne devraient pas s'intéresser aux guerres des autres et que leur pays perd trop de sang et d'argent en participant à des aventures à l'étranger qui, selon certains et surtout de l'extrême droite, ne permettent pas vraiment de rehausser leur sécurité.

    Pensez-vous que ce soit un sentiment répandu? Certains vous diront que la défense antimissile est une manifestation de ce phénomène, que ce qui intéresse les États-Unis, c'est de protéger leur territoire national, et que ce concept de défense antimissile mondiale n'est que de la poudre aux yeux de la communauté internationale. Pour le moment, c'est leur propre sécurité qui intéresse véritablement les États-Unis.

    On observe, dans une certaine mesure, la même chose au Congo. Les Français, eux, étaient prêts à intervenir—il est vrai qu'ils ont des liens coloniaux avec le Congo. On remarque que les États-Unis hésitent beaucoup à intervenir dans des régions où ils pourraient pourtant avoir une grande influence sur les guerres locales et régionales.

    Voulez-vous ajouter quelque chose?

À  +-(1035)  

+-

    M. Joseph Jockel: Oui. Je ne pense pas que la défense antimissile soit une manifestation de ce phénomène; c'est plutôt l'inverse. Rappelons-nous que la défense antimissile est en grande partie motivée par le désir de protection des capacités d'intervention à l'étranger des États-Unis.

    Je vais vous décrire un petit scénario. Dans dix ans, disons que l'Iran aurait acquis la capacité de lancer des missiles à tête nucléaire sur les États-Unis. La présence de ces missiles suffirait sans doute à décourager les États-Unis d'intervenir dans la région. Un système de défense antimissile permet effectivement aux États-Unis d'avoir recours à la force dans leur propre intérêt et dans celui de la paix et de la stabilité internationales à l'étranger. Il ne faut pas l'oublier.

    Pour ce qui est de l'isolationnisme, il est vrai que c'est une tendance ancrée et latente, qui n'est parfois pas si latente que ça aux États-Unis. Ce qui me fait peur, ainsi qu'à d'autres, c'est qu'une autre attaque terroriste importante fasse ressortir cette tendance à l'isolationnisme. Tout le monde en pâtirait parce qu'alors les États-Unis mettraient en place toutes sortes de restrictions, disant tous les cargos arrivant sur la côte Ouest doivent passer par un port spécial pour être contrôlés, peu importe le temps que cela prend; tous les cargos arrivant sur la côte Est doivent passer par un port précis; tous les Canadiens doivent produire leur passeport, ou risquent de devoir faire la queue pendant des heures.

    Voilà ce qui se passerait si les États-Unis se retiraient de leurs engagements internationaux ainsi que de la plupart de leurs échanges commerciaux. C'est envisageable. C'est ça ou s'attaquer au terrorisme directement. Ce n'est pas uniquement l'extrême droite qui le dira... Vous avez raison, c'est une tendance ancrée. Au diable le reste du monde, laissez-nous tranquilles. C'est notre continent qui nous intéresse. Les autres nous indiffèrent. Intéressons-nous à nos propres affaires.

    C'est envisageable, d'après moi.

+-

    Le président: Si j'ai bien compris, vous pensez que c'est dans l'intérêt national du Canada de s'assurer que les États-Unis soient actifs au niveau international?

+-

    M. Joseph Jockel: Oui, Je ne pense pas que cela pose problème, pour le moment. Je pense que le principal motif des intérêts américains actuellement, c'est l'engagement. Par contre, le grand danger pour le Canada c'est le désengagement américain, mais ce n'est pas pour tout de suite, bien que ce soit envisageable.

+-

    Le président: Au Canada, il y aura sans doute prochainement une nouvelle politique étrangère ainsi qu'une mise à jour de la politique étrangère et de la politique de défense. Si vous aviez votre mot à dire dans la formulation des grands volets de la politique canadienne en matière de défense, quelles seraient vos recommandations relativement aux dépenses, aux niveaux de personnel et aux créneaux qui permettraient au Canada de travailler avec les États-Unis?

+-

    M. Joseph Jockel: Tout se retrouve dans le niveau des dépenses en défense.

    Le Livre blanc sur la défense de 1994 est plein de bonnes idées. Il encourage la coopération avec les États-Unis dans des domaines clés et donne au Canada la capacité de contribuer des contingents militaires de petite et de grande taille par le biais d'une panoplie d'options, du maintien de la paix à l'étranger à la guerre, en passant par des mesures plus rigoureuses de pacification. Il maintient également les créneaux dont on a parlé : les intercepteurs pour l'armée de l'air, le contrôle maritime pour la marine et, pour l'armée de terre, des brigades plus mécanisées et des capacités moins importantes.

    Cela me semble tout à fait pertinent car ainsi le Canada a toute une série d'options sans devoir s'engager et maintient ses capacités militaires. Une fois que les capacités militaires ont été perdues, il est très difficile de les remettre en place. La question, c'est de savoir si les budgets permettent de les assumer. Sinon, il faut décider quelles capacités seront sacrifiées. C'est là que les choses se compliquent drôlement.

À  +-(1040)  

+-

    Le président: Tout simplement du point de vue du genre de contributions que nous avons apportées au cours des dernières années, je songe plus particulièrement ici à l'Afghanistan, si l'on veut vraiment être considérés comme faisant notre part, pensez-vous que dans de telles circonstances le minimum que nous puissions faire serait de fournir une brigade?

+-

    M. Joseph Jockel: Je me suis trompé à cet égard. Après en avoir beaucoup parlé avec les militaires américains au début des années 90, j'étais absolument convaincu que la seule contribution que les États-Unis étaient prêts à accepter de la part du Canada était une brigade. Mais quand les choses en sont venues au pire, en Afghanistan les États-Unis ont accepté une contribution canadienne moindre qu'une brigade. Or, les militaires américains disent qu'ils sont sérieux, qu'ils sont vraiment sérieux. Je ne suis pas certain, mais je pense que cela est lié au débat que je vous ai mentionné auparavant.

    Si les États-Unis modifient leur approche et privilégient plutôt des alliances avec les pays qui ont une capacité réelle—s'ils ne veulent tout simplement pas jouer le jeu de la coalition qui est prête et qui coche automatiquement les cases, mais n'acceptent que les pays qui ont une force militaire importante—si c'est le cas, seule une brigade est une contribution importante car elle a tous les services essentiels et les services de soutien au combat et participe à des efforts plus généraux beaucoup plus facilement et efficacement que ne le fait un groupement tactique.

+-

    Le président: Pour ce qui est des capacités que nous n'avons peut-être pas à l'heure actuelle et que nous devrions obtenir à l'avenir, le major-général Lewis Mackenzie qui est à la retraite a souligné qu'il pensait que le Canada devrait avoir quelques porte-avions, de petits porte-avions de type British Ark Royal. D'autres personnes font valoir que nous devrions plutôt avoir des hélicoptères d'attaque.

    Quelles sortes de capacités croyez-vous que nous devrions avoir pour jouer notre rôle—y a-t-il quoi que ce soit en particulier ou est-ce à peu près ce que l'on retrouve dans le Livre blanc?

+-

    M. Joseph Jockel: À peu près la même chose, avec une meilleure capacité de soutien logistique. Pour ce qui est du général Mackenzie qui préconise les porte-avions, c'est-à-dire qu'ils pourraient être utilisés à diverses fins, j'en doute un peu car l'opération de contrôle de l'espace maritime prévoit l'alliance de toutes sortes de marines alliées, notamment la marine américaine. Je ne suis pas certain; il me semble qu'un porte-avions serait une dépense inutile.

    Le Canada pourrait cependant avoir une meilleure durabilité des forces. Cela signifie qu'il faut songer à des navires pour une plus grande durabilité outre-mer, et aussi tout simplement acheter davantage de matériel, car même dans les meilleures circonstances, le Canada n'a pas à l'heure actuelle la capacité de maintenir ses forces à l'étranger pendant une longue période.

    Ce serait sur la durabilité plutôt que sur une nouvelle capacité militaire que je mettrais l'accent. Cela dépend du budget de la défense, cependant.

+-

    Le président: Je voudrais vous poser une dernière question, car c'est un sujet qui est en train de faire surface, si vous me permettez l'expression, en ce qui a trait à l'achat de sous-marins canadiens. Nous avons été pris à partie, particulièrement par les médias, en ce qui concerne les prétendus sous-marins qui fuient et que nous avons achetés de la Grande-Bretagne.

    Je tente peut-être de savoir si vous avez une connaissance approfondie de la politique canadienne en matière d'acquisition, mais que pensez-vous des sous-marins?

À  +-(1045)  

+-

    M. Joseph Jockel: Je ne peux vous parler de leurs capacités techniques et de la raison pour laquelle ils fuient. Tout ce que je peux dire, c'est que l'acquisition de sous-marins était une bonne idée. De toute les forces armées canadiennes, c'est la marine qui est en meilleur état. Elle est extrêmement polyvalente, extrêmement utile. Son opération de contrôle de l'espace maritime est très bien pensée, même si les Sea Kings ont absolument besoin d'être remplacés.

    Il est tout à fait sensé de maintenir le contrôle au-dessus de l'eau, sur l'eau, et sous l'eau, ce qui est encore une fois l'opération de contrôle de l'espace maritime, et c'était également une bonne idée que les sous-marins en fassent partie. L'achat de ces sous-marins me semblait à l'époque une bonne affaire. Je ne sais pas s'il y a maintenant des problèmes techniques. Cela va au-delà de ma connaissance des pratiques d'acquisition.

+-

    Le président: Très bien.

    Monsieur Benoit.

+-

    M. Leon Benoit: J'ai une dernière question au sujet du transport aérien stratégique et de l'importance de ce dernier.

    Je pense qu'il y a vraiment une bonne chance que le Canada se retrouve dans un véritable bourbier à la suite de l'entente que nous avons conclue pour le transport maritime et aérien stratégique dans le cadre de la mission en Afghanistan. Les États-Unis ont certainement encouragé le Canada à acheter son propre transport aérien stratégique. Ils ont dit qu'ils en avaient assez d'être obligés de déplacer notre matériel pour nous. Cette fois-ci, nous avons affrété. Nous allons voir de quelle façon cela fonctionne, mais cela comporte de nombreux risques.

    Que pensez-vous de l'importance d'acheter le transport maritime et aérien?

+-

    M. Joseph Jockel: C'est utile, mais étant donné les dépenses qui doivent être faites pour maintenir les capacités actuelles, ce ne serait pas ma priorité tant qu'il existe une capacité de location. Et dans certaines circonstances, le Canada peut tout simplement dire aux États-Unis que s'ils veulent vraiment que nous soyons présents, ils doivent nous aider à nous y rendre. Ce n'est pas la meilleure façon de faire des affaires, mais étant donné tous les autres besoins, je pense que cela devient une option intéressante.

    Mais si on élabore une politique de défense plus générale et plus ambitieuse avec plus d'argent...

+-

    M. Leon Benoit: Ce que nous avons fait et ce que nous...

+-

    M. Joseph Jockel: ... alors on répond aux besoins actuels, on ajoute la durabilité, et on ajoute le transport aérien. Cependant, j'accorderais certainement beaucoup plus de priorité à la capacité actuelle qu'à l'ajout de transport aérien stratégique ou quoi que ce soit d'autre, même si cela serait souhaitable.

+-

    Le président: Merci, monsieur Benoit.

    Pour faire suite à la question de M. Benoit, j'aimerais savoir ce que vous pensez de l'acquisition future de matériel de défense au Canada et j'aimerais que vous me disiez si vous estimez qu'il est important pour nous de dépenser davantage de notre budget de la défense aux États-Unis à l'avenir, étant donné ce qui semble se produire entre l'Europe en général et l'Amérique du Nord en particulier. Les Européens sont de toute évidence en train de prendre une certaine orientation en ce qui concerne les industries de la défense, et nous l'avons constaté tout récemment, je pense, avec le contrat de Pratt & Whitney. Même si Pratt & Whitney offrait le prix le plus bas, ils ont essentiellement été éliminés pour ce qui est des moteurs A400M.

    À votre avis, s'agira-t-il là d'un élément essentiel dans nos rapports pour l'avenir?

+-

    M. Joseph Jockel: Je préfère ne pas répondre à cette question. L'acquisition du matériel de défense est vraiment un domaine réservé aux spécialistes, et c'est une question délicate. Je ne sais que répondre.

+-

    Le président: Très bien. Les membres du comité ont-ils d'autres questions à poser?

    Eh bien, professeur, au nom de tous les membres du comité, je tiens à vous remercier encore une fois d'être venu nous rencontrer ce matin. Je pense que cela a été une séance très fructueuse.

    Une des choses qui continue de nous surprendre en tant que Canadiens, je suppose, c'est que certains Américains comme vous continuent de faire attention à ce qui se passe au nord de la frontière, et nous vous en sommes reconnaissants, et nous vous sommes reconnaissants également de nous avoir fait part de votre analyse et de vos observations très bien conçues.

    Au nom du comité, merci beaucoup. Nous aurons peut-être l'occasion dans un avenir pas trop éloigné de vous réinviter à comparaître devant notre comité.

À  -(1050)  

+-

    M. Joseph Jockel: Merci, monsieur le président.

-

    Le président: La séance est levée.